Marbrume


Le deal à ne pas rater :
Funko POP! Jumbo One Piece Kaido Dragon Form : où l’acheter ?
Voir le deal

Partagez

 

 Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
Aller à la page : 1, 2, 3, 4  Suivant
Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyDim 17 Sep 2017 - 19:34
L'après-midi était bien avancée et la chaumière des Levannier embaumait de cette odeur aromatique qui emplissait tout l'espace lorsque Violette travaillait ses philtres et ses onguents. Dans une marmite posée sur l'âtre bouillait un pain de graisse prête à être mélangée aux macérats et aux infusions destinées à devenir des baumes.
Des flacons de terre cuite illustrés de gravures fines se côtoyaient sur sa table de travail. Si elle ne savait pas écrire ni lire; Violette n'en avait pas moins mis en place son propre système de classement iconographique où des représentions stylisées des plantes et de la manière dont elles étaient préparées résumaient le remède en quelques dessins.
Elle n'avait besoin que de cela, ayant mémorisé les usages et les propriétés de chacune des plantes qu'elle connaissait depuis son plus jeune âge.

Assise à ses côtés, Primerose s'appliquait à reproduire l'exemple de sa sœur aînée en silence, versant prudemment le contenu d'un chaudron de macérat dans une série de récipients soigneusement mis de côté.

Elles œuvraient en silence et avec application, toute à leur tâche. La rigueur et la minutie étaient deux qualités indispensables pour ce métier, et ce que la plus âgée avait appris, elle s'efforçait de le transmettre à la benjamine.
La première série de préparatifs fut rapidement terminée, et suivie du mélange de la graisse bouillante avec la préparation destinée à finir en pommade. Il en diffusait un parfum d'herbes d'été et de fleurs des champs.

- Rose, va me chercher les étiquettes pour les baumes contre les infections.

La fillette s'exécuta tandis que Violette remuait vivement le mélange d'une main, attrapant de l'autre une série de flacons plats qu'elle pourrait facilement refermer avec de la toile. Active depuis plusieurs heures près du feu, quelques mèches noires collaient à son visage humide qu'elle épongea d'un revers de manche. Le temps que Primerose ne revienne, elle pouvait s'autoriser une pause pour se rafraîchir...
Estimant que l'émulsion ne risquait pas de retomber, elle délaissa un instant son ouvrage et se dirigea vers une vasque de poterie, y versant le contenu d'une carafe fraîche avant de se laver les mains et le visage.

Quelques coups toqués à la porte interrompirent sa pause.

- Je te laisse verser le baume dans les flacons, fais attention de ne pas te brûler lança t-elle à sa soeur qui revenait à cet instant-là, avant de se diriger vers la porte, repoussa d'un nouveau revers de poignet une mèche folle qui dansait devant son visage.
Puis elle ouvrit pour accueillir l'inconnu qui peut-être requérait ses services.

- Bonjour, que puis-je faire pour vous aider?

Revenir en haut Aller en bas
Martin LapierrePrêtre
Martin Lapierre



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyDim 17 Sep 2017 - 22:02
Chaque jour, Martin était de plus en plus fatigué. L’insomnie était le juste châtiment pour ses erreurs passées, et il acceptait son sort.

Toutefois, il ne pouvait supporter que son état nuise à autrui, et il se sentait – ou plutôt, se savait - au bord de la rupture. Lors de sa dernière séance d’hypnose, son esprit avait subitement décroché : il avait tout oublié de son patient et de ses paroles précédentes – un blanc total.

Il lui arrivait également de transpirer en cours de méditation : son cœur accélérait brusquement la cadence, et il fallait user d’une grande maîtrise pour revenir à un état normal. Finalement, il s’était autorisé à prier Rikni de lui accorder un bref répit - non pour lui, mais pour continuer à œuvrer au nom des Trois. Cette nuit, il avait dormi aussi peu et aussi mal que d’habitude.

Quelques heures plus tard, assis à jouer machinalement de l’orphalion devant une échoppe familière du Bourg-Levant :

- J’espère que les herboristes seront mieux armés c’hiver-ci que l’dernier, dit le commerçant.
- J’te l’fais pas dire, mon minet, renchérit sa femme. Ça a été une vraie hécatombe, l’hiver 64 ! Les maladies ont fait plus de morts qu’les Fangeux !
- Qu’est-ce t’en penses, Martin ? enchaîna le mari.
Le prêtre, d’ordinaire si aimable, restait silencieux. De mauvais souvenirs accablaient davantage ses traits tirés.
- Tu vois pas qu’il est épuisé, not’ bon prêtre ?! observa la femme avant d’ajouter à voix basse : y devrait justement voir un herboriste, sinon y risque pas de passer l’hiver.
- Hmm… s’interrogea le commerçant en mâchouillant un bâtonnet. Ha ! s’exclama-t-il soudain en crachant sa proie. Hé ! Martin ! cria-t-il.
Le prêtre sortit enfin de sa rêverie, levant la tête vers cette bonne connaissance.
- Toi qui es cultivé et tout ça, j’me demandais si tu pouvais aller voir la p’tite Violette pour nous. Géronde et moi, on a du mal à dormir en c’moment.
L’homme fit un clin d’œil appuyé à sa volumineuse épouse, qui ajouta aussitôt :
- Oui, ça nous rendrait bien service, on a pas mal de pain sur la planche, et c’est pas l’moment d’faire des bêtises.

Martin se redressa comme si Rikni en personne venait de s’exprimer. Était-ce réellement un signe de la déesse, ou peut-être d’un Serus plus complaisant ? Se faisait-il des idées ?

Hiver 1164 – maladies - rendre service – du travail – soigner l’insomnie - ne pas commettre de bévues.

Tout prenait un sens particulier pour le croyant et il accepta aussitôt cette mission, sans omettre de se renseigner sur cette jeune herboriste. Lorsqu’il reçut toutes les informations qu’il pouvait obtenir, il se dirigea à grandes enjambées vers la maison des Levannier.
Il avait l’esprit clair et lucide, mais savait que ça ne durerait pas.

Arrivé à destination, il fut accueilli par de multiples senteurs qui évoquaient la vie. Martin en eut le cœur serré.
Il vérifia la présence des pièces de monnaie dans une poche de sa toge, prit une grande respiration et frappa à la porte de la chaumière. Il entendit une voix féminine, sans pour autant distinguer les paroles, puis une jeune femme vint ouvrir.

- Bonjour, que puis-je faire pour vous aider ?

Son apparence était conforme à la description qu’on lui avait faite, et le religieux ne prit donc pas la peine de vérifier son identité. Il remarqua avec satisfaction qu’elle était propre sur elle, et d’agréables odeurs émanaient de sa demeure. Si les dieux avaient voulu le guider jusqu’ici, ils ne s’y seraient pas pris autrement.

- Bonjour, respectable herboriste, dit-il d’une voix plus poussive qu’à l’accoutumée. Je me nomme Martin Lapierre et je cherche des remèdes contre l’insomnie.

L’homme ne faisait aucun étalage de sa fonction, et sans sa toge il aurait pu passer pour un citoyen ordinaire. Posé, il restait immobile sur le pas de la porte, sans même chercher à promener son regard derrière la jeune femme.
Revenir en haut Aller en bas
Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyLun 18 Sep 2017 - 17:42
La porte s'était ouverte sur un homme aux traits tirés qui n'avait pas tardé à présenter les motifs de sa visite. Evaluant d'un rapide coup d’œil que le nouveau venu n'avait pas l'air très en forme, Violette s'écarta de l'encadrement et lui fit signe d'entrer.

- Je vous en prie, ne restez pas là. Et vous pouvez m'appeler Violette.

Le dénommé Martin n'avait pas l'air bien dangereux, pourtant l'herboriste ressentait comme à chaque fois qu'un inconnu franchissait son seuil la même crainte instinctive qui la mettait en garde. Même si son foyer n'était pas le plus cossu, elle s'en sortait beaucoup mieux que bien des habitants des bas-quartiers.
Un jour ou l'autre, elle risquait de faire entrer la mauvaise personne. Mais elle n'était pas encore assez riche pour s'offrir un atelier indépendant de son logis.

