[Event] A une botte prêt ! [PV Alaïs]

Mon sourire s’était légèrement étiré lorsque j’avais frôlé sa joue pour chasser ses cheveux et qu’elle avait accompagné mes doigts au lieu de les fuir comme une part de moi l’avait craint.
Être passé au tutoiement m’avait donné l’impression de franchir une barrière, d’entrer plus avant dans cette relation naissante et, finalement, d’exprimer ainsi mes réelles pensées, mon moi profond.

Alors, j’attendais une réponse qui, peut-être, ne viendrait pas tandis que nos yeux se tenaient en respect, chacun essayant de décrypter l’autre. De nouveau, quelques secondes s’étirèrent avant que sa main ne vienne se poser sur mon bras. Son sourire, légèrement rougit, laissa passer entre ses lèvres les mots les plus enchanteurs qu’il m'ait été donné d’entendre. Instinctivement, je resserrais légèrement ma prise sur sa main, celle que j’avais au-dessus de son épaule faisant marche arrière pour se poser pleinement sur sa joue.

Non, pas du tout… Annonçais-je, sans hésiter cette fois. Bien au contraire…

De nouveau, nous nous toisons alors que je caressais sa joue du pouce d’un mouvement lent. Nos pupilles ne cessaient de s’agiter, comme cherchant un signe sur la suite à donner.
Il n’y a pas de mode d’emploi pour ce genre de situation. Quand bien même il y avait des convenances, des principes, des recommandations d’un autre temps, n’étaient-ce pas les individus concernés qui, le mieux, pouvaient savoir ce qu’il fallait faire ou dire ?
Dans ce cas, que devais-je dire ? Que devais-je faire ?

La sincérité de sa réponse se lisait sur son sourire et dans ma tête, circulaient tout un tas de choses à un point tel que je ne savais plus moi-même ce que je pensais. Ce dont j’étais certain, c’était qu’une douce chaleur semblait se répandre dans mes veines.
Alors, sa voix, que perçait une inquiétude latente, s’élevait pour demander jusqu’à quand je serais sur place. Je lui souriais, mon pouce glissant sur sa pommette.

Nous sommes en renfort pour les jeux, nous devrions partir après, j'imagine, vers le 21 juin, je pense… Pourquoi ?

Envoyant voler, sans y avoir prêté ne serait-ce qu’une attention passagère, toutes les affirmations sur la bonne conduite à tenir, je m’approchais légèrement de la jeune femme. Juste assez pour sentir la chaleur qui émanait d’elle, restant suffisamment loin pour que nos corps ne se touchent pas. Qu’elle veuille que l’on s’en tienne là, ou qu’elle préfère finir le trajet, je lui laissais le choix. J’avais emmêlé mes doigts dans les siens, pendant que, après une brève hésitation, celle qui trainait sur sa joue ne glisse sur son cou.

Je ne vais surement pas t’abandonner dès ce moment terminé Alaïs…Dis-je avant de venir une fois de plus au creux de son oreille. Certainement pas…! Confirmais-je d’un souffle chaud avant de reculer pour reprendre contact avec ses yeux.

Je lui lançais un sourire taquin mêlé à un peu d’espièglerie et une dose de gêne digne d’un adolescent contant fleurette. Pourtant, ce que j’allais dire était on ne peu plus digne de moi.

A ton avis, c’est lequel d’entre nous deux qui doit embrasser l’autre en premier ?

Je ne laissais qu’un très bref instant de silence avant de finir.

A moins que, comme moi, tu préfères ne pas tenir compte des protocoles et que l’on fasse comme on l’entend ?

Par ce trait d’humour, j’espérais lui faire penser à autre chose qu’à mon départ, aussi éloigné de ce moment fût-il. Je mourrai d’envie de la prendre dans mes bras, mais je ne savais pas ce qu’elle attendait de son côté.

Alaïs sentit une tension qu’elle n’avait pas remarquée précédemment quitter ses épaules à l’acceptation de Loghart. Comme si elle s’était attendue à ce qu’il rejette son affirmation, peut-être jugée trop franche ou trop hardie. Pourtant, elle n’était pas arrivée là où elle en était, en possession de son propre atelier, sans un peu d’audace, et le fait qu’il semble accepter cette facette un peu subtile de sa personnalité, parfois bien enterrée sous des couches de retenue et de convenances, la touchait énormément. Et son assurance de ne pas l’abandonner termina de la faire fondre. Mais elle répondit quand même à sa question, exprimant le fond de la brève angoisse qui l’avait étreinte.

