Omnes vulnerant ultima necat ( Julius )

L'explication de sa méthode de purge par Julius lui-même était absolument horrible. Astrid avait l'esprit imagé, elle ne pouvait pas s'empêcher d'imaginer très clairement les coups du chevalier et ses mains gantelées brisant la nuque de son adversaire. Adversaire qu'elle n'avait pas vraiment réussi à définir. Julius n'avait jamais été si bavard que pour parler d'hérétiques et pourtant la cartomancienne ne comprenait pas avec certitude de qui il pouvait s'agir. Pas d'elle, visiblement, parce qu'il n'avait pas l'air très tendre avec eux et qu'il ne semblait pas décidé à l'exterminer. C'était déjà ça.
Mais elle se retrouvait maintenant fort gênée parce qu'il fallait bien qu'elle réponde quelque chose mais elle ne savait pas quoi lui dire. Elle n'aimait ni la guerre ni les batailles ni les combats, et elle se demandait pourquoi il "purgeait" avec tant d'ardeur. Après tout, que chacun croit ce qu'il veut. Les hérétiques seraient punis par les Trois, pas besoin d'aller risquer sa vie pour ça. Elle n'osa cependant rien dire, de peur de s'attirer sa colère et peut-être sa violence.

- Vous êtes... Courageux...

Voilà qui n'était pas mentir, elle le pensait véritablement. Elle l'avait cependant dit sans trop d'enthousiasme, parce qu'elle n'était pas vraiment ravie d'entendre parler d'étranglement et qu'elle ne savait toujours pas vraiment contre qui cette violence était tournée. Heureusement, quelque chose détourna son attention de cette discussion gênante: un éclat par terre. Un objet brillant qui traînait par terre.

- Oh, je crois voir quelque chose...

Astrid se baissa en faisant signe à Julius de la laisser faire. Le sol boueux avait à moitié recouvert l'objet qu'elle en retira mais il ne s'agissait malheureusement pas d'un bracelet et encore moins du sien. Se redressant, elle ôta doucement la boue d'un geste grâce au bas de sa robe qu'elle salit pour l'occasion, et se rendit compte qu'elle tenait entre ses doigts un morceau de métal qui ressemblait vaguement à une lame de dague. L'arme avait probablement été brisée, abandonnée là, et Astrid en ramassait un éclat avec lequel elle se coupa. Elle lâcha la chose par terre en lâchant un petit "aïe" avant de porter naturellement son doigt blessé à sa bouche.

- Apparemment ce n'est pas le bracelet, commenta-t-elle un peu bêtement. Il doit être plus loin, j'imagine, sauf si quelqu'un l'a pris ou que la boue l'a fait disparaître.

Alors qu'elle s'apprêtait à reprendre ses recherches, elle fut coupée par un étrange gargouillis en provenance de son estomac. Un peu honteuse elle rougit, jetant un regard qui se voulait discret en direction de Julius pour savoir s'il l'avait entendu ou non.

- Vous... Avez faim ? Demanda-t-elle pour tâter le terrain. Elle n'allait tout de même pas manger toute seule !

"-Je dois avouer que cela fait bien quelques jours que je suis sans le sou, et donc que je ne me suis pas nourri.

Astrid se doutait bien que ce n'était pas le but recherché mais cette phrase attirait évidemment un peu à pitié. Elle, elle avait eu une bonne journée au travail, et maintenant qu'elle avait faim elle savait qu'elle aurait de quoi manger. Lui, cela faisait plusieurs jours qu'il ne mangeait pas et pourtant... Astrid lui avait déjà proposé à manger quand ils étaient dans l'auberge et il n'avait même pas répondu, comme s'il n'était pas intéressé. La demoiselle admirait sa retenue et sa simplicité mais maintenant qu'elle savait ça il était hors de question de le laisser s'en tirer le ventre vide. De toute façon il faudrait bien qu'il mange pour rester en forme, et après sa blessure ça ne pouvait que lui être bénéfique.

En revanche je peut très bien m'en passer si cela vous facilite la tâche... Il ne faut pas s'attarder pour moi...

Il baissait les yeux. Avait-il honte ? Honte de quoi, d'avoir faim ? Voilà qui serait bien ridicule parce que se nourrir était tout de même un des besoins les plus naturels au monde. Au bout de plusieurs jours sans se nourrir il valait certainement mieux "s'attarder" un peu. Astrid lui lança un regard bienveillant, elle n'avait aucune envie qu'il soit mal à l'aise. Même s'il était un peu étrange à son goût, et qu'il était capable de parler de massacres violents dans sourciller, il n'avait pas eu le moindre geste méchant ou violent envers elle.

- S'attarder ? C'est important de manger. Et puis personnellement, j'ai faim. Alors, autant manger quelque chose ensemble non ? Vous n'allez pas me laisser manger toute seule, quand même? Alors, je vous invite. Ça me fait plaisir

Elle disait ça sur le ton de la plaisanterie, mais elle avait cru comprendre qu'il valait mieux tourner les choses ainsi, en faisant presque comme si c'était lui qui lui rendrait service en acceptant. Effectivement elle avait faim, mais elle aurait pu manger seule s'il n'avait pas envie de participer. Elle préférait pourtant ne pas trop lui laisser entrevoir cette possibilité de peur qu'il refuse par gêne et non par satiété. Julius avait l'air particulièrement à cheval sur ses principes, et il était fort difficile de les comprendre. Astrid ne savait pas de quoi il s'agissait mais elle tentait, tant bien que mal, de les utiliser.

