L'Iris dans un écrin bucolique (Pv Clarence)

- Vous ne vous trompez pas, Monsieur le Comte.

En effet, Clarence n’a aucune intention de finir ses jours entre quatre murs à attendre les clients. Non, elle a d’autres ambitions, infiniment plus personnelles, plus dignes aussi.

- Quoiqu’il en soit, puisque vous parlez d’honneur…Mes ancêtres n’avaient certes pas à gérer la présence de monstres aux alentours de la cité, j’ai fait ce que j’ai fait parce que nous étions dans le besoin, parce que c’était de la nourriture facilement gagnée, et parce que je ne voulais plus voir ma sœur rentrer tous les soirs en trainant les pieds, rompue de fatigue, le ventre serré par la faim, la mine triste. Elle mérite mieux que cela. Je mérite mieux que cela moi aussi. Alors certes, si ce n’est guère un métier honorable selon votre point de vue, pour moi il l’est. Il m’a permis d’alléger la charge de Clémence et de lui donner ce que je n’avais plus vu depuis longtemps : un sourire.

Bien droite, la fierté lui est remontée directement à la gorge d’entendre ces mots-là et pourtant elle reste digne et douce, l’œil juste un peu plus brillant sous l’exaltation du moment.

- Mais vous avez raison, je ne désire pas continuer en cette voie. J’aurai de toute façon bien d’autres soucis à gérer dans un avenir proche, ajoute-t-elle à voix basse, en regardant ailleurs.

Elle revient à sa place, s’asseyant avec un sourire, le plus familièrement du monde.

- J’apprends à danser à des petites filles. Parfois je leur apprends la couture et pour celles qui en expriment le désir, un peu de lecture et d’écriture, mais cela reste assez sommaire. Elles préfèrent la danse, bien souvent. Comme nous n’avons pas d’instruments ni de musiciens, nous frappons dans nos mains et je leur apprends de cette façon. J’aimerais beaucoup ouvrir notre maison à ceux qui en ont besoin. Proposer de l’aide, un logement temporaire pour les personnes de passage.

Elle prend une nouvelle gorgée d’eau et s’empare d’un petit morceau de pain garni d’une tranche de viande froide qu’elle mange du bout des doigts, savourant la texture en fermant les yeux.

- C’est délicieux !

Clarence regarde le Comte et ajoute :

- Notre maison est très grande, trop pour deux femmes seules. Alors tout ce que j’ai gagné, je vais le rentabiliser et améliorer ce que nous avons déjà. Meubler, réparer, enjoliver ! des fleurs ! peut-être même un tapis dans l’entrée ! et de nouveaux linteaux de pierre pour nos cheminées qui sont un peu délabrées. Il y a beaucoup à faire…

A nouveau, elle parle vivement, les joues teintées de rose à l’idée merveilleuse d’une jolie maison bien propre et d’un avenir sans nuage pour Clémence qui pourrait – enfin – se reposer. Jamais elle ne parle d’elle, de ce qu’elle ressent, de ce qu’elle aime, de ce qu’elle voudrait, toujours elle agit en fonction de sa sœur, sans même s’en apercevoir.

- Je n’ai pas d’autres ambitions que de rendre la vie de ma sœur plus belle. C’est la meilleure personne au monde, elle mérite d’être heureuse. Et c’est pour elle que je fais tout cela.

Quelque chose ne va pas. Elle ne sait pas quoi, elle ne sait pas comment, mais l’atmosphère a changé en peu de temps, comme si elle avait dit une bêtise. Les sourires du Comte sont toujours présents, charmants, mais elle sent qu’il se passe quelque chose. Est-ce cette façon de boire plus vite la coupe de vin ? Un soupir peut-être ? Elle ne sait pas le définir mais le Comte se lève, il s’éloigne et il prononce enfin quelques paroles.

De véhémentes paroles.

Clarence pâlit un peu sur son siège, la gorge soudain toute sèche.

