Omnes vulnerant ultima necat ( Julius )

Julius éteignit la bougie. Astrid aurait préféré qu'il n'en fasse rien parce que l'obscurité n'était pas rassurante mais il fallait voir les choses en face : les bougies coûtaient cher et elle ne pouvait pas se permettre de les gaspiller pour si peu. Et puis comme ça elle aurait peut-être un peu moins le sentiment d'être surveillée par Julius qui n'avait rien trouvé de mieux que s'installer juste en face du lit.

"-Bonne nuit, ma Dame."

Au moins ils ne parlaient plus de choses qui fâchent. C'était un peu étrange de se faire appeler "ma Dame", d'ailleurs. Elle lui avait donné son prénom, elle se serait attendue à ce qu'il l'utilise mais apparemment non. Alors qu'elle méditait là dessus, elle laissa planer le silence un instant mais finit tout de même par répondre. Il était si poli, il serait dommage de mal se comporter en réponse.

- Dormez-bien, dit-elle doucement en se demandant s'il l'entendait ou s'il dormait déjà.

Elle entendait sa respiration régulière et tranquille, ce qui aurait dû avoir un effet tout aussi apaisant sur elle. Mais non. Au lieu de ça, Astrid passait de longues minutes à se retourner dans tous les sens, montant et baissant la couverture toutes les deux secondes parce qu'elle avait tour à tour trop chaud et trop froid. Et en arrière plan, toujours quelque part, la peur des souvenirs autant que des cauchemars.
Elle aurait bien aimé voir un ami. Peut-être Viktor. Mais en y réfléchissant elle ne voyait pas vraiment ce qu'elle aurait pu lui dire. Elle se sentait aussi seule que désarmée malgré le colosse de deux mètres installé juste là, tout près. Il était très gentil mais aussi très bizarre. Astrid se rendit compte qu'elle aurait aimé avoir une réponse à ce qu'elle lui avait confié finalement, mais elle n'oserait jamais la lui demander. Le moment propice avait disparu.
Elle avait mal au ventre tout en sachant qu'elle n'avait pas faim, et la chaleur de la chambre lui devenait insupportable. Combien de temps s'était écoulé depuis l'extinction de la bougie ? Elle se surprit à se poser la question, cherchant à savoir combien d'heures la séparaient encore du lendemain et des activités qui visent et occupent les esprits tourmentés.
Et une certitude lui vint: ça n'irait pas mieux en restant là à ressasser ces histoires dans le noir. Si elle avait été seule elle aurait chanté, sa grande spécialité avec sa si douce voix qui lui avait valu son surnom, ou alors elle se serait tiré les cartes en espérant se rassurer ainsi. Mais il y avait le chevalier, et il avait l'air de dormir. Hors de question de le déranger.
Astrid laissa glisser sa couverture au bout du lit, sans faire de bruit. Elle se leva avec discrétion. Depuis le temps elle connaissait sa chambre, elle connaissait les endroits où marcher dans faire grincer le plancher. Et elle se dirigea tout naturellement vers la sortie, sans bien savoir pourtant ce qu'elle pourrait y faire. Le plus important était la réussite de son premier plan : sortir sans réveiller Julius. La porte grinça un peu mais ça elle ne pouvait pas l'empêcher et ça n'allait tout de même pas l'inquiéter, si ?
Elle regrettait qu'il n'ait pas voulu prendre le lit, alors qu'elle le laissait pourtant vide. S'il s'en rendait compte il s'y glisserait peut-être? Elle n'y croyait pas vraiment. Il n'avait pas l'air d'apprécier y être couché vu sa réaction en s'y réveillant un peu plus tôt.
Astrid se retrouva seule dans le couloir mal éclairé. Ce n'était pas plus rassurant que sa chambre mais le fait d'être debout lui donnait l'impression de réussir à s'occuper, et puis il y faisait un peu moins chaud.
Après avoir fait les quatre cent pas un moment elle se décida à s'asseoir sur les marches de l'escalier. Retourner dans son lit ne lui semblait guère plaisant et elle ne voulait pas réveiller Julius en faisant marche arrière. Elle posa la tête contre le mur, écoutant vaguement les restes de musique et les rires provenant de la grande salle. Elle finit même par s'endormir dans cette étrange position.
Sans rêves, sans cauchemars, sa nuit s'annonçait paisible malgré la position peu orthodoxe dand laquelle le sommeil l'avait surprise. Mais d'autres personnes montaient se coucher et se trouvèrent fort chagrinées de tomber face à face avec une charmante demoiselle ainsi endormie sur les marches. Puisqu'elle avait le sommeil profond, elle ne répondit à aucun de leurs appels. Les deux hommes qui se trouvaient là se regardèrent un moment, et le plus proche d'Astrid décida de lui secouer doucement l'épaule pour la réveiller. Bien mal lui en prit. Parce que tout ce qu'il réveilla chez Astrid fut son angoisse et sa panique, et à peine eut-elle les yeux ouverts qu'elle poussa un grand cri, comme s'ils avaient voulu lui faire du mal.

J'accoste. J'ai volé toute la nuit. Je plane. J'ai les bras écartée et je traverse le monde plus vite qu'il ne s'étend. Tout me semble si logique, calme et plein maintenant. J'ai quitté cette terre, ce monde que je ne veux plus. Pas de ce monde, pas de cette terre.

Je vole, je traverse les étoile, la nuit m'enveloppe de mon manteau plat, et tout semble si coloré et puissant maintenant. Orion sur ma droite, Andromède sur ma gauche. Je défile plus vite que la lumière, mon esprit est passionné par tout ce qui se passe autour de moi. Puis ensuite un escalier.

Un grand escalier blanc, fait de nuages. Mais froid, et tâché de rouge. Au fur et à mesure que je le grimpe. Une sensation de plénitude m'envahit. Je me frotte les mains, comme si je venait de finir de réparer quelque chose, ou de terminer mon travail. Une sensation de culpabilité me prend au ventre au fur et à mesure que je m'approche du Maître. Il me pointe du doigt et m'adresse la parole de sa voix grave et douce... la voix de la Dame.

"-Bon retour parmi nous, Julius."

Je suis sur l'escalier pour le paradis.

Il lui manque une marche. Tout explose. Une vague rouge de feu se propage tout autour de moi. Elle forme une sphère autour de mon champ de vision. Tellement grande que je me sens toujours en son centre. Je cours pour éviter de tomber. Quand une marche se décroche sous mes pieds et vient se souder à mes semelles.

Des astéroïdes fusent autour de moi et heurtent les bords de la sphère. Tout semble si loin, mais si grand que j'ai l'impression que la scène se déroule sous mon nez. La planche ne vole pas. Elle s'agrandit indéfiniment. Mais c'est tout comme.

Des Hérétiques, des milliers, ils volent aux aussi! Ils n'ont pas de planche, mais s'envole aux aussi! Pourquoi sont-ils tout argentés? Ça brille et pique les yeux! JE DOIS LES PURGER. Ma nouvelle monture peut peut-être m'aider! Je m'envole vers ces parasites. Je Surfe avec les Hérétiques.

J'en heurte un de plein fouet. Tout se coupe. Je plane toujours, mais dans le noir absolu.

Une lueur bleue s'allume, je la survole de très loin, mais elle me fixe encore. Les proportions et le mouvement est vraiment bizarre dans un rêve. De la lumière jaune arrive, mais reste discrète par rapport au bleu qui grandit, et enveloppe toute l'univers autours de moi.

Je suis accompagne d'un cavalier sans tête, enfin, qui possède une tête, mais étrange... Je m'en rapproche, c'est une pomme de terre. Je me recule et le laisse hurler à travers ces plaine. Un hurlement de joie et d'excitation. Il m'a l'air sympa ce gars. Des cloches sonnes partout autour de moi, et le bleu se meut comme s'il devenait une plage. C'est étrange. Mais je continue de voler dans la lumière. Je vole dans un rêve bleu.