- Nous pourrions rentrer à l'auberge? Comme ça, nous cherchons le bracelet sur le chemin, et une fois arrivés nous mangeons : comme une récompense. Ça vous dit ?

Elle lui fit un sourire, et voulut à son tour lui tendre la main pour symboliser sa proposition qu'il n'aurait qu'à accepter. Seulement elle lui tendit d'abord sa main légèrement coupée et un peu rouge, avant de se raviser pour lui tendre l'autre d'un air un peu gêné, mais en souriant quand même.

- Et puis comme ça, vous pourrez reprendre des forces.

Astrid savait bien qu'elle avait parlé de rechercher le bracelet sur le chemin du retour, mais ce n'était plus vraiment sa priorité. Le bracelet perdu avait certes une valeur sentimentale qui le rendait précieux, mais la cartomancienne n'avait plus vraiment d'espoir de le retrouver. Alors, dés que Julius avait saisi sa main elle avait commencé à rebrousser chemin à grands pas, pressée de manger quelque chose.
En règle générale Astrid mangeait une fois par jour. Quand elle avait fini sa journée, elle enlevait à la somme gagnée le prix de sa chambre d'auberge et se trouvait de quoi manger avec ce qui lui restait. La prostitution lui permettait souvent de mettre du beurre dans les épinards, au propre comme au figuré, mais Astrid refusait de si consacrer plus qu'elle ne le faisait déjà... La vie était dure pour tout le monde, qu'on aille "purger" ou pas.
Elle se demandait comment Julius gagnait son pain, lui. Il disait qu'il tuait des Hérétiques, mais est-ce que ça lui rapportait quelque chose ? Il y avait peut-être des contrats à suivre, des cibles précises, peut-être était-il engagé directement par le Duc, même. Elle n'en savait rien. Mais si ce n'était pas le cas, comment faisait-il ? En récupérant leurs affaires après les avoir tués et en les revendant ? Finalement elle n'était même pas sûre de vouloir connaître le fin mot de l'histoire.
Avançant tranquillement dans la ville, suivant un trajet bien connu d'Astrid qui guidait le chevalier en le tenant encore par la main, les deux acolytes du jour parvinrent à une auberge mais sans avoir retrouvé l'objet de leur quête. Retour au point de départ donc.
L'ambiance était sympathique à l'intérieur, il y avait un peu de musique. Les gens ne paraissaient cependant pas très avenants vu les regards qu'ils lancèrent dans leur direction quand ils entrèrent. Astrid les comprenait un peu, Julius avait une stature imposante. La cartomancienne n'avait jamais vu quelqu'un de cette taille auparavant en tout cas, et par les temps qui courent les gens se montraient naturellement méfiants voilà tout. Certaines personnes, probablement plutôt bourgeoises, se montrèrent plus cordiales et leur souhaitèrent la bonne soirée. Astrid en reconnaissait quelques-uns qui étaient déjà passé plus ou moins sous sa tente ou dans sa chambre un jour où l'autre. Elle répondit poliment, contrairement au chevalier qui ne décocha pas un mot jusqu'à ce qu'ils s'installent à une table.
Il avait l'air tendu, sans qu'elle ne comprenne trop pourquoi, mais elle n'osa rien demander. Il serait probablement encore plus mal à l'aise si elle avouait avoir remarqué qu'il n'était pas vraiment dans son assiette. Astrid préféra essayer de lancer un peu la conversation, attendant avec impatience que quelqu'un vienne prendre leur commande.

- Et donc... Débuta-t-elle sans vraiment savoir ce qu'elle allait dire par la suite. C'était surtout histoire de faire la conversation. Vous habitez par ici ?

Voilà une question un peu ridicule mais si Julius prenait la peine d'y répondre elle pourrait être une base intéressante pour faire un peu plus ample connaissance.

- Ou peut-être que c'est votre... Profession, qui vous à conduit jusqu'à Marbrume?

Si elle proposait plusieurs options, le chevalier agirait sûrement moins comme s'il n'avait pas entendu, comme au début. Astrid se redressa sur son tabouret, guettant les allées et venues de la serveuse pour essayer d'attirer son attention par un signe ou un mot. Elle était tout de même attentive à ce que pourrait lui raconter Julius, mais elle avait trop faim pour faire comme si elle n'était pas pressée de manger quelque chose.
À peine quelques secondes plus tard, une charmante demoiselle un peu rondouillette au sourire presque angélique s'approcha de la table. Elle semblait un peu essoufflée mais surtout épuisée: il était probable qu'elle ne se soit pas arrêtée de la soirée.

- Bonsoir, que puis-je pour vous ?