Emboîtant le pas de son client, elle tira une chaise simple de son emplacement près de la table et lui fit signe de prendre place avec un sourire avenant. Inutile de s'inquiéter pour rien pour le moment.
S'il était le récipiendaire de ses services, une auscultation de routine pourrait l'aider à orienter le traitement, mais pour l'instant elle avait besoin de connaître les grandes lignes de la situation.

En deux pas elle rejoignit son "orgue à remèdes", une étagère murale remplie de flacons de poterie rangés selon un ordre précis et en sélectionna quelques-uns.

- Le remède que vous recherchez est pour vous ou pour un de vos proches?

La réponse à cette question lui paraissait plutôt évidente, mais elle était tenue de la poser par prudence. La prescription n'était pas la même selon l'âge et l'état général de la personne concernée. Toujours afin d'établir un profil des besoins de son client, elle poursuivit.

- Pourriez-vous éventuellement me renseigner sur d'autres symptômes? Des maux de tête? Difficultés d'attention? Vertiges?

De la table de travail, Primerose détaillait le nouveau venu à la dérobée, feignant de se concentrer sur son travail. A l'évidence, la benjamine avait appris à se méfier des inconnus et s'efforçait de se faire la plus invisible possible. Se fondre dans le décor était une tactique de défense comme une autre.

Toujours dans sa tâche, Violette réfléchissait aux choix les plus judicieux, s'adaptant aux réponses de son interlocuteur pour déterminer la meilleure formule possible.
Revenir en haut Aller en bas
Martin LapierrePrêtre
Martin Lapierre



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyLun 18 Sep 2017 - 20:43
Maintenant qu'il était invité, Martin s’autorisa un premier regard circulaire à l'intérieur de la bâtisse afin d’en saisir tous les éléments.
Il remarqua aussitôt qu'elle était propre et bien ordonnée, ce qui confirmait l'image qu'il s'était faite de la propriétaire. Il ne s'attarda pas sur la petite fille proche du plan de travail, qui semblait aussi curieuse que les enfants de son âge, mais plus timide.

Il s'assit doucement sur la chaise que Violette lui présentait, croisa ses mains sur sa poitrine tandis que la guérisseuse lui posait des questions précises et pertinentes. Allant droit au but, elle n'entrait manifestement pas dans la catégorie des commères. Martin commença par dire ce qu'il avait sur le cœur :

- Avec ses flagrances et la vie qu'il abrite, cet endroit évoque un sanctuaire de Serus.

Il enchaîna aussitôt sur les questions de l'herboriste, tandis qu'il détaillait du regard les étagères.

- Et pour répondre à vos questions, il s'agit tout d'abord de deux amis commerçants, Lénard et Géronde. Vous les connaissez peut-être, ils tiennent une boutique d'ustensiles à quelques maisonnées d'ici, en allant vers la Hanse. Je vous les recommande d'ailleurs, ce sont d'honnêtes gens et leurs articles sont de qualité.

Le prêtre marqua une courte pause. L'espace d'un instant, il ne se rappelait plus à quoi ses commanditaires ressemblaient. Il poursuivit avant de risquer une autre déconvenue.

- Leur âge est à peu près identique au mien, mais ils sont plus corpulents, surtout Géronde. Dans leur cas, il s'agit simplement d'anxiété en raison d'une surcharge de travail, et qui nuit à leur sommeil.

Martin allait ajouter qu'une préparation pour calmer les nerfs suffirait amplement, mais se ravisa. Au cours de ses nombreuses lectures, il avait acquis quelques notions de médecine - suffisamment pour comprendre qu'il s'agissait d'une discipline complexe. Malgré son jeune âge, Violette paraissait maitriser son sujet, et la sagesse poussait ici à la confiance.

- Un traitement d’une semaine devrait suffire, ajouta-t-il néanmoins, le temps que leur activité retourne à la normale.

Martin s’interrogeait sur les étranges motifs inscrits sur les différents pots et flacons, mais choisit de garder ses questions pour plus tard.

- Je désire également une préparation à usage unique, qui puisse m’apporter une pleine nuit de sommeil paisible. Mes symptômes sont plus prononcés, avec notamment des difficultés de concentration et de brèves pertes de mémoire.

Pendant que Violette intégrait ses réponses, Martin tourna doucement la tête vers Primerose en affichant un large sourire bienveillant.

- Et je présume que mademoiselle est l’assistante en chef de la maison ?
Revenir en haut Aller en bas
Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyMar 19 Sep 2017 - 8:37
La première remarque de Martin fut accueillie par la jeune femme par un geste de révérence à l'évocation du dieu de la Vie. Elle hocha modestement la tête, acceptant le compliment avec humilité, mais son sourire avait pris l'espace d'un instant une raideur un peu triste.
Tout cela était l’œuvre d'Aveline bien avant d'être la sienne. Et sa mère aurait été honorée d'une telle remarque.

- Je m'efforce de rendre honneur à notre Père bienveillant répondit-elle simplement avant d'en revenir à sa tâche.

Lorsque son client cita les commerçants pour lesquels il était venu prendre commande, elle acquiesça et son sourire revint plus doux.

- Oui je les connais, et ils devraient effectivement se ménager un peu. Beaucoup d'affections communes sont aggravées ou facilitées par la fatigue ou le surmenage. Je pense pouvoir trouver quelque chose qui leur conviendra...

Elle reposa une partie de ses flacons et en sélectionna d'autres dont le contenu lui sembla plus adapté. Comme souvent, elle aurait préféré voir en personne les bénéficiaires du traitement pour être certaine de l'adapter au mieux, mais il n'était pas rare qu'elle reçoive un intermédiaire venu faire la course pour eux, et lorsqu'elle connaissait un peu les clients, elle se fiait à ce qu'elle savait d'eux pour tenter d'être la plus efficace possible.
Lénard et Géronde n'étaient peut-être pas de ses intimes, mais elle avait une idée suffisante de leur état de santé pour ne pas trop hésiter.

Lorsque Martin suggéra la durée du traitement, elle sourit pour elle-même, se demandant si elle avait affaire à un confrère. Mais elle connaissait une bonne partie des herboristes de ce quartier, et peu d'entre eux aurait été consulter une consœur pour un problème qu'ils pouvaient résoudre simplement. A moins éventuellement de manquer de plantes. Médecin plutôt? Elle jeta un regard à la dérobée vers l'homme assis avant d'en revenir à ses remèdes. Non, probablement pas. Mais un lettré, certainement.

Elle finit par revenir vers lui en déposant plusieurs flacons, une grande cuillère et un sachet de toile. Avec minutie, elle dosa le contenu de chaque récipient selon des proportions bien précises pour en remplir le sachet qu'elle ferma d'une cordelette. Le mélange embaumait d'un parfum où se distinguait entre autre la lavande, la verveine et la camomille.

- Voici pour vos amis, ce n'est pas très fort mais cela devrait les aider à dormir d'un sommeil réparateur et à être plus sereins. Dites-leur qu'ils doivent faire infuser trois cuillères en tisane et prendre une grande tasse le soir. Une cuillère en tisane le matin leur permettra de se détendre pour la journée à venir. Dites-leur aussi que l'effet ne sera peut-être pas immédiat, il faut en moyenne un à deux jours pour que le traitement commence à agir, qu'ils ne se découragent pas. Si cela est insuffisant, ils peuvent venir me voir, je leur donnerai quelque chose de plus fort.

Lorsqu'il lui passa commande pour un remède destiné à le faire dormir, elle resta silencieuse et pensive quelques instants, reposa soigneusement ses flacons refermés dans son orgue à remèdes et en tira deux nouveaux de l'étagère.

Elle répéta le même cérémonial de mélange dosé dans un sachet plus petit, et le tendit à Martin.

