Plus qu'une oreille, un cœur qui bat [PV Victoire] [Terminé]

Deux jours. Cela semblait à la fois fort peu et beaucoup trop pour qui devait patienter durant ce laps de temps, mais c'était une bonne chose que de faire preuve de patience, de permettre à l'esprit de songer à ce qui avait eu lieu pour mieux faire face à ce qui pourrait ou non arriver par la suite. Zephyr avait rencontré Victoire au milieu des jardins ducaux tout à fait par hasard, mais ces retrouvailles avaient quant à elles été préméditées. Ils avaient passé quelques instants ensemble, devisant et discutant de choses et d'autres, échangeant à la fois points de vue et confidences, pour finalement se quitter sur un baise-main à la fois respectueux et plein de promesses. Bien plus habitué à ce genre de choses, l'homme avait su sourire à celle qui était devenue la dame de ses pensées, ne commentant point davantage ce geste qu'il avait eu à son égard et la quittant alors même qu'elle rougissait, sans doute malgré elle. Deux jours, comme le temps fut à la fois trop court et trop rapide. Idalie n'avait pas manqué de remarquer que quelque chose était arrivé, mais son frère n'avait voulu répondre à aucune de ses questions, passant la journée du lendemain en ville dans le quartier de la Hanse, s'imprégnant de la vie de la cité et de tous ces gens qui étaient encore en vie en partie grâce à lui. Oui, il avait su avec tous les autres braves défendre le Plateau et le Duc, il avait fait son devoir et les récoltes pourraient ainsi arriver à Marbrume dans peu de temps et permettant aux gens de tenir encore un peu face à la Fange. Ces graves réflexions n'avaient pas manqués de lui rappeler combien l'existence était courte et, plus que deviser en agréable compagnie, c'était le besoin d'une présence à ses côtés qui commençait à lui peser. En ce deuxième jour, le Banneret avait revêtu un habit plus présentable que la dernière fois et qui marquait davantage son rang : veste d'un bleu gris bordé de noir et d'argent, son épée toujours à son côté et son bracelet long clairement visible cette fois sur son avant-bras avec la pierre rouge de sa famille, il avait prit le soin d'être convenablement coiffé, ce qui au vu de ses cheveux mi-longs ne changeait pas grand-chose à la fois précédente. Maudits cheveux indisciplinés. Ses bottes étaient impeccables de par le fait de son domestique Grisregard, qui pressentant quelque chose en le voyant s'apprêter, avait insisté pour briquer le cuir et le rendre aussi propre que s'il n'avait pas crapahuter dans la terre, la boue et la poussière ces dernières semaines. En clair, le noble s'était mis plus convenablement et ne pouvait plus être pris pour un sergent de la milice ou un chevalier.

"Ce n'est pas comme si Banneret était un grand titre non plus."

Telle fut la pensée de Zephyr en songeant à tout cela tandis qu'il patientait devant la fontaine où il avait rencontré Victoire, étant arrivé bien avant l'heure pour mieux guetter la venue de celle qu'il espérait voir accéder à sa demande de la revoir. Est-ce que la fille d'un Baron trouverait quelque intérêt à un homme moins bien placé dans la hiérarchie de la noblesse ? Il lui avait semblé qu'elle était vive d'esprit et malgré tout davantage concernée par l'émotif qu'une froide raison calculatrice, cependant nul homme ne pouvait se targuer de connaitre les secrets d'une femme, ou alors c'est en ayant été anormalement proche d'un trop grand nombre d'entre elles... Chacune était unique, un mystère de tous les jours qu'on ne connaitrait jamais tout à fait, mais qui avait le don de vous faire parfois chavirer, vous touchant plus justement que n'importe quelle arme usée avec précision. Le soleil brillait déjà haut dans le ciel bleu et il atteindrait bientôt la pointe de la tour la plus haute du château ducal. Est-ce que la jeune dame de Brasey viendrait ? Est-ce qu'elle n'était pas plutôt en train de s'amuser dans la demeure familiale de cet imbécile en train de patienter solitairement devant une fontaine où personne ne viendrait ? Autant de questions stupides qui ne cessaient de tourner dans l'esprit de Zephyr et qu'il tentait de chasser en vain, ses pensées ne parvenant pas à se focaliser sur autre chose que sur le visage de Victoire, sur son rire et cette façon qu'elle avait de parler, de tourner ses phrases, de laisser percer son intelligence comme un rayon de soleil à travers un ciel gris. Décidément, il se faisait trop vieux pour ces choses-là.

Le temps est une donnée variable, qui peut être positive ou négative en fonction de certains points de vue, de certaines actions. Deux jours, voilà une information précise, à la fois longue et particulièrement courte pour ceux n’ayant pas doté d’une certaine patience, comme Victoire. La cadette des de Brasey avait attendu cette date avec un certainement engouement, sans réellement en comprendre la raison. Elle n’avait évidemment parlé de personne de sa rencontre avec le banneret des Ventfroids, pour conserver un jardin secret, mais aussi afin d’éviter une multitude de complications. Ses parents n’étaient pas connus pour avoir énormément de compréhension, l’intérêt de la famille devait toujours être prioritaire, toujours. Pour une fois, la brune avait abandonné l’idée d’un geste de la main, privilégiant son bien-être, au reste. Elle s’était préparée avec minutie, si habituellement sa tenue vestimentaire ne semblait pas vraiment lui importer, cette fois-ci elle avait fait un effort, arborant une magnifique robe d’un grenat sombre au décolleté bien sage, un petit collier sublimait son cou et son port de tête. Elle avait remonté sa chevelure en un chignon parfaitement mené, dont aucune mèche ne semblait pouvoir s’y échapper. Son maquillage se voulait discret, naturel, seules sa bouche et ses fines lèvres avaient été mises en avant. Si Victoire ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, sa préparation elle –même si elle ne l’admettrait jamais- avait bien pour objectif de plaire, d’être agréable à l’œil. Une domestique de la demeure avait évidemment cherché à obtenir des réponses devant ce comportement bien révélateur, mais la jeune fille n’avait absolument rien lâché, avançant son envie d’être présentable.

Descendant les nombreuses marches du domaine, elle avait eu ce petit moment d’hésitation et s’il ne venait pas, et si elle ne lui plaisait pas et si… secouant doucement la tête, elle s’était refusée à débattre davantage avec elle sur autant de possibilités négatives. Ce rendez-vous n’engageait à rien, un simple moment, un simple instant de détente. Rien de plus, rien de moins. Enfin, ça c’est ce qu’elle ne cessait de se répéter afin de se convaincre, les signes de son bas ventre lui indiquaient toute autre chose, cependant la cadette se refusait d’admettre que l’homme avait attisé sa curiosité et peut-être plus. Lentement, elle avait fini par quitter la demeure, empruntant un chemin qu’elle connaissait à présent sur le bout des doigts. Le jardin du Duc n’avait plus de secret pour la jeune femme qui avait dû le parcourir en long en large et en travers, ainsi, elle avait emprunté un chemin différent de celui qu’elle avait pris avec Zephyr, cherchant à arriver à un autre point d’entrée vers la fontaine. Ses pas se voulaient lents et plutôt silencieux, elle était en retard, elle en avait pleinement conscience, mais il paraît que les femmes devaient toujours se faire un peu désirer, elle ne manquerait pas de lui avancer son argument.

Lentement, elle avait fini par contourner la zone, arrivant par un petit chemin à l’opposé du regard de Zephyr, se glissant doucement jusqu’à lui, elle s’arrête à quelque pas, affichant un doux sourire avant de venir se faire entendre. Elle ignorait si il l’avait entendu arriver ou non, quoi qu’il en soit elle était ravie de le revoir et notait mentalement l’application qu’il avait semblé mettre dans sa tenue vestimentaire.

- « Bonjour, monsieur D’Auvray, j’espère ne pas tomber mal, vous êtes fort élégant, je ne voudrais pas interrompre une rencontre importante. »

Les lèvres de la jeune femme s’étaient de nouveau étirées, sa voix était légère, plus ou moins taquine. Même s’il n’y avait que peu de chance que le banneret puisse attendre quelqu’un d’autre et même si sur le moment, ce n’était qu’une vulgaire plaisanterie, un léger doute s’était immiscé dans l’esprit de la cadette qui n’avait pas pu s’empêcher de froncer légèrement les sourcils.

- « Comment va votre sœur, j’espère qu’elle n’a pas fait preuve de trop de représailles pour votre absence de la dernière fois ? »

Il avait vu le soleil atteindre la cime de la plus haute tour du château ducal, puis commencer à la dépasser légèrement, à moins que ce ne soit ses yeux qui lui jouent des tours. Quoi qu'il en soit il était déterminé à patienter et songea que peut-être la plus jeune des filles de Brasey avait pu être retardée par quelque questionnement sur sa sortie ou même pour une affaire familiale. Ses pensées étaient agitées, son regard allait et venait sur le chemin principal qui menait à la fontaine, mais pourtant ce fut finalement dans son dos qu'il perçu du mouvement passé un temps incalculable à patienter. Un bruissement, celui d'une robe, fut le seul son qui trahit une présence qui approchait à pas silencieux. Le Noble retint un sourire amusé, conscient qu'il s'agissait là d'une sorte de jeu pour celle qu'il espérait voir et, finalement, se retourna lentement quand les pas s'arrêtèrent et qu'une voix désormais connue s'éleva dans l'air. L'espace d'une brève seconde, il cru que c'était une autre qui se trouvait face à lui, mais non, c'était bel et bien Victoire qui s'adressait à lui avec cette pointe d'ironie amusée qui ne manqua pas de faire naitre un léger sourire au coin des lèvres de son vis-à-vis.

