Violette se débarrassa d’un léger coup de pied du tas de vêtements encombrants dont elle venait de se débarrasser, sans prendre quelconque ombrage de la manière qu’avait Loghart de dessiner les aspérités et les courbes du pinceau de ses yeux bleus pâles. Un fin sourire vint orner ses lèvres pulpeuses, et s’il fut brièvement désabusé, il se transforma en quelque chose de plus mutin, presque moqueur. Elle était belle, elle le savait. Elle connaissait l’effet que pouvait provoquer son corps gracile sur les hommes. Et elle s’en fichait éperdument. Sa silhouette n’était rien de plus qu’un outil qui deviendrait aussi inutile qu’indésirable au fil du temps et qu’elle devait en jouer maintenant si elle ne voulait pas tout perdre. Mais cette fois-ci, il n’était pas question d’argent, alors qu’attendait cette fleur léonine ?

Elle enjamba le rebord de cuivre recouvert d’un épais drap de lin, glissant la pointe de son pied menu à la surface de l’eau fumante, une onde se créant à son contact, avant d’y plonger entièrement, le reste de sa délicate physionomie suivant le mouvement ; transformant l’onde formé en de douces vaguelettes. Ses jambes se glissèrent de par et d’autres de la taille du milicien sans l’enserrer, demeurant lâches ; son dos se calant confortablement contre le dossier cuivré et ses coudes se perchèrent de chaque côté de la baignoire, sa senestre piochant un grain de raisin dans le bol de fruits gisant à portée, l’apportant lentement à ses lippes taquines. Ses pupilles d’un vert tendre, quant à elles, étaient fixées sur le brun. Et si la jeune femme paraissait de ce fait détendue et alanguie, la lueur brillant dans ses prunelles printanières assuraient du contraire, enjoignant même la personne leur faisant face de se tenir tranquille.

Après tout, qui serait assez fou pour jouer avec une Lionne ?

Bien installée contre le renfort de la baignoire, la belle à la crinière sauvage émit un soupir d’aise, faisant brièvement gonfler sa poitrine, ses paupières enfermant dans leur écrin ses pierres précieuses au couleur de l’émeraude. Elle mâchonnait pensivement son grain de raisin, ne remuant qu’à peine lorsqu’elle sentit la pointe brune des cheveux de Loghart caresser lascivement sa poitrine alors qu’il penchait la tête en arrière pour quémander un fruit similaire au sien. Ce qu’elle fit sans poser de question, répétant son geste pour, cette fois-ci, glisser l’orbe violine entre les lèvres du milicien, et non les siennes tandis qu’il se laissait aller contre elle sans pour autant franchement s’appuyer.

- Un petit verre de vin pour parfaire ce moment ?

S’il ne pouvait voir le sourire qu’elle arborait, il pouvait néanmoins entendre le son amusé qui roula le long de sa gorge, résonnant dans ses oreilles pendant qu’elle tendant son bras fin pour se saisir de la carafe, remplissant les deux verres sans mettre une goutte du liquide d’un rouge foncé à côté. Reposant la bouteille désormais bien entamée, elle attrapa une des coupes pour la lui tendre, attendant qu’il la prenne afin de faire passer la sienne dans sa main opposée, gardant sa senestre libre.

Senestre vagabonde s’il en est puisque cette dernière prit son envol pour se déposer telle une plume sur l’épaule de Loghart, se mettant doucement à pianoter une symphonie inconnue sur la peau marquée, descendant crescendo jusqu’au torse glabre pour s’y arrêter, l’enjoignant d’une simple pression, identique à celle qu’elle avait exercée dans le haut de son dos, pour qu’il se cale contre son abdomen ; entourant désormais son cou d’un bras tendre, sa senestre câline cajolant songeusement l’épiderme frissonnant sous ses digitales volages, s’arrêtant de temps à autre sur telle ou telle marque emprisonnée dans sa chair.

- Dis-moi… Chaque cicatrice comporte son lot d’histoire. Et si tu le racontais l’une d’entre elles ?

Son verre de vin se porta à ses lèvres pleines, portant néanmoins sa pleine attention sur l’histoire de Loghart. Violette délaissa le torse glabre quelques instants, sa main voletant une nouvelle fois vers la coupelle de fruits, saisissant encore un grain de raisin. A croire qu’elle avait tellement un faible pour ces orbes violettes qu'elle vint glisser entre ses lippes charnues avec une certaine forme de délectation.

- Un peu plus et ta témérité aurait pu te coûter la vie. La pointe de ses doigts revenant cajoler la balafre en question durant une poignée de secondes, repartant caracoler derechef vers une autre destination, parcourant les pectoraux du brun de leurs petits aiguillons, s’aventurant à nouveau jusqu’à son nombril avant de dériver sur son flanc droit, emprisonnant le milicien entre sa voluptueuse poitrine et son bras délicat.

