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 Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]

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Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyMar 21 Nov 2017 - 9:45
Le levé fut difficile, mais Violette fut malgré tout la première debout. Prenant soin de ne pas réveiller ses frères et soeurs, elle se prépara en silence dans la chambre refroidie par les rigueurs d'une nuit d'automne. Après une brève toilette à l'eau froide devant l'âtre de leur pièce à vivre, elle enfila une robe propre et refit un nouveau pansement après avoir renouvelé les soins de sa plaie. Elle avait procédé rapidement, autant pour voir la blessure le moins longtemps possible que pour éviter d'être surprise par les plus jeunes.
Elle n'acceptait toujours pas sa mésaventure de la veille, tout en n'arrivant pas à la chasser de son esprit. L"idée perverse que ses agresseurs ne la retrouvent et ne s'attaquent à Primerose et Allister la tétanisait et revenait la hanter à intervalle régulier, malgré sa volonté d'éloigner l'idée d'une telle perspective.

En se préparant, elle se rendit compte que ses gestes d'habitude si sûrs étaient fébriles et que ses mains tremblaient. La dernière fois qu'elle avait ressenti cela, c'était lorsqu'Aveline... Elle ferma les yeux et s'obligea à évacuer ce souvenir de son esprit.
L'aube n'était pas encore là, mais sous peu, Allister et Primerose allaient se réveiller pour honorer leurs engagements de la journée.
Tout en essayant de se focaliser que sur les besoins présents, elle prépara le déjeuner, coupant des tranches du pain remis par Martin avec une pensée reconnaissante pour ce dernier. Avec un tel don et les plantes récoltées la veille, elle pourrait assurer un certain confort pour sa famille pendant quelques temps. Avec l'approche de l'hiver, une telle perspective n'était pas un luxe.

Par la fenêtre, le ciel pâlit lentement, prenant cette teinte d'un bleu presque métallique qui précède l'arrivée du soleil. Au dehors, une mince pellicule de givre témoignait des rigueurs de la nuit. L'herboriste évita de songer aux conséquences de la morne saison de l'année précédente, s'accrochant aux maigres garanties qu'elle avait aujourd'hui de pourvoir aux besoins des siens.

Son avant-bras douloureux n'acceptait pas les gestes routiniers avec autant de souplesse que d'habitude, même si elle n'en écoutait pas les protestations. La lame avait égratigné plusieurs tendons et en dépit de ses efforts, la guérisseuse peinait à effectuer certains mouvements. A défaut de s'y contraindre, elle tentait de compenser et de cacher cette lacune le mieux possible Tout devait paraître ordinaire lorsqu'Allister et Primerose se lèveraient. Mais d'un point de vue plus pragmatique, cela risquait de lui créer des difficultés pour exercer., excluant la pratique de tout geste répétitif. Pire, elle devrait garder un œil vigilant sur l'évolution de cette blessure si elle espérait ne pas en garder de séquelles.

Lorsque l'aurore teinta enfin les toits de la ville d'une chaude lumière dorée et que la pellicule de gel céda aux premiers rayons, les deux adolescents la rejoignirent dans un silence inhabituel, lui jetant des regards curieux et inquiets. Aucun n'était dupe, mais tous s'évertuaient à continuer à faire semblant dans un pantomime d'insouciance sans réelle conviction.
Ce fut Primerose qui rompit le silence la première.

- Est-ce que tu viendras au marché avec moi aujourd'hui?

Violette secoua la tête, sans oser croiser son regard, se concentrant plutôt sur son repas.

- Non, j'ai encore du travail ici avec les récoltes d'hier. Il faut que je prépare rapidement les décoctions. Je passerai te voir lorsque j'aurais terminé si je n'ai pas de visite.

Alliser serra le poing mais n'osa dire ce qu'il avait sur le cœur. Si son aînée refusait de parler librement, la confronter risquait de la braquer. Il connaissait assez Violette pour savoir qu'elle était assez obstinée pour se soustraire à toute explication tant qu'elle ne consentirait pas d'elle-même à en donner. L'heure arriva, bien trop rapidement où chacun dû prendre la direction de ses obligations.

A nouveau seule, la jeune femme évita de céder aux angoisses qui revenaient la hanter et se plongea presque désespérément dans son travail. Elle dû rapidement trouver des subterfuges pour ménager son bras blessé tout en poursuivant ses devoirs. Les arômes amers et piquants, verts et douceâtres, sucrés et fruités de ses cueillettes imprégnaient la pièce. Dans la sécurité de son logis, les réminiscences de la veille étaient moins inquiétantes, mais revenaient la tourmenter dès que son esprit se relâchait.

Deux hommes dans le noir, l'éclat d'une lame, la sensation qu'on lui arrachait sa cape. La brûlure de sa poudre sur ses doigts lorsqu'elle avait ouvert hâtivement le flacon qu'elle gardait dans une poche accessible. Les cris de ses attaquants lorsqu'elle leur avait jeté sa préparation au jugé. La douleur du coup reçu, le sang qui avait éclaboussé la pierre. La peur qui l'avait portée. Tout était à la fois confus et terriblement clair.

Elle abandonna un instant son établi et se prit les tempes entre les mains. Grâce aux dieux, ce genre de choses ne lui était jamais arrivé avant, même si elle avait déjà eue quelques frayeurs. Et même si elle savait consciemment tout ce qu'elle risquait à vivre en ville, pour la première fois, elle avait véritablement peur. Pour elle, pour sa fratrie.

Décidant d'affronter ses craintes au grand jour pour ne pas les laisser gagner, elle repoussa ses préparations et attrapa sa cape pour sortir. Hors de question de se laisser vaincre et de se terrer chez elle en tremblant. Elle ferait face, comme elle l'avait toujours fait.
Mais sa solide résolution fondit rapidement une fois la porte de sa maison passée. A chaque pas, la tentation de faire demi-tour et de rentrer murmurait plus fort à son esprit. A chaque pas, des ombres mouvantes lui paraissaient se tapir à la périphérie de son champ de vision. Ce fut le son d'une mélodie qui accapara son attention et la détourna de son dilemme, et remontant à l'oreille la source de cette musique, elle finit par trouver Martin jouant adossé à un mur. Avec un signe de révérence et un sourire de façade, elle le salua.

- Bonjour à vous. Cette musique... Est vraiment très belle.

Mais contrairement à la veille, Violette peinait à donner le change cette fois-ci: ses traits tirés et sa pâleur trahissaient une nuit sans sommeil et un esprit tourmenté. Instinctivement, elle gardait les bras serrés près du corps, comme si elle voulait se protéger du monde autour d'elle.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyJeu 23 Nov 2017 - 22:08
Martin rêvassait au rythme de la musique, à moins que ses doigts agitassent inconsciemment les cordes de son orphalion en écho à ses pensées. Il n’était guère musicien, et ses mélodies avaient tendance à répéter des structures simples. Les sonorités produites restaient néanmoins agréables pour qui appréciait les tonalités vibrantes des instruments à code.

Certains curieux regardaient de loin d’où venait ce bruit inhabituel, qui tranchait avec la cacophonie diffuse du quartier commerçant. D’autres, plus audacieux, s’approchaient pour écouter quelques minutes, trouvant dans la musique une résonnance à leurs sentiments ou la réminiscence d’événements enfouis. Plus rarement, on adressait la parole au musicien pour vérifier qu’il était bien prêtre, et quérir un conseil ou un service.
C’était là le motif principal de sa présence. Un slogan qui pourrait se traduire en : « Si les gens ne viennent pas au temple, alors le temple viendra à eux. ». Martin ne ressemblait pas à ces prédicateurs qui s’époumonaient avec une verve apte à captiver les foules. Il ne possédait ni la prestance ni les capacités oratoires suffisantes. Ni même l’énergie pour tenir de longs discours en public. Alors il jouait de l’instrument qu’un ami lui avait légué, laissant les dieux – ou la conscience de chacun – guider les personnes vers lui.

Cette fois, Martin fut pourtant tiré de sa léthargie par une voix familière. La personne qui venait de le saluer ressemblait à Violette Levannier, mais de prime abord il douta de son existence réelle. L’esprit encore brumeux, ce que ses yeux contemplaient ressemblait davantage aux spectres de ses cauchemars – éveillés ou oniriques. Habituellement, la constitution malingre de l’herboriste se comparait difficilement à la robustesse des matrones au bras rectangulaires, mais ses compétences de guérisseuse associées à un mode de vie hygiénique lui octroyaient un teint plus sain que la moyenne. Sans être spécialement physionomiste, c’était une qualité que le prêtre avait remarquée tant chez Violette que chez sa jeune sœur. À l’opposé, la femme qui se tenait devant lui – ou qu’il imaginait ? – affichait des traits tirés, une pâleur cadavérique et une posture figée du même acabit.