- Cette tisane devrait vous faire dormir d'un sommeil profond pendant une nuit complète. Deux cuillères pour un litre d'eau, pas plus. Toutefois comme vous l'avez demandé, il s'agit d'un remède à usage unique. Il sera efficace, en cela j"ai peu de doutes. Mais si vous recherchiez par la suite un traitement plus durable pour stabiliser votre rythme, je ne pourrais pas vous donner quelque chose d'aussi puissant. Ces plantes ne peuvent être utilisées que brièvement.

Primerose écoutait depuis son poste, sans faillir à son travail, jusqu'à ce qu'elle ait terminé. Une fois les baumes transférés dans leurs contenants et ceux-ci fermés, elle entreprit de ranger le matériel. Elle fut assez surprise d'entendre le client de sa soeur s'adresser à elle, ou du moins parler d'elle. La plupart des gens ne la remarquaient pas lors de leurs commandes, ce qui en règle générale lui convenait.

Un peu saisie par la réflexion, elle chercha la réaction à adopter, entre un réflexe de timidité et une certaine flatterie. Finalement elle bomba le torse avec fierté.

- Je suis son apprentie! Un jour je serai herboriste moi aussi.

Violette gloussa d'amusement et compléta.

- Primerose est ma petite sœur, et effectivement elle apprend le métier, comme notre mère le souhaitait; Serus la garde. Lorsque je serai vieille et endolorie par l’arthrose, elle ira chercher les plantes à ma place, n'est-ce pas Rose?

La plaisanterie visiblement récurrente entre elles lui valu une moue boudeuse de la cadette qui lui tira fugacement la langue. Malgré le ton léger de leur échange, il y avait en contrepoint de leurs réactions une note d'inquiétude: la récolte était devenue une entreprise dangereuse depuis l'arrivée des Fangeux et Violette doutait atteindre l'âge où elle souffrirait d'arthrose. Et elle répugnait encore plus à l'idée d'exposer sa cadette aux mêmes risques...
Revenir en haut Aller en bas
Martin LapierrePrêtre
Martin Lapierre



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyMar 19 Sep 2017 - 20:09
Martin se réjouissait de la déférence que Violette témoignait envers Serus. D’une part, cela confirmait son sentiment que les dieux avaient guidé ses actes tout au long de cette journée, et donc qu’il était sur la bonne voie vers la rédemption. D’autre part, et cela n’était pas moins important à ses yeux, cela prouvait que malgré les épreuves et les tourments, des sanctuaires de la foi survivaient toujours dans les foyers ordinaires.

Car les quartiers populaires étaient à l’image de l’humanité : on y trouvait le pire comme le meilleur. Curieusement, la Fange n’exaltait pas seulement le pire, vivre parmi le bas peuple avait beaucoup élargi l’esprit du prêtre. Pour l’heure, il avait toutes les raisons de sourire et de savourer cette rencontre.

Il observa avec une grande curiosité les manipulations de l’herboriste, reniflant quelques odeurs familières dont il ignorait la source.

- … infuser trois cuillères en tisane … une grande tasse le soir … cuillère en tisane le matin …

Le malheureux n’arrivait pas à suivre. Pour Violette, ces instructions semblaient aussi évidentes que la recette d’une bouillie d’avoine. Pour l’esprit fatigué de Martin, c’était du charabia. C’est pourquoi il resta aussi silencieux et pensif que l’herboriste tandis qu’elle cherchait le remède qui le concernait. Il simplifia donc la posologie de ses commerçants dans sa tête :

- Grande tasse - trinité cuillères – matin et soir.

Son traitement était heureusement plus simple, et il retint simplement :

- Tout verser dans un litre d’eau.

- Très bien. Je vous remercie beaucoup, Violette.


- Je suis son apprentie ! Un jour je serai herboriste moi aussi.

La réponse de Primerose le sortit de ce mauvais pas, et il oublia aussitôt sa tentative de mémorisation. Fait rare, son sourire se mua en léger rire en observant la petite.

- … comme notre mère le souhaitait; Serus la garde.

Lénard l’avait informé que Violette n’avait plus ses deux parents, bien qu’il ignorait les circonstances de leur disparition. Aussi ne fut-il pas surpris de cette remarque. Toutefois, il n’avait pas l’intention de gâcher cette agréable rencontre en abordant le sujet. Aussi s’adressa-t-il à la petite fille avec un air enjoué :

- Je n’en doute pas, Primerose ! D’ailleurs, c’est un très joli prénom que tu as là. Parmi mes confrères du Temple, certains estiment que les fleurs sont ses plus belles créations de Serus, et…

Martin réalisa soudain que Violette portait également un nom de fleur. Lui qui se demandait d’où la jeune fille tirait cette singulière expertise, son esprit affaibli établit enfin les liens entre les deux sœurs aux noms de fleurs, la volonté de leur mère et l’apprentissage précoce. Il lâcha un petit rire en réaction à sa stupidité avant de poursuivre :

- Et pourtant, je doute qu’ils soient nombreux à connaitre leurs secrets aussi bien que vous ! Moi-même, je ne reconnaitrais même pas une primerose si j’en voyais une, puisse Serus pardonner mon ignorance.


Reprenant une expression plus sérieuse, il se tourna alors vers Violette.

- Je n’ai pu m’empêcher de remarquer les étranges inscriptions sur vos contenants. Avant de me dire combien je vous dois, pourriez-vous satisfaire ma curiosité ?
Revenir en haut Aller en bas
Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyMer 20 Sep 2017 - 8:19
A l'expression de son client, elle finit par réaliser qu'elle l'avait peut-être noyé sous un flot d'information et réprima un sourire contrit. Si elle ne parlait pas beaucoup la plupart du temps, Violette était facilement généreuse en détails lorsqu'il s'agissait des plantes ou du soin. Cela faisait certes partie de son métier, mais on sentait aussi derrière sa précision et son goût du travail bien fait qu'elle avait un véritable amour de sa fonction.

Néanmoins, elle nota mentalement de récapituler les prescriptions plus simplement lorsque Martin prendrait congé.

La réponse qu'il accorda à Primerose fit sourire la fillette. Qui vue sous un angle adéquat révélait qu'elle n'était plus tout à fait en âge d'être considérée comme une enfant. Comme Violette, elle était de petite taille, et probablement comme son aînée ne serait-elle jamais plantureuse, mais la finesse de ses traits trahissait le début timide de l'adolescence.
Toutefois il y avait chez Primerose une innocence si enfantine qu'elle trompait facilement sur son âge réel.

Vues côte à côte, les deux sœurs détonnaient par leurs différences: Violette était aussi brune que Primerose était châtain, et les yeux de la première étaient sombre alors que ceux de la seconde pétillaient d'un éclat noisette. Mais dans leurs expressions et dans leurs attitudes, les deux sœurs ne pouvaient renier le lien qui les unissaient.

La cadette sourit à la réflexion de Martin, mais ce fut Violette qui fut la plus prompte à reprendre la parole.

- Vous officiez au Temple?

Le ton de sa voix et l'expression de son visage affichaient un mélange de surprise et de confusion. Elle se sentit soudain très bête en songeant qu'elle avait peut-être déjà croisé Martin en allant faire ses dévotions et qu'elle ne parvenait pas à le reconnaître.

Lorsque Martin souligna ne pas connaître la fleur ayant prêté son nom à la plus jeune des filles, cette dernière sourit avec un léger haussement d'épaule.

- Vous savez, nous on ne sait pas lire. Je ne crois pas qu'il y ait des gens qui sachent tout sur tout. Violette et moi connaissons les plantes. Vous, vous êtes instruit.

Il y avait une légère nuance d'envie dans la voix de la cadette. Primerose était douée pour les chiffres et pour le commerce malgré ses dehors enfantins. Et elle avait rapidement compris qu'une instruction plus complète l'aurait sans doute mieux armée dans ce domaine.
Mais qui leur aurait enseigné?

Violette lui donna un discret coup de coude pour éviter que son franc parler ne vire à l'impolitesse, et Primerose se tut un instant. Elle ajouta d'un ton plus détaché

- Les primeroses sont les toutes premières fleurs du printemps, elles sont médicinales. Comme les violettes.

