[Quête] Juste une responsabilité de plus?

Après l’interrogatoire de la petite Margaux et la recherche du dénommé P’tit Jean, Louisa avait fonctionné au ralenti, amenant de quoi écrire à l’enfant pour ensuite porter les lettres au fort. Elle avait hésité un moment, puis demandé à la domestique si le Baron de Tourbière était disponible. Elle n’était pas vraiment au fait des us pour solliciter un noble invité dans le domaine d’un autre, mais elle supposait bien qu’elle ne pouvait pas monter et toquer à la porte alors qu’elle n’était pas attendue... La réponse l’avait toutefois surprise.
« Il est parti. », lui avait-elle répondu, avec tout le sérieux du monde.
La prêtresse avait senti son estomac se contracter douloureusement et sa voix était étrangement montée dans les aigus lorsqu’elle avait demandé:
« Partî? Comment ça, parti?! »
« Il y a dû se passer quelque chose… Il a pris ses affaires et est parti à l’auberge. »
Lou’ avait préféré ne pas s’interroger sur la vague de soulagement qui l’avait traversée et elle était retournée au Temple, sa tâche au fort accomplie.

Dans l’après-midi, elle s’était de nouveau résolue à confronter Aloys quant à l’identité de Margaux. Il n’était probablement pas au courant. Il ne pouvait pas être au courant. Mais certaines tournures de phrases de la petite fille lui avait mis le doute et elle avait enfin attrapé son nécessaire de soin pour se diriger vers l’auberge.

L’aubergiste l’avait regardé de travers. Deux fois en une journée qu’elle se présentait à son comptoir pour demander après un homme. Différent. Sauf que le Baron n’était pas là, et Louisa s’était refusée à lui courir après dans tout le bourg. Elle avait donc décidé de prêter main forte au Temple pour soigner les blessés.

Le lendemain matin cependant, elle reprit la besace contenant le matériel de soin - c’était-il seulement occupé de ses blessures depuis l’avant-veille? - et avait de nouveau retenté sa chance à l’auberge. Ce n’était peut-être pas plus mal. Elle avait un peu moins l’air d’une fangeuse que la veille, étant parvenue à dormir un tout petit peu cette nuit-là.

Le tenancier avait simplement haussé un sourcil et montré les escaliers du doigt.
« La chambre du fond. »

D’accord, c’était gênant. La jeune prêtresse n’avait donc fait aucun commentaire et était montée en vitesse.

Il y avait un peu de passage, dans cette auberge. Des gens, probablement venus aider à la reconstruction, entraient et sortaient des quelques chambres de part et d’autre du couloir. Et au bout de celui-ci, une dernière porte devant laquelle elle s’arrêta, hésitante.

Un coup d’oeil dans le couleur et elle fit la moue. Elle n’avait jamais appelé le Baron par son titre… Elle l’avait toujours sciemment évité. D’abord parce qu’elle n’était pas très bien disposée. Et plus tard, parce que leurs échanges avaient rapidement atteint un certain niveau de familiarité qui ne s’y prêtait pas à ses yeux. Mais il y avait des oreilles à portée d’écoute, ici...
« Votre Honneur? C’est Louisa. », fit-elle enfin, son petit poing toquant doucement à la porte.

Le Baron de Tourbière était assis sur le bord du lit, regardant par la fenêtre de sa petite chambre d’auberge. Les bruits de marteaux et des scies se faisaient entendre au loin, signe que la reconstruction du bourg était toujours en cours. Il pouvait voir les travailleurs s’activant pour reconstruire les maisons effondrées et réparer les murs du bourg qui avaient été endommagés depuis la nuit des hurlements. La veille, il eut été privé de l’enquête par la régente des lieux de manière injuste, puis contraint de loger à l’auberge. Si ce n’était pour le futur procès se tenant en ces lieux, il serait déjà de retour à Marbrume.

L’atmosphère de l’auberge était calme et paisible en cette fin de matinée, malgré l’agitation l’extérieur. Le crépitement de la cheminée et le grincement des planchers en bois donnaient à l’endroit une ambiance chaleureuse et confortable, contrastante avec celle de sa précédente chambre d’invitée. Toutefois, Aloys se sentait moins en sécurité dans cet endroit, en comparaison avec les murs épais du château fort qui représentaient un rempart contre les dangers extérieurs. Après ses découvertes, il était également persuadé que quelque chose se tramait dans l’ombre, ici à Sombrebois. Toutefois, privé de ses droits et de ses libertés, il ne pouvait s’empêcher de se sentir impuissant depuis son arrivée au bourg.

Soudainement, le garçon entendit un léger bruit à la porte de sa chambre. Une voix à la fois douce féminine et se présentant au nom de Louisa, l’appelait par son titre. Il retira sa main du pommeau de son épée, puis il se leva et alla ouvrir timidement la porte, découvrant la silhouette familière qui venait troubler sa tranquillité. Pendant quelques secondes, il resta interdit devant la prêtresse avec laquelle il eut passé une étrange soirée il y a deux jours de cela. Mille questions lui traversèrent alors l’esprit. Était-elle là au sujet de l’autre soir ? Ou bien était-ce à propos de l’arrestation de l’enfant ?