- Et celle-ci ? Que peux-tu m’en dire ? Encore une histoire où tu as failli y passer sur un coup de tête ? Un léger rire de gorge moqueur gronda dans son thorax, résonnant dans un bruit sourd contre les parois de la baignoire. Sa tête se décrocha du rebord couvert de lin, s’avançant un peu pour pouvoir nicher son menton sur l’épaule de son compagnon de soirée, son souffle frémissant dans son cou.

- Je n’arrive pas à savoir si tu es doué de chance ou tout simplement malchanceux. Une chose est sûre, tu as le don d’attirer les emmerdes. Violette émit un léger rire de gorge, effleurant la balafre du bout des doigts d’un petit air songeur. Songerie qui laissa place à la surprise lorsqu’elle sentit les lèvres de Loghart sur sa joue, ébrouant son corps mince d’un infime sursaut ; ses pupilles émeraudes le regardant en coin, en parties dissimulées par la dentelle épaisse de ses cils noirs.

Un léger frisson s’empara d’elle sous les douces caresses s’élevant de son genou à sa cuisse, prodiguées par cette main volage aux doigts curieux, ne s’y dérobant pas pour autant malgré une légère crispation de son être tourmenté. Cependant, elle ne dit rien lorsqu’il se lova un peu plus contre elle, esquissant même un sourire amusé sous ses murmures taquins.

Vidant son verre de vin d’une traite avant de le poser au côté de celui de Loghart, sa main quittant délicatement la coupe pour venir se réfugier dans la tignasse brune reposant sur sa poitrine, s’emmêlant dans les mèches sombres. Rien que ce geste ramenait à sa mémoire des souvenirs encore bien trop frais malgré le temps passé, tiraillant son pauvre cœur dans tous les sens, menaçant de le déchirer à tout instant ; perforant son âme morose des pointes acerbes de la cruelle culpabilité.

- C’est une façon détournée de me dire que tu n’as pas envie de te laver ou pour me demander de le faire à ta place ? Un large sourire espiègle s’imprima sur son faciès mutin, papillonnant exagérément des cils dans un faux air naïf, mimant la confusion sans une once de pitié.

Les grains du temps s’écoulèrent. Les secondes s'égrènant doucement. La réponse de la jeune brune se faisait attendre.

Sa main délicate quitta le flanc de Loghart, remontant lentement le long de son ventre puis de son torse en une tendre caresse, légère comme une plume, ses doigts fins virevoltant lascivement sur la peau pâle, taquinant la mince toison noire éparse se présentant sous sa pulpe digitale, continuant leur remontée cajoleuse jusqu’à l’épaule sur laquelle était perchée son menton, venant finalement se loger dans l’épaisse et indomptable crinière bouclée ébène et ivoire, dérangeant les lianes folles de sa chevelure ténébreuse où régnait l’éclat d’un rayon de lune.

Une petite mine songeuse naquit sur les traits juvéniles de la jeune femme tandis que sa mâchoire quittait son perchoir de chair, son dos basculant en arrière, se laissant mollement tombée en arrière, cognant doucement dans un bruit sourd contre la paroi de la baignoire ; l’arrière de son crâne touffue reposant sur le rebord, ses yeux au couleur chaleureuse de l’herbe printanière dérivant vers le plafond de la chambre alors que sa senestre venait replacer d’un geste pensif les obscures tentacules douées d’une vie propre auréolant son facétieux minois au teint diaphane.

Sa senestre, elle, demeura enfouie dans la tignasse brune quelques instants de plus avant descendre le long de la mâchoire masculine, pianotant une symphonie qu’elle seule connaissait. Une symphonie paresseuse et mélancolique , traduisant sans aucun doute l’humeur qui enveloppait Violette ; cette dernière semblant répartie dans les méandres abyssaux de ses tumultueuses pensées moroses et culpabilisantes.

Pourtant, un fin sourire amusé se mit à fleurir sur ses lèvres rosées, faisant pétiller ses prunelles fatiguées. Si tu me laisses choisir alors… Ses graciles menottes abandonnèrent leur jeu, ses coudes se reposant de part et d’autres du baquet, l’une saisissant son verre et l’autre, grappillant un énième fruit dans la coupelle. Ce soir, je vais plutôt opter pour la flatteuse. Un petit air d’espiègle défi ornant sa frimousse mutine, bien que beaucoup moins joueuse qu’au départ ; on pourrait même y déceler une certaine arrogance dans toute sa provocation.

Violette décortiqua du regard les muscles dorsaux élancé se présentant face à elle, dérivant sur le fessier ferme pour continuer sa lancée vers les jambes fuselées. Mais ce n’est pas un fin sourire coquin qui affleura sur ses lèvres charnues cette fois-ci. Ses yeux verts se détournèrent de cette vue les premiers, rapidement suivi de sa tête qui reposa sur sa senestre fermée en poing. Ses fins sourcils ténébreux se froncèrent, ses paupières s’abissèrent à demi, dissimulant en partie la couleur printanière de ses pupilles tourmentées, voilées par quelques souvenirs encore bien trop frais dans sa mémoire encombrée ; ses lippes pleines pincées.