La question de Martin tomba à point nommé pour réorienter la conversation, et Violette saisit un de ses pots aux étiquettes artisanales et le lui tendit. Le morceau de papier comportait trois caractères fins aux contours précis et soignés qui auraient pu évoquer des idéogrammes.

- Comme l'a fait remarqué ma bavarde de petite sœur, nous ne savons pas lire ni écrire. Et nous avons besoin de reconnaître les plantes sans confusion possible dans le métier, une erreur pourrait causer de graves conséquences... Alors j'ai créé cette classification. Chaque série de dessins représente une ou plusieurs plantes, la partie utilisée et la manière dont elle est préparée.

A la manière dont elle se balançait d'un pied sur l'autre, l'herboriste était un peu mal à l'aise. Ce n'était pas la première fois qu'on l'interrogeait sur son Code, mais la plupart du temps, c'était des gens du peuple aussi ignares qu'elle qui posaient la question. Ce soir, c'était un prêtre qui jugeait son travail, et malgré toute la bienveillance qu'elle devinait chez Martin, elle redoutait qu'il ne trouve le principe un peu ridicule.
Violette qui se pensait pourtant affranchie de l'impact de l'opinion des autres réalisa que ce jugement-là ne la laissait pas indifférente.

Que le peuple la traite avec l'ambivalence d'un respect craintif et parfois avec médisance lui était égal. Que les nobles ne la voient même pas lui était égal. Qu'un servant des Trois porte sur elle une mauvaise appréciation était fondamentalement différent.
Espérant faire diversion et peut-être se rattraper, elle lança la proposition qui lui trottait dans la tête.

- Nous allions prendre une boisson chaude, voulez-vous vous joindre à nous?

- Je m'occupe de l'eau!
fit Primerose en se levant dans l'instant pour aller remplir une bouilloire.
Revenir en haut Aller en bas
Martin LapierrePrêtre
Martin Lapierre



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyMer 20 Sep 2017 - 12:32
Contrairement à son hôte, et malgré son état de fatigue, Martin se sentait vraiment à l’aise. Les temps n’étaient pas seulement durs : ils étaient tragiques, horribles. Cet endroit était comme un havre de paix au milieu d’une furieuse tempête, un sanctuaire que Serus gardait sous sa protection – les parents étaient pourtant décédés bien tôt, mais le prêtre occultait ce fâcheux « détail ».

C’est pourquoi il accepta sans réserve l’invitation de Violette, d’autant que Primerose avait pris les devants avant même qu’il ne puisse ouvrir la bouche.

- En plus d’être adorable, votre sœur est très éclairée pour son âge, commenta Martin tandis que la cadette cherchait de l’eau. Et elle est fort bien éduquée.

Ce dernier compliment ne s’adressait pas seulement à Violette, d’autant qu’il ignorait depuis combien de temps elles étaient orphelines.

- Pour répondre à votre question, je suis un prêtre tellement médiocre que je n’officie jamais au Temple, sinon pour assister des confrères plus émérites que moi.

Martin affichait un sourire amusé, dénué de la moindre gêne, si bien qu’on pouvait douter de son sérieux. Pourtant, son accoutrement n’indiquait rien de plus : en dehors d’une toge rudimentaire et usagée, et de sandales du même acabit, il ne portait absolument rien d’autre.

- Je m’efforce néanmoins de servir la Trinité, et il y a des mill…

Le prêtre allait employer le mot « millions », mais il n’était pas sûr que Violette le connaisse.

- …iers de milliers de façons de le faire… et de ne pas le faire.

Son discours manquait de cohérence, mais il ne voulait ni mentir, ni aborder certains sujets déplaisants. Il ajouta une dernière boutade pour clore cet aparté.

- Ce qui est sûr, c’est que même le plus humble des disciples n’a jamais le temps de s’ennuyer dans ce métier !

Il profita du retour de Primerose pour revenir au sujet initial.

- Tu sais, Primerose, ceci est la preuve que vous savez non seulement lire, mais aussi écrire, justifia-t-il en pointant du doigt une des fameuses inscriptions.
Ce qu’on appelle l’écriture, ce n’est rien d’autre qu’un ensemble de signes codifiés – ce qu’on appelle l’alphabet – censés retranscrire la langue que nous parlons. Mais en tant que lettré, je trouve qu’on y perd beaucoup. Il t’est déjà arrivé de ne pas trouver les mots pour exprimer ce que tu ressens, n’est-ce pas ?


Comme souvent lorsqu’il entamait une réflexion philosophique, Martin partait dans un monologue qu’il était difficile d’interrompre.

- C’est tout à fait normal, et cela arrive à tout le monde, tous les jours. Dis-toi qu’avec l’écriture, c’est encore pire. Car il n’y a ni les gestes du corps, ni l’expression du visage, ni l’intonation de la voix, ni ce lien invisible qui unit les êtres dans une expression orale. De plus, il est rarement possible d’échanger avec l’auteur, contrairement à une discussion en tête-à-tête, et il en résulte de nombreuses incompréhensions.
Par ailleurs, les gens ne deviennent pas plus intelligents lorsqu’ils prennent la plume. Les mêmes absurdités qui sortent de la bouche de certaines personnes, on peut les lire dans leurs écrits. Pire, ragaillardis par la distance que procure le vélin, certains trouvent le courage de coucher par écrit ce qu’ils n’oseraient jamais murmurer à leur confident.
Cela dit, lire est très utile pour les affaires pratiques, et partager le fruit de ses réflexions entre lettrés – parfois remarquables, j’en conviens. D’ailleurs, vous avez parfaitement saisi ce concept, en créant ce code pour vous organiser dans votre travail.
Par contre, ce qui est remarquable, c’est que ta sœur Violette a mis au point son propre système, qui est à la fois efficace et compréhensible par une enfant. Cela exige bien plus d’intelligence que l’apprentissage d’un alphabet déjà existant, et peut-être même une dose d’inspiration divine. Car les dieux soutiennent ceux qui les honorent, n’oublie jamais ça, première fleur du printemps.


Son petit discours lui avait donné soif, et sans cette petite contrariété il aurait pu continuer longtemps. Il se racla légèrement la gorge avant de conclure sur une note plus personnelle :

- J’adore lire, aujourd’hui encore, mais j’ai beaucoup plus appris au contact des citoyens de Marbrume que dans n’importe quel bibliothèque.
Revenir en haut Aller en bas
Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyJeu 21 Sep 2017 - 8:58
Le compliment que Martin accorda à Primerose en aparté, alors que celle-ci était sortie chercher de l'eau fit sourire l'herboriste qui prit un ton conspirateur pour lui répondre.

- Oh, ne le lui dites pas trop, elle pourrait s'en vanter pendant une semaine!

L'humour laissa place à une douceur tendre lors qu'elle songeait à ce que Primerose était devenue malgré le contexte chaotique dans lequel elle avait évolué.

- Notre mère serait très fière d'elle. Je crois que Rose a mis un point d'honneur à essayer de devenir ce qu'elle voulait qu'elle soit.

La sérénité fit place à la surprise lorsque Martin lui confia être un prêtre plutôt médiocre, et elle le dévisagea avec incrédulité. Un servent de la Trinité pouvait-il être médiocre? L'idée lui paraissait difficile à concevoir. Violette et ses frères et sœur avaient été élevés dans une grande piété et vouaient depuis leurs premières années un respect inconditionnel et une confiance sans borne aux représentants religieux. Les percevoir soudain comme des humains, capables d'échec restait difficile à appréhender compte tenu de leur marquage éducatif.
Elle laissa cependant le prêtre détailler son idée, et fronça les sourcils, un peu perdue quand il évoqua les nombreuses manières de servir et de ne pas servir les dieux. Se jugeant trop ignorante pour saisir la subtilité de ce raisonnement, elle se contenta d'intégrer son discours en se disant qu'elle en saisirait peut-être le sens un jour, mais sans oser poser de question.
Elle se fendit d'un sourire poli à la plaisanterie qui conclut l'explication du prêtre, l'esprit encore occupé à chercher le sens de ses propos précédents.