- Mais, Monsieur le Comte, je…

Elle n’a pas le temps de placer un seul mot qu’il en ajoute d’autres, encore et encore, reprochant à la jolie rousse de parler de sa sœur, comme si c’était indécent. Clarence détourne le regard, ainsi que la tête, les mains jointes sur sa robe, attendant que le petit orage passe en encaissant les paroles sans plus rien répondre.

Victor ne pourrait sans doute pas comprendre tout l’attachement que Clarence voue à Clémence. Elle est comme sa mère et elle est également la seule personne en ce monde à laquelle elle dédie toute son affection. Et Clarence est faite de cette tendresse du cœur qui se dévoue totalement aux personnes aimées. N’a-t-elle pas pris soin d’elle alors qu’elles étaient toutes deux orphelines ? N’est-elle pas revenue auprès de sa petite sœur après avoir perdu son époux ? Est-ce donc si anormal de vouloir le bien d’une autre personne que soi-même, en tous temps et en tous lieux ? Il semblerait que oui, à l’entendre.

- Je n’ai plus qu’elle en ce monde, alors j’en prends soin, elle est…pratiquement tout mon univers…Pardonnez-moi, je n’en parlerai plus.

Elle prononce ces mots-là tout bas pour l’entendre ensuite s’excuser lui aussi, chose qui la surprend beaucoup. La jolie rousse déglutit et s’empare de la main du Comte, l’œil tout brillant de larmes contenues.

- Nous avons eu des journées difficiles, vous et moi, semble-t-il. Ne vous excusez pas, Monseigneur, ce n’est rien. Un peu de volaille, ce sera parfait. Je vous suis.

Les longs doigts fins de la jolie rousse serrent la main du noble sang, il n’y a pas de rancune dans le regard qu’elle lui lance, aucun ressentiment.

- Que voudriez-vous savoir d’autres à mon sujet, Monsieur le Comte ?

Il y a dans cette pièce pratiquement tout ce que Clarence aime. De l’excellente nourriture, de jolis plats brillants, une douce lumière et peu de bruit, tout cela en une demeure magnifique en compagnie d’une personne de qualité. Pourtant, au milieu de toute cette douce magnificence qui aurait certainement intimidé plus d’une jeune femme, Clarence, elle, s’y sent bien. Vraiment bien. Tout ceci lui semble familier, naturel, elle est d’une sérénité incroyable en prenant place à table, en face du Comte qui il y a quelques instants encore la sermonnait pourtant sur la terrasse.

Un sentiment de bien-être l’envahit, un très réel sentiment de paix qui éclaire son visage et qui auréole son être d’une aura de tranquillité. Victor, si observateur, pourra le remarquer sans la moindre difficulté. Elle est d’une politesse exquise envers le serviteur qui s’éloigne déjà après avoir apporté les premières réjouissances.
En miroir, elle lève également son verre et incline élégamment la tête en répondant au Comte :

- A nos réussites.

Elle dépose son verre sur la table et s’empare ensuite d’un grain de raisin qu’elle croque avec délectation avant de répondre.

- Je compte offrir le gîte et le couvert à tous ceux qui souhaitent le confort et l’ambiance d’une maison saine au lieu de se perdre dans les auberges et tavernes de la cité, dans un premier temps. Un moyen de se loger à moindre coût tout en gardant un certain confort…Il m’est particulièrement pénible de voir à quel point les gens sont abandonnés à leur sort à Marbrume quand ils disposent de peu de moyens.

Elle se rappelle fort bien cet homme qui était entré chez elles, poursuivi, et qui avait finalement dormi ligoté sur la table de leur cuisine, surveillé par une Clarence tenant un tisonnier, endormie sur sa chaise. Il avait laissé des fleurs en remerciement et ce geste l’avait vraiment beaucoup touchée. Cet homme serait sans doute mort si elles ne l’avaient pas toutes deux accepté en leu maison ce soir-là.

- Et effectivement, j’aimerais, à mon petit niveau, instruire les petites filles qui le souhaitent. Leur parler du monde, de ce que je lis, pour éveiller leur curiosité…Les petites filles, tout comme les pauvres gens, sont bien souvent oubliées, Monsieur le Comte. Et quand cela se produit…Elles en sont réduites parfois à des extrémités désastreuses.

