Il est des choses que la Raison ignore [PV Ilhanne] [Terminé]

Il était revenu rendre visite à Ilhanne par deux fois, mais à chacune d'elle, quand il avait frappé à la porte, Finn n'avait reçu pour toute réponse qu'un lourd silence trahissant l'absence d'occupants. Pour la sœur ainée de la jeune femme, il était évident qu'elle devait travailler avec acharnement, notamment au vu de la situation actuelle de Marbrume, mais pour la chasseuse ? Elle avait du s'en retourner à Traquemont après avoir passé un peu de temps avec son ainée. De son côté le Mercenaire avait eu bon nombre d'entrainements et pas une minute à lui, si l'on pouvait dire ainsi, entre les exercices et la remise en état de leur Quartier Général, trouvant malgré tout un peu de temps pour venir frapper à la porte du domicile de la rousse, en vain. Et s'il avait du tomber sur la Milicienne ? ... Bah, il lui aurait expliqué être un ami et vouloir simplement des nouvelles, comme n'importe quel ami digne de ce nom, mais heureusement -ou malheureusement- l'ancien artisan de bois ne fit jamais sa rencontre, s'en retournant toujours bredouille des prétendues promenades qu'il faisait. Une bonne semaine et demi s'était écoulée et les Mercenaires avaient de nouveau du temps libre à occuper comme ils le désiraient. Ayant pris congé de ses camarades, prétextant une fois de plus une balade en solitaire, l'homme avait traversé la Hanse et Bourg-Levant, évitant soigneusement le Goulot pour ne pas tenter les ennuis de le trouver, parvenant finalement au Labourg, du côté jouxtant le Temple auquel il songeait devoir aller faire une prière très prochainement. Prenant quelques minutes de réflexion, Finn acheva les derniers mètres le séparant de la bâtisse qui incarnait sa destination, frappant brièvement à la porte avant de reculer d'un pas, poli et non envahissant. Il n'avait pas emmené d'arme en-dehors de la dague habituelle qu'il gardait dissimulée avec soin au niveau de son armure de cuir, son sourire était teinté d'appréhension à l'idée qu'une fois encore il n'y ai personne. Et si c'était le cas ? Alors il n'aurait plus qu'à faire une réelle promenade, peut-être bien du côté du Temple, puis il rentrerait, tout seul comme un c... grand.

- Ilhanne, t'es là ? C'est Finn.

Toujours le même appel, sur le même ton tranquille, comme si ce genre de visite était une chose ordinaire, routinière, ce qui n'était pas tout à fait faux. Une vieille dame qu'il avait déjà aperçu lors de ses autres passages lui fit signe en marchant non loin de là en direction d'il ne savait quoi. Le jeune homme lui sourit et lui rendit son geste, avant de reporter son attention sur la porte, sentant un début de déception poindre le bout de son nez. Allons bon, à quoi s'attendait-il exactement ? Les voyages entre Marbrume et Traquemont n'étaient pas chose aisée, même pour les guerriers et chasseurs de la place-forte. Sans doute la jeune femme ne reviendrait-elle pas avant un bon mois, au bas mot, peut-être même bien davantage encore.

Officiellement j’étais partie voir Val' qui était blessée. Officieusement, je fuyais complètement Clotaire et ses faux sentiments qui me sautaient à la gueule à chaque fois que je le voyais et Traqueront s’était petit. Un convoi avec des miliciens avait passé une nuit à la forteresse, tout le monde les avait vu et tout le monde m’avait vu parler eux, du coup personne n’avait réellement fait d’histoire quand j’avais annoncée partir avec eux à l’aube.

Je comptais pas fuir longtemps, une petite semaine au plus. Juste le temps que ça se tasse… au moins un peu.

Me voir arrivé sur les nerfs, à pas vouloir en parler avait rendu Val' perplexe, enfin pas bien longtemps. Elle avait vite repris nos habitudes, et j’avais fini dans ma piaule, à broyer du noir comme une débile, mais au moins, je risquais plus de voir la gueule de Clotaire dans la pièce commune, où dès que je mettais le nez dehors. Rien que ça, ça avait suffi à faire retomber la pression, doucement, sûrement. Les sons, les pièces, les odeurs, tout était familier, me ramenant à avant, avant de partir, avant l'esclandre aussi grotesque que démesuré…

J’avais pas tenu plus d’une journée à rien faire, un peu échaudée à l’idée de sortir, me disant que j’aurais pas deux fois autant de chance si j’avais un pépin, j’étais resté à tourner en rond, comme un animal en cage. Du coup le lendemain, j’avais été traînée avec Margaux dans l’auberge du vieux Charles. Il avait pas aimé que je lui dise de se mettre son plateau au cul quand il avait essayé de me mettre au boulot pour moins qu’une miette de pain. Mais il avait pas essayé deux fois. Entre deux services, deux lavages de choppes j’avais raconté à la serveuse ce qui s’était passé avec désormais mon ex-partenaire de chasse. « OH LE CON ! ». Était tout ce qu’elle avait lâché, visiblement un peu outrée.


Dans la rue du labour, près du temps la vieille Martin revenait du lieu de culte où elle avait essayé d’apporter son aide, c'était sa manière à elle de se sentir encore utile. Rentrant chez elle, elle passa devant un jeune homme qui lui-même attendait devant une maison qu’elle connaissait bien pour avoir passé une grande partie de sa vie dans ces rues. Au début elle avait seulement accordé une petite salutation polie à l’étranger le dépassant, avant de se rappeler qu’elle l’avait déjà vu, en plus qu’elle l’avait déjà vu devant cette même maison.