Le retour de Primerose dévia la conversation. La cadette déposa la bouilloire dans l'âtre avec précaution et se tourna vers sa soeur et Martin, le regard pétillant d'un enthousiasme que Violette ne lui voyait pas souvent.

Elle l'apprécie

Le fait était assez rare pour être noté. Primerose était bonne en commerce, mais restait hors de son travail d'une nature réservée et d'un abord parfois difficile. En temps normal, il lui fallait beaucoup d'observation et de temps pour statuer sur quelqu'un. Mais elle paraissait réellement apprécier le prêtre. A la question qu'il lui posa, elle haussa les épaules.

- Oui ça arrive parfois

Écrire était comparable à parler? Curieusement elle semblait dubitative. Parler était quand même facile, même les enfants y arrivaient, tout le monde ou presque savait faire. Mais écrire...
Elle s'assit près de Martin, accoudée à la table, le visage entre ses mains, un vif intérêt brûlant au fond de ses prunelles noisette lors qu'elle essayait de comprendre les idées complexes qu'il exprimaient. Certaines avaient l'air facile à saisir, d'autres beaucoup moins, et elle se perdit à plusieurs reprises entre deux phrases de l'homme de foi.

Près d'elle, Violette écoutait avec la même attention et parfois avec des lacunes comparables, essayant de rassembler les différents éléments à sa portée pour comprendre l'ensemble. Elle voyait approximativement ce que leur invité tentait d'expliquer, sans parvenir à se représenter tout à fait la situation.
Elle vira cependant à l'écarlate lorsque Martin compara son Code à un mode d'écriture. Non, ce n'était que quelques dessins rudimentaires! Rien qui puisse exprimer des idées complexes, des impressions, des raisonnements, des sentiments...

- Sans vouloir vous manquer de respect, je doute que mon système de classification puisse être comparé à de l'écriture... Ce ne sont... Que des renseignements très rudimentaires... Je serai incapable de mettre une phrase en dessins comme je le fais pour mes plantes se défendit-elle avec une moue contrite. Je crois que vous me surestimez moi et mon travail...

Sans s'en être rendue compte, elle s'était mise à tordre les bords de son tablier du bout des doigts d'un geste nerveux. Une inspiration divine, vraiment? Il lui semblait pourtant parfois être si petite au regard de Serus...

Loin du malaise de son aînée, Primerose s'accrocha avidement à la dernière phrase du prêtre, le regard brillant.

- Ça fait quoi de lire? Qu'est-ce qu'on trouve dans les livres? Je crois que je comprends: les gens ne sont pas meilleurs dans les mots écrits qu'ils le sont dans les mots qu'ils disent... Mais il y a des gens qui ont de très belles paroles, ou de très utiles. On les retrouve dans les livres?

Ce qu'elle avait compris de la tirade de Martin ne donnait pas l'impression de l'avoir rebuté dans son admiration pour les lettres. Profitant de leur échange, Violette alla chercher l"infusion destinée à être partagée et retira la bouilloire frémissante des flammes pour préparer la boisson.

Revenir en haut Aller en bas
Martin LapierrePrêtre
Martin Lapierre



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyJeu 21 Sep 2017 - 21:25
Martin était très sensible à la fraternité et la complicité qui unissaient les membres d’une famille, sentiment qu’il ne connaitrait jamais plus. Certes, il avait de nombreux « frères » au sein du Temple, et de nombreux « amis » dans les quartiers populaires de Marbrume, mais aucune relation comparable à celle qui liait les sœurs Levannier. C’est pourquoi la joie et le chagrin se mêlaient dans son cœur en assistant à leurs innocents petits jeux.

Néanmoins, l’intellect repris le dessus quand Violette et Primerose réagirent à sa tirade.
Il arrive que les discours de Martin suscitent l’ennui chez ses interlocuteurs, au point provoquer des bâillements en cascade – d’autant que, c’est bien connu, un bon bâilleur en fait bâiller deux. Dans le cas présent, non seulement les deux herboristes écoutaient attentivement, mais la plus jeune semblait captivée ! Oubliant la fatigue et cette petite soif naissante, le prêtre reprit la parole dès qu’il en eut l’occasion, en se tournant d’abord vers l’aînée.

- Vous avez raison sur un point : votre code est rudimentaire, mais ce n’est point un défaut – bien au contraire. Une bonne classification doit être efficace et rapidement compréhensible. Dans votre cas précis, elle remplit parfaitement ces deux critères.
D’ailleurs, les premières formes d’écriture n’étaient pas très différentes : les civilisations anciennes utilisaient des formes inspirées de la nature pour écrire : des animaux, le soleil…
Notre système d’écriture actuel est le fruit de nombreuses générations de savants qui ont amélioré et transmis un code commun.
Vous n’avez donc pas à rougir, si Anür vous donnait 500 ans à vivre, peut-être que vous aboutiriez au même résultat !


Martin riait, mais à défaut de savoir s’il plaisantait ou non, il n’était certainement pas moqueur. Il se tourna ensuite vers Primerose, prenant une expression plus sérieuse.

- Voilà deux excellentes questions, Primerose.

Le prêtre n’employait jamais de qualificatif comme « mon enfant » ou « ma petite ».

- Je commencerai par répondre à ta deuxième question : qu’est-ce qu’on trouve dans les livres.

Pour reprendre ma classification de tout à l’heure, il y a d’abord les ouvrages à caractère pratique. On ne les consulte pas pour le plaisir, mais généralement pour organiser la vie en société. Je peux te citer en exemple le registre des naissances, où un prêtre a inscrit ton nom et ceux de ta famille après ta cérémonie de naissance.
Il y a aussi ce qu’on appelle des livres de compte, remplis de chiffres, de noms de personnes et de marchandises pour compter l’argent ou les réserves de nourriture.
Les textes de nos lois, également.

Ensuite, la bibliothèque du Temple est remplie de textes sacrés. Pour les serviteurs de la Trinité comme moi, ce sont les livres à la fois les plus beaux et les plus utiles, mais aussi les plus difficiles à étudier. Quand j’avais ton âge, je n’y comprenais rien et je les trouvais terriblement ennuyeux !


Martin renoua avec le rire moqueur qu’il destinait à sa propre personne.

- D’ailleurs, nos instructeurs nous apprennent à lire avec des textes de ce genre, voilà pourquoi j’étais un cancre ! Je n’étais pas motivé du tout ! Bon, et pas très brillant non plus…


Le prêtre ria une nouvelle fois, puis afficha un air solennel.

- Je vous parlais tout à l’heure des incompréhensions liées à la langue écrite, ces textes en sont un bon exemple. Nous passons des heures à débattre sur l’interprétation de certains écrits, et certains livres sont même dédiés… à l’analyse d’autres livres !

Tu me demandes ce que ça fait de lire. Eh bien, en lisant les textes sacrés, on éprouve quelquefois le sentiment de se rapprocher des dieux, ou de saisir fugacement un fragment de leurs pensées. Certains d’entre nous appellent cela la grâce.


Martin s’interrompit un instant, les yeux dans le vide et empreints d’une expression indéfinissable.

- Et sinon, on trouve de tout ! Dans ma jeunesse, j’adorais tout ce qui touche à l’histoire, aux mythes et aux légendes de notre vaste monde. Ces ouvrages ne sont ni utiles ni particulièrement bien écrits, mais ils ont toujours fasciné les esprits curieux. En les lisant, on a l’impression de voyager, de parcourir des contrées inconnues… un peu comme les histoires qu’on vous raconte pour vous endormir le soir, mais en plus riches et mieux fournies !

Enfin, pour cibler ce que tu appelles les « belles paroles », il y a une catégorie de textes qu’on appelle la poésie. La poésie est un art à part entière, elle est au langage écrit ce que le chant est au langage parlé : sa quintessence. Je vais te réciter un court extrait, concentre-toi et écoute bien.


