Noble Escorte pour une fermière VIP [PV Mathilde]

9 mars 1166

Duché du Morguestanc - Plateau du Labret

vingt heures et cinq minutes.

Alexandre était partie tôt ce matin, vers six heures du matin pour être exact, il s'était aperçu que la pluie ne s'arrêtait pas depuis hier soir et il se disait que la réunion sur le navire du capitaine Archibald serait impossible au vu de ce maudit temps … il fallait donc faire autrement … il avait décidé d'envoyer une escorte de deux cavaliers de l'Ordre pour rejoindre les alentours d'Usson quelques heures avant lui et de le ramener illico presto à Marbrume … quant à Alexandre eh bien, il se chargeait de la demoiselle Dumas dont l'héritier de Beauharnais lui avait parlé.

Il était donc partie le 8 mars 1166 à l'aube faisant route pour Usson mais il fallait bien faire des pauses sur le chemin sinon sa pauvre bête qui se prénommait Uriel serait déjà morte soit de fatigue, soit à cause de cette maudite boue aussi bien causée par les marais que par cette pluie qui ne s'arrêtait pas et cela commençait à agacer Alexandre au plus haut point !

Il s'était donc arrêté à Sarrant pour le reste de la nuit , il avait était hébergé par des gentils paysans qu'il avait croisé … ils ne lui avait rien demandé en retour mais Alexandre avait décidé de leur offrir quelques pistoles pour cet hébergement non prévu … il avait même bien dormi, aussi bien qu'on le pouvait en trois heures et il avait reprit sa montée vers Usson à quelques heures du crépuscule car il avait besoin de quelques provisions pour le voyage du retour … les paysans avaient fait du mieux qu'ils pouvaient pour lui donner de quoi substituer pour une journée et il n'avait pas envie de faire plus que nécessaire, il serait arrivé bientôt.

Le système de surveillance du Labret était presque « compétent » … 'fin pour des humains, il avait du montrer patte blanche pour pouvoir pénétrer le Plateau … 'fin après c'était peut être parce que Alexandre avait décidé d'aller en ligne droit et … chose mystérieuse, il n'y avait pas eu d'attaque de Fangeux contre sa personne mis à part les éléments qui eux sévissaient, pas de mordeurs aux alentours et c'était étrange, ils avaient l'habitude de sortir par ce temps pourri mais qu'importe, il pénétra sur la terre promise et partit au galop vers la ferme des Dumas d'après les indications de l'ancien maître de l'écu d'azur et d'après ses dires … il valait mieux se présenter avant de mettre un sabot sur ses terres.

Il galopa jusqu'à une bâtisse et il vit une ombre au loin … pensant que c'était probablement un Fangeux, il décida de sortir son épée du fourreau et de s'approcher … puis pour être sûr il haussa la voix … oui, autant éviter de se prendre une flèche dans la tronche surtout pour servir d'escorte à une demoiselle.

« Mathilde Dumas ! Le Vicomte Alexandre, Seigneur de Terresang et Maître Dirigeant de l'Ordre de l'Astre d'Azur demande votre hospitalité pour la nuit ! »

Comme chaque jour, après une journée bien remplie, Mathilde célébrait le soir venu avec un bol généreusement garni des produits de ses champs. Les carottes ne croquaient plus sous la dent, mais cuites, elles révélaient des saveurs décuplées par les premiers gels de l'automne. Seule dans sa chaumière, elle tournait le dos au feu qui achevait de la sécher. Après les pluies de mars viendrait le temps des semailles. Certains voisins avaient déjà commencé, mais Mathilde savait que la plupart des semences pourriraient à cause de l'eau. La nature lui avait appris la patience. Il ne fallait pas se hâter et savoir repousser l'envie de courir aux champs dès les premiers rayons du soleil du printemps.

Encore une semaine. Les semences étaient prêtes, triées, elle en aurait plus qu'assez. Si l'Ordre acceptait l'accord pré-établi avec le sieur de Beauharnais, il faudrait travailler vite et bien pour déployer tout le potentiel des champs. Jusqu'ici, elle était sans nouvelles, ce qui n'était pas étonnant compte tenu du fait qu'il fallait deux jours pour rallier la ville.

Mathilde sourit. La pluie battante faisait exactement le même bruit que lorsqu'elle laissait s'écouler une poignée de semences dans un sac. Depuis toujours, elle en aimait le son et la sensation au toucher. Elle se figea. Entre les gouttes, un autre son lui parvenait de l'extérieur. Un cheval, et ce n'était certainement pas sa grosse jument. Plus léger. Il approchait.

Le coeur battant, elle saisit son arc et mit son carquois au dos, après en avoir tiré une flèche. Une arrivée, après le coucher du soleil, n'était jamais une bonne nouvelle. Elle avait déjà eu affaire à des voleurs. Le mois dernier, ils étaient partis avec Marguerite, mais la brave jument était du genre aussi têtue que sa maîtresse et était revenue, deux jours plus tard. A en juger les traces de sang sur ses sabots, les voleurs n'avaient pas eu l'occasion d'apprécier la docilité de la bête. Étaient-ils de retour? Elle prit une grande inspiration pour retrouver un semblant de calme, et ouvrit la porte.

L'air était froid et chargé d'humidité. La pluie tombait, mais ne masquait pas le pas du cheval, désormais tout proche. Elle encocha sa flèche et se tint prête.

- Qui va là?

L'ombre qui se dessinait dans l’obscurité trahit la présence d'un seul cavalier. Mathilde faisait dos à la porte, elle pourrait aisément rentrer se mettre à l'abri s'il décidait de charger. Si seulement le ciel était dégagé, elle pourrait mieux le distinguer à la lueur de la lune. Un mouvement. Par les Trois, il tirait une épée! La respiration de Mathilde s'accéléra.

