Une source d'information fiable

5 août 1166:

Encore une journée de plus au paradis ! C’est l’impression que j’ai depuis que je suis entré sur les terres du Labret, ici personne pour te voler ta bourse comme dans la capitale, personne pour te tuer comme dans les marécages, mais des champs et des bourgades sans beaucoup d’habitants. Maintenant, je suis sur les routes de cette belle contrée, toujours dans ma quête de trouver un bon partit, donc soit une noble avec des terres, soit une bourgeoise ayant une belle petite fortune.

J’ai toujours sur moi mon calepin avec les annotations de mes cousins que je renseigne scrupuleusement, même si cela me prend un temps fou, à cause de mes difficultés pour écrire. Ma monture semble aussi apprécier cette promenade, et même si je sais qu’il faut faire attention, la présence de Fangeux ou de bandits n’étant pas exclus, je suis quand même plus relâché que lorsque je fais la route pour Sombrebois, traversant de nombreux villages abandonnés avec la présence de moult squelettes d’être humain sur le bord de la route.

Ici, je ne vois rien de tout cela, quelques champs et devant moi un village du nom de Najac, mon objectif pour cette journée. J’arrive donc sur ma monture et je descends pour m'identifier devant une patrouille de gardes, montrant par simple automatisme mes avants-bras afin de leur indiquer que je n’ai aucune marque de bannis. Une fois cette formalité faite, la longe de mon cheval bien en main, je passe devant un boulanger, puis une auberge où je m’arrête enfin, car j’ai comme d’habitude très soif et ma flasque que j’utilise dans les cas d’urgence est pratiquement vide.

Je commande une bonne bière et je la bois dehors, écoutant d’une oreille pensive les coups de marteaux des ouvriers qui construisent la muraille, il y a bien sûr l’odeur habituelle de fumier, mais je n’y même plus garde, ses quelques semaines de voyage m’ont complètement insensibilisé l’odorat. Une fois ma chope terminée, je demande au tenancier de l’établissement :

Je cherche quelqu’un qui pourrait me renseigner sur les personnes riches du coin.

Je vois mon interlocuteur sourire et me dire :

Si vous cherchez une personne fiable connaissant tout de cette contré, vous devriez aller voir sœur Winifred des Rosiers, elle connaît tout le monde ici et pourra être à même de vous répondre.

Une religieuse ? C’est ma foi une excellente idée ! Ce genre de personne à accès au genre d’information dont j’ai exactement besoin et si en plus elle est en contact avec le gratin de la région, ce sera encore plus facile. Je remercie donc le brave homme et après avoir demandé mon chemin, je frappe à la porte de la représentante des Trois, certain que tout va aller comme sur des roulettes.

Winifred était assise sur l'une des marches qui se trouvait à l'entrée du temple de Najac. Temple où elle officiait quotidiennement avec les autres prêtres et prêtresses, peu nombreux en ces terres il fallait l'avouer. Elle était accompagnée de deux gamins du coin qui, plutôt que d'aller embêter la meute de chiens du village, étaient venus poser des questions à la mamie.

-C'est lequel, ton préféré ?
-Oh, je n'ai pas de préféré, je trouve qu'Ils ont trous les Trois un rôle très importer à jouer.
-Papa il dit qu'Anür elle est trop belle.
-Nul n’égale la beauté d'une déesse, mon p'tit.
-Ma maman elle est plus jolie qu...
-PERSONNE.

La gamine avait ravalé la fin de sa phrase.

-Tu peux nous raconter encore une fois Le Voyage ? C'est bientôt, dis ?
-Oh mon petit canard, on a encore le temps, c'est le 21 décembre. Nous sommes en août. Mais Le Voyage, tu vois, c'est pour toutes ces personnes qui sont mor...
-Mangées par les fangeuuuuuux ! Hurla le môme ce qui effraya la gamine et attira les regard des passants. Winifred, un peu gênée, donna un coup de canne dans l'épaule du môme.
-Pas si fort, tu sais que les gens n'aiment pas ce mot. Et a raison ! Donc, on fabrique un petit radeau en bois po...
-Pourquoi pas en pierre ?
-Venez avec moi.

Winifred écrasa les deux petites têtes assises sur la marche juste en dessous pour prendre appui afin de se lever. Elle agrippa sa canne et s'éloigna du temple avec les marmots derrière elle.

-Tiens, ramasse moi ça, petite carotte. La môme s'exécuta, curieuse.
-J'en fais quoi ?
-Patiente. Et Winifred continua sa marche, claudicante. Tiens, v'là. -Toi, ramasse ce bâton ! Et le garçonnet s'activa.

Ils arrivèrent près de la muraille et un seau traînait. La petite pluie de la veille et de l'avant veille dans la nuit avait laissé quelques centimètres d'eau à l'intérieur.