« Vous… », lâcha-t-il naturellement envers celle qui s’était pourtant annoncée. À qui d’autre, s’attendait-il ? Quand il l’eut difficilement abandonné l’autre soir, il ne pensait jamais la revoir. Néanmoins, le bourg n’était pas si grand… Par ailleurs, comment l’avait-elle retrouvé ? « Je vous en prie. », dit-il soudainement, comme s’il eut repris ses esprits. Enfin, il s’écarta pour ouvrir la porte en grand et laisser passer son invitée, avant de jeter un coup d’œil dans le couloir pour s’assurer qu’elle n’eut pas été suivie. Il referma ensuite la porte derrière et même si l’envie lui prit de s’adosser à celle-ci, sous l’indescriptible sentiment que lui procurait la présence de Louisa, il s’abstint pour faire honneur à son titre.

« Que me vaut l’honneur de cette visite ? », l’interrogea-t-il finalement sur un ton placide.

La porte s’ouvrit sur le Baron, bien habillé cette fois, et il eut réellement l’air surpris de la voir. Elle s’était pourtant annoncée et leur dernier échange, bien qu'inattendu sur bien des aspects, s’était terminé sur une note sincère. La sensation de ses bras autour d’elle et du bref instant de calme qui avait accompagné la création de ce cocon lui revint en mémoire et, debout au milieu de la chambre d’auberge, Aloys se tenant entre elle et la porte, ce fut comme si une partie de l’anxiété qui la poursuivait depuis plusieurs jours se dissipait et qu’elle pouvait respirer un peu plus facilement.

« J’ai été surprise de ne pas vous voir accompagner la Baronne, lors de l’interrogatoire de Margaux. Et puis j’ai appris que vous aviez quitté le fort, je… »

Elle s’interrompit, les yeux baissés. Elle ne voulait pas entrer dans le vif du sujet trop rapidement, au risque de paraître brusque. Ils avaient certes été très honnêtes l’un envers l’autre (le Baron était même l’une des… trois personnes de sa nouvelle vie à connaître l’activité de sa mère), mais c’était un nouveau jour, une nouvelle situation, et elle ne savait pas ce qui s’était passé pour que le noble reste à l’écart de la petite fille qu’il avait pourtant accusée.

« Margaux m’a tout raconté, avant la venue de la Baronne, et j’ai pensé… Et bien, je ne sais pas si la Baronne vous en a informé? Mais certaines choses vous concernent personnellement et je voulais vous en… parler? »

Pourquoi s’emmêlait-elle les pinceaux comme ça?! Et pourquoi avait-elle formulé ça comme une question?! Pour se rattraper, elle se débarrassa de la besace contenant le matériel de soin et la posa sur la petite table.

« Je voulais aussi vérifier que vous preniez soin de vos blessures. », ajouta-t-elle enfin, plus confiante. Elle ne s’inquiétait pas vraiment pour ses plaies aux jambes mais la brûlure était une toute autre histoire.

La prêtresse avait commencé à prendre la parole, mais soudainement elle s’interrompit, comme si quelque chose l’avait dérangée. Si la Baronne eut effectivement interrogé l’enfant comme prévu, se doutait-elle que le Seigneur, par son absence, eut-il été écarté de l’histoire ? Plausiblement. De plus, un homme de sa trempe n’avait rien affaire à l’auberge, et devoir quitter le château-fort, en disant long sur les qualités d’hôte de la régente. C’était sans doute pour ces raisons, que son interlocutrice semblait craindre manquer de tact. Peut-être ne désirait-elle pas non plus froisser le Seigneur.

Ses yeux, qui brillaient d’habitude d’une lueur plaisante, se baissèrent vers le sol. Aloys ne savait pas quoi dire, se sentant maladroit et incertain face à cette soudaine interruption. Ses lèvres remuèrent avec la volonté de rebondir sur les paroles de la bonne sœur, sans pour autant émettre de son, lorsque finalement, celle-ci parvint à rassembler ses pensées pour continuer sur sa lancée. Elle lui révéla que l’enfant prénommée Margaux lui eut tout raconté avant la venue de la Baronne de Sombrebois. Mais que sous-entendait-elle au juste par tout raconté ? Y avait-il des informations que la harpie ignorait ? La prêtresse avait réussi à piquer la curiosité du tourbien, d’autant plus lorsque celle-ci évoqua des choses personnelles. Malgré tout, elle semblait hésitante, comme si elle avait quelque chose à dire, mais qu’elle ne savait pas comment l’exprimer.

« Je ne suis point intéressé par les calomnies de la Baronne », répliqua-t-il sèchement, les yeux plissés. Quand il prit conscience du ton employé envers son interlocutrice, il détourna brièvement le regard. « … Mais j’apprécie votre préoccupation. », finit-il plus tendrement.

Il repensait à la matinée qui avait suivi sa première nuit à Sombrebois, et notamment ses échanges avec la Baronne des lieux, cette pisse-vinaigre.

« La Baronne de Sombrebois et moi avons eu des différends. Il m’a été refusé de protéger mon honneur en supervisant l’enquête. », annonça-t-il, l’air grave. « Je quitterai bien les lieux, mais je dois rester jusqu’à la résolution de cette affaire. », continua-t-il, suivi d’un profond soupir de désespoir. Il hésitait toutefois à exprimer son mépris envers la maritorne, ne sachant point comment son interlocutrice allait réagir.

Inutile ainsi d’expliquer la raison de sa présence à l’auberge, pour des raisons évidentes... Enfin, il ôta son gant gauche suite à l’interrogation de la prêtresse. Il contemplait alors sa main dans le silence, avant de finalement porter son regard vers Louisa. Il semblait hésitant à se prononcer sur l’état de sa blessure.