« Mathilde Dumas ! Le Vicomte Alexandre, Seigneur de Terresang et Maître Dirigeant de l'Ordre de l'Astre d'Azur demande votre hospitalité pour la nuit ! »

Le Vicomte, de nuit, sur sa ferme. L'étranger la prenait-elle pour une imbécile? Elle éclata de rire.

- Sans escorte, de nuit, sous une pluie battante, un noble se pointerait comme une fleur sur ma modeste ferme plutôt que de loger dans le confort de l'auberge d'Usson? Me prends pas pour une gourde. Range ton épée, approche lentement et décline ton identité. Un pas de travers, un mensonge, et tu es mort, c'est bien clair?

Ni l'eau qui coulait maintenant le long de son visage, ni la nervosité qu'elle ressentait, ni l'air froid qui la faisait frissonner, ne détourneraient la flèche qu'elle destinait à l'intrus. Pour appuyer sa menace, elle banda son arc, prête à laisser filer son trait quelque part entre le front et la gorge de l'étranger.

Bon … c'est que la gueuse n'avait pas tort … pourquoi un noble viendrait risquer sa peau sous une telle pluie pour venir jusqu'ici ? Oui, ça c'est vrai, pourquoi ? Alexandre n'avait pas vraiment la réponse, il n'avait pas réfléchi sur le coup lorsqu'on lui avait dit que la réunion sur le navire serait impossible, il avait décidé de mener une des deux escortes pour amener la demoiselle à bon port et c'est ce qu'il fait non sans avoir était accueilli par un arc et des flèches … et le noble n'avait rien trouvé de mieux que de sortir son épée qui devait se voir à plusieurs mètres.

Il se mit à soupirer, se désarmer … hm. D'accord. Il rengaina alors son épée longue à son côté et descendit de cheval … la selle était glissante et … il avait vu juste, il ne put faire en sorte que sa prothèse retienne les rênes car quelque chose fit peur au jeune Uriel sûrement Mathilde qui les visait de son arc et le pauvre homme glissa de sa selle, tomba sur le côté gauche malgré sa prothèse, il ne sut pas faire face et se retrouva crotté de partout … il eut une violente douleur dans le bras où il avait était amputé il y a à peine deux ans.

Il se releva difficilement sous les hennissement de Uriel qui avait décidé de se moquer d'Alexandre, il leva alors un seul bras en signe de reddition et s'approcha doucement, le bras blessé coller à son buste … il avait une terrible douleur dans le bras comme si des décharges électrique lui secouait le bras mais il saurait faire face.

Le vieil homme chauve s'était donc approché de l'archère … il lui sourit alors doucement mais c'était plus une grimace qu'en autre chose … il avait terriblement mal en fait.

« Seigneur Alexandre, Vicomte de Terresang et Maître Dirigeant de l'Ordre de l'Astre d'Azur, vous en connaissez beaucoup des vieux chauves qui se trimballent en armure de cuir sous la pluie? »

L'étranger semblait rengainer son épée, bon début. Mathilde ne relâcha ni son attention, ni la tension de son arc. Pourquoi descendait-il de sa monture? Ce n'était pas du tout ce qu'elle lui avait demandé. Sous les yeux de Mathilde, la silhouette sembla vaciller et... tomber lamentablement au bas de sa monture en panique.

Elle ne broncha pas. Dos à la porte, elle ne comptait pas s'exposer pour venir en aide à un voleur. Voleur qui montait un cheval. Et qui avait une épée. Oh elle n'en avait pas vu la facture, mais elle tout à coup elle se prit à penser que des voleurs avec des épées et un cheval, ça ne courait pas les rues. Ce genre de pillards n'avait d'ailleurs aucun intérêt à se risquer de nuit sur sa ferme où il n'y avait pas grand chose à voler.

L'homme approcha. Mathilde renonça à le menacer une nouvelle fois tandis qu'il s'approchait, crotté à souhaits. Mais elle le tenait toujours en joue, bien que la distance qui les sépare se soit réduite à peau de chagrin. Chauve. En armure. Une seule main. Par tous les...

« Seigneur Alexandre, Vicomte de Terresang et Maître Dirigeant de l'Ordre de l'Astre d'Azur, vous en connaissez beaucoup des vieux chauves qui se trimballent en armure de cuir sous la pluie? »

- Tudieu! Mais qu'est-ce que vous fichez là dehors à une heure pareille?!

Bonsoir mon seigneur eut sans doute été plus approprié, avec une révérence, suivi d'une ouverture de porte, d'une autre révérence et... Mais non. Mathilde relâcha son arc, remit sa flèche dans son carquois et s'encourut... vers le cheval, pour en attraper les rênes, le calmer et l'emmener au pas de course vers l'écurie.

- Rentrez donc à l'intérieur, j'arrive!

Elle disparut dans l'écurie et ôta la selle du destrier et le brossa rapidement, mais avec soin. Elle cura les sabots, puis laissa la bête libre de s'abreuver et de casser la croûte avec Marguerite, la grosse jument. L'opération n'avait pris que quelques minutes, mais tout le monde savait qu'un cheval bien traité était un cheval fiable. Et au Labret, un cheval fiable pouvait sauver la vie de son cavalier.

Mathilde ferma l'écurie et attrapa, en passant à côté du puits, un seau d'eau. Enfin, elle rentra dans la chaumière où le Vicomte, tout aussi trempé qu'elle, tentait de se réchauffer près du feu. Pendant tout ce temps, elle avait pensé aux milles façons de s'excuser pour son accueil, mais n'avait pas trouvé la formulation adéquate.