« Nous avions prévu que je refasse un aller-retour avec Marbrume… Ne sachant pas comment allaient se dérouler les choses ici, nous n’avons pas emmené de marchandises. Je devais rentrer, informer mon partenaire de l’accord obtenu, créer autant de pièces que possible et refaire le trajet avec Bauduin pour le début des jeux. »

Elle se mordit la lèvre inférieure. C’était effectivement le plan, à la base. Sauf qu’après l’apparition du fangeux du premier jour, elle avait admis à Paulin qu’elle n’était pas vraiment à l’aise de se retrouver à nouveau sur la route. Deux fois. Et si en plus, Loghart avait dû quitter Usson rapidement…

« Mais je n’ai pas vraiment envie de refaire le trajet si vite. », lui confia-t-elle donc.

Il n’y avait rien à faire, l’attaque avait ravivé chez elle les horribles souvenirs de sa fuite de Boétie. Il n’y avait rien de pire qu’être là, dehors, à se traîner sans défense sur les routes en sachant très bien que ces monstres pouvaient débouler à n’importe quel moment. L’artisane fut prise d’un frisson à cette pensée.

« Paulin a approché le potier du village du coup, en espérant qu’il me laisse utiliser son four de temps en temps. Nous n’aurions qu’à confier un message à un convoi pour prévenir nos contacts à Marbrume. Mais le vieil homme est un peu têtu… »

La moue un peu gênée, elle baissa brièvement les yeux. Elle avait encore moins envie de quitter Usson maintenant.

Puis son sourire taquin lui mit la puce à l’oreille et l’expression de la potière se fit confuse. Sa main sur sa nuque, leurs doigts entremêlés, son souffle près de son oreille,… Les papillons étaient de retour alors que sa main abimée, toujours posée sur le bras du milicien, glissait plus près de son poignet. Les protocoles, Alaïs les connaissaient très bien. Ronan et elle les avaient suivi à la lettre. C’était d’ailleurs la raison de leur fuite: cinq ans de fiançailles sans jamais avoir mis un pied de travers avaient fini par les rendre dingues. Tous les deux. Et quelques années s’étaient encore écoulées depuis lors.

Oser encore plus, avait-elle dit.

« Si tu ne m’embrasses pas, je pourrais prendre ça comme un manque de motivation… », fit-elle enfin, une moue espiègle faisant étinceler son regard.

Ce n’était vraiment pas le moment que Paulin rentre…

Nos yeux se parlaient dans leur langage, incompréhensible pour mon cerveau. Ses doigts dans les miens, son cou, doux et chaud, qu’elle n’avait pas soustrait là encore. Puis, cette petite grimace durant laquelle elle se mordait la lèvre. Brusquement, ma question l’avait chiffonnée. Alors, patient, j’attendais qu’elle n’explique ce qu’elle craignait.
Bêtement, j’avais imaginé que cela pouvait être mon départ mais, le monde ne tourne pas autour de moi.

À peine arrivé ce midi, j’avais entendu parler de cette attaque deux jours plus tôt, la potière n’en parlait pas, mais j’imaginais bien que cela pouvait entrer en ligne de compte. Ma présence dans sa chambrette n’était pas la raison de sa crainte. Du moins, pas seulement… Un peu tout de même, sinon pourquoi cette inquiétude aurait percé à ce moment précis ?
Me voulant rassurant, je revenais lui caresser la joue.

Ne t’en fait pas, vous avez trouvé une autre option, c’est là le plus important. Avec les préparatifs, ce ne sont pas les convois qui manquent, il devrait même pouvoir vous envoyer de la matière première. Rien ne t’oblige à reprendre la route dans l’instant, tout têtu que soit ton associé !

Un nouvel échange de regards, mes paroles, chaudes, à son oreille alors que je revenais à la charge avec mes questions roublardes. Le métal en fusion qui circulait maintenant dans mon corps pendant que je replaçais ma main dans son cou avec tendresse, malgré les cales de mes doigts.
Le silence s’étirait pour que, finalement, elle ne me lance une grimace semblable à la mienne, le même air de jeu dans le regard.

Un… Un manque de motivation ?