« Vous cherchez laquelle des petites Barrowmer . Parce que la plus âgée elle doit travailler à l’heure qu’il est. Puis la gamine on la voit plus ces deniers temps, mais je crois l’avoir aperçue hier, elle traînait avec une brune, une petite chapardeuse plus qu’en âge de se marier et pas décider, de la mauvaise graine ! »

La voix était un peu chevrotante, mais encore bien vaillante pour une femme qui atteignait le crépuscule de sa vie.

« Et qu’est-ce que vous lui voulez à la petite ? »

Elle n'était pas vraiment méfiante, seulement curieuse comme la commère qu’elle était un peu au fond. Les ragots, ça occupait.


J’avais fini par le faire virer de son tas de planches que le vieux Charles appelait auberge. Visiblement je distrayais trop son employée. Pas grave, je reviendrais demain, il allait pas gagner à jouer au plus déterminé avec moi.
Du bout de la rue, je distinguais deux silhouettes plus ou moins proches de la maison, voire carrément proche en fait. Mais ça devait être des voisins qui discutaient.

Finn avait commencé à reculer de deux pas supplémentaires, scrutant les fenêtres de la bâtisse en songeant qu'il n'y avait une fois de plus personne. Bah, il fallait bien se faire une raison, il pourrait toujours revenir à un autre moment et essayer de rencontrer la sœur ainée de Ilhanne qui aurait peut-être quelques informations. Au moins histoire de s'assurer qu'elle allait bien. Ce fut la voix d'une vieille femme qui le tira de ses pensées, le faisant pivoter sur ses jambes pour lui faire face, l'écoutant avec attention avec un gentil sourire aux lèvres : lui, les vieux, il les aimaient bien. Dans son village il y avait toujours les petites mamies qui racontaient des potins entre elles pendant que les plus vieux radotaient sur le travail de la jeunesse en agitant leurs cannes, c'était un peu les grands-parents de tous les gens du village, mais tout ça était si loin à présent. Revoir une petite dame comme ça lui réchauffait le cœur, d'autant plus quand il comprit qu'elle voulait l'aider.

- Rien de mal ne vous en fait pas. Je suis un de ses amis et je voulais prendre de ses nouvelles, mais cela fait un bon moment que je ne l'ai pas vu non plus.

L'information qui avait été révélée était sans doute vraie, auquel cas cela signifiait que la rousse avait du venir rendre visite à son amie Margaux. Évidemment, ce qu'il était bête de ne pas avoir pensé à aller demander à la brunette ! C'était son amie d'enfance, si quelqu'un devait savoir quand Ilhanne était en ville, après sa sœur ainée, ça ne pouvait être qu'elle ! Se traitant mentalement d'imbécile, il sourit de plus belle à l'intention de la vieille femme.

- Enfin si elle est sortie, c'est qu'au moins elle va bien et c'est déjà une bonne chose et, que voulez-vous, toutes les femmes à marier ne le font plus de nos jours, mais... rassurez-moi, maintenant que vous savez que je suis libre, vous n'allez pas me sauter dessus jeune fille, n'est-ce pas ?

Plaisanta gentiment le Mercenaire avec un large sourire amusé et chaleureux, lui adressant un petit clin d’œil complice avant de jeter un nouveau regard à la bâtisse, soupirant discrètement. Peut-être vaudrait-il mieux aller voir du côté de l'auberge de Victor ? Margaux aura peut-être vu passer Ilhanne, en espérant que cette dernière ne se soit pas encore aventuré là où il ne fallait pas.

La mamie Martin gloussa, faussement gênée, à la plaisanterie du jeune homme. Dans le quartier ils n’étaient pas tous si charmants.

« Oh voyons, quel polisson vous faites. »

S’amusa la vieille femme rajustant le châle qu’elle portait autour des épaules. Son regarde parcouru le jeune homme, plus amusé et bienveillante qu’intéressée et de loin. Il fut un temps ou les filles se seraient damnées pour un si joli garçon, mais maintenant elles voulaient combattre elles aussi, participer à l’effort contre la fange. Les temps changeaient, trop doucement pour certain, mais trop vite pour la vieille dame. Une légère ombre passa sur son visage, qui disparut bien vite.

« Oh oui, elle avait l’air en forme quoi qu’un peu maigrelette, même si elle a jamais été très épaisse. »


Ce n’est qu’en arrivant au niveau de la porte, devant laquelle se trouvait effectivement les personnes qui parlaient que je les avais reconnus. Pour être exacte, en premier, j’avais vu la petite vieille, une petite mamie du quartier qui avait fini servante au temple depuis les années déjà.

« M’dame Matin … »

Du coup, je m’étais retournée sur la personne à qui elle parlait, surprise !

« … Finn ?! »

Je ne savais pas encore si s’était une bonne ou une mauvaise surprise. Voir un homme, là tout de suite, j’en avais pas vraiment envie, j’avais bien eu assez d’Aéris et ses pseudo-révélations dramatico-merdiques pour me vacciner de la compagnie masculine pour plusieurs jours. Mais je pouvais pas l’envoyer balader comme ça, je me sentais encore tellement redevable et il avait fait l’effort de venir dans le quartier, qui n’était visiblement pas l’endroit où il traînait habituellement. Si mes souvenirs étaient bons le hérisson mélomane s’était pas la rue à côté.

« Il est charmant ton ami, ma petite. »

J’aimais pas la manière dont elle avait dit ça, s’était quoi ce sous-entendu. Ah non, non, non elle allait pas commérer ça dans le quartier. Si Val’ l’entendait elle allait me poser des questions auxquelles j’avais pas envie de répondre.

