Lame rouillée en toute amitié [PV Erwan]

Elle me regardais d'un air bizarre, les joues roses, avant de finir par dire quelque chose. Ses yeux faisaient une sorte de yoyo étrange dans ma direction, à tel point que je me demandais si je n'avais pas une trace de quelque chose quelque part.
Elle dit avoir eu peur de me déranger, de ne pas vouloir me presser. C'est louable, m'enfin, ce n'est pas comme si j'étais en train de prendre un bain. Je me gardais de faire cette réflexion. Son petit rire me rassurait, il n'y avait rien de grave.


Non, tu ne me dérangeais pas, comme tu le vois j'avais presque terminé.

Sa chemise avait mal supporté son sursaut et exposait un peu plus ses épaules. Je me perdis quelques instants sur cette peau délicate, me remémorant le moment où je l'avais tenu contre moi la veille. Certes la raison de cette accolade, je m'en serais passé, mais je ne serais clairement pas contre recommencer.
Elle me souriais maintenant franchement, confirmant de fait qu'il n'y avait pas l'ombre d'un malaise. Je répondis à son sourire alors qu'elle s'aperçue de sa chemise baillante. Se dépêcher de vêtir quelque chose de plus convenable? Quel dommage!
Euh!... Hum! Erwan!
Elle me frôlait en passant, disant que si elle ne remédiait pas à cela, je l'accuserais encore de me distraire, propos qu'elle appuya d'une pichenette sur mon nez.
J'eu un sursaut de la tête, ne m'attendant pas à cette vile attaque sournoise! Je laissais échapper alors le fond de ma pensée... Ce qui n'était peut-être pas une bonne idée...


Pour ce qui est de me distraire, c'est trop tard, tes épaules n'arrêtent pas de m'observer depuis tout à l'heure!

Je me flagellais déjà d'avoir dis cela.
Non mais franchement! Et le savoir vivre Erwan? Hmm?
Je secouais la tête, entendant un gros plouf dans la pièce d'à côté. L'eau dans la marmite était bien chaude maintenant, j'y jetais une poignée de menthe et remuais lorsque j'entendis une petite voix hésitante derrière moi.
Je me retournais pour trouver une Claire en tenue officielle mais aux cheveux délicieusement lâchés.
Erwan!!!
Je marquais un temps d'arrêt, imprimant cette délicate vision sur mes rétines avant de secouer la tête, encore!
Une chute de cuir? Du fil? Mais que... Aaah! Son cordon à cassé.

Euh! Pardon, oui, je devrais avoir cela, assoies toi, j'arrive.

Je fis un aller-retour à l'atelier pour revenir avec une cordelette en chanvre tressée. Je l'avais faite par un bel après-midi, assis devant mon magasin et, j'y avait enfilé une petite perle d'acier brillante, une petite chute qui traînait. Durant mes recherche, mon esprit me jouait des tours. Il fit une superposition d'image, me montrant la demoiselle épaules à l'air et cheveux coulant dessus. Je dus fermer les yeux bien fort avant de retourner dans la cuisine pour la trouver assise, espérant chasser ces images.
Sans succès!


J'ai ça, cela devrait faire l'affaire. Je te le donne.

Machinalement, je saisis doucement ses longs cheveux et alors que j'allais former un chignon, je m'arrêtais. Je lâchais ses mèches lentement et posais la cordelette sur la table.

Désolé, je n'aurais pas du, je suis toujours un peu mal réveillé, même si je suis matinale.

Mal réveillé? Pfeuh! Loin dans tes rêves plutôt oui!
Pour ne rien arranger, mon cerveau s'acharnait à mon montrer le souvenir des épaules de la jeune-femme et à réclamer une accolade.

Pour ce qui est de me distraire, c'est trop tard, tes épaules n'arrêtent pas de m'observer depuis tout à l'heure!