Sa voix était joyeuse mais un peu enrouée, et elle remit des cheveux en place sans quitter des yeux les deux clients. Astrid sourit à l'employée avec douceur: ayant sa chambre ici depuis quelques temps elles se connaissaient un peu.

- Bonsoir. Alors, j'aimerais le plat du jour... Et de l'eau, s'il vous plaît.

La serveuse hocha la tête avec empressement. De toute façon la carte ne devait pas compter plus de deux ou trois plats en dehors du plat du jour: avec la Fange les denrées dont l'approvisionnement était garanti étaient particulièrement rare.

- Et vous monsieur ? S'enquit l'employée.

"-Moi? Heu... ce que vous avez de plus consistant, et de moins cher.

Visiblement le chevalier n'avait pas l'air préparé à passer commande. Personne ne le pressait pourtant, la serveuse n'avait pas l'air si impatiente que ça de courir aux cuisines transmettre l'information: l'attente d'une commande était pour elle une douce pause dans sa course, sans doute. Astrid le regardait gentiment, et il la regardait aussi, et c'était presque un peu bizarre parce que la serveuse venait de partir et qu'ils se retrouvaient tous les deux sans rien dire.
À quoi bon ? Julius semblait finalement hermétique à la discussion, peut-être parce qu'elle ne lui parlait pas d'Hérétiques. Mais elle n'avait pas trop envie d'entendre à nouveau parler de nuques brisées, ni de se sentir à moitié possiblement visée par la description des personnes à qui il briserait la nuque.
Astrid attendait son plat. Elle avait faim, ça lui semblait long. Elle s'ennuyait un peu il fallait dire, habituellement les gens aimaient lui parler parce qu'elle était là, disponible, prête à les écouter justement. Pas là. Julius restait muet. Maintenant il ne la regardait plus, ou alors plus vraiment, il avait l'air... Bizarre. Ses mains faisaient du bruit alors qu'il faisait jouer ses doigts sur le bois de la table, et la cartomancienne résista à la tentation de lui demander d'arrêter. C'était presque insupportable, mais il serait trop malpoli de le lui faire remarquer.
Il y avait un peu de musique, il y avait les bruits des conversations des autres, de leurs rires, de leurs couverts, et pourtant Astrid avait les yeux figés sur Julius silencieux.

- Hum hum...

Elle se râclait la gorge un peu bruyamment pour essayer d'attirer un peu son attention et lui faire comprendre qu'il serait peut-être bienvenu de dire quelque chose. Elle lui avait posé des questions. Mais si ça se trouve, avec le bruit ambiant, il n'allait rien entendre.
Heureusement la serveuse abrégea les souffrances d'Astrid en rapportant deux grandes écuelles plutôt bien remplies d'un genre de ragoût bien chaud. La cartomancienne sortit alors timidement sa bourse et glissa tout un tas de minuscules pièces de très petite valeur dans la main de la serveuse pour parvenir à la somme demandée. Elle avait de quoi payer, mais ses consultations de cartomancie ne coûtaient pas cher et la fournissaient en petites pièces. On avait connu plus classe certes mais au moins ils pouvaient manger tranquillement.
Mais vu la tête de Julius, elle n'était même pas sûre qu'il s'en soit rendu compte.

- Ça va...? Vous aurez assez à manger...?

Peut-être qu'au sujet de la nourriture il répondrait?

Il me faut un plan. On est en danger.

Un homme arrive, il fait toutes les tables. Il demande je ne sais quoi à tout le monde. Vu les regards des gens après lui il doit vraiment poser soucis.

Il est crasseux, brunâtre de traces de boue. Son front fuyant est tâché ici et là pas d'énormes ecchymoses et il boîte légèrement. Ses dents sont sales, et quand il arrache un sourire, la seule envie qui nous prend est de se crever les yeux. Il est habillé de manière relativement complexe, preuve d'un petit peu de richesses. Ses cartilages du nez et des oreilles sont difformes, preuve de combats récents et fréquents. De plus son visage est balafré de partout, la trace est encore rouge. Il doit mesurer 1m80 et peser une gros 70aine de kilos, à juger sa démarche et le bruit qu'il fait en se déplaçant.

Encore 3 tables et il est sur nous.

Au bar, des gens se tapent sur les poches avec des airs abasourdis.

Il ne m'en faut pas plus. Mais il me faut un plan.

Je me retourne vivement vers la Dame et je plante mon regard vert dans le sien. Je penche ma tête doucement et elle fait de même. Je lui murmure :

"-Surtout ne paniquez pas, je ne veux aucun cri."

Puis je me redresse et commence à manger. Tout défile à vitesse grand V dans ma tête. Je bouillonne. Toutes mes sensations étranges que je ressent depuis ce matin se mettent au travail. Une goutte de sueur coule sur mon front jusqu'entre mes scapulas.

Quelques seconde plus tard j'avais un plan.

Je m'adosse à ma chaise, croise les bras. Il faut que je fasse bonne figure pour passer inaperçu. J'essaie de prendre un ton de voix jovial et tout de suite plus ouvert. Heureusement que je sais encore le faire... Avec la Purge, j'aurais presque oublié.