La prêtresse ne fut pas vraiment surprise d’apprendre que les choses ne s’étaient pas très bien déroulées entre les deux nobles. Si le peu de temps qu’elle avait passé avec les deux personnages lui avait appris quelque chose, c’était qu’ils étaient diamétralement opposés sur bien des points.
Le changement de ton fut toutefois apprécié et inclina doucement la tête sur le côté.

Elle essaya toutefois d’ignorer le fait que la simple idée qu’il ‘quitte les lieux’ avait déclenché une réaction physique qu’elle masqua tant bien que mal en attrapant le poignet de sa main blessée. Les yeux fixés sur sa brûlure, elle prit une profonde inspiration en voyant l’état de sa paume. Il n’était clairement pas resté tranquille et la cloque qui protégeait la peau mise à vif avait éclaté laissant une plaie dont la teinte ne lui disait rien de bon. La colère qu’elle retenait depuis qu’il s’était blessé tout seul se manifesta sous la forme d’un claquement de langue qu’elle réservait d’ordinaire aux enfants désobéissants.

Disposant de quoi soigner la plaie sur la table, elle s’appuya contre celle-ci et l’attira plus près d’elle pour ne pas devoir travailler les bras tendus. Ça allait faire mal… Ça lui apprendrait.

« Je sais que vous n’avez aucune raison de croire ce que Margaux m’a raconté… Mais, jusqu’à présent, tout coïncide et je n’ai pas encore trouvé la moindre faille dans son récit. Alors faites-moi confiance, s’il-vous plaît… »

Alors qu’elle entamait les soins de la brûlure dont l’état s’était aggravé, elle commença son récit. Enfin, le récit de Margaux plutôt, en essayant de n’oublier aucun détail capital: les parents de la petite assassinés, son frère et elle kidnappés par une bande pour être ensuite utilisés sous la menace et les contraintes, le genou brisé ‘pour qu’elle ne puisse pas courir’, puis le prêt à la Guilde des voleurs, la disparition du petite frère, vendu, et enfin la mission, de livrer la fiole à un contact ici, à Sombrebois.
Louisa essaya de rester concise et de garder ses émotions sous contrôle. C’était pourtant devenu difficile, lorsqu’il était question de Margaux.

« Bien sûr, le contact est parti… La Baronne n’a pas fait boucler le bourg et quand je suis allée à sa demande essayer de voir si le dénommé P’tit Jean était toujours à l’auberge, je n’ai évidemment rien trouvé. L’aubergiste a confirmé sa présence et sa description, mais sans plus. »

Elle termina de bander à nouveau la main d’Aloys et leva enfin les yeux vers son visage, cherchant le moindre signe dans son expression.
« Il y a encore des zones d’ombres et des choses à éclaircir dans le récit de Margaux. Je ne sais toujours pas ce qu’elle entend par ‘Démon’ quand elle désigne celui qui aurait enlevé son petit frère par exemple mais par contre, elle est très claire sur une chose: elle est la fille du Chevalier Philibert de Piana et serait donc votre… cousine? »

Aloys se tenait debout devant la prêtresse, se redressant par surprise lorsque celle-ci lui attrapa soudainement le poignet. Ses yeux suivaient chacun de ses mouvements alors qu'elle examinait sa blessure. Il sentait la tension monter en elle lorsqu'elle constata l'état de sa brûlure, et il remarqua le claquement de langue qu'elle émit en signe d'exaspération. Il se sentait coupable de lui causer autant de soucis, mais sous le coup de la frustration, il n’avait pas pu s'empêcher de rester à rien faire la veille.

Enfin, elle attira son bras plus près d’elle, comme s’il fut un enfant pris en flagrant délit de désobéissance et puni pour ses actes. Pour une raison ou un autre, il pouvait ressentir son mécontentement, son insatisfaction face à sa négligence… Le Seigneur sentit un picotement quand elle toucha ses blessures, et il serra les dents pour ne pas laisser échapper un bougonnement de douleur. Il essayait de se concentrer sur le récit de Louisa malgré tout, décidé à ne point laisser la douleur l’emporter sur son calme.

Le Baron de Tourbière acquiesça en silence, lorsque son interlocutrice lui rapporta l’histoire de Margaux. Cette dernière lui semblait plausible, du moins en partie. Les misérables orphelins couraient les rues à Marbrume, pourquoi elle ? Et pourquoi avait-on fait le choix de l’estropier alors qu’on l’envoyait hors des murs ? Tenir en otage son frère ne suffisait-il donc pas ? Et plus important encore, qu’espérait la Guilde des Voleurs en faisant livrer la fiole de poison à Sombrebois ? Aloys gardait les yeux rivés sur la prêtresse, observant chaque mouvement qu’elle faisait, tout en laissant les informations se poser dans son esprit.

Il pouvait ressentir le trouble chez la jeune femme, au fil de son récit, comme l’autre soir, où ils avaient échangé sur l’enfant. Sa main droite se leva brièvement, avec l’intention de se poser sur l’avant-bras de la prêtresse pour la rassurer, mais ce geste de tendresse s’interrompit aussitôt, lorsqu’il se remémora le précédent incident… « Je vous fait confiance, ma Soeur. Je n’ai aucun doute sur la véracité de vos dires. » murmura-t-il à la place. Il détourna ensuite le regard, embarrassé. Désir, instinct… Ils réprimaient ces choses-là, dans les profondeurs de son âme.