Puis je vois le jaune et le bleu qui se mélangent et je me sens assis dans une sorte de siège. Un étrange appareil apparaît dans ma main, il est pourvus de petit bâtonnets indiquant des nombres et tournant autour d'un point fixe. Je tourne les bâtonnets. Le vert qui résulte du mélange chromatique se met à bouger. Et je me retrouve dans un bateau. J'ai mon armure... neuve! Des gens sont autour de moi, équipés du même équipement que moi. Nous voguons au gré des vents et un homme bat du tambour derrière moi. Je retourne les aiguilles et me retrouve au milieu du plateau... du Labret. Une femme est à mes genoux, et deux Hérétiques sont écrasés autour de moi. Ils ne sont pas argentés ceux-là, c'est une bonne chose. Ils se mettent à brûler d'un seul coup autour de moi. Je ne comprend pas!

Encore un flash noir. Ça va durer encore longtemps? Je ne suis pas évanoui comme la dernière fois j'espère.

J'entend de la musique. Un homme est là, relativement petit, un crâne totalement dépourvu de cheveux qu'il cache sous un bout de tissu directement accroché à son haut, une sorte de chapeau intégré... Il porte aussi des mini vitres noires devant les yeux... c'est bizarre.

Mais je qui intrigue le plus, c'est l'objet qu'il porte dans les mains. On dirais un luth, mais en beaucoup plus grand, plus poli, éblouissant même, et seulement à 7 cordes. Il les gratte, jouant des accords (je crois que c'est ça?) qui font bouger mes intestins. Je bouge à l'intérieur de moi. Je me sens vivant! Je bouge, danse, m'agite et me sens terriblement puissant. Je pourrais détruire tout les Hérétiques volants tellement je me sens bien! Ses accords de la vie sont très stimulants, et pourraient réveiller tout les morts de la planète tellement l'existence bat en eux.

Puis la fin arrive. L'homme arrête, pose son outil par terre. Et disparaît. Son tissu noir fusionne avec les mini vitres... et disparaissent dans l'obscurité totale. Ainsi finit la Belle et Étrange musique, je suppose.

Je suis réveillé par un cri. C'est la Dame!

Je me lève en précipitation, court à travers la chambre et enfonce la porte à coup d'épaule. L'engourdissement de mon sommeil met à mal mes muscles qui tressaillissent de mécontentement. Mais la porte était juste poussée, elle s'ouvre donc sans prendre de relatifs dégâts.

J'arrive et voit la dame la main sur la poitrine complètement apeurée. Des hommes l'encerclent. Peut-être qu'ils lui veulent du mal. Il faut analyser.

La joue de la Douce comporte une marque en son travers, elle est très rouge et relativement profonde, preuve qu'elle s'est appuyée longtemps au même endroit. Sa robe ayant pris un faux pli étaye cette théorie.

Les hommes sont tous surpris, leurs yeux son écarquillés et certains ont les mains en l'air. Ils ne pensaient surement pas faire crier la Dame. On peut donc réduire l'hypothèse d'une agression.

Les bougies sont plutôt proches de leurs fins, il doit être tard, la taverne est presque vide par rapport au moment où nous sommes montés.

La dame à dû dormir sur les escaliers, et les hommes la réveiller. Maintenant action.

Je m'avance à grand pas, et les mâles s'écartent en me voyant arriver. Je les fixe dans les yeux, cela doit venir de là.

"-Pardonnez-moi."

Je prend la Dame apeurée en glissant une main sous ses épaules et mon autre bras dans le creux de ses genoux pliés. Elle se porte dans difficulté, mes muscles grincent mais je ne les écoute pas.

Je ramène la Dame, la rassois sur le lit et pars ouvrir la fenêtre et fermer la porte. Je rallume la bougie à partir d'une du couloir que j'ai pris au passage.

Quand ceci est fait, je m'assois à la gauche de la Dame sur une partie du lit, du bout des fesses. Je passe la main sur mon visage encore immobile et statufié par le rêve étrange. Le peu de lumière qui passe à travers les volets fermés est suffisamment forte pour me percer les rétines, tandis que la bougie me les brûle lentement, avec un peu plus d'humanité donc.

"-Que s'est-il passé exactement? Si vous avez besoin de quoi que ce soit je suis là."

Pendant quelques secondes, Astrid, encore effrayée et surprise, se collait au mur en dévisageant les deux hommes qui se trouvaient devant elle. Ils avaient l'air au moins aussi surpris, et ne firent pas mine d'approcher d'elle, pas même d'un pouce. La cartomancienne, tremblante, finit par ouvrir la bouche pour dire quelque chose, probablement des excuses, elle ne savait pas encore vraiment quoi, mais ce court instant de suspension du temps plongé dans un silence étrange fut coupé par l'apparition soudaine de Julius. Heureusement que la porte n'avait pas été trop bien fermée, sinon le chevalier serait assurément passé au travers et Astrid aurait dû payer une somme astronomique en raison des dommages. Elle n'eut cependant pas le temps d'y penser et se contenta de lever des yeux écarquillés en direction de son invité. Julius paraissait savoir bien mieux qu'elle ce qui allait se passer à présent, ou peut-être que ce n'était qu'une impression donnée parce qu'il s'avança vivement et fit reculer les hommes sur l'escalier. Il fallait avouer que la carrure de Julius découragerait la moindre tentative de quoi que ce soit de mal intentionné.

"-Pardonnez-moi."

A qui parlait-il ? A Astrid, qu'il souleva comme si elle n'avait rien pesé ? Ou aux hommes qu'il privait de sa compagnie ? Aucune idée. La cartomancienne ne voyait aucune raison à cette déclaration, elle était devenue toute rouge de honte et se disait qu'il serait bien plus approprié que ce soit elle qui s'excuse. Mais le temps que sa voix et ses esprits lui reviennent, Julius l'avait déjà ramenée dans la chambre. Portait-il toujours les femmes ainsi ? En tout cas, c'était la deuxième fois qu'il agissait de la sorte avec Astrid. Elle aurait aimé lui dire que ce n'était clairement pas la peine, qu'elle pouvait très bien marcher, mais elle craignait de le vexer après l'attention qu'il lui manifestait. Et puis, elle l'avait réveillé. Il valait mieux qu'elle ne rajoute pas de désagréments à toute cette histoire.
Jetant un regard au chevalier elle vit bien pourtant qu'il n'avait pas l'air énervé. Il n'avait même pas l'air vraiment ennuyé d'avoir été réveillé, et se montrait prévenant et attentionné en ouvrant la fenêtre, fermant la porte, allumant la lumière, et même en s'asseyant à côté d'elle. Masquait-il son agacement ? Sûrement. Astrid n'imaginait pas qu'on puisse si bien le prendre.

"-Que s'est-il passé exactement? Si vous avez besoin de quoi que ce soit je suis là."

Elle aurait aimé lui sourire, lui montrer qu'elle n'était pas insensible à sa si gentille proposition, mais au lieu de ça elle sentait son cœur se serrer dans sa poitrine et son regard se faisait fuyant. Elle mourait intérieurement de honte, surtout maintenant qu'elle allait devoir expliquer qu'il ne s'était rien passé et qu'elle avait simplement pris peur. Elle l'avait réveillé pour rien. Et elle se sentait en plus idiote d'être sortie de la sorte alors que Julius avait eu tant de craintes pour elle qu'il avait proposé de veiller sur elle. Astrid se sentait au mieux ridicule, et au pire profondément ingrate. Elle passa une main dans ses cheveux pour les remettre en place, mais il ne s'agissait là que d'un réflexe et elle regretta bien vite d'avoir dévoilé son visage ainsi.