- J'attendais effectivement quelqu'un, mais je crains qu'elle ne vienne point par ce chemin, à croire qu'elle se complait dans le renouveau pour mieux me surprendre agréablement.

Il s'approcha de Victoire d'un pas tranquille puis, avisant sa main qu'il prit délicatement dans la sienne, y apposa un baiser soufflé comme lorsqu'ils s'étaient quittés, relevant sur elle un regard gris vibrant d'intensité.

- Vous êtes la plus élégante de nous deux ma dame, un ravissement pour les yeux et le cœur.

Laissant libre sa main fine et délicate, Zephyr lui offrit son bras pour l'inviter à arpenter ces jardins qu'il ne connaissait pas encore très bien, écoutant la question au sujet de sa sœur avec une pensée pour Idalie qui, si elle savait où il se trouvait, en serait fort ravie.

- Point trop, mais elle soupçonne que je trame quelque chose et n'apprécie guère que je ne veuille lui en parler. Elle se porte fort bien et son humeur est bonne, aussi je préfère attendre avant de lui annoncer quoi que ce soit qui puisse l'induire en erreur et créer plus tard une déception.

Il était assez aisé de comprendre de quoi il retournait exactement, mais le Banneret préférait ne rien formuler clairement de peur que la jeune femme ne se sente obligée à quoi que ce soit ou, pire encore, acculée et déjà prête à être menée à l'autel. L'homme aspirait à une véritable entente et pas seulement à trouver une épouse qui l'attendrait sagement en leur demeure en se demandant pourquoi elle s'était unie à lui. Victoire de Brasey était une personne aussi intelligente que délicate à sa façon, une véritable dame qu'il convenait de traiter avec égard et affection, pas que l'on conquérait comme un trophée à exposer au milieu de son salon. L'air autour d'eux était doux, le vent léger, le soleil haut dans le ciel clair et le calme des jardins inspirait à la quiétude et aux discussions paisibles, voir même aux confidences.

- Et vous-même, comment vous portez-vous ? Avez-vous passé deux fort belles journées ?

Il lui importait de connaitre la façon dont elle occupait son temps et ce qu'elle pouvait préférer. Avait-elle une passion pour une chose en particulier ? Avait-elle des aspirations, des buts qu'elle souhaitait atteindre ? S'entendait-elle bien avec sa famille ? Les de Brasey n'étaient pas connus pour leur propension à laver leur linge sale en public et, hormis cette histoire avec l'ainée, l'on entendait point mal parler d'eux bien au contraire.

- « L’imprévu est le renouveau ne peut avoir que quelque chose d’agréable, ne pensez-vous pas ? »

Des mots simples, mais sincères. Côtoyer Victoire était accepter de ne pas rentrer dans une certaine routine, la cadette semblait se lasser vite, si bien qu’elle ressentait toujours ce besoin inexplicable de surprendre, d’être là où on ne l’attend pas. Elle affiche un sourire, avise un long moment cet homme qui s’impose doucement, mais sûrement dans son esprit, dans ses pensées profondes sans qu’elle n’en touche mot à quiconque. Victoire le laisse prendre sa main, l’effleurer, souffler et elle savoure le moindre frisson que cela lui procure. Elle ne rougit pas, quoi que certainement un peu, juste de quoi signifier la légère gêne qu’elle peut ressentir sur l’instant.

- « Je ne peux que vous renvoyer le compliment mon cher monsieur D’Auvray. En homme évidemment, à moins que vous ne m’ayez dissimulé certains détails. » Taquine, la brune essayait de conserver ce ton de légèreté qui s’imposait régulièrement à eux.

Glissant son bras sous celui de Zephyr, Victoire s’adapta cette fois-ci rapidement au rythme de celui avec qui elle débutait un moment à deux. Il était difficile de savoir ce qui se passait dans son esprit avec précision, nul doute n’était envisageable sur le fait qu’elle appréciait déjà cet homme sans comprendre véritablement pourquoi. Là où la plus jeune des Brasey aurait pu voir une offense, il n’en fut rien. Elle avait eu suffisamment l’exemple de son aînée pour savoir que parfois, les belles histoires ne finissaient par toujours bien, au contraire.

- « Une rencontre, n’engage à rien, je ne serais que ce que vous voulez bien m’offrir » avoua doucement la cadette sans trop s’avancer non plus « Je me doute à juste titre, que vous devez avoir bons nombres de prétendantes, de femmes charmées par l’homme d’armes que vous représentez. Je suis cependant certaine que votre cadette serait ravie d’être mis dans la confidence, ne serait pour donner l’impression de ne point être mise de côté. »

Une nouvelle vague de sincérité, une nouvelle façon d’admettre qu’elle n’est pas dupe, qu’elle a conscience qu’aux yeux de celui qui lui tient compagnie, elle ne doit être qu’un passe-temps, un amusement le temps de mettre sa vie plus en ordre, au clair, le temps pour lui de repartir sur des terres plus lointaines. Au fond, cela ne la gêne pas, elle prend l’instant comme il vient, avec autant de simplicité et de naturel dont elle est capable et en mesure d’offrir. Elle dévoile aussi peut-être une once de fragilité, de regret, pour les aînées qui ne mesurent pas la sensation de délaissement qu’une cadette peut ressentir parfois.

- « Deux fort belles journées seraient une représentation trop fort, j’ai passé des journées communes. » Elle n’aimait pas se dévoiler, pourtant avec lui elle osait « La lecture est une occupation fort plaisante, mais qui à la longue dévoile une pointe d’ennui, malheureusement, je ne puis vous offrir davantage de frissons, ma vie n’a rien de très palpitant, elle n’est constituée que de ragot, de réputations de l’esplanade, toujours à la recherche d’une perfection que je n’aurais certainement jamais. »

Elle évoquait sans l’évoquer clairement cette pression, cette obligation d’être toujours présentable, toujours parfaite, toujours souriante, toujours agréable. Les Brasey avaient suffisamment flirté avec les scandales pour offrir des nouveaux, ainsi le règlement familial s’était durci, pas de sortie excessive, pas de vague. Tout devait toujours être contrôlé, toujours parfaitement parfait. Là ou Victoire rêver parfois de défaire ses cheveux, de sauter partout sous un air d’un mélomane doué, elle n’était que cette femme assise au bord d’une fenêtre à rêver de liberté, à rêver d’autre chose.

- « Et vous-même, qu’avez-vous fait ? N’avez-vous point de belles histoires à me raconter afin que je puisse rêve d’autre chose que des murs du domaine qui ne nous appartient même pas ? »

Elle avait vraiment le don pour tourner ses phrases de façon à l'amuser tout en le taquinant quelque peu, mais un vieux proverbe ne disait-il pas que qui aime bien châtie bien ? Si c'était vraiment le cas, alors le Banneret pouvait s'estimer heureux que la cadette de Brasey s'amusa ainsi gentiment à ses dépends. Cela ne les empêcha pas d'engager leur marche comme s'il s'agissait là d'un rendez-vous habituel, routinier, comme s'ils avaient toujours fait cela et qu'il était dans l'ordre normal des choses de les trouver là tous les deux à deviser de tout et de rien, mais surtout à suggérer des choses d'importance comme le fit la brune à l'égard de l'homme à ses côtés.

- Je n'y avais point pensé jusqu'à présent.

Avoua Zephyr avec un air passablement songeur à l'idée que sa sœur puisse se sentir mise à l'écart, chose qui lui fit ralentir le pas et froncer légèrement les sourcils, cette interrogation étant sérieusement prise en considération. Idalie était seule en son absence et malgré la présence bienveillante de leurs domestiques, elle n'avait personne de la société avec qui discuter. Cela fit culpabiliser son frère qui reprit sa marche au rythme habituel, hochant légèrement la tête à ses propres pensées.

- Je lui parlerais plus avant de vous en ce cas, je ne veux pas qu'elle se sente mise à l'écart.

Il l'aimait trop pour lui faire subir une telle chose, déjà qu'elle devait supporter ses absences durant plusieurs semaines, autant ne pas rajouter un poids supplémentaire d'une information qui pourrait, peut-être, alléger au contraire son quotidien et le flot de ses pensées. Le sous-entendu à peine voilé concernant ce qu'il pouvait ou non ressentir avait été volontairement placé là afin qu'il n'y ai aucune doute sur le sérieux de ce rendez-vous, tout du moins aux yeux de l'homme d'arme. Les paroles de Victoire eurent cependant le mérite de faire cette fois hausser un sourcil à son compagnon de promenade qui semblait avoir une certaine propension à afficher une mine soucieuse ou songeuse selon les différents sujets évoqués. En l'occurrence à cet instant précis une pointe d'amusement se glissa dans le regard qu'il porta sur la jeune femme, une ombre de sourire se profilant au coin de ses lèvres.