« Je reconnais là, la Baronne. Dépourvue de tout jugement, comme à son habitude… », dit-il en secouant la tête. « Une raison de plus de vous croire. », ajouta-t-il, un rictus crispé à ses lèvres. La remarque paraissait comique, la réalité un peu moins. Il se contint d’émettre davantage de plaintes. Bien que confiant en la bonne sœur, il ne s’était jamais permis de questionner les décisions de la Couronne de vive-voix. Toutefois, laisser la carogne assumer la responsabilité du pouvoir politique à Sombrebois avait grandement fait baisser le Roi dans son estime.

Le noble se laissa aller à un soupir de soulagement quand la prêtresse termina de bander sa main. Il leva les yeux pour la remercier, mais il remarque qu’elle cherchait à capter son regard. Ce fut alors qu’elle lui révéla une toute autre confession de Margaux. Son visage perdit soudainement de son éclat, ses lèvres s’entrouvrirent… « Plaît-il ? », lâcha-t-il quelques secondes après, comme s’il n’avait pas bien entendu la dernière phrase. Il était visiblement troublé par cette révélation.

Le petit coeur de Louisa se serra à la marque de confiance du Baron et le trait d’humour amena un bref sourire crispé sur ses lèvres. Oui, le jugement de la Baronne était questionnable. Mais ce n’était pas sa place de le vocaliser et elle était très heureuse de laisser Aloys le faire pour elle.

Elle avait terminé de soigner sa brûlure, mais elle garda ses petites mains autour de la sienne quand elle entendit l’émoi dans sa voix. Il n’était pas au courant. Il n’était vraiment pas au courant. Elle retint un soupir de soulagement.

« Alors la Baronne ne vous en a même pas informé… », fit-elle tout bas, dans un murmure, plus pour elle que pour lui.

« Margaux de Piana… », confirma-t-elle ensuite doucement, essayant de ne pas ajouter trop rapidement au visible choc du Baron. « Et Louis de Piana. Enfants de Philibert, fils de Constance, soeur de votre grand-père Louis, si j’ai bien suivi? Elle dit se souvenir de vos visites, lorsqu’elle était encore petite. Elle a également nommé plusieurs témoins qui pourraient l’identifier. Les missives sont parties hier pour solliciter leur aide en vue du procès. »

Elle ne demanda même pas s’il serait capable de l’identifier, ça ne servirait à rien. Par contre…

« Je suis désolée mais... Serait-il possible que vous soyez leur plus proche parent encore en vie? », interrogea-t-elle, à la fois curieuse et appréhensive. Elle ne savait rien des Piana. Et les lignées nobles étaient très loin d’être sa spécialité. Mais elle voyait difficilement pourquoi Margaux n’aurait mentionné que son ‘Cousin Aloys’ s’il y en avait d’autres.

Enfin, son expression se fit plus sombre et elle baissa de nouveau les yeux. Elle savait que cela ne cacherait rien de son trouble mais elle s’en voulait d’avoir toujours l’air si fragile devant lui. Car des indications de Margaux, elle avait déduit que cela faisait un moment maintenant que la petite n’avait plus vu son petit frère… Et un doute, un terrible doute, lui tiraillait les entrailles depuis lors.

« Pensez-vous qu’il y a ait une chance que ce petit garçon soit encore en vie? »

Le Seigneur secoua la tête, il n’avait point vu la Baronne la veille. Encore heureux.. Il avait passé la journée à travailler sur les chantiers, de manière incognito… Ses yeux se portaient à présent sur les douces mains enrobant la sienne, tandis qu’il écoutait d’une oreille attentive la prêtresse. Il ne voulait lui transmettre son trouble au travers de son regard, mais il était bien trop tard. Cette nouvelle l’eut déstabilisé, et il retira ensuite sa main pour faire quelques pas vers la fenêtre de sa chambre.

« En effet. », confirma-t-il, fixant un point à l’horizon. « Le Chevalier Philibert était un homme bon. Dans mon enfance, mon paternel, ma sœur, mon frère et moi-même faisions halte à son domaine, lorsque nous voyagions vers Marbrume. », raconta-t-il sur un ton calme, « … Toutefois plus notre paternel, le Seigneur Herbert, vieillissait, moins nous nous rendions à la cité ». Il croisait les bras et se frottait maintenant le menton en essayant de se remémorer tant bien que mal la progéniture du Chevalier. « Margaux n’était qu’un bambin à l’époque. », dit-il, avant de finalement admettre, la voix hésitante, « S’il s’agit bien bel et bien de Margaux et Louis de Piana, je suis sans aucun doute leur plus proche parent encore en vie. »

Aloys se retourna pour faire face à la prêtresse, le visage à demi ombragé par le contre-jour. « Pourquoi ne se sont-ils pas manifestés plus tôt ? J’aurais pu… », commença-t-il sans finir sa phrase, secouant la tête face au désarroi. « Je les croyais décédés. », poursuivit-il. Lui-même eut participé à l’enterrement de Philibert et de sa famille, peu après le couronnement du Duc de Sylvrur. Le Seigneur vint ensuite s’asseoir sur le bord de son lit, pour s’empêcher de faire les cents pas.

