[Convocation]Forger une nouvelle lame

Ils n’étaient que trois dans les carrés à cette heure matinale, deux hommes et une femme. Si Ryn et un autre mercenaire se contentaient d’attendre simplement que quelque chose arrive, le dernier du trio ne pouvait s’empêcher de bouger, de faire des moulinets avec l’une des armes de bois disposés sur les pupitres près des carrés. Tout les styles, toutes les tailles, de la dague à la hallebarde.
Leur comparse leur jetait de fréquent coup d’œil, comme pour les jauger, et gonflait le buste comme un coq chaque fois que l’un d’eux, par inadvertance le plus souvent, lui rendait son regard. Ridicule… D’ailleurs le second ne put se retenir de pouffer un moment en dissimulant son rire en toux. Ce qui ne trompa pas l’autre qui se rembrunit.

Faren finit par émerger par une porte, suivit du grand Stan que Aeryn pu reconnaître de la veille. Il ôta sa cape et la posa sur un des pupitres. Son regard glissa sur chacun d’eux et il sembla quelque peu surpris de l’air fatigué de la jeune femme. Ses sourcils se froncèrent une demi-seconde et il passa à autre chose. S’avançant vers les pupitres il y prit un petit bouclier d’une main, et l’équivalent d’une large épée bâtarde en bois.
Vu que chacune avait été lestée de fer pour ne pas s’éloigner trop du poids de leur consœur réelle, le maître-lame devait avoir la musculature des bras bien développé pour la manier avec tant d’aisance. Il s’avança vers le centre du carré.

- Prenez la ou les armes qui vous plaisent. Duel simple, quand je dis stop c’est fini, si je ne suis plus en état de dire stop, c’est fini. L’important n’est pas de gagner mais de mettre votre style et vos atouts à l’épreuve. Un volontaire ?

Bien entendu, le troisième larron bondit sur l’occasion et s’avança sans un regard pour les autres face à Faren. Il tenait une épée courte qu’il passait rapidement d’une main à l’autre pour s’habituer à la poignée. Le chef de la guilde se mit en position, pliant les genoux, une jambe en retrait son épée posée à l’horizontal sur l’angle de son bouclier. Stan fit sonner un petit gong et le combat débuta.
Malgré sa nervosité et son impatience, le jeune homme ne manquait pas de talent, il feintait et bondissait en tous sens pour esquiver la large lame de bois de son adversaire, mais aucun de ses coups ne portaient non plus, effleurant généralement à peine le bouclier.
L’audace et la jeunesse de son coté, il tomba derechef dans le piège de Faren quand celui-ci ouvrit légèrement sa garde. Son cou en estoc glissa contre l’épaule de son adversaire, mais il reçut le plat de la lame de celui au milieu du torse avec un coup qui l’aurait peut-être bien tranché en deux face à une vraie arme, et qui, pour sûr, lui laisserait un bien désagréable bleu sur le torse.

- Stop. dit Faren, mais son adversaire ne se releva pas. Il échangea un regard avec Stan qui se chargea d’aller voir l’état du jeune coq. Il hocha la tête pour signaler l’aspect bénin de son étourdissement, et le sortit du cercle comme un sac de blé.

- Je me permets de prendre ce tour. Dit le second en inclinant la tête vers la jeune femme en signe d’excuse ou de salut peut-être.

Plus âgé que le précédent, ses muscles secs et nerveux lui donné une apparence un peu étrange, presque maladive, mais sa prise sur le bouclier était ferme, et il opta pour une masse. Il se planta face à Faren et se mit en garde. Le duel fut visuellement moins impressionnant, mais l’œil exercé de la rouquine ne peina aucunement à voir la plus grande technique des deux hommes. Les coups étaient moins beaux, mais plus efficaces, plus économes. La lame ne se laissait pas entrainer dans le rythme du Maître, et ne saisissez que les ouvertures qu’il avait lui-même provoqué. Leurs boucliers tremblaient sous les coups de boutoirs qu’ils se portaient, et on imaginait sans peine l’endolorissement de leur bras. Quand son adversaire commença à faiblir, sa garde légèrement moins haute, et ses coups plus espacé. Il mit fin au duel, sans qu’aucun coup n’ait franchi de garde. L’homme le salua l’épée au cœur, et il le lui rendit.

Quand il fut sorti du cercle, Faren se tourna vers Aeryn. Il combattait depuis plus d’une demi-heure déjà, mais semblait tout aussi frais qu’à son arrivée. Pas même une goutte de sueur. La rouquine ne doutait pas de ses capacités, elle avait été formée pour cela par l’un des meilleurs, même si ses talents d’être humain peinaient à suivre. Cependant elle fut consciente que son adversaire avait encore surement bien assez en réserve pour s’avérer dangereux.

- A ton..

- Je vais examiner celle-ci. Tu es toujours le seul à t’amuser. dit une grande femme en quittant l’ombre d’une pièce non loin. Bien sûr, même si elle ne l’avait vu que dans la pénombre la veille, Aeryn la reconnut sans difficulté. Faren jeta un regard surprit à celle-ci avant de se tourner vers la jeune mercenaire.

- Aeryn, je te présente Judith Dalindor, l’autre maître-lame de notre guilde. Et…

- Tu ne me présentes même pas comme ta femme ? Tu me brises le cœur Faren. le coupa une nouvelle fois la grande blonde en s’avançant vers le râtelier. Pas offusqué pour deux sous, l’homme qui avait compris qu’elle souhaitait visiblement s’imposer dans la séance, s’écarta du carré. Elle sait un fauchon de bois et une dague et vint se placer dans le carré en observant la rouquine qu’elle dépassait d’une bonne tête, un sourire mystérieux sur les lèvres.