- En ce qui me concerne, je trouve d'un ennui mortel la perfection telle qu'on nous l'impose et je ne saurais trop vous encourager à ne point tomber dans ce genre de cercle vicieux sans fin. Les langues des colporteurs de ragots se lasseront bien lorsqu'ils comprendront ne pouvoir avoir aucune prise sur vous.

Il sourit finalement, légèrement, sans excès, mais avec une certaine chaleur bienveillante à son égard.

- Et soyez sûre que si l'on attentait à votre honneur, je me ferais un devoir de vous défendre.

Et sur ces mots, comme si de rien n'était, il reprit sur un tout autre sujet tandis qu'ils passaient une rangée de buissons épineux savamment taillés pour arpenter un chemin bordé de rosiers aux fleurs écarlates épanouies.

- J'ai suivit votre conseil et suis allé au marché le lendemain de notre rencontre. Vous serez ravie je l'espère d'apprendre que la boulangerie parvient encore à faire de l'excellent pain et que le poissonnier a toujours sa fille auprès de lui. Il m'a confié être très fier du rôle qu'elle avait jouée durant les festivités, parait-il qu'elle aurait été choisie pour incarner l'une des représentations de Anür durant la chasse au trésor. Je gage que les organisateurs ont fait preuve d'humour ce jour-là.

Zephyr était presque espiègle en parlant de cela, il regrettait de ne pas avoir pu s'amuser comme tous les autres, mais il savait qu'au moins il les avaient justement protégés, lui et tous ceux qui étaient au Labret, ils avaient fait ce qu'il fallait et c'était bien ainsi, quand bien même son visage en porterait à jamais les stigmates. Son visage demeurait beaucoup plus souriant à présent et les blessures refermées ne tiraient plus autant, bien qu'à force de sourire en coin il allait finir par les sentir de nouveau fortement.

- La couturière qui a fait la robe de Ambre de Ventfroid a embauché une aide à sa boutique, l'on dit qu'elle travaillait jadis pour un autre grand couturier, sans doute cela signifie-t-il que les affaires sont florissantes malgré la Fange. Le marché était fort agité sous le soleil et je dois dire que je me suis quelque peu laissé emporter par toute cette bonne humeur.

Ce qui expliquait sans doute son air guilleret, mais c'était surtout la présence de Victoire à qui il contait tout cela qui avait le don de le faire se sentir plus léger. Ce n'était pas seulement cette robe savamment choisie à la teinte envoutante ni les cheveux relevés qui dévoilaient une nuque délicate où l'on avait envie de passer les doigts, c'était sa présence, son intelligence et sa conversation, ce petit air qu'elle avait par moment, ces petits détails qu'il notait chez la jeune femme et qui mis ensemble lui plaisaient fort bien et avaient le don de le mettre d'excellente humeur.

- « Je n’en doute pas, c’est important d’y penser » souligna la jeune femme

La marche avait changé légèrement de rythme, la cadette s’y était naturellement adaptée, pour ne pas froisser son interlocuteur, mais aussi pour éviter de le brusquer dans ses pensées, dans son besoin de réflexion. Un rire s’était échappé de ses lèvres, doux, délicat, spontané, la cadette se sentit à la fois, flattée, mais aussi gênée de cette phrase la concernant. Si bien que tout en conservant un sourire, tout en tournant légèrement la tête vers celui qui lui tenait la compagnie elle crut bon d’ajouter.

- « Je ne disais point ça pour que vous lui parliez de moi, en revanche, sachez que ma proposition de lui tenir compagnie lors de vos absences, ou même de vos présences, tient toujours »

Le rythme de la marche avait repris naturellement sans brusquerie et les yeux bruns de la De Brasey se perdaient régulièrement sur la végétation, imagination dans les recoins isolés des couples s’abandonnant à des folies interdites. Cela la fit sourire, elle qui entendait les rumeurs, qui était parfaitement au clair sur les pratiques peu responsable de certains habitants de l’esplanade. Qui sait les enviait-elle peut-être un peu d’avoir une vie si dynamique et non ennuyante. Sortant de ses pensées, elle reporta toute son attention sur l’homme qu’elle observait à présent du coin de l’œil, n’insistant désormais plus sur cette cicatrice à laquelle elle s’était habituée. Les propos sur la perfection avaient don de la rassurer et elle s’imaginait volontiers lui dévoiler son petit grain de spontanéité et de folie qu’elle camouflait souvent derrière ses beaux sourires. Une nouvelle fois elle éclata de rire, stoppant la marchant pour aviser de ses grands yeux sombres, celui qui malgré son âge semblait si insouciant, innocent, pur des magouilles de la noblesse.

- « Vous me flattez, mais sans vouloir vous offenser, je crains avoir beaucoup plus d’expérience que vous dans le domaine des colporteurs, je vous souhaite de conserver cette insouciance, j’aimerai parfois que tout se règle dans un simple duel, mais dans notre royaume, tout est toujours plus compliqué qu’une simple défense. Un mot peut provoquer bien des maux. »

Le duo avait ensuite repris sa marche, d’un rythme plus léger et si Victoire osait lui porter quelque regard, elle détournait le sien à chaque fois qu’elle croisait celui de Zephyr, ses joues s’empourprent inévitablement d’un rose significatif. La cadette se laissait volontiers guider par le banneret, lui confiant sa confiance, abandonnant sa méfiance habituelle. Les buissons épineux de la précédente traversée donnaient à présent naissance à de magnifiques roses, aussi belles que redoutables. La brune l’écoutait avec toute l’attention, tout elle était capable s’autorisant même à fermer les yeux pour imaginer à la perfection le récit de l’homme qui la guidait davantage maintenant qu’elle était aveugle. Au fur à mesure de sa description, le sourire de Victoire s’étirait vraisemblablement ravi de ce qu’elle parvenait à visualiser, elle parvenait presque à sentir juste par la pensée l’odeur du délicieux pain du boulanger. Lentement, elle avait rouvert les yeux, secouant doucement la tête à l’humour dont venait de faire preuve le banneret, se permettant même de le pousser légèrement d’un coup d’épaule.

- « Dites donc monsieur, vous êtes presque médisant… Je suis certaine que cette jeune fille a réalisé son rôle parfaitement et qu’elle lui ressemblait comme deux gouttes d’eau, à un poisson près… Peut-être. »

Son sourire en coin, était significatif, elle n’avait été que faussement outrée d’un tel comportement, elle s’en amuser même ouvertement, alors que doucement elle resserrait son emprise sur l’avant-bras de son guide d’un jour. Craignait-elle peut-être de le voir disparaître, comme son défunt fiancé, nul ne le saurait, quoi qu’il en soit, il était rare de voir une Victoire aussi naturelle et ne portant pas le moindre jugement sur qui que ce soit.

- « Cela ne m’étonne guère, cette couturière à un talent fou, celle qui doit l’accompagner dans ses œuvres doit avoir un talent tout aussi agréable pour l’œil. Mh, vous me donnez envie d’y retourner ou de la convier au domaine pour me faire, faire une nouvelle tenue… »elle fait une pause, un peu gênée par cette aveu avant d’avouer, les joues rougissantes « Oui, je suis une femme, oui j’aime les belles robes et les jolies tenues, je plaide coupable. Oh, je sais… Je vais vous mettre au défi. » Cette fois-ci, elle venait de transformer son air coupable en un regard joueur, elle venait de penser à un jeu des plus imaginatifs « Vous n’avez cas me surprendre, déduire mes mesures simplement en me regardant, quoi qu’à la limite je vous autorise à toucher ma taille à travers le tissu et vous devez parvenir à me faire faire une robe de votre choix à me mesure, relevez-vous le défi messire D’Auvray ? »

La jeune femme avait poursuivi la marche, tout en écoutant la description qu’il faisait du marché, elle ne l’écoutait déjà plus qu’à moitié, plus qu’elle était déjà la recherche d’une récompense qu’elle pourrait lui offrir en cas de réussite à son défi, puisqu’elle le savait, dans un défi il y avait toujours une notion de récompenses.

- « Si vous réussissez… » articula doucement la cadette « je vous offre un repas en ma compagnie dans un très bon établissement de la Hanse. Qu’en dites-vous ? Et parce que je suis bonne joueuse, si vous perdez, je vous autorise à me kidnapper pour me faire parcourir le marcher, que je puisse le découvrir de mes propres yeux et non pas via les vôtres… »

Cette fois-ci, elle avait stoppé sa marche, pivotant légèrement pour faire face à Zephyr. Elle était plus sincère, moins joueuse :

- « Je vous remercie pour cette description, cela représente beaucoup pour moi. »

Elle était un tel ravissement pour le cœur et l'esprit que Zephyr s'étonnait que Victoire ne soit pas encore mariée. Une jeune femme aussi belle, aussi intelligente et appréciant la vie qui s'étendait à ses pieds, comment ne pas s'y attacher ? Fallait-il que ses parents soient extrêmement protecteurs avec elle et qu'il la garde cachée ? En tout cas le Noble mesurait sa chance de l'avoir à son bras et ne perdait pas un instant de ceux passés en sa compagnie, souriant pour de bon tandis qu'ils marchaient côte à côte et qu'elle lui faisait part de sa connaissance -certainement- plus étendue que la sienne concernant les intrigues de cour. Il ne retint pas le rire amusé qui s'échappa de ses lèvres marquées, tout comme il secoua la tête en un geste peu protocolaire.

