Forcer la chance ou la laisser faire [Finn - Terminé]

Tout semblait un peu tranquille, dans l’auberge du vieux Charles. Le patron ronchonnait contre le prétendu inefficacité de son personnel et surtout de sa serveuse, qui pourtant, non-contente de slalomer entre les tables en évitant quelques geste déplacé passait un certain temps à faire la plonge et ramasser la saleté qu’accumulait les clients rarement délicats. Dans son coin de comptoir Margaux soupirait à chaque remarque et faisait semblant de rire ou allusion salace.

Il était tôt, même pas encore midi, par contre il était certain que la deuxième partie de la matinée était entamée. La jeune femme était occupée à passer un coup de chiffon sur les tables quand la porte s’ouvrir. Habituée à toujours lever le nez quand elle entendait le grincement caractéristique de cette foutue lourde, elle jeta un coup d’œil à qui venait d’entrer.

« Finn le joli cœur, quelle étrange surprise… »

Ce n’était pas vraiment étrange qu’il soit là, n’importe qui pouvait venir ici, mais s’était plus le jour qu’il avait choisi pour venir qui était intéressement curieux.

« Quel bon vent t’emmène ? T’as pisté l’odeur de gadoue que traîne Ilhanne jusqu’ici ? Parce qu’elle a débarqué comme une fleur ce matin. »

Il pouvait regarder où il voulait, il ne verrait rien qui appartenait à la rouquine, elle était déjà partie. Mais il pouvait voir un chiffon tacher d’un peu de sang qui traînait sur le coin du comptoir et quelque chose qui ressemblait à un nécessaire de couture.

La serveuse s’était approché du mercenaire avec un sourire taquin, elle ne semblait pas vraiment gêner par ce fait qu’elle se trouvait assez proche de lui, peut-être un peu trop proche.

« Si tu veux, on perds pas les bonnes habitudes. »

La voix de la jeune femme était assez basse pour que personne à part eux ne puissent l’entendre.

« Mais tu m’en dois déjà une … et j’ai un petit souci à régler. »

Elle se mordit la lèvre inférieure, un air un peu ennuyé. Laissant son regard parcourir la salle pour s’arrêter sur un trentenaire, plutôt costaud, du genre pas commode au premier abord.

« Lui ça fait presque une semaine qu’il crèche là, en soit ça j’m’en fous, mais il a la sale habitude de palper un peu trop, s’tu vois c’que j’veux dire. Fait lui comprendre que ça me plaît pas sans faire d’esclandre et je te dirais ou la trouver, ta belle. »

Un grand costaud comme Finn, il saurait sûrement se montrer plus convaincant qu’un petit bout de serveuse.

Spoiler:

Ils avaient eu leur premier contrat et la Compagnie des Lames avait pu se distinguer, au point qu'ils sentaient venir un début de renommée qui pourrait leur apporter d'autres sources de travail, mais également quelques ennuis sitôt qu'à force de voir leurs trognes, l'on saurait rapidement à Marbrume que les Mercenaires étaient en marche. La distribution de nourriture s'était faite presque sans heurts, ou en tout cas rien face à quoi Finn n'aurait pu faire face, cependant il avait décidé qu'il ne sortirait plus sans une épée courte dans l'enceinte même de la cité. L'homme avait patienté quelques jours, puis sans qu'il ne sache vraiment pourquoi, il avait eu envie d'aller se détendre et, pourquoi pas si la chance était avec lui, de croiser Ilhanne si jamais elle était de passage en vide. Et quel meilleur endroit que l'auberge du vieux Charles pour aller se détendre et glaner quelques informations au passage ? L'occasion de saluer Margaux, qui l'avait tiré d'un mauvais pas avec son amie, méritait qu'il lui accorda de l'attention, d'autant plus qu'il aimerait bien s'en faire une amie, lui aussi. C'est donc vêtu comme s'il était en mission, avec son armure de cuir et son épée courte au côté, ainsi que son poignard soigneusement dissimulé, qu'il passa la porte de l'endroit, son sourire toujours aux lèvres et l'air paisible. On aurait pu le prendre pour un Milicien, il en avait conservé quelques manières, comme cette façon de jeter un regard alentours pour scruter la zone qui s'offrait à sa vue et ainsi évaluer toute menace potentielle, remarquer tout détail anodin... comme ce set de couture et se chiffon tâché de sang. Les salutations de Margaux, aussi enjouées que d'habitude, l'empêchèrent de demander si quelque chose était arrivé.