Martin cita le début d’un poème gravé dans sa mémoire, pour lequel il avait été maintes fois puni tant son instructeur s’était acharné à lui faire apprendre par cœur durant sa formation de prêtre.


Cueillons, cueillons la rose au matin de la vie ;
Des rapides printemps respire au moins les fleurs.
Aux chastes voluptés abandonnons nos cœurs,
Aimons-nous sans mesure, à mon unique amie !*


- Le poème est plus long, mais j’ai peur de mélanger la suite !


Le prêtre ria encore, mais il était moins vif, comme s’il était ému.

- L’effet que donne souvent la poésie, c’est de ne rien comprendre avec sa tête, mais percevoir la beauté des mots et ressentir quelque chose avec son cœur. Ça te fait cet effet à toi aussi ?

Martin sourit, avant de passer à la phase finale de son exposé.

- Dans la catégorie « paroles utiles », je dois aussi citer tous les ouvrages qui regroupent des connaissances, notamment scientifiques. L’exemple le plus parlant pour vous deux est sans doute le traité d’herboristerie, qui regroupe un grand nombre de plantes avec leur description, quand et comment les cueillir, quels maux elles peuvent guérir, comment les préparer. Comme vous pouvez vous en douter, le Temple compte un certain nombre d’herboristes qualifiés, et ils puisent leur savoir dans ces ouvrages. Cela ne veut pas dire qu’ils savent tout sur les plantes, ou que toutes les informations figurant dans ces livres sont exactes, mais c’est une bonne base.
Rien ne vaut l’expérience, à part l’inspiration divine, bien entendu…


Martin réfléchit un instant avant de conclure :

- Et le piège, c’est de se sentir omniscient parce qu’on a étudié ce genre de livres.
Ou à l’inverse, de se sentir ignorante parce qu’on n’a jamais lu ces traités.


Martin lança un clin d’œil aux deux sœurs.

*HRP:
Revenir en haut Aller en bas
Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyVen 22 Sep 2017 - 7:16
Violette n'osa pas surenchérir tandis que Martin la détrompait sur la valeur de son travail et elle prit le flacon dont l'étiquette en papier grossier abritait trois de ses symboles les plus courants.

Une forme rudimentaire d'écriture...

Elle ne voyait que ses dessins, des marques qui lui servaient de point de repère pour identifier ses remèdes en un clin d’œil et pour guider Primerose dans le métier sans risquer la moindre erreur. Pourtant, l'argumentation du prêtre avait porté et elle restait songeuse en soupesant ce qu'il lui avait appris.
Une forme rudimentaire d'écriture...

Une idée un peu folle commençait à naître dans l'esprit de la jeune femme, sans qu'elle ne sache si le projet était viable, si elle l’entreprendrait vraiment, si cela pouvait servir sa corporation... Mais si cette classification simple à retenir pouvait être comparée à un langage écrit, peut-être pourrait-elle le suggérer aux autres herboristes pour les aider dans leur fonction...? Les dessins étaient assez évocateurs pour parler d'eux-même et ne demandaient pas un très gros effort d'apprentissage.
L'idée aurait pu lui venir sans cette conversation, mais avant que Martin ne porte un réel intérêt à son classement, personne n'y avait vu autre chose que des séries de dessins, elle comprise.

Délaissant le récipient qu'elle reposa soigneusement sur son étagère, elle prit trois tasses propres et les déposa devant leur invité et sa cadette avant de conserver la dernière et de préparer l'infusion. Elle avait dans les gestes simples du quotidien la même application consciencieuse que dans le maniement de ses plantes.

- L'eau est très chaude avertit-elle à l'attention des deux autres, une fois leurs tasses remplies.

Primerose souffla sur la sienne, l'encadrant de ses paumes sans la toucher directement, et revint rapidement à sa conversation avec Martin. Un détail avait retenu son attention parmi l'énoncé de tous les ouvrages pratiques.

- Des livres de comptes?

Elle savait que les chiffres avaient une existence écrite, comme les lettres mais restait incapable de se les représenter. Pourtant un tel type d"ouvrage lui paru fantastique, non pas pour la distraction qu'il offrait mais pour son aspect pratique. Écrire ce genre de choses permettait de garder une trace, de se souvenir, de ne pas se tromper dans un calcul compliqué... Elle laissa un instant son esprit vagabonder sur les avantages d'un tel savoir avec une certaine convoitise, avant de se résigner. Elle savait compter, et c'était déjà plus que n'en sauraient bien des gens, mais elle devrait se passer de la lecture et de l'écriture. Après tout, elle s'en était passée jusqu'ici...

...Quand j’avais ton âge, je n’y comprenais rien et je les trouvais terriblement ennuyeux !


Elle avait repris le fil de la conversation juste assez tôt pour comprendre que Martin parlait des textes liturgiques et rit légèrement.

- Je comprends, parfois je m'ennuie pendant les offices...


- Rose! gronda Violette avec une expression de réprimande.

- Mais quoi! Les Trois n'aiment pas qu'on raconte des mensonges, c'est toi même qui le dit! se défendit la plus jeune avec véhémence.

- Ce n'est pas très respectueux reprit Violette avec un regard en coin vers Martin, comme pour rappeler à la plus jeune la fonction de leur convive.
La benjamine se rembrunit, et pour éviter de s'attarder sur l'incident, Violette rebondit sur la suite de la conversation.

- Vous dites que certaines personnes écrivent des livres... pour expliquer d'autres livres?

Au sourire qui flottait sur ses lèvres, elle semblait trouver l'idée amusante et intriguée à la fois. Mais cela allait dans le sens de tout ce que le prêtre s'efforçait de leur faire comprendre depuis un moment. Les paroles écrites pouvaient avoir les mêmes travers que les paroles orales, peut-être que si une personne n'était pas claire dans ses mots en parlant, elle ne l'était pas plus en écrivant...
La deuxième partie des propos de Martin rappela son attention. Se rapprocher des dieux...

- L'écriture serait inspirée par les Dieux selon vous?


Elle n'osa pas aller plus loin dans ses interrogations en remarquant l'étrange expression de leur invité, et lui laissa le temps de reprendre à sa guise.

La citation des quelques strophes de poésie fut accueillie avec un silence respectueux, et la première à y réagir fut Primerose. Elle avait perdu cet élan espiègle qui filtrait dans le ton de sa voix, et s'adressait à Martin avec une expression un peu trop grave pour son jeune âge.

- Maman avait de belles phrases comme celle-là autrefois. J'aurais aimé qu'elles soient écrites et qu'on sache lire pour qu'on puisse s'en souvenir.

Violette lui étreignit l'épaule d'un geste plein de sollicitude et d'affection, mais la confidence s'arrêta là et les filles du vannier reprirent le cours de leur échange comme si de rien n'était.

- Je crois que nous voyons très bien ce que vous voulez dire par "ressentir avec son cœur" commenta la plus âgée.

Primerose se dérida sur la dernière partie de l'exposé du prêtre et donna un coup de coude à sa sœur.

- Des livres sur les plantes? Je suis sûre que Violette pourrait vous apprendre beaucoup de choses! Personne n'en sait autant qu'elle sur la botanique! C'est la meilleure herboriste de Marbrume!


- Rose! coupa l'aînée, visiblement gênée. Elle ne se percevait pas du tout comme la meilleure herboriste de Marbrume et craignait souvent que la disparition précoce de sa mère n'ait entre autre chose laissé des lacunes dans la transmission de leur savoir.

Pourtant, elle ne pouvait s'interdire d'y avoir songé, et même de l'avoir espéré en écoutant Martin: travailler avec le Temple pour consigner des connaissances? En savait-elle assez pour cela? Elle n'en était pas certaine, mais l'idée que son savoir lui survive et serve à d'autres était... réconfortante. Cela signifierait que leur tradition familiale se perpétuerait tant qu'il resterait des gens sachant lire, et que les précieuses connaissances transmises d'une génération à l'autre ne risqueraient pas d'être perdues avec le risque d'un décès prématuré. La mort d'Aveline lui revint en mémoire, comme pour illustrer sa pensée et elle serra les dents.