Elle s’empare d’un morceau de pain qu’elle mange consciencieusement.

- J’aimerais éviter cela à d’autres, si j’en ai la possibilité. Quant à reprendre les activités de feu mon père…cela demande une étude approfondie des textes de lois auxquels je n’ai pas accès.

Clarence a un doux sourire pour Victor avant de découper délicatement un morceau de cette tranche de pâté qu’elle mange ensuite avec la même délectation. Cela fait si longtemps qu’elle n’a plus mangé de telles choses si délicieuses, par les Trois…

- Quant à ce souci que j’évoquais tout à l’heure…

Elle prend une nouvelle gorgée de vin et prend le temps de réfléchir et de reprendre une part de pâté.

- …c’est effectivement très personnel. Je préfère ne pas en parler pour l’instant.

C’est dit d’une toute petite voix, le visage obstinément tourné vers son assiette. Devrait-elle en parler au Comte ? Elle lève un regard plein d’appréhension vers lui, jaugeant Victor du regard. Il est le père de ce petit enfant qui grandit en elle, elle en est absolument certaine mais le sera-t-il, lui ? Bien sûr que non. Il pourra alléguer sans le moindre problème qu’un autre client est le père, qu’il n’a rien à voir dans tout cela et il s’en lavera totalement les mains. Alors, sans doute le silence est-il préférable au rejet. Et ce rejet arrivera de toute façon bien assez tôt lui aussi quand les rondeurs caractéristiques d’une grossesse marqueront son joli corps. Lui aussi ne voudra sans doute plus la voir, la rencontrer ou même discuter avec elle. Même Clémence ignore encore qu’elle sera bientôt…tante Clémence. Et il est bien possible qu’elle rejette Clarence, elle aussi, à cause de cela. La gorge nouée, elle repousse son assiette et dissipe son émotion sous une longue gorgée de vin. La jolie rousse vit une angoisse permanente.

- Peut-être le ferai-je dans un avenir proche mais rien n’est certain.

Elle se recompose un visage avenant et reprend la conversation tout à fait normalement.

- Je ne veux pas gâcher une jolie soirée par de tristes pensées, parlons d’autre chose, voulez-vous ? Par exemple, cette maison dispose-t-elle d’une bibliothèque ? J’aime la lecture…

- Je l’ignore Monsieur le Comte…

Elle n’avait guère songé à cela, il est vrai. La jeune femme est depuis longtemps en l’attente de pouvoir améliorer son chez elle, de pouvoir agrémenter son quotidien par l’ajout de nouveaux meubles, de nouveaux tapis, et même, comble du petit luxe, de quelques buches de bon bois pour réchauffer tout l’intérieur, de jolies robes pour Clémence…Elle n’a pas tellement songé à l’entretien pérenne de cette demeure, non plus qu’à l’intendance quotidienne. En effet…Il va falloir trouver quelque chose, ses revenus ceux de sa sœur ne suffiront probablement pas dans un premier temps.

Elle regarde pensivement son assiette, jouant distraitement du bout de sa fourchette sur le petit morceau de pâté de viande. Un sourire s’affiche alors. Pourquoi ne pas lui demander, il est vrai ? Il est riche. Ils sont partenaires d’affaire. Peut-être que cela pourrait l’intéresser.

- Que diriez-vous de devenir ce mécène, Victor ?

Elle dépose la fourchette et croise les mains sur sa jupe.

- Il me semble que beaucoup de membres de la noblesse parrainent ce genre d’institution. Alors certes ce n’est probablement pas grand-chose à vos yeux mais si je précise que ces leçons, ces cours, ces apprentissages sont parrainés par l’homme le plus puissant de la cité, cela changera probablement tout aux yeux des parents qui me confieront leurs enfants.