Clervie s'était figée pendant trois secondes lorsqu'il avait jeté cette phrase dans son dos de son ton le plus taquin. Ouh, le vilain ! Elle avait alors pouffé de rire avant d'aller faire sa toilette. Quand elle revint et lui demanda gentiment de quoi attacher ses cheveux, il la pria de s'asseoir et retourna rapidement dans son atelier.
Il en revint avec quelque chose d'un peu mieux que ce à quoi elle se serait attendue. En effet, c'était une délicate cordelette tressée, sur laquelle il avait fixé une petite perle de métal brillant. Un bel objet, même dans sa simplicité, la perle luisant de beaux éclats argentés. Certes, ce n'était pas là quelque chose de coûteux, mais Erwan l'avait tressé lui-même et son coeur fit un bond lorsqu'il lui offrit d'un ton un peu bourru. Les mains du forgeron plongèrent dans ses cheveux pour attacher le bijou, elle frémit doucement, sans se dégager cependant. Etrangement, elle aima sentir ses mains caresser sa chevelure, fourrager dans sa nuque.
Mais Erwan, se rappelant visiblement les convenances, suspendit son geste en s'excusant et posa l'objet devant elle. Elle le gratifia d'un sourire.

Merci. Elle est plus belle que l'ancienne...

C'était un objet si simple, et pourtant, pour une raison que Clervie n'était toujours pas prête à admettre, cette petite cordelette eut à ses yeux une valeur inestimable.
Voyant qu'Erwan semblait toujours un peu embarrassé, elle ajouta :

Tu n'as pas à t'excuser.

Etrangement, elle n'arrêtait pas de repenser au moment où elle s'était blottie contre lui la veille. Dans l'espoir de calmer un peu ses ardeurs, elle noua de nouveau ses cheveux en chignon. La perle, suspendu à une extrémité de la tresse de chanvre, pendit doucement en-dessous de son oreille une fois ajusté, attirant le regard sur sa nuque fine. Elle vit qu'Erwan la dévorait des yeux et de nouveau, elle ressentit également une étrange envie de se rapprocher davantage de lui, de l'embra...

Clervie !!!

Cette fois, la claque mentale ne fonctionna qu'à moitié. Elle ne réussit en effet pas à retenir la phrase qui monta à ses lèvres.

Bizarrement, je ressens une certaine réticence à devoir retourner aussi tôt à la caserne. Il faut croire que tu n'es pas le seul de nous deux à être distrait...

Ses joues rosirent. Bon, trop tard, elle l'avait dit. Par les Trois ! Décidément, son coeur et son cerveau étaient en... complet désaccord sur l'attitude qu'elle devait avoir avec Erwan.

J’étais soulagé qu’elle se mette à pouffer après que j’ai osé dire que ses épaules m’avaient déjà distrait. L’espace d’un instant, j’avais craint que cette remarque ne soit mal interprétée.

Pour la suite, lorsque j’avais attrapé ses cheveux pour les relâcher immédiatement, mes joues s’étaient embrasées. Ce fut pire encore puisqu’elle m’offrit un sourire. Je ne savais plus où me mettre. Etait-ce un sourire moqueur ? Cela n’y ressemblait pas. Mais… ?

Mais alors que je tergiversais, elle me remerciait et trouvait le nouveau cordon plus joli. Je ne pus, à cette annonce, retenir un sourire de contentement.
Puis, enfin, elle affirmait que je n’avais pas à m’excuser. Je poussais presque un soupir de soulagement.

Je…J’espère que ça t’ira.

Je ne pouvais alors pas détacher mon regard d’elle pendant qu’elle nouait ses cheveux en un chignon. Au fur et à mesure la peau de son cou, de sa nuque ainsi que la naissance de ses épaules, m’apparaissait délicatement. J’avais pris mes distances mais une furieuse envie de me rapprocher me tiraillait.

Alors que je faisais de mon mieux pour détourner le regard, ce qui fut un échec cuisant, une phrase passa ses lèvres fines.
La suite de mots qu’elle venait de prononcer fit quatre fois le tour de ma cervelle tandis qu’elle rougissait de l’avoir prononcée. Enfin, je réalisais la portance de son annonce. Je voulue dire quelque chose mais bafouillais au point de ne même pas comprendre moi-même ce que j’avais dit.
Allons bon ! Cela devient ridicule là !
Je secouais brièvement la tête, oui, encore !

Je…

Je ne terminais pas le fond de ma pensée et me contentais de combler les deux pas qui me séparaient d’elle. Je lui faisais face, debout, tandis qu’elle demeurait assise. Je plongeais mes yeux dans les siens avec, dans le regard, une expression profonde de tentation et de respect…Bon, surtout de tentation…

Je levais une main et viens la poser à la base de son cou, effleurant en douceur sa peau du bout des doigts. Je les laissais glisser vers sa nuque tandis que je frôlais son oreille de mon pouce, bousculant la perle d’acier.