-Rien, je … J'ai eu peur, c'est tout. Je ne me sentais pas très bien alors je suis allée marcher un peu dans le couloir. Et puis je me suis assise, je n'osais pas revenir j'avais peur de vous réveiller... Ça me semble bien ridicule, maintenant que je sais que je vous ai fait peur pour rien... Je me suis endormie contre le mur, et puis ils m'ont réveillée et j'ai eu peur... Je suis vraiment désolée...

Elle sentit les larmes lui monter à nouveau aux yeux mais elle ne fit pas l'effort de les retenir et elles glissèrent en silence sur ses joues. Astrid se sentait épuisée, sans savoir vraiment si ça venait de la dure et longue journée qu'elle avait vécue ou si c'était un sentiment plus général. Vivre seule était plus difficile qu'elle l'aurait pensé, et en particulier pour elle qui avait toujours connu le groupe, la troupe de saltimbanques qui l'avait élevée.
Elle aurait bien aimé discuter un peu, en laissant la lumière allumée, mais elle ne savait pas quoi dire. Julius n'était jamais si bavard que lorsqu'il racontait la manière qu'il avait de tuer des Hérétiques et de briser leurs corps. La prostituée n'avait pas vraiment envie de parler de meurtres, et l'idée de faire un long monologue sans obtenir de réponse ne la rassurait pas. Ce n'était pas parce qu'il ne dirait rien qu'il ne la jugerait pas et l'incertitude était plus désagréable que l'hostilité selon elle.
Astrid aimerait bien, peut-être, le prendre dans ses bras. Mais maintenant qu'il connaissait sa condition il risquerait de mal interpréter ce geste, alors tant pis. Elle prit une grande inspiration et sécha doucement ses joues humides, sans chercher particulièrement à se dissimuler cette fois. C'était trop tard.

-Vous... Vous voudriez-bien me parler un peu de vous ? Pas des Hérétiques, hein... De vous, demanda-t-elle d'un air timide. Elle avait l'impression d'avoir déjà partagé beaucoup de son intimité avec Julius et qu'il en savait beaucoup sur elle. Peut-être qu'en lui parlant de lui elle se sentirait mieux. Peut-être que ça lui changerait les idées. Ou pas. On peut parler d'autre choses si vous préférez... C'est juste que...

Elle ne savait pas vraiment comment exprimer ce qu'elle voulait lui dire et ça se voyait très nettement à son air hésitant.

-J'aimerais apprendre à vous connaître un peu. Vous êtes... Gentil. Honteuse, elle se rappela subitement de l'heure et cela se vit aussi sur son visage. Pardon, vous préférez peut-être dormir, maintenant qu'il n'y a pas de... Danger. Je peux vous laisser mon lit d'ailleurs, si vous le voulez, parce que je pense ne pas me rendormir tout de suite.

Elle n'osait pas, ou peut-être qu'elle ne savait pas elle-même, expliquer pourquoi elle ne souhaitait plus fermer les yeux pour le moment. Disons que l'angoisse ne l'avait pas vraiment quittée.

Que... Qu... Quoi? Pardon?

Aussi loin que je me souvienne personne ne m'a jamais demandé ça.

Je me sens tout étrange. Mes yeux s'embuent tandis que je regarde au loin à travers mes souvenirs. Ces mêmes souvenirs qui me sautent à la gorge. Je sens comme des dents s'incruster lentement dans mon cou. Je sens petit à petit l'air qui fuit de ma gorge, comme dans un sifflement murmuré... Ces souvenirs me font mal. Petit à petit la douleur tombe dans mon ventre qui se serre lui aussi, comme pour essayer de garder au creux de lui le petit peu de lucidité et de chaleur humaine qui se dégage du peu de vie dont je peux me souvenir.

Car en effet, ces souvenirs me sautent à la gorge par leur absence.

Je ne me souviens de quelque chose... mais où? Il y a un creux dans ma tête, j'ai l'impression de tomber dedans au fur et à mesure que je cherche le peu de souvenir que je suis CENSÉ avoir. Mais là rien. Le vide, le vrai. L'absence totale de sentiments, comme si ma tête avait effacé toutes traces de ma vie d'avant. Là où devraient se loger des choses remuant mes entrailles, faisant suer mon front, me faisant rire à pleines dents, ou encore remplissant de chaleur ma personne se loge un creux, froid et vide, auquel on voit le fond, mais rien entre les deux.

Je ne suis même pas attaché à ces prétendus souvenirs inexistants. Je suis plus surpris que triste de ne pas en avoir.

Pourquoi n'en ai-je pas? Qu'ai-je fait pour oublier? Je réalise maintenant que la Maison, mon chez-moi me manque terriblement, mais que je suis incapable de m'en souvenir... Au fond, le Maître me fait vivre en me disant que je pourrais retourner chez moi, mais je n'ai même plus de chez moi! Que faire hormis errer sans but avec pour vague mission une tâche, et une récompense dont on ne certifie même plus l'existence? Autant faire la manche en essayant de récupérer une vague richesse dont on ne possède plus aucun souvenir autre qu'un tel nous à dit que ça existait.

Qui suis-je du coup? Une coquille vide. Quelqu'un sans passé, sans avenir. Juste une machine à tuer, sans rien à côté. Cela plaît au Maître, et c'est vraiment la chose qui importe, mais quand tout cela sera finit. Qui serais-je? Qu'aurais-je?

Je ne sais pas. Je me sens trop creux. Mon corps et ma tête sont perturbés. Mon regard tombe dans le vide, une larme tombe sur la couette de tissu grossier.

"-Je... suis pas grand chose. On me dit que je viens de loin. Mais je n'en suis même plus sûr. Je sais que je suis ici pour accomplir ma mission divine, et qu'après je pourrais rentrer chez moi... J'aimerais vous en dire plus, mais je ne peux pas..."

Je fond, en larme et dans ma tête. Tout s'effondre et je me laisse aller. Je ne réfléchit même pas à ce que je fais tellement la tristesse est omniprésente. Je perd le contrôle, tout simplement. Contrôle que je n'ai jamais eu.

Je me retrouve dans les bras de la Dame, ses long cheveux cachant mon visage dans son cou.

"-Je n'e suis pas capable de me souvenir."

Pourquoi l'appelle-t-on la Douce? Je viens de le comprendre. Mais je ne vais pas poser la question, je suis trop triste. Je me laisse aller et bercer dans ses bras.

Julius avait l'air d'être en pleine réflexion et Astrid priait pour ne pas s'être montrée démesurément indiscrète. Il semblait être ailleurs, probablement plongé dans ses souvenirs pour en tirer quelque chose à lui raconter, et elle regrettait d'avoir voulu assouvir sa curiosité. Alors que toutes les larmes n'étaient pas encore sèches sur ses propres joues elle sentait déjà son cœur se serrer dans sa poitrine tandis que le chevalier laissait à son tour s'échapper une larme. Oups. Elle aurait mieux fait de se taire.

"-Je... suis pas grand chose. On me dit que je viens de loin. Mais je n'en suis même plus sûr. Je sais que je suis ici pour accomplir ma mission divine, et qu'après je pourrais rentrer chez moi... J'aimerais vous en dire plus, mais je ne peux pas..."

Il ne pouvait pas ? Cela lui était interdit ? Par qui, par quoi ? Elle était surprise de cette réponse mais évidemment elle ne l'obligerait à rien s'il n'en avait pas envie. Elle allait lui dire que ce n'était pas grave, qu'elle comprenait et qu'il ne fallait pas s'en faire, mais il fondit brusquement en larmes. Double oups. Apparemment elle avait véritablement touché un point sensible et ça n'avait jamais été son but. Julius était venu l'aider et voilà comment elle le remerciait. Elle sentait déjà la culpabilité lui brûler la gorge.
Astrid n'hésita pas à l'attirer doucement vers elle tant il paraissait perdu.Il lui arrivait fréquemment de se retrouver dans sa chambre avec un homme en larmes, mais ça ne lui provoquait pas toujours autant de peine. Julius n'était pas un imbécile venu noyer ses problèmes dans la luxure, il était quelqu'un de gentil qu'elle avait aidé et qui l'avait aidée, et le voir dans cet état la touchait personnellement. Il cala presque naturellement son visage contre le cou de la demoiselle, qui referma doucement ses bras autour de lui. Du moins autant qu'elle le pouvait vu a carrure impressionnante de Julius.