Elle est bien consciente qu’offrir une telle opportunité à Victor de Rougelac, c’est lui permettre d’avoir un pied dans sa vie mais…il a raison tout en ignorant que sa profession sera de toute façon abandonnée sous peu. Personne ne voudra employer une femme enceinte. Elle sera donc sans revenus. Alors autant lui poser la question maintenant, tant qu’elle n’est pas poussée par la nécessité. Elle aura moins l’impression de demander la charité, de cette façon.

- A moins que vous ne soyez déjà débordé de demandes, ce que je peux tout à fait envisager…

Clarence sourit toujours en écoutant le Comte raconter la résidence de Néra tout autant que ses richesses.

- He bien je serai ravie de lire des nouveautés, à l’occasion.

Tout se passait très bien jusque là. Clarence demeure fidèle à elle-même, douce et calme, tranquille et simple devant le Comte, savourant chaque plat jusqu’à ce que la cloche se soulève et révèle la volaille. L’odeur subtile de chair blanche doucement rôtie lui parvient et là…

- … !

Elle pose sa main devant sa bouche et réprime difficilement une nausée, un haut-le-cœur, déglutissant avec difficulté, toute pâle soudain.

- Excusez-moi, je crois que je vais me contenter du pâté et du pain, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, Monsieur le Comte.

Elle secoue vivement la tête, levant sa main libre vers le Comte, tandis que l’autre demeure sur sa bouche un long instant avant qu’elle ne dise, d’une petite voix :

- Je vous en prie, inutile de déranger vos gens, Monsieur le Comte.

Clarence est toute pâle, les joues rouges comme des pommes à la fin de l’automne et elle se reprend, aussitôt la volaille disparue.

- Je vous prie de m’excuser, je pense que j’ai peut-être un peu trop présumé de mes forces pour ce jour.

Elle s’en veut de lui avoir fait perdre son temps, que va-t-il penser maintenant ? Que c’est une petite nature qui ne sait pas garder des forces pour un simple repas. Pourtant, il est vrai qu’elle a « travaillé » aujourd’hui et que les journées ne sont pas toujours simples. Elle ferme d’ailleurs les yeux en songeant avec dégoût à son emploi, tête baissée.

- Victor…Je crois qu’il serait mieux que je me retire pour me reposer, si vous le permettez. Vraiment je suis navrée, croyez-le bien.

La jolie rousse se lève et se retient à sa chaise, les sens rudement malmenés. Elle se sent totalement exténuée, soudainement, alors que la nausée reflue, ne lui laissant plus qu’une désagréable impression de faiblesse qu’elle n’a jamais ressentie. Elle aurait mieux fait de rester dans son lit tout à l’heure au lieu de jouer à la femme forte et sûre d’elle.

- Je me sentais très bien, c’est arrivé soudainement, je ne sais pas ce qui arrive…

Victor venait d'être coupé dans son élan. Légitimement inquiet par l'état de sans de son invitée, le mondain s'était employer à porter assistance à Clarence, cette dernière refusant finalement l'assistance de la domesticité de la résidence de Nera. Pour autant, le Comte interrompit son dîner, quittant son siège pour se porter à la hauteur de la chaise qu'occupait la rouquine au teint devenu pâle, presque livide. Se formulant en excuses, elle justifia son malaise et sa réaction pour alors demander congé à son hôte soucieux et quelque peu perplexe.

N'exprimant pas ses doutes, Rougelac proposa alors sa main droite à la demoiselle de Sarravilliers avec la plus grand compassion pour cette dernière.

- Laissez moi vous raccompagner jusqu'à votre chambre. Je suis sincèrement navré qu'à la vue de cette volaille votre mine enjoué ait disparut. Vous avez dû avoir une journée des plus éprouvante.

Si la jeune femme accepta de se faire conduire par le Gouverneur du Sud, ce dernier prit grand soin de gravir l'étage avec soin et prudence jusqu'à raccompagner la jeune femme devant sa couche.

- Dois-je tout de même vous faire préparer quelque chose pour la nuit ? Je puis espérer rendre demain votre séjour plus agréable. J'espère que cette faiblesse n'est que passagère, auquel cas je me verrais contraint demain de sollicité un apothicaire.