Je me sentais un peu conne à pas trop savoir quoi dire, j’avais l’impression que tout ce qui pourrait sortir de ma bouche serait retenu contre moi, et tourner à l’avantage de l’idée qu’elle s’était faite.

« Euh … Je … sûrement. Excusez- moi. »

Bravo Ilhanne, dans le genre faussement jeune fille en fleur, nouille embarrassée, tu pouvais pas faire mieux. Si avec un peu de chance t’avais rougit, ça aurait été le pompon, heureusement que ça n’avait pas été le cas.

Me glissant entre eux, assez mal à l’aise, pour accéder à la porte je me serais bien taper violemment la tête contre son bois.

Finn eut un léger rire amusé quand la vieille dame le qualifia de polisson, appréciant ce moment de légèreté qui lui rappelait son propre passé, alors même qu'elle lui confirmait que Ilhanne avait l'air en forme, même si un peu maigrelette. Oui, c'était leur cas à tous, lui compris même s'il tachait de s'entretenir pour rester en forme en cas de mission. Un mouvement en périphérie de sa vision lui fit tourner la tête et celle dont il était question montra justement le bout de son nez, s'étonnant -évidemment- de sa présence ici. La petite mamie fit une remarque et le Mercenaire lui fut reconnaissant de cette tentative évidente de le faire bien voir auprès de la chasseuse, lui adressant un regard indéchiffrable avant que le sujet de leur conversation ne tenta de rentrer pour se mettre à l'abri de ce petit complot.

- Hey attends !

Sa main se tendit instinctivement vers le bras de la jeune femme, mais il se retint à la dernière fraction de seconde, ses doigts manquant d'effleurer son vêtement avant qu'il ne les retire vivement, se raclant discrètement la gorge avant de faire les quelques pas qui le séparait de la porte à côté de laquelle il se plaça.

- Excuse-moi de venir sans prévenir, mais je voulais prendre de tes nouvelles et savoir comment tu allais.

Un regard à la vieille femme, puis il sourit en coin, légèrement gêné.

- Elle s'était tordue la cheville y'a quelques temps et je l'avais raccompagnée chez elle. L'air de rien c'est important pour une chasseuse, une cheville.

Puis l'homme reporta son attention sur Ilhanne, avec quelque chose dans le regard qui semblait dire "je vais être à court d'argument là, suis-moi sur ce coup", ou tout du moins une émotion approchant de l'urgence. Lui non plus ne désirait pas spécialement qu'on propage des ragots sur la rousse, mais c'était inévitable à présent qu'on savait qu'il voulait la voir, alors autant que ça soit dans un contexte amical et convenable moralement parlant.

Sa main qui s’approcha de moi me fit me raidir, j’avais aucune envie qu’il me touche, mais heureusement, il se ravisa, seul, au dernier instant. Etrange, et étrangement agréable. Il offrait même une excuse plus que probable à sa présence, sans que cela paraisse tendancieux outre mesure.

« ça va … ça me lance encore quand je force un peu trop. D’ailleurs là j’aimerais bien aller le reposer, ça m’fait mal. »

sans être la menteuse la plus convaincante du monde, je m'en sortais pas trop mal, surtout quand ça m'arrangeait réellement. Qu’elle gobe le bobard, pitié, qu’elle le gobe tout cru. Elle me regarda de pied en cap, heureusement, j’avais dégagé l’appui d’une de mes jambe comme si je voulais pas m’appuyer dessus. S’était une vieille pie pas forcément très observatrice, elle songerait pas au fait que j’avais pas boité en arrivant.

« Parce que tu chasses petite Ilhanne ?! Ohlala, les jeunes d’aujourd’hui… »

Ça avait l’air de la dépasser, fatalement, pour quelqu’un d’aussi vieux et attaché aux traditions, ça devait lui passer au-dessus de la tête.

« Vous êtes bien gentil d’être passé la voir plusieurs fois, parce qu’on sait jamais quand elle est là. »

Plusieurs fois ? Je regardais Finn l’air de demander si s’était vraie. Et si il avait rencontré Valériane. Peu probable, elle m’en aurait parlé, elle aurait fait une allusion quelque chose, même si finalement, on s’était peut croiser en deux jours. J’étais arrivée énervée, certes, mais je m’étais radouci, on avait eu des moments de calme, donc elle aurait sûrement glissé quelques mots à propos d’un homme qui aurait demandé après moi.

La vieille s’en alla après nous avoir salués en ronchonnant un peu sur la jeunesse qui ne respectait plus rien, que les usages se perdaient et que de son temps jamais une fille qui se respectait aurait appris à manier une quelconque arme. En mon for intérieur, je me réjouissais qu’on soit plus tout à fait à ce niveau, je me voyais mal là tout de suite, un bague ferrée aux doigts avec un mari qui attendait de moi juste que je fasse la bouffe que je me taise et que je lui ponde des marmots.
Brrr, ça me donnait des frissons rien que d’y penser.

J’ouvrais la porte qui grinça légèrement, ne sachant pas trop si je devais le faire renter ou non. La vieille Martin ne se retournerait pas de toute façon trop occupé à marmonner dans sa moustache trop fournie.

« Je crois que la politesse voudrait que j’t’invite à entrer. »

Au sens stricte, s’était vraie, mais bon, on pouvait pas dire que s’était la façon la plus délicate de le dire.