Tandis que ses doigts continuaient machinalement à pincer les cordes de l’orphalion, Martin cligna des yeux à plusieurs reprises pour s’assurer du caractère réel de sa vision. Rien ne masquait son état d’hébétement, d’autant qu’il avait lui-même passé une mauvaise nuit – pour des raisons très différentes.
Après un flottement qui sembla durer une éternité, le cerveau du prêtre reprit un fonctionnement à peu près normal. Dans sa réaction précipitée, ses doigts glissèrent une dernière fois sur l’instrument, balbutiant d’une voix pâteuse une platitude irréfléchie :

« Euh… je vous remercie… bonjour. »

Martin se releva maladroitement, une longue position assise ayant engourdi ses muscles. Sa tête le tournait un peu, mais il réussit à esquisser un sourire qui se voulait amical.

« Vous n’avez pas très bonne mine ce matin, puis-je vous aider de quelque façon que ce soit ? Enfin… sauf sur le plan médical, bien entendu. Le repos et la prière sont les seuls remèdes que je suis en droit de prescrire ! »

Le prêtre n’avait aucune idée du mal qui affectait la jeune femme, et son esprit commençait tout juste à formuler des hypothèses. Proposer son aide était venu naturellement, sans déroger à son habitude de ne pas brusquer les personnes qui venaient le voir.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyMar 28 Nov 2017 - 8:03
Lorsque Martin fit référence à son état général, elle baissa les yeux et se mura quelques instants dans le silence, comme si elle avait voulu se replier au plus profond d'elle-même. Mise face à l'évidence, elle n'avait guère de fuite possible, et mentir n'était pas dans sa nature. Néanmoins consciente que l'esquive n'était pas une option viable, elle prit une longue inspiration pour répondre, réfléchissant intensément au choix de ses mots.

- Ces dernières heures ont été compliquées... Je vous remercie pour votre sollicitude, mais je ne suis pas certaine que vous puissiez m'aider...Je... Je ne sais pas à vrai dire.

Elle hésita à se retirer et prendre congé, sachant que ce serait pour elle la meilleure manière d'éviter de devoir donner des explications gênantes. D'un autre côté, elle commençait à réaliser qu'elle ne voulait pas partir. Elle ne connaissait Martin que depuis peu, mais il était en dehors de ses frères et sœurs la seule personne avec qui elle se sentait en confiance, sans trop savoir pourquoi. Était-ce sa charge de prêtre? Elle avait foi en la plupart des prêcheurs, mais pas au point de se livrer aux confidences. Non, il y avait chez lui quelque chose de subtil qui lui murmurait qu'elle pouvait s'en remettre à lui.

Cependant, il était toujours difficile, voir presque contre-nature pour une jeune femme qui avait grandi avec la conviction qu'elle devait être forte en toutes circonstances de confier ses faiblesses.
Encore sous l'effet de sa mésaventure de la veille, elle scrutait les environs d'une série de regards nerveux dès que le moindre bruit ou mouvement attirait son attention. Son bras blessé restait pressé contre sa poitrine sous sa cape dans une attitude qui lui conférait une image de raideur. L'endroit n'était peut-être pas le plus propice à une conversation personnelle...

- Que diriez-vous d'une tisane bien chaude? Il fait bien frais ce matin, cela nous réchaufferait tous les deux. Qu'en pensez-vous?

A cet instant, elle ignorait ce qu'elle finirait ou non par lui révéler, mais la perspective de se trouver avec une personne fiable dans un environnement sûr était tout ce qu'elle désirait. Au fil de sa jeune existence, Violette avait déjà connu le doute et la crainte de ne pas être à la hauteur, mais jamais une telle peur ne l'avait assaillie, pas même au décès de sa mère.
Même si elle s'efforçait de le cacher, elle était terrorisée.

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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyMer 29 Nov 2017 - 12:10
Sans être d’une grande perspicacité, Martin voyait clairement que la jeune femme n’allait pas bien. Elle n’était d’ailleurs pas la seule à éviter toute confession pour une raison ou pour une autre. Certaines personnes souffraient d’un caractère trop fier pour dévoiler une quelconque faiblesse. D’autres s’enfermaient dans le mutisme de la honte ou du déshonneur pour une tragédie qu’ils avaient subie ; parfois un événement anodin pesait plus que de raison, sans même que leur responsabilité ne soit engagée. Enfin, et cette catégorie englobait en réalité toutes les autres, il y avait tous ceux que la peur poussait au silence. Peur d’être jugés, peur des représailles, cette émotion des plus humaines portait un millier de masques – tous lugubres et grimaçants.

Parler soulageait les douleurs de l’esprit comme un baume apaisait un mal physique. Tout être humain doué de compassion connaissait cet effet curatif. Pour Martin, les religieux n’avaient certainement pas le monopole de la confession. Chacun pouvait s’adresser directement aux dieux, ou se confier à un proche, voire à un animal domestique qui n’a guère besoin de saisir le sens des mots pour accueillir la détresse. Parfois, un objet significatif pour la personne servait d’intermédiaire.

Ainsi, tout ce que Martin pouvait – ou s’autorisait à – faire, c’était se montrer disponible et à l’écoute. Violette hésitait ; il lui laisserait le temps de se décider. Puisque l’herboriste lui proposait une bonne tisane bien chaude, elle aurait tout le loisir de se mettre à l’aise dans le confort et la sécurité de son logis. Si les dieux le souhaitaient, il pourrait effectivement lui apporter son aide, quelle qu’elle soit.

Le prêtre étira son corps osseux dans un craquement presque comique, puis entreprit d’ouvrir et refermer lentement les mains à plusieurs reprises. Le mouvement favoriserait la circulation sanguine dans ses phalanges calleuses et rougeâtres par le pincement répété des cordes conjugué au froid.

« J’accepte votre invitation avec grand plaisir. Une fois encore, c’est la guérisseuse qui prend soin du prêtre fragile, ou plutôt de ses doigts engourdis. Qu’est-ce que les Trois vont penser de moi ? Au moins, Serus devrait me pardonner mon appétence pour vos délicieux breuvages aux herbes sauvages… »

Martin pouffa de rire tout en ramassant son orphalion posé contre le mur derrière lui. Détendre un peu l’atmosphère ne leur ferait pas de mal. Les deux êtres tourmentés en avaient grand besoin aujourd’hui. Elle qui la nuit dernière avait frôlé un viol ou la mort, lui qui était passé à deux doigts du suicide le matin même.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyVen 1 Déc 2017 - 14:18
Lorsque Martin accepta son offre, une tension en elle se dénoua, laissant place à une vague de soulagement doublée de gratitude. Elle ne voulait pas rester seule aujourd'hui, et retenir ses frères et sœurs était exclus. Tandis qu'elle songeait à Primerose seule au marché, un doute fit naître un frisson glacé sur son échine: sa petite soeur était-elle en sécurité? Trois jours plus tôt, Violette aurait pensé que oui. Ce matin, elle n'était plus sûre de rien, tous ses repères chamboulés par sa rencontre de la veille. Le marché grouillait d'activité, Primerose n"y serait jamais seule et hors de vue, mais cette idée ne parvenait pas à rassurer la jeune femme. Et Allister?
Ne risquait-il pas de croiser la route de quelque malandrin lui aussi? Il avait beau être plus âgé que la benjamine, il n'était pas encore adulte et ne serait jamais un de ces hommes solidement bâti. La seule pensée qu'il puisse leur arriver quelque chose nouait l'estomac de la jeune femme.

Pourtant, elle savait qu'il leur serait impossible de se terrer chez eux et d'attendre que le danger passe. Le danger faisait partie de leur vie désormais. Mais cela restait plus facile à accepter lorsqu'on n'en était pas directement témoin. Ou victime.

L'intervention du prêtre la tira de ses sombres réflexions et elle lui offrit un pâle sourire qui peinait à faire oublier ses traits tirés.

- Mon art ne me permet que de soigner les maux du corps, le vôtre soutient la force de l'âme, et je pense que c'était le dessein des Trois, je doute qu'ils ne jugent le résultat.


Ce n'était que partiellement vrai, Violette ayant développé avec les années une écoute et un accompagnement tant physique que moral de ses patients. Mais elle pensait sincèrement ses propos, songeant que c'était sa foi qui l'avait soutenue si longtemps, et que les prêtres avaient mieux que quiconque entretenir cette force qui pouvait permettre de surmonter tant d'épreuves. Peut-être était-ce un peu pour cela que la présence de Martin la rassurait. Pour cela, entre autre chose.