Mon sourire se fit large alors que mes yeux brillèrent de désir. Je n’ajoutais pas un mot, tirant simplement la jeune femme à moi. Je ne lâchais pas sa main, remontant l’autre en haut de sa nuque pour me perdre dans ses cheveux.
Alors, je venais capturer ses lèvres avec une motivation tendre, mais bien présente. Nous venions de suspendre le temps, du moins cela, en donnait-il l’impression.
Je rompais le baiser après un petit moment, lui lançant un regard amusé et presque fiévreux.

Cela fait un petit moment que je suis motivé Alaïs ! Raillais-je alors avant de la serrer contre moi pour l’embrasser de nouveau, visant cette fois son cou avant de remonter sur ses lèvres en longeant sa mâchoire, avec un peu plus d’entrain encore. Une brève caresse de ma langue sur ses lippes venant parfaire la démonstration de ma motivation et…de mon désir.

La jeune femme tira un bref sentiment de satisfaction en l’entendant bafouiller un peu. Elle avait donc un sourire encore plus amusé sur le visage quand il l’attira à lui, comblant le peu d’espace qui restait entre eux et faisant courir sa main jusqu’à ses cheveux. Puis elle déconnecta. À nouveau.

Ses lèvres sur les siennes avaient très efficacement chassé toutes pensées cohérentes de son esprit et elle se laissa aller contre lui. Elle avait initialement voulu porter sa main libre à ses cheveux - ça faisait un moment que les mèches noires lui faisaient de l’oeil - mais les muscles de son dos s’étaient rappelé à son bon souvenir et elle s’était contentée de poser sa main sur sa poitrine, ses doigts s’emmêlant au tissu rêche de la tunique un peu trop large de Paulin.

Perdue dans le moment et les yeux fermés sous l’émotion, elle ne les rouvrit qu’en le sentant s’éloigner, croisant son regard fiévreux qui réveilla en elle des sensations qu’elle étouffait depuis très longtemps. L’étreinte de Loghart était tellement différente de celle de Ronan. Celui-ci était toujours, même après des années d’une intimité toute relative, resté maladroit et tendu. Son passé traumatisant l’avait rendu hésitant, même avec elle.
Il n’y avait toutefois aucune hésitation dans les gestes du milicien qui plongeait cette fois dans son cou. Elle inclina la tête sur le côté, lui facilitant l’accès puis revint à la rencontre de ses lèvres, les paroles de Loghart enflammant juste un peu plus ses sens.

La douce caresse d’une langue aventureuse ne fut pas vraiment une surprise et Alaïs entrouvrit les lèvres, invitant le jeune homme à approfondir le baiser s’il le souhaitait. Elle rompit également l’étreinte de leurs mains, amenant la sienne maintenant libre près de l’autre, et s’agrippa à sa tunique comme si elle avait pu le rapprocher encore plus d’elle.

Un poil de conscience lui revint également. Elle avait rencontré ce milicien un peu plus tôt dans la soirée... Il serait peut-être temps de ralentir le rythme. Elle s’accrocha à la musique qui s’élevait de nouveau par la fenêtre pour s’arracher à l’ardeur qui lui embrumait l’esprit.

Elle était épuisée et rompue par le travail de la journée, même si elle avait l’habitude de masquer sa fatigue. Elle s’écarta donc doucement de lui et posa son front contre l’épaule de Loghart, savourant un instant le simple fait d’être en totale confiance avec quelqu’un.

« Tu sais où dormir? La caserne a encore de la place? Tes frères?  », fit-elle tout bas, presque dans un murmure, l’image d’un Loghart errant dans des vêtements trop grands, ses bottes trempées à la main, s’imposant sèchement à elle, avant de disparaître aussi vite.

La chaleur qui me traversait le corps fit un bond en température lorsque la jeune femme posa sa main sur mon torse, venant entortiller ses doigts dans le tissu lâche. De mon côté, je lui caressais la tête de ce pouce que j’avais égaré dans sa chevelure, dégustant ce moment avec une tendresse sincère et un brin fougueuse.

Finalement, nos regards se croisèrent de nouveau alors que j’avais rouvert les yeux et il me semblait voir briller une petite étincelle dans le bleu de ses iris lorsque j’avouais avoir l’envie de ce contact depuis un moment. Je m’attaquais alors à son cou et, Alaïs me l’offrait un peu plus encore en inclinant la tête, ce que je ne me privais pas d’exploiter avant de longer sa mâchoire. Enfin de retour sur ses lèvres, je sentais sa main quitter la mienne pour venir saisir mon vêtement, me pressant un peu plus à elle. Ayant eu à peu près la même idée, j’avais posé la mienne dans le bas de son dos pour la serrer un peu plus contre moi.