- Aeryn donc. Montre-moi ce que tu as dans le ventre. lança Judith comme si elle la défiée à un concours à boire.

Son adversaire l’observa changer d’arme pour s’adapter à cet affrontement inattendu et elle vit ses yeux briller d’une lueur satisfaite, comme si ce choix lui était plus plaisant, ou qu’elle considérait que Aeryn lui offrirait un spectacle plus satisfaisant. Elle faisait tranquillement rebondir son fauchon sur son épaule en observant la rouquine prendre position, ses prises évoluer sur ses armes avec habitudes. Elle sourit.

Quinze années d’instinct de survie et d’entrainement sauvèrent le nez d’Aeryn d’une vilaine fracture… de justesse. Le bras de son adversaire se déplia comme un serpent, et elle sentit l’air déplacé par la lame de bois lui chatouiller le nez. Elle avait fait son pas arrière par pur réflexe. Mais il en fallait plus que cela pour la déstabiliser. Elle para a demi le retour de l’arme pour la dévier de sa hanche sans l’empêcher de continuer à emporter le bras de l’assaillante et lança sa main gauche droit vers le buste, le bois de sa dague percuta celui de celle de Judith et son bras rebondit en arrière. Elle se laissa emporter et en profita pour se reculer d’un petit bond hors de portée.

La Maître-Lame se redressa de toute sa hauteur et fit tourner la dague dans sa main pour en présenter la pointe vers le bas. Son sourire n’avait pas disparu, et semblait même plus vivant encore. Elle n’hésita pas une seconde à lancer un nouvel assaut. Elle se fendit mais poursuivit son mouvement quand la rousse esquiva plutôt que de se tendre sur sa jambe et percuta Aeryn lourdement de son épaule, la déstabilisant et l’empêchant d’ajuster sa contrattaque pour reprendre position. Le fauchon trancha l’air à l’horizontal, et la mercenaire roula au sol pour passer sous la garde et faillit bien toucher à la hanche. Mais Judith se déroba en se laissant chuter au sol et roula à son tour avant de se redresser avec souplesse vu sa taille. Elle s’inclina comme pour la saluer, et les assauts reprirent.

Les passes s’enchainèrent à ce rythme infernal, et Aeryn comprit bien vite qu’elle était surclassée. Elle n’était ni pressée ou bête comme le premier, ni moins réfléchie ou patiente que le second, et même plus rapide dans ses assauts et mobile dans le carré. Mais la grande guerrière était simplement meilleure qu’elle, sans doute que les vingt années de combat qui les différenciés avaient un rôle à jouer dans ce constat. Elle connaissait plus de techniques, de mouvements, de parade, et ne semblait même plus devoir réfléchir pour les appliqués. Elle était ses armes.
Par deux fois déjà elle avait perçu sa défaite, vu sa garde trop ouverte et le coup douloureux venir, mais à la dernière seconde, Judith ralentissait ou déviait et l’impact devenait une simple touche. Elle faisait durer.

Mais il n’y avait aucune malice, aucun sadisme, même pas une volonté de prouver sa supériorité. Elle la poussait dans ses retranchements, l’obligeait à innover, prendre des risques, combiner des techniques qu’elle avait jusque là séparer. Rouler plus vite frapper plus fort, être plus précise, imprévisible, créative, compensant son manque de connaissances par la fertilité de son imagination. Malgré elle, malgré ses années de pratique, de leçons, de cadre, elle se prit au jeu, et sans chercher à gagner, se prêta à l’exercice de la découverte et même… s’amusa.

Les minutes passèrent, nombreuse, tous ses muscles étaient tendus par l’effort, son corps ruisselait de sueur, ses cheveux collés à sa nuque, sa respiration bruyante. Elle avait perdu une dague à la dernière passe et fit jouer ses doigts sur celle de gauche. La fin approchait, elle le savait, elle le sentait, soit son corps faillirait, soit Judith se déciderait. Elle se fendit vers son adversaire qui avançait vers elle d’un pas franc. A sa grande surprise, elle la vit lâcher ses armes. Tout se passa au ralenti dans les yeux de la rousse. Judith tendit la main, passa à quelques millimètres de sa lame lui saisit le poignet et le fit pivoter. Le temps accéléra. Elle sentit une douleur, pas vraiment brutale, mais qui lui engourdit les doigts et son arme tomba de sa main devenue molle pour atterrir dans celle libre de son adversaire qui continua à lui tordre le bras pour l’immobiliser et l’obliger à mettre genoux au sol avant de déposer son arme sur sa nuque offerte. C’était fini.
Elle ne lui faisait pas mal, tant qu’elle ne forçait pas pour libérer son bras en tout cas. Elle sentit le bois lui tapoter la peau.

- Pas mal. Pas mal du tout. dit la gagnante en la relâchant.

Sans un regard de plus elle se retourna et s’avança vers Faren. Ce n’est qu’à ce moment qu’Aeryn se rendit compte que leur public avait augmenté depuis le début de l’affrontement. Une dizaine de personnes entouraient le carré, silencieuses. Gwen était là elle aussi.

- Mets là dans les aiguisés, elle n’a rien à faire chez les nounous. Entendit-elle Judith dire à Faren alors qu’elle se relevait en se massant l’épaule. Il se contenta d’hocher la tête. Elle tourna la tête en s’apercevant d’une présence près d’elle. Gwen se tenait là, les joues roses, ses yeux fixés sur ses pieds, lui tendant un linge et un broc d’eau.