« Je n’en suis pas certain… À moins que… Leur intention fut de soudoyer ma personne pour un quelconque dessein. Maintenant que nous savons pour l’enfant… », dit-il, secouant encore une fois la tête. Il leva les yeux vers la prêtresse. « Quels sont vos conseils, Sœur Louisa ? », l’interrogea-t-il, comme si son interlocutrice avait la science infuse. Il voulait plutôt bénéficier de sa sagesse en ce moment critique. « Impossible… Cela ne peut être qu’un coup monté organisé par la Baronne de Sombrebois. », murmura-t-il à lui-même, essayant de se convaincre. Il avait lui même publiquement accusé sa petite cousine de meurtre, tout cela à son insu.

Louisa l’observa s’écarter pour aller regarder par la fenêtre et elle s’appuya un peu plus contre la table derrière elle, croisant les bras sur sa poitrine.

« Et leur famille maternelle? »

Le désarroi du Baron était si évident quand il se tourna vers elle qu’elle dut se faire violence afin de ne pas l’approcher à nouveau pour tenter de le réconforter. Au lien de cela, elle resta fermement campée sur ses pieds.

« Je suis désolée… Je ne voulais pas ajouter à votre fardeau… », fit-elle doucement à la place. Après tout, il lui avait fait part de sa charge, de ses difficultés à porter toutes ces responsabilités seul, et elle venait juste de lui en adjoindre une de plus, si pas deux. Elle voulut lui dire qu’elle l’aiderait. Qu’elle serait à ses côtés, pour Margaux et Louis. Mais leur dynamique était déjà tellement particulière qu’elle se refusa à ajouter à la confusion. Ce serait plutôt osé, comme déclaration. Elle tourna donc sa pensée autrement, espérant qu'il lirait entre les lignes.

« Vous ne serez pas seul… Et j’imagine que Margaux aura craint les répercussions d’une prise de contact, pour eux comme pour vous… S’il y a bien quelque chose que j’ai compris de Margaux ces derniers jours, c’est qu’elle met la sécurité des autres, surtout de Louis, bien avant la sienne. »

Il s’assit alors sur le lit et elle décida donc de soulager ses propres jambes épuisées en s’asseyant à son tour sur le rebord de la table. Les pieds maintenant à quelques centimètres du sol, elle résista à l’envie de les balancer - ça n’aurait pas été très digne - tandis qu’elle réfléchissait.

« Vous pensez vraiment que la Baronne de Sombrebois serait capable de mettre au point un stratagème pareil? », rebondit-elle rapidement, un sourcil interrogateur, presque moqueur, arqué au possible. Encore une fois, elle ne tenait pas à vocaliser le moindre reproche à l’encontre d’un noble, encore moins devant un autre, aussi s’arrêta-t-elle là. Il en déduirait ce qu’il voudrait.

« S'ils avaient voulu vous soudoyer, je pense qu'ils l'auraient fait bien avant... Quand le souvenir de votre cousin et de sa famille était plus frais dans votre mémoire. », émit-elle comme hypothèse.

« Margaux est maintenant entre de bonnes mains, il n'y a pas grand chose que nous puissions faire de plus à ce stade... Des traqueurs sont partis pour tenter de rattraper le coupable et les missives ont déjà été envoyées. Nous ne pouvons... qu'attendre et tenter de l'apaiser entretemps. Mais je m’inquiète vraiment pour Louis… Si la ou les personnes qui le détiennent, que ce soit ce fameux ‘Démon’ dont parle Margaux ou n’importe qui d’autres, font le lien entre le petit et les rumeurs qui ne manqueront pas de se répandre prochainement à Marbrume, il risque d’être en très dangereuse posture. S’ils veulent se venger de Margaux pour ne pas avoir accompli sa mission? Ou effacer toute trace d’un lien avec cette affaire? Même ce… ‘Démon’ aurait confié une tâche à Margaux, qu’elle n’a pas menée à bien. Un autre empoisonnement à conduire elle-même cette fois. Pouvons-nous prendre le risque d’attendre que les choses se règlent ici ? », ajouta-t-elle, pensive et inquiète à la fois.

Le Baron de Tourbière resta silencieux un instant, le regard plongé dans le vague, absorbé par les réflexions de Sœur Louisa. Il haussa les épaules, ne connaissant que très peu la famille maternelle. Parlait-elle des Sabran ? Il n’avait été que très peu en contact avec ceux-ci. Et non, la Baronne de Sombrebois n’était capable d’un tel stratagème. Le Seigneur remit son gant par-dessus sa main bandée, secouant la tête suite à son hypothèse bien plus que douteuse. Puis, lentement, il releva le menton pour fixer la bonne soeur droit dans les yeux. Son visage était marqué par la fatigue et l'inquiétude, mais une lueur de détermination brillait dans son regard.

Il semblait avoir été touché par les paroles de la prêtresse, qui avaient apporté une nouvelle perspective à la situation. Sa bouche s'ouvrit pour parler, mais il sembla hésiter un instant avant de trouver les mots adéquats.

« Vous avez raison », finit-il par dire d'une voix ferme. « Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre et de risquer la vie de Louis. Il faut agir rapidement. ».

Aloys se leva du lit avec détermination et se dirigea vers une armoire qu’il ouvrit aussitôt. Un bruit métallique, suivi d’un autre, résonna dans la chambre. Sous les yeux de Louisa, le Seigneur saisit une épée longue, l’a sorti de son fourreau pour l’inspecter soigneusement avant de la ranger à sa ceinture. Il attrapa ensuite sa cape verdâtre, la secoua légèrement pour en enlever la poussière, et l’enfila avec rapidité et efficacité par-dessus son tabard.