Je devrais retirer ma main !
Oui, évidemment.

Ce n’était pas une bonne idée !
Non, surement pas.

L’aimer aller compliquer bien des choses !
Oui, sans aucun doute.

Mais j’ai envies de l’embrasser !
Euh ! Tu dérive Erwan !

Je réussis à me frapper mentalement pour ne pas dire n’importe quoi.

Tu es vraiment belle, évidemment que je suis distrait. Cela ne tiendrait qu’à moi, je pense que je t’embrasserais… !

Quoi ??? C’est ça ne pas dire n’importe quoi ? Par les Trois, mais c’est du délire là !
Et voilà que je me retrouve presque planté là, la main dans sa nuque, la bouche entre-ouverte, les joues en feu, à ne pas savoir quoi dire pour m’excuser de tenir un tel propos.
La lâcher ne me vient même pas à l’esprit.

Il est des moments où, que vous le vouliez ou non, le coeur et la raison se battent en duel. Et bien souvent, le coeur finit par l'emporter.
Si deux ans plus tôt, vous aviez dit à Clervie que la petite tocade qu'elle éprouvait pour son damoiseau ne mènerait nulle part et qu'elle était loin encore de savoir à quel point les tourments du coeur pouvaient pousser à des actions que l'on n'imagine point, elle aurait ri. Elle vous aurait répondu que les nobles ont le sens du devoir et de l'honneur par-dessus tout, et que l'on apprend dès le plus jeune âge à contrôler ses élans et ses envies. Qu'en dépit de sa tendre affection pour Gwendal, elle aurait su ne pas consentir à l'épouser si pour une raison ou une autre, son père avait jugé qu'il n'était point un parti convenable. Pas plus qu'elle n'aurait imaginé tomber sous le charme d'un forgeron aux paumes calleuses et à l'air grincheux, qui était les trois quarts du temps couvert de poussière jusque dans les cheveux.
Mais l'amour se moque de la classe sociale, se moque de votre situation délicate, se moque complètement que vous ayez juré de lui fermer la porte. C'est en effet le pire des bandits. Il est invisible, il ne s'annonce pas. Si vous ne le laissez pas entrer par la porte, il entrera par la fenêtre. Et il s'emparera de votre âme, ne vous laissera point une minute de repos. Vous garderez toujours un certain libre arbitre, vous pourrez toujours combattre votre inclination, mais tôt ou tard, elle finira par l'emporter.
Clervie se demandait encore comment elle avait pu laisser échapper une parole aussi inconvenante. Et elle n'eut guère le temps de rectifier le tir. Déjà, le jeune homme avait franchi l'espace qui les séparait encore, pour poser une main tendre sur son cou. La caresse lui arracha un tel frisson qu'elle en eût la gorge nouée, alors que la perle d'acier se déplaçait légèrement. Son coeur tressauta lorsqu'il avoua soudain :

Tu es vraiment belle, évidemment que je suis distrait. Cela ne tiendrait qu’à moi, je pense que je t’embrasserais… !

Fais-le...
Clervie !!!

Erwan... articula-t-elle d'une voix tremblante.

Ce fut elle qui se rapprocha de lui. Elle posa tendrement une main sur sa joue, se noya dans les prunelles noires enflammées de passion de son ami. Il ne bougea pas, elle réalisa qu'il n'osait pas y croire, ou peut-être craignait-il de l'effrayer. A vrai dire, elle-même tremblait sous le coup d'une certaine appréhension, malgré le désir qui fourmillait dans ses veines. Doucement, son nez vint effleurer celui du forgeron, elle ferma les yeux. Leurs souffles devinrent erratiques, les lèvres de la jeune femme s'entrouvrirent alors que son nez frottait doucement celui d'Erwan.
Puis, au moment où il allait sûrement céder à la tentation, elle recula, la gorge serrée par une brusque angoisse.

J'ai été blessée, Erwan.

Les mots jaillirent de sa bouche avant qu'elle ne pût les retenir. Elle avait presque envie de pleurer. Même ce simple baiser, elle ne savait pas si elle était capable de lui accorder. Le souvenir d'un de ses pires traumatismes était toujours bien présent, et il ne s'en irait pas aisément. Décidément, même si elle parvenait à éliminer les problèmes qui rendaient selon elle ce genre de relation impossible, resterait tout de même celui-ci.