L’instant était comme une libération, une joie intense me secouait, augmentant plus encore lorsqu’elle entrouvrit les lèvres, répondant positivement à ma suggestion. Alors, dans la continuité tendre de ce baiser, j’entreprenais de la découvrir un peu plus, venant faire danser ma langue avec la sienne.

Les yeux clos, son corps contre le mien, ses mains sur moi, les miennes sur elle, ce baiser qui était un mélange sulfureux de douceur, de désir et de plaisir rehaussé d’une pointe d’ardeur, cela formait un tout.
Un tout unique et nouveau.
Et cette boule, brûlante qui me prenait aux tripes avec férocité, remontant jusqu’à mon cœur, me faisant fondre l’esprit…

Finalement, après une brève éternité, la potière rompait cet instant en douceur pour venir appuyer sa tête contre mon épaule. Posant la tête contre la sienne, je continuais de lui caresser le dos et la nuque. Mon cœur battait fort et j’avais le souffle un peu raccourci par l’émotion. Les yeux clos, je profitais de ce câlin gorgé de grâce tout en entendant la question qui m’était destinée.
Je reculais la tête pour ensuite repousser son front de mon nez afin de pouvoir emprisonner son regard, un petit sourire espiègle accroché au visage.

Non !

Je lui embrassais le front.

C’est en tout cas la réponse que j’aimerais te donner, même si je doute que mes frères s’interrogent plus que cela quant à mon absence.

Je venais alors caresser sa joue de la mienne, fermant les yeux brièvement.

Non ! Rajoutais-je dans un souffle proche de son oreille. Car je crois qu'où que je me trouve cette nuit, tu m’empêcheras de dormir Alaïs… Chuchotais-je avant de saisir précautionneusement son oreille avec mes dents pour la relâcher dans l’instant, revenant chercher ses pupilles.

Que m’aurais-tu proposé si je n’avais nul endroit où aller ? Demandais-je avec un sourire honteusement taquin. Cette question ayant pour unique objectif de l’asticoter, puisque nous avions en commun ce brin de folie qui nous avait plu immédiatement.

Les attentions dont il la couvrait envoyèrent des frissons le long de son dos, accentués par ses paroles passionnées. C’est qu’il savait s’y prendre, le milicien!

La potière se força donc à prendre des respirations plus longues et plus posées pour tenter de calmer les battements affolés de son coeur tout en évitant discrètement le regard de Loghart pour masquer son propre désir. Allons, un peu de tenue, Alaïs!

Aussi ne lui répondit-elle pas tout de suite, posant un tendre baiser sur ses lèvres avant de s’écarter. Elle se défit alors doucement de son étreinte et revint près de la couchette. Elle attrapa les deux verres d’hydromel qu’ils avaient oubliés là avant leur impromptue petite leçon de danse et, tendant son verre à Loghart, prit une gorgée du sien.

Bonne question… Qu’aurait-elle fait?

Paulin et elle racontaient déjà aux gens d’Usson qu’ils étaient cousins pour éviter toutes messes basses sur le fait qu’ils partageaient une chambre. Y ajouter Loghart, même le temps d’une nuit, aurait par contre été plus dérangeant. Parce que quoi qu’elle fasse, Alaïs se devait de rester irréprochable aux yeux du public et ne pouvait pas prendre le risques que des rumeurs déplacées ne parviennent à Marbrume. C’était déjà suffisamment compliqué de faire démarrer son commerce en étant une femme mais si en plus on mettait en doute son intégrité, elle pouvait mettre la clé sur la porte tout de suite! Plus personne ne viendrait acheter quoi que ce soit auprès de la potière aux mœurs légères…

La boutade dans sa question ne lui avait pas échappé toutefois et elle décida à nouveau de répondre sur le même ton. Elle reposa son verre au sol, joignit les mains dans son dos et chercha le regard du milicien.

« Et bien, tu sais, je connais un cheval très sympathique. Je suis certaine que si je lui demande gentiment, il devrait accepter de partager sa stalle avec toi… Un toit au dessus de la tête, de la bonne paille,...»

C’était faux, bien sûr. S’il avait réellement été en difficultés, Alaïs aurait probablement pris le risque, trouvant une solution intermédiaire avec Paulin. Mais ses frères semblaient avoir de la place pour le loger et elle ponctua donc sa réponse de l’expression la plus innocente qui soit, l’image même de la candeur. Ou pas.