-Pose ton bâton dans l'eau, suggéra t-elle au garçonnet qui le fit immédiatement. -Il fait quoi le bâton ?
-Il flotte ?
-Il flotte. Maintenant, pose ton caillou sur l'eau. Et la fillette posa son caillou qui tomba dans un bruit sourd au fond du seau.
-Oh, bah, il coule.
-Eh oui, il coule. C'est pour ça qu'on fait des radeaux en bois et pas en pierre, sinon on... Eh mais, revenez !

Les gamins furent distraits par d'autres mômes qui jouaient pas loin et disparurent en un temps record.

-Désolée, dit Winifred en s'adressant aux Trois. J'ai même pas pu raconter Le Voyage. Bon, ben, je retourne au temple.

Pour se faire, elle passa devant l'auberge. Elle se serait bien fait un petit thé, alors elle s'approcha du comptoir dont sa tête dépassait à peine et...

-Tiens, on te cherche, sœur Winifred.
-On me cherche, meurs la vigne raide ?! S’interrogea t-elle

Le tenancier se frappa le front de la paume de sa main. Un client accoudé au comptoir lui suggéra de parler plus fort.

-Là, r'garde, lui là, il te cherche ! Dit-il en désignant le golgoth qui frappait à la porte du temple. Puis sans chercher à comprendre, le gérant sorti et cria au gaillard de venir, qu'elle était là.

Si Winifred était dure de la feuille, ses yeux, eux, fonctionnaient bien. Et d'un coup, comme si les Trois lui avaient donné le pouvoir d'être très vieille sur commande, la mamie se mit à souffrir affreusement des pieds et du dos.

-Ouille ouille ouille, aidez-moi ! Cria t-elle en direction du grand bonhomme.

Paniqué, le client qui s'était accoudé au bar attrapa Wini sous les bras et elle lui enfonça sa canne dans le pied.

-Rah pas toi, lui, le beau bébé ! Grogna g-elle en le désignant du doigt.

À peine ai-je frappé à la porte du temple que je suis interpellé de manière bien cavalière par une voix qui me semble familière. Je me retourne donc pour voir l’aubergiste à qui j’ai parlé peu de temps auparavant qui m’indique que la personne que je cherchais étant dans son établissement. Je m’approche donc de la taverne et je vois un curieux couple, une très vieille femme qui doit avoir dans les cent ans et un homme qui la prend par le bras, sans doute son arrière-petit-fils.

Ils semblent avoir une dispute, car la vieille l’attaque avec sa canne, tout en me pointant du doigt. Je me contente de hausser les épaules, car les querelles familiales ne m’intéressent pas, j’en ai eu mon compte pendant ma jeunesse. À la place, je vais directement voir l’homme qui m’a appelé et je lui demande :

Me voici, où est la religieuse ?

Il me sourit et me dit :

Elle est juste à votre gauche, messire.

Je me tourne et vois l’ancêtre, je prends alors le temps de l’étudier plus en détail, elle est petite et semble pouvoir se casser au moindre souffle de vent. De plus, elle est bossue, avec un visage tout fripé, un nez bizarre, des yeux sans doute aveugles, je ne reconnais pas de robe de prêtresse et si je l’avais croisé dans la rue, je l’aurai pris pour une folle avec ses dessins sur ses joues. Pourtant, je dois quand même essayer et elle cache peut-être une intelligence vive malgré son apparence, car elle n’a pas vraiment une tête de porte-bonheur, je lui demande donc :

Vous êtes sœur Winifred ?

J’attends sa réponse, que j’espère quand même positive avant de lui demander :

Je suis le chevalier Desmond de Rochemont, auriez-vous un peu de temps à m’accorder ? Ce ne sera pas long et je peux payer votre repas.

Toujours être en bon terme avec les représentants des Trois, c’est ma devise, je ne veux pas être maudit ou pire, car j’avoue avoir peur des Dieux et j’essaye au maximum de respecter les principaux préceptes. Bien sûr, c’est impossible de tout suivre, ou alors il faut être un saint, mais je fais les principaux, comme faire des offrandes, ne pas faire de mal aux membres du clergé et ne pas injurier les Dieux, c’est déjà pas mal.

Après, il existe d’autres choses comme ne pas tuer ou être aimable avec son prochain, mais c’est un peu flou et je préfère me concentrer sur l’essentiel. Si mon interlocutrice accepte, nous allons pouvoir prendre une table.