Le liquide d’un rouge foncé tournoyait mollement dans son verre, suivant le balancier qu’émettait sa main droite au-dessus du vide, son avant-bras posé sur le rebord de la baignoire. Un grognement rauque s’échappa de sa gorge, vibrant dans l’air. Suivi d’un long et profond soupir traduisant toute la lourdeur s’étant abattu sur ses frêles épaules, tout le poids s’étant logé au fond de sa poitrine ; se sentant écrasée par ses pensées trouble-fêtes comme elle l’aurait été par un monceau de roc.

- Je ne peux pas… Cet aveu soufflé, presque murmuré, claqua néanmoins dans la moiteur de la chambre ; changeant l’atmosphère qui se prêtait au jeu en quelque chose de plus mélancolique. La jeune femme délaissa sa coupe de vin sur l’assise du tabouret trônant à côté du baquet et d’un mouvement souple des reins, se redressa ; attrapant un des larges draps de lin attendant d’être utilisé. Elle le déplia d’un geste, commençant à s’enrouler dedans avant même d’être sortie de l’eau encore chaude, laissant goutter l’eau sinuant le long de ses jambes à même le sol.

Emmitouflée dans son pâle linceul, un pli soucieux barré le front de la Lionne, ses prunelles malachites s’inondant d’une tristesse qu’elle ne laissait point couler, elle s’avança d’un pas lent vers la fenêtre contre laquelle son front cogna doucement dans un bruit sourd, paraissant chercher quelque fantôme au croisement d’une rue.

Si Violette entendit Loghart sortir de la baignoire et la rejoindre, elle n’en fit pas montre. Son front posé contre le verre embué de la fenêtre, ses pâles yeux verts contemplant la rue en contrebas, en direction, semblait-il, du port où il ne devait plus grouiller grand monde à cette heure de la nuit. Elle ne sursauta qu’à peine lorsqu’elle sentit les mains fermes du brun se refermer sur ses hanches rondes, un vague frisson dévalant le long de son échine tandis qu’un soupir ébranlait sa petite et mince silhouette.

Une courte vibration aux accents mélancoliques remonta de sa poitrine, s’échappant de sa gorge alors que son front s’éloignait de la fenêtre, ne pouvant repérer, de près comme de loin, le fantôme d’un passé bien trop ancré dans sa mémoire, dans sa chair. Ses omoplates s’écrasèrent sur le ventre musclé du grand brun, le tout étant séparé par l’épaisse mante de sa crinière bigarrée, recouvrant ses épaules et dévalant le long de sa poitrine, comme l’emprisonnant dans un ténébreux cocon protecteur. La brune croisa ses bras sous ses seins, un index paresseux se glissa dans son abondante chevelure pour en prélever une mèche, cette dernière s’entortillant malicieusement autour dans un geste fatigué.

- Il n’y a pas grand chose à dire, tu sais. Rien de plus que les lamentations pathétiques et pitoyables de n’importe quelle jeune femme, peu importe l’âge. C’est d’une tristesse à pleurer.

Le menton relevé, ses yeux verts errants sur le reflet dans la vitre, passant de son visage à l’expression d’un désespoir las à celui, plus sérieux, de Loghart. Ses paupières se refermèrent sur les billes d’émeraudes, renfermant leur précieux trésor dans leur écrin de chair alors que sa senestre se détachait de son flanc, voletant lentement vers le faciès masculin, venant délicatement se poser sur la joue gauche du brun, ses doigts pianotant une nébuleuse symphonie aux effluves mélancoliques. La pointe de sa langue outrepassa la barrière de ses lèvres charnues, venant l’humidifier d’un mouvement songeur, prestement remplacée par la blancheur d’une canine, mordillant la pulpe tendre sous elle ; cherchant certainement à gagner du temps sur une explication pour laquelle elle n’arrivait tout simplement pas à poser de mots.

- C’est… difficile à expliquer… Un énième soupir aussi lourd et profond que les précédents secoua le frêle corps de la jeune femme, crispant ses muscles fins. Juste… Ses sourcils se froncèrent, leur donnant l’apparence d’un oiseau s’apprêtant à s’envoler tandis que ses pupilles malachites s’éclairèrent subtilement, paraissant avoir trouvé un moyen quelconque de raconter ce qu’elle avait sur le coeur sans pour autant trop dévoiler de son histoire. Elle tordit son cou, dévisageant par en-dessous le milicien de ses perles péridots au travers de la dentelle ténébreuse de ses cils. Tu connais quelques romances contées que l’on pourrait qualifier d’épique ?