Elle m’offrait un baiser léger avant de quitter mes bras en douceur. Après m’avoir tendu mon gobelet d’hydromel, je l’accompagnais en dégustant une gorgée du breuvage sucré, attendant la réponse à ma question d’un air polisson. J’observais son manège tandis qu’elle redéposait son verre dans un coin avant de prendre mes mains dans les siennes, m’obligeant également à libérer mes doigts, venant chercher mon regard. A l’évidence, je ne m’étais pas trompé et elle était toujours prête à entrer dans mon jeu, comme l’indiquaient les petits plissements taquins aux coins de ses yeux.

Nous étions de nouveau proches, à peu près à même distance qu’après notre dance et j’attendais maintenant la plaisanterie qui m’attendait.
Eh bien je peux dire que je ne l’avais pas vu venir, pas plus que je n’aurais pu imaginer, ne serait-ce qu’un instant, la teneur de sa suggestion.
Ma réaction ne ce fit pas attendre.

Je pris un air absolument outré, qui ne faisait sans doute pas illusion, pas même une fraction de seconde, avant de rétorquer.

Tu m’envoie avec ce canasson !? Ah bah merc….PFFFRRRRT HAHAHAHA ! Grondais-je faussement avant d’exploser de rire au point que les larmes me montaient aux yeux. Ah Aaah Bon sang ! Gloussais-je en essayant de reprendre un peu mes esprits.

Je relevais sur Alaïs un regard brillant de larmes de joie, d’affection et de tendresse. Cette femme ressemblait grandement à tout ce que j’avais espéré rencontrer un jour et elle était là ! Devant moi, un sourire mutin fixé aux lèvres, visiblement fière de sa réponse et, à juste titre. Aucun défaut ne venait pour l’heure entacher le tableau et, si je savais qu’il y en avait, il serait temps plus tard de les découvrir. Toujours est-il qu’ils ne dépasseraient jamais les qualités que je lui trouvais.
Je brûlais de l’intérieur, d’un feu nouveau et déchainé, prenant conscience que ce devait être cela la passion.

Tu es extraordinaire Alaïs… ! Avouais-je dans un mélange de rire et d'enthousiasme.

Incappable d’ajouter un mot de plus pour le moment, je me contentais de glisser nos mains dans son dos pour l’attirer à moi. Je l'embrassais alors, passant ses lèvres, avec un peu plus d’ardeur que précédemment, une sensation de légereté chatoyante m’animait, renforçant mon désir. Cela ressemblait presque à de l’ivresse, mais une ivresse pleine de bonheur, de plaisir et d’un attachement certain.
Rompant ce baiser bouillant, je me glissais dans son cou, humant son parfum. Finalement, ma nature de fonceur n’étant jamais très loin, je lâchais les mains de la belle pour la saisir par les hanches, revenant capter ses pupilles. Je la soulevais alors du sol, une étincelle folle dans le regard, nous faisant doucement tournoyer dans la pièce.

Mes frères sont absents ! Je pourrais donc oser te proposer de t’enlever à cette chambre dès le retour de ton ami… Lançais-je d’un joyeux air mi-blagueur, mi-sérieux… Bien que plus sérieux que blagueur… Je l’embrassais de nouveau, naviguant sur les vagues de joie qui me bringuebalaient depuis un moment.

Arrêtant de virevolter après trois petits tours, je fixais mes yeux dans les siens. Cette étincelle folle n’était pas de la folie, c’était plus grave que cela.

Il est fort possible que tu me plaise un peu plus encore que ce que je pensais… Soufflais-je, avant de me molester pour la médiocrité de cette phrase. Je lui faisais malgré tout un petit sourire épris et amusé.

Alors ? Puis-je t’enlever ? Osais-je en la tenant toujours contre moi.

La fausse expression vexée la fit sourire (il lui avait déjà fait le coup après tout) et elle rit de bon coeur avec lui, heureuse qu’il ait bien pris la plaisanterie et ne se soit pas réellement froissé.

Il plongea alors de nouveau sur ses lèvres, avec une ardeur décuplée. Les mains retenues dans le dos par celles de Loghart, Alaïs n’avait pas vraiment d’autre option que de se soumettre au baiser fougueux du milicien, ce qui rendit l’expérience encore plus enivrante, si c’était possible. Le désir qui avait momentanément reflué refit son apparition, plus délicieux encore, et la potière se serait tapée sur les doigts si elle avait pu. Non, non, non, Alaïs, reprends-toi!

