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 Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]

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Martin LapierrePrêtre
Martin Lapierre



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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyVen 29 Sep 2017 - 17:44
Martin était indisposé, et la fatigue n’était pas la seule cause. La sollicitude que Violette témoignait à son égard renforçait son sentiment de culpabilité. Car il n’avait toujours pas l’intention de passer chez le vannier prendre des nouvelles d’Allister.

Depuis près d’un an, le prêtre s’efforçait d’agir au mieux. Il obéissait ainsi à ce qu’il croyait être la meilleure partie de lui-même, mais nourrissait aussi l’espoir de s’amender auprès des dieux.
Cependant, il était loin d’être parfait et en était très – parfois trop – conscient. Si les erreurs involontaires étaient plus ou moins pénibles à assumer selon leur gravité, ses dérobades le hantaient plus encore.

Comble de l’ironie, c’était Violette qui lui proposait de le raccompagner. Rikni parlait-elle à travers sa bouche pour l’inciter à surmonter cette épreuve ? Dans l’affirmative, se défiler comme il en avait l’intention aurait certainement des conséquences – d’autres nuits agitées en perspective.
Soit. Il en avait vu d’autres. Et puis, rien n’était jamais sûr.
Certains êtres abjects jusqu’à la moelle semblaient bénéficier de la providence divine, quand d'autres personnes irréprochables souffraient quotidiennement. La réalité et les beaux sermons ne s’accordaient pas, c’était un fait, et cette dichotomie qui minait sa foi revenait encore à la charge.

Vite ! Partir ! Vite ! Le malaise n’était plus seulement physique. Et pour en guérir, il avait grand besoin de solitude et de repos.

- Non, ça ne va pas bien, pensa le prêtre.

Il répondit pourtant avec un sourire forcé :

- Soyez assurées que j’ai passé un très agréable moment en votre compagnie, et j’espère que notre conversation vous aura été utile d’une quelconque façon. Je vais rentrer au temple et suivre vos indications. Tout ira bien, je pourrais m’y rendre les yeux fermés !

Par automatisme, Martin lança un dernier clin d’œil à Primerose en la voyant affairée à la préparation du diner :

- Et en plus, mademoiselle est un cordon-bleu et sait manier le couteau !


Lorsque Martin paya son dû, il remarqua que les commerçants avaient nettement surestimé la facture. Ou plutôt, l’herboriste pratiquait des tarifs inférieurs à la moyenne, car ces professionnels du négoce se trompaient rarement. Le prêtre, quant à lui, n’avait aucune mémoire pour ces choses-là.

Il se dirigea ensuite vers la porte d’entrée, posa sa main sur la poignée, puis se retourna soudain vers Violette :

- Si vous le permettez, je repasserai dans quelque temps pour témoigner des effets de votre préparation.

Et pour s’assurer que rien n’est arrivé à Allister, mais il se garda de le mentionner.
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Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyMar 3 Oct 2017 - 8:01
Les filles Levannier échangèrent discrètement un bref regard interrogatif. L'état de leur invité semblait s'être dégradé en très peu de temps et ses réactions auparavant calmes et posées avaient à présent l'air plus saccadées, plus hésitantes.

Il déclina l'offre de l'aînée, qui pour toute réponse haussa les sourcils, son front dessinant un pli d'inquiétude. Elle n'insista cependant pas et acquiesça un peu de mauvaise grâce. La perspective que son client ne rentre à la nuit en traversant les quartiers populaires dans un état de faiblesse évident ne lui plaisait pas beaucoup, mais elle n'avait pas autorité pour l'en empêcher.

- Soit, mais soyez prudent. Cette heure est traîtresse.

Le crépuscule l'était toujours, et souvent Violette se prenait à regretter l'époque où ils ne vivaient pas en ville et où les feux du soir n'étaient pas le synonyme d'un danger supplémentaire. Bien sûr, la vie des campagnes avait son lot de risques, mais rien de comparable avec ce qu'ils affrontaient à présent.
Lorsqu'il les salua, elle se fendit d'une révérence polie agrémentée d'un sourire.

- Vous êtes le bienvenu quand vous voulez, nous serons ravies de vous accueillir à nouveau.

Même si la tournure était d'une courtoisie étudiée pour être le refrain habituel offert aux clients sur le départ, il y avait une réelle sincérité dans la voix de la jeune fille. Elle appréciait la compagnie de Martin. En règle générale, le tempérament de Violette lui permettait de s’accommoder de la présence de la plupart des gens sans trop de difficultés, mais il y en avait assez peu dont elle appréciait sincèrement la présence. Elle était herboriste, à la fois commerçante et guérisseuse, elle ne pouvait se permettre de laisser son introversion prendre le dessus et montrait la même affabilité à tout le monde. Mais sa nature profonde ne lui avait pas permis de créer beaucoup de liens hors de sa profession. Elle s'était retrouvée avec une famille à prendre en charge à l'âge où d'autres rêvaient de fiançailles et profitaient de leurs vertes années.

Primerose avait arrêté son geste et tenait toujours légumes et ustensiles en suspend. Le commentaire de Martin lui fit monter le rouge aux joues, mais de plaisir à en juger par le sourire qui accompagnait sa réaction. Elle se redressa sur sa chaise avec une fierté manifeste.

- La prochaine fois, restez manger avec nous, comme ça vous pourrez goûter à ma cuisine!

Violette ne commenta pas l'offre mais à l'expression amusée que prit son visage, elle partageait son idée. Si les Trois le permettaient, elle espérait avoir d'autres soirées comme celle-ci en compagnie du prêtre.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyMer 4 Oct 2017 - 7:47
L’atelier est sens dessus dessous, comme si une violente tempête venait de le frapper. Des taches de sang peignent les murs, où divers restes humains restent collés, comme figés par la sauvagerie de l’attaque. Dans un coin, un petit corps désarticulé ressemble à une marionnette de chair qu’un animal affamé aurait dépecée.
Je ne l’ai jamais vu de son vivant, et son cadavre est méconnaissable, mais je sais qu’il s’agit d’Allister, le frère Levannier.

- C’est de ta faute, Martin, de ta faute ! martèle Rikni.

Dans une sombre ruelle non loin de là, Violette sort prendre des nouvelles de son frère. Elle croise le chemin d’un autre prédateur : un jeune homme avec un trop-plein de vitalité, et un vide affligeant en guise de morale. Elle était propre et soigneuse, son corps gît sur une mélasse crasseuse ; elle sentait bon, son corps empeste les plus viles déjections ; elle était jeune et vivante, son cadavre ne verra plus un lever de soleil.
Vêtements déchirés, traces bleues sur les bras et autour du cou : comme ma sœur, elle a résisté de toutes ses forces, prolongeant sa souffrance jusqu’au dernier instant.

