[Terminé] De la ferraille pour la milice |PV Héléna]

À l'évidence, je venais de mettre les pieds dans le plat. Si Erwan était déjà gêné avant que je ne l'interroge sur sa timidité, à présent il se trouvait presque paniqué. Je l'observais sans rien ajouter. Culpabilisant quelque peu pour ce que j'avais maladroitement provoqué mais je restais observatrice et surtout à l'écoute.

-Je n’ai pas peur de vous toucher, seulement de mal le faire… Enfin, de ne pas avoir votre accord…Que cela soit mal interprété…
-D'accord, répondis-je simplement, plus pour marquer ma compréhension que mon accord.

-Et je ne suis pas chaste !

Je ne savais absolument pas comment prendre cette affirmation. Soit il se défendait purement et simplement comme n'importe quel homme un peu coincé qui se refusait de l'admettre…Soit il venait de confirmer que je pouvais lui plaire. À choisir, je préférais ma première hypothèse. J'aimais bien Erwan. C'était un homme bien, un peu timide peut-être, mais c'était quelqu'un de plaisant. Néanmoins, il semblait évident que cet homme-là avait vécu quelques événements malheureux… Des évènements qui l'avaient probablement conduit à cet état de solitude… Il avait bien assez souffert comme ça.

Aussi, sans rien dire, je le laissais apposer les cuissardes qui, évidemment, se trouvaient toutes aussi petites et serrées que le plastron. Après tout, j'étais tout de même plus élancée que la moyenne des femmes ici… Et puis, ayant enfanté, ma taille n'était plus aussi fine qu'avant. Mon corps tout entier n'était plus aussi fin qu'avant.

-Je dois vous paraître parfaitement ridicule… Levez les bras s’il vous plaît !
-Non, répondis-je plus sèchement que je l'aurais voulu. Je levais les bras.Il y a bien des choses que je trouve ridicule, Erwan, mais ce n'est pas ce que je pense de vous.

Je restais immobile, tête droite et le regard dans le vide. Je voyais bien qu'il se sentait mal et je n'aimais pas cela.

-Je suis désolée de vous mettre autant mal à l'aise. Je sais que je peux être un peu… brutale dans mes propos. Mais si je ris facilement d'une situation, je ne me moque jamais des gens. Plus particulièrement lorsque je les apprécie.

Je veillais toutefois à ne pas m'enfoncer dans mes propos. Après tout, même si je l'appréciais effectivement, il était hors de question pour moi de me comporter avec lui comme je pouvais le faire avec n'importe qui d'autre. J'avais tout de même du respect pour ce jeune homme qui bégayait aussi facilement que ses joues pouvaient rougir.

-Je vous trouve drôle. Je vous trouve touchant. Je vous trouve intéressant mais certainement pas ridicule, affirmais-je avec fermeté. Alors arrêtez de vous sentir aussi gêné en ma présence… S'il vous plaît.

J’avais marqué un temps d’arrêt lorsqu’elle avait dit “non” sèchement. Vu la tournure alambiquée de ma phrase, je croyais, sur le moment, qu’elle refusait de lever les bras et, donc, que je prennes ses mensurations.
Mon esprit se retrouvait alors confronté à une incompréhension totale puisque, en opposition au “non”, la jeune femme levait les bras ainsi que je l’avais demandé.
Fort heureusement, elle leva la méprise en prenant la parole. C’est alors qu’elle me contredit avec une certitude qui me dépassait. Il s’avérait que c’était “non je ne vous trouve pas ridicule” et pas “non, je ne leverais pas les bras”...
Un profond soulagement s’emparrait alors de moi, allant jusqu’à s’exprimer par un léger soupir. Persuadé que ce soupir était passé sans être vu, je me contentais de lui jeter un regard et de hocher la tête.

Je m’efforçais de prendre les mesures d’Héléna en cherchant à paraitre le plus serein possible, ce qui allait s’avérer compliqué. En effet, la milicienne semblait avoir besoin de s’excuser, encore et de s’expliquer, une fois de plus.
De nouveau, ses paroles me soulageaient autant qu’elles me chamboulement. In fine, elle n’était pas spécialement brutale dans ses paroles, peut-être un peu directe, mais pas brutale. Qu’elle ne se moque jamais était un soulagement, mais qu’elle explique m’apprécier, même si cela semblait évident, me perturbait.
C’était surtout de l’entendre dire de sa bouche qui était perturbant, en fait.