L'âtre était encore chaude lorsqu'elle passa le seuil de sa demeure. Laissant Martin entrer, elle le pria de s'installer avant de remettre des bûches dans la cheminée et d'attiser les braises. Le bras droit toujours pressé contre son buste, elle manœuvrait de la main gauche avec parfois une certaine peine mais sans se plaindre. Quand elle se rappela ne pas être seule, elle s'obligea à utiliser ses deux mains pour les gestes les plus simples. Malgré sa volonté d'agir normalement, elle avait conscience que ses gestes étaient fébriles. Une fois l'eau de l'infusion mise à chauffer sur le foyer renaissant, elle revint à son convive et prit place face à lui.

- Ce ne sera pas très long et en attendant au moins serons-nous au chaud. Comment vont vos mains?

La rougeur des phalanges engourdies de Martin ne lui avait pas échappée et s'enquérir de sa santé la ramenait à un domaine familier qu'elle maîtrisait parfaitement. Au fond, les Trois avaient peut-être vraiment permis cette rencontre pour leur permettre de s'aider l'un-l'autre. Elle ignorait le nature, la profondeur et les conséquences du mal qui rongeait le prêtre, mais elle sentait confusément qu'elle pouvait peut-être lui être utile à quelque chose.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyLun 4 Déc 2017 - 12:18
Après avoir fixé son instrument en bandoulière, Martin suivit la jeune femme jusqu’à sa modeste habitation. La cheminée crachait un filet grisâtre qui augurait une température agréable.
Pourtant, lorsqu’il entra à la suite de Violette, ce n’était pas la chaleur qui l’interpella le plus, mais les senteurs herbacées qu’on ne retrouvait nulle part ailleurs à Marbrume – du moins, le religieux n’en connaissait pas d’équivalent. Les réserves du temple, entreposées au frais, dégageaient des flagrances de nature comparable, mais trop diffuses pour l’odorat humain.
L’invité se rappela sa première visite chez les Levannier, où il avait eu l’impression de pénétrer dans un sanctuaire de Serus. Martin ne désirait pas se répéter, mais partagea son ressentiment d’une manière également véridique.

- L’atmosphère est toujours aussi agréable chez vous. L’odeur des herbes est un régal pour les narines. On s’attend presque à entendre le chant d’oiseaux sylvestres au cœur du printemps.

Tandis qu’il prenait place à l’invitation de son hôte, il remarqua qu’elle usait plutôt maladroitement de son bras gauche pour nourrir le feu. Martin plissa le front en fouillant sa mémoire. Il ne prêtait guère attention à ce genre de détail, mais les souvenirs qui remontaient de sa première visite lui indiquaient qu’elle était droitière. Comme pour confirmer ses soupçons, elle impliqua le bras délaissé pour préparer leur tisane, mais ses gestes tranchaient avec la fluidité habituelle dont la jeune femme faisait preuve.
Un galant ou un homme à l’esprit chevaleresque aurait obligeamment proposé son assistance, mais le prêtre n’appartenait à aucune de ces deux catégories. Rikni dispensait ses enseignements à travers les épreuves de la vie, et Violette se débrouillait très bien. Le rôle d’un dévot était d’aider les affligés à surmonter l’adversité, pas d’en assumer le poids. Bien entendu, un comportement serviable n’était aucunement condamnable, mais selon les lois divines, un obstacle non franchi reviendrait tôt ou tard s’interposer sur le chemin – parfois de manière plus abrupte. Voilà pourquoi le prêtre s’abstint d’intervenir, brimant l’élan spontané que l’homme avait brièvement ressenti.

Maintenant que la femme de maison et l’herboriste avaient rempli leurs rôles respectifs, c’était au tour de la guérisseuse de se manifester. Elle questionnait son patient sur l’état de ses mains, que Martin avait posées sur le haut de ses cuisses pour les détendre et les réchauffer.

« Elles vous remercient de votre sollicitude, et vous font savoir qu’elles iront très bien dans quelques minutes. Elles m’en veulent un peu du traitement que je leur fais subir, mais comprennent pourquoi j’agis ainsi. Après tout, l’expression dit qu’on peut être bête comme ses pieds, mais pas comme ses mains. »

Martin pouffa de rire, lequel se mua en petite toux sèche sous l’effet du changement de température.

« Visiblement, elles n’apprécient pas ma plaisanterie. Voyez-vous, avant de jouer de l’orphalion, mes mains n’étaient guère habituées au labeur malgré les corvées du temple. Les joindre pour prier et tenir la plume pour copier des manuscrits préservent notre délicatesse, contrairement aux rudes tâches manuelles d’un paysan, d’un artisan, ou même d’un homme d’épée. Mais depuis un an que je joue de cet instrument à cordes, j’ai noté à quel point mes phalanges s’étaient renforcées. La peau est devenue plus dure, les muscles plus forts. Je remercie les di… l’ami qui m’a fait don de son orphalion, en jouer est un très bon exercice. Si la loi de l’équilibre existe réellement, l’acromélalgie du musicien sert à produire la beauté de sa mélodie. »

Martin marqua une pause, fixant la jeune femme diminuée qui se tenait devant lui.

« Et comment se portent Primerose et Allister ? Ils doivent être inquiets à votre sujet. Car si un piètre observateur comme moi a pu remarquer votre condition atone, aucun détail n’a dû leur échapper. »
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyMar 5 Déc 2017 - 8:13
La présence de Martin rendait le secret de son logis plus rassurant, confirmant ce qu'elle soupçonnait: la solitude l'effrayait. Une idée qui n'allait pas pour lui plaire. Jusqu'à présent, elle n'avait jamais craint d'être seule, elle appréciait même ces trop rares instants volés où elle pouvait se retrouver dans son monde intérieur, sans être sollicitée par les plus jeunes ou par ses patients. L'isolement était rare dans son quotidien et elle avait appris à en goûter chaque seconde. Mais pas aujourd'hui.

Le compliment du prêtre lui rendit cependant le sourire, un sourire plus franc et plus marqué que les pâles rictus las qui étiraient ses lèvres un peu plus tôt. Bien sûr, elle était encore hagarde, mais à l'abri de sa demeure et face à une personne de confiance, elle semblait reprendre un peu d'aplomb.

Elle avait effectué ses tâches avec diligence en dépit de sa gêne manifeste, et était revenue vers le prêtre assez rapidement. La réponse qu'il offrit à sa question concernant l'état de ses mains lui arracha un bref rire timide.

- Croyez-en la guérisseuse en face de vous, la rudesse est un bon exercice pour le corps, mais elle devrait s'exercer dans certaines limites. Vos mains n'ont pas tout à fait tort de vous faire comprendre leur désaccord.


Elle se mordit la lèvre avec un sentiment d'ironie lorsque le tiraillement dans son avant-bras lui rappela que cette remarque valait largement pour elle aussi. Si elle ne comprit pas toutes les subtilités de l'explication que Martin lui fournit après, elle en saisit le sens général et acquiesça.
Toutefois, lorsqu'il aborda son état, elle tressaillit légèrement et se ferma quelques instants. Au terme d'un dilemme intérieur, elle finit par reprendre la parole.

- Ils se doutent de quelque chose mais n'en savent pas le détail. Les Dieux en soient remerciés, ils vont bien, et je prie pour que cela continue. Rose est au marché et Allister chez son maître-vannier. J'irai les chercher avant le crépuscule, mais... j'avais besoin d'un peu de temps.

Cherchant quelle contenance adopter, elle s'excusa auprès de son invité et se leva pour aller chercher la bouilloire et servir l'eau frémissante, le temps de trouver comment aborder le délicat sujet qui cristallisait tout son malaise. Sa poigne quoique moins stable et forte qu'auparavant serrait fermement à deux mains le manche du récipient brûlant et agissaient avec prudence. Son action accomplie, elle revint s'asseoir. Et reprit après une grande inspiration;

- Je n'ai pas eu le courage de leur dire... Je ne veux pas qu'ils tremblent à chaque instant, je veux leur épargner cela... Depuis la mort de notre mère, ils ont déjà eu tellement d'occasions d'être terrifiés... Je ne peux pas leur offrir grand-chose, mais je veux au moins leur donner le sentiment qu'ils sont en sécurité. Même si c'est une illusion.

A contrecœur, elle remonta sa manche droite, laissant apercevoir un long bandage de tissu qui enserrait son avant-bras.

C'est en rentrant hier. Je m'étais attardée plus que je ne l'aurais voulu hors de la ville pour trouver de quoi renouveler mes stocks, et lorsque je suis rentrée par la Porte du Crépuscule, la nuit était déjà tombée. Je... Je savais que les rues pouvaient être dangereuses, j'ai été aussi prudente que je le pouvais, mais ça n'a pas suffit...