"-Je n'habite pas à Marbrume, du moins pas officiellement, dis-je à la Dame devant moi qui m'écoute maintenant en mangeant. Je m'y repose et y accomplis ma mission divine.

Plus que 2 tables.

Pour vraiment tout vous dire, je viens de très loin, d'un autre continent... Mais j'ai oublié à quoi il ressemblait. Il me manque vraiment, mais le Maître à déclaré la Croisade et j'ai été choisi pour porter la mission divine partout à travers le monde. Depuis je Purge des Hérétiques.

Je dois parler le plus longtemps possible, pour gagner du temps. Je réfléchit à ce que je peux dire et me force à ouvrir la bouche, même si j'ai l'impression de passer pour un abruti. Je me sens un peu plus proche de la Dame, et ce n'est pas désagréable. Mais le maître à dit qu'il faut attendre le fin de la Croisade avant de s'adonner à ces "plaisirs"

Je m'attendais pas vraiment à les voir aussi désorganisés, ni à trouver des poches de résistance locale comme la ville ici même. Mais leurs griffes et leurs crocs font vraiment mal, et la maladie qu'ils transmettent ont même réussi à paralyser une partie de votre cité.

Il arrive bientôt. Une femme de la table précédente semble troublée.

Et vous ma Dame? Que faites-vous dans la vie? Vous résidez ici depuis longtemps?"

Le péon est là. Il arrive et pose ses phalanges sur le bord de la table. Il arbore un sourire très narquois, mais ses yeux brillent. Il a une idée dans la tête.





"Bonsoir Messieurs Dames, enfin surtout Madame..."

Sa voix semble faussement mielleuse et roucoulante, et ne cache pas son aspect graveleux qu'on peut entendre sur les "r". Il toise la Dame de haut en bas en s'arrêtant sur son décolleté. Je n'avais pas remarqué qu'elle en portait un. Peu importe. Le Maître à dit non, alors c'est non. La Purge et seulement la Purge.

"Alors comme ça vous passez un bon moment hein? Je vous prendrais la jolie jeune femme après. À combien s'élèvera le passage en caisse Messire?"

Il me regarde fixement, mon crâne bouillonne et mon cœur s'affole. Quelque chose dans ses yeux brille, mais noir. Ça brille malsain, quelque chose qui perfore l'acier et fait fondre l'esprit. J'ai envie de pleurer de pitié devant sa maladie. Mais je ne dois pas fléchir. Pour la Dame en premier lieu, mais aussi pour ma Croisade, pour la Purge, pour le Maître.

Je pose ma main sur celle d'Astrid.

"-zéro."

Son regard est maintenant rouge flamboyant. Ses joues se teignent de pourpre et il dévoile des dents dont 2 sur 3 sont cassées ou pourries. Il trépigne et tape du pied. Il semble vraiment frustré et ne doit pas vraiment tolérer le refus. Comme les Hérétiques au final.

"-C'est hors-de-question! J'ai beaucoup d'argent et cette femme sera à moi! Il s'énerve et prend l'avant bras d'Astrid qu'il serre et lève en l'air. Je vais lui ramoner le cul et lui faire cracher sa semence, puis hurler jusqu'à que ses cordes voc..."

J'ai remarqué quelques choses. J'écarquille les yeux. Tout me revient maintenant.





Le sang gicle doucement sur la table, par à coup. Je sens un cri s'étouffant dans le creux de ma main.

J'utilise mon autre main de libre pour décrocher le bracelet du bras du mécréant et je redonner du creux de la paume à la Dame devant moi.

Les yeux du pervers sont invisibles, cachés par ses lourdes paupières contractées en un amas de rides. Sa main clouée sur la table s'agite et essaie de décrocher le bout de lame qui la maintient dans le bois en y étant plantée sur facilement 3cm. Tout s'est passé doucement, en silence, le bruit étouffé et caché par la musique et les gens qui parlent trop fort.

Le type trépigne des pieds, agitant le manche de dague en bois qu'il porte à la ceinture avec plusieurs bourses en cuir. Je me penche et lui parle doucement dans l'oreille.

"-Voler c'est mal, tuer est pire. Mais récidiver, c'est ce qui fait que tu mérites ce qui t'arrive. Maintenant fuis en silence avant que l'auberge ne te tombe dessus."

Il s'exécute en titubant. Un petit filet rouge coule sur sa chemise en velours brun. Il emmène avec lui la dette que j'ai envers Astrid. Elle a retrouvé son bracelet.

Je me remet sur mon siège et me remet à manger. Au bout de 3 cuillères, je garde la tête baissée mais lève les yeux pour apercevoir le bas du visage de la Dame. Je me sens bizarre maintenant. Comme si je venais de passer sous une charrue. La fatigue commence à m'engourdir et ma tête se calme après toute cette agitation. Manger avec une Dame tout aussi occupant que Purger finalement.

"-Désolé... Heureusement que l'odeur de décomposition dans la rue m'est revenue, sinon je n'aurais pas fait le rapprochement.

Je rigole en coin, sans joie. Je dois me reconcentrer sur ma mission divine et ne pas m'éloigner.

