Hors de ses gonds [Pv : Viktor ]

Astrid ne pouvait pas ignorer le soupir qu'avait poussé Viktor. Elle se sentait vraiment stupide d'avoir voulu rassasier sa curiosité ainsi, alors qu'il avait été charmant avec elle. À ce stade elle préférerait encore qu'il ne réponde pas, elle trouverait autre chose à dire et ce moment gênant pourrait être vite oublié. Mais elle avait posé cette question ridicule, et même plutôt ces questions ridicules, et Viktor était prêt à lui répondre.

« Oui ça me viens d’une maladie. »

Astrid, toujours contre lui ou du moins sa cotte de maille, le regardait. Il avait fermé les yeux, comme elle un peu plus tôt, et elle se souvenait encore très bien de ce qu'elle avait pu ressentir lorsqu'elle avait fait ça.

« Non ça ne me fait pas mal, du moins plus maintenant. Enfin pas physiquement. »

Astrid hésitait à s'éloigner et se rasseoir un peu plus loin. Peut-être que Viktor préférerait qu'elle le laisse tranquille après cette incursion déplacée dans sa vie privée. Ou peut-être qu'il préférerait qu'elle reste là? À vrai dire elle n'en savait rien du tout. Ce qu'elle savait c'était qu'elle était trop curieuse, mais que la vue du visage de Viktor était loin de la déranger. Ce n'était probablement pas le moment de s'éloigner, il risquerait de se sentir encore plus mal et elle ne voulait empirer la situation. C'était déjà de sa faute.

- Je suis désolée. J'ai préféré poser la question parce que... Parce que je suis une sale garce trop curieuse.

Elle se tourna doucement, de manière à ne pas se faire mal, et finit par serrer véritablement Viktor dans ses bras. Elle n'avait pas l'impression de le déranger alors qu'il voudrait bouger, à ce moment là.

- Vous méritez mieux que des questions idiotes et déplacées. Je me doute que... Comment dire ? Vous devez en avoir assez. Mais je veux vous dire une chose. Vous avez de beaux yeux. Et croyez-moi, ça fait longtemps que je l'ai remarqué...

Astrid essayait de lui faire comprendre qu'elle ne s'était pas laissée obnubiler par les traces de maladie qu'il avait sur le visage, à qu'elle n'était certainement pas la seule d'ailleurs. Et c'était vrai. Elle se demandait simplement si c'était à cause des autres qu'il portait ce casque, ou s'il avait fini par en avoir honte lui-même. La deuxième option était bien plus inquiétante mais bien moins avouable. Et Astrid ne la lui poserait jamais, cette question là.

-Je ne peux pas et ne veux pas vous dire quoi faire, ce serait ridicule. Mais si je pouvais vous conseiller une chose, ou vous encourager à faire quelque chose ce serait... Ne laissez pas les gens vous faire souffrir pour rien. Et la prochaine fois qu'une imbécile comme moi vous embête... Dites-vous que les traces sont simplement ailleurs que sur son visage, et qu'elles sont sûrement bien plus laides.

Astrid savait qu'elle avait eu de la chance en un sens, parce qu'elle était jolie et que cet atout lui servait beaucoup dans sa vie de tous les jours. Elle savait qu'elle était bien mal placée pour donner des conseils sur la manière de vivre sa "différence", elle qui correspondait aux standards classiques de la beauté d'une demoiselle. Elle espérait juste que Viktor ne croirait pas qu'elle se moquait de lui à cause de ça, parce qu'elle était sincère.
Elle finit par relâcher son étreinte et se redresser, en guettant une réaction de sa part.

De tout son cœur il aurait préféré pouvoir parler de ses marques sans pour autant mettre les gens autour de lui mal à l’aise mais il ne pouvait pas, c’était au-dessus de ses forces. Il espérait cependant qu’Astrid ne se sente pas coupable, elle n’y était pour rien si il avait du mal à aborder le sujet. Il préférait se dire que c’est seulement si il en parlait que ça irait mieux, que se cacher n’était pas pour lui, plus pour lui. C’était à lui de changer, malgré la douleur que ça pouvait engendrer.

« Non, vous avez bien le droit de savoir, depuis le temps que je les ai ça ne devrait plus me poser problème et pourtant… Bah… C’est bien le temps de changer. »

Lorsqu’Astrid serra Viktor contre elle il passa sa main dans les cheveux de la jeune femme sans même penser que ça pouvait être un peu déplacé. Tant pis, maintenant que c’était fait il comprenait d’avantage pourquoi on la surnommait la douce. Le compliment sur ses yeux était gentil, il ne savait pas si elle le pensait ou pas mais ça faisait quand même plaisir, d’habitude les gens s’arrêtaient à ses cicatrices.

« Merci, vos yeux ne sont pas mal non plus. Vous savez, ne pas laisser les autres me faire souffrir pour rien est bien plus facile à dire qu’à faire. Le problème c’est que bien souvent c’est mon idée de ce que pensent les gens qui me fait mal et pas forcément ce qu’ils pensent réellement.»

Viktor ne savait même pas pourquoi il lui racontait tout ça, il ne l’avait fait à personne auparavant et de toute façon personne ne s’en préoccupait. Etrangement Astrid était plus proche de lui que… Toutes les personnes qu’il connaissait actuellement. Le chevalier se leva et regarda Astrid.

« On devrait peut-être aller chercher cet auberge, avant qu’elles soient toutes pleines »

C’était une tentative bien maladroite pour changer de sujet mais il ne se sentait pas de continuer à parler de lui. Si il pouvait se rendre utile un peu plus alors autant en profiter. Etant donné qu’il n’avait absolument aucune idée de quelle heure il était, ils pouvaient bien avoir passé des heures à parler.

« Merci, vos yeux ne sont pas mal non plus. Vous savez, ne pas laisser les autres me faire souffrir pour rien est bien plus facile à dire qu’à faire. Le problème c’est que bien souvent c’est mon idée de ce que pensent les gens qui me fait mal et pas forcément ce qu’ils pensent réellement.»

Viktor lui faisait vraiment de la peine. Astrid avait bien du mal à comprendre comment il pouvait se montrer si gentil envers les autres alors qu'il craignait leur jugement. Du moins, vu comme il était gentil avec elle, elle s'imaginait qu'il devait être ainsi avec à peu près tout le monde. Elle ne savait pas ce qu'elle aurait pu ajouter, et de toute façon elle préférait se taire. La demoiselle connaissait la valeur de ce genre de confession, et elle savait pertinemment que parfois il n'y avait vraiment rien à dire. Viktor finit par se lever, mettant ainsi un terme à la séance de questions dans l'un ou l'autre sens. Ce n'était pas plus mal.