« Louis est l’héritier de sa lignée au titre de Chevalier. Vous comprenez ce que cela signifie ? Si quelque chose arrivait à Louis, non seulement il perdait la vie, mais sa lignée perdrait également son titre de Chevalier. Cela pourrait même conduire à la dissolution de la famille Piana. », dit-il, avant de se tourner à nouveau vers Louisa. « Nous devons le secourir à tout prix. Je ne laisserai pas notre famille être déshonorée de cette manière. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver le garçon et rétablir son honneur, notre honneur. », déclara-t-il fermement, le ton sans appel et les poings serrés.

« Il y a deux jours de cela, j’ai envoyé mes hommes à Lods, chercher des volontaires pour la reconstruction de Sombrebois. Si rien ne s’est mis en travers de leur chemin, ils devraient atteindre le bourg ce matin. Je veux être présent quand ils arriveront. », expliqua-t-il ensuite. Il fit quelques pas vers son interlocutrice, la démarche plus assurée et plus confiante qu’auparavant. Il semblait avoir retrouvé un peu de son énergie et de sa détermination, grâce à son aide. « Je n’ai peut-être le droit d’enquêter sur ces terres, mais rien ne m’interdit d’envoyer des hommes investiguer sur le ‘Démon’ et Louis. Dites-moi simplement par où commencer. », finit-il par dire, les mains fermement posées sur les frêles épaules de la prêtresse.

Louisa le regarda récupérer son épée d’une armoire d’un oeil préoccupé. Sa vision des hommes d’armes avait considérablement changé depuis le trajet qui les avait amené de Marbrume à Sombrebois, mais cela ne voulait pas dire qu’elle était devenue une inconditionnelle des épées. Ou qu’elle appréciait l’idée que le Baron puisse de nouveau se mettre en danger.

Le ton du Baron n’autorisait toutefois aucune contestation, et elle n’en avait de toutes façons pas à faire valoir. Au contraire, retrouver Louis, et peut-être même ce fameux ‘Démon’, n’apporterait que plus de crédit au récit de Margaux. Pour être honnête, la question de l’honneur des Piana et des Tourbière lui passait un peu au-dessus la tête… Mais la petite fratrie pourrait enfin être réunie et mise en sécurité. Et ça, ça n’avait pas de prix.

Quand il revint vers elle, la prêtresse descendit de la table, pas certaine que sa proximité dans une telle position soit très honorable. Il posa alors les mains sur ses épaules et elle releva les yeux vers lui. D’accord… Il était plutôt impressionnant, à la toiser d’une bonne tête de haut et l’épée au côté.

« Tout n’est pas très clair… Margaux était encore très bouleversée et son récit décousu mais si j’ai bien tout suivi, le ‘Démon’ - qu’importe ce que cela veut dire - a enlevé Margaux il y a deux mois de cela et lui a ordonné de tuer les membres de la bande en utilisant Louis comme levier. Ensuite, la bande a dû céder Margaux à la Guilde des voleurs et quand ceux-ci se sont renseignés sur Louis, ils auraient découvert que le petit avait été vendu. Margaux est persuadée que c’est le Démon qui l’a acheté, pour avoir son moyen de pression sous la main. Elle sait qu’il se planque dans les égouts, mais c’est tout ce qu’elle a pu glaner comme informations, il l’avait assommée… Et le nom de la bande… Mh… » Elle s’interrompit, cherchant dans la foule de noms et de termes utilisés par Margaux. Il y avait un Sanglier dans l’affaire… Un certain Kef… Ah oui… « Les rabatteurs? »

L’idée d’envoyer les hommes du Baron était bonne mais elle s’inquiétait un peu pour le petit Louis, si et quand il serait retrouvé. Dans quel état serait-il?

« Peut-être devrais-je accompagner vos hommes à Marbrume? », proposa-t-elle donc, sans trop réfléchir.

Lou' n’en avait malheureusement pas fini avec les mauvaises nouvelles et elle posa brièvement la main sur le bras d'Aloys pour qu’il ne parte pas tout de suite.

« J’ai bien peur que les déboires de Margaux ne s’arrêtent pas là. »

Elle plongea la main dans sa poche et en ressortit un mouchoir en boule. Elle le laissa se déployer sur sa paume à plat, dévoilant un petit cube noir, en tout point semblable à celui qu’ils avaient rencontré deux jours plus tôt.

« Margaux l’a trouvé dans sa chambre, au Temple, le même soir que nous. Et elle a vécu le même genre d’expérience, bien que différente sur le fond. Elle y a notamment revu ce fameux ‘Démon’. À son réveil, ses doigts étaient marqués: des traces grises… », elle lui montra la paume nue de sa main libre, dans laquelle sa propre trace argentée avait commencé à s’estomper, « comme celle-ci.  En avez-vous remarqué également? »

La prêtresse prit une petite inspiration, la détresse de la petite Margaux la marquant toujours terriblement. Elle se souvenait toujours très bien de l’angoisse qu’elle avait elle-même ressentie en tant qu’adulte, angoisse qui ne l’avait pas encore vraiment quittée, et elle ne pouvait imaginer comment une enfant pouvait gérer ce genre de choses. 

« Je n’ai pas encore eu la possibilité d’en rediscuter avec elle mais… Elle est persuadée que ce qu’elle a vu était… réel, qu’il a vraiment… dévoré son âme. », termina-t-elle, attristée.