D'un geste discret, elle chassa l'unique larme qui avait échappé à ses yeux embués et tenta de se concentrer sur sa tasse. Elle n'osait lever les yeux vers Martin de crainte de ce qu'elle pourrait voir dans son regard. Du jugement peut-être, ou pire, de la pitié. Elle ne voulait inspirer ni l'un ni l'autre.

- J''ai réussi à m'en sortir presque indemne, et j'ai pu m'enfuir... Et j'ai bien pris garde à ne pas guider ces ruffians jusqu'ici... J'ai aussi réussi à garder cette blessure secrète aux yeux de mes frères et sœurs... Et j'aimerais que cela reste ainsi.

Au fil de ses explication, en contrepoint de ses émotions, sa résolution semblait se consolider, comme si confier ses tourments à une personne de confiance lui permettait d'en alléger la charge. Une fois sa déclaration terminée, elle risqua un regard dans la direction de Martin, entre inquiétude et espoir.
En cette minute, elle avait désespérément besoin d'un ami.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyJeu 7 Déc 2017 - 12:32
Lorsque Violette commenta les limites de la rudesse, Martin se contenta d’un sourire silencieux. Hormis une minorité de plaignards, de plus en plus rabrouée, les survivants de Marbrume étaient bien plus durs qu’autrefois. La Fange avait balayé les espoirs d’une grande partie de la population, instaurant un climat de morosité. Pire, elle avait fauché un nombre impensable de vies, n’épargnant aucune famille.
Par ailleurs, Martin avait la certitude – bien avant que le mordillement de ses lèvres la trahisse – que la guérisseuse un lourd fardeau avec une résilience insoupçonnée. Sous bien des aspects, il admirait le courage exceptionnel de cette jeune femme à l’apparence fragile, qui assumait les rôles de mère, père et grande sœur en s’occupant dignement de sa fratrie orpheline.

Le sourire du prêtre s’évanouit quand Violette passa aux aveux, lui dévoilant par la même occasion le bandage qui couvrait son avant-bras meurtri. Il écouta en silence, avec un regard empli de compassion que la jeune femme évita de croiser jusqu’à la fin de son récit.
Une larme échappa au contrôle de la victime, témoignage physique de la souffrance qu’elle éprouvait. Martin poussa un long soupir, puis allongea alors son bras droit sur la table, paume grande ouverte vers le plafond pour inviter la jeune femme à s’en saisir. Toujours proposer, ne jamais forcer. Après ce qu’elle avait vécu, et même revécu en confessant cet incident, un contact physique imposé pourrait raidir son corps à son insu, suscitant un désagréable réflexe de survie.

- Les voies de la Trinité sont impénétrables. De prime abord, on peut les juger cruels d’avoir laissé cette odieuse agression se produire. D’un autre côté, on peut estimer que malgré votre blessure, cet événement aura démontré votre force et la grâce dont vous bénéficiez. Car vous êtes assurément plus courageuse et inspirée que vos agresseurs. Non seulement une jeune femme a pu tenir tête à plusieurs hommes, mais votre farouche détermination à protéger votre famille a pris le dessus sur une panique légitime. Une personne courageuse craint le danger, mais surmonte sa peur ; seuls les inconscients avancent le cœur libre d’effroi.

Martin marqua une pause avant de poursuivre son argumentation.

- Je comprends votre intention d’épargner Primerose et Allister. Mais comme vous l’avez exprimé, ce n’est qu’une illusion. Nous vivons malheureusement une époque où l’innocence s’éteint rapidement devant les horreurs du monde. Pensez-vous réellement les protéger en leur dissimulant la vérité ? Je ne doute pas qu’ils s’inquiètent en ce moment même.
La vérité ne chasserait peut-être pas leur tourment, mais elle renforcerait les liens qui vous unissent, et renforcerait chacun de vous par la même occasion. Je concède qu’en de rares circonstances, le mensonge et les non-dits peuvent se révéler utiles, ne serait-ce que temporairement, mais ils ont tendance à agir comme du poison. Un effet délétère auquel une guérisseuse comme vous est certainement sensible.
Je ne vous demande pas de suivre mon conseil, mais de vous interroger sur ce qu’il y a de mieux pour vous trois – sans vous oublier. Les dieux et l’amour que vous portez à Primerose et Allister vous montreront la voie à suivre. Songez que des aveux sincères pourraient même les sauver d’un drame futur en éveillant leur vigilance hors de cette maison. Nos manuscrits regorgent d’anecdotes similaires, et beaucoup y voient la main terrible de Rikni qui nous impose de dures épreuves pour mieux nous dépasser.


Le prêtre s’interrompit, reprenant la parole après un bref temps de réflexion.

- En outre, je peux vous proposer mon aide pour les semaines à venir. Je compte rester quelque temps dans le quartier, et pourrais donc vous accompagner dans vos déplacements en attendant que les effets de cette agression se dissipent. Votre frère et votre sœur seraient également rassurés, si vous décidez de les mettre dans la confidence.
Certes, je ne possède pas la force physique de vous protéger contre les scélérats, mais la crainte du châtiment divin immunise encore les serviteurs des Trois plus sûrement que la lame et l’armure d’un guerrier.
Par ailleurs, pour qu’un tel incident ne se reproduise plus, vous pourriez rejoindre les groupes de cueillette du temple. Naguère, certains auraient peut-être perçu cette intrusion comme de l’opportunisme ou de la concurrence déloyale, mais pareilles médisances n’ont plus lieu par les temps qui courent.


Martin résistait au trouble et au doute que cette confession avait soulevés. Intérieurement, des pensées blasphématoires vilipendaient les dieux pour cet événement inacceptable. Mais pour l’heure, il faisait son possible pour aider une personne dans la détresse. Ses états d’âme pouvaient et devaient attendre.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyLun 11 Déc 2017 - 8:53
Violette resta un court moment à étudier son interlocuteur, partagée entre honte, soulagement et reconnaissance. Il ne donnait pas l'impression de la juger, et lui témoignait d'une sollicitude dont elle réalisait avoir besoin. Sans un mot, sa paume droite se glissa dans celle du prêtre, acceptant cette main tendue avec gratitude. Même si elle s'était fait un devoir jusque là de ne dépendre que d'elle-même, à cet instant, la bienveillance de Martin était un appui bienvenu qu'elle ne pouvait renier.

- J'ignore ce que les Dieux ont en tête, mais je les remercie de m'avoir choisie plutôt qu'Al ou Rose. Si c'était une épreuve, j'espère l'avoir réussie.

Elle releva les yeux vers le prêtre avec une expression curieuse, comme si elle acceptait un défi. Si les Dieux la mettaient à l'épreuve et qu'en contrepartie cela lui permettait de garder les siens en sécurité, elle se sentait de taille à y faire face. Elle avait bien conscience de ne pas être la personne la plus solide de Marbrume, mais ce qui lui manquait en résistance ou en puissance, elle l'avait en volonté. Elle avait promis à Aveline sur son lit de mort qu'elle n'échouerait pas.

Le reste des propos du prêtre la fit tressaillir et elle pinça les lèvres pour réprimer l'impulsion qui l'aurait vue protester. Mentir? Elle n'avait pas menti à ses frères et sœurs, elle s'était contentée de ne rien leur dire... Après considération des arguments de Martin, elle dû concéder qu'il avait raison. Même si elle l'acceptait un peu à contrecœur.

- Vous avez raison, et ce que vous dites est sage, je le sais bien... J'aurais simplement aimé qu'ils puissent garder un peu de leur enfance plus longtemps que moi. Je sais que c'est certainement déraisonnable, peut-être même fou dans le monde où nous vivons, mais je ne veux pas qu'ils se réveillent chaque nuit en se demandant s'ils verront la prochaine aube, ou qu'ils tremblent au moindre bruit ou au moindre mouvement dans leur dos.

Elle secoua la tête et soupira, comme pour chasser les images qu'un tel sujet lui évoquait.

- Je sais qu'ils ont la force d'être courageux, ils l'ont déjà prouvé, mais j'aurais voulu qu'ils n'aient pas à le prouver si tôt... Tout ce que j'espérais, c'était leur permettre de profiter encore un peu de ce qu'il leur reste d'insouciance tant qu'ils le peuvent. Ils ont connu la mort à un âge précoce. Ils connaissent les dangers de notre époque, ils ont vu comme moi, comme vous, comme tout le monde les victimes de l'hiver dernier, et les drames que les Fangeux ont pu nous infliger. Il ne leur reste pas beaucoup d'innocence... Je ne veux pas qu'ils la troquent pour la terreur de songer qu'ils risquent leur vie à chaque instant. Ils le savent déjà.
C'est peut-être égoïste de ma part, mais je voudrais qu'ils puissent profiter de leur enfance plus longtemps que moi. Toutefois, pas au prix de les mettre en danger...


Elle marqua une pause, visiblement en proie à un dilemme moral. Martin avait raison, mais de son côté, elle savait ce que signifiait "ouvrir les yeux sur leur situation". Allister et Primerose en savaient déjà l'essentiel et bien qu'ils n'en disent jamais rien, elle savait aussi combien ils redoutaient de la voir quitter la ville pour ses récoltes. Elle n'avait tout simplement pas le courage de leur demander de renoncer aux vestiges de leur insouciance pour partager la même conscience du monde qu'elle.

L'offre d'aide de Martin rompit le fil de ses sombres pensées et elle écouta en silence les possibilités qu'il évoquait, pesant chacune d'elles. Après un court silence, elle répondit.

- Je vous remercie du fond du cœur, mais... je ne voudrais pas perturber vos projets et vous soustraire à vos obligations...

Une part d'elle hésitait à repousser cette offre, la présence de Martin l'aurait assurément tranquillisée, et elle ne pouvait nier se sentir apaisée à son contact. Mais elle avait si longtemps dû ne dépendre que d'elle-même qu'il lui était difficile d'accepter une main secourable sans contrepartie. A la proposition de partager les sorties des groupes de cueillette du temple, elle hocha la tête avec une expression pensive.

- Je serai rassurée de ne pas quitter la ville seule, mais je ne souhaite pas que cela puisse être mal perçu par les cueilleurs des Trois. Aussi, si cela peut leur sembler acceptable serais-je prête à partager mes récoltes avec eux. Je n'aurais besoin que de ce qui pourra me permettre de continuer à exercer, et je pourrai reverser la différence au Temple. Cela pourrait être considéré comme une marque de reconnaissance s'ils acceptaient ma présence parmi eux.

A nouveau elle confronta son regard avec celui de Martin, plus calme que précédemment.

- Merci... Pour votre patience, et pour tout ce que vous faites pour nous.

S'il était vrai que les Dieux l'avaient mise à l'épreuve, peut-être Martin était-il l'expression de leur volonté à travers ce test. Et au-delà de toute interprétation d'une volonté divine, la peur refluait à présent que Martin était à ses côtés et lui assurait son soutien.

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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyJeu 14 Déc 2017 - 12:19
Martin serra doucement la main frêle que Violette venait joindre à la sienne. Frêle, mais pas délicate, tant le travail répété de broyage et pulvérisation avait renforcé ses doigts fins et ses paumes fermes. Le prêtre ne possédait aucun talent inné pour ces gestes d’attention, mais si lui-même était sensible au courant chaleureux qui passait à travers ce contact charnel, il estimait que l’autre personne ne pouvait en ressentir que du bien.

Sans rompre la continuité de leur émouvante discussion, l’invité répondit avec un calme identique aux propos de ton hôte. Il était là dans son rôle de prêtre, celui qu’il maîtrisait peut-être le mieux.

- Je comprends votre désir de préserver leur enfance et leur innocence. Posez-vous néanmoins cette question : en craignant qu’ils tremblent au moindre signal anormal, ne projetez-vous pas sur eux votre propre peur ? Après ce que vous avez vécu physiquement, dans votre chair, il est naturel que votre corps réagisse de la sorte aux stimuli de vos sens. Il a subi un choc et comme pour une maladie, il aura besoin de temps pour se rétablir. Ce n’est pas le cas d’Allister et Primerose.
J’ajouterai que les dieux nous ont offert la peur afin d’assurer notre survie. L’apprentissage de cette émotion fait partie intégrante de l’évolution d’un enfant ; le rôle des adultes est de leur inculquer la force nécessaire à sa maîtrise. Ou pour employer le mot approprié : la bravoure. Quand la peur devient notre alliée, notre conseillère, elle n’exerce plus sa folle emprise qui mène à des comportements inopportuns.
Vous connaissez votre frère et votre sœur mieux que quiconque, c’est pourquoi je suis sûr que vous prendrez la meilleure décision pour eux. De façon plus générale, je pense que Marbrume aura plus que jamais besoin de personnes courageuses pour relever les défis qui attendent l’humanité. De jeunes adultes vaillants au cœur fort, à ne surtout pas confondre avec le cœur de pierre qui se brise si facilement et alourdit l’être, le tirant vers le bas plutôt que le domaine céleste de Rikni.


Quand Violette mentionna les projets et obligations du prêtre, Martin esquissa un sourire et chassa cette opposition du revers de la main.

- Comme je vous l’avais dit, mon projet était justement de rester dans ce quartier quelque temps, afin d’y exercer mon devoir de prêtre et offrir mon aide à la population. Vous ne perturbez donc aucunement mon quotidien, bien au contraire vous m’offrez l’occasion d’accomplir ma tâche la plus sacrée.

Puis l’herboriste formula l’honorable proposition de se joindre aux cueilleurs du temple en faisant offrande d’une partie de sa récolte.

- L’idée me parait excellente, et cette pieuse intention ne peut que satisfaire les dieux. Vous verrez avec mes confrères, mais je suis certain que vous trouverez un bon arrangement favorable à tous.

Martin savait que les civils pouvaient recevoir de la nourriture contre services rendus au temple. Depuis que les denrées manquaient pour nourrir tout le monde, cette forme de troc s’était développée pour assurer la pérennité du temple et la survie des fidèles. Les clercs apprécieraient sûrement les compétences de Violette. Chacun y trouvait son compte, à l’exception des laissés pour compte que la famine tiraillait, poussant à la folie et aux agissements répréhensibles.

Le prêtre ressentit un bien-être lorsque la guérisseuse le remercia. Pas ce bien-être ronflant qui gonfle l’ego, mais cette douce chaleur dans la poitrine que nourrissent la compassion et la joie d’aider son prochain.

- C’est moi qui vous remercie, d’avoir accepté de vous ouvrir et de chercher à vous élever sans vous départir d’une attitude pieuse. Vous avez beaucoup de mérite, l’espoir apparait moins illusoire en votre présence.

Martin admirait la force de Violette autant que sa foi. Une autre partie de lui, beaucoup moins noble, enviait ces qualités voire les jalousait. À travers elle, les Trois aussi lui envoyaient un message : le reflet de sa propre médiocrité.
Saisi de ces pensées impures dont il éprouvait la plus grande honte, le prêtre relâcha la main de son hôte et s’exclama avec le sourire :

- Et si nous dégustions cette fameuse tisane pour nous remettre d’aplomb ?!
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyMer 20 Déc 2017 - 8:43
Elle ne pouvait le nier, la présence de Martin lui faisait du bien. Etait-ce sa charge de prêtre ou la sensation d'avoir affaire à un ami, elle l'ignorait et ses pensées ne s'y attardaient pas. Elle lui était reconnaissante de son écoute et de sa bienveillance. Toutefois, elle n'avait guère les mots pour exprimer ce qu'elle ressentait vraiment.
"Merci" était en deçà de la réalité.
L'on attendait pas cela d'une herboriste, sa charge exigeait de la rigueur, une pensée rationnelle, ordonnée. Ses devoirs envers ses frères et sœurs en appelaient plus à la volonté qu'à l'émotion. Évidemment, elle les aimaient plus que tout, mais pour leur permettre de subsister, elle faisait appel à son bon sens et son intelligence plus qu'à ses sentiments.
Même avant l'apparition des Fangeux, le monde de Violette avait exigé d'elle qu'elle garde le langage de son cœur pour elle-même et qu'elle se fie à celui de sa tête. A tel point qu'il lui était à présent difficile de savoir ce qu'elle voulait véritablement, ou d'exprimer ce qu'elle ressentait au-delà des évidences.

Pour l'heure, le tourment était à l'honneur, avec le dilemme qu'imposait la situation. Elle avait toujours su qu'elle devrait parler à Primerose et Allister tôt ou tard, mais cette idée lui avait toujours semblé obscène. Comment leur annoncer en douceur ce qui lui était arrivée, et les rassurer malgré tout...? En formulant cette pensée, elle réalisa qu'elle tremblait légèrement et s'obligea à retrouver son calme, évitant le regard du prêtre qui lui tenait la main. Les images qu'elle avait vaillamment chassées de son esprit au fil de son récit revenaient la hanter.

Même s'il lui coûtait d'y adhérer, elle savait que les propos de Martin étaient dictés par le bon sens et qu'il avait raison. Toutefois savoir quelque chose n'impliquait pas toujours de l'accepter de bonne grâce. En y songeant, elle se rendit compte qu'elle redoutait autant la réaction de ses frères et sœurs que la conversation qu'elle devrait avoir avec eux. Ce n'était peut-être pas de leur courage dont elle doutait le plus...
Peu fière de cette prise de conscience, elle pinça les lèvres mais ne dit rien. Après un temps d'hésitation, elle soupira, vaincue. Elle ne pouvait ni fuir ni éviter cette situation, elle en était arrivée à un stade où elle devait prendre une décision. D'une voix assourdie par les doutes et le trouble qui la partageait, elle s'entendit murmurer.

- M'y aiderez-vous? M'aiderez-vous à leur parler? Je sais que c'est à moi de le faire... et je ne compte pas m'y dérober. Mais votre présence pourrait peut-être les rassurer... Et me rassurer aussi.

Sitôt prononcés, elle regretta ces derniers mots et sentit une vive chaleur irradier son visage. Honteuse, elle se mordit la lèvre pour éviter de céder à l'angoisse ou aux larmes qui menaçaient. La présence de Martin comme témoin de la situation n'arrangeait paradoxalement pas les choses.
Admettre ses failles était tabou, une part d'elle craignait qu'en reconnaissant avoir besoin d'aide ou en ne se débrouillant pas seule, elle ne s'affaiblisse et ne devienne véritablement une proie. C'était, d'une manière déformée l'enseignement qu'elle avait tiré des principes que sa mère lui avait transmis.

Au prix d'un gros effort de volonté, elle s'imposa à nouveau le calme sans lever les yeux vers le prêtre. Elle préférait éviter de songer à ce dont il était actuellement témoin pour se concentrer sur le reste de la conversation.

Il lui assura ne pas changer ses plans pour elle et elle accepta cette garantie d'un hochement de tête. Au fond, elle n'avait guère envie de le dissuader de l'aide qu'il lui proposait, elle savait en avoir besoin. Même si dans son esprit, cette prise de conscience résonnait comme un échec.

- Dans ce cas j'accepte avec gratitude.

Quand il valida sa suggestion pour la récolte, elle se détendit un peu. La perspective de demander un service au Temple lui paraissait plus acceptable avec une telle contrepartie.

- Cela me semble être la moindre des choses...


Elle ne voulait prendre sans donner en retour. Ce n'était même pas pour satisfaire les dieux, ou le souvenir de sa mère, c'était... simplement une question de principes.
Mais lorsque Martin la remercia, elle releva les yeux vers lui. Une expression un peu amère ternit fugacement ses traits, vite chassée par la conscience d'être observée. Chercher à s'élever? Avait-elle seulement jamais eue cette préoccupation? Il lui semblait que rien lui importait moins en cet instant que la noblesse et la valeur de ses actions. Tout ce qu'elle voulait, c'était survivre et protéger les siens sans renier ses principes.
Avant qu'elle n'ait pu retenir ses paroles, celles-ci franchirent ses lèvres avec une certaine ironie.

- Du mérite? Je n'en ai pas l'impression... Je ne suis qu'une fille du peuple, quelqu'un de très commun qui fait de son mieux pour rester en vie et protéger sa famille...Je ne fais rien de plus que bien des gens dans ma condition... Je n'ai pas de mérite Martin, je n'ai tout simplement pas d'autres choix.

Une fois de plus, elle regretta ses propos et fixa ses mains à présent qu'il avait relâchée celle qu'il tenait. Avec un peu plus de douceur mais toujours une certain amertume, elle poursuivit.

- J'aurais dû me marier. Un bon parti, une bonne famille avec une situation plutôt confortable, cette union aurait mit Rose et Al à l'abri du besoin. Un peu plus à l'abri qu'à présent du moins. Mon fiancé a disparu quelques semaines avant la noce. Je sais que c'est horrible à confesser, mais j'en ai été soulagée. Si j'avais cherché à m'élever, j'aurais dû m'oublier, penser à notre intérêt à tous et tenter de retrouver une autre promesse d'union. Ce serait assurément le meilleur moyen de nous mettre plus en sécurité...Pourtant j'ai beau le savoir, je n'ai pas pu m'y résoudre... Alors non, je n'ai pas autant de mérite que vous semblez l'imaginer...

Son attention plongea dans le contenu de sa tasse qu'elle se mit à observer en silence, ruminant ses tristes pensées et ses appréhensions vis à vis de Martin. Nul doute qu'après cela, il risquait de ne plus la considérer avec la même clémence...
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyMar 26 Déc 2017 - 12:11
Le prêtre se réjouissait de pouvoir apporter une aide quelconque, bien que sa mission première et sacrée soit le soutien d’ordre spirituel. Parfois, les membres de sa profession étaient confrontés à de tels besoins qu’ils se retrouvaient happés par la détresse humaine. Parmi eux, certains se laissaient inconsciemment tirer dans un gouffre obscur par les bras désespérés d’âmes en perdition. C’est pourquoi on enseignait au clergé les dangers d’une trop grande empathie.

Pareil sentiment n’avait jamais inquiété Martin, qui vécut longtemps dans une bulle d’inconscience et d’égoïsme. À de rares moments, plus fréquents durant ces derniers mois, il établissait néanmoins ce contact particulier où il ressentait jusque dans sa chair ce que l’autre exprimait.
Un tel moment était en train de se produire. Sans intellectualiser le phénomène ou chercher à en comprendre les tenants et aboutissements, il lui sembla éprouver les doutes et les troubles qui tourmentaient la jeune femme.

- Je serais heureux de vous assister pour parler à Allister et Primerose. Jamais mes paroles ne pourront se substituer aux vôtres ou à celles de vos regrettés parents, mais si les dieux m’accordent la moindre légitimité en tant que prêtre et homme de bonne volonté, alors ma présence contribuera à vous soutenir lors de cette épreuve.

Puis Violette accepta de bonne grâce son humble protection pour se déplacer en ville, ainsi que le principe d’une coopération profitable à tous avec les cueilleurs du Temple. La plus grande satisfaction de Martin ne résidait pas dans l’acceptation de l’herboriste – il n’était pas là pour gagner un débat ou forcer l’esprit d’une fidèle. Le point essentiel, source d’un réel bonheur, l’invité n’hésita pas à l’exprimer à voix haute dans cet esprit de partage qui l’animait alors :

- Je suis heureux que vous ayez réussi à outrepasser certaines résistances intérieures pour accepter l’aide d’autrui. Les conditions de vie sont difficiles et je vous accorde que de telles barrières sont salutaires pour se protéger. Elles vous auront sans doute permis de survivre et rester forte jusqu’à présent, pour vous et votre fratrie.
Néanmoins, il faut savoir lever cette barrière quand une main secourable frappe à votre porte, sous peine de vous isoler et dépérir. Ce n’est pas facile, et comme toute être humain il vous arrivera sans doute de vous tromper sur les intentions des uns et des autres. La malveillance côtoiera toujours la bienveillance, sous des masques parfois trompeurs. Mais vous apprendrez, et votre intelligence vous y aidera. Les dieux aussi, tant que votre foi restera pure.


Quand Violette aborda enfin son mérite et sa condition sociale, le prêtre sourit avec indulgence devant cet étalage d’humilité. En cet instant, elle n’avait sans doute pas à l’esprit toutes les horreurs auxquelles nombre d’humains se livraient pour survivre. Certains de condition supérieure à la sienne. Tous ou presque affirmaient qu’ils n’avaient guère le choix.
Seules les personnes vertueuses se dévalorisaient de la sorte, mésestimant les qualités qui les distinguaient de la norme.

Par contre, le sang de Martin se glaça sitôt qu’elle évoqua son mariage avorté. Ses poings désormais posés sur les cuisses se nouèrent tandis que le haut du corps se raidissait comme un bâton. La mâchoire serrée, tout sourire avait disparu de son visage aux traits figés.
Cependant, l’incompréhension quant à sa remarque précédente jaillissait avec un tel ridicule qu’il libéra toute cette tension en éclatant de rire. Il lui fallut une quinzaine de secondes pour enfin réussir à s’expliquer.

- Par les Trois ! Je suis désolé de rire après un tel aveu, puissiez-vous me pardonner ce manque de retenue… Voyez-vous, le contraste entre nos vécus engendre parfois d’étranges discordances. Par « s’élever », je n’entendais pas du tout la condition sociale ni quoi que ce soit de matériel. En tant que prêtre, ma référence était uniquement d’ordre spirituel. S’élever signifie pour moi marcher dans les pas des dieux, agir de façon vertueuse quand nos instincts nous entrainent vers la bassesse, donner le meilleur de nous-mêmes quand les conditions mettent en exergue la partie obscure de notre être.
À cet égard, je persiste et signe dans mon appréciation de vos qualités. S’il y a un défaut que je vous reconnais, c’est un manque frappant d’estime de soi. Lors de votre agression, vous avez été confrontée à des travers bien plus vils que celui-ci, et il en existe beaucoup d’autres.


La mine du prêtre se fit soudain beaucoup plus sombre, et il conclut dans un grincement de dents :

- D’autres travers dont un mariage ne vous aurait peut-être pas protégé, tout au contraire.

Martin repensait au mariage de sa sœur, qu’il avait organisé et célébré avant qu’elle finisse étranglée par son époux milicien le soir même. La tristesse et la culpabilité ne l’avaient jamais réellement quitté depuis cette nuit funeste.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyVen 29 Déc 2017 - 9:23
La présence de Martin la troublait indéniablement. Avant lui, il n'y avait au aucun témoin de ses doutes et de ses craintes. Et les garder pour elle rendaient ces appréhensions un peu moins réelles tant qu'elle leur refusait une existence, même à l'état d'idée.
Pourtant d'un autre côté, elle se sentit rapidement gagnée par un soulagement inattendu. Pour la première fois depuis très longtemps, elle ne se sentait plus vraiment seule face à l'inconnu. Cette perspective avait dissout une partie du poids moral qui fléchissait ses épaules.
Elle recevait rarement ce qu'elle dispensait elle-même: du soutien.

La réponse du prêtre lui arracha un sourire. Non pas une expression moqueuse, mais une marque de reconnaissance des plus sincères.

- Merci beaucoup...Votre présence sera assurément une grande aide en elle-même.

Primerose avait confiance en lui, et Allister avait hérité de la piété familiale, ils comprendraient et accepteraient le rôle de Martin. Et si ce dernier devait l'accompagner en ville quelque temps, sa présence garderait tout son sens. Même si elle n'était pas encore tout à fait sereine, son esprit s'apaisa un peu.
Le prêtre aborda alors un sujet un peu délicat et le regard de Violette retomba sur son bandage. Apprendre à faire confiance, à s'en remettre aux personnes de bonne volonté... avait toujours été une de ses lacunes. Elle savait qu'il avait raison, comprenait tout à fait ce qu'il lui expliquait. Aveline en son temps lui avait tenu un discours similaire. Mais savoir quelque chose n'implique pas toujours de parvenir à l'appliquer.
Elle avait réussi à se confier à lui, et se surprenait elle-même en y songeant. Était-ce lié à un moment de vulnérabilité? A sa charge ecclésiastique? A l'estime naissante qu'elle avait pour lui? Tout ce qu'elle pouvait admettre, c'était le caractère exceptionnel de cette remise à l'autre.

D'une voix très douce, tenant presque dans un souffle, elle murmura;

- La confiance est un luxe que je ne peux pas m'offrir vis à vis de beaucoup de personnes. S'il n'y avait que ma vie en jeu, la situation serait un peu différente, mais j'ai promis à notre mère de les garder en sécurité à tout prix.

Elle saisissait bien tout le paradoxe du problème: tout prendre sur elle pouvait représenter une mise en danger équivalente, peut-être même supérieure à s'en remettre à quelqu'un de peu fiable. Mais tant qu'elle gardait le contrôle de sa maisonnée, elle avait l'impression que sa seule volonté pouvait faire barrage aux dangers. Tout en sachant que cette sensation était en grande partie illusoire. Elle, comme ses frères et soeurs avaient tissé une bulle idéale pour survivre aux rigueurs cruelles de Marbrume.
Mais parfois la réalité crevait l'illusion. Comme avec Ernest. Ou comme la veille au soir.
Ses poings se serrèrent à ces pensées. Mais le soudain rire de Martin rompit le fil de ses sombres pensées et lui fit relever les yeux avec étonnement.

Toutefois l'explication qu'il apporta à son hilarité ne la rassura guère. Cela contredisait-il la bassesse de sa réaction à la disparition de son fiancé? Il était probablement mort, et elle s'en était presque réjouie. Elle rougit en silence, essayant de refouler la honte d'une telle pensée.
Finalement, elle décida d'exprimer ce qu'elle avait sur le coeur. Après tout, elle avait choisi de se fier à Martin, ce serait peut-être la seule personne à qui elle en confierait autant à son sujet.

- Je comprends ce que vous vouliez dire mais... Ma faute ne réside pas dans le fait d'avoir espéré mettre ma famille à l'abri du besoin en élevant son statut... Plutôt dans ma réaction lorsque j'ai appris la disparition de mon futur époux. Il n'y a rien dont je puisse me sentir fière vis à vis des dieux à ce sujet.

Comme à chaque fois qu'elle abordait un point délicat, son regard retomba sur ses mains, et dévia sur le pansement qui enserrait son avant-bras.

- C'était un homme violent. Colérique. Impulsif. Je l'ai compris trop tard malheureusement, nous étions déjà engagés. Et vis à vis de Rose je ne pouvais pas reculer, nous avions besoin de la protection de sa famille...Peu d'hommes à marier acceptent de s'encombrer de la fratrie de leur promise vous savez... Je sais à quels travers ce mariage aurait pu m'exposer... Mais j'espérais pouvoir le tempérer... Peut-être aurais-je pu le changer... Nul ne le saura jamais. Mais lorsque sa famille a annoncé sa disparition, je me suis sentie libérée.

Les crises de rage d'Ernest lui revinrent en mémoire avec une grande netteté, lorsqu'il s'emportait de son manque d'entrain à ses entreprises... Ainsi que la terreur qu'il lui inspirait.
Elle marqua une pause, le temps de rassembler ses mots, assez remuée par ce sujet qu'elle n'avait abordé avec personne auparavant. L'idée que le prêtre soit tenu à la confidence la motiva un peu.

- Sa famille m'a tenue pour responsable de sa disparition. Pas par accusations directes; mais de nombreuses rumeurs ont circulé sur le moment. "Qu'aurait pu faire une herboriste avec tous ces poisons" laissaient-ils entendre. Par chance, cela n'a jamais dépassé le niveau des ragots, mais je soupçonne que mes difficultés à trouver une autre promesse d'union ne viennent pas de nulle part. Les gens malheureux cherchent des responsables à leur peine parfois au mépris du bon sens, et qui de plus désigné que cette étrangère de basse extraction qui voudrait intégrer une famille mieux née? Je ne leur en veux pas. Même si je n'aurais jamais pu faire de mal à Ernest, je n'ai pas pu verser une larme sur sa disparition.

Son attention plongea dans sa tasse dont le contenu refroidissait sans qu'elle y ait touché. Elle se surprit à se sentir mieux après cette confidence. Jusque là, Martin ne l'avait guère jugée, elle ne pouvait qu'espérer qu'il se montrerait magnanime une fois encore. Néanmoins elle ne regretta pas sa confession celle fois.
Elle avait choisi de prendre ce risque.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyJeu 4 Jan 2018 - 12:09
Le prêtre serait présent quand Violette livrerait des explications à sa fratrie, et l’herboriste témoigna une joie ainsi qu’un soulagement qui résonnèrent dans le cœur de Martin. À cet instant, son propre état intérieur reflétait celui de l’Autre, et l’expérience était agréable. Il ne pensait pas au futur ni à ce qu’il ferait ou dirait à cette occasion, gagné par la certitude que l’inspiration lui soufflerait la bonne attitude.

Puis la jeune femme se comprima comme un soufflet tandis qu’elle évoquait le luxe de la confiance.

- Je comprends. Une poignée de personnes, c’est déjà beaucoup mieux que personne tout court. Et plus viable pour tenir votre promesse, le reste viendra avec le temps.

L’invité termina avec un clin d’œil d’encouragement, lequel aurait pu être mal interprété en d’autres circonstances.

L’ambiance prit une tournure plus grave quand Violette raconta l’histoire de ses fiançailles. Martin écouta avec bienveillance, hochant la tête de-ci de-là, buvant de sa tisane qui refroidissait sans interrompre la femme. Elle avait pris son courage à deux mains pour confesser une partie sombre de sa vie, et le prêtre savait à quel point l’exercice pouvait être pénible. Surtout la première fois.

- Je comprends très bien le conflit intérieur qui vous trouble, croyez-moi. Cette forme de culpabilité, je l’ai souvent entendu chez des hommes pieux qui ont dû prendre des vies, par devoir ou réaction instinctive, sans être certains que leur geste soit justifié.

Martin repensait aux miliciens qu’il avait entendus en confession, ainsi que de simples civils réagissant avec une violence meurtrière à des agressions – des vols, le plus souvent. Ces cas étaient rarement simples, et la justice divine s’avérait souvent plus complexe que la justice humaine. En partie parce que les dieux n’avaient pas transmis aux Humains un codex des lois, et que les dévots eux-mêmes avaient des avis divergents sur la véritable volonté des Trois.

Pourtant, aux yeux du prêtre, les fiançailles avortées de Violette Levannier ne suscitaient guère un tel embarras. Sa réaction fut aussi nette que si les dieux l’avaient inspiré. Il s’exprima sans hésitation avec une voix assurée.

- Vous n’avez jamais désiré sa mort, de même que vous n’aviez aucune intention de lui infliger du mal. De quoi les Trois vous jugeraient-ils coupables ? Certainement pas de malveillance.
Vous vous en voulez de votre soulagement en apprenant sa mort. Mais s’il est mort avant votre mariage, n’était-ce pas là la volonté des dieux ? Culpabilisez-vous aussi pour toutes ces âmes qu’Anür a rappelées au cours de ces dernières années ? Je concède que nous avons peut-être une responsabilité collective pour le malheur des autres, mais nul ne peut en porter le fardeau. Évertuons-nous plutôt à faire de notre mieux pour que l’humanité progresse vers davantage de lumière.


Au lieu de partir sur d’interminables digressions dont il avait la fâcheuse habitude, Martin revint sur un point crucial de son argumentation :
- Être soulagée de la mort d’un homme vil et violent, c’est être délestée du poids des blessures qu’il s’apprêtait à infliger, et de tous les autres maux qu’il allait causer. Que vous soyez sa seule victime, une parmi d’autres, ou même s’il vous avait épargnée, la nature de ses actes ignominieux ne change guère.
Sans vous affubler du titre de Prophétesse, on dit les femmes plus sensibles aux possibilités qu’offre l’avenir. Peut-être avez-vous pressenti tout le mal qu’il allait encore engendrer. À ce titre, il est normal de ressentir un soulagement quand le monde se trouve débarrassé d’une telle engeance.
Quoi qu’il en soit, je suis sûr que vous auriez été plus soulagée encore de voir cet homme vivre et se comporter d’une manière plus digne, moins nuisible envers la société humaine et la parole divine.
Votre cœur n’était pas souillé de mauvaises intentions, Violette, beaucoup d’autres n’auraient pas conservé une telle pureté dans des conditions analogues. Surtout après les cruelles médisances dont vous avez été victime.
De ça, vous pouvez être fière. Tout comme vous pouvez être fière de votre travail d’herboriste. D’ici peu, les guérisons de vos patients chasseront ces rumeurs absurdes d’empoisonnement comme le souffle de Rikni chasse l’odeur nauséabonde de poisson pourri.


Puis Martin baissa les yeux sur la tasse encore pleine que tenait l’herboriste entre les mains.

- En revanche, laisser refroidir une délicieuse tisane par les temps qui courent, voilà un crime impardonnable !

Un rire accompagna la dernière remarque amusée du prêtre, qui regardait maintenant Violette avec une admiration accrue. Pour lui, sa piété, la pureté de son cœur et l’intelligence de son esprit n’avaient rien à envier aux hauts prêtres du Temple. Mais si les dieux lui avaient attribué ce destin plutôt qu’une voie monastique, c’était qu’ils avaient leurs raisons – mystérieuses et impénétrables pour les simples mortels.
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Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 3 EmptyVen 12 Jan 2018 - 9:07
Elle avait beaucoup parlé, beaucoup plus qu'elle n'y était habituée, et lorsque Martin lui répondit, elle l'écouta sans l'interrompre. Sa présence et ses propos étaient rassurants, réconfortants, pourtant ils avaient du mal à percer totalement le noyau de ses tourments. Elle avait gardé et nourri ce sentiment de culpabilité si longtemps qu'il ne lui était pas aisé de le chasser d'une simple conversation, aussi sage fut-elle.

Lorsqu'il souligna qu'elle n'avait jamais désiré la mort d'Ernest, elle se crispa légèrement. L'avait-elle souhaité? Non. En revanche, elle avait voulut qu'il s'arrête, qu'il expie, qu'il se repente. Au fond d'elle-même, elle voulait qu'il paie la dîme de ses actes. Elle avait désiré qu'il endure une épreuve assez difficile pour le ramener à une attitude qui ne soit toxique pour personne. Et les premiers jours de sa disparition, elle avait cru être exhaussée...
Elle garda cela pour elle, préférant ne pas approfondir plus ce sujet encore sensible.

Sans doute Martin avait-il raison lorsqu'il affirmait qu'une part d'elle-même avait pressenti le sombre avenir qu'il lui réservait. Le peu de temps qu'elle avait passé auprès d'Ernest lui avait fourni un avant-goût assez significatif du genre de vie qu'elle aurait à ses côtés... Mais enfin, avait-elle vraiment eu le choix? Avait-elle le choix aujourd'hui? La survie pour une jeune fille seule avec sa fratrie à charge ne promettait pas un sentier pavé de roses, et cela elle l'avait toujours su. L'aspect indispensable de son travail lui maintenait la tête hors de l'eau, mais assurer leur subsistance était une lutte de chaque instant.
Surtout sans la protection d'un homme, dans un contexte aussi tourmenté que Marbrume. Elle avait beau entretenir une illusion optimiste au sein de son foyer, elle n'oubliait jamais totalement cela.

La légèreté de la réplique du prêtre au sujet de ses tisanes la fit sourire et elle avala quelque gorgées de la boisson tiède, avant de prendre une minute pour préparer ses mots. Elle ne souhaitait pas de pitié, ni quémander de l'assistance, peut-être juste quelques conseils.

- Tout ceci n'est pas simple à dire vrai. J'avais beau avoir compris quel genre d'homme était Ernest, j'étais engagée vis à vis de lui. Et même si ça n'avait pas été le cas, je n'aurais sans doute pas reculé. Pour vous avouer la vérité, je sais que je serai amenée tôt ou tard à devoir épouser un homme capable de mettre ma famille en sécurité, et je le sais depuis très longtemps.

Elle termina sa tasse pour se donner un peu de courage et reprit.

- J'ai vainement cherché des protecteurs au sein de la noblesse, en espérant peut-être devenir guérisseuse chez une famille bien née, qui aurait garantit nos avenirs, mais il semble que je ne convenais pas...

Après un léger rire triste, elle soupira.

- Je n'ai pas beaucoup d'alternatives Martin. Une femme seule, avec une famille à charge dans le Marbrume d'aujourd'hui, je suis en sursit, Al et Rose aussi. Mais cette grâce -les Trois en soient remerciés- ne durera pas toujours. Il faut que je fasse le nécessaire pour nous protéger. C'est tout ce que je regrette de mon mariage avorté. Concernant Ernest... Je pense qu'il n'a sans doute pas toujours été... ce qu'il était. Et j'espérais quelque peu le tempérer... Tout en ignorant si j'y parviendrais.


Elle regardait fixement son bras blessé en se demandant si Ernest ne lui aurait pas infligé un autre genre de blessure s'il était toujours parmi eux... Au fond il n'y avait pas de bonne solution et elle le savait. Ses épaules fléchirent imperceptiblement. Elle était lasse de toute cette énergie quotidienne qu'elle mettait à survivre, à tout penser pour permettre à ses frères et sœurs de mener l'existence la plus normale possible. Un regard vers Martin lui rappela qu'elle n'était pas seule et l'empêcha de céder au découragement, mais l'amertume lui serrait le cœur. Elle eut un autre gloussement désabusé. Elle n'était qu'une citoyenne parmi les centaines d'habitants de la ville et des alentours, qui pour l'ensemble enduraient les mêmes difficultés qu'elle. Céder à l'abattement revenait à se montrer plus faible, à capituler. A se rendre.
Et elle n'y était pas encore résolue.

- Si je ne trouve ni époux ni mécène, alors je trouverai une solution pour m'en passer. J'ignore encore laquelle, mais j"y parviendrai.


Imperceptiblement, elle avait relevé le menton avec le peu de fierté que la conversation ne lui avait pas mouché, et tout ce qu'il lui restait de résolution. Pleurer sur son sort ne l'amènerait nulle part. Il fallait qu'elle prenne la pleine mesure des différentes options dont elle disposait pour mettre sa famille à l'abri. Ce fut à ce moment qu'elle réalisa que l'angoisse qui ne la quittait plus depuis la veille était passée au second plan. Elle était toujours présente et lui nouait le ventre, mais elle n'avait plus les commandes de son esprit. Violette fixa Martin sans détour un instant et hocha la tête.

- Quoi qu'il en soit, je n'ai pas de mots assez fort pour vous exprimer ma gratitude. Pas seulement pour moi, pour Al et Rose aussi.


Qu'il en soit conscient ou non, il lui avait rendu l'énergie de se battre et l'espoir pour le faire.
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