Comme il semblait un peu intrigué, se demandant sûrement si elle parlait d'une blessure physique ou psychique, elle trouva le courage de poursuivre.

Juste après... la mort de ma famille... je n'avais nulle part où aller, personne pour m'aider. J'ai erré et... je me suis perdue dans les bas-quartiers. Deux types m'ont suivie...

Elle s'interrompit. Elle vit soudain les prunelles d'Erwan se noircir encore davantage, comme sous l'effet d'une colère contenue. Il avait déjà deviné cette partie de l'histoire par son attitude lors de leur première rencontre, se la voir confirmer n'ôtait rien au fait qu'il devait la trouver révoltante.

Je me suis défendue comme j'ai pu, mais ils m'ont rouée de coups et quand ils en ont terminé, j'étais plus morte que vive. Une courtisane, une femme de mauvaise vie comme certains disent, mais avec plus de coeur que la plupart de ceux que l'on nomme des honnêtes gens, a eu pitié de moi et m'a sauvée la vie ce jour-là. Serus m'a fait la grâce de ne pas tolérer que la graine de leur crime infâme germe en moi. Mais... depuis...

Elle avala sa salive.

J'ai toujours tenu tous les hommes à distance. Le jour de mon arrivée à la milice, j'ai failli écharper un de mes camarades avec ma dague car il me suivait en faisant des plaisanterie très graveleuses et désagréables. Si à un moment, tu as pensé me déplaire, j'en suis désolée. Je ne te hais pas, Erwan. Et depuis tout ce temps... tu es le premier avec lequel j'ai pu souhaiter... une certaine... proximité. J'imagine que cela représente... un premier pas.

Le sourire qu'elle eut était un peu triste, elle regrettait d'avoir dû reparler de cet événement douloureux, mais elle ne voulait surtout pas qu'il s'imagine que son rejet de dernière minute était de sa faute, ou qu'il l'avait offensée d'une quelconque manière. En réalité, elle se sentait soulagée de l'avoir dit. C'était mieux que de laisser de stupides malentendus s'imiscer entre eux comme cela avait failli être le cas la veille.

Mon prénom fut murmuré puis une main douce se posa sur ma joue, m'électrisant de pied en cape. Claire se rapprochait dangeureusement de moi. Qu'est-ce qu'il m'avait pris de dire cela, bon sang!
Ridicule, je suis tout bonnement ridicule.
Et pourtant, quelque chose dans son regard... Je ne disais pas un mot, immobile.
Puis, délicatement, elle vient caresser mon nez du sien, me faisant frémir. Son souffle se mêlait au miens, tous deux saccadés, tous deux en proie à une profonde anxiété. Moi, la crainte d'avoir poussé le bouchon trop loin et, elle... Ben je ne sais pas! 
Je fermais les yeux, gravant en moi cette tendre caresse qu'elle me faisait, jusqu'à ce qu'elle ne s'interrompe brusquement.

Les quatre mots qu'elle prononçait alors me firent l'effet de coups de poignard. Si je l'avais blessé, pourquoi avoir posé sa main sur moi? Pourquoi avoir tendrement appuyé son nez sur le miens?
A moins que...
Je n'eu pas le temps de partir plus loin dans mes délires qu'elle commençait d'elle même à me raconter une partie de son histoire.
Immédiatement, je compris que la veille j'avais vu juste. Les Dieux m'en sont témoins, j'aurais tant voulue me tromper.
Mais les humains sont ainsi. Certains sont de purs saletés, des ordures qu'il faudrait lâcher dans la fange. J'avais entendu plusieurs clients parler de connaissances proches ou lointaines ayant subient ce genre d'atrocités. Certaines en étaient mortes. A chaque fois, j'avais eu envie de vomir. Comment pouvait-on infliger cela à une personne?

Je ne disais pas le moindre mot, écoutant son récit, gravant chaque mot dans mon esprit, me conditionnant. Ma main n'avait pas quitté son cou mais ne bougeait pas non plus. Elle attendait, comme moi, elle attendait un signe.
Je percevais la douleur de la jeune-femme dans ses mots, son désarroi, sa honte aussi. Sa peur n'était qu'une défense pour ne pas retomber dans les griffes de tels individus.