« On devrait peut-être aller chercher cet auberge, avant qu’elles soient toutes pleines »

C'était une excellente idée. Astrid avait fini par se dire qu'elle demanderait à l'aubergiste de lui changer de chambre pour cette nuit et partir le lendemain, mais il valait mieux prendre le large tout de suite, Viktor avait raison. La cartomancienne se leva du lit, remit sa robe en place comme si ça avait une grande importance, et se décida à se bouger un peu.

-Vous avez raison. Je vais... Réunir mes affaires, comme ça il ne sera pas nécessaire de revenir ici.

Avec méthode, Astrid prépara ses affaires. Elle ne possédait de toute façon pas grand chose, et rien de volumineux. De plus elle voyageait depuis son plus jeune âge, et son efficacité sautait aux yeux, même quand elle faisait attention à ses mouvements pour ne pas se faire mal. Ses vêtements, ses quelques bijoux, ses cartes, de quoi se coiffer. Elle mit à sa ceinture la dague que Viktor lui avait offerte, avant de lui lancer un sourire. Tout était prêt en moins de cinq minutes. L'inventaire de ses possessions faisait un peu pitié, mais en y réfléchissant bien Astrid n'avait pas besoin de grand-chose d'autre. Elle pourrait vouloir beaucoup d'autres objets, elle trouverait sans peine où dépenser son argent, mais elle avait de quoi se vêtir, de quoi travailler, de quoi manger en règle générale, et maintenant de quoi se défendre. Elle n'avait plus qu'à se préoccuper d'un toit. Son baluchon fut vite prêt.

-Je suis prête.

Elle le regarda dans les yeux, après avoir enfilé sa cape pour se cacher les bras et pour ne pas avoir froid, sans douter une seule seconde de l'utilité la plus importante entre les deux.

-Vous êtes sûr que vous avez encore du temps à perdre pour m'accompagner ? En tout cas... Si vous pouviez descendre la carafe et les gobelets s'il vous plaît, ça m'aiderait beaucoup, je vais avoir les mains un peu prises avec mes affaires...

Astrid vérifia qu'elle avait bien sa bourse avec elle, et en vérifia le contenu également. C'était peu. Mais le quartier n'était pas le plus huppé de la ville, elle devrait pouvoir payer pour quelques jours. Le temps de se refaire, comme on dit.

Viktor regarda Astrid réunir ses affaires pendant quelques secondes, il avait pensé à sortir pendant qu’elle était occupé pour aller voir l’aubergiste et lui demander l’argent qu’elle avait payé d’avance mais la jeune femme mit beaucoup moins longtemps que ce à quoi il s’était attendu, l’habitude de la noblesse sans doute. Durant le temps qu’il passa à l’observer il se remarqua que ses gestes étaient précis, rapides, visiblement elle avait l’habitude de regrouper ses possessions. Il se demanda si ce n’était pas la première fois qu’elle devait changer de lieu de vie à cause d’un de ses… clients. Il haussa les épaules puis remit ses gantelets, il prit son casque dans ses mains et le regarda quelques secondes. Devait-il le mettre ou le garder sous son bras ? Il n’avait plus vraiment envie de descendre sans maintenant mais peut-être que voir son visage intimiderait d’avantage le tenancier. Cependant l’inverse pouvait être soutenu également, pas voir le visage de la personne à qui l’on parle n’aidait pas. Il se retourna pour voir où Astrid en était et elle avait terminé. Elle avait raison il fallait débarrasser, il s’était presque attendu à ce que des serviteurs le fasse à sa place mais non, pas ici, pas dans ce quartier.

« Oui j’en suis certain, j’ai tout mon temps en vérité. »

Finalement il décida de mettre son casque sur sa tête, ça serait plus simple comme ça, au moins pour lui. De toute façon il allait avoir du mal pour porter la carafe et les gobelets ainsi que son casque sans que ce soit inconfortable. Il fit ensuite un tour de la pièce pour vérifier qu’ils n’avaient rien oublié puis se dirigea vers la porte.

« Bien, nous pouvons y aller. »

Sans attendre de réponse il sortit de la chambre et se dirigea vers les escaliers. Il les descendit lentement pour vérifier où en était la salle, si elle était remplie ou non. Visiblement du monde était venu se rajouter, une bonne chose que le chevalier portait son casque finalement. Il ne fit pas attention aux clients, les ignorer était bien plus facile avec son casque sur la tête. Viktor posa ce qu’il avait dans les mains directement sur le comptoir. L’aubergiste approcha et Viktor en profita pour l’interpeler.

« J’ai appris qu’une amie à moi vous a payé d’avance pour sa chambre. Il se trouve que finalement, elle va bouger. J’aimerai bien que tu lui rendes l’argent qu’elle t’a passé, tu peux refuser bien évidement mais, ça va m’énerver et je peux devenir violent lorsque je suis énervé. »

Au fur et à mesure qu’il parlait sa voix se faisait plus sombre, plus menaçante. Le chevalier s’était accoudé au comptoir avec son bras gauche tandis que sa main droite était posé sur la poignée de son épée.

Lorsqu'Astrid avait demandé à Viktor s'il était prêt, et s'il pouvait l'aider en débarrassant la table de chevet, il avait déjà remis ses gantelets. Elle le regarda enfiler son casque puis faire le tour de la chambre en silence. Elle n'aimerait pas porter un casque. Astrid se disait qu'il devait avoir chaud, que sa vision devait être entravée, et qu'il devait entendre moins bien. À vrai dire elle n'en savait trop rien, elle n'avait pas le souvenir d'avoir porté ce genre de chose auparavant. Mais égoïstement, elle se disait qu'elle n'apprécierait pas. Du moins, tant qu'un ennemi ne voudrait pas lui abattre une arme sur le crâne, elle se voyait mal avec ce genre d'équipement.

« Bien, nous pouvons y aller. »

Viktor ne lança pas un regard en arrière une fois qu'il eut dit cela. Il sortit de la pièce, alors qu'Astrid prenait son baluchon dans ses bras. Elle n'avait rien pour le tenir d'une autre manière. Même si on ne pouvait pas dire que son invité descendait rapidement, il descendait toujours plus vite que la demoiselle qui veillait à ne rien faire tomber et qui peinait un peu à bien voir les marches de l'escalier. Astrid ne lança pas un seul regard vers la salle, le bruit lui suffisait pour se dire que c'était une journée comme toutes les autres. Lorsqu'elle arriva en bas, Viktor était au comptoir. Il avait déjà déposé la carafe et les gobelets, mais semblait prêt à discuter avec le tenancier. Elle s'approcha pour entendre le sujet de cette discussion.