Le jeune homme la souleva alors du sol, la faisant tournoyer joyeusement plusieurs fois dans les airs et elle se rattrapa instinctivement à ses épaules. Mais la proposition faillit la faire déraper. Un enlèvement consenti? Au moins, ça avait le mérite d’être original!

« Même si je dois avouer que je suis terriblement flâttée… », commença-t-elle, hésitante.

Devait-elle être honnête avec lui? Lui exprimer le fond du problème? Le risque réel qu’elle courrait si des rumeurs de frivolité venaient à courir? Ou devait-elle juste balayer la proposition telle une mauvaise blague?

Elle connaissait les petits villages comme celui-ci. Ils rendaient régulièrement visite à la famille de sa mère qui vivait dans un hameau proche de leur cité et elle avait toujours été effarée par la rapidité avec laquelle le moulin à rumeurs pouvait se mettre en marche et amplifier le moindre petit écart. Entre les petites vieilles postées toute la journée à leur fenêtre et les gens qui adoraient enjoliver le moindre détail, le simple fait de les voir entrer, le soir, dans une maison vide, même si rien ne se passait entre eux, allait sans doute se transformer en une longue idylle sauvage et passionnée à la vue de tous. Non, non, non…

L’artisane entendait toutefois les paroles de Loghart ainsi que l’affection profonde qui en découlait. Affection qui était d’ailleurs plus que réciproque. Et il était aussi clair qu’il ne pensait pas à mal. Or, si elle voulait donner une chance à ce qui avait éclos entre eux en cette belle soirée, il allait falloir lui donner un bref aperçu du monde dans lequel elle vivait.

«… je ne peux pas, je suis désolée. »

Les mains de nouveau posées contre son torse, à plat cette fois, elle baissa les yeux, presqu’en signe de contrition.

« Il y a… des risques que je ne peux pas prendre. Comme celui de… rumeurs particulières circulant sur mon compte. Vois-tu, je suis seule propriétaire de mon atelier. Moi, une femme. C’est… déjà assez compliqué comme ça. Et si la clientèle venait à douter de ma… dignité?…, je peux mettre la clé sous la porte demain. »

La jeune femme n’osa pas relever les yeux cette fois. L’humeur avait considérablement changé d’un coup et elle avait peur de l’avoir réellement vexé.

Au plus profond de moi-même, je connaissais déjà la réponse, raison pour laquelle j’avais proposé cela sur un ton seulement partiellement sérieux. Cela ne m’avait pas empêché de vibrer de plaisir lorsqu’elle s’était rattrapée à mes épaules alors que je nous faisait tournoyer.
La flamme qui m’habitait depuis un petit moment maintenant c’était encore manifestée durant ce dernier baiser, ne laissant aucun doute à la jeune femme quant à mon acceptation totale de celle qu’elle était, de ce que cela impliquait ou pouvait impliquer.

Aussi, lorsqu’elle rejettais cette proposition aussi indécente que pétillante, je pus percevoir, du moins je pensais percevoir, une réelle hésitation. Elle semblait touchée par ce désir que je lui partageait mais, ainsi qu’elle l’annonçait, qu’elle ne pouvait accepter.
Je la reposais doucement au sol, tenant toujours ses hanches, tandis qu’elle replaçait ses mains sur mon torse.

Je sais ! Affirmais-je en souriant.

Cependant, c’est là qu’elle me surpris. Baissant la tête, comme si mon regard devenait trop lourd, elle m’expliquait un certain nombre de raisons qui lui interdisaient de m’autoriser à l’enlever (oui, c’est étrange dit comme cela, mais c’est une plaisanterie intime ! Oust !).
Si elle ne pouvait plus soutenir mon regard, comme si elle avait honte des raisons qu’elle évoquait, je ne la lâchais pas des yeux, l’écoutant avec grande attention.
Elle craignait le regard des autres si l’on nous voyait ensemble, les ragots et les éventuelles répercutions sur son commerce. Elle exposait les grandes difficultés, quotidiennes, à être femme et propriétaire de son commerce. Ces choses, qui faisait l’essence de notre société, cette différence homme et femme, que je ne comprendrais jamais.
Au delà de cela, je croyais voir de la déception. Alors, non, pas la déception de ne pas pouvoir me suivre, plutôt la déception liée à l’existence même de ces barrières.

