[Terminé] - La bêtise du crétin n'atteint pas le roux chaton

Pressée de quitter ces lieux réservés aux membres de la milice, Aeryn devait lutter contre son impatience afin de ne rien montrer aux milichiens gradés face à elle. Le sergent semblait vouloir étranger le pauvre coutilier sans que la mercenaire ne comprenne pourquoi. N'avaient-ils pas rempli leur mission après tout ? Alors pourquoi tant de reproches, cela lui parut si peu logique… Un homme qui portait particulièrement bien le surnom de milichien déposa quelques pièces dans les mains des deux mercenaires présents qui s'échangèrent un regard étonné et dégoûté à la fois. Ils étaient bien loin du tarif habituel…

-Ouais bah la prochaine fois que vous aurez besoin de mercenaire pour combler vos rangs, surtout oubliez moi, j'fais pas la charité moi… cracha Jacquot qui semblait hésiter entre mettre les pièces dans sa poche ou les jeter à la figure du milichien.

Aeryn observa son bien maigre salaire et le trouva effectivement ridicule, même pour une période de disette. Après tout, elle gagnait autant en travaillant à la taverne… Mais plus que le montant risible de la prime, ce fut le mépris de ces gens qui la dégoûtait profondément. Elle qui détestait déjà les gens de la milice, cet épisode ne l'aiderait certainement pas à les voir autrement. Jacquot qui, comme beaucoup de mercenaires actuellement ne pouvait se permettre de cracher sur quelques pièces,quitta finalement la pièce sans rien ajouter. Néanmoins, la rouquine quant à elle continuait d'observer sa main tout en ruminant dans la barbe qu'elle ne possédait pas :"Mais quelle bande de rats". Finalement, Aeryn serra le poing et les dents avant de lancer un sourire amer au sergent qui ne lui accordait pas le moindre regard, trop occupé à emmerder ce pauvre coutilier qui n'avait pourtant rien à se reprocher.

-Ça, ce n'est pas une prime, cracha-t-elle en posant les pièces sur le bureau du sergent, Puisque la milice est trop pauvre pour engager des mercenaires, autant qu'elle s'abstienne de le faire. Là, c'est ridicule.

Sans attendre son reste, la jeune femme franchement agacée leur tourna le dos avec la ferme intention de quitter les lieux aussi rapidement que possible. Elle pouvait sentir la crasse vénale se déposer sur sa peau, ces gens-là ne méritaient clairement pas son respect. "Pourquoi ne pas entrer dans la milice ?" lui avait demandé le borgne. Et bien, voilà pourquoi. L'exemple se trouvait devant leurs yeux, tout du moins l'un d'entre eux. Comment pourrait-elle obéir aux ordres d'un supérieur tel que celui-ci ? Comment réussir à respecter un être aussi méprisant que méprisable ? Comment développer un esprit loyal dans de telles conditions ? Un supérieur se devait d'insuffler ce genre de sentiment chez ses subalternes, il se devait de montrer l'exemple, tout du moins le bon exemple… Rien de bien étonnant donc à voir tant de miliciens dépravés dans leurs rangs. Les bons éléments, les gens justes et compétents dans la milice se comptaient sur les doigts d'une main, tout au plus...

-Ce soir, rendez-vous à l’Albatros au coucher du soleil ? entendit-elle s'écrier dans son dos.

La mercenaire soupira sans pour autant se retourner et leva simplement une main en l'air tout en continuant de marcher. Elle tiendrait parole, évidemment. Aeryn respectait toujours ses promesses, même si le fait de dîner avec cet homme étrange ne lui disait rien. La mercenaire s'en méfiait, ne comprenant pas le moins du monde ce que ce dernier attendait d'elle en l'invitant à partager un repas en sa compagnie. Et puis… Quel intérêt pouvait-il y avoir de manger avec quelqu'un d'autre au juste, et surtout volontairement ? Tout cela lui échappait. Ce ne serait pas une première, évidemment. Néanmoins, lorsqu'elle devait dîner en compagnie c'était toujours parce qu'ils se trouvaient au même endroit au même moment et que leur estomac grondait… Rien n'était prévu à l'avance.

Aeryn passa le reste de la journée à s'entraîner avant de se débarrasser de la poussière, de la sueur et des restes de son agacement dans les eaux chaudes et salvatrices des termes du Temple. En rentrant elle demanda l'autorisation à Hegbert de disposer de sa soirée, plus pour la forme que par réelle nécessité. Aucun contrat ne liait les deux parties et le tenancier savait parfaitement que la mercenaire n'abuserait pas de ses absences. Néanmoins, il fut assez intrigué par cette demande exceptionnelle pour interroger Aeryn qui lui répondit avec franchise. Les plus surprises furent bien évidemment les deux filles du propriétaire des lieux qui se mirent en tête d'aider la jeune femme à s'apprêter en lui présentant quelques robes…

-Regarde, celle-ci serait parfaite pour toi, s'exclama Laetitia en lui tendant une robe verte. C'est la couleur parfaite pour toi !
-Ne dis pas n'importe quoi! gronda Laura en se saisissant d'une toilette bleu avant de la placer devant une Aeryn à la mine déconfite. Pour aller avec tes yeux

Les deux sœurs en désaccord se disputèrent alors, aucune des deux ne voulait changer d'avis au sujet de la couleur idéale pour la rouquine qui perdait doucement patience.

-Je vous remercie les filles, mais je ne porterai aucune de vos robes. Elles sont certes très jolies, mais pas pour moi.
-Quoi ? Mais que vas-tu porter alors ?
-N'importe laquelle de mes tenues habituelles, rétorqua Aeryn en haussant les épaules.
-Mais… Non ! s'offusqua Laetitia. Tu ne peux pas porter ce genre de vêtements, pas ce soir !
-Et pourquoi ça ? Je mange et je rentre…
-Ryn… Tu vas dîner avec un homme… Tu sais ce que cela veut dire ?
-Que je vais prendre un repas… Quoi d'autre ?

Les deux sœurs échangèrent un bien étrange regard avant de soupirer en chœur.

-Il te fait la cour, Ryn...
-Non, vous vous trompez, railla la rouquine qui ne put s'empêcher d'éclater de rire. Croyez-moi, ce n'est pas ça du tout.

Elles n'en étaient certainement pas aussi convaincues que la mercenaire, mais les jeunes filles laissèrent rapidement tomber l'idée de convaincre Aeryn. Elles ne se connaissaient pas depuis très longtemps, pourtant elles savaient parfaitement que la rouquine était bien trop têtue pour changer d'opinion aussi facilement. Aussi, elle la laissèrent se préparer à sa guise, regrettant toutefois que celle-ci ne fasse pas le moindre effort pour plaire à cet homme.

De son côté, Aeryn se fichait bien de ce que pouvait penser le milicien à son sujet. Elle ne voulait pas le séduire, l'idée même ne lui avait absolument pas traversé l'esprit. Dîner et rentrer, voilà tout. La soirée ne s'éterniserait pas et elle ne le reverrait plus après cela, du moins pas en dehors de l'auberge d'Hegbert.

La mercenaire connaissait assez bien l'Albatros pour s'y être introduite durant la fameuse prise d'otages à laquelle Aeryn devait sa réputation. Elle n'eut donc aucun mal à retrouver le chemin si bien qu'elle arriva à l'heure au rendez-vous.