- Bonjour Margaux.

Il sourit grandement en entendant que la chasseuse était passée par ici, une tonne de questions fusant alors dans son esprit, avant que la serveuse ne lui parle à voix basse de son problème. Immédiatement son expression se modifia et, si la jeune femme avait pu le voir tantôt enjoué, tantôt triste, c'était la première fois qu'elle voyait l'homme d'arme derrière le "joli cœur", dont la mine assombrie et le regard dur, avec une lueur acérée, aurait pu effrayer la cible de ce début d'indignation et de colère sourde.

- Je suis un homme de parole Margaux et même sans ma promesse, tu es l'amie de Ilhanne, cela me suffit.

Finn aimait beaucoup la serveuse, il la trouvait trop bien pour travailler dans un tel endroit, elle qui était si belle qu'elle pourrait trouver un mari bon et généreux, qui pourrait l'arracher à sa condition... Oui, mais voilà, Marbrume était désormais une cité retranchée et les opportunités se faisaient terriblement rares. Suivant son regard, il repéra immédiatement le grand costaud et, une fraction de seconde avant qu'elle ne l'informe qu'il s'agissait de lui, le Mercenaire en était déjà persuadé. L'homme avait la gueule de l'emploi, cette morgue aux lèvres, ce regard qu'on devinait agressif, de ceux qui sont prêts à bondir au moindre mot, au moindre geste qui leur déplairait, à la plus infime des choses, fut-elle inexistante. Par Rikni ce qu'il pouvait détester ce genre de type !

- Je vais essayer, mais je ne promet rien.

Il eut un sourire en coin amusé à son intention, doublé d'un regard qui se voulait encourageant, cependant la colère brillait déjà au fond de ses yeux et il se servit une bière -déposant une petite pièce quand même- puis s'avança d'un pas lent vers la table. Contournant l'individu sur un bon mètre, il tira une chaise et s'assit près de lui, lui lançant un large sourire qui n'augurait rien de bon quand on le connaissait et posant sa bière comme s'il désirait boire en sa compagnie.

- Hey bonjour l'ami. J'me sens un peu seul au comptoir, tu permet que je me joigne à toi ?

Affable, presque joyeux, il avait adopté l'air si particulier de ceux qui aiment boire et s'amuser, malgré son épée à son côté et son armure de cuir, de quoi le faire passer pour un milicien. Si le gars était juste de ceux qui palpaient trop, il fallait tenter une approche indirecte et ne pas le brusquer, pas tout de suite, attendre le bon moment et asséner alors sa "requête" à cette tête de pioche.

Margaux eut un bref soupir de soulagement quand Finn accepta de l’aider, même si il déclenchait une bagarre au fond, s’était pas si grave, le vieux Charles ferait la gueule quelque semaine, elle en entendrait parler jusqu’à la fin de ses jours. De toute façon les conneries du vieux Charles elle les entendait déjà à longueur de journée alors un peu plus, ou un peu moins, au fond, ça changeait plus grand-chose.

« Quelle bonne âme, encore un peu et je croirais que j’aurais mieux fait de te garder pour moi au lieu d’te pousser dans les bras d’Ilhanne. »

Evidemment elle plaisantait, son petit sourire et son air malicieux appuyaient bien ce fait. Pourtant, au fond, tout au fond, il y avait quand même cette petite pointe de jalousie. Ilhanne la désagréable et gauche petite chose semblait être tombée sur une perle sans rien faire pour, très loin de là. Il y avait de quoi faire point une petite touche d’amertume, même si elle se retrouvait noyer dans un océan de bons sentiments et de bons souvenirs.

La serveuse retourna à ses occupations, l’air de rien.