- Quel temps! Votre monture n'en souffrira pas, je l'ai laissée à l'écurie. Vous avez chuté lourdement, est-ce que ça va?

Elle posa le seau par terre, rangea son arc à côté de la porte et suspendit son carquois au clou. Un coup d'oeil sur l'intérieur de la chaumière la rassura : au moins, tout était en ordre.

*Je voulais cueillir des pâquerettes*

pensait alors le Vicomte avant de partir vers l'intérieur de la chaumière dont la chaleur lui donnait envie de s'endormir sur le champ … bon sang, si il avait su que cette mission allait se finir ainsi – crotté jusqu'aux pieds et trempés jusqu'aux os- il aurait envoyé un autre homme s'en charger … et il n'avait aps tort la gueuse c'était complètement inconscient d'être venu par ce temps.

La fermière rentrait alors dans la chaumière à la chaleur si douce et si brutale en même temps … comparé au temps dehors, il n'aurait pas tardé à faire un choc thermique mais qu'importe, cela lui faisait du bien malgré la douleur lancinante qui lui rappelait que jouer avec les éléments n'étaient pas super bien surtout quand il y avait une pluie battante et des Fangeux dehors mais qu'importe, ainsi c'était ça la maison de la fermière du Labret que le Beauharnais avait vanté les mérites ? Bien, au moins contrairement à sa maîtresse, elle était accueillante.

Alexandre attendait donc que Mathilde finisse de mettre à l'abri sa monture et revenait aussi sec … 'fin aussi trempée plutôt pour s'enquérir de l'état de santé du vicomte qui avait lourdement chuté de son cheval … ce n'était vraiment plus de son âge ces cabrioles, il pouvait se permettre de les faire à 20 ans mais à 42 ans … il était bon à commander des hommes dans les arrières lignes ou à écrire de la paperasse … ce qui ne l'empêchait pas d'aller au devant du danger face aux Fangeux ! On ne pouvait pas lui retirer cela au moins.

Il grimaça légèrement à l'évocation de son bras puis remarqua que du liquide rouge sortait lentement de la prothèse en bois… plus sérieux que ça ne devait l'être.

« Je crois que la dague qui se trouve dans ma prothèse s'est légèrement sortie de son moule ou alors c'est le moule qui est sortie de son inclinaison … j'en sais rien… »

Aussi bien que le pouvait un homme qui avait un mal de chien à bouger son bras, il enleva son armure de cuir détrempée … bon sang, ces élancements allaient le rendre dingue, en dessous de celle-ci il avait une tunique de lin toute simple noire mais on voyait bien que celle-ci commençait à être engorgée de sang … génial… si il devait perdre son bras pour avoir fait la connerie de venir jusqu'ici, il allait faire un malheur. Il regarda alors la fermière puis fit des gestes lents pour retirer sa tunique … il ne fallait aucunement forcer sur la prothèse au risque que la dague à l'intérieur se déclenche et seuls les dieux savaient où elle se trouvait maintenant.

Il était donc torse nu dans une maison qu'il ne connaissait pas, exposant sa musculature encore -bien que atténuée par la vieilesse- formée par des années de travaux aux champs et d'une vie au combat, il portait les stigmates de son initiation en tant que commandant des armées frontalières sur le dos représentaient par des stries blanches, marque déposée par le fouet depuis l'An 0 et il y avait l'ingénieux système de la prothèse fabriqué par un médecin de Marbrume, des ficelles s'étendaient sur tout le bras pour retenir une prothèse en bois gantée représentant une main artificielle … du sang s'écoulait doucement et il demanda de l'aide à la demoiselle pour qu'elle retire les ficelles retenant le membre artificielle.

« Allez y doucement s'il vous plait, je ne veux pas qu'une dague me perfore autre chose que cette prothèse. » Puis il observa la chaumière, assez simple, plus que suffisant pour une femme seule … hm, il comprenait pourquoi elle tenait à son indépendance surtout si cinq ouvriers devaient venir squatter chez elle … il voyait l'intérêt d'un quelconque investissement.

« Vous accueillez toujours les gens avec une amabilité digne d'un Fangeux, mademoiselle Dumas ? » demanda t-il tout en sautant toute les étapes de l'hôte et du demandeur de gîte.

Mathilde observa un instant le noble, interdite... Puis elle se ressaisit. Si son père avait été là, il aurait reçu le Vicomte et l'aurait envoyée préparer de l'eau chaude et chercher des linges propres pour nettoyer la blessure. C'est donc ce qu'elle fit. Elle versa un peu d'eau dans un récipient qu'elle plaça sur le feu, puis sortit un drap de lin propre d'un coffre.

« Je crois que la dague qui se trouve dans ma prothèse s'est légèrement sortie de son moule ou alors c'est le moule qui est sortie de son inclinaison … j'en sais rien… »

Mathilde ne répondit pas. Elle préférait se taire et aider le Vicomte à se départir de son armure, qu'elle éloigna du feu. Le cuir et la chaleur ne faisaient pas bon ménage. Elle en profita pour ôter son châle, trempé, et remonter ses cheveux en un chignon rapide et sans forme. Sans toucher à la prothèse, de peur de faire mal à son invité, elle l'aida à ôter sa tunique, et la mit de côté. Elle la nettoierait plus tard.

Elle prit soin de passer un linge propre sur les épaules et le torse du Vicomte, pour le sécher. A n'en pas douter, elle accueillait un homme qui avait combattu presque toute sa vie... et qui aujourd'hui ne souffrait pas de la faim. Toujours en silence, elle s'appliqua, avec toute la délicatesse du monde, à défaire les ficelles retenant la prothèse, qu'elle prit finalement pour la déposer sur la table.

