[Event] - [Terminé] - Demain dès l'aube

Le sourire de Ryn était engageant. Elle n'était pas en colère, ce qui, la connaissant, était plutôt un bon point. Elle ne risquait pas de le faire reculer jusqu'au bord du toit et de le faire descendre avec un coup de pieds aux fesses. Mais la caresse que Théophile ressenti n'était pas des plus engageantes dans son projet de lui faire comprendre pourquoi ils ne pouvaient pas se côtoyer de cette manière. Et même si elle voulait tenter de le dissuader du contraire il devait rester fort. Si, Ryn vivrait, surtout si elle restait loin des combats. Il s'assurerait autant qu'il pourrait de cela. Par contre qu'elle lui rapelle qu'elle pouvait lui faire du mal, ça il le savait parfaitement.

"Me blesser ? Je sais que tu peux le faire mais je sais aussi que bien souvent tu ne me veux pas le faire volontairement. Par contre c'est sûr que tu sais appuyer là où ça fait mal."

Un petit rire ponctua sa declaration, mais il disparu bien vite. Le reste du discours de l'ex-mercenaire lui était confus, alors que le visage de son amie s'approchait. Front contre front, visage contre visage. Il était parfaitement conscient de ce qui se jouait, mais son esprit refusait de se l'avouer.

"Ryn…"

De quoi parlait-elle ? Que voulait-elle de lui ? Pourquoi répondait-elle à chacune de ses affirmations ? Il lui avait bien dit ce qu’il en était ? Et pourquoi n’écoutait-elle jamais la raison ? Pourquoi cela ressemblait-il à une promesse ?

Bien vite, la réponse lui parvient. Les lèvres chaudes qui vinrent se poser sur les siennes completèrent toutes ses interrogations. Par les Trois, qu'il était bon de sentir la chaleur de quelqu'un d'autre à ses côtés. Ce sentiment de plénitude qui l'emplissait en cet instant, rien d'autre que la présence d'un être cher ne pouvait le combler.

Sans qu'il n'y réfléchisse, ses instincts prirent le dessus et vinrent saisir les hanches de sa compagne pour la rapprocher de lui. Il en voulait plus. Plus d'affection, plus de chaleur, plus de ce qui le faisait frissonner. Plus de ce que la Fange lui avait retiré, plus de ce bonheur qu'il cherchait tellement à retrouver.
Sa langue vint quémander l'entrée pour aller rencontrer sa jumelle et danser avec elle pour ma première fois. Le goût de l'hydromel était bien meilleur sur elle, alors que pour la seconde fois de sa vie, il pouvait sentir d'aussi près l'enivrant parfum de son savon. Rien d'extraordinaire sans doute, juste celui de Ryn.

Celui
De
Ryn

Ouvrant les yeux, qu'il n'avait pas senti se fermer, il mit fin a leur intermède en reculant son visage de quelques millimètres. D'ailleurs, il était toujours suffisamment près pour que son souffle vienne s'écraser contre celui de son amie.

"Il ne faut pas..."

Qu'etait-il en train de faire ? Allait-il vraiment se laisser aller a baffouer l'honneur de quelqu'un qu'il estimait ? Même si elle le lui demandait, n'était-ce pas à lui de stopper tout ceci avant d'aller trop loin ? Dans la brume de luxure qui était en train d'anéantir doucement ses dernières goutte de conscience, son honneur se battait avec ses envies.

"Ryn tu le sais aussi.."

Oui Ryn était quelqu'un de raisonnable quand elle le devait. Il pouvait compter sur elle pour stopper l'inévitable. Il le fallait, parce que lui n'en était plus vraiment capable.

"Il ne faut pas..."
"Ryn tu le sais aussi.."

Tout cela, il lui dit, après l'avoir rapproché de lui, après avoir approfondi leur baiser… Il aurait pu éviter tout ça. Il aurait pu la repousser bien avant que le cœur de Ryn ne s'emporte… Mais non…

– Il n'y a que toi qui le pense, Théosouffla-t-elle, déçue. Mais je savais que tu dirais cela… Comme quoi…

À son tour, elle prit ses distances et, l'espace d'un instant, songea à reprendre le chemin inverse, jusqu'aux caisses empilées qui les avaient conduits ici.

- Je ne sais vraiment pas pourquoi les Trois nous poussent sans cesse à nous rencontrer… Peut-être est-ce une sorte de punition, finalement…

Au fond, elle n'était ni triste, ni réellement en colère … Pas même un peu étonnée par sa réaction, mais blessée tout de même. Il lui en avait fallu du courage pour faire ce pas dans sa direction… Pour oser l'embrasser après tout ce qui s'était passé entre eux. Mais les idées, particulièrement arrêtées de Théophile, y avaient mis un sacré frein.