Puis, vinrent ses dernières paroles. Celles-ci me réchauffèrent le coeur comme si elle venait d'allumer un fourneau en dessous. Je n'entrais pas dans la catégorie des hommes à haïr, mieux, il semblait que j'avais été intégré à un cercle des plus restreins.
Puis, à sa dernière phrase, mon palpitant fit un looping.

Je ne la quittais pas des yeux, affichant en réponse un sourire triste mais heureux en même temps. Un air plein de tendresse à son encontre. Je m'accroupis devant elle, la main toujours sur sa nuque, prenant l'une des siennes dans l'autre.

Claire, je te remercie du fond du coeur de t'ouvrir à moi ainsi. Tu me fais confiance et c'est là la plus belle des choses. Ton histoire est mon secret, sois en assurée. Je ne t'en reparlerais pas, sauf si tu en exprime le besoin. Sache que je ne te juge aucunement, tu es une victime. Je ne verrais jamais en toi une fille facile. Et je puis t'assurer d'une chose, jamais je n'aurais ce comportement vis-à-vis de toi.

Je lui souriais sincèrement, approchant un peu mon visage.

Considère que je réponds à ton premier pas par la positive.

Je posais doucement mon nez contre le siens, je ne sais pas ce que nous avions avec les nez, mais passons.

Je suis tout disposé à t'ouvrir mon coeur et à te laisser venir à ta guise, à ton rythme. Si c'est ce que tu souhaite également.

Quand elle eut terminé le douloureux récit, Erwan s'accroupit auprès d'elle, afin de se mettre à sa hauteur. Sa main n'avait pas quitté son cou, et il attrapa doucement l'une des siennes. La petite main de Clervie se loga dans sa paume calleuse avec un naturel surprenant et elle sourit, alors que le forgeron la regardait avec toute la tendresse du monde dans ses yeux noirs. Il la remercia d'avoir partagé ce pan douloureux de son histoire avec lui et à son tour, rapprocha son visage du sien.

Considère que je réponds à ton premier pas par la positive.

Il frotta son nez contre le sien avec une grande douceur. Ses lèvres étaient tout près, tentatrices. L'angoisse dominait encore le désir, mais elle se sentait étrangement apaisée.

Je suis tout disposé à t'ouvrir mon coeur et à te laisser venir à ta guise, à ton rythme. Si c'est ce que tu souhaite également.

Elle demeura quelques instants sans parler, savourant juste la chamade de leurs souffles entremêlés, encore hésitant. Sa main libre alla de nouveau caresser le visage du jeune forgeron et elle murmura :

Je le sais bien, que jamais tu ne me traiterais d'une telle sorte. Je l'ai plus vite compris que tu ne peux le penser.
Avec ta tête de trois pieds de long lorsque je t'ai adressé la parole la première fois, et le fait que tu tenais une barre de fer à la main avec l'air d'être prêt à l'abattre sur le premier bougre dont la tête ne te reviendrait pas, j'admets que tu n'inspirais, à première vue, guère la sympathie. (elle rit doucement) Mais étant donné que j'arbore le même genre de faciès devant la plupart de mes chers camarades de la milice, je sais voir ce qui peut se cacher derrière.

Elle avait asséné cette petite moquerie avec énormément de tendresse dans la voix. Elle voulait qu'il sache qu'elle aussi était capable de voir au-delà des apparences. Et surtout, elle lui faisait comprendre que tout en lui, absolument tout l'interpellait.

J'ai perçu ta douceur, ta bonté et ton désir de partage. J'ai compris quel genre d'homme tu étais et lorsque tu m'as ouvert les portes de ta maison, je me suis sentie en confiance. Mon coeur m'a portée vers toi dès cet instant. La preuve...

Elle s'écarta pour tirer de son corsage la petite dague argentée, que le jeune homme n'avait pas encore vue.