« Vous accueillez toujours les gens avec une amabilité digne d'un Fangeux, mademoiselle Dumas ? »

Mathilde planta son regard naturellement sombre dans celui du Vicomte.

- Non mon seigneur. D'habitude je tire d'abord, et ensuite, si l'intrus survit, je pose des questions. On va soigner ça, c'est pas bien grave.

Elle lui sourit. Le ton qu'elle avait employé était léger, mais sa réponse était d'une franchise sans appel. Il avait eu de la chance, et par la même occasion, elle aussi. Si elle avait appliqué sa règle habituelle, elle aurait été bonne pour l'échafaud. Elle détourna le regard et saisit un second linge propre, le trempa dans l'eau désormais chaude, et s'appliqua à nettoyer la plaie en douceur. C'était superficiel, mais elle savait que sur un moignon, la douleur était amplifiée.

- Votre épaule, ça dit quoi?

Elle écouta sa réponse tout en plaçant un pot près des flammes pour en ramollir le contenu.

- J'espère que vous n'avez pas d'objection contre les remèdes naturels. Je n'ai pas envie de me risquer sur les routes pour vous ramener un soigneur d'Usson. De toute façon, le soigneur en question est un charlatan qui n'est bon qu'à hâter la mort.

Alexandre s'était mis à sourire même si il avait envie de rire à la remarque de la fermière et à sa spontaneité à répondre du tac au tac avec un ton pince sans rire, cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu une pareille franchise devant lui sûrement parce que la demoiselle était une personne du peuple et il se fichait bien de savoir sa condition, elle était humaine avant tout.

La demoiselle s'occupait donc de sécher l'homme blessé, il avait un mal de chien, l'entaille semblait peu profonde et quand elle enlevait enfin les ficelles qui retenait la prothèse Alexandre sentit un poids qui disparaissait, la prothèse en était un oui et en fin de journée quand il l'enlevait cela lui faisait un bien fou et cette sensation était bonne … et là à cet instant il en soupirait presque, il vit alors que sa main artificielle trônait sur la table et détourna son regard de celle-ci pour observer le moule sur son moignon surmonté d'une main gauche … il avait vu juste l'un des traits fin de la dague s'était déclenché et il avait égratigner le côté gauche de son avant bras.

Egratigner était un bien petit mot, en fait, il y avait un trait fin mais assez profond qui avait était dessiné par cette dernière … qui aurait cru que son arme secrète pouvait se retourner contre lui mais qu'importe, il sentait aussi que son bras lui faisait un mal de chien, il y avait toujours ces élancements incommensurable, il espérait seulement qu'il ne s'était pas brisé le bras, il n'était pas guérisseur mais il pensait qu'il ne s'était que déboîté ce dernier … du moins il l'espérait.

« Mon épaule me hurle que j'aurais dû rester sur ma monture ou même mieux rester chez moi et envoyer un cavalier vous chercher. » Il l'observa alors faire sa popote et eut un demi sourire, la vie au Labret était si dur ? « ça sera bien mieux comme ça, j'suis peut être un vieux croulant mais j'ai encore de bonnes années devant moi… » Il attendit quelques instants puis poursuivit. « Vous n'avez pas envoyé de requête aux autorités trinitaires ou ducales pour demander un nouveau guérisseur plutôt que cet homme ? J'imagine que la vie ici est assez difficile alors si en plus votre guérisseur est incompétent ... »

« Vous n'avez pas envoyé de requête aux autorités trinitaires ou ducales pour demander un nouveau guérisseur plutôt que cet homme ? J'imagine que la vie ici est assez difficile alors si en plus votre guérisseur est incompétent ... »

Mathilde tira le pot à elle et y trempa une aiguille. Elle souffla sur la résine pour la refroidir légèrement.

- Une requête? Non, je vous avoue que je n'ai même pas eu le temps de songer à l'éventualité de le faire. Les derniers mois ont été mouvementés. Et puis j'ai pas l'habitude de me plaindre. Si quelque chose ne fait pas mon affaire, je me débrouille pour m'en passer. Bougez pas.

Elle appliqua délicatement la résine sur la plaie et en rapprocha les deux bords pour les coller. Elle maintint la pression quelques instants tout en parlant.

- Résine de pin. Mon père a soigné tous me bobos comme ça. Ça fait de belles cicatrices. Il va falloir vous passer de main artificielle le temps que ça guérisse. Vous savez, quand on travaille aux champs on est toujours sujet à des petits maux, alors on apprend à se soigner sans guérisseur. Du thym, du miel, de la résine, ou parfois simplement du temps et du repos.

Elle regarda son travail, d'un air satisfait. Son regard remonta le long du bras pour s'arrêter sur l'épaule, plus basse que l'autre. Elle fit une petite moue en se souvenant de la fois où Philibert s'était royalement cassé la figure depuis le toit, et où elle avait eu à assister son père pour remettre l'épaule en place. Il avait eu mal, et était resté immobilisé pendant une semaine.

- Vous savez, j'ai souvent pensé à ce moment où j'aurais la chance de vous parler en personne. Jamais je n'aurais cru que cela se passerait de la sorte. J'espère sincèrement qu'un jour nous pourrons en rire. En attendant, faut que je remette cette épaule en place.

Elle disparut un instant dans une pièce adjacente, plongée dans l'obscurité, et en revint avec une épaisse couverture de laine qu'elle plaça sur le sol.

- Allongez-vous messire, au plus vite ce sera fait, au mieux ce sera pour votre épaule.