Les yeux verts de Julius plongés dans les siens et ce léger mouvement vers elle, il n'en fallut pas plus à la demoiselle pour se pencher à son tour vers lui, curieuse de savoir ce qu'il pouvait vouloir lui dire. Mais ce n'était pas très étonnant au fond, parce qu'avec le bruit ambiant ce serait plus facile pour s'entendre.

"-Surtout ne paniquez pas, je ne veux aucun cri."

Quoi ? Astrid ouvrit la bouche et afficha un air absolument surpris. Elle ne savait même pas quoi dire, en fait. Que comptait-il faire ? En tout cas il ne semblait pas perturbé, lui, parce qu'il se redressa comme si de rien n'était et commença à manger avec appétit. Astrid mangeait timidement. Elle commençait à se demander si ce n'était pas une menace de Julius contre elle, s'il la prenait finalement pour une hérétique sans qu'elle l'ait compris... Ou pas. C'était bizarre, mais il s'installa plus confortablement encore et croisa les bras avant de décider, enfin, de répondre à ses questions. Il avait même un air presque heureux qu'elle ne lui aurait pas soupçonné. Ça aurait dû le rendre plus normal aux yeux d'Astrid mais elle avait presque commencé à s'habituer et... Elle écouta avec intérêt sans rien dire, en se disant que ça n'allait peut-être pas durer.

"-Je n'habite pas à Marbrume, du moins pas officiellement. Je m'y repose et y accomplis ma mission divine.
Pour vraiment tout vous dire, je viens de très loin, d'un autre continent... Mais j'ai oublié à quoi il ressemblait. Il me manque vraiment, mais le Maître à déclaré la Croisade et j'ai été choisi pour porter la mission divine partout à travers le monde. Depuis je Purge des Hérétiques.

Astrid aussi venait de loin. Voilà un point commun entre eux, sauf peut-être qu'Astrid n'était pas allée aussi loin que sur un autre continent. Elle n'avait pas de maison, pas de lieu en particulier qui lui manquait. Ce qu'il lui fallait c'était le voyage. Ce qui était étrange c'était qu'il ait oublié, et que ça lui manque en même temps. Mais Astrid avait la sensation de comprendre un peu ce qu'il voulait dire. Elle avait longtemps rêve d'une famille dans pour autant en avoir une, sans savoir ce que ça pouvait faire d'en avoir une... Ça pouvait peut être être pareil avec un foyer. Elle continua à manger, oreilles grandes ouvertes pour en apprendre encore un peu plus sur Julius.

Je m'attendais pas vraiment à les voir aussi désorganisés, ni à trouver des poches de résistance locale comme la ville ici même. Mais leurs griffes et leurs crocs font vraiment mal, et la maladie qu'ils transmettent ont même réussi à paralyser une partie de votre cité. Et vous ma Dame? Que faites-vous dans la vie? Vous résidez ici depuis longtemps?"

Marbrume, poche de résistance locale contre les hérétiques... La cartomancienne comprit enfin de quoi parlait Julius quand il parlait d'Hérétiques. La Fange. Elle se sentit instantanément soulagée, poussa un long soupir alors que ses épaules se détendaient et qu'elle se tenait un peu moins droite.

- Je suis cartomancienne, dit-elle sans mentionner la prostitution, mais j'ai aussi été chanteuse, un peu actrice, et danseuse aussi, pour tout vous dire. Je ne viens pas de Marbrume non plus, j'ai beaucoup voyagé mais j'ai été coincée ici par la Fange... Enfin, je crois que vous les appelez les Hérétiques...

Elle aurait bien continué si un type bizarre n'était pas venu s'installer à leur table, plus particulièrement auprès d'elle. Il était crasseux, sale, dégoûtant, son odeur seule était repoussante et Astrid eut pour réflexe de détourner le regard et de ne plus quitter Julius des yeux... Elle ne vit pas l'éclair malsain, la lueur abjecte qui brillait dans le regard de l'intrus.

"Bonsoir Messieurs Dames, enfin surtout Madame..."

Oh. Voilà qui n'avait rien d'un bon présage. Rapportant finalement des yeux vers l'homme qui venait de parler elle remarqua immédiatement la manière qu'il avait de reluquer sans aucune gêne son décolleté. Il y était visiblement plus sensible que Julius, il avai probablement compris quelle seconde activité Astrid exerçait de manière rémunérée.

"Alors comme ça vous passez un bon moment hein? Je vous prendrais la jolie jeune femme après. À combien s'élèvera le passage en caisse Messire?"

Astrid se sentait mourir de honte. Elle n'avait pas l'habitude qu'on exprime devant elle ce genre de choses de manière si directe, elle n'avait pas non plus l'habitude de s'occuper de plus d'un client dans une soirée, et elle n'avait de toute façon pas exprimé le moindre désir qu'un inconnu vienne lui tenir compagnie. Julius ne la laissa pas tomber, il glissa sa main sur la sienne et ce geste, venant d'un chevalier de deux mètres de haut, était des plus rassurants.

"-zéro."