Moi aussi, je vous apprécie Héléna. Balbutiais-je avant de lâcher la cordelette et de boire une gorgée. Reposant le gobelet, je lui lançais un regard rapide avant de venir entourer sa poitrine de ma petite cordelette. Cela ne se voyait pas, sans doute, mais je prenais sur moi pour ne pas lui demander une énième fois la permission.
Je stabilisais la ficelle en posant le petit doigt au centre de son buste, fronçant les sourcils et retenant, de tête, la position des noeuds.
J’allais expliquer mon problème lorsqu’elle avoua ce qu’elle pensait de moi, me demandant au passage de cesser d’être aussi gêné en sa présence.
Je me figeais à la seconde où elle avait prononcé le premier “je vous trouve”, le petit doigt toujours sur son buste, deux doigts retenant la ficelle sur son côté, là où, normalement, aucun homme ne pose les mains sur une femme.

Plongeant mon regard dans le sien, je dis la première chose qui me traversait l’esprit.

On peut le dire oui…Que je suis touchant !... affirmais-je en tapotant son côté de mes doigts, rougissant immédiatement pour cette plaisanterie graveleuse. Vous pouvez baisser les bras, ajoutais-je en retirant ma cordelette. Passant dans son dos, j’entrepris de lui installer les spalières qui venaient se fixer sur le haut du plastron mais également sous le bras. Chacune était également attachée à une boucle dorsale par une lanière.
Ceci fait, j’ajustais les différentes attaches de cuir, tant des spalières que des cuissardes, desserrant celles qui passaient sous ses fesses. En effet, l’ensemble plastron et cuissardes formaient une sorte de harnais, permettant de fixer le fourreau à même l’armure en répartissant le poids.

J’observais le résultat, prenant la parole, ajustant parfois une sangle ou une attache.

Ce n’est pas vous qui me gênez, au contraire. J’apprécie grandement votre compagnie. Vous êtes souriante, étonnante, imprévisible et agréable. A dire vrai, je me gêne moi-même, craignant de dire, ou de faire, quelque chose qui pourrait vous contrarier…Ou vous déplaire.

Je me reculais d’un pas pour avoir une vue d’ensemble avant de commencer à libérer la milicienne pour lui rendre sa respiration.

Je pourrais revoir tout cela sans problème. Il y a juste pour votre… Là. Dis-je en indiquant sa poitrine du doigt. Je devrais l’ajuster sur vous directement pour que cela soit efficace et confortable. En tous cas, cela vous donne fière allure, vous serez très b..ien une fois ajustée.

Les attaches en grande partie défaites, je la laissais finir de tout enlever pour me tourner vers Oslo qui avait sagement attendu. J’avais repris confiance en moi et offrais un sourire au chien.

A nous deux ! On va ajuster tout cela, comme pour ta belle maîtresse !

Vous pensez que j’ai percuté de ce que je viens de dire ?
Non, évidemment. Ce serait moins drôle pour vous sinon…

-Moi aussi, je vous apprécie Héléna. me répondit-il d'un ton hésitant avant de boire une gorgée de vin.

Sa réaction me semblait plutôt… préoccupante. Il n'y avait rien de mal à avouer une affection purement amicale. Il n'y avait rien de perturbant là-dedans… Pourtant, pour lui, cela semblait extrêmement gênant. Son regard se fit même fuyant comme si… Comme s'il craignait que je lise en lui quelque chose que j'avais d'ores et déjà compris : je lui plaisais.

Même si ce constat me préoccupait, je ne pouvais pas le laisser imaginer que je puisse le trouver ridicule. Et tandis que je lui expliquais ce que je pensais de lui, Erwan s'attela à prendre mes mesures.

-On peut le dire oui…Que je suis touchant !... lança-t-il brusquement, tandis que son doigt de trouvait entre au centre de ma poitrine.

Je haussais les sourcils, affichant une moue toujours aussi … perplexe. L'humour était une armure plutôt solide d'ordinaire. Je pris grand soin de ne rien ajouter et je le laissais terminer son œuvre. Pour, finalement, me trouvais harnaché de cuir et de lanières.