Délicatement, je repoussais une mèche de cheveux, victime de mes pirouettes précédentes, avant de placer une main sur chacune de ses joues, effleurant ses pommettes avec douceur. Je lui relevais la tête pour venir capturer ses yeux bleus. Je souriais mais mon regard était sérieux et offrait une bienveillance complète.

Relève la tête Alaïs ! Car tu peux être fière de ce que tu as accomplie jusqu’à ce jour ! Assurais-je. Je te l’ai dis, j’ai grandis avec des frères et une soeur et notre éducation fait que je ne considère pas de différence entre les hommes et les femmes. Ce que tu as obtenu, tu l’as eu par la force de ton travail, de ton mérite et je respecte le mérite comme une valeur fondamentale !

Je parcourais toujours ses joues de mes pouces avec tendresse.

En plus d’être intelligente, drôle et sensible, tu es une femme forte et honnête Alaïs, ce sont des qualités que j’approuve particulièrement. Avouais-je avant de lui faire un clin d’oeil. Même si je te trouve un peu turbulente parfois ! Oui, on est d’accord, je l’asticote ouvertement.
Tu n’as pas à rougir de tes inquiétudes, pas devant moi car je les comprends et que je ne te juge en rien.

Lâchant alors ses joues, je la prenais dans mes bras d’un geste suave, l’amenant contre moi doucement. La petite lumière de folie qui s’embrasait au contact de ses formes, je la taisais car le moment n’était pas à cela.
Je murmurais à son oreille.

La dernière chose que je désir, c’est de te compliquer la vie ou de porter atteinte à ta dignité… Au contraire…! Je te l’ai dis, je ne t’abandonnerais pas même ce moment terminé. A moins que tu ne le souhaite ? Auquel cas, il ne faut pas craindre de me le dire.

Turbulente, elle?! Mais c’était le Temple qui se moquait de la charité!

Perdue toutefois dans les doux gestes et paroles de Loghart, Alaïs ne releva pas, prêtant plus d’attention au fond de la discussion. Des compliments à n’en plus finir (il risquait de déchanter, le pauvre…). Une véritable acceptation et compréhension de la situation. L’assurance qu’il prendrait ses distances si c’était ce qu’elle préférait pour son atelier. C’était étrangement touchant et la pure attraction qui l’animait depuis un moment maintenant se métamorphosa en quelque chose de plus précieux, de plus durable.

Mais ce n’était pas ce qu’elle voulait, pas du tout. La joue posée contre son torse, abandonnée à son étreinte, ses doigts s’agrippèrent de nouveau à sa tunique, comme pour le retenir.

« Non, ce n’est pas… ça. » Que du contraire. Un pathétique 'Ne me laisse pas...' resta même accroché à ses lèvres. « C’est juste que… Quoi qu’il arrive, quelle que soit la direction que ceci prendra, il faudrait… au moins donner l’illusion de respecter les convenances. », fit-elle, toujours pressée contre lui.

Ce qu’ils n’étaient déjà pas du tout en train de faire en ce moment précis, seuls dans une chambre d’auberge… Félicitations, Alaïs, ça commence bien!

Mais accepterait-il sa seule et unique condition à l'exploration de leur lien naissant?

Car plus la jeune femme y réfléchissait, plus elle se rendait compte que ce flou entre eux n’était peut-être pas plus mal. Elle n’attendait en réalité aucun engagement à ce stade. Ils venaient tout juste de se rencontrer. Et si l’attirance était réciproque et foudroyante, elle n’en restait pas moins extrêmement récente. La potière elle-même n’était pas certaine de ce qu’elle voulait de Loghart… Pour l’heure, sa simple présence et ses fougueuses marques d’affection lui faisaient déjà bien assez tourner la tête. Elle avait donc donné un coup de pied dans la porte et la laissait ouverte aux courants d’air. Elle prendrait ce qui viendrait, qu’il s’agisse d’une brève idylle le temps des jeux ou plus si les circonstances s’y prêtaient. Tant qu’ils étaient discrets.

Une fois de plus, il s’écoula quelques instants entre le moment où j’avais prononcé le dernier mot et celui où la jeune femme prit la parole.
Cet instant, suspendu une fois de plus, durant lequel je la serrais contre moi tandis qu’elle m’enlaçait. Puis, j’avais posé cette question, de savoir si elle souhaitait que je prenne le large, avançant que si tel était le cas, il lui fallait me le dire.