- Si vous saviez comme j'abhorre ces fadaises, mais notre naissance et notre rang nous imposent un comportement exemplaire en public et je me dois de m'y plier, cela dit... Je gage que si un jour j'avais besoin de conseils en la matière, je ferais requérir vos lumières pour m'aider à y voir plus clair.

Un clin d’œil à peine voilé qui ne cherchait qu'à appuyer l'amusement qui était le sien, de même que lorsqu'il eut cité la fille du poissonnier, le coup d'épaule qu'il reçu le fit éclater de rire pour de bon, à croire qu'effectivement l'homme si grave sur un champ de bataille pouvait faire preuve d'une légèreté surprenante pour son âge. Cela n'empêcha pas la fille de Brasey d'en rajouter une couche et de faire rire de nouveau son compagnon de marche, lequel la couvrit d'un regard chargé de chaleur et d'une certaine affection durant tout le reste de leur progression, profitant qu'elle ferma les yeux pour mieux l'écouter. Se sentir bien avec quelqu'un n'était pas donné à tous par les temps qui étaient les leurs et le Banneret songeait que peut-être la jeune femme l'appréciait-elle assez pour qu'il songea à davantage que des escapades. Malgré tout, la conversation porta sur la couture et ce fut soudain une exclamation teintée de gêne qui jaillit de chez la brune, se faisant défi joueur et, surtout, tentateur. Zephyr l'écouta parler de ses mensurations en ayant des pensées peu convenables -c'est qu'il demeurait un homme par les Trois- et pourtant il n'était pas certain que l'idée de devoir deviner la taille exacte de Victoire soit une si bonne idée que cela. N'allait-elle pas se vexer s'il se trompait dans ses calculs ? D'autant plus que ce n'était pas vraiment le genre de choses auxquelles il était habitué, loin s'en fallait.

- Ce n'est pas un défi mais une véritable épreuve que vous m'imposez ma chère, je m'en voudrais de me tromper et d'involontairement vous insulter en faisant confectionner une robe à la taille inappropriée.

Que voilà une situation singulière dans laquelle il n'aurait jamais cru se trouver, au point qu'il s'arrêta dans sa marche pour la scruter avec attention, tenté et hésitant à la fois. La récompense promise était des plus intéressantes, d'ailleurs le lot de consolation l'était presque tout autant et le Banneret porta un regard scrutateur sur la jeune noble, une ombre de sourire au coin des lèvres.

- Dites donc, vous n'essaieriez pas de tenter l'homme d'honneur que je suis, non pas ?

- « Je vous remercie pour cette description, cela représente beaucoup pour moi. »

L'air joueur de Zephyr s'évanouit presque instantanément, remplacé par un air de grave compréhension, puis d'un très léger et fugace sourire sur ses traits marqués. Ses mains rendues rugueuses par le maniement de l'épée et les rênes des chevaux vinrent saisirent délicatement celles si fines et si douces de Victoire, tandis que deux orbes grises venaient se river aux siennes avec plus de gravité qu'il ne l'aurait voulu.

- Vous voir heureuse est une vision qui me touche. Je puis relever ce défi si vous y tenez et si cela vous amuse, j'en serais ravi, mais si vous souhaitez que je vous kidnappe pour aller voir de vos yeux le marché de la cité, il vous suffit de le demander.

Il serra un peu plus ses mains, puis les relâcha avec la même douceur dont il avait fait preuve pour s'en emparer, lui proposant de nouveau son bras avec un sourire complice, reprenant davantage son rôle de noble accompagnant une respectable demoiselle au milieu des jardins ducaux. La vérité était que pour avoir le droit de se rapprocher d'elle, de poser ses mains sur sa taille fut-ce à travers le tissu d'une robe, il était prêt à relever plus d'un défi.

- Puis-je vous demander, bien que cela soit abrupte de ma part, si vous avez quelque autre prétendant à l'heure actuelle ? Je ne connais point toutes les familles qui vivent à l'Esplanade, mais j'ai cru comprendre qu'il y avait encore quelques partis célibataires.

Une façon comme une autre de changer de sujet ou bien de lui laisser le temps de réfléchir à l'échange qu'ils venaient d'avoir, difficile à dire, mais pour sa part Zephyr essayait surtout de calmer les ardeurs qui montaient en lui et, surtout, l'envie impérieuse qu'il avait de kidnapper Victoire de Brasey, ici et maintenant, pour l'emmener vivre une folle escapade dans la Hanse. Nul doute qu'ils auraient des problèmes s'ils se laissaient aller si tôt à de tels actes.

- « Je me ferais un plaisir d’offrir mes services à votre noble personne ainsi qu’à votre famille » répond Victoire de manière très protocolaire.

Elle est amusée, elle ne s’en cache pas, au moins sans le savoir il vient de lui confirmer qu’il a également des talents autres que le combat. Dans un sens cela la rassure, bien que Victoire n’apprécie pas la perfection, elle cherche toujours à avoir suffisamment de cartes en main pour pouvoir protéger sa famille et ses proches. La vie et sa famille lui ayant enseigné qu’il fallait choisir, soit être l’attaquant, soit être la proie, elle avait choisi d’être l’attaquante et derrière ce joli visage innocent pouvait tout autant se cacher une redoutable adversaire dans le monde de la noblesse. Enfin, pour l’instant, la douce Victoire passait un agréable moment en charmante compagnie, et répondait d’un large sourire au clin d’œil que son interlocuteur lui offrait. Elle était amusée la belle, bien plus qu’elle n’aurait pu l’imaginer. D’ailleurs ce fut un nouvel éclat de rire qui s’échappa de ses lèvres, quand Zephyr lui avoua qu’il avait peur de faire d’erreur, et, par conséquence de la vexer. Elle balaya l’idée d’un geste de la main.

- « Rassurez-vous, vous ne risquez pas mon gourou si vous m’ajoutez plusieurs tailles de plus ou de moins. Cela fait partie du jeu, je ne m’en sentirais nullement insulté. Dans le pire des cas, j’offrirai les tenues au temple, qui pourra les offrir à des femmes dans le besoin. » Cette fois-ci, Victoire à l’impression de se dévoiler trop, beaucoup trop, elle sort de sa zone de confort et s’empresse de rattraper la chose « Enfin, je demanderai à une servante de le faire, évidemment. »

Si Victoire était une femme avec du cœur, elle s’appliquait néanmoins à ne pas le montrer, à qui que ce soit, ce n’était pas qu’une question de pudeur, c’était aussi une question de réputation. Le monde de l’esplanade était violent, l’erreur n’était pas permise. Ainsi, ce n’était pas réellement la question que Zephyr sache qu’elle se rendait régulièrement au temple pour prier, mais bien qu’il puisse prendre conscience qu’elle s’y rendait non seulement pour prier, mais aussi pour aider. Qu’elle avait une part grandissante de fragilité. Jamais Victoire ne montrait ses faiblesses, à personne. Ainsi, elle réajusta simplement la conversation rebondissant sur son jeu tout droit sorti de son imagination. Elle ria doucement, son regard joueur se confirmant d’autant plus.

- « Oh, suis-je démasquée ? C’est regrettable… »

Elle fit une pause s’avança dangereusement jusqu’à lui, un sourire sur les lèvres, joueuse Victoire l’était plus que de raison, elle dépose un doigt sur le torse du banneret se hisse sur la pointe des pieds approche ses lèvres et s’arrête particulièrement proche

- « Là par contre je plaisante… » murmure la belle brune s’éloignant sans trop le faire « Il n’y avait nulle arrière-pensée dans mon esprit, en revanche si vous posez la question, je ne peux que vous la relancer, n’est-il pas ? »

Un sourire en coin, des yeux pétillants d’amusement et de défis, la jolie Victoire semblait pleine de ressources et de surprise, jeunesse rimait souvent avec liberté, du moins à trop souvent se contraindre et s’empêcher de vivre, le peu de fois où elle pouvait s’amuser ne se l’autorisait-elle pas peut-être trop ? Un peu de temps après, la conversation avait repris plus ou moins du sérieux et la Baronne avait remercié le banneret, d’une façon particulièrement sincère, peut-être même touchante.

- « Vous n’êtes point obligé de relever ce défi, si vous n’en avez pas envie et si vous le jugez déplacer. Il est vrai qu’il est peu courant pour une femme d’autoriser un homme d’effleurer sans hanche, vêtement ou non. » Elle hausse doucement les épaules « Ne vous inquiétez pas, je ne vais nullement vous demander l’impossible, je vais me contenter de vos yeux pour voir ce que je ne peux pas voir, enfin si vous le permettez. Je préfère éviter les vagues pour l’heure… Ma famille est plus ou moins… » elle se pince la lèvre et ne termine pas sa phrase.