-Ce n’est pas vous qui me gênez, au contraire. J’apprécie grandement votre compagnie. Vous êtes souriante, étonnante, imprévisible et agréable. A dire vrai, je me gêne moi-même, craignant de dire, ou de faire, quelque chose qui pourrait vous contrarier…Ou vous déplaire.

Je ne trouvais rien à répondre à ceci, même si, intérieurement, mes pensées fusaient en tous sens. L'espace d'un instant, j'hésitais même à prendre la poudre d'escampette, bien que je n'en fis rien. Un tel acte ne manquerait pas d'achever ce pauvre garçon, ou plutôt la sombre image qu'il pouvait se faire de lui-même.

Je l'écoutais distraitement me parler des ajustements qu'il y aurait à faire pour que cette armure puisse m'aller… Tout en me demandant pourquoi il ne se contentait pas de la vendre ? Telle qu'elle, elle trouverait rapidement preneuse.

-Euh…

Sans plus me prêter attention, il se retourna ensuite vers Oslo, sans doute pour s'occuper du harnais mais…

-A nous deux ! On va ajuster tout cela, comme pour ta belle maîtresse !


Belle maîtresse… Il venait de dire "belle maîtresse"... Cette fois, celle qui se trouvait gênée n'était nulle autre que moi. Ce genre de "compliment" ne me dérangeait pas d'ordinaire… C'était même plutôt le contraire. Après tout, qui n'aimait pas entendre ce genre de chose ?

Mon fils adorait me complimenter sur cette beauté qui plaisait tant à son père, autrefois. Il en était même fier. Évidemment, il serait stupide de comparer des mots d'enfants à ceux d'un adulte… Mais il m'était impossible de ne pas associer les deux, tout simplement parce que j'y voyais une certaine innocence. Surtout si je devais comparer ces paroles à celles des hommes que je rencontrais dans les tavernes. Ceux avec qui je partageais une couche durant une heure ou deux, utilisaient généralement d'autres mots pour parler de moi… Et je m'en fichais d'ailleurs puisque je n'avais pas la moindre intention de les revoir.

-Ewan, soufflais-je en détachant les boucles pour retirer l'armure. Laissez-la ainsi… Et vendez-la s'il vous plaît… Je… Je n'en veux pas… Enfin, ce n'est pas que je n'en veux pas, elle est parfaite et vous n'avez pas à faire ça pour moi.

Ne pas le blesser… Ne pas le blesser mais être claire et précise.

-Tout à l'heure, vous avez dit que vous craignez de me contrarier ou de me déplaire… Mais vous ne devriez pas vous soucier de ça. Vous … Vous ne devriez pas penser ça. je soufflais tout en reposant l'armure sur un coin de table. Je ne suis pas… quelqu'un de bien… Enfin, je ne suis pas quelqu'un de bien pour vous.

Après tout, il semblait bien évident qu'Erwan n'était pas le genre d'homme à rencontrer des femmes dans les tavernes avec l'intention de passer un petit instant avec elles. Il était beaucoup trop soucieux et timide pour cela… Non, lui, il était plus du genre à vouloir trouver une compagne pour le restant de sa vie…

Et moi… j'avais déjà bien assez donné.

-Je me trompe peut-être dans mon interprétation et honnêtement, j'espère me tromper mais…Je préfère être claire avec vous : il ne se passera rien entre nous.

Ça, c'était peut-être un peu brutal…

Elle ne prononçait pas un mot durant mes explications, n’esquissant même pas un de ses habituel sourire à mon trait d’humour “touchant”.
Bon, ce dernier point, je concède sans peine le fait que ce n’était sans doute pas drôle du tout. Mais pour le reste…Son silence me dérangeait, quand bien même je l’avais plus ou moins imposé. Je m’en rendais compte maintenant.
Lui tourner ainsi le dos, comme pour mettre un terme définitif à une conversation. A chercher à ne pas la blesser, je l’avais vexé… Fantastique !
Je soupirais intérieurement en analysant les sangles du harnais du canidé lorsqu’elle m’interpela.
A l’évidence, elle cherchait ses mots et la raison, sans chercher bien loin, me parut rapidement évidente: elle cherchait à m’épargner…

J’entendais les boucles de l’armure se libérer tandis que je vérifiais pour la troisième fois la même attache.
Non, n’allez pas croire que je perds la tête. C’est juste qu’a chaque fois que je corrigeais une attache, cela en déréglait une autre. Il y avait un sérieux problème de conception.
Toujours est-il que quelque chose se tordait en moi en l’entendant rejeter l’armure, comme si c’était moi qu’elle rejetait.
La suite de ses paroles me tétanisèrent alors que je comprennais qu’elle avait parfaitement lu en moi, alors je me figeais, une main sur le dos d’Oslo, l’autre sur une sangle. La fin de sa phrase ne laissait plus aucun doute, même si j’avais envie d’hurler qu’elle n’en savait rien.
Puis, sa franchise achevait de me sonner.