Il faisait partie des personnes qu'elle refusait toujours, parce que trop sale, parce que trop étrange et aussi parce qu'il s'énervait. Et qu'en s'énervant, il dévoilait une part de lui-même à peine cachée.

"-C'est hors-de-question! J'ai beaucoup d'argent et cette femme sera à moi!

Il attrapa avec violence l'avant-bras d'Astrid. La cartomancienne avait bien reçu la demande de Julius, avait bien entendu qu'elle ne devait pas crier. Pourtant elle en avait très envie, elle avait peur, et son mouvement de recul ne put pas passer inaperçu.

Je vais lui ramoner le cul et lui faire cracher sa semence, puis hurler jusqu'à que ses cordes voc..."

Le chevalier écarquillait les yeux et la cartomancienne, rouge de honte, se demandait si c'était à cause de ce que venait de dire l'inconnu. On lui avait déjà parlé ainsi, on l'avait déjà violentée et même bien plus. Mais pas en public. Pas comme ça.

Astrid retint le cri qui voulait sortir de sa gorge. Elle n'avait rien vu venir, mais une tellle violence sous ses yeux la surprenait autant qu'elle la mettait mal à l'aise. Il y avait du sang qui coulait sur la table. Et Julius, imperturbable, lui tendit le bracelet qu'elle avait perdu et qui avait été récupéré par l'intrus.
C'était un peu comme si ce qui se passait parvenait de manière floue au cerveau d'Astrid. Le pervers avait fermé les yeux, avec ce qui était planté dans sa main ce n'était pas très étonnant de toute façon. Il s'agitait sans relâche sur sa chaise, du moins jusqu'à ce que le chevalier se penche pour lui murmurer quelque chose que la cartomancienne ne put pas comprendre. Mais au moins il finit par se lever difficilement et par quitter l'établissement, pour le plus grand soulagement de toute la clientèle.
Et Julius reprit le cours paisible de son existence, en se penchant sur son assiette pour continuer à manger. Astrid, encore choquée, ne se sentait plus vraiment d'appétit. Leurs regards se croisèrent un instant, alors que chacun gardait tête baissée en direction de la table.

"-Désolé... Heureusement que l'odeur de décomposition dans la rue m'est revenue, sinon je n'aurais pas fait le rapprochement.

Désolé? Malgré la violence il venait de lui rendre un service bien plus grand que tout ce qu'il pouvait imaginer. Qui sait ce qui aurait pu se produire si elle avait dû refuser elle-même? Un type l'avait déjà suivie jusqu'à sa chambre pour la passer à tabac il n'y a pas si longtemps. Voilà une expérience qu'elle ne tenait pas à renouveler, même si ce n'était pas la pire qu'avait pu lui apporter son deuxième métier.

- Ne soyez pas désolé, vous n'imaginez sûrement pas ce que vous venez de m'épargner...

Elle tenta un petit sourire mais elle était perdue dans un certain nombre de souvenirs peu joyeux qui lui donnaient un air plus triste qu'elle ne l'aurait voulu.

- Et vous avez même retrouvé mon bracelet... Je ne sais même pas comment vous remercier, il a une telle valeur à mes yeux... Je ne pensais plus vraiment le revoir un jour. Merci. Merci infiniment...

Mais maintenant il y avait autre chose. Il y avait sa condition de prostituée, clairement mise au jour par l'intervention du pervers à leur table.

- J'espère que ma... Condition ne vous... Comment dire... J'espère que je ne vous couvre pas de honte.

C'était un chevalier. Il était très certainement noble. Que diraient les gens de le voir à table avec une prostituée qu'un psychopathe crasseux pouvait se permettre d'aborder? Elle n'osait plus regarder Julius en face. Ses longs cheveux noirs cachaient la majeure partie de son visage alors qu'elle observait son assiette sans y toucher. Elle n'avait plus d'appétit. Elle avait les larmes aux yeux un peu, même si elle savait qu'elle n'avait pas de raison de s'inquiéter à présent. Tout ceci avait remué en elle de sales histoires qu'elle aurait préféré oublier encore longtemps et dont elle n'avait pas vraiment envie de parler.

"-Je n'ai pas de remords à avoir quant-à rester avec quelqu'un qui paie ma pitance et me recoud la peau, bien au contraire."