Avant que la demoiselle ne puisse mettre son remède miracle sur la blessure du Vicomte, Alexandre enleva délicatement le moule surmonté d'une dague « main gauche » ce travail d'orfévre avait était réalisé par Théodren Hilaire, un médecin qu'il avait particuliérement apprécié pour son franc parler et pour son professionnalisme … il mit le moule sur la table en compagnie de sa sœur la prothèse qui voulait ressembler à une main et laissa alors la demoiselle s'occuper de sa vilaine blessure.

Il n'avait pas l'habitude d'être frileux mais l'effet de la résine sur sa peau lui arracha un frison, il n'aimait pas ce genre de chose … les remèdes de grand-mère, les antidotes, les potions … il n'était pas superstitieux ou presque, il savait que si quelque chose était sur terre c'était pour une simple et bonne raison alors que les prêtres hurlent sans cesse à l'hérésie quand un remède voit le jour, Alexandre voit plutôt que c'est un don des dieux … et il avait une totale confiance entre les mains de la fermière même si il était tomber de sa monture après avoir voulu descendre de celle-ci parce que mademoiselle avait décidé de l’accueillir comme si c'était émigré qui avait voulu forcer les murs.

Dumas observa alors l'épaule du Vicomte … oui, il le sentait aussi et cela lui donnait encore plus envie de picoler comme un trou. Il avait envie que cette douleur disparaisse et surtout remonter le temps pour dire à un messager de prendre la route pour ramener Mathilde Dumas à la Résidence, mais bon … lui et son esprit du devoir !

Il eut alors un petit sourire quand la fermière lui évoqua le fait qu'elle rêvait de le voir et qu'elle imaginait une autre façon de discuter … en fait Alexandre se disait qu'il aurait pu faire mieux que de se pointer ici en pleine nuit, il aurait dû venir le matin même au moins les deux visages auraient bien était visible et ils ne serait pas là actuellement entrain de discuter de cela comme d'un regrettable accident.

Elle le laissa alors seul pendant un instant, il regardait toujours sa prothèse … trahit par sa meilleure amie, en fait il se rendait compte ce que cela faisait et ce que ressentait Adélaïde … oui comparer sa situation avec celle de sa belle sœur et ancienne amante était un euphémisme, ce n'était pas comparable pour un rond. Il sortit de ses rêveries lorsque Dumas revenait avec une couverture de laine qu'elle plaça sur le sol … bon … Il se leva alors et eut un petit sourire moqueur.

« Vous préférez la place de la dominatrice ou celle de la soumise ? »

Voyant que sa blague n'aurait peut être pas l'effet escompté, il se tut en faisant un signe de fermeture sur ses lèvres toujours avec ce sourire entre celle-ci puis se mit à s'allonger se préparant au pire.

« Essayez de ne pas me briser le bras, je l'aime bien. »

Si Mathilde avait pu lire les pensées du noble, elle lui aurait sans doute distribué une paire de claques et lui aurait rappelé qu'il était le seul responsable de ses blessures, faute de ne pas avoir écouté correctement ses demandes. Sans doute eut-elle ajouté qu'elle n'était pas une auberge, et que sa condition ne lui permettait normalement pas de l'héberger. Par chance pour le Vicomte, Mathilde ne lisait pas dans les pensées des gens.

« Vous préférez la place de la dominatrice ou celle de la soumise ? »

Mathilde haussa un sourcil et sourit.

- Je suis certaine que vous avez déjà votre opinion sur le sujet, monseigneur. Et si ce n'est le cas, dites-vous que dans quelques secondes vous serez littéralement à mes pieds.

Son sourire s'étira tandis qu'elle lui laissa le soin de s'allonger. Mathilde se demanda si le Vicomte tâtait le terrain ou s'il essayait simplement de la mettre mal à l'aise, pour le plaisir.

« Essayez de ne pas me briser le bras, je l'aime bien. »

- Je comptais seulement l'arracher, monseigneur. Plus de bras, plus de problème.

Dire ça à un amputé. Bravo Mathilde, pour le tact et la délicatesse, on repassera. Elle rit, nerveusement, et changea de sujet.

- Vous avez de la chance, il me reste de quoi vous faire manger pour oublier votre mésaventure. Détendez-vous et respirez profondément.

Elle se déchaussa, s'assit à côté de lui et saisit son bras pour le placer dans l'angle voulu. Pour se donner une meilleure chance, elle plaça son pied nu, et probablement froid, au niveau des côtes du Vicomte, avant de tirer progressivement sur le bras. Son regard allait de l'épaule au visage du noble, guettant les signes de douleur. Cloc. L'articulation bougea. Elle cessa la traction pour ramener le bras sur le torse de Terresang. Mathilde prit le temps de tâter l'épaule pour s'assurer que le travail était bien fait, puis aida le Vicomte à se relever et à s'installer sur une chaise.

Quelques minutes plus tard, elle lui avait passé une chemise ayant appartenu à son père et avait immobilisé l'épaule en plaçant le bras en écharpe contre le torse du noble, et se retrouvait maintenant attablé avec une généreuse portion de ragoût de lapin et un bon lait chaud.

- Cette épaule devrait pouvoir servir encore une petite quarantaine d'années si vous la gardez au repos quelques jours. Excusez-moi, je reviens.

Elle monta à l'étage, et en redescendit quelques minutes plus tard vêtue d'une robe de lin bien semblable à la première, mais sèche.

- Alors, monseigneur, que me vaut l'honneur de votre visite?

Elle avait du répondant la fermière, on ne pouvait pas lui enlever cette qualité et Alexandre aimait les femmes qui ne se laissaient pas faire … ça relevait du challenge de devoir se faire écouter, il n'était pas du genre à s'entourer d'une mondaine oisive sans saveur … en cela, il ressemblait au Comte de Rougelac et eut un sourire intérieur à cette pensée, maudit ruffian … il avait un point en commun avec cette ordure qui allait devenir son beau-frère.