La tête me tournait mais, étrangement, j’avais les idées claires lorsque je me retournais pour lui faire face, allant directement chercher ses yeux bleus.

Cette armure est pour vous Héléna ! Pas parce que vous me plaisez mais parce que je vous compte comme amie ! Je suis sûr que des personnes comptent sur vous et j’ai la possibilité d’améliorer votre éspérance de vie sans frais. La jeune femme qui m’a passé cette commande a payé comptant…Je ne peux pas la revendre, ce serait déshonorant pour moi…
Pour le reste…


Je poussais un soupir, laissant mes épaules s’affesser.

Je gage que vous faites erreur en ne vous estimant pas bien pour moi, j’ignore sur quoi vous vous basez, à mon sujet ou sur votre compte, pour affirmer cela. Toujours est-il que…Indéniablement, vous me plaisez…

Je laissais trainer un silence avant de lever les bras pour les laisser retomber, haussant les épaules au passage.


Et après ? Grognais-je, regrettant immédiatement cette saute d’humeur. Je veux dire, qu’il ne se passe rien entre-nous n’y changera rien, pas plus que de vous éclipser. Plein de gens se cotoient et se plaisent sans qu’il n’y ai rien… Croyez-moi, je commence à douter de l’amour éternel…
J’indiquais le couffin, au travers des murs.
J’ai compris cela lorsque vous avez suggéré que les Dieux pourraient me donner un enfant, en parlant du couffin… Si les Dieux avaient été de mon côté, vous auriez été accueilli ici la première fois par un enfant de dix ans. L’ennui, c’est qu’à chaque fois que je demande sa main à une femme, cette dernière disparait ! Alors, j’ai donné, finit les mariages, je ne demanderais plus !

Je m’aperçevais alors que je venais de violer, en une ou deux phrases, un paquet des sujets de discussion que l’on s’était interdit. Cela avait-il encore lieu d’être cependant ? Aucune idée.

Désolé, je me suis lamentablement égaré ! Dis-je en inclinant la tête. Voyons le bon côté des choses, l’abcès est crevé, nous avons ce poids en moins et, grâce à votre franchise, au moins les choses sont claires ! Libérons ce pauvre Oslo et buvons un verre entre amis !

Je me sentais étrangement bien. Comme si un réel poids venait d’être ôté de mes épaules. Etait-ce uniquement lié au fait que la milicienne ai dit précisément les choses ? Ou bien aux révélations qui m’étaient apparue grace à elle ?
Je commençais à défaire le harnais.

Je n'ai jamais été quelqu'un de particulièrement diplomate. À dire vrai, cet apprentissage ne m'avait point été inculqué puisque, là d'où je viens, l'on ne se souciait pas de ce genre de "détails". Si quelque chose devait être dit, nous le disions sans y mettre les formes et surtout sans réellement nous préoccuper de l'interprétation de nos propos. Aussi,trouver les bons mots pour ne pas blesser autrui pouvait, souvent, s'avérer difficile pour moi. Je m'efforçais pourtant à me montrer aussi franche et claire que possible, afin de ne pas laisser libre court à une interprétation bancale.

La réponse d'Erwan fut sans appel. Je n'avais visiblement pas le "droit" de rejeter ce cadeau, offert par un ami qui ne bégayait absolument plus. Dans tous les cas, il ne pouvait pas revendre cet attirail puisque celui-ci avait déjà été par la demoiselle qui n'est jamais venue récupérer son bien.

Mais ce n'était pas tout. Il soupira tandis que ses épaules s'affaissaient lui donnant ainsi l'air d'un pauvre hère harassé par un dur labeur.