Il jeta un regard en direction de la cheville prétendument blessée, hochant la tête avec un air grave de circonstance, comme évaluant la chose avant de reporter son attention sur son visage, bien plus agréable à regarder au demeurant. La petite mamie sembla fort étonnée d'apprendre que Ilhanne chassait et, mentalement une fois encore, Finn se traita d'imbécile, se retenant de grimacer pour ne rien laisser paraitre. Heureusement la voisine changea de sujet... mais pas forcément celui qu'il aurait fallu, révélant à son tour quelque chose qu'il n'avait pas spécialement envie de dire : avouer qu'on avait fait le planton comme un con plusieurs fois n'était pas la meilleure manière de bien se faire voir. Cependant il ne servait à rien de mentir, puisque Madame Martin avait tout révélé, aussi le Mercenaire acquiesça-t-il en silence, haussant nonchalamment les épaules. Heureusement cette situation pour le moins gênante prit fin avec le départ de la vieille femme, laquelle arracha un sourire en coin au jeune homme quand il entendit ses grommellements. Vraiment, les vieux ne changeaient pas d'une génération à l'autre, c'était toujours plus ou moins la même rengaine. La porte qui s'ouvrait attira son attention et il sourit de nouveau, plus légèrement, à l'invitation.

- Si ça peut te rassurer, je ne ferais rien que la politesse n'autorise.

Passant le pas de la porte, il baissa instinctivement la tête au cas où la poutre serait trop basse, puis jeta un regard à l'intérieur qui, sans être cossu, n'en demeurait pas moins propre, agréable et chaleureux. Un peu comme un petit nid douillet dépourvu de toute tension. Inspirant profondément après quelques pas, Finn sembla enfin se détendre, loin des regards curieux qui pouvaient demeurer au-dehors, son expression s'adoucissant grandement alors qu'il jetait plusieurs coups d’œils à tout objet en bois à sa portée.

- Mise à part la cheville, sincèrement, est-ce que ça va mieux ? Je ne veux pas avoir l'air de celui qui insiste, mais pour avoir connu quelques jeunes filles qui ont été... agressées, je sais que ça peut marquer les esprits et je voulais vraiment voir si ça allait.

Restant debout au milieu de la pièce en attendant qu'on l'invite à s'assoir, il croisa les bras faute de savoir quoi faire de ses mains, les gardant ainsi hors de portée de la jeune femme.

S’était bête, mais ça remarque m’avait fait sourire timidement. Si j’avais mise en doute les intentions de qui que ce soit d’autre, j’avais envie de le croire, sûrement parce qu’il s’était jamais permis quoi que ce soit, même dans un moment de faiblesse comme celui dans lequel il m’avais trouvé.

« Oui, oui, ça va,… Je réfléchis à cinq fois avant de sortir. Hier, même si j’avais l’impression de tourner en rond comme un animal en cage, j'ai pas passer le pas de la porte. mais aujourd'hui j'ai craquer, sinon j'allais d'venir dingue. »

Un problème en avait chassé un autre. Rentrer à Traquemont, reprendre la vie comme elle était, loin de cette ruelle de malheur m’avais fait relativiser, faute d’oublier ou de digérer. Mais bien sûre il avait fallu que ça change il avait fallu qu’il soit jaloux. Jaloux de quoi ? De rien d’une idée qui lui était montée à la tête, basée sur rien du tout. Puis s’était quoi cette liberté qu’il avait prise de croire qu’il avait un droit de regard sur ma vie ?!

Ça ne concernait que moi qui je choisissais de fréquenter. Uniquement moi, même plus Valérianne, ne vivant plus sous son toit je n’avais techniquement plus de comptes à lui rendre, même si il me restait des scrupules à fréquenter des personnes dont je savais qu’ils étaient du genre qu’elle n’aimait pas.

D’où Aéris avait pris un droit que ma propre sœur n’avait plus ?

Je ne savais pas trop si j’avais l’air réellement crédible dans mon petit mensonge par omission. J’espérais. Ça me rendait dingue, ça me faisait enrager, mais j’avais nullement envie d’en parler avec un quasi-inconnu, aussi atypique soit-il.

« Je retourne à Traquemont avant la fin de la semaine, j’essayerais d’attraper un convoi qui passe à proximité du fort, histoire de me prendre utile au moins pour les quelques heures nécessaires pour joindre la ville et la forteresse. »

S’était presque toujours comme ça que je rentrais, du moins que j’essayais de rentrer. Ça me donnait bonne conscience. J’étais pas certaine que ce soit plus sécurisant, un convoi était plus lent, plus gros, plus attrayant qu’une personne seule. Mais nous étions plus aussi. Au final, ça se valait sûrement. Fin’, s’était pas la question.

En parlant, j’avais enlevé ma veste. Toujours habillé en homme, s’était tellement plus pratique.

« Fait comme chez toi. »

Pour ma part, je m’étais assise sur la table, grande transgression, privilège que je ne prenais que lorsque que Val n’était pas là. Mauvaise habitude de gamine.

« T’es vraiment passé plusieurs fois ? Pourquoi t’as recommencé après la première fois ? Ou alors c’est ma sœur qui t’as ouvert la, les fois d’avant ? »

J’essayais de changer de sujet, de faire diversion. Sans compter que j’étais réellement curieuse de savoir pourquoi. Je doutais réellement du fait que Val’ lui ait ouvert, mais on était pas à l’abri de surprises.

Elle réfléchissait cinq fois avant de sortir... Cette idée ne fut pas pour l'enchanter et l'expression de Finn se fit mi-songeuse, mi-désolée, car n'ayant pas connu ce genre de choses, il ne pouvait qu'imaginer la difficulté que cela devait être que de craindre à chaque pas fait au-dehors. Est-ce qu'elle avait cauchemardé de tout ça ? Est-ce qu'elle avait perdu l'appétit ? L'homme préféra s'abstenir de poser ce genre de questions, cela aurait pu être mal interprété et, quand bien même elle l'aurait bien pris, ce n'était pas à lui de le demander. Plutôt à sa sœur ainée, mais si elle s'en retournait si vite à Traquemont, il y avait fort à parier que la bulle n'éclaterait pas d'ici là. Ces choses-là prenaient du temps. Quand la jeune femme lui dit de faire comme chez lui, il s'assit sur la chaise la plus proche en souriant légèrement, la voyant prendre place sur la table comme le ferait n'importe qui jouant les mal élevé avec un amusement certain. Quant à la question qui suivit, elle eut le mérite de lui arracher son premier rire clairement joyeux.

- Ouhla non ! Si ta sœur m'avait ouvert, je crois que je n'aurais pas su quoi lui dire et j'aurais eu l'air bien bête à prétendre qu'on se connaissait depuis longtemps. Elle ne m'aurait pas cru un seul instant et m'aurait sans doute attaché à cette chaise pour me torturer jusqu'à-ce que j'avoue la vérité.

Le Mercenaire secoua la tête à cette idée, puis son regard se porta de nouveau gravement sur la rousse, qu'il fixa avec une attention soutenue qui aurait presque pu être gênante.

- Le prend pas mal, mais si j'ai insisté à ce point, c'est vraiment parce que je m'inquiétais. Je sais que t'es une femme forte et une chasseuse, sans doute très douée dans ce qu'elle fait, mais quand même. J'avoue que... J'ai cru que peut-être t'allait plus mal que ça et je me suis dit que tu voudrais peut-être en parler.

Il eut un léger sourire et ce fut à son tour de se sentir stupide, passant une main à l'arrière de son crâne pour se frotter la nuque, essayant de faire passer sa propre gêne.

- Je dois vraiment avoir l'air du paysan sortit de sa campagne, mais par chez moi quand il arrivait quelque chose à l'un des habitants, tout le monde venait apporter quelque chose et prenait des nouvelles. On a eu quelques filles bien qui ont été agressées par des voyageurs de passage et elles ont mis du temps à se remettre.

Finn soupira un peu puis releva de nouveau ses yeux clairs sur Ilhanne, attendant de voir comment elle allait prendre cette inquiétude. Sans doute allait-elle vouloir faire la fière et la forte, il faut dire qu'elle avait quand même assuré ce jour-là et qu'elle avait su rester digne, mais qui sait ce qui se passait réellement dans sa tête ? Il se souvenait de l'une des filles de Balazuc, une petite brune qui souriait tout le temps avant son agression et qui s'était forcée à continuer de le faire... Un sourire qui sonnait faux, jusqu'à-ce que plusieurs mois après elle éclate en gros sanglots et ne se confie enfin à ses proches. Finn était alors trop jeune pour mesurer toute l'ampleur de la situation, mais il se souvenait bien des pleurs et de la rage mêlée de honte de la jeune femme. Et puis quelques temps plus tard, elle avait épousé un garçon du village qui l'avait toujours aimé et qui se moquait bien de ce qui lui était arrivé. Et aujourd'hui ils étaient tous morts, eux, leurs enfants, leurs familles, les habitants... tout le monde. Le Mercenaire chassa cette pensée et essaya de se concentrer sur l'instant présent, bien plus crucial et important que le passé auquel il ne pouvait rien.

« Etre loin, ça aide … jamais seule non plus toujours à penser à autre chose, sa survie, la survie de la communauté, celle de son partenaire… »

Tout le monde avait un rôle au fort de chasseur de fangeux, tout le monde était un rouage important. Être en terre hostile parmi de gens qui avaient tout au moins une partie des idées en commun, ça aidait. Ça distrayait. Je savais pas ce que j’étais sensé faire pour coller à l’idée de la petite victime, je savais pas si avoir vécu une vie de merde en ville ça m’avait rendu plus insensible. Je savais juste que ça allait, pour ça. Après il était vrai qu’une fois passé les portes, une fois dans la ville, un doute une angoisse montait, sourde, ténue, présente. Et si ils me tombaient encore dessus ? Et si j’étais à nouveau pas capable de m’en débarrasser ? Et si …

« Mais on échappe jamais aux problèmes, quand un se fait oublier un arrive… »

Et si même au sein de mon petit cocon protecteur loin de la cité j’avais des soucis ? Des soucis de gamins, mais des soucis. Enragée, déprimée, coupable, tout ça en même temps.

« J’me sens conne. »

Je le regardais pas. Je regardais mes mains dont je triturais les doigts abîmés. De quoi je parlais vraiment ? Bonne question.

« Même pas maîtresse de l’image que je donne. »

C’était pas comme si je venais de prendre mes formes de femmes, que je comprenais pour la première fois que ça intéressait les hommes. Mais s’était bien les premières fois que je constatais qu’ils étaient prêt à faire preuve de force ou de basse ruse pour arriver à ce qu’ils voulaient. Pourtant, j’avais jamais joué le jeu.

« J’sais pas si ça vient de moi, ou des autres. »

L’air du temps avait changé, s’était peut-être ça. Où s’était moi qui faisais quelque chose de travers ? Je devais me couper les cheveux pour faire plus garçon ? Je devais bander ma poitrine pour faire disparaître le peu de formes que j’avais ? S’était stupide !

« J’ai pas envie d’ça, j’ai pas envie qu’on s’intéresse à moi. »

Stupide, mais si ça m’assurait l’indifférence…

« J’ai pas envie qu’on me mente pour essayer de m’amadouer, de me prendre pour une idiote... »

Les mots doux, les je t’aime, je les avais vus dans la bouche du mari de Val, il les lui servait pour la mettre dans sa poche et dans son lit. Du moins avant que ça tourne au vinaigre.

« J’ai pas envie qu’on essaye de maîtriser ma vie à ma place. »

Que ce soit avec une sale jalousie mal placée, ou avec une bague et des sacrements.

Je me sentais tellement misérable. Moi qui voulait pas en parler, je m’étais retrouvé à déballer presque tout. Aucune volonté. Du coup, je le regardais pas, alternant entre mes mains, la table, le sol, le reste de la pièce, partout, sauf la chaise la plus proche.

Il avait voulu creuser un peu, une dernière fois, il s'était dit que si là elle décidait de ne pas en parler, alors il changerait de lui-même de sujet, après tout ça ne servait à rien d'insister dans le vide... et pourtant. Alors même que Finn la fixait, Ilhanne détourna son attention de lui pour se focaliser sur ses mains qu'elle se mit à triturer, lâchant progressivement le fond de sa pensée, ou tout du moins ce qu'elle éprouvait à cet instant précis, les réflexions qui étaient les siennes et, au final, une certaine faiblesse passagère, une remise en question quant à ce qui était arrivé, mais peut-être pas seulement. Il sembla au Mercenaire qu'il n'y avait pas que ça, que le problème était bien plus profond et ancien, plus ancré que cette seule agression isolée. Avait-elle déjà subit des violences ? Avait-elle déjà souffert du comportement de certains hommes ? Elle n'avait pas à se sentir conne, elle n'avait pas à chercher à être un roc, à rendre une image lisse qu'on ne pouvait atteindre, de même qu'il comprenait qu'elle ne veuille pas qu'on s'intéresse de trop près à elle d'une certaine façon. Le regard grave de Finn était posé sur la rousse qu'il écoutait avec une gravité et une attention sincère, cherchant à capter ses yeux, en vain. Au final, il n'y avait qu'un seul moyen, lui dire ce qu'il pensait de ce qu'elle venait de confier.

- Personne ne devrait obliger qui que ce soit à mener une vie dont il ne veut pas.

Lui-même avait toujours pu choisir, même s'il avait du batailler ferme étant enfant pour qu'on le laisse assumer deux métiers à la fois, deux formations alors qu'en temps normal une seule était nécessaire. Un vieux souvenir sans gravité ni impact sur le présent.

- Si t'as pas envie qu'on te passe la bague au doigt, alors ne le fait pas. Si on veut te faire arrêter d'être chasseuse sous prétexte que t'es une femme, colle-leur une flèche dans la gueule... et si t'as envie d'être féminine tout en étant une guerrière, colle-leur une belle dérouillée pour leur apprendre le respect.

Finn grogna un peu pour le coup, hésita une brève seconde, puis finit par se lever de sa chaise, s'approchant de la silhouette de Ilhanne dont il chercha de nouveau le regard, évitant de la toucher, conscient qu'à cet instant elle avait certes besoin de réconfort, mais pas de contact non désiré. Elle avait le droit d'être traité comme une égale craquant un peu, pas comme une petite chose fragile incapable de tenir la distance.

- Je sais que beaucoup d'hommes sont... enfin, disons que les hommes et les femmes ont souvent du mal à se comprendre, j'dois dire que même moi je suis pas sûr de toujours savoir quoi faire, mais y'a une chose que je sais : les femmes comme toi, y'en a pas assez dans le monde et c'est bien dommage, parce que vous êtes vraiment géniales. C'est vrai que beaucoup d'hommes aiment les femmes délicates et fragiles, mais y'en a beaucoup d'autres aussi qui aiment les voir fortes et déterminées, qui savent ce qu'elles veulent et qui se battent pour l'obtenir.

Le Mercenaire songea l'espace d'une fraction de seconde que cela sonnait étrangement une fois formulé à voix haute, mais au point où il en était... Sa main se leva et vint se poser sur l'épaule de la jeune femme, serrant doucement alors qu'il lui adressait un sourire encourageant, le regard empli de chaleur.

- Y'a des sales types partout, mais même à Traquemont je suis sûr que tu dois en avoir qui respectent ce que tu es, une chasseuse et une femme à la fois. Tu es capable, Ilhanne, sinon tu serais morte depuis longtemps, les Fangeux ne laissent jamais de deuxième chance. Je ne pense pas pouvoir t'aider beaucoup, sauf si jamais on te cherche encore des ennuis, t'auras qu'à m'appeler et je viendrais t'aider... mais y'a que toi qui peut te forcer à aimer ce que tu es.

Il retira sa main de son épaule, à regret il devait bien le reconnaitre, mais il ne pouvait pas l'y laisser trop longtemps sans que cela ne devienne étrange, sans qu'il n'ait envie aussi de la faire glisser dans son dos pour mieux l'enlacer et ainsi la réconforter. Un peu comme Cywel qui se battait pour qu'on la respecte, Ilhanne avait besoin qu'on reconnaisse les deux parties qui la constituaient : une femme et une chasseuse.

- En tout cas moi je te trouve admirable et vraiment très bien. Alors faut croire en toi et pas laisser les cons te faire douter.

Et Finn recula de deux pas, lui laissant un peu d'air pour respirer, préférant ne pas rester trop près avec tout ce qu'il venait de lâcher. Il était rare qu'il parle autant avec une telle gravité, mais la situation s'y prêtait particulièrement et il fallait reconnaitre que la rousse faisait remonter plus que jamais ses instincts protecteurs, à la limite du raisonnable. C'était sa faute aussi, elle était bien trop jolie pour devoir être triste à cause d'autrui. Peut-être que la dernière fois il aurait du tuer les trois agresseurs et non pas un seul, mais une petite voix lui souffla que cela n'aurait pas pu empêcher la jeune femme de douter.

Il avait tort … et raison … et tort … et raison, étant à côté de plaque comme en plein dans le mille. S’était le bordel sans nom dans ma tête. Comment j’étais arrivé à tout ça merde ?

J’avais déjà mal à la tête rien que de penser à comment j’avais fini chez Val’, a déserté ce pour quoi je m’étais engagé, avec un quasi-parfait inconnu avec qui je venais de partager le tréfonds de ma pensée, ce qu’il y avait de plus secret de plus intime. Nom des Dieux, comment j’étais tombé si bas ? Comment j’avais fait pour me rater et me vautrer à ce point dans ma propre mouise ?

Je savais pas vraiment ce qui m’avait réveillé du sale laisser-aller dans lequel je m’étais laissé glisser. Peut-être sa main sur mon épaule, juste quelque instants, peut-être simplement sa présence, le fait qu’il ait bougé.

Dire que j’étais perdue d’un coup avait quelque chose de doucement ironique et minimaliste.

Qu’est-ce que je devais faire ? Qu’est-ce que je devais dire ? Qu’est-ce que je devais penser ?

Une chose à la fois : tout d’abord, reprendre un peu de contenance, arrêté de paniquer bêtement et de céder à des idées noires stupides. Tout ça, s’était passé, ou dehors, mais pas ou plus ici, dans cette maison. Si il avait bien un endroit où je devais pas douter de moi, de mes choix s’était ici.
Je poussais un profond soupir pour tout remettre à zéro, pour tout remettre à sa place. Loin, très loin, trop loin pour me faire vaciller. S’était imbécile, je savais au fond qu’il avait raison, les fangeux, ça laissait pas de deuxièmes chances, et même si chasser en groupe aidait à rester en vie, il fallait que chaque membre soit compétent pour que cela fonctionne réellement, la point faible était éliminer sinon.

Tout semblait tellement facile, clair, net mais surtout presque désintéressé dans les propos de Finn, dans sa façon d’agir. S’était perturbant, il ne répondait pas aux règles qui s’étaient établies par la force des choses dans mon monde. Il était une anomalie étrange et presque rassurante, une luciole qui brillait dans la nuit dissipant infimement l’obscurité de la vie. S’était qu’une impression à chaud, comme ça, à prendre avec des pincettes, mais s’était cette impression qu’il faisait, celle d’un bon gars, mais vraiment bon au fond.

« Heu… Je … fin’ … hum… Pardon… ou Merci. »

Toute mon éloquence naturelle avait été réunie dans ces quelques mots. Autant dire que s’était la crème de la crème de ce que je pouvais bien dire. Je préférais rien rajouter, j’en avais déjà bien trop dit et je ne voulais pas déraper à nouveau.

Je m’étais levé et étirer un instant, j’avais quelques douleurs, mais ça s’était normal, avec la vie physique je menais mon corps était soumis à rude épreuve. J’avais toujours des bleus des petites griffures, des petites écorchures, jamais rien de grave pour l’instant.

« Mais on a assez parlé de moi. A part errer devant la porte qu’est-ce que t’as fait pendant ces quelques jours à j’étais hors des murs ? »

Sujet plus anodin, plus léger. M’était avis qu’on en avait tout les deux besoin.

Finn s'était écarté d'elle et il pu constater qu'il l'avait fait à temps, lui permettant ainsi de reprendre doucement ses esprits sans se sentir oppressée par sa présence ou son contact. Lentement, progressivement à mesure qu'il achevait son propos, il avait vu son regard retrouver un peu de cette lueur qu'il lui avait vu la dernière fois, de cette volonté qui l'animait et qui lui allait bien mieux que la perdition dans ses prunelles claires. Ilhanne revenait à l'instant présent et chassait les doutes et les inquiétudes qui la rongeait, au moins pour quelques moments de paix qui ne seraient pas volés. Son hésitation, entre excuse et remerciement, lui tira un doux sourire compréhensif accompagné d'un geste de la tête. Il aurait bien aimé lui répondre quelque chose de classe comme "à ton service" ou "y'a pas de quoi", mais cela lui paraissait trop superficiel pour être vraiment éloquent. La laissant respirer un peu, le Mercenaire la regarda s'étirer en s'empêchant de laisser son regard courir sur sa personne -ça n'aurait pas été convenable- puis la conversation revint -un peu brutalement- sur les activités que lui-même pouvait avoir en-dehors de ses visites à la jeune femme, chose qui eut le mérite de lui arracher un bref rire gêné.

- Oh et bien, on a finit de retaper notre lieu de vie qui en avait bien besoin et on s'entraine, principalement. Beaucoup.

Finn hocha la tête d'un air songeur, l'espace de quelques secondes, avant de sourire largement, comme amusé par sa propre condition.

- Le Capitaine nous en fait baver, mais on s'est tous perfectionnés à vue d’œil et je pense que bientôt nous aurons droit à notre première vraie mission. J'espère qu'on nous enverra tuer du Fangeux, mais je pense que tout me conviendra, quoi que ce soit.

Et son regard brillait à l'idée de pouvoir enfin faire officiellement ses preuves au sein de la Compagnie des Lames, de brandir son épée pour se battre et défendre, si ce n'est un idéal, au moins ses camarades et son Capitaine, qui par ailleurs saurait très bien se débrouiller tout seul comme il l'avait fait jusqu'à présent.

- Je ne suis pas encore très doué avec la grande épée, mais je continue de m'entrainer en plus des exercices habituels, dès que je suis assez reposé. C'est une grande lame, très large et très massive, qui pèse trop lourd pour mon gabarit, mais tu verrais comme Le Capitaine la manie ! On dirait un fleuret entre ses mains.

Finn admirait son supérieur pour cela et pour bien d'autres choses encore, s'emportant bien volontiers dans ses propos, ayant bien compris qu'il était question de changer de sujet pour dédramatiser la situation. Alors forcément, parler boulot ça lui paraissait encore être le mieux.

Sa réponse m’avait fait rire, s’était amusant de voir comme le quotidien pouvait se ressembler au fond. S’entraîner restait toujours une nécessité absolue, devenir meilleur, toujours meilleur pour ne pas avoir de mauvaises surprises, ne pas faire de faux pas qui pourraient nous coûter la vie ou celle d’un compagnon.

Je comprenais pas les gens qui avaient hâte d’aller taper du fangeux. Ça avait rien de drôle, ça avait rien de plaisant, s’était utile, s’était un travail, presque un devoir pour ceux qui avaient une once dévotion envers l’humanité, éradiqué la menace. Quelque chose dans ses yeux brillait, je comprenais pas trop pourquoi, en réalité, je savais pas réellement ce qui avait allumé quelque chose en lui. Est-ce que s’était la perspective de se battre ? De montrer ce qu’il valait une arme à la main ?

« Trop lourd pour ton gabarit … »

Avais-je répété un peu moqueuse le regardant de haut en bas comme pour souligner sa grande taille et sans être massif son air de gars qu’il valait mieux pas chercher. Il avait surtout l’air d’admirer son Capitaine, vu la manière dont il en parlait.

« Il doit être impressionnant, ton Capitaine, si il manie une telle épée aussi bien. »

Ma sœur avait bien essayé de m’apprendre, mais je me sentais un cas désespérer avec une de ces choses entre les mains. Toujours gauche, jamais assez vive pour arriver à quelque chose de convenable et d’assez bien pour prétendre simplement me défendre efficacement contre une adversaire qui me voulait vraiment du mal.

« Mais vous êtes obligé d’attendre que les mordeurs viennent sur vous. C’est là qu’ils sont les plus dangereux. »

Un mordeur de loin, ça faisait peur mais à part ramener d’autre fangeux, ça pouvait pas faire grand-chose. Plus ils se rapprochaient plus ça devenait chaud pour nos fesses, du coup, ça me passait parfois un peu au dessus de la tête ceux qui misaient tout sur le corps-à-corps avec ces bêtes.

Je jetais un œil à mon arc qui était soigneusement posé dans un coin de la pièce. Il n’avait rien de très impressionnant, un arc court simple, un peu ancien, peut-être un peu fatigué, mais encore largement en état. Sans lui dans les marais, je me sentais nue, sans défense, même avec n’importe quel autre équipement qui aurait pu faire l’affaire contre un banni ou un fangeux. S’était avec ça que j’étais plus douée, plus utile.

Un sourire était revenu sur le visage de Ilhanne et, même si ce n'était pas encore la grande joie, c'était déjà un très bon début dont Finn fut secrètement assez fier. Elle sembla s'amuser de sa remarque sur la taille de l'épée, mais le jour où il la lui montrerait, elle comprendrait alors pourquoi il ne se vantait pas à tort de savoir la manier. A ses mots sur son admiration du Capitaine, le Mercenaire hocha vivement la tête, un large sourire aux lèvres : comment aurait-il pu en être autrement ? L'homme, bien que dur et sévère, n'en demeurait pas moins très humain et s'il n'était pas des plus loquaces ou démonstratifs, chacun savait qu'un regard ou une tape sur l'épaule valait mille encouragements.

- C'est le genre qu'on pourrait vraiment suivre n'importe où. On raconte que la Maitresse de Traquemont est un peu dans ce genre-là, très inspirante, ça ne m'étonne pas qu'elle ai réussie à fédérer autant de monde autour d'elle.

Eux n'étaient encore qu'une poignée, mais progressivement leurs rangs finiraient par grossir, dès que de véritables prétendants se présenteraient et qu'ils seraient approuvés par Le Capitaine. Pourtant Finn écouta avec un peu plus de gravité la mention des Fangeux, hochant la tête avec un sérieux presque sombre, alors que son regard brillait plus fortement encore.

- Oui, ils sont très rapides et possède une puissance terrifiante, mais c'est pour ça qu'il vaut mieux se déplacer en groupe si l'on doit les chasser. Quand j'aurais appris à manier la grande épée, je pourrais moi aussi en couper en deux d'un seul coup, mais pour ça il faut déjà que j'arrive à la maitriser.

Ses lèvres s'étirèrent en un léger sourire en coin, tandis qu'il songeait à la façon dont Le Capitaine maniait son arme, espérant sincèrement qu'un jour lui aussi atteindrait une telle vitesse et une telle agilité. Oh bien sûr, avec une épée courte il savait être rapide et efficace, mais c'était le symbole de son supérieur, la grande épée, qui l'attirait inévitablement. Comme un objectif à atteindre, un idéal à concrétiser. S'arrachant à cette pensée -ainsi qu'au souvenir fugace de son père transformé en Fangeux- il reporta sur Ilhanne un regard radoucit.

- Et toi, est-ce qu'il y a quelqu'un que tu admires ?

C'était sans doute indiscret, mais ils n'étaient plus à une confidence près avec tout ce qui était arrivé, tout du moins était-ce ce que le Mercenaire pensait. Et puis il fallait bien faire la conversation, n'est-ce pas ?