"-Je n'e suis pas capable de me souvenir."

Elle caressait doucement son dos pour essayer de se montrer rassurante et apaisante. Ça ne pouvait pas être si grave que ça, tout de même ? Il devait bien se souvenir de quelque chose. Elle n'osait pourtant pas lui dire ce qu'elle pensait. Si jamais un véritable vide régnait dans son cerveau il se sentirait encore plus... Triste ? Inquiet ? De savoir qu'elle n'avait même pas imaginé que ce soit possible.

-Ça va aller... Ça finira par vous revenir, ne vous en faîtes pas...

Pleurait-il encore ? Il ne semblait pas secoué de sanglot, mais son visage était déjà humide et le cou d'Astrid aussi, elle n'aurait pas su dire si de nouvelles larmes s'y glissaient. Elle tentait de le bercer un peu, et espérait qu'il ne partirait pas dans une crise de larmes incontrôlable. Il était parfois si étrange et imprévisible qu'elle avait du mal à évaluer l'impact que ses paroles pourraient avoir sur lui.

-Moi aussi je viens de loin, et je ne suis pas sûre de l'endroit non plus... Dit-elle doucement. Elle n'aimait pas vraiment en parler, mais Julius se sentirait peut-être un peu moins seul en sachant qu'il n'était pas le seul à ne pas venir d'ici et à ne pas savoir avec exactitude d'où il venait. Ce n'est pas grave, nous finirons par savoir et nous rentrerons chez nous dès que ce sera possible. Et puis, vous avez votre mission, et vous vous en souvenez très bien... Ça va aller...

Elle aurait aimé lui parler de quelqu'un, une femme ou des enfants peut-être, qui l'attendraient chez lui. Mais elle craignait de lui faire du mal, elle craignait qu'il les ait oubliés aussi. Elle se demandait s'il était triste d'avoir oublié, ou si c'était aussi une forme de mal du pays qui commençait à le ronger. Depuis combien de temps était-il parti ? Elle n'en savait rien. Mais dès qu'elle ouvrait la bouche, elle prenait naturellement sa plus douce et calme voix.

-Ce n'est pas facile de tuer les Hérétiques, peut-être que vous vous donnez tellement de mal que vous avez un peu oublié le reste. Ça reviendra j'en suis sûre.

Elle continua à frotter délicatement son dos, et glissa son autre main dans les cheveux de Julius, d'un geste presque maternel. Il lui faisait vraiment de la peine et elle espérait réussir à le réconforter. Elle ne savait cependant pas grand chose de lui et ne connaissait même pas un seul sujet capable de l'intéresser assez pour lui remonter le moral. Si, la cuirasse. Mais à cette heure si tardive elle ne pouvait pas faire grand chose à ce sujet.

-Ce n'est pas facile de tuer les Hérétiques, peut-être que vous vous donnez tellement de mal que vous avez un peu oublié le reste. Ça reviendra j'en suis sûre.

"-J'aimerais vous croire ma Dame, mais tout me semble si loin. J'ai peur de l'avoir oublié."

J'ai un profond sentiment d'incertitude. Ma salive devient pâteuse dans ma bouche au fur et à mesure que je m'enfonce dans ma tête. Mon cou me retire légèrement car la plaie frotte contre les cheveux de la Dame, cheveux qui tombent dans mon dos qu'elle caresse du bout des ongles. Mes doigts sont tendus et tétanisés car je les ai crispés quand je pleurais. Maintenant je vais mieux. Mais mes yeux piquent encore un peu. Ils doivent être rouge, je sens légèrement les battements de mon cœur dans mes yeux, j'ai l'impression qu'ils vont sortir de mes orbites. Je sens aussi un deuxième cœur battre sur ma poitrine, mais ce n'est pas le mien. Mes poils se dressent quand la Dame me caresse sur la colonne vertébrale.

Cette histoire avec ces souvenirs, c'est vraiment très compliqué. Je ne sais pas pourquoi j'ai perdu ma mémoire comme cela. Mais je sais que le seul moyen de la récupérer sera de contenter le Maître. Il m'a promis que je rentrerais à la Maison. Il a dit que nous étions forts, des messagers divins. Il a prévu les Hérétiques, les a senti comme je les sens eux et leur sang lorsque je les traque, comment ne pas croire ce qu'il dit? Le Maître est mon seul but, ses enseignements mes seuls prérogatives, car en lui est mon avenir, le salut et la survie couvert de gloire et de lumière.

Mon corps se réchauffe au fur et à mesure que je pense à lui. Un sourire se dessine sur mes lèvres et je ferme les yeux. Maintenant je me sens bien, je me sens heureux d'avoir le Maître pour m'aider, d'avoir quelque chose à faire de ma vie. Si je n'ai plus ma mémoire, c'est car je suis en mission, pas besoin de me rappeler, je dois accomplir ce qu'on me demande pour accéder au bonheur suprême.

Je me retire de l'emprise de la Dame avec toujours un air niais à souhait sur les lèvres je présume. Je la regarde, enlève les mains de ses épaules et m'allonge en travers du lit, les mains sous la tête. J'efface le sourire.

"-Là où je vivais, le Maître a prévu et senti les Hérétiques, alors il nous a annoncé que nous devions devenir des messagers porteurs de délivrance pour ceux qui ont perdu grâce à ses yeux. Nous nous sommes donc préparés, et mis en marche la Grande Purge. Elle s'est manifestée en une Grande Croisade, et nous sommes venus ici. C'est tout ce dont je me souviens. Mais c'est tout ce dont j'ai besoin de me souvenir, car c'est ce que le Maître veut et me demande."

Je retourne ma tête comme je peux malgré ma position vers la Dame toujours assise à côté de moi. Je lève les yeux pour lancé mon regard dans le sien. Ma position est vite inconfortable pour les cervicales, alors je pose ma question rapidement.

"-Et vous ma Dame?... Qu'est-ce qui vous tracasse exactement? Vous m'avez seulement dit qu'il vous était arrivé misère... Vous souhaitez m'en parler afin que je puisse en savoir plus sur votre vie tumultueuse?"

Je ne sais pas pourquoi je demande ça. Je n'ai pas besoin de connaître son histoire pour accomplir ma tâche et Purger. On va donc dire que c'était par simple politesse et ne pas froisser mon hôte. Elle m'a nourrit et aidé, elle a donc aidé la Purge, je ne dois pas froisser la Dame. Donc je lui pose cette question.

Je déglutit comme je peux. Le plafond est lézardé par-ci par-là. Je devrais bientôt reprendre la chaise pour dormir. Je dois retourner Purger demain, c'est un grand jour. Comme le sont tous les grands jours lorsqu'il s'agit d'aller servir le Maître. Je jette de temps en temps des coups d'œil à la Dame tandis qu'elle parle afin de lui montrer mon intérêt quant-à son récit.

"-J'aimerais vous croire ma Dame, mais tout me semble si loin. J'ai peur de l'avoir oublié."

Il lui semblait presque exténué, comme si chaque combat qu'il avait mené jusque là n'avait fait que lui faire oublier un peu plus ce qui s'était passé avant. Seulement Astrid n'y pouvait rien, à part peut-être le tenir encore contre elle et lui répéter tout doucement que tout allait bien se passer et essayer de s'en persuader elle-même au passage. Elle ne comprenait pas comment il pouvait être possible de tout oublier de cette manière mais la question serait bien trop cruelle. Alors elle resta silencieuse un moment, sentant le souffle chaud de Julius contre son cou humide de ses larmes. Il n'y avait vraiment rien qu'elle pourrait ajouter et elle avait le sentiment confus que le moindre mot supplémentaire la rendrait ridicule ou pathétique.
Peut-être avait-elle fait ce qu'il fallait ? En tout cas quand le chevalier finit par se redresser et remettre entre eux un peu d'espace vital, il avait une espèce de grand sourire un peu béat qui rassurait légèrement la cartomancienne. Au moins il avait l'air d'aller mieux ! Tellement mieux qu'il s'allongea sur le lit, même si son sourire disparut en même temps.

"-Là où je vivais, le Maître a prévu et senti les Hérétiques, alors il nous a annoncé que nous devions devenir des messagers porteurs de délivrance pour ceux qui ont perdu grâce à ses yeux. Nous nous sommes donc préparés, et mis en marche la Grande Purge. Elle s'est manifestée en une Grande Croisade, et nous sommes venus ici. C'est tout ce dont je me souviens. Mais c'est tout ce dont j'ai besoin de me souvenir, car c'est ce que le Maître veut et me demande."

Qui était le Maître? La question se posait pour Astrid, mais elle n'osait pas en faire part à Julius. Il en parlait comme le dernier rempart contre son amnésie, et si elle le questionnait à ce sujet il se rendrait peut-être compte qu'il avait oublié des choses aussi à ce propos. Elle ne voulait pas le déprimer ni le mettre à mal, et même si c'était difficile pour quelqu'un comme elle de se taire elle pouvait bien faire cet effort pour Julius.
Il avait d'ailleurs tourné sa tête vers elle et plongé ses yeux dans les siens. Waldelène lui avait dit un jour que des yeux bleus ne pouvaient pas venir de Marbrume, et effectivement elle savait qu'elle ne venait pas d'ici. Mais les yeux de Julius ne semblaient pas non plus être originaires de la cité. Deux étrangers réunis par hasard.

"-Et vous ma Dame?... Qu'est-ce qui vous tracasse exactement? Vous m'avez seulement dit qu'il vous était arrivé misère... Vous souhaitez m'en parler afin que je puisse en savoir plus sur votre vie tumultueuse?"
- Ma vie tumultueuse ?

Elle était aussi surprise qu'amusée par la formulation de Julius au sujet de son existence. Astrid était loin de considérer sa vie comme "tumultueuse", surtout depuis qu'elle s'était établie à Marbrume et qu'elle ne pouvait plus voyager. Elle passait son temps à tirer des cartes à des imbéciles ou des énervés, et à coucher avec un peu n'importe qui il fallait l'avouer.
Que voulait-il savoir ? Elle pourrait évidemment lui faire un inventaire des ennuis qu'elle avait pu avoir, en particulier avec ses clients, mais ce serait aussi triste qu'ennuyeux et il s'agissait souvent d'histoires assez similaires de toute façon. Elle pourrait tout simplement lui parler de sa vie, mais ça lui semblait tout aussi dénué d'intérêt. Enfin... Il avait simplement retourné la question qu'elle lui avait posée. Elle allait donc faire un effort.

- Eh bien... Je ne sais pas vraiment quoi vous dire ni par où commencer.

Elle se tut un instant, se demandant jusqu'où il était judicieux de remonter dans son récit et ce qu'elle ferait mieux de garder pour elle.

- Ma vie était sûrement plus intéressante avant. Mes parents m'ont abandonnée, alors j'ai été élevée par des saltimbanques. On voyageait beaucoup, c'était... Agréable.

Astrid préférait passer assez vite sur tout ça, c'était un sujet qui pouvait vite devenir douloureux si on s'y attardait trop ou si son interlocuteur faisait preuve de trop de curiosité.

- J'ai appris à danser, chanter, à lire l'avenir... Et puis il y a eu la Fange, et maintenant je suis coincée toute seule ici. Ce n'est pas très tumultueux, ni même très intéressant. Le reste c'est... De vagues péripéties. Parce qu'il faut bien manger.

Astrid n'avait aucune idée de ce que Julius attendait de cette conversation, elle avait un peu l'impression de se montrer sèche mais ce n'était pas son but.

- Enfin... Vous vouliez peut-être savoir quelque chose de précis? La question était assez vague.

Elle se demandait s'il s'intéressait réellement à elle, ou s'il n'avait fait que se montrer poli en lui retournant la question.

- En tout cas, s'il vous plaît, appelez moi juste Astrid.

- Eh bien... Je ne sais pas vraiment quoi vous dire ni par où commencer.

Ma vie était sûrement plus intéressante avant. Mes parents m'ont abandonnée, alors j'ai été élevée par des saltimbanques. On voyageait beaucoup, c'était... Agréable.
J'ai appris à danser, chanter, à lire l'avenir... Et puis il y a eu la Fange, et maintenant je suis coincée toute seule ici. Ce n'est pas très tumultueux, ni même très intéressant. Le reste c'est... De vagues péripéties. Parce qu'il faut bien manger.

Enfin... Vous vouliez peut-être savoir quelque chose de précis? La question était assez vague.

En tout cas, s'il vous plaît, appelez moi juste Astrid.

"-Non, vous êtes une Dame, car vous êtes bonne, gentille, respectable et intelligente. Vous méritez qu'on vous décerne un titre de valeur, car vous en avez."

Le plafond est lézardé, une entaille se glisse parmi les cassures. Il doit être très vieux. Cette entaille est trop profonde pour qu'elle vienne de la hache qui à coupé la bûche. De plus le traitement du bois n'est pas allé à l'intérieur. L'entaille provient sûrement d'une lame, une épée ou une dague. Si la Dame, Astrid possède la même chambre depuis le début. Et que c'est lié à ses mésaventures, alors je la plaint.

J'écoute sa voix. Elle est très douce, elle agirait presque comme une berceuse. Je l'ai encore dans l'oreille quand elle arrête de parler. Alors la lumière de la bougie devient dansante et la seule chose qui bouge dans cette pièce. La Dame à été élevée avec des Saltimbanque. J'aimerais la voir danser, cela doit être beau à regarder. Mais il ne faut pas que j'oublie que le maître à dit non.

J'ai très chaud, j'enlève alors mon haut en soie légèrement tâché de sueur. Je le met au pied du lit, bien plié en quatre. Et je me rallonge toujours en travers sur le lit. Maintenant je sens les draps me caresser le dos. Ils sont doux, et relativement propre. Dormir sur du mou me fera du bien ce soir. Je quitte mes bottes et me frotte le visage.

"-Je me permet, Ma Dame, de vous souhaiter bonne nuit et éteindre la lumière."

Je souffle la bougie. Je me sens lourd, mes muscles fondent. Je me met juste allongé par dessus les draps, et me tasse contre le mur qui colle au côté du lit. Je ne veux pas prendre d'espace sur le lit de la Dame.

Je ferme les yeux.

Une berceuse me vient à l'esprit et je commence à la chantonner. J'entame le seul passage chanté que je connais dans un murmure.

"Maintenant je me couche pour dormir.
Prie le Maître de garder mon âme.
Oublie les bruits que tu entends
C'est juste une bête sous le lit
Dans le placard, dans ta tête."

Je me sens partir. Je vole

"-Non, vous êtes une Dame, car vous êtes bonne, gentille, respectable et intelligente. Vous méritez qu'on vous décerne un titre de valeur, car vous en avez."

Astrid se surprit à rougir avec le même empressement et la même force qu'une gamine de seize ans qu'on courtise. Elle, une dame ? C'était ridicule et pourtant les explications de Julius à ce sujet lui faisaient chaud au coeur. Il pourrait penser tout à fait la même chose d'elle tout en utilisant son prénom, mais il préférait apparemment qu'elle soit au courant puisqu'il choisissait donc délibérément de l'appeler ainsi. Elle s'était demandé un moment s'il n'avait pas oublié son prénom, ce qui l'aurait forcé à la nommer avec quelques détours. Mais non, cela ressemblait fort à un choix.

- Ah... Euh...

Elle voudrait le remercier sans passer pour une idiote mais les mots ne lui venaient pas, et c'était à son tour d'afficher un air plutôt niais, même si elle paraissait aussi un peu gênée.

- Merci, monsieur, dit-elle finalement avec respect en cherchant à se montrer aussi polie et gentille que lui l'avait été. Cela me touche beaucoup.

Julius ne répondit pas, et laissa donc la demoiselle s'interroger sur la formule qu'elle avait utilisé. Peut-être que "chevalier" au lieu de "monsieur" aurait été plus approprié. Tant pis, elle espérait simplement qu'il ne serait pas blessé par cette légère confusion. Astrid se rendit compte qu'elle n'avait pas détourné les yeux alors qu'il enlevait son haut et le repliait en le déposant aux pieds du lit. Elle avait trop l'habitude d'observer des hommes se déshabiller sans doute, et n'en ressentait plus aucune gêne depuis longtemps. Seulement elle espérait que son regard n'avait pas été dérangeant pour Julius, et pas non plus mal interprété.
Il n'avait pas vraiment l'air de s'en soucier et finit par s'allonger, avant d'enlever ses bottes. La cartomancienne souriait, contente qu'il accepte enfin sa proposition. Il dormirait mieux là!

"-Je me permet, Ma Dame, de vous souhaiter bonne nuit et éteindre la lumière."

Il souffla la bougie sans attendre et ce fut dommage, parce qu'Astrid avait la bouche grande ouverte pour le demander de laisser un peu la lumiere. Tant pis, ce n'était pas grave.

- Bonne nuit à vous aussi, répondit-elle quelques secondes plus tard.

Elle se retrouvait assise sur le bout du lit, elle n'avait pas bougé et elle réfléchissait. Il serait peut-être plus correcte qu'elle aille s'installer sur la chaise et qu'elle laisse tout le lit à Julius. Après tout elle le lui avait proposé. Cependant elle l'avait senti bouger, il s'était installé dans un coin du lit et avait laissé beaucoup de place. Peut-être que c'était un genre d'invitation? Peut-être qu'il acceptait de dormir là à condition qu'elle puisse aussi profiter de son lit, puisqu'il avait toujours semblé craindre de l'en priver. Elle craignait qu'il ne lui prête de mauvaises intentions si elle s'allongeait là, ou même qu'il regrette les gentilles choses qu'il lui avait dites. Elle craignait aussi qu'il ne se sente coupable ou gêné si elle allait dormir plus loin, par terre ou sur la chaise. Impossible de surcroît de lui poser la question, parce qu'il se sentirait sûrement gêné et risquait de retourner à la chaise...
Alors que Julius chantonnait quelque chose à voix si basse qu'Astrid ne comprenait rien, cette dernière se glissa doucement sous les draps. Elle s'allongea dans le lit en prenant garde à rester bien au bord pour laisser de l'espace entre eux - du moins autant que c'était possible avec un colossa pareil dans son lit. Au moins il n'y aurait pas de malentendu. De toute façon il y avait assez e place normalement, le lit était prévu pour deux.
Et un peu plus rassurée et se sachant en bonne compagnie, ses yeux se fermèrent tous seuls pour un sommeil lourd et sans rêves. Comme toujours.

Je me réveille lentement, essayant de débrumer mes yeux de même que mon esprit.

La nuit à été très reposante, je suis heureux d'avoir dormi sur un matelas. Pour une fois mes muscles ne grincent pas et mes articulations soufflent doucement quand je bouge. C'est comme dans un rêve, sauf que j'en sors. Je suis allongé sur le coté. Mes yeux redeviennent sensiblement plus sensibles à la lumière chaque minute qui passe. J'ai un goût fumé et chaud dans la bouche, signe que j'ai bien dormi. Je bouge les pieds, les draps me caressent la peau. J'aime bien.

L'oreiller enveloppe ma tête et me donne la sensation de ne reposer que sur du vide. Mon oreille est légèrement plié, j'ai sûrement dû bouger la tête durant la nuit. Le confort est trop bon, je ne vais pas la redresser, je suis bien comme ça. La fenêtre était ouverte, j'ai pu respirer calmement un air pur cette nuit. Ma peau à dormi elle aussi, je me sens las. Mais bien. Le matelas sous mon bras m'étend la main au loin, c'est très confortable.

Mais ce n'est pas un matelas, ça n'y ressemble pas au touché.

J'ouvre les yeux et me retrouve au milieu d'une forêt noire qui filtre le peu de rayons du soleil qu'on peut voir. C'est saccadé, ça me rappelle les ronces dans lesquelles je me cache pour chasser de l'Hérétique. Je prend une grande inspiration, ça sent la peau, le sommeil et la chaleur. Directement sous mon nez. Je reprend contrôle de tout mes muscles et essaie de les faire bouger un par un dans mon corps afin de jauger ce poids que je me met à ressentir sur moi tout d'un coup. Ce n'est pas très lourd, je pourrais tout envoyer en l'air. Mais je préfère une approche plus tactique, comme ce que le Maître préconise. Et si c'était un Hérétique?

Quelque chose de long est enroulé sur mes jambes jointes, je pose ma main dessus, c'est un genoux. Je pose ma main pour essayer de dégager mon champ de vision, et je rencontre une joue au passage. Quelque chose me touche les côtes.

Je touche la main de la Dame en essayant d'enlever la sienne.

Merde merde merde merde merde. Je déglutit d'anxiété. Que dirait le Maître?

Il avait pourtant interdit les femmes avant la fin de la Croisade! Comment ai-je pu m'égarer comme ça? Je dormais, c'est ça. J'ai du bouger en dormant. Ou alors c'est la Dame qui est venu se plaquer contre moi. Je sens son souffle chaud dans mon cou. Ce n'est pas ma faute hein?

Oh par pitié. J'espère que le Maître comprendra, je sais qu'il est bon. Je pense qu'en tant que plus belle personne de la terre il me pardonnera, il pardonnera le hasard. Mais je me sens sale, et si je l'ai déçu?

Mes yeux sont maintenant grands ouverts et je coupe mon souffle quand je sens la Dame bouger dans mes bras immobiles. Je crois qu'elle se réveille.

C'était doux, chaud, agréable, plaisant, rassurant, apaisant, confortable, douillet, chaleureux, et même reposant. Astrid ne s'en rendait même pas vraiment compte. Quand elle dormait elle était imperméable à ce qui pouvait se passer autour d'elle, et si elle avait eu un tant soit peu de conscience durant cette nuit elle l'aurait utilisé afin de ne pas finir dans les bras de Julius. Évidemment elle n'avait pas non plus traversé le lit pour se jeter dans ses bras mais à deux dans un lit on se retrouve vite. Il suffit de se retourner chacun une fois et on finit par sentir la peau de l'autre. Il suffit de se sentir bien pour se serrer un peu. Et c'est tout.
La cartomancienne ne bougea pas vraiment une fois rapprochée du chevalier, parce qu'elle se sentait bien. Elle aurait d'ailleurs pu dormir encore longtemps si elle n'avait pas été dérangée. La lumière, le bruit, il était rare qu'elle soit vraiment gênée ou éveillée de cette manière. Ce qui la réveillait le plus souvent, c'était le froid. Mais là ce ne fut pas comme ça. Il y eut le contact de quelque chose avec sa joue, il y eut quelque chose qui fit bouger sa main, il y eut sûrement d'autres mouvements même petits qui finirent par la mettre assez mal à l'aise pour qu'elle bouge. Astrid resserra d'abord son bras autour Julius sans même en avoir conscience, comme elle le ferait avec une sorte de porte-bonheur qu'elle voudrait garder près d'elle. Mais le mal était fait, son sommeil avait été perturbé, et après un petit son qu'elle laissa échapper par mégarde ses yeux s'ouvrirent doucement. Elle cligna des yeux, aperçut seulement le peau d'un cou et le décors de la chambre derrière. C'était chaud, c'était doux. Il lui fallut quelques longues secondes avant que tout lui revienne en mémoire et un sursaut, ou peut-être un tremblement, secoua finalement son corps encore habillé alors qu'un murmure inquiet quittait ses lèvres.

- Julius...

Elle recula brusquement son visage, observant qu'elle avait le visage dans le cou du chevalier, cou blessé et qu'elle ne voulait pas rendre douloureux. Et puis elle se recula toute entière, laissant de longs centimètres entre eux deux, avec un air tout à fait inquiet cette fois. Elle espérait ne pas avoir dérangé le chevalier mais elle n'osait pas y croire. Il allait la trouver familière et déplacée, il allait lui dire qu'elle se comportait mal et qu'il avait honte. Elle ne savait vraiment pas quoi dire, ni quoi faire.

- Je suis désolée... Je...

Quoi ? Elle ne savait même pas ce qu'elle avait l'intention de lui dire. Qu'elle s'était endormie, tout simplement ? Ce serait la vérité mais ce serait aussi fort ridicule.

- Je vais chercher votre... Cuirasse... Conclut-elle.

Alors elle se dégagea de la couverture, se remit sur ses pieds, et sans même penser à enfiler ses chaussures ou à se repeigner, elle se dirigea vers la porte. Elle cherchait n'importe quel moyen d'échapper au malaise.

C’est vraiment le malaise.

- Julius...

Pourquoi prononce-t-elle mon nom ? A-t-elle quelque chose à me dire de particulier ? Elle semble profondément endormie, et ses bras se resserrent autour de moi. Si elle essaie de communiquer, je ne risque pas de comprendre. Ou alors, elle rêve… de moi. C’est étrange, je me sens gêné qu’elle rêve de moi. Cela veut-il dire qu’elle tient à moi. Je me sens tout bizarre d’un coup. Je suis incapable de la lâcher. Ou alors, même sans dormir elle murmure mon prénom… elle serait vraiment attachée à moi. C’est étrange, et ce depuis que le hasard nocturne ai décidé de nous coller ensembles dans les bras de l’autre.

La Dame s’est très vite éloigné de mon coup, avec elle s’est éloigné la sensation de son souffle dans mon cou et et le contact de sa peau claire et douce sur moi. Puis ensuite, elle fait ce que j’étais incapable de faire, elle se recule et se dégage entièrement de son emprise, remontant la couverture sur elle au niveau de sa poitrine. Nos regard, en revanche, sont bien en contact. Et c’est en observant ses billes bleues que le malaise s’installe. Nous avons tout les deux un regard insistant et lourd de sens, mais surtout de gêne. Elle se met à bégayer.

- Je suis désolée… Je…

Je la regarde, je n’arrive même pas à analyser ce qu’elle essaie de me dire. Je suis bien trop planté dans ses yeux. Ma tête commence à tourner, mais comme une roue voilée par l’idée planante d’avoir enfreint les ordres du Maître. Une douleur me vient très vite dans le crâne. Je commence à suer.

-Je… comprend pas… moi non plus. Ça doit être le hasard nocturne…

-Je vais chercher votre… Cuirasse...

J’ai à peine le temps de retrouver mes esprits que elle quitte la couette précipitamment, laissant le lit sans sa présence et son corps encore bouillant et irradiant de la chaleur gagné durant la nuit par la couette -ou mes bras. Elle se dépêche, n’enfile même pas ses chaussures ou ne remet pas ses cheveux en bataille avant de passer la porte. Sa robe à pris un faux pli pendant la nuit, et on peut voir que le tissu est légèrement rigide à l’endroit où il à été compressé pour qu’elle écarte les jambes afin de les enrouler autour de moi.

Je me précipites hors des draps. Quoi? Je me suis glissé sous les draps pendant la nuit? J’ai été collé à la Dame? Je m’étais endormi dessus pourtant! Peut importe, mes pieds tombent dans mes bottes et je prend mon haut plié au pied du lit, je ne prend le temps de rien mettre et je dévale les escalier afin de suivre la Dame. J’arrive à sa hauteur, au beau milieu de la rue, après une course rapide. Les lacets défaits. Torse nu. Et incroyablement gêné.

Étant donné l'heure, Astrid savait où trouver la personne à qui elle avait confié la cuirasse de Julius. L'homme dormait à l'auberge mais il lui avait dit travailler dans une boutique du coin où elle pourrait récupérer le matériel le lendemain. Il avait proposé son aide après avoir vu Julius tomber à terre et la cartomancienne n'avait rien eu d'autre à lui confier que cette tâche. Elle espérait qu'il aurait eu le temps de s'occuper de ça, et qu'elle n'aurait pas trop de mal à tout ramener mais elle ne se faisait pas d'illusions : c'était extrêmement lourd, elle l'avait bien vu en la lui enlevant.
Astrid retrouva à peu près ses esprits lorsqu'elle se retrouva dehors. Le sol contre ses pieds nus fut un genre d'électrochoc ainsi que le regard des passants qui la dévisageaient un peu. Baissant les yeux elle se rendit compte des plis dans sa robe, de ses pieds nus... Elle devrait peut-être rentrer, chercher ses affaires et revenir. Ce serait plus sage, mais tellement gênant et ridicule... Que penserait Julius en la voyant revenir ainsi ? Certainement pas grand chose de plus que maintenant, il avait bien dû remarquer la précipitation idiote qui l'avait poussée jusqu'à l'extérieur... Tant pis. Il était temps de faire face à la situation, Astrid prit une grande inspiration et essaya de commencer à remettre ses cheveux en place, tout en faisant demi-tour.
Et elle tomba nez à nez avec Julius, torse nu au milieu de la rue ! La prostituée écarquilla ses yeux, absolument surprise de la scène qu'elle avait devant elle. Il avait ses chaussures lui, d'accord, mais il n'avait pas son haut. Enfin si, il le tenait dans sa main mais n'avait pas jugé utile de l'enfiler apparemment.
Elle ne savait pas quoi lui dire. Elle avait encore les joues rouges de honte et ça n'allait pas s'arranger. Voulant s'approcher de la porte de l'auberge elle s'approcha d'abord du chevalier, mais quand elle ouvrit la bouche elle ne sut pas quoi dire et improvisa maladroitement.

- Vous devriez peut-être... Enfiler votre haut...

Oh, elle était loin de faire la maline ! Après tout elle n'avait pas de chaussures, elle était mal placée pour lui faire la leçon. Disons seulement que son cas était plus discret, et qu'il était inutile d'attirer l'attention sur eux. Ils étaient suffisamment gênés sans public!

- Euh... Vous vouliez m'accompagner, peut-être? Ou... Vous vouliez qu'on parle ? Je... J'ai juste oublié mes.. Chaussures... Je vais les chercher... Fit-elle en baissant les yeux. De tout façon ils allaient bien devoir faire avec. Je... Vous avez... Bien dormi ? . Autant lancer tout de suite le sujet problématique.

- Vous devriez peut-être... Enfiler votre haut...

Elle à raison, j'enfile donc mon haut rapidement, et l'ajuste à la taille. Elle semble faire demi-tour, revenant sur la précipitation qui l'a fait sortir du lit. Ses chaussures doivent lui manquer. Il faudrait qu'elle apprenne que fuir ne sert à rien, car je ne lève la main que contre des Hérétiques. Je la regarde passer à côté de moi. J'ai la tête légèrement baissé et je suis absorbé par ses cheveux volants au vent.