- Tu vas bien ? parvint-elle à articuler après un ou deux essais, un note d’inquiétude dans sa voix fragile.

Faren frappa dans ses mains.

- Le spectacle est fini. Pour les candidats, je vous ferais porter votre affectation dans la journée, rester dans les locaux. Une bière vous sera offerte à la taverne. Rompez.

Les gens commencèrent à se disperser.

Judith jeta un regard en coin aux deux jeunes femmes au milieu du carré, et du être satisfaite d’un quelconque résultat perceptible d’elle seule, car son sourire s’agrandit et elle fila de ses grandes enjambées vers l’ouverture de la guilde pour s’enfoncer dans une rue sans un mots de plus pour son adversaire, Faren, ou même sa sœur.

- Elle dit toujours qu’être la plus forte quand on à pas le choix, cela rend les choses plus faciles. répondit Gwen en observant le sol qui décidément devait receler une myriade de merveilles. Elle sursauta quand Aeryn l’interpella directement pour essayer de la rassurer, pas de peur, mais juste surprise qu’elle se donne cette peine.
Quand la rousse se pencha pour capter son regard, elle se laissa guider et releva lentement la tête jusqu’à ce qu’elles se regardent dans les yeux. Elle secoua vigoureusement la tête quand Aeryn l’invita à la frapper au besoin.

- Non, je ne veux pas ! s’empressa-t-elle de dire. Elle rougit. Son regard parcouru la cour, et s’il y avait bien un ou deux gars qui commençaient doucement à s’échauffer dans un coin. Elles étaient seules à présent.

- Je… j’ai… balbutia-t-elle avant d’inspirer un grand coup pour se calmer et reprendre avec un peu plus d’assurance. Je ne suis pas souvent à l’aise avec les gens. Je… On m’a enseigné comment fonctionner avec les autres. Je sais très bien le faire. Mais pas à cœur ouvert.

Elle soupira, trouvant difficilement les mots pour s’expliquer sans pour autant aborder des détails que Judith lui avait déconseillé de partager pour le moment. Elles avaient veillé très tard la nuit précédente, Gwen racontant chaque minute de sa rencontre avec Aeryn à sa grande sœur, avec force détails, les couleurs, les odeurs, comment la force du vent avait fait jouer les mèches de la rousse quand elle avait commenté l’entrainement, le petit pli qui apparaissait entre ses sourcils quand elle fronçait le nez devant l’odeur d’une bougie. Sa manière d’hésiter devant son ami tavernier, mal à l’aise avec une empathie qu’elle avait appris à dissimuler pour se protéger. Tout, jusqu’à l’instant où elle avait perdu le contact avec elle-même pour fuir les yeux colériques de la jeune mercenaire.

- Tu te sens proche d’elle. s’était contenté de dire Judith quand elle avait eu finit son interminable récit. Gwen avait tout simplement hoché la tête devant l’évidence, mais sa sœur avait tranché dans le vif en ajoutant. Tu ne l’es pas.

La porte-plume avait baissé la tête, penaude, c’était la vérité, mais elle n’avait pas vraiment espéré qu’on lui signale si directement. La grande blonde lui avait ébouriffé les cheveux et avait rit fortement.

- Rien ne t’empêche d’essayer de faire que cela change. Si elle est la moitié de ce que tu dis, elle te reparlera malgré ton comportement d’aujourd’hui. Mais je vais devoir la rencontrer avant. avait finalement dit la guerrière en gloussant comme une petit démon qui a trouvé sa nouvelle bêtise à faire.

Elle n’avait pas été trop loin finalement se dit Gwen en cherchant ses mots face à Aeryn.

- J’ai eu peur hier. Et quand j’ai peur, je me ferme. Mais tu ne me fais pas peur Aeryn. Tu n’es pas un monstre. Tu es… différente. Je suis désolée, je ne sais comment trouver les bons mots. dit-elle, maladroite. Tu es comme Judith. Enfin pas exactement comme elle. Encore heureux. gloussa-t-elle avant de rosir joliment.

- Mais tu me vois. expliqua-t-elle. C’est la sensation que j’ai. Tu me vois et je n’ai pas à faire d’effort. Ça n’était arrivé qu’une fois avant. Même Faren je dois… Elle fit un pas vif en avant, son visage tendu vers celui d’Aeryn. J’ai eu peur d’avoir mis fin à cela hier. Et j’ai eu besoin de me protéger. Mais je vais essayer de faire mieux maintenant. Alors ne change pas trop.

Elle passa doucement ses doigts dans la main moite d’Aeryn, mais sembla ne pas le remarquer en lui pressant vigoureusement, pour peu que « vigoureusement » représente quelque chose pour la rouquine, vu leur différence de musculature.

- Continue à me voir s’il te plait. lui demanda-t-elle sans vraiment avoir de meilleure formulation à lui offrir. Même la pointe de ses oreilles était devenue rose.