Le banneret venait de prendre ses mains et si son premier réflexe aurait dû être de les retirer il n’en fit rien, le contact n’était pas désagréable au contraire, et la jeune femme ne put s’empêcher de lui offrir un sourire sincère avant de les retirer. L’image avant tout, si quelqu’un les surprenait ainsi, il serait tous deux dans une situation particulièrement embarrassante. Le sujet de conversation avait naturellement changé et le regard de la cadette se teinta d’une tristesse inexplicable quand Zephyr évoqua la possibilité qu’elle puisse avoir des prétendants. Non pas que l’idée lui déplaise ou l’attriste, mais cela la ramenait irrémédiablement dans le peu de souvenirs qu’elle avait avec son fiancé. Il avait disparu aussi soudainement que la fange était arrivée et même si la jeune femme ne l’avait jamais vraiment admis, elle avait fini par tomber sincèrement amoureuse de lui. Elle dut paraître absente quelque longue minute. Victoire fut un effort monumental pour sortir de ses songes, secouant doucement sa chevelure pour revenir dans l’instant présent et surtout répondre à la question du banneret.

- « Non aucun » murmura-t-elle avec beaucoup de difficulté encore un peu secouée par ses souvenirs « Je.. J’étais fiancé jusqu’à peu encore » avoua-t-elle « Il était haut prêtre, nos familles s’étaient mises d’accord, mais il a disparu à présent, tout ça n’a plus vraiment d’importance… » elle fait une légère pause « Alors, non, je n’ai point de prétendant. Puis-je vous retourner la question, avez-vous quelques conquêtes sérieuses actuellement monsieur d’Auvray ? »

Évidemment. Victoire allant au Temple pour offrir des tenues dont elle n'avait pas ou plus l'utilité, voilà bien une vision qui n'était pas pour étonner Zephyr, cependant il se garda bien de l'évoquer de vive voix en entendant la jeune femme se reprendre elle-même dans ses propos. Les apparences, toujours les apparences, à croire véritablement qu'elle en était prisonnière et se sentait trop à l'étroit dans un tel carcan de possibles ont-dit qui pesaient au-dessus de sa tête comme une épée. La gravité aurait pu prendre lieu et place entre eux, mais il y eut tout d'abord ce moment de flottement durant lequel la fille de Brasey s'approcha dangereusement du Banneret, à tel point qu'une alarme se déclencha dans l'esprit de ce dernier, l'avertissant d'une situation qui pouvait dégénérer d'une seconde à l'autre. Se rendait-elle compte à quel point ce genre de jeu pouvait mal se terminer ? Non pas avec lui, le Noble avait un code de conduite et des principes qui lui interdisaient de forfaire à l'honneur, mais n'importe quel homme de basse condition aurait pu y voir là l'occasion de s'en prendre à la belle et de lui infliger des tourments que la morale interdisait ici de formuler.

- « Là par contre je plaisante… »

Le regard de Zephyr la fixait avec une vive intensité, cependant s'il s'agissait dans ses orbes grises d'un éclat de défiance couplé à de la retenue, son souffle s'était brièvement suspendu à la pensée d'un baiser qu'il aurait pu lui voler. Ah Victoire, belle et entêtante Victoire, toute en amusement et en provocation, en finesse et en intelligence, mais également tellement d'inconscience... Elle était envoûtante à des moments, captivantes à d'autres, mais pourtant il ne pouvait se permettre de se laisser tenter plus avant, pas sans risquer de passer pour un goujat ou un opportuniste.

- Je relève votre défi en ce cas, mais sans même vous effleurer, ce sera plus convenable pour vous et votre famille.

Qui semblait être véritablement des plus exigeantes à voir la façon dont elle n'avait pas terminé sa phrase, la conversation se portant ensuite sur une demande plus particulière qui n'eut hélas pas l'effet escompté. Plutôt que de voir cette lueur pétillante d'amusement et de provocation dans le regard de la brune, le Banneret y lu du chagrin et nota immédiatement le changement qui s'opérait chez sa vis-à-vis. Il le connaissait ce regard déchirant, c'était celui d'une personne ayant perdu un être cher, quelqu'un dont on avait été particulièrement proche et dont on portait encore, quelque part au fond de soi, le deuil. Un ex fiancé de bonne famille qui avait disparu, probablement encore un que la Fange avait emporté, maudite soit cette engeance. L'expression d'Auvray s'était retrouvée emprunte de gravité et, quand lui fut retournée la question, il ne sourit qu'à peine et sans grande joie, bien plus affecté par ce fantôme surgit du passé qu'il ne l'aurait voulu. Peut-être Victoire était-elle particulièrement enjouée pour ne point y songer ?

- Non je n'ai personne qui occupe mon esprit hormis vous. Il y a bien eu une noble veuve que j'ai rencontré il y a quelques temps, mais elle m'inspirait davantage des souvenirs de choses perdues que des projets d'avenir.

Voilà qu'à son tour il laissait la morosité le gagner et l'homme d'arme se sentit soudain d'une humeur beaucoup plus sombre bien malgré lui, se remémorant fugacement sa fuite face à la Fange, les récents évènements au Labret et les morts dont il avait encore le sang sur les mains. Tous ces gens qu'ils ne pouvaient sauver... Ses yeux gris se relevèrent soudain sur ceux de Victoire, l'air déterminé hantant leurs orbites.

- La vie est trop courte vous le savez, je ne veux plus perdre de temps à batailler sans avoir quelqu'un d'autre qu'une parente qui attende mon retour. Croyez-vous que je puisse ajouter une clause à notre pari ?

Il esquissa l'ombre d'un sourire qui manquait encore de cet entrain qui avait été le sien, mais qui valait déjà bien mieux que l'humeur qui avait faillit s'emparer de lui à l'instant.

- Si je gagne, je veux que vous acceptiez que nous nous voyions de manière officielle. C'est sans doute prématuré à vos yeux et j'en ai bien conscience, mais je ne veux pas perdre de temps si d'aventure vous deviez un jour prochain éprouver un sincère attachement à mon égard.

Zephyr inspira profondément, chassant l'angoisse nouvelle qui lui étreignait la gorge et qui menaçait de lui broyer la trachée après une telle audace venant de sa part.

- Votre compagnie m'est plus agréable que tout ce que j'ai jamais connu dans toute mon existence et je ne voudrais point que l'on médise à votre propos si vous me rencontrez en secret de votre famille. Je suis prêt à leur faire face si nécessaire.

La clause était ainsi proposé, à voir si la jeune femme accepterait de prendre un tel risque et si, surtout, elle désirait ou non y consentir.

Victoire était du genre insouciante, aimant frôler avec le politiquement correct avec une facilité déconcertante. Elle avait plongé son regard dans celui de Zephyr, vibrant de cette intensité qu’elle ne connaissait pas. Si initialement, elle avait vu en lui une échappatoire, un jeu, une activité distrayante, cette proximité qu’elle avait elle-même créé lui indiqua toute autre chose de beaucoup plus subtile, de beaucoup plus prenante. L’instant ou ses lèvres avaient frôlé celle de Zephyr, ou elle avait senti son cœur hurler dans sa poitrine, manquer un battement jusqu’à s’écraser de la mauvaise façon dans son thorax, quand elle put sentir davantage son odeur et le souffle de sa respiration sur sa peau. Victoire comprit qu’elle venait de se mettre en danger, de réellement jouer à un jeu dangereux. Elle avait donc reculé, clignant délicatement des cils, cherchant à retrouver le contrôle de la situation et non se laisser envoûter par cette attraction. Elle prit une légère inspiration, suppliant mentalement les trois de lui permettre de se ressaisir. Il la ramena droit dans la réalité, droit dans le moment présent, alors que bien malgré elle, son esprit avait largement dépassé les limites qu’elle voulait s’imposer, s’imaginant des choses interdites. Secouant doucement sa crinière brune, elle afficha un sourire, laissant de côté ses songes :

- « Comme bon vous semble monsieur d’Auvray » murmura-t-elle en imitant une révérence particulièrement exagérée.

Puis finalement, la discussion lui permet de freiner ses ardeurs, ses pensées, ses besoins et ses désirs. Les souvenirs la frappent de plein fouet, lui rappelant qu’elle aurait dû se marier, peut-être même déjà porter un enfant. L’art et la manière de passer du tout en une fraction de seconde, Victoire est profondément meurtrie par cette perte, parce qu’avec lui, elle a vu voler en éclat tous ses espoirs, toutes ses aspirations. Elle doit se concentrer, elle doit revenir à la réalité, au moment présent, alors de nouveau sa crinière vibre sous l’impulsion des mouvements de sa tête, alors qu’enfin elle entend de nouveau les paroles du banneret. Elle tente un sourire, moins éclatant, moins prenant que celui qu’elle offre généralement.

- « Je comprends, on est jamais attiré par une personne sans raison. Je suis cependant flattée, d’être votre centre d’intérêt du moment, sachez que c’est réciproque. » il poursuit sa réflexion, proposant d’ajouter une clause « Une clause ? » répéta naïvement la brune.