-Je gage que vous faites erreur en ne vous estimant pas bien pour moi, j’ignore sur quoi vous vous basez, à mon sujet ou sur votre compte, pour affirmer cela. Toujours est-il que…Indéniablement, vous me plaisez…

Moi qui espérais tant me tromper… Me voilà bien déçue. Je l'écoutais donc en silence, m'asseyant sur un bord de table simplement parce que ses mots m'ébranlaient quelque peu. Erwan, comme beaucoup, avait énormément souffert de perte ou bien d'abandon au point même de se retrouver blaser par l'amour. Cela, je ne pouvais bien évidemment que lui donner raison : l'amour éternel n'existant évidemment pas.

-Désolé, je me suis lamentablement égaré ! Voyons le bon côté des choses, l’abcès est crevé, nous avons ce poids en moins et, grâce à votre franchise, au moins les choses sont claires ! Libérons ce pauvre Oslo et buvons un verre entre amis !

-En effet, l'abcès est bel et bien crevé, raillais-je en m'efforçant de ne pas visualiser un véritable furoncle.

-La vie… Elle est ce qu'elle est, Ewan. Parfois elle nous apporte du bonheur même si, le plus souvent, c'est l'inverse qu'elle amène. Mais c'est ainsi. Généralement, nous n'avons aucun pouvoir sur ce qui nous arrive, dis-je en souriant.Oslo, tu descends, bonhomme, demandais-je à mon chien lorsqu'il fut libéré de son harnais.

Le canidé me rejoint aussitôt, venant me quémander quelques caresses, comme à son habitude, ce à quoi je répondis, bien évidemment.

-Si la vie avait été différente, je ne serais certainement pas ici aujourd'hui. J'aimais ma vie et ma terre… Je les aimais tant que s'il suffisait de tuer tout le monde ici pour les retrouver, croyez-moi, vous seriez tous déjà morts.

Même si mon sourire campait sur mon visage, mon ton était froid, étrangement monocorde… Je chassais tout cela aussitôt. Évoquer mon passé revenait à entrouvrir la petite boîte qui le tenait pourtant enfermé. Celui qui contenait également mes divers traumatismes et la folie qui menaçait de m'emporter chaque fois que je faisais mine de m'y intéresser.

-Mais comme je le disais, nous n'avons que rarement la possibilité de changer les choses. C'est comme ça. En revanche, ce que nous pouvons faire c'est de nous contenter de vivre le moment présent et de prendre les choses comme elles viennent. Pour avancer sans prendre le risque de tomber, mieux vaut regarder devant soi.

Elle me plaisait, c’était acté, c’était dit. Au moins, je perdrais peut-être moins mes moyens face à elle. Elle m’écoutais poliment, comme elle le faisait chaque fois.
Assise sur la table, j’avais l’impression qu’elle s’était rapprochée, idée que je chassais rapidement, cela ne collait pas avec ses paroles.
Lorsqu’elle reprit la parole, dans un premier temps, je pus percevoir le même ton jovial que d’accoutumé alors qu’elle confirmait que ce point était éludé. Le fait qu’elle soit encore amusé me perturbait cependant, même si cela m’arracha un sourire. Son analyse était plutôt bonne, nous n’avions effectivement que rarement la possibilité d’influencer notre vie, du moins passé un certain niveau.
Si l’on pouvait choisir de qui nous entourer, on ne pouvait jamais être certain du temps que cela durerait…J’étais particulièrement bien placé pour le savoir.

Différentes choses cependant, me surprenaient plus encore. Elle ne refusait pas l’armure, alors que je m’étais attendu à un refus catégorique, pas plus qu’elle ne s’intéressait à mon passé.
Si, pour l’armure, je n’avais pas d’explication, je pensais commencer à suffisamment connaître la blonde pour imaginer que, si elle ne parlait pas de ce qu’aurait pu être ma vie, c’était par respect pour moi et pour les interdits que l’on s’était fixé.

Je laissais glisser ma main le long du flanc d’Oslo tandis qu’il rejoignait sa maitresse. Le ton de cette dernière changeait, devenant plus froid, plus tendu. Ce n’était pas le fait qu’elle avoue être prête à tuer tout le monde, moi compris, si cela lui permettait de retrouver sa vie d’avant, c’était plus profond.
Plus personnel aussi et je n’irais pas chercher à savoir.
Je lui coulais un regard compatissant, autant qu’amicale, hochant doucement la tête.