Cette pensée au Comte de Rougelac lui fit presque du bien quand il sentit les pieds de la demoiselle qui étaient aussi glacials que l'était le temps dehors … cela lui arracha un frisson mais cette pensée avait presque fait oublier la douleur ce qui n'empêcha pas Alexandre d'avoir une grimace de douleur puis carrément un portrait de douleur … il était en nage, l'articulation lui faisait un mal de chien ! Ah ! Voilà ! C'est le moment de lâcher un petit cri de chien battu ! Cela faisait bien devant une femme du peuple, un noble qui montrait qu'il avait mal … n'était-il pas un élu des dieux pour gouverner ? Un élu ne devait pas avoir mal normalement mais qu'importe, sa vie n'était faite que de souffrance et celle-ci n'était rien en comparaison à sa vie entière.

Il s'était donc installé à une chaise devant une table, il avait froid et le contact des pieds de la fermière n'avait pas arrangé els choses … il ne manquerait plus que cela qu'il attrape la mort alors qu'il voulait faire bonne impression et venir en personne pour escorter une personne qui serait importante pour l'Ordre. Il enfila alors la chemise que la donzelle lui avait apporté et attendit quelques instant avant qu'elle ne revienne avec une robe toute fraîche pour commencer le repas qu'elle avait si généreusement offert au Vicomte.

« Le temps s'est gâté et notre réunion du 11 mars devait se passer sur un navire … par ces intempéries nous ne pouvons donc plus venir vous chercher directement, elle se passera donc à ma Résidence à Marbrume et je suis votre escorte. »

Il attendit alors la réaction de la fermière avec un large sourire puis pris un morceau de lapin qu'il trouvait délicieux, il fondait sur la langue et lui qui n'aimait guère cette viande trouvait cela plutôt bon ... peut être parce qu'il crevait la dalle !

"Guérisseuse du dimanche, fermière hors pair et bonne cuisinière ... êtes vous mauvaise dans un domaine ?"

De son côté, Mathilde s'installa à table pour terminer l'assiette qu'elle s'était préparée, avant l'arrivée du Vicomte. Il avait semblé avoir un peu souffert, plus tôt, mais ce n'était probablement pas la première fois, et certainement pas la plus intenable des douleurs compte tenu des cicatrices qu'elle avait pu voir sur le haut de son corps. Elle l'écouta en silence et ne s'interrompit que lorsqu'il fit mention qu'il venait la chercher en personne.

- Quel dommage, je n'ai jamais mis le pied sur un bateau. Pour être honnête je ne m'attendais pas à vous voir ici. Soit j'ai laissé une terriblement forte impression au sieur de Beauharnais, soit vous doutiez du portrait qu'il vous a fait et vous avez préféré venir voir de vos propres yeux. Quoi qu'il en soit, c'est un honneur que d'être escortée par le fameux Vicomte de Terresang. Quoique vu votre blessure, il se peut que je sois celle qui assure votre sécurité.

Bon, il souriait et devait être fier de son petit effet, alors elle n'avait pas pu résister à une petite pointe, pour le plaisir. Mathilde se demanda s'il comptait faire le tour de chaque paysan en lien avec l'Ordre. Elle en doutait fortement, il devait avoir d'autres chats à fouetter. Alors pourquoi avait-il pris la peine de faire la route et de prendre de tels risques pour l'insignifiante petite fermière qu'elle était, tout en bas, ou presque, de l'échelle de la société? Il changea de sujet, mais elle ne manquerait pas d'y revenir.

- Vous avez oublié de vanter mes qualités d'archère, bien que vous ayez la chance de ne pas en avoir fait les frais. Ma beauté naturelle, et ma grande humilité aussi. Je suis néanmoins très mauvaise épouse à en juger par mon premier mariage. Les Trois ne l'ont pas béni d'un enfant, et les fangeux se sont chargés d'écourter la vie de mon époux. Au Labret, il se dit que la veuve Dumas restera seule à cultiver la terre qu'elle chérit plus que la vie.

Elle sourit. En son for intérieur, Mathilde espérait ne pas subir la pression de la société et s'épargner un autre mariage. Le premier avait été un sacrifice auquel elle avait consenti pour faire le bonheur de son père. Mais son père était mort, et elle ne savait pas si quelques membres de la fratrie avaient survécu. Plus personne ne pouvait exiger d'elle de s'unir à un homme et de lui laisser diriger sa vie.

Malgré son manque d'éducation total en matière de bonnes manières telles qu'on les pratiquait dans les hautes sphères, Mathilde savait se tenir à table. Bien qu'une femme, en temps normal, n'eut pas été admise à table lorsqu'un noble était accueilli dans une demeure, elle considérait qu'en étant la seule et unique gérante de l'exploitation, elle pouvait tenir le rôle de maîtresse de maison et finir son repas en compagnie du Vicomte. Une fois son repas fini, elle essuya sa bouche et prit une grande inspiration pour enfin déclarer ce qu'elle avait sur le coeur.

- J'espérais depuis longtemps pouvoir vous dire quelque chose d'important, en personne. Elle planta son regard étrangement intense dans celui du Vicomte, assis face à elle. Je vous suis profondément reconnaissante d'avoir contribué à la reprise du Labret, Vicomte. C'est un peu grâce à vous si j'ai pu retrouver la ferme où j'ai grandi et en redémarrer l'exploitation. C'est endroit est toute ma vie. Vous pourrez l'apprécier demain matin et comprendre que notre accord sera fructueux.