- Tu veux prendre un bain à la guilde ? demanda-t-elle pour essayer de se dépêtrer de son approche étrange qui risquait surement de faire fuir la mercenaire plus encore que son petit numéro de la veille. Faren a eu la bonne idée d’installer les bains sous les forges, on a fait installer une énorme cuve de bois et de cuivre sous les fourneaux, et la chaleur chauffe l’eau de pluie qu’elle contient, ça en chasse les impuretés et on a toujours de l’eaux chaude pour se laver. D’après Faren, c’est comme cela que les grands seigneurs faisaient à la capitale. C’est ingénieux non ? Beaucoup des habitants de la guilde préfèrent avoir une bassine dans leur chambre, pour faire leurs toilettes, mais pouvoir s’installer confortablement dans les baignoires, et puis une eau toujours chaude. Sans parler de devoir monter une bassine d’eau là-haut. On peut le faire en plusieurs fois, mais c’est épuisant. Surtout que je suis au troisième moi. Bon c’est vrai que ça ne vaut pas les bassins des thermes, il parait qu’ils utilisent le même genre de procédé pour chauffer leur eau, c’était les seuls en ville jusqu’à présent, on peut pas y nager non plus mais…

Une fois de plus elle était partie dans une de ses longs monologues pour se rassurer et occuper l’espace. Le tout dans avoir lâcher la main d’Aeryn, qui la regardait intensément. Amusée surement. Elle s’empressa de libérer ses doigts et plongea son visage dans ses mains pour se cacher derrière.

- Breeeeeeeeeeeeef, on a des bains, mais je peux t’aider à monter de l’eau dans ta chambre si tu veux.

Gwen laissa ses mains glisser sur son visage, observant Aeryn, n’étant pas tout à fait certaine de si la mercenaire se moquer d’elle ou non dans sa manière de formuler ses remarques. Mais comme elle le disait, elle voulait simplement que les choses soient plus claires, plus simple, alors si elle s’était fichue de sa tête, sans doute l’aurait-elle fait bien plus frontalement. La jeune fille se tritura les méninges alors qu’elles remontaient un couloir après avoir récupéré des affaires de rechanges dans la chambre de la rousse.

- D’accord.

Elle finit par s’arrêter.

- Je crois que je t’aime bien Aeryn. Alors que je n’aime pas les gens. Et j’ai peur qu’à force de mieux me connaître, tu ne m’apprécies plus. Mais j’essaierais d’être moins un coquillage et de parler plus clairement. tenta-t-elle, peu à l’aise pour formuler une idée, surtout en la simplifiant à ce point pour rester compréhensible. Mais elle fut assez fière du résultat.

Elle reprit la marche et se rendit compte que sa compagne jeter de fréquent coups d’œil, mémorisant visiblement les détails du trajet, cherchant à se repérer plus efficacement dans les réseaux complexe qu’était la guilde de Lames. Elle-même n’avait pas ce problème, face au plan de la ville, celui des lieux était de la simplicité extrême, et elle en avait elle-même dessinait une partie, mais elle avait conscience que tous les nouveaux arrivants peinaient les premiers temps à se repérer, et la mercenaire avait fait montre d’assez peu de talent en la matière la veille pendant leur sortie. Elle s’arrêta de nouveau à une intersection.

- Regarde. dit-elle en lui montrant une petite plaque de bois gravée et clouée au pilier à l’ange de couloir. La guilde se découpe en section. Nous sommes dans la section une, les chambres et le réfectoire. Il y a donc un trait gravé à gauche de la planche, tu vois ?

Elle indiqua en effet un trait rectangulaire et vertical profondément creusé dans le bois dans la moitié gauche. Du coté droit, un petit pictogramme représentait une sorte de lit.

- Comme tout nos membres ne savent pas lire, on a opté pour des représentations graphiques. Les gens finissent par se souvenir plus aisément de la disposition des lieux. Si tu descends au réfectoire le lit sera remplacé par une assiette et des couverts. expliqua-t-elle sans mépris ni infantilisation, assez fière même de ce système simple mais efficace.

- Quand tu es dans la cour, à la porte de chaque section, tu trouveras une petite plaque avec tous les pictogrammes, les « dessins », des salles que contient cette section dans l’ordre de leur disposition dans les étages. C’est un peu plus complexe de se déplacer en restant à l’intérieur, mais ce qu’il faut retenir, c’est que quand tu fais face à une plaque. La section suivante se trouvera toujours vers la droite, et la précédente vers la gauche. Nous sommes donc à la une, nous devons passer la deux avec la taverne et les stocks, pour nous rendre à la trois avec la forge, les râteliers et les bains au sous-sol. Essaie de nous y emmener, prends ton temps. proposa-t-elle en la laissant prendre la tête de leur minuscules troupe.

Elles avancèrent doucement, stoppant aux intersections pour que Aeryn s’assure de sa progression sur les plaques, un deuxième trait apparut à côté du premier et la conforta dans sa compréhension du système la faisant légèrement accélérer le pas vers leurs droites. Quand elle n’était pas certaine de la représentation du pictogrammes, Gwen lui confirmait ou non son soupçon avec la bonne réponse, quand un troisième trait apparut, elles se retrouvèrent vite bloqué par une porte verrouiller avec des armes dessinées sur la planche. Les râteliers donc. A nouveau sa guide suiveuse lui expliqua que à cause la structure très différentes de chaque bâtiment, la position des escaliers étaient différente d’une section à l’autre mais pouvait se trouvait avec un symbole dédié, représentant des marches de coté à l’entrée de ceux-ci.

Elles ne tardèrent pas à let trouver et les emprunter et descendirent de deux étages jusqu’à trouver une plaque avec une large baignoire ronde dessinée sur la partie droite. Gwen lui sourit victorieusement.

- Avec un peu de pratique tu te déplaceras ici sans même y penser. Mais j’ai fait une liste résumée des sections et de leurs pictogrammes dans ma chambre, je te la prêterais si tu veux les mémoriser plus facilement. dit-elle.