Le Baron de Tourbière se tut un instant, prenant le temps de réfléchir aux dernières nouvelles que Louisa venait de lui apporter. Il écouta attentivement son récit sur le petit Louis et le gang des rabatteurs, hochant de temps en temps la tête pour montrer qu'il suivait.

« Alors nous commencerons par récolter de l’information auprès de la Guilde des Voleurs, de manière à pouvoir découvrir la localisation exacte de ce ‘Démon’ dans les égouts de la Cité. », répondit-il avec ténacité.

Le Seigneur fronça les sourcils à la proposition de Louisa d'accompagner ses hommes à Marbrume. Il secoua la tête et posa l’une de ses mains fermement sur le pommeau de son épée.

« Non, cela ne sera pas nécessaire », déclara-t-il d'un ton ferme. « Je ne peux pas risquer votre sécurité... Il y a déjà trop de danger dans cette mission. Je ne peux pas me permettre de perdre une alliée aussi précieuse que vous. »

Derrière le rejet strict de cette idée, le Baron de Tourbière ressentait une inquiétude grandissante pour la bonne sœur, sans même véritablement s’en apercevoir. Se pouvait-il qu’il eut développé des sentiments affectueux pour elle ? Il n’avait jamais envisagé une telle possibilité auparavant, mais une forme d’intimité s’était créée entre eux dès le premier jour de leur arrivée à Sombrebois.

Mais c'est lorsque Louisa lui montra le petit cube noir qu'il devint plus grave. Ils avaient déjà vu ce genre d'objet il y a deux nuits de cela et connaissaient les dangers qu'il représentait. Aloys prit le cube de la paume de Louisa et l'examina attentivement, tournant le petit objet dans ses mains.

« C'est une bien triste nouvelle », dit-il d'un ton grave. « Nous savions déjà que nous avions affaire à un ennemi dangereux, mais cela prouve qu'il est également retors et vicieux. Nous devons être prêts pour tout, même l'inimaginable. Pensez-vous que le ‘Démon’ est réellement derrière tout cela ? »

Le jeune noble tendit le cube noir à Louisa, l'observant avec un regard inquisiteur. Lorsque celle-ci lui dévoila la marque argentée sur sa paume, il recula d’un pas. Cette trace grise lui rappelait celle du songe, celle des malades… et ultimement la sienne.

« Cette marque sur votre main, est-ce que tout va bien ? Êtes-vous malade ? »

Le ton du Aloys était empreint d'une réelle inquiétude et il attendait sa réponse avec une certaine appréhension. Lui-même avait découvert la marque argentée sur son mollet lors de sa toilette à l’auberge, la veille. Au début, il avait pensé à une simple éraflure, mais la marque était restée et avait commencé à briller à la lumière des bougies.

« Mon mollet… », admit-il en baissant les yeux, contemplant ses mains. « Pensez-vous que nous allons nous transformer, nous aussi ? ». Puis il secoua la tête pour chasser ces idées de son esprit. « Alors il ne nous reste plus beaucoup de temps pour obtenir ces réponses. », finit-il par dire en serrant les poings et en relevant le menton.

Les sourcils de Louisa se haussèrent légèrement au ton utilisé pour refuser sa proposition. Ce n’était peut-être pas plus mal. À l’instant où l’idée avait franchi ses lèvres, elle l’avait regretté. Elle n’était pas sûre de pouvoir supporter un trajet, et encore moins un aller-retour!, comme le premier.

Elle leva alors les mains devant elle en signe d’apaisement et plia directement.

« D’accord, d’accord… C’était juste une supposition. », fit-elle avec une petite moue presque gênée. C’était étrange, de l’entendre arguer pour sa sécurité ainsi. Il refusait qu’elle s’aventure dans cette mission accompagnée de ses propres hommes en qui il devait nécessairement avoir confiance, alors que la Baronne de Sombrebois n’avait pas hésité à l’envoyer au contact d’un criminel potentiellement dangereux avec deux pauvres miliciens en couverture. Mh…

« Je ne sais pas si ces affaires sont liées… », répondit-elle à sa question. « Encore une fois, j’ai eu peu de temps pour en discuter avec Margaux. J’aimerais obtenir une description de ce ‘Démon’ pour voir s’il ressemble de près ou de loin aux créatures que nous avons vues. La vision de Margaux avait en tout cas l’air très personnelle, comparée à la nôtre. »

Puis, l’inquiétude dans sa voix alors qu’il s’inquiétait de son état de santé lui fit chaud au coeur. C’était aussi ce qu’elle avait craint initialement mais…

« Je ne pense pas que nous soyons malades, Monseigneur. En tout cas, pas comme ces créatures. Je me surveille depuis que nous nous sommes réveillés et je n’ai remarqué aucun symptôme en dehors de la fatigue qui me suit depuis Marbrume. »

Lou' rempocha alors le cube et lui montra ses deux paumes.

« Au contraire, ces marques se sont peu à peu estompées, comme des souvenirs qui s’effacent. » Elle baissa ses mains, les frottant inconsciemment l’une contre l’autre, comme pour faire disparaître la sensation de brûlure qui avait refait son apparition.
« Les malades de ce bateau… Leur état semblait ses dégrader extrêmement vite et ces écailles se répandaient également. Restons attentifs mais ne nous inquiétons pas trop vite », continua-t-elle avec un sourire rassurant.