Le contexte forçait le Comte à la retenue car il ne souhaitait pas obtenir quelques aveux à l'avenante jeune femme, mais avant de quitter la chambre, il rajouta.

- Si vous souhaitez parler, mes appartements jouxte votre chambre. Il vous suffira de frapper et entrer. Sinon, reposez-vous et nous reprendrons le cours de nos échanges demain matin. Je serais sans doute debout à l'aube.

La prévenance du Comte a au moins l’effet de la ramener à une certaine réalité. Prenant appui sur le bras de Victor, les genoux un peu tremblants, elle avance à son rythme, se cramponnant à la tunique obsidienne lors de la montée des marches, vers sa chambre. Elle ne dit pas un mot, encore sous l’impression désagréable de cette nausée aussi soudaine qu’inattendue.

Enfin parvenue en sa chambre, elle profite encore quelques instants du soutien du Comte pour se diriger vers une chaise et s’y asseoir, le cœur battant.

- Je vous remercie infiniment, Monsieur le Comte. Si une de vos servantes pouvait juste m’apporter un peu d’eau fraîche, ce serait amplement suffisant à mon bien être, pour l’heure.

Dormir. Boire un peu d’eau fraîche et dormir. Voilà tout ce dont elle a besoin pour l’instant. Pourtant, elle essaye bravement de donner le change en souriant un peu, faiblement. Sa chambre jouxte donc celle du Comte ? Ses mains se nouent timidement au dessus de ses cuisses, il sera toujours temps de parler demain, quand elle sera en état de le faire.

- Je vous souhaite une bonne nuit…Victor.

Point de révérence. Elle n’est pas en état de la produire de toute façon mais elle incline élégamment la tête, avant de le voir s’éloigner et sortir. Elle entend les pas décroître dans le couloir…Et d’un coup elle soupire, les yeux clos, la tête un peu renversée, la bouche sèche. Par les Trois, qu’était-ce donc cela ? Elle pose la main sur son ventre et frémit à l’idée même que cela soit du à cette grossesse. Elle ignore absolument tout des petits maux de cet état particulier et elle ne peut guère poser ses questions à sa sœur…

La servante la trouvera en train de pleurer en silence, le revers de la main posé sur ses petits yeux émeraude. Quelques instants plus tard, débarrassée de cette jolie robe qui ne lui appartient point et vêtue d’une simple chemise de lin beige dépourvue de dentelle, elle se glisse sous les draps et duvets épais pour plonger en un sommeil troublé.




L’aube ne sera pas bien loin lors de l’éveil de la jolie rousse. Le ciel se teinte de cette couleur sombre d’aubergine et d’encre, en l’attente du soleil et pourtant, à la fenêtre, il y a la fragile et fine silhouette d’une jeune femme en chemise occupée à regarder le jardin. Ses petits pieds nus ressemblent à deux petites tâches de neige sur le parquet ciré et sa longue chevelure roule en cascade de feu sur son dos, libre de tout ornement. Le petit nœud qui ferme la chemise au col est défait, dénoué par une nuit agitée, révélant l’arrondi d’une épaule pâle.

Elle a faim.

Et elle n’est pas chez elle.

Elle tend l’oreille et écoute les bruits en provenance de la chambre qui jouxte la sienne. Pas un son. Alors elle se risque à fouiller les penderies pour enfin trouver quelque chose qui lui convient, une simple robe de chambre à large col de fourrure sombre qui la dissimule en entier, souple et douce, d’un vibrant vert forêt, puis, à pas de souris, serrant la robe de chambre, elle sort de la pièce et se risque à arpenter les couloirs encore silencieux.

Les couloirs demeuraient encore silencieux quelques instants jusqu'à ce que Clarence tombe nez à nez avec la domestique qui l'avait surpris la veille à pleurer en silence, un pot de chambre propre sous les bras. A la vue de la rouquine, la servant posa le récipiant pour venir se précipiter à la rencontre de l'invité du Comte, le regard peiné et compatissant.