Nous nous sommes interdit certains sujets de conversation, que j’ai largement outre passé…J’aimerais que vous sachiez que…Je suis votre ami, je suis là si besoin Héléna…

Je remplissais les deux gobelets de vin tandis qu’elle poursuivait, arguant que si l’on ne pouvait rien changer, nous pouvions nous concentrer sur le présent. Vivre ce que la vie nous offrait au lieu de se remémorer en permanence nos échecs et nos pertes. Je n’avais jamais vu les choses de cette façon mais, je dois bien avouer, qu’il me tentait d’essayer…De voir si je pouvais m’accorder un peu de idéologie de vie.
Je me tenais donc devant elle, lui tendant un gobelet de breuvage, lorsqu’elle prononca ses dernières paroles.
Etrangement, ses paroles m’avaient redonné le moral et, c’est donc souriant que je l’observais. Un sourire sincère et presque libéré.

Alors, buvons au moment présent ! Cet instant qui nous est offert à tous deux.

Rougissant alors, bien malgré moi mais, sans bégayer, je complétais ma pensée presque machinalement.

Vous avez raison, il y a des fois ou il est agréable de regarder devant soi… ! Dis-je en lui lançant un clin d’oeil. Il sera évident pour elle que je ne suis pas habitué à ce genre de familiarité. Je prenais place sur la table, à distance raisonnable d’elle.

Et puis, la clarté de vos propos m’évite de vous faire une offre ridicul…

Mouai…Celle là, j’aurais peut-être pu la retenir quand-même…
Je noyais la fin de ma phrase dans une gorgée de vin.
Tais-toi Erwan, tu en as bien assez dit comme cela !

-Nous nous sommes interdit certains sujets de conversation, que j’ai largement outrepassé…J’aimerais que vous sachiez que…Je suis votre ami, je suis là si besoin Héléna…
- C'est gentil, mais je ne suis pas vraiment le genre de personne à demander l'aide des autres, dis-je en désignant la bourse qui se trouvait toujours sur la table. Et je sais d'expérience que certains "problèmes" ne sont en réalité que des épreuves qu'il nous faut généralement traverser seuls. Il se trouve d'ailleurs que les dieux aiment, par dessus-tout ,nous lancer ces fichues épreuves à la figure.

Même si je prenais cela avec amertume, je préférais en plaisanter. Après tout, contre cela non plus nous ne pouvons rien, hormis se battre en essayant tant bien que mal de préserver quelques plumes.

-Mais il est plaisant de pouvoir compter sur un ami si besoin.

Se me saisis du gobelet qui m'était destiné avant de le lever comme pour marquer cette amitié naissante.

-Quant aux sujets tabous, certains ne le sont qu'en face d'inconnus. Loin de moi l'idée de tous les évoquer d'un seul coup, évidemment, tous ne sont pas vraiment plaisants à raconter ou à écouter. Et puis, il ne faudrait pas que le passé nous empêche d'avancer.

-Alors, buvons au moment présent ! Cet instant qui nous est offert à tous deux, lança-t-il en rougissant avant d'ajouter :
-Vous avez raison, il y a des fois ou il est agréable de regarder devant soi… ! Et puis, la clarté de vos propos m’évite de vous faire une offre ridicul…

-Quelle offre ridicule aviez-vous à l'esprit ? lui demandais-je en haussant un sourcil interrogateur.

Ce n’est peut-être pas votre genre de demander de l’aide ou de vous confier, mais je voulais que vous sachiez que ma porte vous est ouverte ! Libre à vous décider de la franchir ou non. Dis-je en souriant.

S’il y avait des doubles sens à cette phrase possible, je ne m’en apercevais même pas. Elle expliquait que, selon elle, les problèmes étaient généralement des épreuve divines devant lesquelles il convenait généralement d’oeuvrer seul. J’acquiscais.

C’est assez vrai ! Même si mon père à été un soutien immense durant mes premières épreuves, on n’en reste pas moins seuls avec nos pensées.


Elle acceptait alors mon verre et mon amitié, ce à quoi je répondais d’un sourire alors que nous trinquions sans heurter nos gobelets.