La dernière phrase du prêtre provoque une réaction plus vive chez Violette que chez Primerose, mais aucune des deux ne commenta immédiatement cette réflexion, l'une comme l'autre ruminant toutes les implications de ce qu'elles venaient de découvrir.
Revenir en haut Aller en bas
Martin LapierrePrêtre
Martin Lapierre



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyVen 22 Sep 2017 - 16:49
Martin remercia Violette d’un sourire poli quand sa tasse fut remplie, mais il n’y prêta pas davantage attention tant que son discours n’était pas terminé – heureusement pour lui, car il n’avait pas assimilé que l’eau était encore brûlante.

- Des livres de comptes ?

Il choisit d’ignorer cette remarque de Primerose. Sur ce sujet comme tant d’autres, ses connaissances étaient superficielles. Certes, le principe général lui était familier, et il remplissait occasionnellement des lignes et des colonnes dans les cahiers d’intendance du Temple. Néanmoins, il n’en maîtrisait guère les rouages comme l’organe administratif.

- Je comprends, parfois je m'ennuie pendant les offices...
[…]


Martin pouffa de rire à cette remarque.

- Tu as raison, Primerose, les Trois n'aiment pas qu'on raconte des mensonges. Mais ta sœur a également raison : ce n’est pas très respectueux. Pour le prêtre qui officie, ses paroles honorent les dieux et visent à éveiller la foi chez les fidèles, à les éduquer et les rendre meilleurs. À ton âge, il est normal de ne pas être réceptive à chaque sentence, mais avec l’âge et l’expérience tu écouteras les prêches avec une oreille différente.
Et puis, le message n’est pas toujours en cause : le messager est aussi important. Personne n’est parfait, et certains offices sont plus inspirés que d’autres. Même lorsqu’il s’agit de réciter des prières, il est difficile de transmettre leur sens de manière vibrante, surtout face à un large public.
Je pense que tu es assez intelligente pour comprendre qu’un prêtre peut se sentir blessé, et même se fâcher, quand son auditoire manifeste de l’ennui. Tant que tu respectes ses efforts, les Trois ne seront pas offensés.


Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres avant de lâcher une dernière boutade :

- Le plus dur, quand on s’ennuie devant un discours quel qu’il soit, c’est se retenir de bâiller !

De toute évidence, Martin jouissait d’une solide expérience en la matière.

- L'écriture serait inspirée par les Dieux selon vous ?

Le prêtre ignora également ce commentaire de Violette, estimant qu’il en avait assez dit, et qu’il valait mieux la laisser mener sa propre réflexion.

- Maman avait de belles phrases comme celle-là autrefois.
[…]


Il cligna des yeux à l’évocation de ce souvenir, surpris. L’art de former des phrases émouvantes n’était certes pas l’apanage des poètes, mais il était rare de trouver une telle qualité chez des marchands. La petite fille exagérait sans doute, car les paroles d’une mère aimée et aimante paraissent toujours plus belles qu’elles ne le sont réellement. Toutefois, d’après ce qu’il avait observé chez ses filles et à la façon dont elles en parlaient, le prêtre était convaincu que madame Levannier était une femme de grande valeur. Pourquoi Anür permettait-elle la disparition précoce de personnes si estimables ? Malgré ses nombreuses recherches et réflexions, Martin n’avait trouvé aucune explication satisfaisante, et y penser gâchait toujours son humeur.

C’est pourquoi il n’était plus aussi jovial quand Primerose vanta les mérites de son aînée, mettant celle-ci dans l’embarras. Il conservait néanmoins un visage bienveillant.

- Je sais que tu admires ta sœur, sans doute à juste titre, car sans être spécialiste il saute aux yeux qu’elle possède une grande maîtrise de votre noble profession. Toutefois, Violette a raison de se montrer plus humble quant à ses compétences.
Comme tu l’as fort bien énoncé tout à l’heure : personne ne sait tout sur tout. C’est également vrai pour n’importe quel domaine, autrement dit : personne ne sait tout sur les plantes. Par exemple, il existe une multitude de plantes qui ne poussent pas dans notre région et dont vous ignorez même l’existence. Un tel savoir est inutile dans votre cas, mais il existe.


Martin porta alors son regard sur Violette, comme pour mieux la décrire.

- Je ne pense pas qu’à Marbrume, ta sœur soit la personne qui dispose des connaissances les plus étendues en matière de botanique. Toutefois, il est possible que ses remèdes soient parmi les plus efficaces, car votre famille connait visiblement très bien la région et ses habitants, en plus d’honorer les dieux et Serus en particulier.

Il sembla hésiter un instant, puis rebondit sur la proposition à mots couverts de la cadette.

- Par contre, Primerose, je te rejoins sur le partage des connaissances. Au final, peu importe qui en sait le plus. En partageant ses connaissances et son savoir-faire, chacun peut combler les lacunes de l’autre, voire améliorer l’ensemble de sa profession pour les générations à venir. C’est par l’échange et la coopération que l’humanité progresse.
Comme je l’évoquais tout à l’heure, deux obstacles majeurs sont de s’estimer trop supérieur pour écouter les autres, ou trop inférieur pour exposer ses idées. Dans votre honorable métier, qui vise à soulager la souffrance des gens et même sauver des vies, la volonté d’œuvrer pour le bien commun devrait briser les barrières de ce genre.
Je pense que la Trinité nous pousse dans cette direction, mais que nous sommes souvent trop imparfaits pour nous laisser guider.


Martin s’interrompit net, l’air grave, et plongea ses lèvres dans le breuvage – maintenant à une température idéale. D’abord surpris après la première gorgée, il vida goulument sa tasse jusqu’à la dernière goutte.

- J’ignore si on trouve cette recette dans les livres, commenta-t-il, mais c’était délicieux ! Mes compliments à nos deux herboristes ! Et mes remerciements à Serus pour nous fournir pareil nectar, conclut-il avec révérence.
Revenir en haut Aller en bas
Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyMar 26 Sep 2017 - 8:38
Violette serrait sa tasse encore brûlante dans ses paumes sans paraître affectée par la température du breuvage. Elle avait travaillé près de l'âtre presque toute la journée et sa sensibilité à la chaleur s'était émoussée. Elle écoutait Primerose et Martin avec intérêt, n'intervenant plus qu'occasionnellement, naviguant entre les propos du prêtre et le fil de ses pensées.

Face à la repris que Martin avait eu de sa réflexion, Primerose avait quelque peu rentré la tête entre les épaules, légèrement contrite. Malgré son tempérament franc qui parfois frôlait l'impudence lorsqu'elle se sentait en confiance, la plus jeune avait hérité des valeurs de son aînée en ce qui concernait le respect. Et même si elle jaugeait parfois les limites, elle les dépassaient très rarement.

- Je comprends... Et je ne voulais pas être irrespectueuse fit-elle en signe d'excuse.

L'observation que Martin porta sur Violette tandis qu'il parlait d'elle en réponse aux propos de sa sœur la poussa brièvement à baisser les yeux.
Elle n'avait jamais supporté d'être le centre de toutes les attentions. Il y avait certes l'humilité inculquée par son éducation, largement entretenue par son tempérament, mais ce n'était pas tout.

A chaque fois qu'elle avait attiré l'attention sur elle, cela lui avait valu des ennuis. Il y avait dans un coin de son esprit cette certitude presque superstitieuse qu'elle courrait moins de risques en étant "invisible", en se fondant dans la masse, en ne retenant pas l'attention. Elle se savait quelconque et avait tout fait pour entretenir cette image. Car à chaque fois qu'elle avait été le centre de l'attention, des malheurs étaient survenus.