Elle sourit. Était-ce les flammes qui se reflétaient dans ses yeux noisettes, ou y avait-il réellement une étincelle d'émotion sincère dans le regard de la veuve?

La fermière lui avouait qu'elle n'avait jamais pris le bateau et qu'elle doutait qu'elle se sentirait bien sur ce dernier … il savait que les voyages sur navire étaient éprouvants même sur de petites distances surtout pour les personnes ayant la santé fragile, il en avait fait les frais il y a fort longtemps lorsqu'il avait entamé son premier périple maritime à 8 ans, il avait accompagné son seigneur de père pour rencontrer un seigneur séculaire, le voyage s'était terriblement mal placé et il avait était malade tout le long alors il savait mais quelque chose enleva le sourire du seigneur quant à cette pensée, c'était la demande d'information de la femme des champs … pourquoi Aymeric de Beauharnais avait décidé de ne pas venir ? Eh bien, la réponse était simple.

« L'Héritier Comtal Aymeric de Beauharnais ne fait plus partie de l'Astre d'Azur, pourquoi, me demanderez vous ? Eh bien pour une affaire ne concernant pas l'Ordre mais bien mes propres affaires familiales mais j'aurais pu envoyer quelqu'un d'autre pour vous escorter je ne l'ai fais uniquement pour moi … cela faisait bien longtemps que j'avais pas galopé ainsi à travers la campagne et ne vous y méprenez pas, madame … je suis certes blessé mais les blessures qui ne tuent pas rendent plus fort, regardez ma main je l'ai remplacé par quelque chose de plus utile. »

Oui, Alexandre en avait marre de rester prostré derrière un bureau, il voulait battre la compagne comme dans sa jeunesse, comme avant le fléau, il en avait marre d'être pris pour un vieillard qui ne pouvait rien faire, il n'avait que quarante deux années ! Et il savait encore tenir une arme ! Alexandre avait décidé que même son meilleur ami, le commandant de sa garde n'aurait pas son mot à dire quand à cette expédition et puis il avait envoyé une autre escorte pour le Damboise.

Il se mit à sourire quand la fermière évoqua ses autres qualités mais ce dernier disparu à l'évocation de son mariage raté et de la mort de son époux … Alexandre ne pouvait que la comprendre, certes son premier mariage avait était une réussite, au début arrangé il était devenu d'amour et en avait résulté une fille qui était aujourd'hui au rang des disparus … si le pauvre Alexandre savait que cette dernière se trouvait dans une taverne à une vingtaine de minutes d'ici, il en serait tout jouasse mais il ne le savait pas !

"J'ai moi même était marié par deux fois, une fois par pure politique qui s'est fini par être un mariage d'amour ... nous avons donné naissance à une jeune demoiselle mais je les ai perdu en 1164 lors de l'affaire de Sarosse ... j'ai retrouvé ma tendre épouse en Fangeux et j'ai dû mettre fin à ses souffrance, quant à ma fille je ne l'ai pas retrouvé. Il but une gorgée de son verre de lait puis reprit."Mon second mariage était également un arrangement et il s'est fini par la répudiation de la dite épouse après avoir couché avec un autre noble dans les jardins ducaux ... dîtes vous que vous n'êtes pas le seul qui a des rumeurs sur le dos mais on s'y fait."

Il finissait de mangeait en compagnie de la jeune fermière et il s'arrêta quand elle lui annonça qu'elle voulait lui dire quelque chose … déjà il voulait lui dire d'arrêter de l'appeler Vicomte mais il attendit quelques instant que la demoiselle finisse. Alors ainsi, malgré sa maigre participation à la reprise du Plateau, on reconnaissait le fait d'armes au Terresang, c'était un honneur de l'avoir fait mais c'était également surtout pour redorer son blason suite à l'entachement qu'il avait subit lors du sommet des nobles mais il l'avait fait surtout pour aider le peuple qui mourrait de faim, sinon à quoi bon l'Ordre servirait ?

Il finissait sa dernière bouchée de son repas avant de finir également le verre de lait qu'elle lui avait servi puis il reprit avec une fine moustache blanche.

« Appelez moi Alexandre, je vous prie mademoiselle Dumas, nous sommes entre nous. Quant à à la reprise du Labret, je n'y ai fais que contribué parmi tant d'autres nobles et miliciens, je n'ai fais que mon devoir envers le peuple et envers le Duc mais vos remerciements me vont droit au coeur, je verrais donc votre paradis demain matin … néanmoins sachez que nous devrons partir à la huitième heure du matin, notre réunion se déroule dans l'après midi du 11 mars et j'ai fais venir des hommes de confiance de l'Ordre directement d'Usson pour camper devant votre ferme et ainsi la préserver de tout danger. »

Il observa alors la demoiselle au regard troublé, elle semblait ému par cette rencontre et Alexandre se disait que le partenariat avec elle serait des plus fructueux ... mais cette rencontre semblait cacher autre chose, il eut un léger sourire.

"Vous n'allez pas à verser une larme pour avoir rencontré un vieux chauve manchot qui glisse de selle à la première pluie ? Parce que sinon, je peux vous en apporter un directement d'Usson."

Les hommes et la crise de la quarantaine. Il n'était pas le premier à vouloir prouver que même d'âge mûr, il était encore bon à quelque chose. Elle sembla un peu déçue à l'annonce du départ d'Aymeric de Beauharnais de l'Ordre. Il lui avait fait une bonne impression, celle d'un homme droit, honnête, réfléchi et franc. Le vicomte était franc, lui aussi, mais semblait un peu plus impulsif. Viendrait-il renégocier l'entente préétablie?