L’étage des bains se composait d’un couloir créer par des barricades de bois qui n’atteignaient pas tout à fait le plafond, et dont une porte segmentait la longueur à intervalle régulier. La lumière était dispensée par des petits carreaux de verres épais sur le haut des murs, mais dont on n’avait pas chassé les impuretés avec la chaleur, le rendant particulièrement flou et indistinct, on devinait donc uniquement des ombres mouvantes et colorés au travers, surement les jambes de passant.

- Ici aussi on a notre système ! dit la jeune fille avec enthousiasme. Elle s’approcha d’une porte et lui montra une petite pancarte munie d’une ficelle, pendouillant à un crochet à coté de celle-ci. Si la pancarte est accrochée là, ou que la porte est ouverte, c’est que ce bain-là est vide.

Elle décrocha la pancarte et lui montra, c’était une simple plaque de bois, avec une croix d’un coté et un cercle de l’autre.

- Si elle est accrochée à la poignée, c’est que c’est occupé. Coté croix, occupé et privé. Coté rond occupé, mais sans que partager l’espace ne dérange l’occupant. Avec tout les hommes et femmes qu’on a ici, on a décidé qu’il vaudrait mieux laisser la possibilité à chacun d’être à l’aise avec son intimité. On a pas eu de gros problème jusqu’à maintenant, Faren est intransigeant avec le respect que doivent avoir les lames entre elles. Mais n’hésite pas à nous signaler le moindre problème.

Elle ouvrit la stalle et entra. Une grande baignoire ronde et arrivant à leur taille occupait l’espace avec une marche permettant d’entrer et sortir. C’était à peu de chose près un abreuvoir pour chevaux transformés, mais qui faisait parfaitement le travail. Un large tuyau de cuivre tombait du plafond comme un coude et une poignée permettait de faire glisser le panneau de bois qui le bouchait.

- Il suffit de tirer sur la poignée pour que ça se remplisse, et de la pousser quand tu estimes que c’est bon. Si tu veux vider le bain, tu frappes du pieds sur le gros bouchon là. montra-t-elle à l’intérieur de la baignoire. On s’est permit de raccorder les évacuations aux égout de la ville, mais sa majesté n’est pas au courant alors… elle posa un index sur ses lèvres et sourit.

- Il y a un seau avec une brosse et un savon gras de l’autre côté, et un petit banc pour tes affaires là. Hum je crois que tu sais tout. Enfin sauf si tu penses avoir des questions ? Je vais te laisser tranquille si tu veux, prend le temps qu’il te faut.

La porte-plume hocha fièrement la tête en entendant la mercenaire flatter le système à demi-mot. Puis tout alla très vite, avec la rigueur et l’efficacité qui était la sienne, Aeryn laissa choir ses vêtements les un après les autres devant une Gwendoline totalement abasourdie qui regarda la peau apparaître, les marques, les cicatrices, une fine toison rousse, et des jambes finement ciselés qui enjambèrent le rebord du bain avec aisance. Ce n’est que lorsque la Mercenaire s’excusa que le cerveau de la jeune fille se remit en marche, pour dire une énormité, bien évidemment.

- Oh, non tu es vraiment superbe. dit-elle honnêtement sans réfléchir avant de se rendre compte de ses paroles qui pouvaient être mal interprétée ou peut-être trop facilement interprétée. Elle devint si rouge qu’elle aurait donné l’impression de luire dans la pénombre et agita frénétiquement ses mains devant elle.

- Ah.. Oh.. Euh… PARDON ! Ce.. Ce… n’est pas ce que je voulais dire ! Je… Il n’y a pas de problème ! Les gens ne sont pas si à l’aise d’habitude, ..avec moi, c’est… tout. parvint-elle à bégayer à demi avant de trouver une échappatoire dans les vêtements jeté au sol. Je.. Je vais m’occuper de tes affaires !

Comme une mini tornade, elle s’empara des vêtements fatigués de leur matinée d’exercice et les fourra dans se bras avant de presque voler vers la porte.

- Je te les rapporterais propre ! Frott… lave-t…. Bon bain ! Je ferme ! dit-elle en refermant, son regard glissant malgré sa volonté une dernière fois sur les épaules nues d’Aeryn et croisa ses yeux bleux, lui rougissant une dernière fois le visage au-delà du raisonnable.

Elle s’empressa de mettre le panneau coté croix et se retourna pour se laisser aller contre le battant. Son cœur battait à tout rompre, et elle avait les jambes cotonneuses. Quelle drôle de sensation… effrayante, mais pas tout à fait désagréable. Comme souvent quand elle expérimentait une nouvelle émotion, elle envisagea d’en parler à Judith, mais après quelques secondes de réflexion, elle se dit qu’il serait peut-être bon de garder ça pour elle, juste pour cette fois…
Elle se claqua doucement les deux joues pour chasser la réminiscence des images qu’elle venait de voir, et fila vers les escaliers.



La fin d’après-midi approchait quand on frappa à la porte de sa toute nouvelle chambre, et comme il était de coutume, personne n’entra avant qu’elle l’y invite. En ouvrant le battant, elle découvrit Faren, qui la salua d’un mouvement de tête simple et efficace, ni froid ni chaleureux. Il entra dans la petite pièce et s’assit, cette fois sans qu’on l’y invite sur l’une des deux chaises entourant la table et déposa ce qui ressemblait à un pot d’onguent sur celle-ci.

- C’est pour tes muscles. La Furie n’y a pas été de tout repos avec toi, et les jours à venir ne seront surement pas beaucoup plus tranquille. Tu lui as tapé dans l’œil, pour le meilleur et pour le pire.

Il plongea la main dans une serviette de cuir et en sortit un objet qu’il posa à coté de la crème. Une broche ouvragée de qualité, mais qui restait élégante de simplicité, représentant le symbole de la guilde avec des caractères gravé sur son pourtour.