Elle ne me quitte jamais. Au dortoir encore moins. Beaucoup des conscrits ne sont guère dignes de confiance, comme tu peux l'imaginer. Hier, la première chose que j'ai faite après que tu m'aies conduit devant la chambre que tu m'avais attribuée a été de l'enlever. Quelque chose que je n'avais encore jamais fait depuis un an. Je n'en voulais pas, auprès de toi. Mon coeur savait que je n'aurai jamais besoin de la pointer sur ton cou. Si je l'ai équipée là, maintenant, c'est uniquement parce que je ne vais pas tarder à sortir. Si elle doit jaillir en ta présence, ce sera pour défendre ta vie. Car je suis désormais milicienne et je protégerai toujours les citoyens. Et pour répondre à ta dernière question...

Elle la rengaina avant d'entourer doucement le visage du forgeron de ses mains. Puis, avec une immense tendresse, elle posa un baiser sur son front. Et un deuxième sur sa joue, avant de murmurer à son oreille :

... Oui Erwan, je le souhaite.

Dehors, le soleil commençait à se montrer. L'heure de se séparer était proche.

Je restais accroupi devant elle, mon nez contre le sien, appréciant cette tendre proximité. Je pouvais humer son parfum en silence. Puis elle vient caresser mon visage, effleurant ma joue avec douceur.
Et alors elle parlait.

Chose rassurante déjà, elle n’imaginait pas un instant que je puisse me comporter tel une ordure, ni avec elle, ni avec quiconque. En effet, je ne suis pas de ces hommes-là.
Puis elle abordait la réticence que je pouvais inspirer au premier abord. On m’avait déjà fait remarquer en effet, que je paraissais souvent ronchon, bougon ou autrement peu avenant, même si une fois que l’on m’avait approché, on s’apercevait que je ne mordais pas.
Visage contre visage, je fermais les yeux tandis qu’elle affirmait avoir perçu ce que j’étais au fond de moi, derrière cet air taciturne. Elle confirmait la confiance qu’elle me portait avant de s’écarter.

Je l’observais alors sortir de son haut une petite lame. J’affichais un air interrogateur, non pas sur la présence du poignard, mais sur l’emplacement de son rangement… Je ne résistais pas à laisser s’échapper un petit sourire. Je repris vite contenance en écoutant les paroles de la jeune-femme.
Et elle m’apportait là l’ultime preuve de la confiance qu’elle me portait. Se séparer de cet objet rassurant en ma présence, chose qui lui était inenvisageable autrement, était on ne peut plus parlant.

Mon cœur tambourinait dans ma cage thoracique alors qu’elle amorçait la réponse à ma question. Elle se saisie de mes joues, libérant sa main, venant déposer un baiser sur mon front rugueux et sur ma joue. Je fus parcourus d’un frisson de plaisir sous la tendresse de son geste. Puis, dans un murmure, elle prononçait les mots que j’espérais.
Je ne pus parler immédiatement, me contentant de doucement poser ma joue contre la sienne. Ma main, sur sa nuque, glissait tendrement sur sa peau, l’autre remontant sur son épaule.

Je me reculais alors, plongeant mes yeux sombres dans les siens, un regard brillant de passion.

Je viens alors délicatement poser mes lèvres sur son nez, embrassant ce dernier avec douceur. Je viens ensuite le caresser du miens, sentant ses lèvres proches, si proches.
Je ne savais quoi dire, quoi répondre, si tant est qu’il y ai une réponse ou un mot à dire.

Je viens alors frôler ses lèvres des miennes, mélangeant nos soupirs. Une brève caresse labiale fiévreuse, avant de me replier, nos nez toujours l’un à l’autre.

Et, dans un souffle :

Je n’ai qu’une seule question à te poser sur ton passé.

Je résistais à l’envie de l’embrasser de nouveau, ce qui fut terriblement frustrant, mais je tiens bon.

Claire, est-ce ton vrai prénom ?

Erwan glissa une main dans sa nuque, avant de plonger ses yeux noirs emplis de passion dans les siens. Clervie sentit son coeur rater un battement, alors qu'il déposait un baiser tendre sur son nez. Puis tout doucement, il chercha sa bouche. Leurs lèvres s'effleurèrent en un baiser tout tendre, comme la caresse d'un papillon. Caresse qui incendia le sang de Clervie. Par les Trois, elle était complètement sous le charme de cet homme. Ce baiser était très léger, pourtant, elle était au bord de la déraison. Totalement ennivrée, elle entrouvrit ses lèvres, prête à le laisser goûter à l'arôme de sa bouche. Leurs souffles se mélangèrent.
Mais déjà, Erwan avait légèrement reculé, comme s'il hésitait à son tour. A quoi pouvait-il bien songer ?
Et soudain, il murmura une question à laquelle elle ne s'attendait pas.