« J’ai appris qu’une amie à moi vous a payé d’avance pour sa chambre. Il se trouve que finalement, elle va bouger. J’aimerai bien que tu lui rendes l’argent qu’elle t’a passé, tu peux refuser bien évidement mais, ça va m’énerver et je peux devenir violent lorsque je suis énervé. »

Astrid n'avait jamais donné son accord pour une telle opération. Évidemment elle souhaitait récupérer son argent, qui ne l'aurait pas voulu ? Mais elle n'avait pas envie de se rajouter des ennuis à ceux qu'elle avait déjà. Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle serait simplement sortie sans se retourner et aurait évité de remettre les pieds ici. Elle avait envie de mettre une main sur l'épaule de Viktor, de lui demander de laisser tomber et de la suivre. Mais elle ne fit rien. Déjà parce que ses mains étaient prises, mais aussi parce qu'elle avait vu qu'il avait déjà la main sur la poignée de son épée. Il avait l'air décidé à ne pas repartir les mains vides.
Le tenancier quant à lui ne semblait pas surpris. Même si le remboursement ne faisait pas partie de sa politique commerciale, le chevalier n'était pas le premier à essayer. Il se disait que l'épée c'était du bluff, que personne n'oserait vraiment s'en prendre à lui dans son établissement, et qu'en plus avec l'armure ce type ne ressemblait pas du tout aux caïds du coin. Mais cet homme le tutoyait, et déjà ça ça ne lui plaisait pas trop.

- Ce n'est pas la peine de t'énerver, commença-t-il en insistant sur le "t'". Je ne rembourse jamais ceux qui partent avant la date, c'est tout.

Il tourna la tête vers Astrid. Depuis le temps qu'elle dormait ici, il ne la connaissait pas vraiment. Elle lui avait rapporté un peu plus d'argent, avec tous les plats et tous les verres que certains avaient voulu lui offrir. Mais il n'avait l'intention de faire une exception.

- Tu devrais le savoir, Astrid.

Elle le savait très bien, mais ce n'était pas son idée de venir déranger l'aubergiste. Elle se contentait de fuir son regard, laissant Viktor gérer la situation.

- Me menacer mènera à rien. Tu vas quand même pas me frapper devant tous les clients, chez moi ? La milice viendra, et t'auras de graves ennuis. Aller, emmène la où tu veux, monte ton propre bordel avec si ça t'amuses, mais dégage de là. C'est pas moi qui vais vous financer.

Le petit sourire du tenancier avait disparu. Il avait lâché ce qu'il était en train d'astiquer avec son chiffon et avait maintenant les deux mains sur le comptoir. Il avait l'air décidé à ne pas à laisser impressionner et pour cause ! Il avait de l'expérience. Il savait qu'il ne fallait pas flancher, au risque de se faire marcher dessus par tout le monde ensuite. Astrid, elle, était devenue rouge de honte à la mention du bordel, et ne semblait pas aussi décidée que Viktor.

Viktor n’était pas vraiment le genre de noble à orgueilleux mais tout de même, un roturier n’avait aucun droit de lui parler comme ça. Après tout ils n’avaient pas le même sang dans les veines, l’un était plus bleu que l’autre et c’était bien ce qui faisait toute la différence.

« Tu ne rembourses jamais ? Et bien c’est le moment de commencer, il y a une première fois à tout, sinon tu n’auras plus l’occasion de faire quoi que ce soit. »

Viktor se retourna quand il interpella Astrid, il ne s’était pas attendu à ce qu’elle soit descendue aussi vite avec toutes ses affaires. Il aurait préféré qu’elle n’assiste pas à ça mais maintenant il ne pouvait plus reculer. Il devait récupérer son argent. Le chevalier se retourna en direction de l’aubergiste. De plus il n’avait jamais rencontré quiconque sur qui les menaces n’avaient aucun effet, que ce soit celui escompté ou non d’ailleurs. Viktor savait au moins une chose, c’était que le tenancier commençait à l’énerver et qu’il ne tolérerait pas qu’on lui parle ainsi. Il se redressa et chercha avec sa main gauche la dague qu’il avait dans le dos il n’y a pas si longtemps avant de se rappeler qu’il l’avait donné à Astrid, les habitudes ont la vie dure il semblerait. Il se racla la gorge et deux secondes plus tard attrapa l’aubergiste par le col de sa chemise et le tira vers lui, son visage touchant presque le métal froid de son heaume.

« Maintenant je te conseil deux choses, rembourser Astrid et retirer ce que tu as dit. Et vite. »

Plongeant son regard dans celui de l’homme en face de lui le chevalier serra le tissu dans ses mains encore plus fort, s’attendant presque à ce qu’il se déchire.

« Il n’y a absolument rien qui m’empêche de te frapper, qui viendra te défendre ? Tes clients ? Ils n’ont même pas tenté d’aider une femme. Pour ce qui est de la milice, je ne pense pas avoir de soucis à me faire, les miliciens qui patrouillent le Labourg sont rare et puis ils n’iraient pas causer de problèmes à un noble. »

Il préférait éviter de rajouter que si le duc leur ordonnait ils le feraient avec plaisir et que de toute façon, la milice s’était déjà attaqué à la noblesse en quelques occasions mais ça ne l’aurait pas vraiment aidé.

« Est-ce que tu connais un milicien qui serait assez rapide pour rentrer, dégainer sa lame, franchir la distance qui me sépare de la porte et parer mon épée avant qu’elle ne te transperce ? Moi non. »

Viktor relâcha ensuite la chemise qui avait souffert ce qui fit presque tomber son propriétaire. Le chevalier était là pour récupérer l’argent d’Astrid et il ne comptait pas partir sans. Il fit un pas en arrière et se mit en posture de combat, les jambes légèrement écartées, un peu de profil par rapport à sa cible, sa main sur la poignée de son épée, prêt à dégainer et porter un coup en un seul mouvement. Si l’aubergiste ne comptait pas rembourser la jeune femme, il allait en subir les conséquences. Viktor n’avait pas l’intention de le tuer mais préférait que l’homme en face de lui le pense. Il regarda sur les côtés mais la clientèle semblait ne pas bouger, de toute façon ils ne s’attaqueraient probablement pas à lui. Il espérait du moins que si jamais ils le faisaient, ça serait après que le chevalier se soit débarrassé de l’aubergiste. Lentement, il se mit à ralentir sa respiration pour la contrôler plus facilement et se concentrer sur le possible affrontement.