Elle avouait alors que les sujets que nous avions préférés évincer de nos discussions la dernière fois n’avait, peut-être, plus tout à fait court. Elle n’allait pas tout me balancer comme cela, ce qui n’était pas l’objectif de ma remarque de toute façon. Je voulais simplement qu’elle sache que j’étais disposer à accueillir ce qu’elle souhaitais me confier. Rien de plus. Je notais en revanche ce trait de caractère admirable chez elle.
Quoi qui ai constitué son passé, elle ne parlait toujours que d’avancer, de profiter de la vie et de ce que cette dernière pouvait offrir à l’instant T.
Je lui sourias doucement.

Vous êtes dans le vrai ! Il faut avancer, j’ai eu trop tendance à l’oublier ces dernières années. Heureusement que vous êtes arrivée pour me le rappeler ! Avouais-je avec un sourire sincère.

Alors, la phrase en trop, celle que j’aurais pu retenir, n’était évidement pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Evidemment, elle revennait dessus, demandant plus de précision.
Un jour, peut-être, arriverais-je à passer plus d’une heure sans rougir devant Héléna, même si ce n’était clairement pas pour aujourd’hui ! J’aurais préféré qu’elle ne relève pas ma maladresse mais sa curiosité semblait, à juste titre j’imagine, l’emporter. Aussi, au point où j’en étais, autant finir de se ridiculiser une bonne fois pour toute ! Je pourrais repartir du bon pied ensuite, d’autant plus que la réponse négative qu’elle ferait si je lui faisais l’offre était évidente. Là, il ne s’agit pas de lui faire une proposition, simplement de dire quelle aurait été cette proposition. Je haussais les épaules, les joues rouges, même si elles semblaient moins brûlantes que d’habitude.

Eh bien…J’avais songé vous proposer de rester ici cette nuit, ce qui est parfaitement ridicule !

Je fis passer cette phrase avec une gorgée de vin. Aller hop, ça c’est fait, c’est dit, on n’y revient plus.

-Ce n’est peut-être pas votre genre de demander de l’aide ou de vous confier, mais je voulais que vous sachiez que ma porte vous est ouverte ! Libre à vous de décider de la franchir ou non.
-Merci, rétorquais-je sobrement avant de poursuivre sur ma vision des choses concernant les problèmes que nous devions affronter.

Il semblait plutôt d'accord avec moi même s'il m'expliquait avoir pu bénéficier du soutien de son père autrefois. C'était bien évidemment mon cas, également, à l'époque où j'avais encore des parents, un époux, une famille. Ils étaient tous là pour moi, comme je pouvais I'être pour eux… Jusqu'à ce que l'une de ces fameuses épreuves divine consiste à tous les perdre brutalement. L'image de mon père, de son regard lorsque j'embarquais sur le Firmament sans eux, me revint aussitôt à l'esprit pour mieux venir m'étreindre le cœur. Cette image, même si c'était la dernière que je pouvais avoir de mon père, je préférais la noyer sous une énorme gorgée de vin. Hors de question de me laisser atteindre pour l'instant.

Le passé se doit de rester au passé.

Et puis vint cette histoire de proposition ridicule et de ma fichue curiosité.

-Eh bien…J’avais songé vous proposer de rester ici cette nuit, ce qui est parfaitement ridicule !

Voilà une bien étrange proposition, venant justement d'un homme qui se disait mon ami. J'aurais, évidemment, pu imaginer qu'il me proposait simplement de dormir ici, dans une autre chambre, dans un autre lit… Mais Erwan étant un homme célibataire qui venait d'avouer que je lui plaisais, il m'était presque impossible de voir autre chose qu'une proposition particulièrement indécente.

-Et bien… Vous venez de me rappeler qu'il n'est pas toujours bon d'être curieuse, Erwan. Je n'aurais pas dû poser la question, dis-je en m'efforçant de sourire.Quand je disais qu'il fallait vivre le moment présent, je ne sous-entendais pas ce genre de chose, ajoutais-je en pouffant.

Peut-être devrais-je tout lui dire. Lui expliquer que si j'aimais jouer avec les hommes je préférais que ces derniers restent des inconnus. Lui dire que même s'il m'arrivait de faire de genre de petits écarts, je ne découchais jamais, simplement parce qu'un petit bonhomme m'attendait à la maison et que j'étais bien suffisamment absente comme ça. Lui dire à nouveau que je ne voulais absolument pas d'une relation et ce avec qui que ce soit et certainement pas un ami.

-Heureusement qu'il ne s'agissait pas d'une réelle proposition, raillais-je gentiment. Je l'aurai, évidemment déclinée.