– Je pensais qu'être une personne honorable signifiait tout autre chose. Je pensais avoir plus de valeur que cela… Mais visiblement, mon honneur se situe au niveau de mon entrecuisse… Je pensais que cela représentait bien plus, mais apparemment, j'avais tort, pouffa-t-elle, amère. Je préférerai que tu me dises que tu me déteste, que je te dégoûte ou….Je sais pas, tout mais pas que tu me rejettes pour mon "bien"... ou pour que n'importe qui d'autre que toi ait l'ignoble tâche de m'embrasser voire plus encore… Il y a des centaines de raisons de me repousser pourtant…

Ryn serrait les dents et semblait même ne plus tenir en place. En réalité, elle pensait à redescendre pour trouver un homme dans la rue, n'importe lequel pourvu qu'il veuille bien la débarrasser de cet "honneur" devenu trop pesant'

– Je n'insisterais pas… Tu vois, pour une fois, j'aimerais juste être moi … me sentir désirée, recevoir un peu d'affection…Je pensais vouloir la tienne mais, au fond , tu l'as dit : je suis une belle fille… C'est largement suffisant… N'est-ce pas ? N'importe qui ferait l'affaire…

Pfff.Cette fois, pour Ryn, il était grand temps de tirer sa révérence face à cet échec cuisant, cette humiliation supplémentaire… C'en était trop.

– Je suis désolée de t'avoir poussé la main… Je n'aurais pas dû.

Quelque chose se jouait là, Théophile le sentait. Mais il récupérait à peine ses facultés mentales alors que la chaleur d’Aeryn s’éloignait. Alors, de quoi s’agissait-il ? En tentant de remettre ses pensées en ordre, le borgne se félicita de voir qu’Aeryn était elle-même consciente que ses paroles étaient celles à dire à ce moment là. Et, les Trois en soient remerciés, elle s’était reculée, lui laissant de quoi rester un homme honorable. Même si son mini-lui, et d’autant plus son cœur, protestaient contre le manque qui en résultaient.

En scrutant le visage de son amie, l’archer vit qu’elle tentait une plaisanterie, mais quelque chose clochait. Il pencha légèrement la tête pour tenter de déterminer ce que cela pouvait être. Mais, ils étaient d’accord non ?

Alors qu’elle était en train de s’excuser, le reste de ses paroles arrivèrent enfin jusqu’au cerveau principal du concerné. Le fait qu’elle ne veuille pas comprendre lui picotait durement la nuque. Que fallait-il qu’il fasse pour qu’elle intègre qu'il le faisait pour elle ?!
Il se releva, bien peu heureux de voir à chaque fois ses paroles détournées. Si elle ne voyait pas de quoi il voulait lui parler lui, alors autant lui faire saisir d’une autre manière. Puisque les compliments ne l’atteignaient pas, alors peut-être toucherait-il son égo de furie rousse.

« Tu veux être une de ces femmes que tu étais si prompte à juger Ryn ?! Tu veux être l’une de celle que l’on prends à même un mur dans une ruelle ?! A qui l’on donne quelques pièces pour la remercier de donner son corps ?! Parce que c’est ce qui arrivera si tu t’obstine dans cette voie. »

Qu’Anür garde le moindre type qui oserait vouloir donner des pièce à la femme en face de lui pour tenter de la toucher. Il se ferait un plaisir de lui faire comprendre son erreur d’une flèche près de ses bijoux de familles. OU en plein dedans, il n'était pas sûr de pouvoir se retenir de viser juste.
Théophile souffla une coup, il fallait qu’il redescende. Rien que s’imaginer ça le rendait bien trop furieux. Certes il cherchait une manière d’atteindre Ryn, il ne voulait pas non plus qu’elle croit que c’est contre elle qu’il était autant en colère. Enfin, si, un peu quand même. Mais c’était pour son bien, il avait suffisamment vu de prostituées pour savoir comment certaines avaient commencées. Ce n’était ni la fange, ni les dettes de leur père qui les avaient menées dans cette voie sans issue, mais une erreur, une seule, qui avait maudit leur futur.