- Ta broche, signe de ton rang. Tu es une lame maintenant, officiellement. Elle est nominative, c’est ton nom qui est marqué dessus. Si un de tes frères d’armes tombe et que tu en as l’occasion, récupère la sienne. Ils feront de même pour toi. Ou pour moi. Dit-il en tapotant son propre pourpoint de cuir pour indiquer la broche presque identique qu’il possédait. On la porte le plus souvent au-dessus du cœur. Mais c’est plus une convention qu’une règle, tâche juste qu’elle soit visible.

Il replongea sa main dans sa besace et en sortit cette fois une petite tablette de cire où était dessiné une carte simplifiée.

- Tu l’as peut-être entendu ce matin, mais ma collègue veut te mettre dans les aiguisés. Et je partage son avis. Il ne s’agit pas d’un rang officiel de la guilde. C’est juste la manière qu’elle a de définir les lames qui participent aux missions les plus risqués. Les convois, l’exploration, la chasse au bandit, et dans des cas plus rares, le soutien à la milice dans la cité. Bref, ceux parmi qui elle peut piocher quand elle s’ennuie et veut travailler.

Il rit, comme s’il avait sorti une excellente blague, et chassa l’instant de la main.

- C’est le plan de ta prochaine mission, si tu ne sais pas lire une carte, ce n’est pas important, un des éclaireurs t’expliquera, mais je préfère toujours fournir les informations à l’équipe entière, on est parfois surpris de ce qu’un avis peut apporter. Alors si tu as des remarques, partages-les. Tu rendras la carte à l’administratif quand tu auras fini d’y jeter un œil. En somme, un noble envisage de lancer la reconstruction de Balazuc, sur la route de Sombrebois, et il a besoin qu’une équipe aille sur place pour reconnaître les lieux et lui fournir de quoi faire une estimation au roi. Et il nous a embaucher pour cela. Départ dans quatre jours avec le reste de ton unité.

Il posa la carte sur la table avec le reste et s’apprêta à se lever.

- Maintenant, si tu n’as pas d’autres questions…

Faren ce laissa donc de nouveau aller dans la chaise qui grinça sous son poids. Ni l’une ni l’autre des questions ne l’étonnaient guère. Il avait vu la lumière de curiosité dans les yeux de la rousse quand il avait évoqué sa génitrice, il aurait presque été surpris qu’elle n’insiste pas sur l’instant même, s’il n’avait eu la description de Nixeu. « Une fille qui ne se laisse pas atteindre facilement. » C’était en effet une assez bonne description d’Aeryn, le genre de personne avec qui il était simple de travailler. Mais autant qu’il commence par ce qu’il pouvait décrire avec le plus de précision sans rentrer dans l’intimité d’une disparue. L’unité.

- Votre Grande-lame, ton chef d’unité si tu préfères, s’appelle Pat le Roux. Si tu te demandes, oui il est roux. Il est dans le métier depuis plus longtemps que moi encore. Il vous appelle ses loups, tu devras t’y faire. C’est un bon guerrier même si son heure de gloire est passée. C’est un chef dur mais pas injuste, si tu ne lui donnes pas de raison de se défier de toi et que tu fais ton boulot, tu n’auras aucun problème avec lui.

Il réfléchit et commença à énumérer sur ses doigts.

- Ensuite nous avons Braan, votre archer, il est séducteur sur les bords, mais une fois que tu auras montré ton désintérêt, tu seras tranquille et il a toujours des histoires à raconter, je doute que la plupart soient vrai, mais elles sont souvent intéressantes. poursuivit-il. Vient ensuite Corin. Il est… particulier. Fanatisé sur les bords. Comme beaucoup d’autres il a vu sa famille massacrée par la fange, ça a cassé quelque chose en lui, pour de bon. C’est un excellent guerrier, c’est le second bretteur de votre unité, avec toi. Il parle peu, et le plus souvent c’est pour parler de la fange. Le reste du temps, il aiguise son épée.

Soudain il rit.

- Et la dernière c’est Lili, elle est jeune et… Non, je vais te laisser découvrir Lili par toi-même, je ne voudrais pas lui gâcher son plaisir. Sache juste que c’est votre éclaireuse, et qu’elle est l’un de nos meilleurs éléments dans ce domaine. Alors on fait avec le reste. dit-il avec un sourire. Pat les fait s’entrainer juste après midi, quand les autres manges, si tu veux te joindre à eux avant votre départ.

Il se passa lentement les doigts dans la barbe, réfléchissant à comment aborder le sujet délicat à présent. Il était homme de peu de choses, et les sujets compliqué n’était pas son fort. Et ces souvenirs lui semblaient aujourd’hui si lointain qu’ils semblaient presque appartenir à quelqu’un d’autre. Presque comme faire le rêve d’une autre personne et en garder une trace.

- Ta mère était… commença-t-il en cherchant ses mots. Une femme incroyable. Elle n’était pas vraiment une guerrière comme ton père, mais elle savait lancer les couteaux comme je n’ai jamais vu personne le faire. C’était plus qu’un art chez elle, c’était un véritable don. J’ai perdu de nombreuses pièces en pariant contre elle.

Ses yeux brillèrent de nostalgie.

- Elle savait être douce, affectueuse. Mais aussi plus sauvage qu’un ours quand elle était en colère. Je crois que c’est ça qui a plu à ton père à l’origine. A leur première rencontre, elle lui a cassé un pichet sur la tête, tu le savais ? Un mois plus tard, elle fuyait sa famille pour partir avec lui malgré leur désaccord. Quand elle avait pris une décision, c’était définitif.

Il tourna la tête vers Aeryn.

- Tu lui ressembles beaucoup, il te l’a déjà dit ? Les mêmes yeux, et nez, et même ton air agacé rappelle le siens. Demande-moi, je te dirais ce que je sais, et ce que je peux dire.

Le chef mercenaire se contenta d’hocher la tête, comme si cela ne l’atteignait pas vraiment. Pourtant, sa voix fut étonnamment compatissante pendant quelques secondes, réellement concerné par le sujet.

- Je suis désolé que tu ne l’ais pas connu.

Il ne lui lança pas de formule classique sur la fierté qu’elle aurait éprouvé en la voyant aujourd’hui, ou l’amour sans limite d’une mère par-delà la mort. D’abord, parce qu’il n’en savait foutrement rien. Et ensuite parce que ça leur aurait fait une belle jambe à tous les deux qu’ils disent quelques choses du genre. Comme si cela pouvait changer quoi que ce soit aujourd’hui.

- Important ou pas, je te laisserais le déterminer, mais si tu veux l’entendre, je vais te le raconter. Ça te dérange si je fume ? dit-il en sortant une petite pipe taillée à la main qu’il se mit à fourrer avec des herbes sèches.

- Nixeu m’a raconté votre petite mésaventure. Elle est désolée pour ça. dit-il en indiquant le bras qui portait une cicatrice récente, même si elle était cachée par la chemise. C’est le métier, lui ai-je dit, mais elle n’aime pas mettre en danger des inconnus sous ce simple prétexte. Et je doute qu’on soit capable de la faire changer d’avis sur ce point. poursuivit-il en cherchant sa pierre à feu dans une poche.

- En somme elle m’a dit que tu étais une combattante douée mais sans repère ou objectif, qui avait du mal à gérer ses émotions et s’était blindée faute de mieux. Et qu’il serait bon que je jette un œil à ton cas, car je cite « Les personnes qui font preuve de justice sont rare, emmerdantes souvent, mais il faut préserver ce trait quand on le trouve. ». Elle sait que ce genre de profil me plait, alors je voulais voir ça de mes yeux.

Il trouva enfin ce qu’il cherchait et lâcha un petit « ah » satisfait. Il frotta les deux bouts l’un contre l’autre à l’extrémité de sa pipe d’un geste rendu fluide par l’habitude, et une douce fumée s’éleva lentement. L’odeur n’était pas forte, et pas vraiment désagréable contrairement à certaines herbes à fumé qu’on trouvait dans les bas quartiers. Il tira dessus doucement avant de proposer sa pipe à la jeune femme, tout naturellement.

- C’est un peu euphorisant, mais rien qui n’impacte la lucidité ou les réflexes. Et pas d’addiction comme cette saloperie d’herbe de lune. commenta-t-il avant de se caler plus confortablement dans sa chaise.

- Alors par où commencer ? Peut-être un peu d’histoire ? Si on peut appeler ça de l’histoire. Tu connais le peuple des routes ? demanda-t-il plus par habitude que parce qu’il s’attendait à ce qu’elle en connaisse plus que la moyenne des gens à ce sujet. Des vagabonds, souvent marchand, qui parcouraient les voies du royaume de Langres sans vivre nulle part.

- Ce que je vais te raconter c’est passé bien avant ma naissance, alors prend le pour ce que ça vaut. Il y a de cela cinq ou six siècles, il y avait un puissant Royaume au nord-ouest du notre. Riche, prospère, cultivé, et foutrement bien armé. Ils ne vénéraient pas les trois, pas même les quatre comme le font ce d’Hendoire. Ils avaient un panthéon bien différent du nôtre, où des humains pouvaient se hisser par leurs actes de leur vivant, jusqu’à être divinisé dans la mort. On dit qu’ils pratiquaient une forme magie qui corrompait l’esprit des victimes autant que le leur. Mais je crois que c’était surtout pour justifier les nombreuses croisades que le temple et les rois ont organisés contre eux. Toujours avec un échec au bout, de ce que j’en sais. Mais Gwen est plus calée que moi en histoire.
Bref. Il semblerait qu’un beau jour, une montagne, la plus grosse de leur royaume, a littéralement implosé. J’ai déjà vu ça quand je combattais dans les chaines du nord. Les archivistes du roi parlaient de montagne de feu. Mais dans notre petite histoire, l’explosion fut telle, qu’elle recouvrit presque tout le royaume de cendre et de fumée et fit trembler la terre jusqu’à la fendre et qu’une partie chute dans les eaux.

Il jeta un coup d’œil à Aeryn, pas vraiment sur lui-même de la véracité de tels événements.

- Comme dit, je ne fais que raconter ce qu’on m’a appris. Pour ce qui est de savoir ce que ça a de vrai… rappela-t-il avant de poursuivre après avoir tiré sur sa pipe. Toujours est-il que ce peuple à du fuir ses terres avec les biens qu’ils pouvaient transportés. Bien entendu, le Temple s’est fait un plaisir de parler de punition divine. Et il a été décrété que aucun membre de ce royaume, homme, femme ou enfant, ne pourrait s’installer sur les terres de Langres de manière définitive, sous peine de propager la souillure qui les avait menés à leur perte. Une bonne excuse pour ne pas accueillir de réfugiés si tu veux mon avis. Sans doute espéraient-ils qu’ils disparaissent d’eux-mêmes dans le froid et la faim. Et ça à surement marcher en partie, je doute que tout un peuple puisse survivre longtemps en nomade. Mais… le problème ne s’est pas « réglé » non plus. dit-il avec une pointe de jugement dans la voix pour ces ancêtres près à laisser des gens crever de faim pour le simple plaisir de la victoire finale. Cela lui rappelait trop l’armée.

- Les réfugiés n’étaient pas tous pauvre ou sans ressource. Et certains finirent par mettre à profit cette vie de nomade. Ils s’organisèrent en « caravane », comme ils disaient. D’immense convois avec femmes et enfants, presque des villes sur roues pour certaine. Et ils se mirent à faire ce que les autres rechignaient à accomplir. Voyager. Pourquoi payer des hommes d’armes ou quitter ses affaires dans les grandes villes, quand régulièrement une caravane passe aux abords de la cité et paie rubis sur l’ongle tes produits ? Certes avec un bénéfice un peu moins grand que si tu l’avais toi-même amené sur place, mais sans aucun risque de traversée ou de temps perdu.

C’est comme cela l’on en est venu à parler petit à petit de peuple des routes. Souvent péjorativement. Mais certain maître ou maîtresse de caravane étaient aussi riche que des princes. Ils ont bien connu quelque purge du temple ou d’un roi un peu trop fanatique au cours des siècles. Souvent justifier par des rumeurs de magie noire ou par les fortunes qu’ils possédaient à vrai dire. Mais ils ont toujours fini par reprendre leur rôle sur les routes. Jusqu’à la chute face à la fange de ce que j’en sais. On ne sait pas vraiment s’ils ont été les premiers balayer ou s’ils ont fui avant tout le monde. Toujours est-il qu’on en trouve assez peu à Marbrume, et ils se font discret.

Il se racla la gorge après cette longue explication, qui pour le moment concerné assez peu son interlocutrice, mais permettait de poser un cadre.

- J’ai connu ton père pendant ma formation dans l’armée. Je vais te décevoir, mais je ne sais pas d’où il vient. Il n’a jamais été volubile sur le sujet, et nous étions nombreux à ne pas vouloir nous étendre sur notre passé. Un accord tacite en somme. Je ne serais pas surpris qu’il soit des environs, car il n’avait pas l’accent de l’ouest, tout comme moi, et ne semblait jamais vraiment surpris quand j’évoquais Marbrume. Mais c’est une simple supposition.

Nouvelle bouffée.

- Il était un peu plus âgé que moi à l’époque. Et déjà foutrement bon combattant. Je ne sais pas s’il ne m’a jamais vu comme un ami, mais nous étions camarade, et jamais je n’ai eu à douter de son épée, même si ça pouvait parfois être un sacré connard antipathique ! gronda-t-il sans réelle méchanceté.

- Pendant une de nos campagnes, nous avons marchés vers l’ouest, loin vers l’ouest, au-delà de Langres. Et il se trouve qu’une de ces fameuses caravanes du peuple des routes, a choisi de faire le chemin avec nous. Une armée complète d’hommes prêt à dépenser leurs soldes en boissons et en femmes, un marché plus que fructueux. Ta mère n’était pas une catin, mais l’une des filles du maître de caravane. Une noble pour leur peuple, promise à de grandes de choses apparemment. Mais il a fallu que Rodrick lui pince la fesse en pensant avoir affaire à une fille de joie. Et comme je t’ai dit, un mois plus tard, elle quittait sa famille pour lui. dit-il en se passant la main dans les cheveux.

- Tu dois comprendre. Rien n’empêche les femmes des caravanes de procréer avec ou d’aimer un homme de l’extérieur. Ils ont même toute un cérémoniel et des croyances à ce sujet. Ils se « renforcent » en piochant dans les sangs puissants, comme ils disent. Mais on ne peut quitter la caravane, même temporairement, l’enfant devient membre du peuple, et le père est soit éconduit soit intégré. Mais ni Arianne ni Rodrick n’étaient de ceux à qui on dicte des règles. Alors quand nous avons quitté la caravane pour aller assaillir une cité plus au nord. Elle a quitté les siens en allant à l’encontre des règles. Ça l’a beaucoup affecté, notamment à cause de la tendresse qu’elle portait à sa plus jeune sœur. Leurs liens familiaux sont très forts. Mais moins que ne l’était l’amour presque fusionnel qu’ils partageaient tous les deux. Tes parents s’aimaient, plus que tout. conclut-il temporairement, une lueur de regret dans le regard qu’il chassa bien vite.

- Elle a accompagné la campagne pendant près de deux ans avec d’autres épouses et femmes qui aidaient à l’entretien du camp. J’étais là à leur mariage. Nous avons connu quelques belles victoires, mais toujours au pris de perte stupide. C’est à cette période que j’ai commencé à vouloir fonder ma propre compagnie. J’espérais que ton père se joindrait à moi. Et cela a bien failli arriver. Mais je crois que ta mère est tombée enceinte et que sa famille s’est rappelée à elle à cette période. Peut-être dans l’espoir qu’elle revienne avec l’enfant et respecte leur tradition.
Un matin j’ai découvert que Rodrick avait mis fin à son contrat, et ils étaient parti, sans un mot ni une trace derrière eux.

Il haussa les épaules.

- Avant de revenir à Marbrume et d’entendre parler de toi et tes frères, je n’avais pas réentendu le nom de Monclar depuis. Et jusqu’à te voir, je n’étais pas tout à fait certain de s’il pouvait s’agir d’une coïncidence ou pas. Pas de doute à présent. dit-il avant de plonger ses yeux dans ceux de la jeune mercenaire.

- Voilà, c’est à peu près ce que je sais de tes parents.