En revanche la suite provoque un silence, un long silence. Elle pivote de nouveau vers lui, entrouvre les lèvres, puis referme le tout avec une certaine simplicité. Ah. Il voulait officialiser, donc rencontrer les parents de Brasey. Le pauvre homme ne savait pas vers quoi il aspirait, ainsi, un peu nerveusement, Victoire ne put s’empêcher de rire en imaginant la tête que ferait sa mère et son père quand il irait demander l’autorisation de la fréquenter. Si, la réaction paraissait parfaitement nerveuse et si elle aurait préféré vivre une relation cachée pour débuter, elle ne refusa étonnamment pas, la nouvelle clause.

- « Vous ne connaissez pas mes parents… Sans vouloir vous faire peur, je pense que vous devez être prêt à subir les pires propos pour avoir l’espoir de survivre à une entrevue avec eux… Mais c’est d’accord, si vous gagnez, en ce cas, je me plierais à votre volonté et je préparerais un entretien entre vous et eux… Cependant, avant ça, je rajoute ma propre clause, j’exige une discussion honnête l’un envers l’autre et vous devez me promettre de ne pas me tenir responsable des paroles désobligeantes qu’ils pourraient tenir, eux ? » elle fait une légère pause « En revanche, si jamais vous perdez, nous nous fréquenterons de manière secrète le temps d’apprendre à se connaître, entièrement et sincèrement. Nous officialiserons alors notre fréquentation qu’après plus de deux mois d’entrevue régulière. Cela vous convient-il ? »

Zephyr avait tenu à négocier et le défi prenait une signification bien plus vaste qu’un simple jeu, Victoire et lui semblaient passer un contrat silencieux, un contrat dont allait découler directement leur avenir. Si le banneret réussissait son défi improbable, alors il obtiendrait entière satisfaction et la cadette le présenterait à sa famille, en revanche s’il perdait, alors il entretiendrait tout deux une relation tenue secrète. Le temps pour elle et pour lui de se découvrir et de juger responsable ou non d’officialiser. Deux mois semblait un temps raisonnable pour la cadette, qui avait l’espoir de pouvoir voir Zephyr dans tous ces états dans ce laps de temps et de savoir si oui ou non elle était prête à aller plus loin, l’inverse était évident probable. Elle voulait que Zephyr soit attaché et non pas qu’il se sente obligé de la supporter chaque jour. L’honnêteté poussait Victoire à admettre quelque chose qu’elle n’aurait pas admis quelques minutes avant :

- « Je vais être entièrement honnête avec vous, j’ignorais jusque-là que nos entrevues allaient prendre une telle proportion et c’est très loin d’être désagréable, croyez-moi. Votre compagnie réchauffe mon cœur. Je suis prête à accepter vos conditions, si vous acceptez les miennes. »

Elle releva le regard, s’approchant doucement de celui qui représentait à présent cette tentation permanente. Finalement contrairement à ce qu’il avait pu penser, la décision lui revenait à lui. Victoire consentait entièrement à ses requêtes, ne restait-il plus qu’à lui de les accepter pour signer définitivement ce pacte silencieux dont allait certainement découler un avenir mutuel.

Lorsqu'il proposa cette clause au défi qui venait d'être formulé, Zephyr ne s'étonna qu'à peine du rire nerveux qui échappa à Victoire et de la mention des parents qui seraient sans doute terribles à rencontrer. Étonnamment cela ne l'effrayait guère, il se souvenait fort bien des visites de nobles de la cour à son ancien domaine et des propos insultants qu'ils tenaient alors lorsque leurs parents n'étaient pas présents. Guère mieux que des vagabonds ou des roturiers, voilà comment certains hauts comtes et ducs les avaient jadis perçus, lui et sa famille, pour avoir été des gens humbles aimant la vie dans leur vallée, la quiétude des années de paix et le bonheur de leurs gens. Le Banneret n'était pas inquiet et, mieux encore, éprouvait une certaine impatience à l'idée de cette rencontre qu'il précipitait un peu avec cette clause. La cadette de Brasey insista cependant pour ajouter sa propre part au marché et l'homme l'écouta en haussant un sourcil face à tant de précautions, notant une crainte sous-jacente de la part de la brune concernant les réactions qu'il pourrait avoir face aux géniteurs. Il acquiesça cependant sans attendre, un léger sourire amusé et défiant au coin des lèvres, comme s'il s'apprêtait à les rencontrer d'une seconde à l'autre.

- Cela me convient, votre prudence vous honore et j'y consent volontiers si cela peut vous apaiser et vous conforter dans votre choix.

Car ne le choisissait-elle pas elle aussi ? Certes les convenances voulaient que ça soit l'homme qui soit le meneur de ce genre d'échanges, mais Victoire avait prouvé à maintes reprises qu'elle n'était pas de ces femmes qui se laissent courtiser si aisément et qui se contente de se laisser porter au gré des flots de la vie. Elle n'était pas une cible, mais une flèche capable de frapper en plein cœur, une personne intelligente et drôle qui avait su atteindre le sien en l'espace de deux rencontres seulement. Le fait qu'elle veuille apprendre à le connaitre totalement, avec ses bons et ses mauvais côtés à n'en point douter, en disait long sur la maturité cachée derrière son évidente jeunesse. Mais ce qu'il aimait par-dessus tout chez elle, c'était cette franchise dont elle faisait preuve avec lui et qu'elle laissa parler une nouvelle fois, affirmant que sa compagnie lui réchauffait le cœur. Celui d'une Banneret fit une embardée en entendant ces mots et un sourire apparu sur ses lèvres sans même qu'il ne s'en rende compte tandis qu'elle approchait de nouveau d'elle-même.

- Je les accepte ma dame.

Il saisit doucement l'une de ses mains et l'effleura de son souffle en un baise-main chargé de beaucoup plus de retenue et de tension que les précédents, il huma l'espace d'une seconde cette peau douce et nacrée à portée de contact, puis se redressa en la libérant, lui accordant un regard gris vibrant d'intensité. Non, définitivement, Victoire de Brasey avait conquis son cœur et était en train de s'y faire une place sans même user du moindre artifice. Lui proposant de nouveau le bras, Zephyr lui accorda un sourire emprunt de douceur et d'affection, désignant du menton le chemin qui s'étendait un peu plus loin.

- A présent que nous savons où nous allons, souhaitez-vous continuer cette balade ? J'aimerais également apprendre à vous connaitre plus avant, les jardins feront l'affaire en attendant une escapade prochaine hors de l'Esplanade.

Car qu'il gagne ou qu'il perde, il comptait bien la sortir de ce carcan dans lequel elle était prisonnière des qu'en dira-t-on et des colporteurs de ragots afin de l'emmener profiter un peu de la vie grouillante de la cité. L'on était à Marbrume, dernier bastion de l'Humanité et l'amour continuait d'agir au sein de la populace, peu importait leur rang.

- « Vous comprendrez aisément que je ne suis pas la seule à décider » malheureusement « Sachez qu’en revanche, ma décision est prise. Peu importe la difficulté. »

C’est une vague de soulagement qui s’empara de la jolie brune, qui n’en dessina qu’un plus large sourire sur ses lèvres. Lentement elle s’était de nouveau approchée, elle avait glissé un bras sous celui de Zephyr, le suivant dans la direction qu’il avait indiquée. Victoire n’était pas très qualifiée pour faire la conversation malgré les facilités qu’elle pouvait montrer dans les soirées mondaines. En ce qui concerne les rendez-vous, la brune n’était pas particulièrement douée, ou plutôt elle n’aimait pas se dévoiler.

- « Je ne vois aucune raison de l’interrompre, bien au contraire à présent que les choses sont claires. » Les yeux bruns de la jeune femme balayèrent le jardin du duc, s’arrêtant sur une magnifique rose « Est-ce que le fait de faire connaissance m’autorise à vous poser d’innombrable question gênante ? » taquina la cadette « Si c’est le cas, j’ai une question dont la réponse m’intéresse fortement, j’espère que vous ne m’en voudrez point de ma curiosité. »

La De Brasey avait laissé un petit silence s’installer, le temps pour le jeune homme de se poser une multitude de questions, certainement jouait-elle encore au jeu du chat et de la souris. Une fois que la jeune femme sentit le regard du banneret se déposer elle, elle étira un nouveau sourire avant de reprendre la parole d’une voix douce et particulièrement fluide.

- « Combien de conquêtes avez-vous eues jusqu’à présent ? Vous n’avez donc aucun enfant ? »

Victoire n’était pas une femme jalouse, bien au contraire, tout était basé sur la confiance d’après elle, en revanche il n’était peut-être pas complètement faux de desceller une pointe d’appréhension dans sa voix. Même si chacun des traits de son visage n’exprimait rien de particulier, ses yeux pétillaient d’une curiosité sincère. Le nombre n’était peut-être pas important pour beaucoup, mais inexplicablement après cette conversation, Victoire ne pouvait s’empêcher de se sentir en rivalité avec ses autres qu’elle imaginait nombreuses. La brune lui laissait évidemment le temps de répondre, de mentir ou d’être honnête, au fond il n’était que seul maître et unique témoin de la vérité. Le jardin semblait protéger le duo, offrant ainsi une intimité passagère et particulièrement agréable. Victoire ne comprenait pas jusqu’à présent les couples qui venaient s’abandonner ici, aujourd’hui, c’était différent. Jusqu’à présent, il n’avait rencontré aucun visage familier, ni même non familier, le jardin étant si vaste que croiser une autre personne relevait du miracle. Elle fronça légèrement les sourcils en prenant conscience que Zephyr et elle, ne s’étaient rencontrés que deux fois. Comment était-il possible de ressentir cet attrait sans connaître l’autre ? L’homme qu’il était, lui avait soufflé l’envie de la connaître, alors Victoire s’autorisa à des petites révélations peu significatives.

- « Comme vous le savez certainement, je suis la cadette d’une famille de trois enfants. Audric est l’aîné, puis Grâce et enfin moi pour terminer. Nous avons reçu une éducation stricte, certainement trop, du moins à mes yeux. » Elle n’en dit jamais trop, certaines qu’il aura bien trop vite l’occasion de découvrir les défauts de chacun « Nous avons toujours été dans une certaine compétition, si bien qu’à présent il est difficile de dire que nous nous entendons bien… Même si notre famille sait parfaitement jouer des apparences. »

Elle n’en dit pas plus, parce qu’elle ne juge pas cela utile, les informations sont déjà importantes, surtout obtenues directement de la bouche d’une De Brasey. Elle fixe son attention un peu plus loin, sur les fleurs, sur les chemins. Un petit vent frais rafraîchit le lieu, contrastant parfaitement avec les rayons du soleil chauffant la peau des deux personnes vadrouillant entre les buissons.

Il n'aurait pas cru qu'elle n'était guère versée dans l'art de la conversation, lui avait eu des sœurs auxquelles on avait inculqué cet art afin qu'elle puisse bien présenter en cas de visite à la cour ou de hautes personnalités, si bien qu'il lui avait fallu s'habituer aux babillages et aux discussions sans portée décisionnelle. Si en temps normal il était peu loquace en ce qui le concernait à titre personnel, l'art de la guerre savait l'inspirer et motiver les troupes lui semblait toujours d'une grande importance, quand bien même il n'aurait pas le charisme d'un Ventfroid ou la prestance d'un Duc. Qu'à cela ne tienne, il pouvait au moins s'occuper de celle qui se tenait à son bras et qui faisait sa fierté en ce jour, amorçant leurs échanges avec des paroles choisies que sa cadette Idalie lui avait fait intégrer à force de conversation. Si la demande de Victoire concernant des questions indiscrètes fit en premier lieu sourire Zephyr avec une pointe d'amusement, la première qui fut posée eut le mérite de le surprendre visiblement et de lui faire ralentir le pas. Que voilà une chose singulière ! Une femme souhaitant s'infliger à elle-même le poids des conquêtes passées de son potentiel futur époux. Reprenant la marche à un rythme normal une fois l'étonnement passé, le Banneret garda le silence durant de longues secondes, réfléchissant à la réponse qu'il devait donner. Mentir serait une mauvaise chose, de cela il en était certain, on ne mentait pas à celle dont on s'éprenait et encore moins si l'on désirait en faire son épouse. Oh bien sûr, il aurait pu le faire sans que l'on ne critique son choix, mais c'était davantage un devoir qu'il s'imposait envers la jeune femme que de ne point lui dissimuler une chose qui semblait lui tenir à cœur.

- Je n'ai point d'enfant et n'en ai jamais eu.

Fut le premier élément de réponse qu'il apporta, choisissant avec précaution ses mots. Il avait décidé d'être franc, mais cela ne lui interdisait pas pour autant de faire preuve d'un minimum de délicatesse.

- J'ai eu quelques conquêtes, mais ce furent toujours des histoires sans lendemain, quelques jolies jeunes femmes lorgnant sur l'un des fils de leur seigneur. Si vous vous demandez si j'ai jamais aimé, je vous dirais que rien ne m'a jamais affecté au point que je désira prendre épouse.

Le noble laissa passer quelques brèves secondes avant de rajouter une précision.

- Vous n'aurez point à connaitre de scandale de ma part, je ne suis pas volage et n'ai eu personne à mes côtés depuis mon arrivée au sein de cette cité.

Il lui semblait tout à coup important de la rassurer à cet effet, de lui assurer qu'elle ne verrait pas débarquer une femme avec une flopée d'enfants braillards qui réclamerait une place en leur maison et menacerait sa sécurité. Bien sûr il avait parfois semblé à Zephyr de regretter de ne pas avoir encore d'héritier, mais il avait toujours été trop occupé par la gérance de ses humbles terres pour songer à batifoler. Victoire pour sa part évoqua sa propre famille en quelques mots choisis qui suffisaient à dépeindre un portrait sévère comme on en trouvait beaucoup dans les cours. L'homme au visage balafré se contente d'acquiescer sans mot dire à ces informations nouvelles, songeant qu'effectivement il allait devoir faire preuve d'une grande fermeté pour faire face aux de Brasey. Qu'importe, le défi plus grand n'en était que plus palpitant.

- Nous étions une fratrie de quatre enfants, Ulrich mon jumeau premier né, moi le second arrivé un instant après, ma défunte Gracianne qui avait rejoint la Cour du Roi où elle avait épousé un Baron, ainsi que ma chère cadette Idalie que vous rencontrerez bientôt et qui demeure la seule survivante à mes côtés de notre lignée. J'ai perdu Ulrich sur un champ de bataille il y a de nombreuses années de cela. Lui était beaucoup plus ouvert et lumineux que moi et j'étais destiné à l'assister pour le reste de mes jours dans la gérance de notre domaine. Les Trois en ont décidé autrement, j'ignore pourquoi, cependant depuis ce jour je me suis consacré corps et âme à nos gens, si bien que je n'ai jamais vu l'intérêt de prendre épouse jusqu'à l'arrivée de la Fange. J'oserais dire qu'à l'inverse de votre famille, ma Dame, la nôtre fut toujours proche et soudée, si bien que je puis vous assurer que Idalie vous accueillera fort bien.

Après tout il se souvenait fort bien de toutes ces années où sa cadette tenta de lui trouver une jeune femme de bonne famille ou de noble lignage, déployant des trésors d'ingéniosité pour s'assurer qu'il honore des rendez-vous dont il n'était même pas prévenu à l'avance, mettant bien souvent son frère dans l'embarras, sans parler des belles concernées par ces entrevues non désirées. Ces souvenirs étaient à la fois douloureux et plaisants, si bien que Zephyr souriait légèrement avec ce regard gris portant sur le lointain bien malgré lui. La perte de son frère avait été une tragédie, mais l'amour de ses proches avait su lui permettre de faire front, ça et son devoir surtout envers leurs gens. L'homme n'avait jamais été du genre à fuir -comme le prouvait d'ailleurs ses cicatrices au visage- cependant l'on ne pouvait affirmer qu'il n'avait pas fuit les affres de l'amour en s'enfermant dans le devoir, une chose qu'il souhaitait à présent rectifier.

- Croyez-vous que votre père ordonnera un duel ou bien pourrais-je espérer le convaincre sans violence ?

Une plaisanterie sortie de nulle part que le Banneret adressa à Victoire dans le but de changer de sujet et de s'extirper du passé qui revenait hanter son esprit à cet instant. Un sourire amusé au coin des lèvres, il espérait que la jeune femme le suivrait dans cette bêtise ainsi évoquée.

Étrangement si la question lui avait paru bonne sur le moment, parce qu’il était important de savoir le moindre élément qui pourrait faire du tort à celui qui semblait vouloir la courtiser. Dans un second temps, elle lui avait paru absurde, hormis tourner un couteau dans sa propre poitrine, cela ne lui offrait rien d’intéressant. Victoire n’avait donc pas pu s’empêcher de laisser un soupir de soulagement s’échapper de ses lèvres, une fois la première réponse prononcée. Il n’avait pas d’enfant ni d’éventuels bâtards au fin fond du royaume, c’était une bonne chose, une très bonne chose pour celle qui ne souhaitait guère voir débarquer un jour, un éventuel enfant revendiquant je ne sais quel droit. Si elle était soulagée de cette première révélation, la seconde fit rapidement déchanter et elle ne put s’empêcher de gonfler les joues. Comment un être comme lui, dans un âge aussi avancé n’avait-il point été au minimum engagé, fiancé vis-à-vis d’une charmante femme ? Elle ne comprenait pas. Un peu trop fixé sur ses positions, sur celle qu’on lui avait inculquée pendant bon nombre d’années.