Claire, est-ce ton vrai prénom ?

La gorge de Clervie se serra. Même cela, il l'avait lu en elle ? Par les Trois ! Jamais elle n'aurait imaginé...
Je ne peux pas lui dire. Cela le mettrait en danger.
La question qu'il venait de lui poser concrétisait ses pires craintes. Comment résoudre ce dilemne ?
Puis, finalement, elle décida de lui répondre.

En fait, c'est plus un diminutif, admit-elle en le regardant dans les yeux.

C'était vrai. Gwendal l'utilisait. Et à présent qu'elle y réfléchissait... Comment tolérer qu'Erwan utilisât son nom d'emprunt, lorsqu'elle lui avait ouvert son coeur ? Il avait raison sur un point, peu importait le passé, peu importait le rôle qu'elle était obligée de jouer. Ces moments qu'ils avaient passé ensemble, ce baiser qu'ils venaient d'échanger, c'était tout ce qu'il y avait de plus vrai, de plus réel. Rien ne pouvait remettre en question ce qui était entrain de se passer entre eux.

Je n'utilise plus mon prénom. Il appartient à un passé que j'ai choisi d'enterrer, Erwan. Mais...

Elle sourit soudain :

Rien que pour pouvoir ne serait-ce qu'une fois t'entendre le murmurer, je vais te le dire.

Une fois de plus, elle transgressait les règles qu'elle s'était imposées. Par les Trois... C'était une très mauvaise idée !
Mais il aurait été vain d'essayer de s'en empêcher, de refuser cette ultime faveur à celui qui venait de s'emparer de son coeur en seulement une journée...

Et enfin, elle souffla dans le creux de son oreille :

Clervie. Je m'appelle Clervie, comme le joyau de la mer de la chanson...

J’attendais sa réponse, peu importe laquelle d’ailleurs. Si d’aventure ce n’était pas son prénom originel mais qu’elle ne souhaitait pas me le délivrer, cela n’aurait rien changé. Peut-être était-ce quelque chose que j’aurais du préciser.

Nous étions nez-à-nez, au sens propre du terme, tandis qu’un énième silence planait sur nous. Je ne voulais pas la brusquer, mais, au fond de moi, j’avais besoin de savoir.
Elle avoua alors, d’une voix douce, qu’il s’agissait d’un diminutif, une sorte de pseudonyme.
Après une courte pause, elle continua en expliquant qu’elle ne l’utilisait plus, qu’il était enterré avec les restes de son passé. Elle était une autre maintenant. Pour pouvoir avancer. Pour pouvoir vivre malgré l’horreur.

Elle se reculait brusquement, affichant un sourire sincère et presque aguicheur. Le cadeau qu’elle me fit alors, était le plus magnifique. C’était comme si, face à moi, la Claire actuelle et l’ancienne, toutes les deux, me harponnaient le cœur. Elles acceptaient toutes les deux ma présence sincère et vraie à leurs côtés.
Elle voulait m’entendre prononcer son vrai prénom. Elle s’approcha alors de nouveau de moi, ses lèvres effleurant mon oreille.

Il me parvient alors, comme une vague de tendresse, comme un souffle, une brise.
Clervie !
Ainsi donc Claire s’appelle en réalité Clervie.
Pour moi, elle est Clervie.
Aux oreilles du monde, elle est Claire.

Je poussais doucement son menton de ma tempe avant de plonger dans ses pupilles, affichant un sourire doux.
Je ne tombais pas dans les classiques « quel beau prénom, quel dommage de ne pas l’utiliser ». Non, ce genre de phrase est ridicule. Elle ne se fait pas appeler autrement par plaisir.

La tenant par la nuque et par l’épaule, je la fis se lever, me redressant dans le même temps. Nos corps se touchèrent avec la légèreté d’une plume tandis que je ne la quittais pas des yeux.
Je lui parlais alors d’une voix normale, bien que ma gorge soit nouée d’émotion.

Clervie !

Puis, me penchant à son oreille, je murmurais.

Sois la bienvenue dans mon cœur, Clervie !

Bienvenue dans mon cœur ? Pourquoi ne pas avoir utilisé la formule habituellement admise ?
Parce que je suis moi, et que je ne suis pas une communauté.