Ayant terminé mon verre et préférant tirer un trait sur cette conversation totalement décousue, je me relevais. Hors de question de continuer sur ce chemin-là et de pourrir une possible amitié naissante. Je n'avais que peu d'amis, la plupart m'ayant tourné le dos après notre débarquement forcé, je ne voulais pas en perdre d'avantage.

-Je dois y aller, on m'attends. Je repasserai dans quelques jours pour voir où vous en êtes avec le harnais ou s'il vous manque quelque chose. Merci en tout cas, pour tout… à nouveau.

Je haussais les épaules lorsqu’elle affirmais que la curiosité n’était pas toujours une bonne chose.

J’aurais aussi pû éviter de vous dire cela, malheureusement, je me suis fait la réflexion un peu tardivement. C’est bien là ce qui fait tout le ridicule de cette phrase. Navré si cela vous a gêné !

Fort heureusement, elle émettait un petit rire qui signifiait qu’elle n’était pas en colère ou vexée, ce qui ne l’empêchait pas de confirmer ce que je pensais, elle aurait décliné mon offre si elle en avait été une. Quand bien même je n’avais songé qu’à lui proposer de rester diner et boire un peu avant d’occuper la chambre des apprentis que je n’avais pas.
Pour être tout à fait honnête, c’est là tout ce que j’avais imaginer lui proposer, quand bien même je pouvais rêver de plus. Proposition qui était de toute façon déjà abandonnée après la discussion précédente.

Evidemment ! Confirmais-je en souriant malgré tout. J’avais noté qu’elle avait paru hésiter quelques instants avant de préciser qu’elle aurait refusé si la proposition avait été réelle. Je ne me faisais guère d’illusion, ce n’était pas à sa réponse qu’elle avait réfléchis, mais à tout autre chose.

Je reposais mon gobelet tandis qu’elle prenait congé, lui offrant un sourire. Contre toute attente, j’étais de bonne humeur, presque joyeux. Malgré la gentille remise en place que je venais de vivre, pouvoir la compter comme amie était particulièrement plaisant. Elle était encore sur la retenue avec moi, gardant sa part de mystère, mais j’avais le sentiment que rien, durant cette échange étrange, n’avait compromis notre relation amicale naissante.

Naturellement ! Je pense avoir finis le harnais dans deux ou trois jours. J’aurais sans doute même un petit enclos à vous montrer ! Annoncais-je avec un sourire avant d’accepter ses remerciements. Je fis alors quelque chose instinctivement. Je lui empoignais l’épaule avec douceur, mes yeux exprimant toute ma sincérité.

Un grand merci à vous Héléna ! Pour votre amitié et votre belle humeur !

Je m’écartais alors pour ne pas m’imposer, avant de lui coller sa bourse dans la main.

À l'évidence, la pseudo proposition d'Erwan, tout comme ma réponse à cette dernière, nous avaient mis tous deux fort mal à l'aise. Je n'aimais pas le genre d'ambiance qui venait de s'installer. L'on aurait dit que nous marchions, tous deux, sur des œufs. Chose que je n'ai jamais su faire, évidemment. Non, moi, je préférais mettre les deux pieds dans le plat.

Que faire alors hormis d'apaiser le tout en riant ? Sans doute plusieurs choses, mais le rire restait encore ce qu'il y avait de plus naturel pour moi. Le rire et la fuite. Croyez-le ou non, les deux s'accommodent parfaitement.

Tout en me relevant, je lui promis de repasser d'ici quelques jours… Plutôt qu'une promesse, il s'agissait d'une déclaration. À cela, Erwan rétorqua qu'il pourrait terminer le tout en quelques jours… Avant de poser sa paume sur mon épaule.

Le geste me surprit quelque peu. Assez, tout du moins pour me faire légèrement sursauter. Après tout, il ne me semblait pas que toucher une femme de cette manière faisait parti des moeurs des gens du coin… Mais peut-être me trompais-je.

Il me remercia tout en souriant, avant de s'éloigner en me collant cette fichue bourse dans les mains. Ayant été plutôt bien élevée, je me contentais alors de le saluer d'un geste de tête avant de rappeler Oslo. Je quittais ensuite la cuisine en passant par la boutique… Et, d'un geste vif, j'abandonnais la bourse derrière le comptoir avant de déguerpir.

Oui, je suis une grande gamine.