La prêtresse eut un moment de pause alors qu’elle projetait son regard par la fenêtre.

« Vous me croyez si je vous dis que je suis venue à Sombrebois en recherche d’un peu de calme? »

Elle ramena ensuite ses yeux d’ambre sur Aloys. Elle était certes un peu moins anxieuse maintenant qu’il prenait les choses en mains concernant Louis, mais son inquiétude, pour les petits Piana et pour lui, était toujours bien présente.

« Mais nous ne sommes pas au bout de nos peines, pas vrai?… »

Louisa ne savait donc pas si le ‘Démon’ était lié à l’apparition de ces étranges cubes et les songes venant avec. Le Baron de Tourbière laissa un petit silence s'installer avant de rebondir. « Je suis tout à fait d'accord avec vous... Nous devons collecter le plus d'informations possible sur le Démon et ces étranges événements. »

Le noble réfléchit un instant avant de poursuivre. « Peut-être devriez-vous commencer par interroger Margaux à nouveau. Elle a peut-être des détails supplémentaires sur le Démon ou sur les affaires qui pourraient nous aider dans notre enquête. Venez me trouver, une fois ceci accompli. Je passerai le mot à mes hommes pour un départ imminent, si les conditions le permettent. »

Aloys acquiesça lentement à ce que la prêtresse venait de dire concernant sa santé, prenant en compte son avis avec sérieux. Et elle avait raison, il n’avait également ressenti rien d’autre que de la fatigue depuis son arrivée, celle-ci perdurait même après l’incident causé par le cube. Puis, Louisa était beaucoup mieux placée que lui pour se prononcer, ayant elle-même pris soin de lui à plusieurs reprises. Laissant son inquiétude de côté, il prit une profonde inspiration avant de répondre.

« Très bien, restons prudents et attentifs aux signes de tout symptôme potentiel. Je suis soulagé d'entendre que vous ne montrez aucun signe de maladie. »

Le Seigneur laissa un faible sourire se dessiner sur ses lèvres en entendant les paroles de Louisa. « Le calme est une chose rare en ce monde, surtout pour ceux d'entre nous qui cherchent à faire une différence », répondit-il sur un ton réconfortant. Il haussa ensuite les épaules, plongeant également le regard dans celui de son interlocutrice. « Mais vous avez raison, les épreuves semblent être notre lot quotidien depuis notre arrivée à Sombrebois. »

Finalement, le Baron de Tourbière marqua une pause, avant de se diriger vers la porte de sa chambre. Il s’arrêta devant celle-ci, le dos tourné à la prêtresse. « Mais nous ne sommes pas seuls dans ces épreuves. Les Trois veillent sur nous, n’est-ce pas ? », interrogea-t-il d’un ton confiant, sans même pourtant attendre de réponse. « Alors ne vous inquiétez pas trop. Nous allons trouver une solution à tout cela, j'en suis sûr. », finit-il par dire, ouvrant la porte pour inviter Louisa à sortir. Il était l’heure de raccompagner cette dernière en bas de l’auberge.

Louisa acquiesça simplement aux instructions du Baron. Rien de bien compliqué jusque là.

« Les visites sont normalement interdites mais certains miliciens ont l’air moins à cheval sur les instructions de la Baronne que d’autres. Je vais faire mon possible pour revoir Margaux rapidement. », fit-elle avec plus d’assurance dans la voix qu’elle n’en ressentait en réalité. Autant on l’avait laissée entrer sans souci la veille, autant ce matin-même, elle s’était faite rembarrer…

Les paroles d’Aloys se voulaient toutefois rassurantes et cela sembla fonctionner. Un peu. Elle lui rendit donc son sourire tout en récupérant sa besace.

« Les Trois sourient aux justes… », ajouta-t-elle sobrement, sans entrer dans les détails. Car la volonté divine était une chose, et celle des hommes une autre. Or, en l’espèce, c’était la justice des hommes qui allait s’appliquer, et pas celle des Dieux, chose sur laquelle la prêtresse était bien consciente de n’avoir aucune prise. Le Baron, en revanche, pourrait peser dans la balance et elle était réellement soulagée qu’il ait accepté de lui faire confiance et de croire à l’histoire de la petite fille… Elle se sentait moins seule, moins démunie, et la contrariété qu’elle avait ressentie en prenant conscience du fait qu’elle n’avait aucune confiance en les autorités locales avait reflué.
Quant à Louis… Ce serait à eux de faire le nécessaire et, si Anûr le voulait bien certes, ils pourraient mettre le petit garçon en sécurité.

Elle lui passa alors devant tandis qu’il lui ouvrait la porte et elle s’arrêta brièvement avant de franchir le seuil, l’expression reconnaissante.
« Merci, Monseigneur. Pour tout. Je vous reviens dès que possible avec les informations de Margaux. »

Lou’ s’engagea ensuite dans le couloir, entendant la porte se refermer à sa suite. Elle ne s’attendait donc pas à sentir la présence du Baron derrière elle, confirmée par le bruit de ses bottes sur le plancher. Oh, il la raccompagnait?

Le court trajet jusqu’à la sortie de l’établissement se fit rapidement et elle s’arrêta devant la porte d’entrée avec un sourire un peu crispé. C’est qu’il y avait un peu de monde, dans cette salle…
« Votre Honneur… », conclut-elle avec un brin d’amusement dans la voix, souligné d’une révérence.

À Margaux maintenant.