- C’est de ta faute, Martin, de ta faute ! martèle Serus.

Petite fille désormais sans soutien, devenue inutile dans un monde en perdition, Primerose se tient sur le bûcher, défigurée par les larmes et la douleur. Le Temple n’a plus de place pour les orphelins, les prêtres n’ont plus de compassion pour les innocents, il n’y a plus que la déchéance et la mort. Lentement, les flammes dévorent son petit corps et ne laissent qu'un tas de cendres froides, dissipées par les hurlements que le vent emporte dans la plus grande indifférence.
L'odeur familière de la chair carbonisée emplit mes poumons. Je n'ai plus envie de respirer - trop de cadavres, trop de bûchers, trop de peines.

- C’est de ta faute, Martin, de ta faute ! martèle Anür.



Martin se réveilla en sueur, le souffle court et le cœur battant la chamade.


Après avoir pris congé des sœurs Levannier dans la précipitation, Martin avait marché à grandes enjambées jusqu’à la boutique de Lénard et Géronde. L’exercice et la fraîcheur vespérale lui avaient accordé un heureux sursis, même si le brouhaha qui agitait son esprit restait incontrôlable.
Arrivé chez ses amis au moment où ceux-ci s’apprêtaient à fermer, il avait rapporté le plus succinctement possible la nature et la posologie du traitement. Il doutait que son compte-rendu ait été parfaitement exact, mais avait précisé que l’herboriste était à leur disposition pour des renseignements supplémentaires. Enfin, il avait prétexté une urgence pour couper court à la discussion, et leur avait promis de leur raconter son entrevue un jour prochain.

Ensuite, ses jambes l’avaient mené au temple sans même y penser – il n’avait pas menti à Violette en affirmant pouvoir s’y rendre les yeux fermés. Rejoignant directement les cuisines, où de l’eau chaude était disponible en quantité pour les besoins du soir, il avait préparé son remède en versant tout le contenu du sachet dans un grand bol. Il ne ressentait aucune faim, mais avait tout avalé après quelques minutes d’infusion – eau et herbes incluses.

Enfin, il avait gagné les dortoirs des prêtres où il s’était allongé sur la couche la plus isolée. Pourtant à l’abri du tumulte extérieur, Martin ne fréquentait plus régulièrement cet endroit propice au repos.
Sa notion du temps était profondément altérée, mais il lui avait semblé que le sommeil était venu rapidement.

Une fois encore, il n’avait guère trouvé la paix.
Martin ne savait pas quoi penser. Ce cauchemar impliquant les Levannier portait-il un germe de vérité ? Rikni le punissait-elle pour ses péchés ? Étaient-ce ses peurs qui rejaillissaient avec vigueur ?

Le prêtre s’adressa mentalement à la déesse des songes :

- Si ce rêve est prémonitoire et qu’il n’est pas trop tard, continue, je t’en prie, à me torturer jusqu’à ce que toute menace soit écartée.
Dans le cas contraire, accorde-moi, je t’en prie, du repos afin que je puisse louer sans mentir les vertus de son remède.


Puis aux Trois, dans un cri silencieux :

- Si vous n’avez pas totalement abandonné la race humaine, accordez un peu de clémence à ceux que le méritent ! Pas votre piètre serviteur à la foi vacillante, mais tous ces braves gens comme les Levannier, qui doivent vivre pour qu’une humanité meilleure jaillissent de la désolation actuelle !

Las et trop faible pour chasser la tristesse, Martin se recroquevilla en position fœtale puis se rendormit.


Dernière édition par Martin Lapierre le Ven 6 Oct 2017 - 12:12, édité 1 fois
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Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyVen 6 Oct 2017 - 8:21
Comme tous les jours, Violette fut la dernière couchée, rangeant la vaisselle du repas qu'elle venait de nettoyer tout en laissant dériver ses pensées. Allister, quoiqu'en retard était rentré enthousiaste, son maître-artisan ayant généreusement récompensé son zèle au travail. A une autre époque, l'aînée aurait pu se satisfaire de ce genre de petite victoire. A une autre époque, il aurait été facile de se dire que son travail et le compagnonnage d'Allister suffisaient pour leur permettre de s'en sortir. Mais aujourd'hui il y avait les Fangeux, et les enjeux avaient changé. Ils ne luttaient plus seulement contre la pauvreté, ils devaient apprendre à vivre avec la proximité de la mort.

Elle essuya la table d'un geste si automatique qu'elle ne réalisa pas qu'elle frottait une surface propre, toujours perdue dans ses réflexions.
Primerose avait littéralement assailli leur frère de questions, avant de lui dresser l'éloge de leur dernier client de la journée, confirmant ce que Violette avait déjà deviné à ce sujet: sa petite sœur appréciait vraiment le prêtre. Le repas s'était déroulé dans la simplicité qui caractérisait leur quotidien. L'aînée silencieuse avait écouté les deux plus jeunes, se ressourçant à leurs rires et à leurs échanges joyeux. Au milieu du chaos dans lequel ils vivaient, ce genre de moment était une source de force et ravivaient la détermination de Violette à préserver ses frères et sœurs. Tout ce qu'elle faisait, elle le faisait pour eux.

Une idée récurrente qui la hantait à ces heures de méditation revint la tourmenter. Si elle ne parvenait pas à s'assurer la protection d'une clientèle puissante, il lui faudrait peut-être ré-envisager la possibilité d'un mariage de convenance. Machinalement, elle serra les dents et fournit un gros effort pour éviter de penser à Ernest tandis que ses mains se crispaient sur le chiffon. Ce n'était pas encore au goût du jour.
Pourtant elle savait que le temps jouait contre elle: même si elle restait jeune, elle avait passé l'âge moyen du mariage, et plus elle attendrait, moins elle aurait le choix de ses options...

Préférant éviter de songer à ce problème qu'elle ruminait trop souvent, elle leva les yeux vers son orgue à plantes et attrapa un pot dont l'étiquetage rudimentaire désignait de la menthe.
Elle avait créé son propre système d'écriture, sans même avoir conscience de ce que cela impliquait. Si elle parvenait à rassembler d'autres membres de sa corporation derrière des intérêts communs, peut-être pourrait-elle leur proposer de partager ce code? Cela n'aurait jamais la valeur d'un véritable langage, mais l'échange avec Martin sur la préservation et le partage des connaissances l'avait marquée.

Délaissant ses rêveries pour la soirée, elle termina ses tâches et rejoignit ses frères et sœurs dans la chambre commune.