- Euh... Vous vouliez m'accompagner, peut-être? Ou... Vous vouliez qu'on parle ? Je... J'ai juste oublié mes.. Chaussures... Je vais les chercher...
Je... Vous avez... Bien dormi ?

Elle baisse les yeux et se met en marche, pendant ce temps, je sautille pour lacer mes bottes, l'une après l'autre. C'est compliqué de parler en sautillant, alors j'attend d'avoir fini. Nous nous retrouvons donc dans la chambre d'auberge. Avec la Dame enfilant ses souliers. J'ose enfin prendre la parole.

"-Il faut dire. J'ai très bien dormi. Et le fait que le hasard vous ai rapproché de moi, même contre la volonté du Maître, n'y est pas étranger."

Une fois totalement parés, nous nous remettons en marche. Dans la rue, tout le monde semble nous avoir oublié. Nous repassons à l'endroit où je suis tombé hier soir, et une tâche de sang semble toujours imprégner le sol. La marche se fait longue, et silencieuse. C'est gênant. Quelques instants plus tôt nous étions collés l'un avec l'autre. Maintenant nous nous faisons face sans même parler. Je décide de briser le silence.

"-C'est le pur fruit du hasard ma Dame. Il n'y a rien à reprocher à qui que ce soit. À défaut d'avoir le droit ou la morale de le reproduire, il faut l'assumer.

Et personnellement, je ne rangerais pas ça dans la colonne "moments désagréables"."

Nous arrivons enfin dans la petite échoppe du forgeron. Je laisse la Dame passer devant et gérer la suite des évènements. J'étais inconscient lorsqu'elle à enclenché tout ça.

Je profite qu'elle passe devant moi pour le remettre les cheveux droits. Elle était mal coiffée. Je lui passe une main dans les cheveux. Je sens une chaleur émaner sous ma main. Je profite du moment avec cette Dame. Quand j'aurais retrouvé mon matériel, j'irai Purger pour laver l'affront à la volonté du Maître.

En attendant, je prend quelque peu de plaisir, à lui passer la main dans sa chevelure.

Il ne répondit rien. Peut-être aurait-elle dû attendre avant de se mettre à marcher, ça lui aurait laissé le temps de se décider et de prononcer au moins un mot. Mais Astrid n'était pas réputée pour son courage, la fuite lui paraissait plus simple. Elle n'était pas non plus certaine d'avoir envie d'écouter ce que Julius aurait à lui dire. Elle craignait qu'il lui en veuille, qu'il l'accuse en disant qu'elle l'avait fait exprès même si elle ne voyait pas une seule raison valable qui aurait pu l'y pousser.
Elle fut heureuse de retourner dans sa chambre et de retrouver des chaussures. Julius l'avait suivie alors qu'elle faisait demi-tour, ils se retrouvèrent à nouveau tous les deux, seuls dans la chambre. C'était peut-être encore plus gênant que dans la rue, parce qu'ils se retrouvaient sur les lieux du délit sans avoir pris la peine de tirer les choses au clair. Astrid ne dit rien.

"-Il faut dire. J'ai très bien dormi. Et le fait que le hasard vous ai rapproché de moi, même contre la volonté du Maître, n'y est pas étranger."

Elle releva doucement la tête, quittant ses chaussures des yeux pour observer un peu Julius. Elle souriait un peu. Le fait de savoir qu'elle n'avait rien fait de trop grave la soulageait un peu, elle ne s'était attendue ni à ce qu'il prenne la parole ni à ce qu'il lui dise quelque chose de ce genre. Elle n'avait imaginé que des reproches.

- Je ne voulais pas vous mettre en désaccord avec... Votre Maître.

Astrid n'était pas insensible à la majuscule qu'elle sentait dans la voix de Julius lorsqu'il en parlait. Elle ne savait néanmoins ni qui il était ni quels étaient ses préceptes, et n'avait jamais voulu s'y opposer en quoi que ce soit. Elle n'osa rien ajouter et le silence revint alors qu'ils se remettaient en route en direction de la cuirasse de Julius.
Ils prirent des rues qu'ils avaient déjà traversées ensemble plus tôt, notamment celle de leur rencontre. Une imposante tâche de sang se trouvait encore à terre, mais Astrid s'efforça de ne pas lui lancer un seul regard. Elle lui évoquait la chaleur du liquide visqueux qu'elle avait senti s'écouler entre ses doigts alors qu'elle essayait de faire revenir Julius à lui. Ce n'était pas un souvenir plaisant, l'odeur de fer l'accompagnait d'ailleurs.
Astrid ne dit rien. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait dire de toute façon! Aucun sujet ne semblait convenir. Elle n'osait pas questionner Julius sur lui-même, elle n'avait pas tellement envie de parler d'elle, et surtout pas de l'entendre parler de briser des colones vertébrales. Le silence restait gênant.
Encore une fois ce fut Julius qui le brisa et la cartomancienne en fut encore étonnée. Il ne lui avait pas semblé très bavard jusque là... Cela voulait-il dire qu'il vivait mal cette situation ? Elle n'en savait rien mais ne se sentait pas très bien à cette idée.

"-C'est le pur fruit du hasard ma Dame. Il n'y a rien à reprocher à qui que ce soit. À défaut d'avoir le droit ou la morale de le reproduire, il faut l'assumer.

Et personnellement, je ne rangerais pas ça dans la colonne "moments désagréables"."

Avoir simplement dormi avec lui n'était pas difficile à assumer en soi, en particulier pour une prostituée. Ce que Julius lui disait était en plus particulièrement rassurant: elle aussi elle avait apprécié et elle s'en était sentie coupable. Savoir que Julius le vivait bien et avait ressenti cela comme un bon moment apaisant sa conscience. Il ne lui en voulait pas.

- Moi non plus je ne l'y rangerais pas.

Elle n'eut pas le temps de développer sa réponse parce qu'ils arrivaient à la boutique indiquée et qu'elle n'avait pas l'intention d'attendre trop longtemps devant la porte pour une conversation qui risquait de vite devenir aussi gênante que la situation qui l'avait motivée. Julius s'était arrêté, lui, probablement pour qu'elle prenne les devants. Alors Astrid passa à côté de lui pour entrer et... S'arrêta en sentant quelque chose dans ses cheveux.
Elle tourna doucement la tête, craignant que la chose ne lui tire les cheveux si elle bougeait mais il n'en fut rien. Elle remarqua alors que c'était la main de Julius. Et elle ne sut pas quoi en penser.

- Euh, merci, dit-elle une fois qu'il l'eût recoiffée. C'est mieux comme ça? Demanda-t-elle finalement, même si c'était un peu bête. Il n'allait pas lui dire non s'il venait de s'occuper de sa coiffure, si ?

Elle n'avait pas pensé qu'il s'intéressait à sa coiffure, en fait. Elle n'avait déjà pas tout à fait cru qu'il s'intéressait vraiment à sa vie... Astrid se retourna finalement vers la porte qu'elle poussa, et elle entra alors. L'homme à l'intérieur était seul, et semblait s'ennuyer. Il n'y avait pas beaucoup de clients avec la Fange... Les armes coûtaient cher pour des gens qui peinaient déjà souvent à se nourrir.

- Ah, je vous attendais ! Il les accueillit avec un sourire avenant. J'ai fait ce que j'ai pu, mais certaines parties sont vraiment abîmées, ou la saleté trop incrustée. Enfin, je pense que j'ai quand même fait du bon travail. Attendez moi une minute, je vais chercher tout ça!

Il les quitta en passant dans l'encadrement d'une porte, et ils se retrouvèrent donc tous les deux pour quelques minutes.

- J'espère que le résultat vous plaira.