« Pourquoi ne veux-tu pas croire qu’il y a un homme, ici-bas, qui pourra t’épouser et te rendre heureuse en ce bas monde ? Pourquoi tu refuses l’idée du mariage alors que c’est la seule qui te permettra de combler ces choses que tu recherche ? Ryn par les Trois ! Tu cherches la paix, de l’affection, te sentir désirable, c’est la définition même de l’amour ! Tu ne veux pas en entendre parler, pour toi c’est de la foutaise ! Mais bordel c’est exactement ce que tu cherches ! »

Peut-être avait-il à nouveau haussé le ton sans le vouloir depuis qu’il en avait fait appel à la trinité. Mais qu’ils en soient témoin, Aeryn Monclar avait cette tendance à appuyer sur ses mauvais côtés et ses mauvaises blessures. Pour la seconde fois en quelques minutes, le borgne expira le plus d’air possible pour s’inciter au calme.

« Maintenant que tu as arrêté de te battre contre le monde entier, ne peux-tu pas prendre le temps d’y réfléchir ? Et d’au moins tenter de laisser un homme se frayer un chemin jusqu’à ton coeur ? Est-ce si difficile ? »

Il savait certaines des peurs du Chaton, mais aujourd’hui elle avait suffisamment de sécurités ici, à Usson, pour les surmonter. Et pourtant, elle n’avait même pas essayé de passer au-dessus de ses anciens traumatismes.

En un sens, Théophile aurait dû la gifler, la poignarder plusieurs fois avant de lui cracher au visage… Il aurait dû, cela aurait été beaucoup moins douloureux, moins humiliant pour la rouquine qui, malgré tout, restait silencieuse. Aeryn encaissait, prenant grand soin de décortiquer chaque mot, chaque phrase dans l'espoir d'y trouver un peu de positif…

Mais elle ne trouva rien de tel, rien du tout.

Après tout, ne venait-il pas de l'insulter en affirmant qu'en continuant ainsi elle deviendrait, forcément, l'une de ces pauvres filles qui ne pouvaient rien faire d'autre que de vendre le corps pour survivre … Cela ne pouvait pourtant pas être son cas à elle. Ces femmes n'avaient aucune autre possibilité, contrairement à Ryn… Mais qu'importe, ce n'était pas le fond du problème. Le souci ici c'était que lui la voyait ainsi. Ni plus, ni moins.

Aussi, lorsqu'il acheva sa bien désagréable tirade, Ryn se contenta de lever la main, calmement …

– J'en ai suffisamment entendu. C'est bon, souffla-t-elle d'une voix anormalement neutre.

Elle aurait évidemment pu lui dire qu'il se trompait sur toute la ligne. Lui expliquait qu'il avait tort concernant ses "rêves" de paix… Mais, au fond… À quoi bon puisqu'il ne voulait rien entendre ? Il voulait la tenir loin de lui, l'on pouvait affirmer qu'il avait réussi.

– Adieu, Castaing, lança-t-elle finalement avant de lui tourner le dos.

Parfois, force est de reconnaître que certains combats sont perdus d'avance.

Le départ de Ryn sonnait comme un glas. Ou comme les dernières paroles que l’on adressait à ses proches avant qu’ils n’entrent dans le royaume d’Anür. Quoi qu’il en soit, ça n’avait rien à voir avec la réaction qu’il imaginait provoquer chez Aeryn. Pas de colère, pas d’indignation. Rien qu’une calme inhabituel pour la furie rousse.

Il ne sut même pas quel était le fond de ses pensées car elle le laissa planté là, avec sa certitude d’avoir fait ce qu’il fallait, tout en faisant le pire. L’estomac du borgne semblait lui peser bien lourd alors qu’il redescendait le panier. Demain, il irait s’assurer que son amie allait bien. Même si ses mots laissaient penser qu’elle ne voulait plus le voir, son manque de rage laissait entendre que ce n’était peut-être qu’un passage, comme ils en avaient déjà eut. Sa garde commençait en fin de nuit et se terminait en milieu de mâtinée, il aurait le temps de fureter dans le village à la recherche d’une rouquine. Et puis, il avait une excuse, il fallait qu’il lui rendre son voile, laissé à l’abandon en bas de la maison où ils avaient commencé leur dîner.

La belle de Kaël était toujours présente à l'auberge et il força un sourire sur ses traits au moment de lui rendre le panier. Mais, contrairement à ses habitudes, il ne resta pas pour plaisanter, ni pour boire un denier verre avant le couvre-feu. Non, il alla à la caserne, retrouver le petit lit qu’on lui prêtait.

Quelques heures plus tard, le milicien n’avait presque pas dormi. Les cauchemars étaient revenus le hanter, ajoutant Ryn dans la tragédie infernale qui peuplait ses nuits depuis plusieurs semaines.