Un frisson m’électrisa tout le dos tandis qu’une boule se formait, brûlante, dans mon ventre. Mon souffle s’interrompit brièvement alors que mon cœur cognait plus fort.
Voici ce que furent mes réactions physiques lorsque je sentais ses doigts se refermer sur ma tunique avec une insistance forte, sa tête contre mon torse.
Ses paroles confirmèrent alors ce qu’il me semblait avoir compris, une légère hésitation venant renforcer encore plus l’affirmation qu’elle me faisait.
Alaïs ne voulait pas que je parte.

Je resserrais mon étreinte, les bras dans son dos, pendant qu’elle exprimait un besoin de faire croire aux gens que ce qu’il y avait entre nous était sérieux. Elle espérait qu’ainsi, les rumeurs ne soient pas néfastes à son commerce. Sans bouger, je répondais d’une voix douce.

En allant chercher le repas tout à l’heure, j’ai entendu dire que demain soir il y aurait une soirée dansante… J’aimerais pouvoir t’y inviter et, ainsi, te présenter mes frères, peut-être ma sœur, qui seront surement présents… Nous pourrons faire comme si l’on dansait ensemble pour la première fois…

Je caressais sa joue de la mienne.

Moi, ça me dit bien de t’embrasser de nouveau pour la première fois…

Un peu plus tard, au moment de partir, après un autre baiser, je lui poserais une question avec un sourire un peu taquin, mais dont le sérieux était tendrement caché. Une question dont je n’attendrai pas immédiatement la réponse. Une réponse qui serait pour plus tard.

Alaïs, quelle direction aimerais-tu que prenne ceci ?

Alors, je partirai, mes vêtements mouillés et mon épée sous le bras, mes bottes, toujours pleines d’eau, dans la main. Je la laisserai refaire le fil de la soirée, revivre ces instants et penser à cette question, faisant de même de mon côté.

L’idée de rencontrer la fratrie de Loghart avait quelque chose de rassurant, mais aussi de terriblement effrayant. Grandir en fille unique ne l’avait pas vraiment équipée à faire face aux familles nombreuses. Mais en même temps, présenter quelqu’un à sa famille, c’était… encourageant, pas vrai?

« Demain, une soirée dansante… C’est parfait. », répondit-elle, un doux sourire radieux éclairant son visage.

Alaïs profita alors encore un peu de la présence du milicien et de ses étreintes. Il fallait toutefois se dire au revoir et elle contint sa déception, se rappelant qu’ils se verraient à nouveau dès le lendemain.

Sur un dernier baiser, il la quitta, lui laissant une question qui la pétrifia un moment.

Quelle direction, mh? C’était tellement difficile à dire, si tôt dans la relation.

Le milicien parti, la potière se rassit sur sa couchette, grignotant encore un peu du pain et du fromage qu’il avait apportés tout en cogitant. Il serait effectivement plus sûr de s’assurer qu’ils étaient tous les deux sur la même longueur d’onde. Mais qu’attendait-elle au juste? N’espérait-elle pas, au fond d’elle-même, que Loghart soit le bon?

Quelques minutes plus tard, elle avait débarrassé le lit lorsque Paulin revint, toquant (ce qu’il ne faisait jamais) avant d’entrer. Il la regarda de bas en haut, l’air interrogateur.

« Je crois… que c’est la première fois que je te vois en robe. »
« C’est… la première fois que je mets une robe depuis qu’on se connaît. », fit-elle, amusée.
« Alors quoi? Il te plaît? »
Elle prit le temps de la réflexion.
« Il est… exceptionnel, en tout cas. On verra. Et toi, ta soirée? », répondit-elle donc, mettant immédiatement fin à l'interrogatoire en règles qu'elle sentait poindre.

Les potiers se mirent alors en mouvement en même temps, se préparant à aller dormir. Une nouvelle longue journée les attendait demain et ils avaient besoin de repos.

« Le type chez qui j’étais est franchement sympathique et bien d’ici. Il m’a à la bonne. Et il est très ami avec le potier du village, figure-toi… », fit-il, sur le ton de la confidence.

Les deux amis échangèrent ensuite encore un peu, jusqu’à ce que Paulin s’endorme comme une bûche. Il était pourtant encore tôt mais le chantier était réellement épuisant. Alaïs trouva pourtant difficilement le sommeil, les événements de la soirée tournant en boucle dans sa tête. Dans quoi s’était-elle embarquée, au juste?