- « Vous êtes vraiment un être à part messire d’Auvray, premièrement vous êtes en train de parler de vos anciennes conquêtes avec celle que vous convoitez. Vous avouerez facilement, j’en suis certaine que c’est quelque peu surprenant et vous admettez ensuite que malgré votre âge certain... » elle afficha un petit sourire taquin au coin des lèvres « N’allez pas penser que je vous prends pour un vieillard évidemment, on va dire que malgré votre expérience certaine de la vie, vous n’avez jamais été engagé. N’avez-vous jamais craint de ne point vous faire bien voir ? Cela pourrait faire penser que l’engagement vous effraie. »

Honnête, toujours avec lui, Victoire partageait sa façon de penser, qui n’en serait à n’en point douter celle de sa famille. Autant qu’elle puisse déjà obtenir des réponses pour préparer une future discussion qui s’annonçait très loin d’être évidente, encore fallait-il qu’il gagne leur défi pour ça. Elle conserva un sourire sur ses lèvres, alors que son rythme de marche était en parfaite adéquation avec celui de son prétendant. La jeune femme ne semblait pas particulièrement inquiète par une mauvaise réputation, faut-il rappeler que sa famille avait connu bien des difficultés dans le domaine, depuis que son aîné avait épousé un membre de sa famille sans le savoir. Autant dire qu’il ne pourrait guère faire pire, même avec toute la bonne volonté du monde. La suite de la conversation s’était voulue plus intime, plus sincère d’un côté comme de l’autre. Victoire évoquant un peu maladroitement cette rivalité nocive qui existait entre son frère, sa sœur et elle et Zephyr parlant de sa défunte famille. Victoire culpabilisa un peu, presque aussitôt d’admettre de ne pas forcement apprécier les personnes de son sang, alors que l’homme qui acceptait de passer un moment en sa compagnie avait presque tout perdu.

- « Je suis sincèrement navrée pour votre famille… Je ne puis malheureusement vous retirer votre peine. » Peine qui devait encore être présente à ne point en douter.

Le banneret semblait avoir ressenti le même besoin de légèreté de la cadette, si bien que sa phrase au sujet d’un éventuel duel ne puis retenir un long sourire amusé de la jeune femme. Un très léger éclat de rire s’échappa de ses lèvres, alors que déjà, elle essayait de reprendre tout le sérieux du royaume, pour répondre de la même manière :

- « Oh, ça je ne sais pas trop… Qui sait, peut-être que vous ne ressortirez pas indemne de cette joute verbale, mais je vous promets d’être là pour vous relever. »

Elle lui adressa un clin d’œil alors que ses pas s’arrêtèrent devant un énorme buisson joliment fleuri de fleurs blanches. La de Brasey, se demandait souvent comme les jardiniers du Duc paraissaient à de telles prouesses, obtenir de si précieuse et jolie fleur, alors que dehors la mort était omniprésente. Elle avisa un long moment Zephyr avec cette interrogation dans le regard, après quelques minutes d’hésitation, elle avait fini par oser formuler sa question :

- « Où préférez-vous vivre, mon cher banneret ? Dans le magnifique domaine des Ventfroid, ou plutôt sur Marbrume… Si vous aviez le choix, évidemment. »

Son âge certain ? Zephyr avait haussé brièvement un sourcil à l'évocation de cette évidence, mais le sourire taquin au coin des lèvres de Victoire lui confirma ce qu'il avait soupçonné en l'entendant parler : elle ne faisait que le titiller un peu à rebrousse poil pour mieux appuyer son propos, rien de plus. Malgré tout la jeune femme venait sans le savoir de soulever un point de détail qui revêtait une plus grande importance que ce qu'il avait toujours brandit en guise d'apparence, si bien qu'il y eu quelques brèves secondes de silence avant que le noble ne la fixe d'un regard chargé d'une certaine gravité. S'ils marchaient côte à côte en cette belle après-midi d'été, c'était pour échanger et apprendre à se connaitre, aussi songea-t-il que seule la vérité importait à cet instant, fut-elle parfois indélicate à formuler.

- Je ne veux vous mentir ni omettre quoi que ce soit ma Dame, je préfère vous parler en toute franchise afin que ce que nous voulons construire puisse tenir sur de solides fondations. C'est ma dévotion envers mes gens et la mémoire de mon frère qui me tint éloignée de l'idée de m'engager.

Il eut une ombre de sourire sans joie, jetant un regard vers le ciel avant de reporter son attention sur le chemin qui s'étendait devant eux.

- Une partie de moi ne voulait y consentir et essayait de me garder dans un rêve où mon frère repasserait un jour la porte de notre demeure afin de reprendre sa place. Je me disais que je ne prendrais point d'épouse tant que mon devoir ne serait pas accompli, tout en omettant volontairement de penser que cela en faisait également partie.

Pour un peu il aurait pu se moquer de lui-même s'il ne s'était pas agit là d'une pensée qu'il avait gardé secrète jusqu'à présent et qu'il venait de confier à la jeune femme après seulement leur deuxième rencontre. Fallait-il que les Trois lui ait fait croiser son chemin dans un dessein bien précis pour qu'il en arrive à se confier de la sorte à la fille de Brasey ? En tout cas celle-ci savait faire preuve d'autant d'intelligence que de douceur ou de bienveillance, aussi le Banneret lui offrit-il un sourire sincère avant qu'ils ne changent de sujet de conversation. Tout cela devenait bien trop grave et dramatique pour ne pas qu'ils éprouvent le besoin de parler d'autre chose. Le rire de Victoire fut aussi rafraichissant que bienvenu, de même que sa plaisanterie qui suivait la sienne et le faisait se sentir plus léger.

- Il n'y a point femme plus attentionnée que vous ma Dame.

Il lui rendit son clin d’œil, geste assez personnel s'il en était, avant de s'arrêter à son côté pour observer le rosier savamment taillé. La blancheur des fleur sous le soleil d'été les rendaient éclatantes, presque aveuglantes, tandis qu'il sentait sur lui le regard de celle qu'il voyait déjà comme sa future promise -une fois l'épreuve de ses géniteurs passée bien entendue. Un silence étrange s'installa, durant lequel Zephyr ne prononça pas un mot, laissant le soin à la jeune femme de songer à ce qui lui occupait l'esprit, réfléchissant lui-même à comment il pourrait s'y prendre pour convaincre un Baron de laisser un simple Banneret d'épouser la cadette de la famille. Peut-être pourrait-il faire valoir son lien vassalique avec les Ventfroid, c'était là une noble et grande famille dont l'influence était à prendre en considération, sans parler des faits d'arme du sir d'Auvray durant les évènements graves du Labret en Mars et cet été. Le Duc lui-même l'avait remarqué et bien que l'homme ne porta pas cet être en haute estime, il fallait avouer qu'être connu de lui n'était pas sans importance. Ainsi plongé dans ses propres pensées, l'interpellé tourna un regard gris indéchiffrable vers la brune lorsqu'elle osa finalement lui poser la question qui la taraudait depuis tout ce temps.

- Si j'avais le choix ?

Que voilà une chose à laquelle il n'avait jamais pensé jusqu'à présent et qui le prenait au dépourvu, tant et si bien qu'il eut un bref éclat de rire sans joie, jetant un coup d’œil aux fleurs comme s'il s'attendait à les voir changer de couleur pour virer au rouge sang, avant de reporter son attention sur Victoire à qui il offrit un sourire un peu dépité.

- Vous avez le don de me surprendre à chaque instant, puissiez-vous ne jamais perdre cette faculté.

Et sans crier gare, il se pencha vers elle et déposa un tendre et affectueux baiser sur son front, en un geste que beaucoup auraient considéré comme déplacé, mais qui lui avait été soufflé par une impulsion des plus sincères. Son visage retrouvait un peu de cet éclat chaleureux qui le faisait paraitre moins âgé, gommant les plis soucieux de son front qui participaient d'ordinaire à son air trop grave.

- En vérité je l'ignore ma Dame, je n'y ai point encore songé. Je vis actuellement entre la demeure ici au sein de l'Esplanade et mon devoir à Ventfroid qui m'ordonne de me rendre régulièrement sur le front au Labret. Pour ne rien vous cacher, je préfèrerais vous savoir à l'abri dans un endroit sûr, mais si vous éprouviez le besoin de vivre hors de la cité, sachez que je ferais en sorte de suivre vos élans.

Un peu de sérieux revenait inévitablement à la charge tandis qu'il fixait Victoire de ses yeux gris, l'avisant en se demandant s'il oserait lui faire prendre le risque de traverser les marais pour rallier le domaine Ventfroid. Il avait souvenir de ce qui était arrivé à ses maitres et il redoutait qu'une telle chose se reproduise, il savait qu'il ne supporterait pas une telle horreur et ne se le pardonnerait pas. Est-ce que Morion s'en voulait encore, bien qu'il n'y ait été pour rien dans ce qui était arrivé ? Et est-ce que Victoire supporterait d'être tenue loin des intrigues de Cour et de sa famille, quand bien même elle ne s'entendait guère avec cette dernière ? Il y avait deux fronts sur lesquels il fallait lutter, d'un côté la Fange et de l'autre les fomenteurs de complots qui sévissaient au sein de Marbrume. La jeune femme était si intelligente qu'elle serait sans doute davantage dans son élément à la cité, mais aurait-elle la force de l'attendre ? Et lui, aurait-il la force de la laisser pour aller combattre à chaque fois, avec le risque de ne jamais revenir d'une mission ? Autant de choses dont ils devaient discuter plus longuement et c'est dans cette optique que le Banneret scrutait désormais la noble brune. Si son domaine béni des Trois avait encore existé, sans la Fange, c'est là-bas qu'il l'aurait menée, là-bas où la vie était belle et où les gens étaient heureux.