Un léger sourire naquit sur les lèvres de la cartomancienne, même si elle ne redressa pas son visage pour autant. Elle apercevait à peine Julius qui continuait à manger comme si de rien n'était. Cette vision lui réchauffait un peu le coeur, au moins elle aurait fait quelque chose de bien, elle aurait aidé quelqu'un. Et puis, pas n'importe qui ! Un combattant de la Fange, qui n'avait d'ailleurs pas hésité à prendre sa défense en retour.
Mais ça n'empêchait pas ses funestes pensées de progresser encore dans son esprit et de l'inquiéter. Julius ne serait pas toujours là pour l'aider. Elle pouvait bien sûr compter sur Viktor également si elle avait un problème mais elle répugnait à l'idée de le déranger et de toute façon il pourrait sûrement mieux la venger que la protéger. Ils n'appartenaient pas au même monde.
Un peu perdue dans ses pensées elle sursauta quand la main de Julius fut assez proche pour toucher ses cheveux, et elle essaya de retenir le mouvement de recul que ça lui inspirait. Elle avait les yeux rougis et brillants à cause des larmes qu'elle contenait avec peine, elle n'avait pas particulièrement envie de se montrer ainsi. Mais le chevalier attrapa son menton entre ses doigts pour la forcer à relever la tête et elle n'eut ni le courage ni la force de s'y opposer. Elle le regarda un instant avant de détourner les yeux, pendant que le chevalier commençait à parler.
Avec le temps il devenait presque bavard. Avec sa tirade il réussit à tirer un autre sourire à la prostituée. Elle était un peu rassurée d'entendre cette vision des choses. Elle n'avait pas vraiment honte de son métier en lui-même, mais elle savait quel regard les gens portaient sur elle à cause de celui-ci. Elle pouvait vivre humiliée sans que ça lui pose problème, mais elle n'avait aucune envie que ça rejaillisse sur quelqu'un d'autre, en particulier un noble chevalier combattant la Fange.
En ce qui concernait la fin de ce qu'il racontait, elle se demandait s'il était sérieux. Il n'avait pas vraiment l'air de rire évidemment, mais personne dans la vraie vie ne pouvait être gêné à ce point pour si peu. Enfin... Peut-être Julius, mais il était bizarre alors ce n'était pas tout à fait pareil . Ne sachant pas quoi répondre elle hocha doucement la tête pour dire "oui".
Le chevalier raclait son assiette avec application, il avait déjà fini alors qu'elle n'avait fait qu'entamer son propre plat, et but un verre d'eau. Pendant ce temps là, la cartomancienne s'était forcée à avaler une petite bouchée de légumes pour faire honneur au plat et ne pas gêner Julius. Elle ignorait jusqu'où il avait dit la vérité au sujet de ses boyaux tordus.

"-Veuillez m'excuser... mais... Pourrais-je partager un coin de votre salle à coucher pour cette nuit? Je peux dormir dans un coin contre ou sous un meuble, le confort m'importe peu. Et puis je ne souhaite pas qu'on vienne passer dans votre chambre afin de vous faire payer pour la main que j'ai cloué sur la table ce soir.

Astrid sourit doucement après avoir avalé sa bouchée. Comme si elle pouvait lui refuser ça! Elle lui avait déjà prêté son lit, elle lui avait donné à manger, elle faisait nettoyer sa cuirasse, et elle refuserait qu'il reste simplement dans sa chambre ? Ça n'aurait aucun sens. Elle ne comptait de toute façon pas le laisser s'en aller comme ça dans la nuit.

- Vous êtes le bienvenu, évidemment. Mais il est hors de question que vous dormiez par terre, ce ne serait pas correct voyons, vous êtes mon invité et vous avez bien plus besoin d'un repos réparateur que moi. Je ne fais que tirer des cartes et vous combattez, il faut que vous soyez en pleine forme. En plus vous avez été blessé, c'est décidé, je vous laisserai mon lit.

C'était aussi une manière de le remercier un peu de ce qu'il avait fait pour elle, parce que même si elle l'avait déjà aidé elle se sentait redevable.

- Vous croyez vraiment que quelqu'un viendra à cause de la main de cet homme ? Demanda-t-elle finalement d'un air inquiet. Elle n'avait pas imaginé ce genre de représailles.

Elle se força à avaler une autre bouchée du plat, même si toute cette angoisse avait fait fuir son appétit depuis longtemps. La présence de Julius allait apaiser ses sombres peurs, du moins c'était probable, mais elle n'avait pas imaginé qu'il puisse être réellement besoin de la défendre.

- Je sais que je ne devrais pas dire ça, mais il ne méritait pas mieux. Il m'a rappelé... Enfin, bref. Si vous souhaitez aller vous allonger n'hésitez pas, j'irai voir où en est votre cuirasse avant de vous rejoindre.

Julius se mit en route, mais Astrid ne le suivit pas tout de suite. Elle resta quelques longues secondes, une minute ou deux peut-être, à fixer son assiette d'un air distrait. Une fois qu'elle fut tout à fait persuadée qu'elle n'en mangerait plus une miette, elle finit par se lever mais ne prit pas tout de suite le même chemin que le chevalier. S'approchant des escaliers pour rejoindre une autre chambre, un gros bruit attira son attention. Elle aperçut vaguement Julius se relever, mais puisqu'il semblait aller bien elle ne l'interpella pas et le laissa regagner tranquillement la chambre comme elle le lui avait permis.
Astrid, arrivée à l'étage, frappa à une autre porte que la sienne, mais tout doucement. Il était tard et elle n'entendait aucun bruit qui en provienne, il était probable que son occupant dorme et la cartomancienne n'avait pas du tout envie de le réveiller. Il s'agissait simplement de la personne à qui elle avait confié l'armure de Julius, et elle aurait voulu savoir si le travail était terminé. Seulement il lui faudrait apparemment attendre le lendemain pour avoir cette information. Elle aurait peut-être dû s'y intéresser avant leur sortie à la recherche du bracelet, elle aurait eu plus de chance d'apprendre quelque chose. Qu'importe. Astrid laissa tomber pour le moment et rejoignit sa chambre, où elle trouva le chevalier bien installé... Sur le fauteuil.
Elle ne put réprimer son soupir. Visiblement il était impossible de lui faire entendre raison, en tout cas au sujet du lit. Au moins il avait choisi le fauteuil et ne s'était pas installé par terre comme il l'avait suggéré plus tôt. Non, ce qui était vraiment bizarre c'était qu'il avait bougé le meuble pour le mettre bien en face du lit. Ça mettait la cartomancienne extrêmement mal à l'aise. Mais de toute façon, Julius allait dormir, hein ? Non ?