« Je te laisse trois secondes, que les dieux en soient témoins, pour la rembourser et retirer ce que tu as dit…» Puis il se mit à compter « … Trois... »

Il espérait qu’il n’aurait pas à aller jusqu’à là mais si nécessaire, il s’était déjà préparé à frapper, il doutait que l’aubergiste soit assez rapide ou qu’il ait même les réflexes nécessaire pour esquiver mais même si il y arrivait Viktor n’aurait qu’à passer par-dessus le comptoir.

Astrid était probablement bien plus impressionnée par les menaces de Viktor que le tenancier. Le chevalier, après s'être raclé la gorge comme s'il allait parler, s'était finalement rapproché du comptoir et avait saisi l'aubergiste par le col. Ils étaient si proches l'un de l'autre que de loin, on aurait pu croire qu'ils allaient s'embrasser. Heureusement ou malheureusement, allez savoir, ce n'était pas tellement l'ambiance.

« Maintenant je te conseil deux choses, rembourser Astrid et retirer ce que tu as dit. Et vite. »

Astrid vit que Viktor serrait bien plus fort la chemise, et elle ne put s'empêcher de se dire qu'elle n'aimerait pas sentir cette poigne sur son cou. Le chevalier avait-il déjà étranglé quelqu'un? Elle n'était pas sûre d'avoir envie de savoir, mais elle se disait que s'il le voulait il ne devrait pas avoir trop de mal à y parvenir. À la place du tenancier, elle se serait déjà excusée des dizaines de fois et serait à la limite de ramper par terre pour se faire oublier. Ou alors elle aurait sorti sa dague, mais ça ne lui semblait pas être la meilleure idée du moment. Si le tenancier sortait une arme, cette histoire allait mal tourner.

« Il n’y a absolument rien qui m’empêche de te frapper, qui viendra te défendre ? Tes clients ? Ils n’ont même pas tenté d’aider une femme. Pour ce qui est de la milice, je ne pense pas avoir de soucis à me faire, les miliciens qui patrouillent le Labourg sont rare et puis ils n’iraient pas causer de problèmes à un noble. »

L'aubergiste ne voulait pas se laisser impressionner mais dans ces circonstaces c'était bien plus facile à dire qu'à faire. Il savait très bien que le chevalier avait raison, au moins sur la fréquence des rondes de la milice et sur la passivité de sa clientèle. Mais il connaissait beaucoup de monde, des personnes qui seraient promptes à la vengeance s'il lui arrivait quoi que ce soit. Il n'était peut-être pas noble, lui, mais justement. Les gens d'ici ne les aimaient pas trop, et les "services d'ordre privés" avaient tendance à toujours se placer du côté du peuple. Il n'aurait peut-être pas dû le menacer de la milice, mais de quelques bandes du coin qu'il connaissait bien. Pour la vengeance.

« Est-ce que tu connais un milicien qui serait assez rapide pour rentrer, dégainer sa lame, franchir la distance qui me sépare de la porte et parer ma lame avant qu’elle ne te transperce ? Moi non. »

Si l'aubergiste avait vraiment dû répondre, il aurait sûrement dit que la milice n'était pas la seule qui pourrait l'aider. Mais ce n'était qu'une manière de détourner la conversation parce que cet homme commençait à lui faire vraiment peur. Il commençait presque à considérer sa politique de remboursement comme sujette à quelques ajustements en fonction des situations particulières, incluant parmi celles-ci l'attaque par chevalier. Astrid soupira presque de soulagement en apercevant que Viktor avait relâché la chemise de l'aubergiste. Elle n'avait aucune envie qu'il s'attire des ennuis pour quelque chose d'aussi ridicule que son argent. Elle a sentit en revanche beaucoup moins soulagée en voyant qu'aucun parti n'avait changé d'opinion et que Viktor se mettait en position de combat. Elle avait envie de lui dire de laisser tomber, qu'elle s'en remettrait, que ce n'était pas grave, qu'elle n'aurait qu'à travailler plus ou à payer sa prochaine auberge en nature. Elle ne dit rien du tout. Elle avait bien compris qu'abandonner maintenant ce serait perdre la face, pour l'un comme pour l'autre, et elle se doutait que le code de conduite de Viktor devait être clair à ce sujet. Le bruit de la salle s'était calmé, et même si personne ne semblait décidé à intervenir les gens avaient soudainement l'air de s'intéresser à ce qui se passait du côté du comptoir.

« Je te laisse trois secondes, que les dieux en soient témoins, pour la rembourser et retirer ce que tu as dit… 3… »

Le tenancier déglutit bruyamment. Le chevalier ne semblait pas décidé à renoncer, et lui, il commençait à craindre pour sa vie pour la première fois depuis longtemps. Il n'avait pas le choix, même en sortant son arme avant les trois secondes imparties, il a doutait qu'il ne parviendrait pas à se battre contre quelqu'un qui devat probablement être bien mieux entraîné et qui portait une protection telle que son armure.

- Très bien, glissa-t-il entre ses dents d'un air mauvais. Astrid, approche, que je te... Rembourse.

La demoiselle lança un regard surpris à Viktor, alors qu'elle posait son baluchon par terre. Elle ne s'était pas attendue à ce que le tenancier finisse par céder, même devant une telle menace, parce qu'elle l'avait toujours vu particulièrement entêté. Méfiante, elle ne fit qu'un pas en direction du comptoir jusqu'à ce qu'elle entende les pièces tinter. Alors, elle franchit le reste de la distance, et tendit doucement la main pour recevoir ce qui lui était dû.
L'aubergiste saisit brusquement son poignet d'une main. Astrid ne savait pas s'il serrait aussi fort qu'il le pouvait mais elle savait qu'il lui faisait mal. Elle serra les dents, ferma à moitié les yeux, mais empêcha le moindre son de sortir de sa bouche. Elle ne savait pas si Viktor voyait ça mais elle ne voulait pas en vienne aux mains avec le tenancier. Elle tentait de tourner le dos au chevalier en même temps, pour qu'il ne remarque rien.
De son autre main, il lui donna effectivement quelques pièces. Évidemment le compte n'y était pas, mais le tenancier savait qu'Astrid ne dirai rien. Ou au moins, disons qu'il comptait sur son silence. Ensuite, la main qui tenait le poignet de la demoiselle serra encore plus fort, alors qu'elle tentait de reculer discrètement. Le tavernier, sans la lâcher, murmura quelque chose à son intention, mais la seule chose que se demanda Astrid c'était si Viktor entendait lui aussi.