*
**

Comme tous les jours, Violette fut la première levée. L'eau bouillait dans la marmite du petit déjeuner, et quelques tranches de pain complet accompagnées d'un morceau de fromage attendaient déjà les deux plus jeunes sur la table, tandis que leur aînée, déjà revêtue de son tablier à multiples poches reprenait les travaux commencés de la veille, triant ses dernières récoltes. La saison était rude et certaines plantes se faisaient rare. Même si cette seule idée la faisait frissonner, elle savait qu'elle devrait bientôt refaire une sortie. L'automne était exigeant si l'on comptait anticiper les besoins et les restrictions de l'hiver.

N'aies jamais peur d'avancer, quels que soient les dangers. On est bien plus fragile quand la peur nous paralyse.

Elle ferma les yeux en se remémorant la voix de sa mère lui répétant cette phrase dans les moments de doute. Aveline l'avait longtemps dite pour elle-même, lorsque veuve, elle avait dû amener toute sa famille jusqu'à Marbrume, au cœur d'un hiver qui lui avait coûté son époux. Mais Aveline n'avait jamais connu les Fangeux. Qu'aurait-elle pensé de tout cela?

- Ô Serus, je t'en prie, veille sur ma famille aujourd'hui encore, protège-les murmura la jeune fille après un geste de dévotion au dieu de la vie.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptySam 7 Oct 2017 - 9:04
Le soleil arrivait presque au zénith quand Martin se réveilla, la vessie tellement pleine qu’il bondit de sa couche sans autre pensée en tête. Ce besoin salutaire lui épargna de ruminer, et il fut d’emblée alerte malgré une certaine lourdeur dans ses gestes.
Comme tout un chacun, le prêtre avait ses hauts et ses bas, et pour l’heure il ne chuterait pas davantage. Les événements de la veille, qui l’avaient conduit à rencontrer les sœurs Levannier et connaître enfin un sommeil réparateur, étaient assurément à l’origine de ce rebond.
Toutefois, plusieurs jours seraient nécessaires pour s’extirper du puits opaque qui emmurait sa conscience. C’est pourquoi il consacra la journée au labeur du Temple, à la méditation et la prière. Ainsi que le lendemain, puis le jour d’après.

Le quatrième jour, son corps allait mieux et la confusion cédait enfin la place à la clarté dans son esprit immuablement tourmenté. Il se sentait prêt à replonger dans la dure réalité du monde, hors du cocon protecteur du Temple où choisissaient de rester certains de ses pairs.
Comme Rikni ne lui avait envoyé aucun signe des Levannier dans ses songes, le prêtre était relativement confiant sur le sort de la famille. Cependant, une légère crainte subsistait, tenace.

Il dédia sa première visite à Lénard et Géronde, afin de recueillir leur témoignage sur le traitement de Violette et honorer sa promesse.

- T’as meilleure mine, Martin ! se réjouit Lénard. Figure-toi qu’nous aussi, on dort mieux avec les tisanes qu’tu nous as rapportées.

Le commerçant vérifia que sa femme n’était pas dans les parages, et ajouta sur le ton de la confidence :

- Et la patronne me casse beaucoup moins les oreilles avec ce fichu inventaire ! Par les Trois, tu peux pas savoir comment qu'ça soulage !

Martin se l’imaginait somme toute assez bien, et esquissa un sourire en retour. Les deux hommes échangèrent quelques banalités avant d’aborder le sujet de Violette, en compagnie de Géronde qui les avait rejoints entre temps.

- Elle m’a donné l’impression d’être très honnête et compétente dans son travail. Pas uniquement dans son travail d’ailleurs, je pense qu’elle est de nature sérieuse et appliquée. De toute évidence, elle jouit d’une bonne éducation et de certaines qualités innées. Je décèle également un grand potentiel chez sa petite sœur, malgré un caractère plus difficile.

- Not’ Martin, il voit toujours que le bon chez les gens, commenta Géronde.

- Normal, c’est un prêtre, dit son mari.

- Je pense être lucide, rétorqua l’intéressé. Toutefois, il est vrai que mon rôle consiste à trouver la lumière que chacun porte en soi, afin qu’elle fructifie et profite au reste du monde. Vous savez, les textes sacrés disent que les dieux sèment une graine dans chaque être vivant, mais que c’est à nous d’en prendre soin pour qu’elle germe et produise ses fruits. Une graine laissée à l’abandon dans une terre stérile est un immense gâchis.

- Mmm, marmonna Lénard, perplexe, en mâchonnant son inséparable morceau de bois.

En authentique citadine, Géronde ne semblait pas mieux saisir cette allusion à la botanique. Le prêtre employa alors une tournure moins allégorique.

- En d’autres termes, grâce à la Trinité, même le pire des criminels a du bon en lui, mais il a choisi de l’ignorer et de faire le mal. Bien sûr, grandir dans certains milieux n’aide pas à devenir un homme bon, mais il y a toujours une porte de sortie.

Les premiers clients du matin pénétrèrent dans la boutique, coupant court à la conversation. Martin salua amicalement les commerçants, ramassa son sac de toile et se dirigea aussitôt vers la chaumière des Levannier.
L’idée lui était venue de passer préalablement chez maître Herbert pour se renseigner sur Allister, mais la démarche lui avait paru malhonnête. Cette fois, il ne comptait pas laisser une peur irrationnelle guider sa conduite, et si un malheur était réellement survenu, il l’affronterait sans détour.

C’est donc avec une franche détermination que Martin frappa à la porte des Levannier.
Il était encore tôt, mais le quartier commerçant fourmillait déjà d’activité. Le prêtre avait peu connu l’agitation fébrile qui l’animait autrefois, et n’éprouvait donc pas cette nostalgie qui se lisait sur de nombreux visages. En réalité, il ne s’était jamais longtemps attardé dans ces rues de Marbrume, privilégiant les bas-quartiers et les plus miséreux d’entre tous. Martin leva les yeux vers le ciel gris en attendant qu’on lui ouvre.

- Puisque vous m’avez guidé jusqu’ici, pensa-t-il, j’y resterai quelque temps. Une plus grande dévotion de la part des commerçants et artisans aidera peut-être les plus démunis à traverser l’hiver dans des conditions moins effroyables.
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Violette LevannierGuérisseuse
Violette Levannier



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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyMar 10 Oct 2017 - 9:18
Lorsque les coups résonnèrent à sa parte, Violette était en train de rassembler son matériel pour une sortie prochaine hors des murs de la ville. Comme toujours, un sachet copieusement rempli de sel, sa serpette accompagnée d'une pierre à affûter, sa large besace, quelques sachets de toile pour isoler ses récoltes et ménager les plantes les plus délicates, et une vieille cape de laine brune.