- Vous savez Vicomte, sur la fin de sa vie, mon père en faisait moi sur la ferme, mais il continuait de la diriger et de me transmettre son savoir. Le fait qu'il ait ralenti sur les efforts l'a sans doute préservé quelques années de plus, ce qui lui a permis de me faire bénéficier de la sagesse qu'il avait acquise tout au long des années. N'eut été de sa maladie, il serait probablement là à converser avec vous. Je ne dis pas que vous êtes vieux, mais... battre la campagne pour vous jeter aux pieds d'une humble fermière n'est peut-être pas la meilleure façon de prendre soin de vous.

Elle avait terminé sa phrase avec un sourire impossible à masquer. Elle se sentait à l'aise, après tout ils avaient laissé tomber les convenances et cérémonies habituelles dès l'arrivée du Vicomte sur sa terre. Néanmoins, Mathilde gardait une attitude respectueuse.

- Je suis désolée pour votre fille. Je vous souhaite d'un jour connaître son sort. J'imagine que quelque part au fond de vous subsiste un maigre espoir qu'elle ait survécu et qu'elle vive, quelque part, à l'abri du danger et du besoin.

Décidément, il avait le chic pour n'être qu'un homme. Et voilà qu'il lui proposait de l'appeler par son prénom. Mathilde contint un soupire. Entre gens de même condition, il était normal d'user des prénoms, mais de Terresang était loin d'être un paysan, et Mathilde devait respecter l'ordre des choses.

- La huitième heure? Hm. Vos gens sont-ils en mesure de s'occuper de menues tâches en mon absence? Arthur, mon aide maraîcher, passe tous les jours et pourra s'acquitter du plus gros du travail. Encore faut-il que je puisse le prévenir. Si nous partons un peu plus tôt, j'aurai le temps de m'arrêter à Usson pour le mettre au courant.

"Vous n'allez pas à verser une larme pour avoir rencontré un vieux chauve manchot qui glisse de selle à la première pluie ? Parce que sinon, je peux vous en apporter un directement d'Usson."

Mathilde éclata de rire, un rire chaleureux. Le tableau qu'il venait de dresser était d'un implacable réalisme.

- Non, monseigneur, épargnez-vous cette peine. Je ne verserai pas de larme, je veux juste vous dire que ce que vous avez fait par devoir a contribué à donner un sens à mon existence, sens que j'avais perdu durant notre exil. Pardonnez-moi si je ne peux me résigner à vous appeler par votre prénom. Même crotté, blessé et à demi nu, vous restez le Vicomte de Terresang, et je demeure Mathilde, simple fermière.

Elle lui sourit, se leva et ramassa la vaisselle.

- Avec votre permission, je vais préparer votre paillasse pour la nuit et me retirerai dans l'écurie.

Le repas était sur le point de finir alors que les deux personnes aux caractères et à la situation sociale bien différente l'une que l'autre parlaient comme si il n'y aucune barrière sociale. Alexandre n'était pas un noble comme les autres, il avait toujours était proche du peuple et il exécrait certains nobles pour justement ce manque d'intérêt à ceux qui les nourrissaient depuis aussi loin que l'on se souvienne. En fait, il se disait que les nobliaux auraient beaucoup à apprendre de ceux-là et … le Vicomte avait eu le loisir d'apprendre à leur côté, il n'avait donc aucun mal à comprendre la jeune femme.

Le noble prenait en compte ce que lui disait la jeune femme, oui, il avait besoin de se sentir vivant, battre la campagne comme si il avait vingt ans, pourfendre des bandits ! Allez à la chasse aux dragons qui gardaient une princesse … quoi ? Ça n'existe que dans les contes ? Oui, c'est vrai… mais cela importait peu ! Il avait besoin de se sentir utile et être le cul sur une chaise toute la journée a rédiger des missives, ça l'emmerdait ! Mais il comprenait les mots de la demoiselle.

« Mes hommes sont très capables, pour la plupart ce sont eux aussi des fermiers, des enfants de paysans mais même si ils me servent aujourd'hui, ils n'ont pas oublié leur apprentissage. Nous pourrons partir pour la sixième heure si cela vous convient … cela m'arrangerait pour tout vous dire, je ne voudrais pas être en retard pour notre réunion. »

La demoiselle se mit en tête que Alexandre allait rester assis sans rien faire et en plus qu'il allait coucher dans l'unique paillasse de la propriétaire des lieux … il fallait qu'elle arrête de croire que le Terresang était un noble comme les autres. Il lui prit alors le bras de sa main valide, il ne força pas loin de là, juste ce qu'il fallait pour qu'elle s'arrête puis il mit ses prunelles grises dans le regard de la paysanne.

« Je suis blessé dans une ferme sans aucune forme de distinction de mon rang, ce qui me différencie du peuple c'est que j'ai une épée, que je sais lire et écrire … mais ce que j'ai en commun avec la masse c'est que je saigne, Mathilde Dumas. »

Il se leva alors de tout son long, observant la jeune femme avec un grand sourire mais il enleva son étreinte de son bras.

« Je suis humain, j'ai peut être était choisis par les dieux pour diriger mais je reste humain comme vous l'avez démontré il y a quelques secondes, je peux me faire mal, je peux être souillé, je suis un humain et je ne suis pas si différent de vous… j'ai même la ferme intention de croire que vous pouvez m'apprendre encore des choses. »

Il lui prit alors de son membre valide, la vaisselle des mains et en allant la déposer il déclara :

« Je ne dormirais pas sous votre toit uniquement parce que vous croyez que vous me devez une faveur, je suis l'invité, je dormirais donc dans l'écurie en compagnie de ma monture qui doit encore se foutre de ma gueule. »