Je reviens attraper son nez avec le mien, la serrant contre moi avec tendresse, les lèvres en apesanteur, à la périphérie des siennes.

Les fortes mains brunes d'Erwan glissèrent le long de sa nuque et de son épaule, alors qu'il l'incitait à se lever.

Clervie !

Il avait articulé le nom, la gorge nouée par l'émotion, la voix légèrement rauque, et la jeune femme en frémit de bonheur. Il se pencha alors à son oreille pour lui murmurer qu'elle était la bienvenue dans son coeur. Une manière bien détournée d'exprimer ses sentiments, mais... c'était Erwan. Au moins, il évitait les phrases types des gestes et des Romans.
Elle était pelotonnée contre sa poitrine chaude, sentait la douceur de sa peau. De nouveau, leurs nez s'effleurèrent, ils restèrent ainsi quelques instants, les yeux fermés. Elle sentit de nouveau d'étranges chatouillis dans son estomac, alors que tout doucement, elle effleurait de nouveau les lèvres de son ami des siennes. Cette fois, elle ne ressentait plus aucune appréhension.
Elle lui donna un premier baiser très léger, très bref, timide. Puis un second suivit. Puis un troisième.
Elle ne pouvait plus s'arrêter. Sa respiration devint saccadée, tout comme celle d'Erwan. Lui aussi ne tenait plus.
L'envie qu'elle refoulait reprit le dessus et elle entremêla fougueusement ses lèvres à celles du jeune homme. Leurs langues se cherchèrent, finirent par se trouver.
Leur étreinte se resserra et Clervie sentit qu'elle se perdait dans un abîme de sensations vertigineuses. Elle passa une main dans les mèches noires et argent du jeune homme, se colla davantage à lui. Ce fut un instant à la fois long et bref, intense et sensuel. Il dura juste assez longtemps pour qu'elle réalisât qu'elle ne s'en lasserait jamais. Juste assez longtemps pour que son corps entier se mette à vibrer, alors que les doigts d'Erwan couraient à nouveau sur sa nuque, en une caresse furtive, et qui pourtant, lui arracha un gémissement de plaisir. Lorsqu'enfin, ils brisèrent leur étreinte, leurs yeux étaient enflammés de désir. Clervie eût un petit sourire :

Si je ne pars pas maintenant, je risque VRAIMENT d'être en retard, et un certain forgeron râlera demain parce qu'une cliente ne lui aura pas tenu parole de venir donner un coup de main en échange de son affûtage...

Nous étions dans les bras l’un de l’autre, nos visages se frôlant, se caressant tendrement tandis que nos souffles apprenaient à danser ensembles.
Clervie vient alors délicatement cueillir mes lèvres dans un effleurement passionné qui eut pour effet de me faire vibrer de bonheur.

Après ce tour de chauffe, la jeune-femme décida d’emprisonner mes lèvres, brièvement, en un survole, un passage furtif. S’en suivit un second puis un dernier baiser.
Alors, Ma demoiselle laissa courir ses désirs, prenant possession pleinement de mes lèvres.
Alors, je me laissais aller à l’instinct, nos parfums se mêlèrent, nos langues se lancèrent dans une timide ronde, une véritable parade amoureuse.

Je la serrais fort contre moi, sentant sa poitrine osciller au rythme effréné de sa respiration. Ma main se perdit sur sa nuque, caressant sa peau sans plus de retenue cette fois. De son côté, elle s’égarait dans mes cheveux, jouant avec mes fils d’argent. Nous avions abandonné toute raison, toute convention, toute contrainte.
Cet instant était le nôtre, aussi bref qu’il serait, aussi rapidement que l’on devrait y mettre terme, il n’avait d’équivalent à sa courte existence que la puissance et la force de sa symbolique.
Il aurait dû durer, mais il fallait, comme elle me le dit, qu’elle aille remplir ses obligations.

Nos regards brûlant se croisèrent et, dans un sourire, elle réussit à présenter les choses de façon à ce que la semble moins pénible de se séparer.
Je répondis à son sourire.

Je fais payer chaque heure de retard par une journée de présence.

Je reculais un peu, ne lui tenant plus que la nuque, un sourire charmé aux lèvres.

File, Claire, et reviens moi vite !

[Clos]