Elle se mordit la lèvre inférieure en chassant un souvenir bien précis, suivi d'une série d'autres qu'elle s'efforçait d'enfouir au plus profond d'elle-même. Les Dieux n'étaient pas en cause, cela n'était qu'une faille humaine.
Soucieuse de ne rien laisser paraître, elle affecta de boire sa tasse en silence, de se faire oublier. Elle savait sa peur irrationnelle, mais ne pouvait totalement s'en défendre. C'était l'une des stigmates d'une vie compliquée faite de luttes lorsqu'on n'avait rien d'un prédateur.

Il lui fallut quelques instants pour prendre conscience du regard de Primerose qui pesait sur elle. Sa cadette la dévisageait avec une intensité désagréable. Machinalement Violette reposa sa tasse et lui sourit, gardant ses craintes sous clé. Elle profita de la réflexion de Martin sur la tisane pour repartir sur un sujet plus léger.

- C'est une recette de famille, j"ignore si elle nous est propre ou si vous pourrez la rencontrer ailleurs, mais à ce jour je n'ai croisé personne qui semblait la préparer comme nous.

Après une courte pause, elle reprit.

- Il m'arrive souvent de me demander ce que nous pourrions accomplir si vous rassemblions toutes les connaissances et tous les savoirs utiles dans la lutte contre les Fangeux. Pour le moment ce que nous avons appris sur eux ne nous permet pas de trouver une solution, mais peut-être qu'en rassemblant le plus de connaissances possibles, une solution pourrait apparaître... C'est une idée un peu naïve n'est-ce pas? ajouta t-elle avec un sourire d'excuse.

Primerose regardait le fond de sa tasse sans un mot, rendue visiblement morose par le sujet en cours.
Au dehors, le jour déclinait et les fenêtres n'apportaient plus le plein éclairage de la journée. La cadette regarda un moment les premiers feux du crépuscule et grommela d'une voix mi agacée mi-inquiète.

- Al est encore en retard. Il devrait déjà être rentré...

- Notre frère Allister expliqua Violette au prêtre, il travaille comme apprenti vannier chez un artisan du quartier, maître Herbert.
Revenir en haut Aller en bas
Martin LapierrePrêtre
Martin Lapierre



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyMar 26 Sep 2017 - 17:37
Martin croulait sous la fatigue. Leur conversation avait été une parenthèse stimulante dans son trouble physique, mais l’agréable liquide chaud qu’il venait d’avaler marquait une pause fatale. En outre, chacun nourrissait à présent des mornes pensées et l’humeur n’était plus à l’enthousiasme.

C’est pourquoi le prêtre se contenta de hocher la tête aux remarques de Violette et de Primerose, se contentant d’une réponse embrouillée à la question de l’aînée :

- Je suis parfaitement d’accord avec vous, peut-être est-ce même ce que les dieux attendent de nous. À moins que nous l’espérions, ou que nous le redoutions. Qui peut le dire ? Cela vaudrait certainement le coup d’essayer, mais voir tout le monde travailler ensemble… naïf n’est peut-être pas le bon mot… utopique plutôt. Les humains trouvent toujours des arguments pour se mépriser les uns les autres, c’est désespérant…

La posture de Martin avait changé. Alors qu’il se tenait droit sur sa chaise quelques minutes plus tôt, il était désormais recroquevillé, sans la moindre tonicité. De la moiteur souillait ses tempes, où résonnaient intérieurement le flux et le reflux de son système sanguin.
Il sentait que s’il ne réagissait pas rapidement, il somnolerait sur place - ou pire. Il rassembla donc le peu d’énergie qui lui restait et se leva si rapidement que des étoiles lui brouillèrent la vue.

- Je vous remercie beaucoup pour vos bons soins et cette agréable conversation, articula-t-il difficilement. Le voile de Rikni se pose déjà sur Marbrume et nous avons tous des obligations à remplir. Combien vous dois-je pour les remèdes ?

Associant l’acte à la parole, Martin plongea sa main dans sa poche, entrechoquant les pièces de monnaie qui s’y trouvaient.


En d’autres circonstances, il aurait proposé aux deux sœurs de passer chez maître Herbert s’enquérir de leur frère Allister. Le soir tombait et les rues devenaient peu fréquentables, surtout pour les jeunes gens. Mais un entremêlement de peurs minait son ardeur autant que la fatigue.
Revenir en haut Aller en bas
Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] EmptyVen 29 Sep 2017 - 11:36
Violette médita un moment les propos du prêtre en silence. Utopique. Curieux mot que celui-là. Même si Aveline avait mis un point d'honneur à leur donner une éducation la plus complète possible en commençant par un bon vocabulaire, elle n'était pas certaine du sens à attribuer à ce terme, même si elle parvenait à le deviner par le contexte. Quoi qu'il en fut, Martin laissait entendre -du moins lui semblait-il- que la coopération entre tous les habitants dans l'intérêt général était quelque peu compliquée. Mais loin de décourager l'herboriste, cette idée ne fit qu'aiguiser sa volonté de contourner le problème pour essayer d'y trouver une solution par ailleurs. Peut-être qu'il fallait donner aux gens l'intérêt d'une telle entreprise? Si elle ignorait comment, elle restait convaincue que cela était possible.

Primerose s'était levée de table et avait commencé à rassembler les légumes à éplucher pour préparer la soupe du soir en espérant de manière presque superstitieuse que l'odeur du repas ferait arriver leur frère.

Violette avait capté les premiers signes d'épuisement de son invité, tant dans sa posture que dans la perte d'allant de ses paroles. Sa profession la poussait presque naturellement à interpréter les moindres variations de tempérament, de comportement ou de maintient chez les autres, car le corps en disait souvent aussi long sinon plus que les mots. Elle ne fut donc qu'à moitié surprise de le voir abréger sa visite en voulant régler sa note.

- Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous retenir plus que nécessaire. Pour les deux traitements cela fait dix pièces de cuivre.

Toutefois l'état de son client la préoccupait un peu. En espace de peu de temps, Martin semblait s'être délité et affichait une mine bien lasse. L'idée de le laisser repartir ainsi ne lui plaisait pas beaucoup.

- N'oubliez pas: pour votre tisane, trois cuillères dans un litre d'eau bien chaude. Il n'y a guère beaucoup plus dans la dose que je vous ai donnée de toutes façons, mais vous risquez de dormir d'un sommeil de plomb si le breuvage est trop concentré. Et pour vos amis, dites-leur de venir me voir s'ils ont la moindre question ou si le traitement ne leur convient pas.

D'un ton un peu moins assuré, elle ajouta

- Vous êtes sûr que tout va bien? Voulez-vous que je vous accompagne, au moins sur un bout du trajet?


Personne ne s'en prendrait à un prêtre de toutes manières... n'est-ce pas? Même si elle aurait aimé en avoir la certitude, Violette ne pouvait s'empêcher d'en douter. Il y avait tant de désespoir chez certains Marbrumeux qu'elle n'était plus surprise par aucun comportement, et l'idée de laisser partir le prêtre seul à la tombée du jour dans un état de vigilance aussi bas ne lui plaisait pas tellement. D'un autre côté, elle se morigéna de son instinct trop protecteur. Il était plus âgé qu'elle, c'était un homme et il avait une certaine autorité. Quel secours aurait pu prétendre apporter une simple guérisseuse comme elle en cas de mauvaise rencontre?
Même si elle avait ses propres moyens de défense.

L'état du prêtre la préoccupait également. Elle n'aimait guère laisser une personne visiblement affaiblie ou souffrante livrée à elle-même, surtout aux heures où la ville était plus incertaine. Espérant qu'il ne trouve pas son offre déplacée, elle attendit sa réponse en silence.
Primerose avait suspendu son geste, serrant toujours un morceau de courge dans une main et un couteau dans l'autre, guettant la fil de la conversation.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé



Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] Empty
Revenir en haut Aller en bas
 
Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 4Aller à la page : 1, 2, 3, 4  Suivant

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Marbrume - Forum RPG Médiéval Apocalyptique :: ⚜ Cité de Marbrume - Quartiers populaires ⚜ :: Bourg-Levant :: Grande Rue des Hytres :: Vieux Marché-
Sauter vers: