Hors de ses gonds [Pv : Viktor ]

 
 
 
 
 
 
 

Viktor avait fini par s'asseoir sur le lit. Il avait même servi un verre d'eau à Astrid, qu'elle tenait entre ses mains sans bouger. Elle n'avait pas particulièrement soif en vérité, son idée de boire quelque chose était surtout destinée à offrir quelque chose à Viktor en remerciement. Astrid attendait plutôt ce qu'il allait répondre au sujet de la soirée qui l'inquiétait, elle pourrait se concentrer là-dessus et penser à autre chose. En plus elle se rendrait utile.

« Ce n’est rien, j’ai oublié à quelques occasions également. C’était il y a douze jours, je suis descendu dans le labourg pour… Et bien boire je suppose. En réalité je n’ai aucune idée de ce pourquoi je suis venu. La dernière chose dont je me rappel c’est le milicien qui m’a demandé si j’allais bien lorsque j’ai voulu rentré sur l’esplanade. Je passerai sous silence les détails de mon retour, c’était une aventure en soit. J’ai même dormi dans la paille, à côté de ma jument. Ce que l’alcool vous fait faire… Enfin bon quand je me suis réveillé il ne me semble pas avoir vu du sang sur mon tabard. »

Il avait l'air de considérer comme la plus grande extravagance l'idée de dormir dans la paille avec son cheval, mais Astrid ne trouvait pas vraiment ça problématique. Ce devait être confortable, il devait y avoir un toit au dessus de leurs têtes, alors pourquoi pas ? Elle se rappela ses voyages, les jours où elle avait dormi par terre à la belle étoile, les jours où elle avait dormi dans sa tente de cartomancie... C'étaient de beaux souvenirs. Mais là n'était pas la question, il s'agissait d'aider Viktor à savoir ce qu'il avait pu faire.
Elle suivit son mouvement et observa le lion noir sur fond rouge qui ornait son tabard. Avec tout ce qui s'était passé, et aussi avec son visage qui attirait le regard il fallait bien se l'avouer, Astrid n'avait même pas fait attention au tabard. Viktor disait ne pas y avoir vu de sang, mais de tout façon sauf s'il y en avait eu directement sur le noir ça semblait compliqué à remarquer. Astrid regretta de ne pas avoir eu de draps rouges et baissa les yeux sur son verre d'eau, feignant d'être en grande réflexion.

« Je n’ai peut-être rien fait mais lorsque je suis rentré je me suis endormi quasiment instantanément et je suis certain d’avoir fait un rêve, un mauvais rêve, mais impossible de m’en souvenir au réveil. Un moyen pour la trinité de me dire que je dois chercher ce qui s’est passé je suppose. »

Énormément de monde venait la voir au sujet de rêves. Elle se souvenait de cet homme qui avait vu en rêve un bateau abandonné près de Marbrume et qui voulait savoir si c'était vrai et s'il pouvait récupérer le trésor qu'il contenait. Il y en avait des dizaines comme ça, au moins une personne par jour qui venait la voir pour se faire tirer les cartes afin de déterminer le message que lui apportait la Trinité. Par déformation professionnelle elle faillit lui demander de raconter ce rêve, prête à chercher des cartes, mais elle se souvint que pour une fois la question n'était pas là. De toute façon il avait dit qu'il ne s'en souvenait pas.
Astrid attendit un instant, alors qu'il s'était tu. Elle s'était attendue à ce qu'il continue, après tout l'histoire ne s'arrêtait pas forcément là, il avait peut-être déjà des indices. Elle, elle avait déjà le souvenir d'avoir entendu parler de lui. Elle cherchait dans sa mémoire toutes les informations, pendant qu'il buvait son verre d'eau.

- Je crois que j'ai entendu parler de vous.

La demoiselle sentit soudainement le regard de son invité se poser sur elle, et elle releva la tête pour l'observer à son tour.

« Je suis… Désolé… »

D'accord. Mais désolé pour quelle raison au juste ? Astrid fronça légèrement les sourcils, et pencha un peu la tête sur le côté, signe à la fois de son incompréhension et de sa réflexion. Il était là, tranquillement en train de boire de l'eau avec elle en discutant, et voilà qu'il s'excusait sans qu'elle ne comprenne à quoi il pouvait bien faire allusion.

- Je vous assure, je ne vois aucune raison pour vous d'être désolé...

Sa voix était douce, comme toujours, c'était ce qui lui avait valu son surnom. Elle voulait rassurer son sauveur, qui avait l'air de se reprocher quelque chose. Instinctivement elle voulut prendre sa main un instant et la serrer doucement, en gage de sa sincérité et aussi en signe de réconfort, mais elle arrêta son geste avant de le mener au bout. Viktor avait un gantelet. Elle le savait bien, il l'avait enlevé puis remis devant elle, lorsqu'ils discutaient près de la porte. La perspective de lui serrer la main pour le rassurer ne lui semblait plus avoir beaucoup de sens dans ces conditions. Elle ramena son bras à elle en rougissant un peu. Elle n'était pas très douée.
Après quelques autres instants de silence gênant, Astrid finit par avoir une idée de ce qui pouvait motiver des excuses. En remontant le long des événements de la journée elle se souvint rapidement de la question gênante que Viktor lui avait posée. Ce pourrait être un motif d'excuse valable, mais Astrid était passée à autre chose. La question avait remué des souvenirs encore douloureux mais elle ne lui en avait pas voulu, et elle s'était efforcée de ne plus y penser. Si c'était ça, la cause de ces excuses, c'était que Viktor devait véritablement s'en vouloir. Mais peut-être parlait-il de tout à fait autre chose ? Là, Astrid n'avait aucune idée.

- C'est à cause de la question de tout à l'heure, c'est ça?

Elle le regarda dans les yeux, timidement, mais avec un air qui se voulait vraiment bienveillant.

- C'est oublié. J'ai bien vu que vous vous inquiétiez pour moi et que vous vouliez m'aider, je ne peux pas vous en vouloir de poser des questions. S'il vous plaît, ne prenez pas la peine de vous excuser pour... Si peu, termina-t-elle un peu moins convaincue, mais sincère tout de même. Après ce que vous avez fait pour moi, vous êtes en droit de me poser beaucoup de questions, je le sais... Allez-y, si vous voulez savoir quelque chose. Répondre est le moins que je puisse faire pour vous remercier.

Elle espérait tout de même que s'il voulait savoir quelque chose sur la veille il saurait faire preuve d'un peu plus de tact, mais elle se sentirait de toute façon plus mal de ne pas accéder à sa demande que de repenser en vain à l'événement sans rien en dire. Et puis au fond, ça lui ferait peut-être du bien d'en parler un peu. Astrid porta l'eau à ses lèvres et en vu doucement une gorgée en attendant la réaction de Viktor.

« Non, je préfère que l’initiative vienne de vous, si jamais vous voulez en parler, sachez que je suis prêt à vous écouter et puis, je suis en droit de vous demander seulement ce que vous me permettez de demander. Vous avoir débarrasser d’un malade ne me donne aucun privilège. Toutefois, vous avez dit avoir entendu parler de moi ? Je suppose que c’était suite à ma nuit passé à boire. Puis-je en savoir plus ? Si vous voulez bien.»

Astrid n'aimait pas trop ça. Elle aurait préféré qu'il lui pose des questions finalement, parce qu'au moins elle aurait eu le contrôle de la situation. Elle aurait sûrement su un peu mieux ce que Viktor pensait d'elle, elle aurait pu se rattraper. Elle aurait pu se préparer aussi. Si jamais il lui posait ses questions plus tard, elle serait certainement prise par surprise et ce serait beaucoup plus difficile. Elle appréciait néanmoins sa délicatesse et sa discrétion. Mais même si parler lui ferait peut-être du bien, elle ne le ferait pas sans y être invitée un peu plus directement. Elle avait déjà le sentiment d'avoir abusé de son attention, et d'avoir trop étalé ses problèmes.
Viktor se leva pour aller poser son verre terminé, avant de se retourner vers la demoiselle toujours assise. Il attendait qu'elle réponde et c'était normal, même si la question n'était pas celle qui était attendue à l'origine.

-Bien sûr ! Ne vous en faîtes pas, ce n'est rien de grave. J'ai juste entendu dire qu'un homme en armure avait trop bu dans une taverne, et fait quelques bêtises. Mais je vous assure, si c'était vous vous n'avez nui à personne. Vous vous êtes un peu ridiculisé, en revanche. Enfin, si c'était vous ! Vous... Voulez des détails ?

Elle le regarda juste une seconde encore, trouvant un peu gênant qu'il reste debout comme ça, sans même s'être resservi. Astrid se releva alors, et lui lança un regard plein de sollicitude. Elle voulait prendre soin de son invité voilà tout, tout comme lui s'inquiétait pour elle.

-Vous désirez quelque chose d'autre à boire ? Ou à manger peut-être ? Ou... Peut-être que je vous dérange ? Je ne voudrais pas vous retenir si jamais vous êtes attendu, j'imagine que vous devez avoir de nombreuses responsabilités...Ou des choses plus importantes à faire, en tout cas. Je comprendrai si c'est le cas.

C'était un noble. Astrid n'avait aucune idée de ce que pouvaient faire des nobles de leurs journées. Même si elle voyait clairement l'orientation martiale qu'affichait Viktor, elle ne savait pas vraiment ce qu'il faisait habituellement. Seulement il était noble, il devait avoir de l'argent, peut-être même des gens à gérer, et il s'agissait de responsabilités. Elle n'oubliait pas non plus à quel point elle pourrait entacher la réputation de Viktor rien que par sa présence à ses côtés, et comprenait tout à fait qu'il puisse vouloir s’éclipser poliment.

-Je suis désolée, je suis vraiment bavarde !

Elle rit un peu, mais c'était un peu forcé. Elle espérait que Viktor ne s'en rendrait pas compte, mais elle avait de toute façon cru comprendre que même en le remarquant il ne lui dirait rien. Il avait l'air trop poli pour ça.

 
 
 
 
 

Viktor voulait qu'elle lui raconte alors soit, elle le ferait. Elle le laissa néanmoins répondre tout d'abord à ses autres questions, pour savoir s'il désirait manger ou boire quelque chose, ou même s'il n'était pas attendu. Elle pourrait toujours lui faire part de ce qu'elle avait entendu autour d'un repas s'il le désirait, ça ne changerait pas grand chose pour elle.

« Si je suis venu c’est parce que je n’ai rien à faire…  De fait rester ici tant que vous aurez besoin de moi reste la chose la plus important que j’ai à faire et rassurez-vous, vous ne me dérangez aucunement. Pour ce qui est de la nourriture, non merci je n’ai pas faim mais ne vous privez pas pour moi, vous voulez peut-être que je descende chercher de la nourriture ? Je préfère une bavarde à quelqu’un de taciturne vous savez, c’est plus facile pour faire la conversation.»

Viktor était décidemment très sympathique, et savoir qu'il n'avait pas à s'en aller tout de suite faisait plaisir à Astrid. Elle ne le connaissait pas beaucoup mais il fallait dire que se trouver à côté de lui suffisait à la faire se sentir en sécurité. Il avait peut-être fait couler le sang de son assaillant précédent, mais il l'avait protégée, elle. Et il souriait.

- Je n'ai pas faim non plus, je vous remercie... En ce qui concerne votre soirée, je vais vous dire ce que je sais mais vous savez, ce sont des bruits qui courent, ils peuvent parfois s'éloigner de la réalité. Apparemment, un homme tout en armure se serait disputé avec une autre personne dans une taverne. Ils voulaient en venir aux mains mais le tenancier les a mis dehors, et l'autre s'est enfui. Alors vous... Si c'était bien vous... Vous auriez voulu le retrouver pour lui régler son compte, et vous vous seriez mis à hurler particulièrement fort dans la rue, jusqu'à ce que quelqu'un descende voir ce qui se passait. Il paraît que quand il est venu vous voir, vous avez subitement changé d'avis en disant que votre adversaire avait sûrement fui pour vous voler pendant que vous n'étiez pas chez vous, et que vous deviez rentrer. J'ai oublié la suite vous m'en trouvez confuse, mais si vous voulez je sais à qui demander plus d'informations.

Astrid était tout à fait sérieuse. Elle entendait beaucoup de rumeurs, mais savait surtout où bien se renseigner par ici. Elle avait l'habitude du Labourg, cela faisait quelques temps qu'elle habitait plus ou moins là, et avait vite compris qui avait les informations les plus fiables dans le coin. Elle pourrait tout à fait en faire profiter Viktor si cela l'intéressait. Il était important pour elle de l'aider autant que possible, et même si elle n'était pas particulièrement enchantée à l'idée de sortir et d'aller demander un service à quelqu'un, elle le ferait volontiers pour Viktor.
Durant sa petite explication, elle avait regardé un peu partout sans fixer son attention quelque part. Ça l'aidait à se rappeler, et c'était également un petit tic. Lorsqu'elle chantait avant, avec la troupe de saltimbanques qui l'avait recueillie, il fallait qu'elle donne l'impression de regarder tout le monde à la fois. C'était resté. Seulement, le regard de Viktor finit par attraper le sien, et ils se regardèrent ainsi jusqu'à ce qu'il reprenne la parole.

« Vous m’avez dit que vous avez perdu votre dague, je pourrai vous en racheter une et vous apprendre à vous en servir si vous voulez. »

Astrid ouvrait de grands yeux ébahis en entendant cette proposition. Elle ne s'y attendait pas le moins du monde, et il s'agissait probablement de l'aide la plus utile qu'on pourrait lui apporter. À vrai dire elle n'avait pas l'habitude que qui ce soit veuille lui rendre service. Comme partout, il fallait avoir quelque chose à échanger, un moyen de faire pression ou de susciter l'intérêt. Viktor ne semblait pas se soucier d'une éventuelle compensation pour le moment.

- Vous feriez ça pour moi ?

Cette proposition rendait Astrid tout à fait enthousiaste, et elle ne s'en cachait pas. Sans se soucier de l'armure de Viktor, elle s'approcha pour le prendre vivement dans ses bras. Seulement elle avait sous-estimé l'inconfort de la situation, et la violence du choc entre ses bleus et la protection métallique à cause de sa précipitation. Elle retira rapidement ses bras après avoir laissé échapper un petit "Aïe". Elle avait les joues toutes rouges, et se demandait comment serait reçue cette marque de reconnaissance plutôt tactile et familière.

- Et... Qu'attendez-vous de moi en échange?

Astrid n'avait pas grand chose à offrir. Sinon, elle ne serait probablement ni cartomancienne ni prostituée. Elle savait néanmoins comment tournait le monde, et ne voulait pas passer pour une profiteuse.

 
 
 
 
 

« On verra pour les embrassades quand vous aurez guéris d’accord ? »

Astrid se sentait plutôt ridicule, mais elle finirait bien par s'en remettre. Néanmoins elle doutait de rencontrer à nouveau Viktor quand elle serait guérie, parce qu'il ne semblait pas fréquenter beaucoup les tavernes et qu'ils n'appartenaient visiblement pas au même monde. Mais peut-être? Elle essayait de se dire qu'elle se souviendrait de cette réponse si jamais l'occasion se présentait. Ce serait une manière de montrer qu'elle n'oubliait pas ce qu'il avait fait pour elle.
Viktor se leva alors, et saisit quelque chose dans son dos. Il tint alors devant lui une dague, serrant la lame et présentant la poignée à la demoiselle. Astrid observait l'objet avec attention. S'il lui en faisant réellement cadeau, ce serait sans aucun doute le plus beau présent qu'elle ait reçu jusque là. Les gens lui faisaient peu de cadeaux, et les beaux objets qu'elle récupérait parfois constituaient davantage un paiement.

« Je peux faire ça pour vous je suppose, vous verrez que ce n’est pas bien compliqué une fois qu’on a compris les bases. Cependant j’ai deux conditions avant de vous donner cette dague ou de vous apprendre quoi que ce soit. »

Elle s'en doutait, c'était pour ça qu'elle avait posé la question. Mais il n'avait toujours pas dit ce qu'il voulait explicitement. Astrid avait légèrement détourné le regard, elle attendait la suite pour savoir si elle pouvait espérer obtenir l'aide que Viktor lui avait proposée. Seulement elle ne se faisait pas d'illusions. Elle n'avait certainement rien qui puisse l'intéresser, c'était une évidence, à part s'il préférait un paiement en nature. Mais ça n'avait pas l'air d'être son genre.

« J’aimerai un sourire, si possible et surtout je veux que ce qui s’est passé hier ne se reproduise plus. Si vous acceptez, seulement la seconde condition est obligatoire à remplir, je vous apprendrai avec grand plaisir. »

Alors c'était une sorte de... Blague ? La cartomancienne sourit sans même avoir à se forcer, en se rendant compte que Viktor n'allait pas exiger d'elle quelque chose qu'elle ne saurait lui donner. Sauf peut-être l'assurance qu'elle ne se ferait plus agresser ainsi, en fait. Elle craignait de ne pas être à la hauteur de l'opportunité qui lui présentait Viktor. Elle ne remplissait peut-être pas les conditions de départ.

- Pour la deuxième condition, je peux vous promettre de faire de mon mieux pour que... Que... Que ça... N'arrive plus. Mais...

Elle prit une grande inspiration, son sourire rétrécit un peu mais resta en place. Elle ne savait même pas vraiment comment terminer cette phrase, elle voulait juste que Viktor se rende compte que tout ne dépendait pas d'elle, qu'elle avait déjà fait de son mieux, qu'elle s'était défendue. Mais elle n'était qu'une brindille, et la bonne volonté ne suffisait que rarement. Elle avait presque l'impression qu'il pensait qu'elle s'était laissée faire et ce n'était pas vrai.

- J'avais déjà fait de mon mieux, hier.

Elle avait une petite voix, elle se sentait presque coupable. Viktor lui tendait une dague qu'elle n'osait même plus prendre. Peut-être qu'elle était indigne de son aide. Elle était déjà indigne de beaucoup de choses.

- Écoutez je... Je ne voudrais pas que vous pensiez que je me suis laissée faire. C'est juste que... Mes efforts n'ont pas suffi.

Elle marqua une courte pause. Il faudrait peut-être qu'elle lui raconte tout, finalement. Elle sentait bien qu'elle prenait trop au sérieux les mots qu'il avait utilisé, qu'il savait bien qu'elle ne subissait pas ça pour le plaisir. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de vouloir clarifier les choses. Elle avait honte de ne pas avoir réussi à se sortir de là, honte de ne pas être plus forte que ça.

-Mais... S'il vous plaît... Même si vous ne me laissez pas la dague, je vous serais infiniement reconnaissante de me montrer certaines choses...

Peut-être qu'en sachant mieux se défendre, elle n'aurait plus ses idées noires qui venaient lui souffler qu'en se laissant faire les coups auraient été moins durs. Elle n'aurait peut-être jamais l'occasion d'apprendre ça une autre fois. Elle passa ses mains sur son visage, il fallait qu'elle se reprenne, Viktor avait mieux à faire que l'entendre chouiner.

- Je suis désolée, je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise à ressasser mes histoires...

Mais là c'était un peu trop. C'était peut-être à cause de la vue prolongée d'une dague, qui lui rappelait les circonstances de la disparition de la sienne, c'était peut-être le fait de parler à demi-mots d'hier, mais Astrid ne se sentait pas très bien.

- Seulement je crois que j'ai besoin de... Raconter ce qui s'est passé à quelqu'un et...

Elle sentait les larmes monter jusqu'à ses yeux mais tentait vaillament de les retenir. Viktor avait demandé un sourire. Il était toujours là, un peu déformé, un peu étrange au milieu d'un visage finalement plein de tristesse. Mais il avait demandé un sourire.


- Et vous êtes là... Alors peut-être que...

Qu'il l'écouterait. Mais elle ne termina pas sa phrase, elle préféra se taire pour s'empêcher de pleurer. Elle aurait préféré sourire e continuer dans l'enthousiasme que la proposition de Viktor avait fait naître chez elle, mais apparemment le choc n'était pas tout à fait passé. Et elle se détestait d'être si fragile.

 
 
 
 
 
 
 

« Je suppose que vous pouvez tout me raconter. Surtout, n’hésitez pas à faire une pause ou arrêter complètement si vous sentez que c’est nécessaire. »

Il lui avait tout de même donné la dague, avec finalement d'autres conditions. Astrid l'avait prise, puis posée délicatement à côté d'elle sur le lit. La tenir par la poignée, frapper avec la lame... Elle avait bien essayé, mais elle manquait de pratique. S'il n'avait pas trop honte de se tenir en sa compagnie une fois qu'il saurait tout de sa condition, elle oserait peut-être lui demander quelques conseils supplémentaires. En attendant elle préférait plutôt tout lui expliquer.

- Je vous en prie, ne me jugez pas trop durement...

Astrid ne faisait rien de vraiment illégal. La cartomancie c'était un peu de l'arnaque mais personne ne pourrait jamais le prouver de manière évidente, c'était un art plus qu'une science et elle avait toujours le droit à l'erreur. De toute façon elle ne faisait pas payer cher. Pour la prostitution... C'était peut-être plus toléré que véritablement légal, mais elle ne causait d'ennuis à personne. L'argent qu'elle gagnait lui permettait de trouver un toit et de se nourrir, principalement. Elle aimerait qu'on ne lui jette pas trop facilement la pierre.

-La journée je suis cartomancienne, mais la nuit...

Le simple fait à séparer ses activités du jour de celles de la nuit semblait être un signal assez clair pour Astrid. De toute façon Viktor avait très certainement déjà compris ce qu'elle pouvait bien faire. Astrid avait presque l'impression que ça sautait aux yeux dés qu'on pouvait la voir. Mais s'il n'avait pas compris il n'allait normalement pas tarder à comprendre.

- Hier soir, il est venu me voir en bas. Il voulait monter avec moi dans une chambre mais j'ai refusé... Il... Il me faisait peur. J'ai dit que je ne travaillais pas ce soir là. Il a insisté.

Astrid essayait de se remémorer clairement les événements. Elle avait une boule en ventre en racontant tout ça. Le véritable but était de se confier à quelqu'un pour une fois, de sentir un moment qu'elle n'était pas seule. Avec cet aveu, Viktor allait probablement devenir sans même s'en rendre compte une des personnes les plus proches d'Astrid. Les gens ne la voyaient généralement pas comme un être humain ordinaire, mais uniquement dans le cadre de ses différentes professions. Qui pourrait bien s'intéresser à la personne derrière tout ça? Personne. Elle espérait simplement qu'en apprenant ses activités Viktor ne se montrerait pas trop dur. Habituellement elle n'en avait pas tout à fait honte : elle faisait ce qu'elle pouvait pour gagner son pain, et vendre son corps n'était sûrement pas le métier le plus pénible. De toute façon à part chanter et danser elle ne savait pas faire grand-chose d'autre. Mais lui, il avait voulu l'aider et apprendre tout ça pourrait lui faire changer d'avis. Ou lui faire penser qu'elle était finalement responsable de son malheur. Ce n'était pas ce qu'elle avait besoin d'entendre.

- J'ai voulu aller m'enfermer dans ma chambre pour qu'il me laisse tranquille, mais il est arrivé tellement vite que j'ai pas réussi à fermer la porte. Alors il est rentré, il m'a poussée sur le lit et il m'a demandé encore... J'ai dit non.

Elle n'osait même plus regarder dans la direction de Viktor. Ses cheveux lui tombaient devant les yeux parce qu'elle avait penché la tête en avant, et elle serrait entre ses doigts son gobelet à moitié vide pour se donner le courage de continuer. Mettre véritablement des mots sur cette mésaventure était difficile mais libérateur, elle ne craignait que la réaction de son interlocuteur. Mais au moins il saurait tout, il n'y aurait pas demi-mensonge ou de petites omissions.

- J'ai voulu m'enfuir, mais j'ai pas réussi. Il a commencé à me frapper, je... J'ai voulu le repousser mais il était plus fort que moi. Il a continué à frapper.

Elle se tut. C'était le passage le plus difficile, celui qui se trouvait encore inscrit dans sa chair. Viktor, prévenant, lui avait dit de ne pas hésiter à faire une pause, la voilà. Pour se donner une contenance elle termina son verre. Mais il fallait bien terminer son récit aussi.

- Je voulais attraper ma dague dans la table de chevet, il en a profité pour me frapper dans le dos. J'ai cru que j'allais mourir.

Astrid se souvenait très nettement d'avoir eu le souffle coupé sous ses coups, ajouté à l'angoisse terrible de ne plus l'avoir dans son champ de vision. Elle avait cru qu'elle allait mourir, qu'il était armé et qu'il allait la poignarder. Elle pleura un peu en silence, laissant juste quelques gouttes glisser sur ses joues, mais pour le moment son invité ne s'en apercevait sûrement pas, parce que ses cheveux la maintenaient cachée. C'était elle qui portait un masque à présent.

- Quand j'ai attrapé la dague j'ai voulu... D'abord je l'ai menacé, mais il a ri. Alors j'ai voulu frapper avec, mais il a bougé alors... Je l'ai juste coupé. Il s'est mis à saigner, je crois qu'il avait même pas mal. J'ai recommencé mais j'ai jamais vraiment réussi. Il a juste saigné un peu plus.

Elle se souvenait de ce sentiment horrible d'impuissance et de cette sensation malsaine de sentir son sang couler sur elle et sur les draps. Ce n'était pas des coupures très profondes. À l'heure qu'il est il ne devait pas se sentir plus mal qu'après une chute de cheval dans les ronces. Mais Astrid se souviendrait longtemps de ce qu'elle avait sentit à se moment là. Et lorsqu'elle s'était débattue, elle avait étalé encore un peu plus le sang sur le lit.

- Après, il m'a frappée dans le ventre, et il a serré tellement fort mon poignet que j'ai lâché la dague. Il m'a dit quelque chose que j'ai pas compris, je l'ai vu prendre la dague, et après... Je ne sais plus. Je me souviens pas. Quand je me suis réveillée ce matin j'étais toute seule dans le lit. Il a dû partir. J'ai regardé partout, j'avais pas de trace de blessure qui aurait pu saigner, comme avec une dague... Je me suis enfermée et... Vous connaissez la suite.

Elle aurait aimé se taire longtemps, attendre ce que Viktor avait à lui dire maintenant, mais il y avait encore une dernière chose qu'elle voulait lui dire. Elle avait conscience de ne pas être un modèle en ce qui concernait la vertu, elle savait qu'elle ne pouvait pas s'attendre à ce qu'un noble accepte de l'aider sans craindre pour sa réputation.

- Je sais que ma compagnie ne peut que ternir votre réputation. Je n'ai pas osé vous le dire vraiment auparavant veuillez me pardonner... Mais je vous assure que je sais me taire, et que je ne vous remercierai jamais par un affront ou par la honte.

Ne pas la juger trop durement ? Que voulait-elle dire ? Pourquoi est-ce que Viktor la jugerait, de toute façon il ne savait pas vraiment si il pouvait juger quiconque. De toute façon il y avait peu de chance qu’elle ait fait quelque chose de bien incroyable qui lui valle l’ire du chevalier. Un vol peut-être et encore il préférait attendre d’en connaître le contexte. Elle avait deux travails, rien de bien spécial de nos jours, si il fallait ça pour pouvoir manger trois fois par jours. Il n’avait pas compris ce qu’Astrid essayait de lui dire, qu’elle était une prostituée, du moins il ne voulait pas comprendre.
 
Cependant il comprit lorsqu’elle expliqua comment tout avait commencé avec le malade de ce matin. C’était une prostituée. Viktor ne savait pas vraiment comment réagir. Il n’en avait jamais fréquenté, il regarda Astrid étrangement, heureusement qu’elle était trop absorbée par son récit pour s’en rendre compte. Le chevalier hésita quelques secondes à poser sa main sur son épaule pour la réconforter, il se demandait si elle avait des marques sur les épaules. Qui pouvait bien frapper les épaules de toute façon ? C’était peu probable qu’il lui fasse mal de toute façon. Il retira cette fois-ci ses deux gantelets et lui posa sa main droite sur l’épaule. Il allait parler, dire quelque chose pour tenter de la réconforter mais se tut, c’était mieux ainsi pensa-t-il. Finalement il regrettait de l’avoir laissé partir, et d’avoir donné seulement un seul coup.
 
Doucement, aussi lentement qu’il pouvait, pour éviter de lui faire mal, Viktor la pris dans ses bras. Il se rappela ensuite que le froid de la cote de maille pouvait être désagréable au contact. Encore que, ça ferait peut-être du bien pour les bleues. De sa main libre il retira l’étui dans lequel était rangée la dague d’habitude. Sur le cuir était dessiné un lion comme sur le tabard que portait le noble. Ce dernier se demandait bien pourquoi la jeune femme ne portait pas constamment son arme sur elle, ça lui aurait peut-être évité de tourner le dos à son adversaire. Deux erreurs qui auraient pu lui coûter la vie, heureusement que ce n’était pas l’objectif de son assaillant. L’étui encore dans sa main gauche Viktor le posa sur les genoux d’Astrid lorsqu’elle eut arrêté de parler.
 

«D’ailleurs mon autre proposition tiens toujours, si vous voulez que retrouve l’homme qui vous  a fait ça, je peux m’assurer qu’il ne recommence plus. J’allais oublier de vous donner ceci. Une chose importante à partir de maintenant, portez toujours cette dague, ça vous évitera de tourner le dos à votre adversaire. Profitez de l’effet de surprise, c’est votre plus grand avantage. Une autre chose, si vous avez en avez besoin, montrez mon emblème aux miliciens à la porte de l’esplanade, ils vous laisseront passer, mon manoir n’est plus très loin une fois que vous êtes passé. Pour ce qui est de ma réputation, ne vous inquiétez pas, après ce que j’ai fait le soir où j’ai bu… Un peu plus ou un peu moins… Si vous l’estimez nécessaire, je peux revenir. Au cas où l’autre malade reviendrait, seul ou avec des amis à lui.»

Astrid entendit un bruit métallique. Sans tourner la tête, elle essaya de regarder sur le côté pour voir ce que pouvait bien faire Viktor. Elle ne vit rien, avec ses cheveux, à part un petit éclat brillant. Finalement, elle sentit une main sur son épaule. Elle sursauta. Elle ne s'y attendait pas, et les événements la rendaient plutôt méfiante ou apeurée. Alors, elle releva enfin la tête pour tourner son visage vers Viktor. Il était gentil. Et puis, c'était elle qui l'avait pris dans ses bras à l'origine alors...
Elle sentit qu'il l'attirait tout doucement contre lui, et elle se laissa faire. Astrid n'était pas contre un peu de réconfort après l'effort que lui avait demandé son récit.
C'était... Froid. Pas nécessairement désagréable, mais plutôt inattendu pour quelqu'un qui comme Astrid avait largement plus l'habitude de chaudes étreintes. Elle tenait rarement contre elle quelqu'un qui portait une cotte de maille. La demoiselle posa doucement sa tête contre l'épaule de Viktor. Elle aurait bien refermé avec attention ses bras autour de lui, pour le tenir vraiment dans ses bras, mais il semblait faire quelque chose avec son autre main. Mais quoi ?
Il posa un fourreau sur ses genoux. Il était vraiment beau, avec une tête de lion qui rappelait le tabard de son propriétaire.

«D’ailleurs mon autre proposition tiens toujours, si vous voulez que retrouve l’homme qui vous  a fait ça, je peux m’assurer qu’il ne recommence plus. J’allais oublier de vous donner ceci. Une chose importante à partir de maintenant, portez toujours cette dague, ça vous évitera de tourner le dos à votre adversaire. Profitez de l’effet de surprise, c’est votre plus grand avantage. Une autre chose, si vous avez en avez besoin, montrez mon emblème aux miliciens à la porte de l’esplanade, ils vous laisseront passer, mon manoir n’est plus très loin une fois que vous êtes passé. Pour ce qui est de ma réputation, ne vous inquiétez pas, après ce que j’ai fait le soir où j’ai bu… Un peu plus ou un peu moins… Si vous l’estimez nécessaire, je peux revenir. Au cas où l’autre malade reviendrait, seul ou avec des amis à lui.»

Elle aurait bien aimé lui expliquer que personne n'avait envie de s'intéresser à une prostituée qui semblait armée. Elle ne gagnerait pas son pain comme ça, les hommes préféraient souvent le côté demoiselle en détresse. Ça pouvait lui apporter des ennuis mais aussi de l'argent. Elle n'était pas sûre de pouvoir promettre qu'elle la porterait tout le temps. Et puis, cette dague et ce fourreau étaient si beaux... Astrid avait presque plus peur de les abîmer que de s'en servir. Surtout qu'apparemment ce serait aussi un genre de laisser-passer... Elle avait l'impression de tenir un objet presque divin entre ses doigts.

-Je ne veux pas vous créer de problèmes, je ne peux pas vous demander de... Rester mêlé à cette histoire. Je vais déménager. Je vais trouver une autre auberge, je... Je vais me débrouiller. Je me débrouille toujours...

Elle essayait toujours de se persuader elle-même en parlant, comme une prophétie auto-réalisatrice. C'était une habitude, un moyen de se donner du courage comme un autre. Astrid n'avait pas bougé d'un millimètre, maintenant qu'elle était bien calée contre lui et que ça ne lui faisait pas mal. Sa présence était rassurante. En plus, sans son casque et sans ses gantelets, il l'air un peu moins distant et un peu plus... Humain.

-J'ai bien conscience que je ne pourrai jamais vous remercier assez pour ce que vous faîtes pour moi. Mais si jamais je peux vous être d'une quelconque utilité, n'hésitez surtout pas. Je sais que mes capacités sont... Limitées, mais j'insiste. On ne sait jamais.

Astrid elle-même ne voyait pas forcément en quoi elle pourrait être utile, mais au moins elle avait fait part de sa bonne volonté à Viktor. Une occasion inattendue se présenterait peut-être un jour, qui sait ? Elle ne savait peut-être que lire l'avenir dans ses cartes, chanter, danser... Mais ça pourrait peut-être servir un jour à Viktor, même si c'était hautement improbable.

-Ne craignez rien de plus contre votre réputation, je n'aurai pas l'audace de vous rendre visite. En revanche... J'ai l'audace de vous demander un petit renseignement... A vrai dire, je ne sais pas où je vais m'installer pour le moment. Connaîtriez-vous une auberge où je pourrais m'établir ? Peut-être un endroit... Plus sûr ? Mais... Pas trop loin... Ah, j'oubliais que vous ne descendez pas vraiment par ici... Ce n'est pas grave, je trouverai.

Astrid avait pensé à voix haute, sa parole avait dépassé sa pensée même si ce n'était pas très grave.

-J'aimerais vous poser une véritable question, dit-elle doucement en redressant sa tête. Mais ce serait déplacé.

 
 
 
 
 
 
 

« Je ne vous laisserai pas en attendant vous ayez trouvé un autre endroit. On va bien trouver quelque chose de convenable. »

 Viktor était tellement gentil qu'Astrid ne pouvait pas s'empêcher de se demander pourquoi ça lui tenait tant à coeur. À chaque fois qu'elle évoquait l'idée de lui rendre la pareille il lui répondait qu'elle n'avait rien à faire pour lui ou inventait des conditions presque dérisoires. Les personnes aussi bienveillantes étaient très rares, elle avait beaucoup de chance d'être tombé sur lui. Elle lui aurait bien répondu que son nouvel hébergement ne devait pas être trop convenable non plus, sinon elle aurait des difficultés à y exercer sa profession nocturne, mais elle ne dit rien. De toute façon ce serait surtout les prix qui décideraient de sa nouvelle affectation.

« Vous n’avez pas à vous sentir redevable, ce que j’ai fait rentre dans mon code de conduite, on peut dire que c’est un peu mon travail. Par contre je me dois d’insister, si vous vous sentez en danger n’hésitez pas à venir dans mon manoir, je n’y serai peut-être pas mais au moins vous serez en sécurité et je pourrai vous aider à mon retour. Cela dit n’hésitez pas non plus à venir si vous voulez me voir ne serait-ce que pour discuter. Quant à votre question, non je ne sais pas mais je peux aller chercher si vous ne voulez pas descendre. Il doit bien y avoir un endroit meilleur qu’ici. Après tout ce n’est pas la seule auberge du quartier, enfin je suppose. »

Astrid sourit, mais elle était déterminée à ne pas se laisser faire sur un point: elle était redevable envers Viktor qu'il le veuille ou non. Quant à venir lui rendre visite... Il était la première personne depuis son arrivée à Marbrume à lui proposer de venir le voir juste pour discuter. Elle ne savait pas trop quelle attitude adopter. Elle aurait probablement peur de le déranger, et d'ailleurs peut-être qu'il ne disait cela que par politesse et qu'il serait plus gêné qu'autre chose en la voyant devant sa porte. Astrid y réfléchirait sûrement plus tard, mais pour le moment il valait mieux que son sauveur ne compte pas trop sur une visite à l'improviste de sa part.

- Alors, considérez s'il vous plaît qu'il fait partie de mon code de conduite de rendre service à mon tour à quelqu'un qui m'a aidé. Vous pouvez me répéter encore longtemps que je ne vous dois rien, je vous promets que je peux être très obstinée sur certains points.


Mais il y avait aussi cette question, celle qu'elle aimerait bien poser depuis quelques temps mais qu'elle n'osait pas formuler parce que le sujet semblait relativement sensible. Elle préférait demander implicitement l'autorisation, et en même temps prévenir son interlocuteur du caractère indiscret de ce qui lui serait demander. Mais à dire vrai Astrid regrettait déjà un peu avant même d'avoir posé sa question. Elle se doutait au fond qu'il n'allait pas lui afficher un " non " clair et direct sans même savoir de quoi il retournait. Elle abusait de la politesse de Viktor.

« Allez-y, après toutes les questions que je vous ai posé il est naturel que vous vouliez que je réponde à mon tour. Je vous écoute. »

 Elle ne trouvait pas qu'il ait été si curieux que ça à son sujet, à part peut-être un peu au début. Il avait surtout su l'écouter et la soutenir, ce qui rendait l'idée de le mettre mal à l'aise même par accident absolument désagréable. Mais maintenant il était trop tard, ou alors elle devait changer de question avant qu'il ne s'aperçoive de quoi que ce soit.

- Surtout, n'hésitez pas à faire comme si vous n'aviez rien entendu si la question vous dérange, commença Astrid.

Elle avait un peu de mal à se lancer, elle craignait vraiment de le gêner, mais elle aurait dû penser à cela bien plus tôt.

- Qu'est-il arrivé à votre visage ? C'est... une maladie ? Est-ce que ça vous fait mal...?

Elle n'avait même pas su museler sa curiosité et voilà que Viktor risquait de se sentir comme une bête de foire. Astrid baissa les yeux, un peu honteuse de présenter si mal les choses, et de ne pas résister à sa curiosité mal placée.

- Excusez moi, je sais que ces questions sont déplacées et je ne voudrais pas que vous vous sentiez mal à l'aise... Il n'y a pas de mal si vous ne souhaitez pas répondre.

Elle releva doucement son regard, et plongea ses yeux dans ceux de Viktor qui avaient vraiment une jolie couleur. Astrid ne savait pas trop s'il était convenable de le lui dire ou si elle ne ferait qu'augmenter sa probable gêne. Après tout, il risquait d'interpréter ça comme une technique de séduction alors qu'il n'y avait là aucune arrière-pensée, et s'il y avait une madame Sorro elle risquait de peu apprécier.