"-Pour ce qui est du mécréant, je vais rester en position assise afin d'être plus rapidement mobilisable si besoin, ne vous inquiétez pas pour moi."

Astrid s'était tout de même approchée du fauteuil pour jeter un œil plus ou moins discrètement sur la blessure de Julius. Elle avait entendu qu'il était tombé, et peu importe ce qu'il dirait elle s'inquiétait tout de même un peu.

-Vous n'oublierez pas de dormir, j'espère... Dit-elle d'un air un peu espiègle. Installé comme ça, on dirait bien plus un garde qu'un invité et pourtant il avait bien demandé à Astrid de pouvoir dormir dans sa chambre, elle ne l'oubliait pas.

Il la regardait dans les yeux et elle se sentait presque mal à l'aise d'avoir osé s'approcher, alors qu'elle n'avait pourtant rien fait de mal, au contraire. Elle détourna les yeux avec un petit sourire gêné, s'apprêtant à faire une remarque sur l'emplacement du fauteuil qui la mettait un peu mal à l'aise, quand soudain...

"-Si... Enfin vous... Je suis désolé... Mais qu'est-ce que cet énergumène vous a-t-il rappelé?"

Elle n'osa même pas lever les yeux et eut d'ailleurs un mouvement de recul, surprise que Julius lui demande ce genre de choses. Elle s'en voulait un peu d'avoir mentionné le simple fait que ce type lui rappelait quelque chose, mais elle avait surtout imaginé que ce serait assez évident pour qu'on ne lui pose pas de questions.

"-Je me disais... qu'en parler pourrait... chasser les mauvaises pensées et vous aider à vous reposer plus sereinement..."

Peut-être. Elle n'en savait rien. Astrid avait pris l'habitude de garder ce genre d'histoires pour elle parce que ça n'intéressait personne. Si jamais quelqu'un y portait de l'intérêt, ce serait certainement parce que c'était un ami, et la cartomancienne n'en avait pas beaucoup. Elle se sentait alors obligée de les rassurer, et elle ne parlait jamais de ses problèmes. Encore moins de tous ceux qui pouvaient avoir un lien avec sa seconde activité professionnelle.
Elle se retrouvait un peu perdue, n'osant pas tellement s'installer dans son lit de peur de se sentir un peu trop observée par Julius juste en face, et ne sachant pas vraiment quoi faire en restant debout. Elle finit par s'approcher de son armoire, et l'ouvrir pour y chercher quelque chose en même temps que pour chercher ses mots. Elle ne savait pas par où commencer, ni même si elle devait ou voulait tout lui dire. Il y avait bien trop de choses.

Eh bien... Disons que ce n'est pas la première fois que ce genre de choses arrive. Les gens ont parfois tendance à oublier que.. Les filles comme moi... Ont des sentiments, ou peuvent ressentir la douleur. Ils oublient parfois qu'elles peuvent dire « non ». Ou ils ne l'acceptent pas, peut-être.

Elle ne sut pas quoi ajouter, elle n'avait pas envie de rentrer dans les détails et sentait déjà que ses yeux étaient humides. Elle fit un peu de bruit en bougeant ses affaires dans l'armoire, pour masquer le bruit de quelques sanglots qui lui échappèrent brusquement. Mais elle se reprit bien vite, et après quelques secondes supplémentaires auprès de son armoire, elle en sortit une chaude couverture qu'elle posa sur les genoux de Julius sans même lui demander son avis. Parler la libérait un peu, mais elle avait peur qu'il la juge. Elle ne savait pas quoi lui dire et doutait qu'il puisse comprendre. Mais au fond, savoir que quelqu'un s'en était un jour inquiété le faisait un peu chaud au cœur. Et pleurer lui ferait sûrement du bien. Seulement elle préférait éviter de le faire en public.

Voilà pour vous.

Elle n'avait pas voulu paraître si froide mais c'était sorti tout seul, et elle ne se sentait pas vraiment la force de se répandre en excuses comme elle l'aurait fait habituellement.

-Il y a de l'eau dans le pichet sur la table de chevet, si vous avez soif, dit-elle d'un ton plus doux.

Astrid se glissa finalement dans son lit, remontant la couverture aussi haut qu'elle le pouvait, bien loin de s'endormir pour autant. Elle regardait le plafond d'un air vide, espérant que la conversation sur ses souvenirs était terminée, même si elle répondrait évidemment encore à Julius s'il la questionnait à ce sujet ou un autre.