- Mademoiselle, vous vous sentez mieux ? La nuit vous a été réparatrice ?

Elle l'examine du coin de l'oeil, s'assurant qu'elle porte des tissus suffisamment chaud pour braver la douce fraîcheur matinale.

- Le Comte prend son petit déjeuner au cœur du parc. Voulez-vous le rejoindre ou préféreriez-vous que je vous dresse le couvert au salon ? Monsieur le Comte ne vous fera pas ombrage de votre absence, ce sont ses mots.

Alors qu'elle s'offre en guide pour descendre l'escalier attenant au long balcon, la domestique semble soudainement embarrassé, baissant soudainement la tête comme pour préparer un aveux.

- Je m'excuse mais je dois vous avouer que j'ai dû rapporter au Comte vos pleures d'hier soir. J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur mais... ce sont les directives de mon maître. S'il vous plait, ne lui dites pas que je vous l'ai rapporter...

Après quoi celon la décision de Clarence, la servante l'accompagna soit au salon soit sur la terrasse extérieur pour alors emprunter un petit chemin de terre qui donnait sur une charmante petite cours en bois où se dressait une table de jardin encerclée d'arcades végétales fleurissante faite des plantes grimpantes.

Toute la discrétion du monde ne peut guère faire le poids face une domestique qui arpente les couloirs bien avant l’aube afin que tout soit impeccable pour le seigneur des lieux. Clarence serre automatiquement la confortable robe de chambre contre elle, dans un doux frottement de tissu mou. La servante de la veille…Toute cette sollicitude simple lui réchauffe le cœur, elle serre la main de la domestique avec bienveillance.

- Je vous remercie, je vais mieux, et je meurs de faim…Je ne pensais pas qu’il y aurait déjà quelqu’un dans les couloirs à cette heure…

Pas plus qu’elle ne pouvait imaginer quelqu’un prendre son petit déjeuner dans une obscurité pareille. L’idée même de déambuler dans les jardins, à peine vêtue, alors que le soleil n’a pas encore eu le temps de réchauffer l’atmosphère, lui donne un frisson. Elle regarde ensuite ses pieds et ajoute, tout en déambulant sur les confortables tapis de l’étage :

- Je n’ai pas de chaussons…Je crains d’attraper froid, il est préférable que je mange à l’intérieur…

Non pas qu’elle n’a pas envie de rejoindre le Comte, loin de là, c’est juste qu’elle n’est pas présentable et que, surtout, elle a très faim. Elle serait capable de manger son propre poids en pain tellement son estomac lui fait mal. Et se ruer sur la nourriture n’est jamais bien élégant quelle que soit la personne qui mange en face de soi.

- Même si j’ai bien envie de me rendre aux jardins…Il vaut mieux que je sois présentable, vous ne pensez pas ? Je suis en chemise et pieds nus.

Alors qu’elles avancent dans la pénombre, la servante finit par avouer avoir confessé au Comte les quelques larmes qu’elle a versées hier, après qu’il soit parti. Clarence finit par baisser la tête, à son tour, embarrassée.

- Vous pouviez ne rien lui dire, pourquoi l’avoir fait ? J’ai eu un petit moment de faiblesse, était-ce bien nécessaire de l’en informer ?

Un soupir lui échappe. Pourtant elle la suit et entre dans le salon silencieux, seulement éclairé par une large flambée bien chaude. La servante disparue, elle approche du feu et finit par s’asseoir dans un petit fauteuil, profitant de la douce chaleur et du silence, ses petits pieds dépassant de la longue robe de chambre. Alors un souvenir lui revient…Celui de ces jolis bas de soie sur lesquels le Comte déposé de brûlants baisers. Une rougeur lui vient aux joues.

Alors que les deux femmes prenaient la direction du salon, Clarence motivant son choix par sa tenue peu sujette à braver la brise matinale, la domestique avait fait acte d'aveux pour alors se voir interroger sur les motivations de cette dernière à rapporter au Comte les évènements de la veille. Haussant des épaules, navrée, elle ne semblait pas capable de se justifier, laissant ainsi naître une ombre sur la personnalité du Comte. Elle s'employa alors à installer face au feu l'invitée du mondain, faisant quelques allées et retour pour dresser un petit déjeuner de choix à la rouquine.

La domestique fini par s'incliner, tête basse, avant de prendre congé non sans un dernier mot d'excuse.

- Il est juste préférable que le Comte soit au courant de ce qui se passe ici. S'il l'apprenait autrement... Mademoiselle, je vous souhaite un bon appétit.

Puis elle disparut, laissant alors Clarence se restaurer à sa guise une bonne heure durant avant que Victor n'apparaisse enfin non sans signaler sa venue en frappant au préalable à la porte. Sans un mot, il prit place sur le fauteuil laissé vaquant face au feu avant d'aviser la jeune femme en lui offrant un sourire chaleureux.

- Comment vous sentez-vous Clarence ? Je puis espérer que vous ayez reprit des forces. Vous avez tant de choses à découvrir ici, mieux vaut que vous soyez en pleine possession de vos moyens. D'ailleurs, j'ai pu réfléchir à votre proposition hier soir. je me porterais garant de votre projet en temps et en heure. Il est bien évident qu'il va vous falloir au préalable finir vos activités au Jardin avant que je ne puisse m'investir, par soucis d'étiquette, vous le concevrait aisément.

Assurément, il fallait que Clarence ait coupé tout lien avec ces activités de fille de joie car depuis que le mondain avait retrouver grâce auprès de la Couronne, toute affaire de mœurs légère pouvait nuire à sa réputation restaurée. En cela, son invitée devait s'en douter. Entre la volonté de gagner une vie loin de l'argent facile d'un lupanar, il y avait un grand pas à franchir pour Clarence et faire face à Madame Rose allait être une épreuve en soit ! On ne laissait surement pas partir sa fille la plus prolifique aussi facilement après tout? Et Victor ne ferait sans doute pas acte d'ingérence sur ce sujet.

La phrase laissée en suspens par la servante lui donne largement de quoi réfléchir pendant qu’elle se restaure, mangeant sans retenue, affamée. Du pain, du bon pain bien frais ! Une merveille ! et cette confiture ! ces petits gâteaux ! Sans parler des tisanes, au gout rare et unique, qu’elle savoure en fermant les yeux, toujours face au feu.

Le soleil se lève à peine, elle réfléchit toujours, le nez plongé dans sa jolie tasse, occupée à réfléchir. Lorsque la silhouette du Comte s’installe à ses côtés, elle a un petit sursaut, tellement elle était prise dans sa contemplation silencieuse des jolies flammes dansant sur les bûches.

- Victor ! Je…

Elle serre la robe de chambre au plus près d’elle, déposant sa tasse sur une petite table basse installée à ses côtés. Si elle n’était guère vêtue pour un petit-déjeuner champêtre à l’aube, elle ne l’est pas davantage face au Comte même si la seule indécence réside en ses petits pieds nus, visibles sous la grande robe de chambre.

- Excusez-moi, je profitais du calme et de la chaleur, un peu honteusement. J’ai très bien dormi, je vous remercie. Et je vous prie de m’excuser pour ma faiblesse d’hier soir, Monsieur le Comte. Ce n’était pas très digne mais je pense que c’est du à une fatigue accumulée ces derniers temps…

Elle sourit, tout en essayant de replacer correctement ses cheveux de manière à être présentable avant de sourire largement. Alors…il accepte ? Vraiment ? Toute la joie dans ce regard-là, celui qu’elle lui accorde, plein d’étoiles et de reconnaissance. Elle acquiesce vivement bien entendu, elle trouvera une solution pour le Jardin elle fera ce qu’il faut ! La perspective est belle, l’avenir devient moins sombre.

- Victor, vous ne pouvez imaginer quel…quel soulagement vous m’apportez en si peu de mots. Comment puis-je vous remercier ?