Winifred arrêta sa comédie voyant le beau bébé de près, il avait visiblement du vécu, le visage presque aussi marquée que le sien, mais différemment. C'est qu'il est vraiment grand aussi, au moins la taille de l'étagère dans sa petite modeste chambrée. Et puis bon, elle pouvait faire ce qu'elle voulait, c'était fini l'époque où elle pouvait jouer de ses charmes. Les chicots en moins et les poils au menton, c'était pas ce qui était le plus glamour. Elle tapa sans faire exprès une dernière fois dans les genoux de l'homme qui voulait pourtant l'aider et se remit sur ses pattes frêles. Elle s'excusa maladroitement auprès de sa victime tout en s'approchant du loustic géant. A côté de Winifred, il fallait avouer que peu étaient petits, elle leva la tête et s'en fit presque craquer les cervicales.

- Elle est là, la belliqueuse, dit-elle en posant ses deux mains sur le bout de sa canne sans se rendre compte qu'elle n'avait pas dit "religieuse". Winifred, ma p'tite carotte, c'est bien moi. Ouuuh, un chevalier, me voilà toute émoustillée.

Le gaillard devait pas être particulièrement habitué à se faire appeler petite carotte, mais face à cette dame âgée qui perdait un peu la boule, les gens ne disaient souvent trop rien.

- J'ai eu très mal au dos ou aux jambes, j'sais plus bien, l'petit là il m'a aidée à m'relever. J'ai l'agitation de la canne facile quand je souffre, tu vois ? Enchantée, Desmond de Rochemont. Le gamin va nous servir une petite soupette, j'ai arrêté de mâchouiller du solide il y a fort longtemps. Chevalier vous dites ? Vous v'nez d'où comme ça ?

Tutoiement, vouvoiement, la vieille dame ne faisait même plus trop attention à ce qu'elle racontait, fallait s'y faire. Winifred réajusta ses vêtements peu reluisants mais néanmoins d'une propreté exemplaire et zieuta la taverne pour trouver deux petites chaises disponibles. Elle pointa de sa canne une table idéale et tendit le bras pour se faire accompagner. Pourquoi ne pas profiter un peu de la jeunesse ?

La vieille dame était très curieuse de savoir ce qu'on lui voulait. A Najac les gens pensaient qu'elle avait complètement perdu la boule, parce qu'elle avait un petit côté marginal mais c'était sans savoir qu'elle était un puis de connaissances. C'est qu'elle en avait du vécu la p'tite dame, trois mariage dans les dents, des prières effectuées, des miliciens bénis... Ah, le bon vieux temps. Maintenant on tapait sur des créatures venues de nulle part et on fuyait la nuit.

- C'est à quel sujet ? Demanda t-elle donc très curieuse, toujours le bras tendu espérant que le gaillard s'en saisisse pour la guider.

La religieuse me répond de manière bien étrange, me traitant même de carotte, c’est d’ailleurs la première fois de ma vis que l’on me prend pour un légume. Mais malgré cette entrée en matière un peu cavalière, car elle m’indique avoir des fuites urinaires, elle accepte mon invitation et m’indique de sa canne, une table.

Je l’aide à se déplacer, lui prenant le bras et la portant à moitié pour gagner du temps, commençant à avoir faim. Je l’installe donc confortablement sur sa chaise avant de faire de même et je peux ainsi répondre à sa question :

Je suis venu dans le Labret pour trouver une femme, mes cousins m’ont fourni une liste de femmes disponibles et faisant partie de la noblesse ou de la haute bourgeoisie et vivant ou ayant des biens ici.

Voilà, d’habitude, je suis plus discret sur le but de mes investigations, mais je suis face à une prêtresse et je ne crains donc pas que mes propos soient rapportés, mais comme deux précautions valent mieux qu’une, je lui précise :

Bien sûr, tout ceci doit rester secret, je ne veux pas que les femmes du coin me sautent dessus, pensant que je suis désespéré, vous comprenez ?

En effet, j’ai peur que les membres du peuple, voyant en moi, une échelle sociale, me tendent des pièges avec leurs filles en âge de se marier. Il s’ensuivra inévitablement des déceptions, des scandales et ma réputation sera ternie. Je dois donc faire attention et faire profil bas, ce qui, avec ma carrure est loin d’être facile.

Nous sommes interrompus par l’aubergiste qui dépose sans façon deux bols en bois, remplis à ras bord d’une soupe brûlante. Je regarde le plat avec suspicion, car il me semble y avoir plus d’eau que de légume et après en avoir pris quelques gorgées, je remarque que c’est bien le cas.

Pourtant j’ai faim et je la bois plus que je la mange, avant de poser à mon tour des questions à mon interlocutrice :

Alors, pouvez-vous m’aider ? Vous devez connaître tout le monde ici et me dire quelles est les bons partit dans ce village et ceux aux alentours pour un chevalier de mon âge ?

Je précise cela, car trente ans commence à faire vieux et je dois donc assurer ma descendance au plus vite, je lui indique même :

Vous n’aurez pas à faire à un ingrat, je vous devrais une faveur.

Et ça, pour un chevalier tel que moi, ça veut dire beaucoup.