- Écoute moi bien. Ne remets jamais les pieds ici. Sinon, je te jure que j'ai des gars sur qui compter. Et d'après ce que j'ai entendu aujourd'hui t'as pas que des amis non plus. Ton chevalier aura bien d'autres choses à faire que de servir de garde du corps à une fille dans ton genre. Fous le camp, catin !

Le tavernier avait oublié qu'il était censé retirer ce qu'il avait dit un peu plus tôt. Il se disait qu'avec les pièces qu'elle tenait dans sa main, Astrid serait assez contente pour dire à Viktor de se calmer. Et que le chevalier, voyant qu'il lui avait donné quelque chose, laisserait tomber cette affaire idiote. Il lâcha le poignet d'Astrid, qui recula rapidement pour récupérer ses affaires.

Viktor se demanda bien ce que pouvait manigancer l’aubergiste lorsqu’il céda. Peut-être que finalement, le chevalier avait réussi à lui faire peur. C’était sûrement ça. Il allait la rembourser puis s’excuser et ils allaient pouvoir partir pour ne plus revenir ici. De toute façon il n’aimait pas l’endroit. Il hésita à hausser les épaules lorsqu’Astrid lui lança un regard plein de surprise mais il se devait de garder son air menaçant, sinon tout n’aurait servi à rien. Lorsque la jeune femme arriva finalement au comptoir Viktor se rendit compte que quelque chose n’allait pas. Il était de profil et le corps d’Astrid lui empêchait donc de voir clairement ce qui se passait et même si l’aubergiste avait lâché quelques pièces, quelque chose ne tournait pas rond. Premièrement le chevalier pensait bien que ce n’était pas l’intégralité qui était dû à la cartomancienne, une poignée de pièces pour une semaine voire plus ? Il n’y avait que deux choses possibles, soit l’endroit était incroyablement peu chère, même pour le quartier, soit il ne donnait pas tout et Viktor avait de forts soupçons.

Puis il se pencha pour chuchoter à l’oreille d’Astrid. C’était possiblement des excuses comme il l’avait exigé, après tout il était compréhensible que l’aubergiste ne veuille pas présenter des excuses en public, devant toute sa clientèle, c’était mauvais pour les affaires sans doute. Dans le doute Viktor dénuda quelques centimètres d’acier. Ça lui rappelait étrangement quelque chose qui s’était passé il n’y avait pas si longtemps. Il se préparait à rengainer son épée, content de ne pas avoir à s’en servir lorsqu’il entendit les derniers mots prononcés à la cartomancienne. Fous le camp, catin. Ce n’était pas vraiment une façon de se montrer contrit. Mais il ne pouvait rien faire tant qu’il tenait Astrid, c’était trop dangereux, trop de chose pouvaient mal tourner.

Lorsque l’aubergiste lâcha enfin Astrid, Viktor plaça sa main entre les deux dans un geste qui se voulait protecteur et leva la tête. Il ne lui avait pas obéi et si il y avait bien une chose dont le chevalier ne pouvait pas se permettre, c’est que l’on ne craigne pas ses menaces.

« J’ai horreur que l’on me prenne pour un abruti où que l’on m’ignore. Rembourse là, entièrement et retire ce que tu as dit. Tu n’auras pas de troisième avertissement »

D’un mouvement rapide il dégaina son arme et la plaça sous le menton de sa cible, il pressa la lame contre la peau pour lui faire sentir la morsure glaciale de l’acier. Si il poussait d’avantage, l’épée passerait la graisse et du sang se mettrai couler. Devait-il réellement appuyer ? Se trouver avec un meurtre sur les bras était bien la dernière chose qu’il voulait pour le moment, encore que si ça permettait à Astrid d’être tranquille…

« Si jamais tu penses à te venger, à un moment où je ne serai pas auprès d’Astrid par exemple, saches que j’irai la voir tous les deux jours, si jamais je ne la trouve pas ou bien qui lui est arrivé quelque chose, j’aurai ta tête. Peu importe si tu es responsable ou non. »

Viktor appuya sa lame pour faire couler un peu de sang dans le but d’appuyer sa menace.

« Si jamais tu ne t’exécutes pas, l’épée rentrera directement dans ta gorge, plus tu attends plus elle progresse. »

« J’ai horreur que l’on me prenne pour un abruti où que l’on m’ignore. Rembourse là, entièrement et retire ce que tu as dit. Tu n’auras pas de troisième avertissement »

Viktor avait donc remarqué que tout ne s'était pas déroulé comme il l'avait demandé. Astrid aurait préféré qu'il l'ignore, et qu'ils s'en aillent sans faire plus d'histoire. Elle se moquait bien de ce que cet abruti avait pu dire sur elle, et elle avait déjà récupéré plus d'argent que ce qu'elle avait pensé pouvoir posséder en sortant d'ici.
Le mouvement du chevalier fut rapide et précis, la lame de son épée de retrouva bien vite contre la peau de l'aubergiste pendant qu'Astrid laissait échapper un petit hoquet de surprise et de terreur. Elle trouvait que Viktor se laissait emporter et qu'il allait trop loin.

« Si jamais tu penses à te venger, à un moment où je ne serai pas auprès d’Astrid par exemple, saches que j’irai la voir tous les deux jours, si jamais je ne la trouve pas ou bien qui lui est arrivé quelque chose, j’aurai ta tête. Peu importe si tu es responsable ou non. »

Évidemment, Astrid était touchée par l'attention et le dévouement que lui témoignait Viktor. Personne n'avait jamais pris sa défense ainsi, encore moins en public. Mais elle était surtout terrorisée de le voir menacer ainsi l'aubergiste. Il accordait bien trop d'importance à la situation, l'aubergiste était un imbécile mais il ne méritait pas de se retrouver avec une lame sous le cou, prêt à mourir pour quelques pièces et de ridicules excuses. Certes, en accédant à la demande de Viktor la situation aurait été réglée depuis longtemps. Mais Viktor n'avait pas à s'abaisser à ce point non plus. Pas pour l'honneur d'une fille qui était persuadée de ne pas valoir grand chose.