La perspective d'une sortie était toujours une source d'angoisse et pour conjurer ses craintes, la jeune femme ne laissait rien au hasard, envisageant dans les moindres détails tout ce qui pouvait l'être et prévoyant minutieusement le plupart des éventualités et de ses besoins. Elle savait que cela ne la protégeait pas de tout bien évidemment, mais cette manière de procéder entretenait l'illusion rassurante qu'elle disposait d'un contrôle, aussi infime soit-il sur la situation. Soucieuse de ne pas inquiéter ses frères et sœurs, elle avait pris l'habitude de cacher ses appréhensions derrière une façade calme et déterminée, mais il n'y avait à cette heure personne pour entrevoir ses peurs, Allister étant retourné chez son maître-artisan tandis que Primerose assurait sa présence hebdomadaire au marché. N'ayant pas besoin de faire semblant, elle avait laissé tomber les masques, et ses traits reflétaient cette boule qui étreignait son cœur et sa gorge.

Un jour, elle ne reviendrait pas. Elle n'en avait pas la crainte, elle en était certaine. Un jour, elle ferait une mauvaise rencontre contre laquelle tous ses soigneux préparatifs seraient inutiles. Un jour, Rose et Allister seraient livrés à eux-même. Ce n'était qu'une question de temps, elle se savait en sursis. Tout ce qu'elle pouvait espérer, c'était que cela arrive le plus tard possible.

Elle délaissa ses préparatifs pour aller ouvrir à son visiteur, et un sourire tout à fait sincère éclaira ses traits lorsqu'elle reconnut Martin. Si elle n'avait pu chasser totalement de son expression la sombre angoisse qui s'y épanouissait encore quelques instants plus tôt, ce tourment était éclipsé par le plaisir de revoir le prêtre. Dans un mouvement continu, elle ouvrit plus largement la porte et l'invita d'un geste.

- Bonjour! Je vous en prie, entrez. Alors, avez-vous pu trouver un sommeil réparateur? Et comment vont vos amis?

En l'espace de quelques secondes à peine, la jeune femme inquiète avait laissé place à la guérisseuse sereine et affable, parfaitement maîtresse d'elle-même et mesurée dans ses actes comme dans ses mots, toute dévouée à ses patients et à sa fonction.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyMer 11 Oct 2017 - 17:57
Lorsque Violette ouvrit la porte, le large sourire qu’elle affichait rassura aussitôt le prêtre - si un drame avait frappé sa famille, son visage aurait été marqué par l’affliction. Tel un miroir, Martin afficha en retour un sourire semblable.

- Bonjour, Violette. C’est en patient très satisfait que je viens vous faire mon rapport, comme convenu.

Martin entra dans la modeste maisonnée, remarquant que la guérisseuse portait une tenue d’extérieur. Elle semblait seule, et bien qu’il aurait été ravi de revoir Primerose, son absence ne suscita qu’une très légère déception. Tout le monde allait bien, et la façon dont les Levannier occupaient leur journée ne le regardait pas. Se préoccuper des gens et les aider sans s’immiscer dans leur vie résumait bien sa mission, même s’il lui arrivait de s’impliquer davantage lorsque la situation l’exigeait.

- Je vois que vous êtes habillée pour sortir, mais rassurez-vous, je ne fais que passer.

Le prêtre se dirigea ensuite vers la table, où il posa son sac de toile pour en sortir un pain familial de forme ronde, marqué en son centre du symbole rudimentaire de la Trinité.

- Je vous ai également apporté ceci. N’y voyez aucune offense. J’ai pu constater que vous preniez soin de votre famille, malgré les conditions difficiles dans lesquelles se trouve Marbrume. Considérez ceci comme un cadeau des dieux, dont je me fais humblement l’instrument.
Le Temple n’a malheureusement pas la capacité de nourrir tous ceux que la faim tiraille, mais ses serviteurs font partie des privilégiés qui se nourrissent convenablement. Nous avons également la possibilité de distribuer un peu de nourriture aux fidèles, et j’use de cette grâce dans les limites qui me sont imposées.


Martin remit alors son sac en bandoulière. Délesté de son principal contenu, il renfermait encore quelques petits objets religieux. Le donateur se retourna alors vers l’herboriste.

- En ce qui concerne votre préparation, j’étais tellement fatigué que je ne me rappelle plus très bien la façon dont je l’ai consommée, ni de son goût. Par contre, je peux témoigner qu’elle m’a conduit au sommeil en peu de temps.
La première phase fut quelque peu agitée et je me suis réveillé environ une heure plus tard. Mais je n’ai eu aucun mal à me rendormir, et j’ai alors profité d’un long repos réparateur.


Martin choisit de ne pas s’étendre davantage. Ces précisions seraient peut-être utiles à la professionnelle qu’elle était, mais un commentaire sur l’état de sa vessie à son réveil lui paraissait inapproprié, voire superflu.

- Quant à nos braves marchands, avec qui j’ai eu le plaisir de converser ce matin, la tisane a eu l’effet calmant escompté, surtout chez madame.
Vous pouvez donc être fière de vous ou, si la modestie vous prive de ce sentiment, vous sentir renforcée dans la confiance que vous accordez à vos capacités. Soyez assurée que nous vous sommes tous les trois reconnaissants. Votre travail apporte un réel bien-être aux personnes dans le trouble, et je prie Serus pour que cela continue le plus longtemps possible.


Le prêtre parlait de façon plus fluide qu’à leur première rencontre, était plus vif et ne montrait aucun signe d’essoufflement après ses tirades. Pour une guérisseuse habituée à jauger toutes sortes de patients, ces signes confirmaient la sincérité de ses propos.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyJeu 12 Oct 2017 - 7:55
Les premiers mots de Martin lui firent un peu oublier ses inquiétudes. Sans se l'avouer, cette visite la soulageait. Le prêtre avait l'air en bien meilleure forme dès le premier coup d"œil et ce constat rassurait la professionnelle qu'elle était. C'était la jeune fille derrière la guérisseuse qui en revanche tirait une certaine satisfaction à retarder sa sortie. Aveline lui avait souvent expliqué que le courage n'était pas l'absence de peur, mais la capacité à faire face à l’adversité malgré la crainte, sans se laisser entraver ou paralyser par elle. Mais elle avait beau le savoir, elle ne pouvait s'interdire un sentiment de culpabilité à l'idée de se chercher des excuses et de saisir des opportunités pour ne pas quitter la ville.

Martin lui notifia que son passage serait bref et elle ne put s'empêcher d'être un peu déçue. Pas seulement de perdre une raison de ne pas quitter la ville, mais simplement qu'il ne reste que brièvement. A ce jour, et même si elle ne l'avait que peu côtoyé, il était une des personnes les plus sincèrement bienveillantes qui soit entré dans son cercle.
Elle secoua la tête avec un sourire.

- J'ai encore un peu de temps, j'étais seulement en train de préparer mes affaires pour partir en récolte.

Mais lorsqu'il déposa un large pain sur la table, elle écarquilla les yeux de surprise. Si autrefois la gêne lui aurait valu de protester et d'assurer cette offrande à des personnes plus dans le besoin que sa famille, elle n'en fit rien cette fois. Aussi empathique soit-elle, la priorité de la guérisseuse était sa famille. Elle baissa humblement la tête avec une expression reconnaissante.

- Je vous remercie infiniment au nom des miens, cela nous aidera beaucoup. Je veillerai à ne pas décevoir les Trois et à mériter cette grâce. Et à être digne de votre confiance.

A commencer par affronter mes devoirs sans trembler.

Lorsque Martin lui fit connaître les résultats de ses traitements, elle sourit.

- Je suis heureuse que mes remèdes aient pu vous permettre de dormir. Votre sommeil est-il meilleur à présent? Si vos troubles réapparaissent, je devrais être en mesure de vous fournir quelque tisane pour vous aider à retrouver un équilibre.

Il évoqua le couple de marchands et les bénéfices de la préparation qu'elle leur avait prescrit et son expression de plaisir s'accentua, complétée d'une pointe de soulagement. Elle s'était bien doutée qu'il n'y avait pas eu de problème, sans quoi elle aurait certainement déjà eu la visite d'un des époux, mais il lui était toujours difficile d'établir la bonne formule sans voir le bénéficiaire ni se faire une idée de son état de santé. A l'évidence, son intuition avait été bonne.

- C'est un plaisir de savoir que vos amis ont pu tirer bénéfice du traitement que je leur ai fourni. Hélas notre époque ne permet pas beaucoup le repos et vous n'imaginez pas le nombre de braves gens qui comme eux, s'échinent à la tâche jusqu'à épuisement.

Toutefois, les chaleureux remerciements qu'il lui accorda lui inspirèrent un geste de tempérance.

- Je n'ai fait que mon devoir... mais je suis heureuse de constater les bénéfices de mes décoctions

Heureuse mais pas surprise. Même si elle ne pêchait pas par excès d'assurance, Violette avait grandi dans l'univers des plantes médicinales, apprenant à les différencier, à les récolter, à les conditionner, les mélanger selon les besoins et les prescrire à un âge où la plupart des enfants étaient encore des enfants. Du moins dans le monde avant les Fangeux... Les plantes et leurs secrets étaient pour elle comme une seconde nature, une forme d'art qu'elle comprenait et pratiquait autant à l'appui de ses connaissances que de l'instinct. Et elle n'avait jamais commis d'erreur. Oh bien sûr, elle avait perdu des patients lorsque les blessures étaient trop graves, ou la maladie trop avancée. Mais à ce jour elle ne s'était jamais trompée.
La dernière phrase du prêtre fit passer une ombre sur son visage lorsqu'elle songea moi aussi.

Serus la protégerait-il toujours contre les Fangeux? Sa foi avait beau être solide et tenace, elle ignorait si elle pouvait se reposer sur un tel espoir. Après tout, les Trois n'avaient pas empêché les Fangeux d'apparaître et de terroriser le pays, ni de nombreux braves gens de mourir. Elle restait convaincue qu'il y avait une réponse à cela, que dans le grand dessein des dieux, il y avait une raison que les mortels ne comprenaient pas, mais qui justifiait la situation. Mais à l'appui de ce raisonnement, elle ne parvenait pas à penser que la grâce de Serus lui sauverait la vie indéfiniment.

Sentant qu'elle commençait à laisser ses incertitudes s'exprimer par delà sa façade travaillée, elle se reprit bien vite et chassa ses peurs d'un sourire.

- Puis-je vous offrir quelque chose à manger ou à boire?


C'était la moindre des choses après la bienveillance dont il faisait preuve à son égard.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyVen 13 Oct 2017 - 6:57
Martin était ravi. Violette était égale à elle-même : polie, pieuse et prévenante. Certes, il voyait que cette façade était parfois parcourue d’expressions plus graves, mais il manquait d’empathie pour interpréter ces signes. Avant la Fange, il ne se préoccupait pas réellement d’autrui et malgré ses bonnes intentions, il faudrait encore du temps pour combler les faiblesses de ce passé égocentrique.

- Comme vous l’avez très justement souligné, l’époque se prête mal au repos et beaucoup d’entre nous ont des raisons légitimes de connaître des nuits troublées. Des journées aussi, d’ailleurs.
Si… quand j’en ressentirai le besoin, je reviendrai certainement demander votre aide. Les herbes fournissent un merveilleux soutien, mais elles doivent être un bâton sur lequel on s’appuie pour se redresser, pas une canne sans laquelle nous n’avons plus le courage de marcher.


Martin évitait toute explication sur ses insomnies chroniques ou leurs causes. On se confessait volontiers au prêtre, parfois de façon très intime, tandis qu’il réservait ses pensées les plus secrètes aux dieux et à eux seuls.

- Quant à votre généreuse invitation, je me dois de la décliner, bien que l’envie de déguster l’une de vos excellentes tisanes me pousse à dire le contraire. J’ai deux autres visites de nature religieuse à honorer, et je n’ai aucune idée du temps que cela prendra.

On pouvait déceler une légère frustration dans sa voix. La tisane n’était pas la raison principale, car Martin était loin d’être un gourmet. Il savait apprécier les breuvages et les plats bien préparés, mais la sobriété lui suffisait amplement.
Par contre, la perspective d’une discussion profondément intéressante avec Violette l’attirait beaucoup plus. Heureusement ou malheureusement, il était conscient qu’en s’engageant dans cette voie, il risquait de rapidement perdre la notion du temps et de les mettre tous les deux dans l’embarras.

- Toutefois, j’espère que nous aurons bientôt l’occasion de nous revoir à un moment plus propice. En effet, vous risquez de me voir – ou plutôt de m’entendre – dans les parages quelque temps, n’hésitez pas à venir me trouver si vous avez besoin d’un service religieux, ou tout simplement pour discuter !

Martin affichait un franc sourire. Sauf imprévu, il reverrait bientôt Violette et Primerose. Peut-être qu’il ferait également la rencontre de leur frère – que le prêtre était curieux de connaître.
Et avec un peu de chance, ou l’aide des dieux, il pourrait leur apporter une aide quelconque. Cet espoir était de loin le plus réjouissant.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyLun 23 Oct 2017 - 7:41
Violette évita l'indiscrétion de questionner Martin sur les raisons de ses troubles du sommeil mais nota la subtile correction qui lui promettait une visite future du prêtre.

- Vous serez toujours le bienvenu répondit l'herboriste avec un nouveau sourire de façade. Elle évita de songer que lors d'une prochaine visite du prêtre, il était possible qu'elle ne soit pas là. Et qu'elle ne revienne pas.

Les trois Levannier vivaient avec cette idée, sans jamais l'admettre ouvertement. Ce risque avait motivé Allister à travailler d'autant plus dur pour finir son compagnonnage le plus vite possible dans l'éventualité désastreuse où il hériterait la charge de sa sœur cadette en l"absence de Violette. Mais si tous y étaient préparés, aucun ne l'acceptaient. Les rudesses de l'existence avaient tissés entre les frères et sœurs des liens très vivaces, et la seule perspective de perdre l'un ou l'autre était inadmissible.

Alors qu'il déclinait son offre, elle dissimula sa déception derrière un de ses masques aimables dont elle avait le secret.

- Je comprends et je ne voudrais pas non plus abuser de votre temps.


Mais intérieurement, elle avait malgré tout espéré qu'il s'attarderait un peu. Peut-être pour lui donner une excuse à ne pas quitter la ville aujourd'hui, même si elle n'était pas fière d'une telle dérobade à ses devoirs. Mais il y avait une motivation plus sincère à vouloir passer du temps à son contact. Martin était une des rares personnes qui ne lui était pas directement proche à la traiter avec déférence et considération hors de son travail. Pour la plupart des Brumeux, Violette était une gamine qui connaissait les soins et les plantes. Son application, sa ténacité et sa minutie lui avaient permis de se faire une place dans le milieu, mais elle luttait à chaque instant pour se forger et maintenir cette réputation. Et son statut de jeune femme célibataire à presque vingt ans n'allait pas dans le sens de lui donner du crédit. La famille d'Ernest Cordonnier n'avait pas été tendre avec elle lorsque le jeune homme avait disparu. Peut-être à cause du chagrin, ils avaient cherché un responsable, et la promise quelque peu rétive du jeune homme endossait à merveille cette fonction.
Des rumeurs peu flatteuse, parfois ouvertement malveillantes avaient commencé à circuler sur le moment, et face à l'absence de réaction de la jeune femme et au passage du temps, les commérages avaient tari, mais le mal était fait. Violette était une de ces "mauvaises filles".

Préférant se concentrer sur la promesse d'une nouvelle rencontre avec Martin, la jeune femme accepta son offre d'un hochement de tête approbateur.

- Je m'en souviendrai et je demanderai après vous avec plaisir.


Ce n'était pas de la flatterie mais de la sincérité. Si Serus le lui permettait, elle aurait une réelle satisfaction à retrouver Martin très prochainement.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyMer 1 Nov 2017 - 8:43
Martin était loin de s’imaginer tout ce que la jeune femme traversait. Il avait appris à écouter, mais pas à lire sur les visages ces signes à peine perceptibles qui trahissent des émotions contenues.
Par conséquent, il ne décela rien du malaise et des hésitations de son interlocutrice, dont les sourires forcés indiquaient que tout allait bien – ou du moins, aussi bien qu’il était possible dans le contexte actuel.

- Je vous remercie encore une fois, et vous souhaite une agréable journée. À bientôt, et que les dieux vous soient favorables !

Tandis qu’il prenait congé, le prêtre pensait déjà à sa prochaine visite, une cérémonie de naissance dans le Labourg. La jeune mère était trop faible pour se déplacer jusqu’au temple – un drame devenu récurrent avec la malnutrition. Elle souhaitait toutefois être présente lors des sacrements, ce qui était bien naturel, et avait donc fait appel à Martin via une chaîne de connaissances.
Qui pouvait dire combien d’années ou de jours vivrait ce nouveau-né ? La mortalité infantile battait également de tristes records, et les sordides funérailles de crémation suivaient parfois de peu la joie d’une venue au monde sous la bénédiction des dieux.

Ces tragédies dont il était régulièrement témoin contribuaient à rendre Martin moins réceptif à la subtile mélancolie des vivants. Non que son cœur se durcisse, mais face à une douleur intense et des larmes déchirantes, un pâle visage au regard inquiet apparaissait presque comme un soulagement.
Quant à une conversation avec Violette Levannier ou sa petite sœur, c’était plutôt le rayon de soleil qui perçait la brume de ce quotidien bientôt hivernal.

Martin s’éloigna confiant de la chaumière, sans se douter des risques que la guérisseuse allait prendre pour récolter ses herbes. Il la voyait peut-être pour la dernière fois.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyMar 7 Nov 2017 - 8:18
La jeune femme regarda Martin s'éloigner sans un mot, préservant son masque souriant et optimiste jusqu'à ce qu'il disparaisse de son champ de vision. Mais dès qu'il fut hors de vue, ses épaules s'affaissèrent et ses traits se crispèrent. Elle était devenue très douée pour faire semblant devant les autres mais la réalité reprenait toujours ses droits lorsqu'elle se pensait seule.
Aucune larme ne coula sur ses joues, elle les avaient toutes versées le jour du décès d'Aveline. Cependant, la détresse qui marquait son visage se doublait de lassitude. Elle survivrait probablement cette fois-ci, sans doute la prochaine aussi, mais jusqu'à combien de temps gagnerait-elle dans ce cache-cache avec le danger?
Elle se massa la nuque et offrit son visage au soleil avec un soupir. Si lasse...

Sans un mot, elle fit demi-tour pour regagner sa demeure, enveloppa le pain remis par Martin dans un torchon propre et le rangea dans la huche. Si elle ne rentrait pas, la subsistance de ses frères et sœurs serait assurée pour au moins quelques jours. Décidant de ne pas laisser l'accablement la ronger, elle endossa sa cape et s'empara de ses affaires. Plus vite elle sortirait, plus vite elle reviendrait.

*
**

Assis devant le côté de la table qui faisait face à la porte, Allister y jetait des regards nerveux entre deux tressages de panier. La journée était bien avancée et Violette tardait plus que d'habitude. S'il était trop tôt pour songer au pire, le jeune garçon n'avait jamais l'esprit tranquille lorsque son aînée quittait seule la ville. Près de lui, Primerose s'affairait aux différentes tâches du soir en évitant délibérément de glisser un regard dans sa direction. Il savait pourquoi.
Elle ne voulait pas voir son inquiétude. L'ignorer lui permettait de ne pas alimenter ses propres angoisses. Ce petit jeu était toujours le même entre eux lorsque Violette était en retard.

- C'est toi qui a ramené ça?

L'adolescent se retourna pour voir sa cadette lui tendre un large pain marqué du signe des Trois. Il secoua la tête en silence, aussi surpris que Primerose.

- Non, et il n'était pas là ce matin...

Primerose observa un instant cette nourriture providentielle, préférant éviter de se perdre dans des interrogations qui l'auraient amenées à d'inquiétantes suppositions et en rompit un morceau pour le repas du soir. Instinctivement, elle n'en avait prélevé qu'une toute petite part, ignorant combien de temps la miche devrait leur durer. La gestion des parts était habituellement prise en charge par Violette.
Retournant à ses préparatifs, elle mélangea le bouillon qui clapotait doucement dans le chaudron au dessus de l'âtre. Jetant coup d’œil par dessus son épaule, elle surprit Allister qui scrutait anxieusement la porte.

- Arrête de faire ça. Elle va arriver, elle est même pas très en retard. Elle est juste partie plus loin aujourd'hui parce qu'elle ne trouve pas toutes les plantes autour de Marbrume, c'est tout.

Mais au delà de son ton tranquille, sa voix perdait en assurance sur certains mots. Allister baissa les yeux sur son travail, réalisant que son panier n'avançait pas depuis plusieurs bonnes minutes. Le silence revint, chargé d'autant de craintes que d'espoirs. Le jour déclinait, et Violette tardait.
Mais il fallait qu'elle revienne.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptySam 11 Nov 2017 - 8:39
La première visite de Martin confirma malheureusement ses plus grandes craintes : le fragile bébé affichait une peau atrocement granuleuse à la teinte violacée. En outre, le minuscule visage se convulsait en d’étranges plis simiesques, semblables aux profonds sillons des vieillards aux portes de la mort.
Le prêtre connaissait bien ces nouveau-nés, qui respiraient toujours assez longtemps pour que l’on s’attache furieusement à eux. Mais jamais plus. Des semaines de pleurs lancinants, suivis de leurs tout premiers rires qui restaient gravés dans les mémoires et les cœurs. Comme la promesse d’une existence émaillée de peines auxquelles succèderait la joie. Mais d’autres joies, il n’y avait point. Seule subsisterait la souffrance de la maladie, d’un corps trop faible pour affronter la rudesse d’un monde désolé.

Ainsi, la cérémonie qui aurait dû être une ode à la vie et à la joie prit la tournure de funérailles anticipées. Nul mot n’avait été échangé sur la santé précaire du nourrisson. Pourtant, la famille déchiffra sur le visage de Martin la confirmation de leurs propres peurs, l’annihilation du mince espoir qu’elle plaçait dans les dieux. Le serviteur de la Trinité conjura Serus de lui insuffler une force vitale qui soulagerait le petit corps ; il supplia Rikni d’épargner à cet être innocent d’inutiles souffrances – à cet âge, la notion même de souffrance utile paraît abjecte - ; il pria enfin Anür de l’accueillir dans ses bras doux et bienveillants quand le moment serait venu.

Que pouvait-il faire de plus ? Martin songea un instant à Violette et ses herbes, mais le défaitisme l’emporta. Aucune herbe ne remplaçait le lait vicié d’une mère trop usée, aucune plante n’avait le pouvoir de restaurer un organisme dégénéré dans ses fondements. Pour de mystérieuses raisons, Anür l’avait voulu ainsi. « La déesse lui a épargné le douloureux avenir qui nous attend », disait-il parfois. Des mots rassurants pour l’âme qui nous quitte, terrifiants pour celles et ceux qui lui survivent.

Les autres visites, moins dramatiques, furent néanmoins entachées par ces sombres pensées. Une attitude dans l’air du temps, puisque la froide saison figeait les visages comme le gel paralysait la végétation dégarnie. L’hiver 1164 avait été le plus tragique de l’histoire, avec ses monceaux de cadavres qui se consumèrent dans les flammes dévorantes du bûcher. Dont la famille de Martin.
Pourtant la vie continuait. Peut-être pas pour longtemps. Le prêtre éprouvait cette terrible certitude que l’hiver 1165 serait décisif, au moins pour lui.

Sa journée finie, il rentra directement au temple pour se réfugier dans la solitude de la méditation.
Une fois encore, le prêtre était en proie à une lutte intérieure que les malheurs du présent et les horribles souvenirs du passé alimentaient. Il espérait retrouver un esprit plus serein avant le lendemain, quand il se rendrait au vieux marché.
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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyMar 14 Nov 2017 - 9:22
Lorsque la porte du logis grinça pour annoncer le retour de Violette, ses frères et sœurs sursautèrent et voltèrent dans sa direction avec un mélange d'espoir et de soulagement. Les Trois leur souriaient encore: elle était de retour.
Il ne fallut cependant pas longtemps à Allister pour déceler que quelque chose n'était pas normal.
Violette resta un instant prostrée dans l'entrée, tournant le dos à l'ouverture d'où béait les ténèbres du début de la nuit. Il y avait quelque chose dans son regard qui alerta son cadet, sans qu'il sache ce qu'il devait en déduire. Sautant sur ses pieds, il se précipita vers elle pour la soutenir.

- Violette, est-ce que ça va?

Elle eut un brusque mouvement de recul lorsqu'il voulut lui prendre le bras, plaquant le membre en question contre sa poitrine sous sa cape avec une expression choquée qu'il ne lui avait jamais vue.
Suivant la scène à distance, Primerose s'approcha à son tour, la mine inquiète.

- Violette?

L'hébétude de leur aînée s'estompa rapidement, comme si elle se réveillait et elle les observa tour à tour, tout en se fermant rapidement pour ne plus laisser apparaître que le visage familier et rassurant de la jeune femme maîtresse d'elle-même qu'elle était toujours en leur présence.

- Excusez-moi, le retour a été éprouvant, et l'obscurité m'a surprise aux portes de la ville... Je me suis fait quelques frayeurs. Mais tout va bien. Retournez vous mettre au chaud.

Sur ces mots, elle referma la porte en évitant de croiser leurs regards, consciente qu'elle ne les avaient certainement pas convaincus ainsi. Primerose obéit un peu à contrecœur, mais Allister resta près de son aînée pour la débarrasser. Pourtant Violette continuait à serrer son sac contre elle, sans donner l'impression d'être prête à le lâcher. Comprenant qu'il n'arriverait pas à obtenir quoi que ce soit de plus de sa soeur, Allister rejoignit Primerose à la table du souper.

A gestes lents et prudents, l'herboriste finit par déposer son bagage près de son orgue à plantes, mais ne prit pas sa place à table.

- Mangez donc tous les deux, je prendrai ma part plus tard, j'ai encore du travail. Certaines plantes ne peuvent pas rester comme ça toute la nuit...

- Tu veux de l'aide? s'enquit la plus jeune, prête à abandonner son bol de soupe. Mais Violette secoua la tête.

- Non, il est tard et tu devrais aller dormir si tu veux pouvoir te lever à l'aube pour le marché demain. C'est valable pour toi aussi Allister. Ne vous inquiétez pas, tout va bien. Mangez et allez vous coucher, je vous rejoindrai dès que j'aurais terminé.

Ils cédèrent de mauvaise grâce et terminèrent rapidement leurs bols de soupes et les corvées du soir avant d'aller dormir. Procédant toujours à gestes lents, Violette triait ses plantes par variétés pour en assembler certaines en bouquets et en effeuiller d'autres pour les sécher. Ce ne fut qu'une fois que les deux plus jeunes quittèrent la pièce qu'elle s'affaissa légèrement. Et que pour la première fois de la soirée, elle écarta les pans de sa cape de laine. La manche droite de sa chemise s'était assombrie d'une tâche pourpre, et malgré le bandage qu'elle avait appliqué à la hâte sur son bras, la trace d'une entaille nette s'y devinait là où le sang avait dessiné une ligne écarlate sur le coton.

Toute à ses inquiétudes à propos des Fangeux et de l'extérieur de la ville, elle en était presque venue à oublier que le danger régnait aussi à Marbrume. Malgré la peur et le choc, elle estimait s'en être tirée à bon compte: ceux qui avaient voulu la détrousser ne se seraient pas contentés de la voler si elle n'avait pas réagi si vite... Elle était consciente que la légère blessure récoltée dans le feu de l'action n'était qu'un moindre mal comparée à ce qu'elle aurait été en droit de craindre. Même si Violette ne valait pas grand-chose sur le plan de la force et sur l'habileté au combat, elle avait ses propres moyens de défense comme avaient pu l'apprécier les deux hommes qui avaient tenté de l'agresser. Elle avait espéré ne jamais avoir besoin de recourir à la poudre irritante qu'Aveline lui avait appris à composer, mais en cet instant, elle bénissait sa mère de lui avoir enseigné cette recette. Ses propres doigts la brûlaient encore là où la peau avait été en contact avec le mélange, mais ce n'était qu'un faible prix à payer pour avoir pu prendre la fuite.

Une froide terreur l'envahit lorsqu'elle songea que ses agresseurs tenteraient peut-être de la retrouver, mais elle chassa cette idée rapidement. Elle s'était assurée de les avoir semés avant de regagner la Grande rue des Hytres.
Avec précaution, elle défit le bandage provisoire et nettoya sa blessure dans la vasque de toilette, prenant soin de jeter l'eau une fois les bandages lavés et la manche de sa chemise pour ne pas inquiéter Allister et Primerose. Puis elle refit un pansement serré après avoir badigeonné la plaie d'un emplâtre végétal. Elle ne voulait rien laisser paraître.
Ses frères et soeurs avaient déjà trop de raisons d'avoir peur.

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MessageSujet: Re: Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre]   Pour le prix de quelques herbes sauvages [Martin Lapierre] - Page 2 EmptyVen 17 Nov 2017 - 4:02
À l’abri derrière les murs épais du temple, les prêtres vivaient inconscients des drames qui se jouaient à l’instant même dans le reste de la ville. Ils n’étaient pas les seuls : à un mètre d’une tête de lit, de l’autre côté d’une simple cloison séparant l’intérieur d’une maison de la rue, pouvait se dérouler une agression dans le plus grand secret. On entendait parfois des bruits suspects, voire des cris, mais qui prenait le risque d’en vérifier la source ? Chacun se terrait dans la sécurité relative de son habitat, ayant beaucoup à perdre et peu à gagner d’un acte secourable. Sa propre vie, la charge de sa famille, un rôle indispensable dans la communauté – tout le monde avait ses raisons.
Quelque part dans Marbrume, une herboriste au cœur innocent était agressée dans l’obscure indifférence de la rue, tandis que sa fratrie se rongeait les sangs dans le logis vidé de sa présence maternelle.

Le sanctuaire de Marbrume se distinguait néanmoins sur un point : aucun drame ne s’y déroulait à l’intérieur. Ou du moins, pas ceux qui rythmaient l’ordinaire d’une population livrée au déclin. Disputes familiales, violences conjugales, autres expressions indicibles de la monstruosité humaine ; là où l’être humain se croyait invisible de ses congénères, il se comportait quelquefois de plus vile façon qu’un Fangeux. L’angoisse et les difficiles conditions de l’époque ne faisaient qu’exacerber ces obscurs penchants. Les Fangeux n’étaient peut-être que la représentation grossière de cette nature dépravée, dont les Dieux pouvaient contempler les séquelles en toute omniscience.

Une partie du clergé souscrivait à cette théorie, qui trouvait également un certain écho au sein de la population. Une déchéance collective qui avait entraîné une punition collective. Certains jours, Martin y croyait également. Et certaines nuits, ces idées le hantaient plus qu’à l’accoutumée. À ces moments-là, il se demandait par quel miracle les gens pouvaient continuer à vivre, à trouver en eux suffisamment d’espoir pour envisager le lendemain, ou assez de joie pour laisser échapper un rire. Inconscience délibérée ou volonté farouche de subsister ? Les deux se confondaient sans doute.

* * *

Le soleil se leva après une nouvelle nuit d’insomnie.
La méditation du soir avait permis au prêtre de chasser les tristes images de la journée, en particulier ce bébé condamné que sa famille pleurerait bientôt. Mais d’autres pensées les avaient aussitôt remplacées, comme si l’esprit de Martin ne pouvait rester longtemps vierge de noirceur. Ce vague à l’âme le fatiguait beaucoup plus que l’absence de sommeil, dont elle était un simple effet secondaire.

Il faisait froid ce matin, mais le prêtre choisit quand même de se rendre au bord de la mer pour y prendre un bain. Combien de fois avait-il espéré – voire prié – qu’Anür l’emporte dans son royaume éternel ? Martin ne savait même pas nager ; il lui suffisait de perdre pied pour disparaître à jamais.
Las, cette fois encore la déesse ne manifesta aucun désir d’accepter son offre. Frigorifié, il se sécha et traîna son corps rougi par le froid jusqu’au temple, crachant ses humeurs tout au long du trajet.

Après un repas frugal et silencieux, Martin s’acquitta machinalement de ses corvées monacales. Le temps s’écoulait beaucoup plus vite, ainsi affairé. Le travail était une merveilleuse occupation qui donnait l’illusion de vivre. D’aucuns diraient : le cadeau empoisonné de Serus à l’humanité.

Sa besogne achevée, le prêtre s’empara de son orphalion et se rendit aussitôt au Vieux marché. Là, il croisa les jambes et s’assit dans un recoin abrité du vent, proche de la chaumière des Levannier. Le musicien amateur se frotta longuement les doigts pour les réchauffer, puis laissa voguer son inspiration sur les cordes de l’instrument.
Une triste mélodie résonnait autour de lui, partiellement recouverte par l’agitation de la vie citadine. Ici comme dans les autres quartiers de Marbrume, la journée suivait son cours habituel, comme si rien ne s’était passé la veille.
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