« Si jamais tu ne t’exécutes pas, l’épée rentrera directement dans ta gorge, plus tu attends plus elle progresse. »

Astrid remarqua du sang qui commençait à couler sur le cou du tenancier. Elle avait vu bien trop de sang en deux jours, ça commençait à faire vraiment beaucoup. Le tavernier ouvrait la bouche, pour s'excuser ou peut-être pas Astrid n'en savait rien, mais la demoiselle avait déjà mis sa main sur l'épaule de Viktor. Elle ne pouvait tout de même pas rester là sans rien dire, en regardant un noble à la limite d'égorger un aubergiste pour trois fois rien.

- Je vous en supplie Viktor... Ça n'en vaut pas la peine, vraiment...

De toute façon, l'aubergiste semblait décidé à abandonner la partie. Il avait tenté en vain de se soustraire à la lame d'acier du chevalier. C'était peine perdue. Sa main glissa sous le comptoir à la recherche de quelques autres pièces. Il ne parvint pas au compte exact, il était trop préoccupé par sa survie, mais ce qu'il déposa sur la table était un complément honnête à ce qu'il avait déjà donné à la prostituée. Une preuve de sa bonne foi. Cependant, ses excuses se firent attendre. Il craignait autant qu'il détestait Viktor désormais. Il murmura dans sa barbe.

- Désolé.

Visiblement il n'avait aucune intention de pousser sa repentance plus loin. Il devait croire que ça suffirait, et en effet Astrid était prête à s'en aller dans la minute sans rien demander de plus. L'endroit lui donnait presque envie de vomir, autant que les clients qui se taisaient et ne défendaient jamais personne.

Viktor regardait l’aubergiste droit dans les yeux, d’une légère torsion du poignet il le força à lever la tête. Pendant un moment il n’existait que le chevalier, son épée et l’aubergiste. Tout le reste avait disparu. Tout le reste était blanc. Lorsque l’aubergiste passa sa main sous le comptoir il s’apprêtait à enfoncer d’avantage sa lame, on ne sort pas d’armes comme ça ! Il allait ouvrir la bouche, si ce n’était pas des excuses qui passaient ses lèvres la lame allait encore avancer. Finalement rien ne passa, la lame avança d’un ou deux nouveaux centimètres.

Une pression sur son épaule. Viktor l’ignora, rien ne devait le distraire. Sauf une voix, qu’il reconnut comme étant celle d’Astrid. Ça n’en valait pas la peine ? Le chevalier trouvait que bien au contraire tout ça en valait bien la peine. Non seulement sa parole devait être respectée et crainte si il voulait être un chevalier digne de ce nom mais maintenant il ne pouvait plus reculer sous peine d’apparaître comme faible. Mais petit à petit tout revint devant lui, d’abord ce qui se trouvait en face de lui, le mur, le comptoir et les consommations puis ce fut au tour de la main d’Astrid et de la jeune femme elle-même. Finalement, en dernier, il vit les pièces. Ça semblait être suffisant, même si il n’avait aucune idée de la somme exacte, c’était plus satisfaisant que ce qu’il avait déjà donné. Plus que les excuses maintenant. Elle vinrent dans un murmure, d’une voix si basse que Viktor ne les entendu presque pas et il ne savait pas si Astrid les avait entendu. Bon ça suffirait…

Viktor résista à l’envie de lui laisser une cicatrice comme souvenir de son passage avant mais décida de lentement retirer son épée avant de la ranger dans son fourreau. Il attendit qu’Astrid prenne l’argent sur le comptoir, surveillant que l’aubergiste ne tente rien de plus puis alla porter les affaires de la cartomancienne. Finalement, sans jeter un regard en arrière car il était certain que la jeune femme ne comptait pas s’attarder bien plus longtemps ici, il quitta l’auberge.

« Bon… Vous avez une idée d’où aller où l’on va se promener et espérer trouver quelque chose ? » Viktor attendit quelques secondes avant de lui demander « ça tiens toujours, si vous voulez que je vienne vous voir régulièrement, pour m’assurer qu’ils ne tentent rien. »

Viktor n'avait pas eu l'air de prendre en compte les supplications d'Astrid, mais il fut sensible aux "excuses" de l'aubergiste. Elle se sentait terriblement mal. Lorsqu'elle vit le chevalier rengainer son épée elle était à la limite de trembler. Cette journée était vraiment trop difficile pour elle, elle commençait à regretter le jour où elle était venue au monde.
Après quelques secondes, le temps de reprendre ses esprits, Astrid récupéra les pièces qui traînaient sur le comptoir sans même penser à les compter. Elle se retourna pour récupérer ses affaires, mais Viktor venait de les prendre. Elle se retrouvait tout à fait perdue. Elle pensait que toute cette histoire n'avait fait que lui apporter encore un peu plus de honte, mais que c'était encore pire pour Viktor. Certes il n'était pas passé pour un faible, mais il avait sorti son épée pour défendre une prostituée. Savoir qu'elle venait certainement de faire du mal à sa réputation en plus de la sienne n'était pas spécialement ce dont elle avait besoin pour le moment. Elle avait juste besoin de disparaître. Attirer l'attention était une mauvaise idée.
Viktor était déjà dehors. La cartomancienne ne fit pas de vieux os. Elle ne savait pas si elle devait plus craindre le malade, l'aubergiste ou peut-être même Viktor. Il avait été particulièrement gentil avec elle mais elle venait tout de même de le voir à la limite d'égorger quelqu'un. Plus ou moins pour elle certes, mais tout de même.

« Bon… Vous avez une idée d’où aller où l’on va se promener et espérer trouver quelque chose ? »

Astrid n'en avait aucune idée. Elle connaissait deux ou trois noms d'endroits qui pourraient convenir, mais ne connaissait en revanche par leurs prix. Elle n'avait aucune idée de la manière dont elle devait gérer la situation, mais habituellement il n'y avait personne pour s'en apercevoir. Là Il y avait Viktor et ça changeait la donne. La cartomancienne aurait aimé se tirer les cartes, juste pour voir. Mais ce n'était pas le lieu ni le moment.

« ça tiens toujours, si vous voulez que je vienne vous voir régulièrement, pour m’assurer qu’ils ne tentent rien. »

La proposition était vraiment gentille. Mais à ce stade elle ne savait même pas où elle allait dormir alors savoir si elle avait envie d'avoir la visite de Viktor ? Que répondre alors ?

- Vous m'avez fait vraiment peur... Je... Je vous remercie... Et... Je suis encore désolée... Et...

Elle se tut un moment, avant de tendre les bras en direction de Viktor. Elle allait commencer par récupérer ses affaires au lieu de laisser quelqu'un les porter. Elle n'avait pas mérité cette aide, c'était profiter. Elle ne voulait pas profiter.

- Je vais prendre mes affaires, je vous remercie de votre aide...

Elle leva les yeux vers le visage de Viktor, du moins c'était ce qu'elle s'attendait à voir. Elle ne vit que son casque. C'était étrange.

- Quand je saurai où je vais dormir, je prendrai le temps de vous inviter en bonne et due forme. Vous serez toujours le bienvenu. Mais ne vous sentez pas obligé de me rendre visite si c'est juste pour... Vérifier que je suis toujours vivante, même si ça semble faire partie de votre code de conduite. Je trouverais ça affreusement ... Méprisant. Même si je venais à disparaitre je ne manquerais pas à grand monde, et je pense qu'ils n'ont pas de temps à perdre avec moi de toute façon. Je voudrais juste... Trouver un endroit où dormir. Et si jamais vous avez envie de me revoir, ce sera avec plaisir. Et sinon... Je crois qu'il doit y avoir une auberge par là... Dit-elle en pointant la direction à laquelle elle pensait.

C’est étrange comme la ville peut changer en fonction des quartiers, surtout lorsque l’on est habitué à l’esplanade. Que ce soit l’odeur, les décors ou bien les habitants, tout changeait lorsque l’on passait une herse. Si il avait fait ça dans une auberge des quartiers noble il aurait probablement été défié en duel mais ici tout le monde s’en moquait, du moins sur le coup. C’était un monde auquel il devait s’habituer, dont il devait apprendre les manières sinon il allait s’attirer d’avantage d’ennuis et de ressentiment. Mais ce qui le dérangeait plus c’était tout de même Astrid. Du moins l’impact qu’il avait sur elle. Jamais il n’avait voulu lui faire peur, il n’y avait pas pensé, si sa colère n’était pas dirigée contre elle pourquoi avait-elle eut peur ? Parce que cette violence pouvait être dirigée contre elle. Qu’est-ce qui empêchait Viktor de se transformer en l’autre malade ? La cartomancienne ne pouvait que se le demander et elle craignait la réponse probablement autant que le chevalier.

Lorsqu’elle lui tendit les bras il trembla légèrement, tiré de sa réflexion, il baissa ensuite la tête pour regarder Astrid. Il lui rendit ses affaires même si il ne savait pas bien pourquoi, il faisait ça pour s’excuser de ce qu’il avait fait. La peur sans doute. Elle allait avoir peur de lui pendant un moment. Ce genre d’action met du temps à s’oublier. Cependant elle comptait tout de même l’inviter ou du moins le disait-elle pour lui faire plaisir, Viktor n’en était pas sûr.

Il fallait mieux qu’il ne dise plus rien, qu’il se taise. A chaque fois qu’il avait dit quelque chose ça s’était mal terminé. Quand il pensait bien faire ça tournait mal. Pour lui il n’y avait rien de méprisant dans sa proposition et pourtant c’était comme ça qu’elle le voyait. Il n’osa pas demander pourquoi de peur d’empirer la situation. Cependant il avait envie de lui dire que si jamais elle venait à disparaître, elle lui manquerait au moins à lui. Il voulait également rajouter que l’aubergiste trouverait bien le temps de s’intéresser à elle pour récupérer son argent mais ça semblait être une des pires choses à dire pour le moment. Elle ne l’avait pas dit mais il se doutait bien qu’elle voulait trouver une auberge où dormir et oublier toute cette histoire, Viktor avec.

Il pouvait au moins l’aider avec ça, de toute façon c’était à cause de lui qu’elle se trouvait dans cette situation. L’endroit qu’elle pointait semblait être un endroit où commencer les recherches aussi bon qu’un autre et puis la jeune femme connaissait probablement bien mieux le coin que lui. Ils trouveraient bien quelque chose qui lui conviendrait. Il hocha la tête et partit dans cette direction. Viktor regardait maintenant un peu de partout autour de lui, il se doutait bien que l’aubergiste n’allait pas le laisser partir comme ça et il restait donc sur ses gardes mais pas au point de garder une main sur le pommeau de son arme, elle avait probablement assez été utilisée aux yeux de la cartomancienne. C’est d’ailleurs bien pour ça qu’il ne décida pas d’aller chercher dans les ruelles, certain que ses possessions seraient au goût de hors-la-loi. L’endroit semblait plutôt malfamé et le chevalier n’aurait pas aimé y vivre, en tout cas ce n’est pas ce qu’il aurait choisi, comme la plupart des gens habitants ici suppos a-t-il. Pourquoi est-ce qu’elle n’allait pas dans un autre endroit ? Une cartomancienne doit bien avoir la possibilité de gagner sa vie ailleurs non ? Après tout, les désespérés ne doivent pas se trouver qu’ici et puis pour son autre… Activité, c’était une jolie femme, elle devait bien rencontrer un certain succès, sans compter qu’elle trouverait sans doute moins de malades si elle allait dans un quartier plus riche. Peut-être qu’elle restait là pour quelqu’un, de la famille peut-être.

Après avoir marché quelques minutes ils arrivèrent finalement en vue d’une auberge, elle semblait bien remplie mais peut-être qu’il y avait encore de la place pour dormir.

« Celle-ci ? »

Demanda Viktor en indiquant l’auberge en face, à l’angle d’une rue, elle semblait tout de même pas très recommandable mais quelle auberge ne l’était pas dans ce quartier ?

Ils marchaient sans rien dire, l'un à côté de l'autre, comme deux âmes en peine ou plutôt en perdition. Aucun des deux ne semblait vraiment savoir où aller, même si Astrid avait une vague idée de l'endroit où elle pourrait se loger. Au moins pour cette nuit, elle pourrait toujours continuer ses recherches un peu plus tard, le lendemain ou le surlendemain en fonction de la disponibilité de l'endroit sur lequel elle jetterait son dévolu. Ils marchèrent plusieurs minutes qui semblèrent durer une éternité aux yeux d'Astrid. Ça lui rappelait sa première nuit seule à Marbrume, quand toute sa troupe était repartie sans elle. Elle s'était dit que la Fange représentait u danger trop grand mais ils n'avaient pas partagé son avis. Ainsi elle s'était séparée de ceux qui comptaient le plus pour elle. Elle avait erré un moment dans la ville avant de trouver un coin où dormir. Elle avait aussi bavé d'envie devant la porte des Anges. Mais les quartiers plus obscurs lui semblaient presque plus rassurants. On y trouvait des bandits, des hommes dangereux, mais au moins Astrid en connaissait les codes. Elle savait comment le monde tournait ici-bas, contrairement aux quartiers plus aisés. Elle allait bien planter sa tente dans les rues plus commerçantes pour attirer du monde, mais elle ne se sentait pas d'y vivre. Et puis les prix y étaient trop élevés, elle aurait trop peur de se faire expulser à la première mauvaise journée venue. La cartomancie ne rapportait pas tant que ça quand elle perdait son côté éphémère. Quand elle voyageait les gens ne la voyaient qu'une fois dans l'année à peu près, pas tous les jours sur le bord de leur route.

« Celle-ci ? »

La voix de Viktor la ramena à la réalité. Adieu les histoires de voyage, retour aux histoires de malades dangereux. La vie d'Astrid ne semblait pas être une pente ascendante ces derniers temps. Il lui désignait une auberge en face, de l'autre côté de la rue, et qui faisait angle. Astrid trouvait qu'elle avait l'air convenable, il faudrait juste que les prix le soient aussi, et qu'il reste de la place. Elle se demandait ce qu'en pensait Viktor.

-Oui, il faudrait rentrer pour se renseigner...

Et surtout ne pas agresser l'aubergiste. Mais ça, Astrid se garda bien de le préciser. Le chevalier avait éloigné sa main du pommeau de son épée, elle ne voulait pas lui donner la mauvaise idée de la faire y retourner.
La demoiselle commençait à trouver ses affaires lourdes, et espérait vivement qu'elle pourrait se reposer là cette nuit. Au moins cette nuit. Elle entra tranquillement dans l'auberge, essayant de tenir la porte derrière elle pour éviter que Viktor ne se la prenne dans le nez. Il y avait beaucoup de clients, l'endroit était bruyant, mais ça avait l'air plutôt entretenu. C'était un bon point.
Astrid s'approcha du comptoir, et posa ses affaires à ses pieds.

-Excusez moi ?

Une serveuse se trouvait derrière le comptoir, mais elle avait l'air très occupée. Astrid attira ainsi son attention.

-Bonjour, je souhaiterais savoir s'il vous resterait une chambre de libre ? Et... Vos tarifs également...

Astrid rougissait. Ce n'était pas très glorieux de se dire qu'elle n'aurait peut-être pas les moyens de s'établir stablement dans une auberge d'un quartier tout de même peu recommandable. Mais lorsque la demoiselle lui répondit qu'effectivement elle pourrait passer la nuit ici, et qu'elle lui annonça un prix abordable, Astrid sourit. Elle n'était pas très éloignée de son ancien point de chute mais ça suffirait amplement pour le moment.

-Et, combien de temps la chambre est libre, s'il vous plaît ?
-Trois jours, après tout est plein désolée.

Astrid enviait beaucoup la prospérité de l'établissement. Elle tourna la tête, pour évaluer la clientèle. A en juger par les garnitures des tables il devait être l'heure de manger. Et de boire. L'alcool coulait à flot par ici. Mais Astrid était décidée, elle dormirait ici et reprendrait ses recherches dans les trois jours pour trouver un endroit plus définitif. Elle posa le compte juste de pièce sur le comptoir, la serveuse lui sourit. Elle recompta lentement, avec application, avant de tendre une clef à Astrid.

-Vous voyez le couloir, juste là ? Commença la serveuse en désignant à l'autre bout de la salle un début de corridor. C'est la troisième porte à gauche.

Astrid la remercia chaleureusement avant de se tourner vers Viktor. Elle ne savait pas s'il désirait l'accompagner jusque la chambre, ou si son aide s'arrêtait ici. De toute façon, Astrid n'avait besoin e personne pour ranger ses affaires. Elle se sentait néanmoins obligée de dire quelque chose, et n'allait pas congédier sèchement son sauveur. Même si la violence dont il pouvait faire preuve était... Surprenante.

-Désirez-vous manger quelque chose ici ? Je vous inviterai. Proposa-t-elle gentiment.

Elle avait oublié le problème du casque qu'il faudrait enlever.

Effectivement il fallait se renseigner mais Viktor ne pensait pas vraiment qu’elle allait s’installer ici, ça avait l’air d’être plus ou moins la même auberge que la dernière. Après tout ce n’était pas lui qui allait dormir ici alors elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait. Viktor profita de la différence de taille pour tenir la porte par-dessus l’épaule d’Astrid. L’endroit était suffisamment bruyant pour être inconfortable, les sons se réverbérant dans son casque. Il avait un peu l’impression d’entendre plusieurs fois les conversations. Du fait d’une présence importante de gens l’endroit était également bien chauffé ce qui, couplé avec le temps estival, commençait à faire beaucoup. Cependant il fallait admettre qu’il s’était un peu trompé, l’auberge semblait meilleur et surtout, l’aubergiste plus honnête, une raison de laisser son épée au fourreau. Le chevalier suivit la cartomancienne, derrière elle à un mètre, jusqu’au comptoir. Il préférait la laisser faire, parler et rester en retrait. Sans doute qu’un malade y penserait à deux fois avant de venir l’embêter, cette fois.

L’auberge ne prenait pas bien cher pour la nuit ce qui n’était pas mal mais en disait également long sur le type de personne que l’établissement pouvait attirer. Mais trois jours ça n’était pas beaucoup de temps, suffisamment pour trouver un autre endroit cela dit, du moins il l’espérait.

Avec les odeurs de nourriture il fallait bien avouer que Viktor commençait à avoir faim et soif, surtout faim. Il se demandait quelle heure il était, pour savoir combien de temps ils étaient restés dans la chambre à discuter. Lorsque l’aubergiste montra la direction de la nouvelle chambre de la jeune femme Viktor tourna la tête, machinalement puis haussa les épaules et reconcentra son attention vers le comptoir, de toute façon ça ne le concernait plus. Il baissa la tête pour regarder Astrid lorsqu’elle se tourna vers lui. Oui il voulait bien manger quelque chose, mais pas ici. De plus elle voulait probablement être seule.

« Non merci » le chevalier plongea sa main dans sa bourse et en ressortit une petite poignée de pièces. Il les déposa sur le comptoir. « mais ne vous privez pas. Au revoir Astrid. »

Après ça il se retourna dans un mouvement théâtral qui fit voleter sa cape qu’il n’avait pas et passa la porte de l’auberge.