Le type à la table suivit du regard la mercenaire lorsque qu’il passa pour s’asseoir à sa table. Il avait un air un peu circonspect.

« S’tu veux. »

Bougonna-t-il sans vraiment de conviction, semblant ni vraiment heureux, ni vraiment, contrarié d’avoir de la compagnie.

« Haha, avec un p’tit lot comme ça face à moi, j’me sentirais pas vraiment seul. »

Remarque graveleuse à peine voilée, il se paya même le luxe de laisser son regard couleur sur la jeune femme qui était en train d’essuyer une table à quelque mètre de là. Légèrement penchée en avant, ses formes ne ressortaient pas trop noyer dans sa robe plus confortable et pratique que réellement avantageuse.

« Surtout qu’elle a l’air d’bien t’aimer la donzelle, hein belle gueule. Sa copine s’matin aussi elle était bien mignonne. Dommage qu’elle l’a pas recousue ici, j’aurais bien aimé voir c’qu’elle cachait sous sa ch’mise. »

Il eut un rire gras, et fini sa coupe avant de redemander à ce qu’on remplisse son verre d’une façon pas très courtoise. Il aurait pu siffler un chien qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Margaux qui était dans le dos de l’individu se permit de mimer le geste de l’étrangler quand elle entendit ce que ressemblait plus à un ordre qu’autre chose. Mais pour mériter sa paye, elle alla docilement prendre le pichet sur le comptoir et s’approcha pour remplir le verre.

« Charles t’sauve pas faut qu’tu m’aide j’ai pas assez d’force pour un truc. »

Le gérant venait de passer pour aller dans la ruelle. Elle avait saisi l’occasion pour pas rester trop longtemps à côté de l’homme qui la mettait pas très à l’aise. Elle se sauva tellement en coup de vent après avoir récupéré la pièce que le désobligeant inconnu avait laissée sur la table que Finn aurait pu le voir cette main traîner près de là où se trouvait le fessier de Margaux quelque instants plus tôt.

Il en tenait une couche celui-là et pas qu'un peu. Finn avait du se retenir de lever les yeux au plafond quand l'homme avait qualifié Margaux de "p'tit lot" car, bien que le compliment soit avéré, la façon dont il était fait trahissait le degré d'irrespect de l'individu et ne faisait qu'accroitre soudain l'envie du Mercenaire de lui en décocher une. Qu'à cela ne tienne, il pouvait bien lui laisser le bénéfice du doute, n'est-ce pas ?

- C'est vrai qu'elle est fort belle.

Tant qu'elle mériterait vraiment de trouver quelqu'un de bien pour veiller sur elle et l'épouser, mais là n'était pas la question, car déjà l'autre type enchainait sur sa propre personne, avec des réflexions qui, si elles n'étaient pas fausses, ne lui plaisaient pas pour autant. Bordel, mais ce mec ne pensait-il donc qu'avec son entrejambe ? La mention de Ilhanne eut le mérite de le clouer sur place, l'empêchant de balancer la pique qu'il s'apprêtait à formuler, le faisant légèrement pâlir alors que son esprit imaginait une chasseuse blessée, en sang, à tel point qu'il fallait la recoudre. Son cœur rata plusieurs battements, son expression se para d'inquiétude alors qu'il voyait arriver la serveuse suite à l'appel de l'autre gros porc. Et merde, une chose à la fois, pas question de bondir hors d'ici en ne faisant pas ce qui avait été convenu, bien que Finn coula un regard équivoque à Margaux, l'air de vouloir formuler un "pourquoi tu ne me l'as pas dit ?" qui ne franchit jamais la barrière de ses lèvres. Qu'à cela ne tienne, il repéra immédiatement la main qui manqua sa cible et prit une profonde inspiration, saisit sa bière et en vida la moitié cul sec.

- Tu sais, c'est pas seulement une belle gueule qui plait aux femmes comme ça, y'a une astuce, un truc secret qui fonctionne super bien.

Il eut un sourire qui se voulait amusé et complice, bien qu'en vérité au fond de ses prunelles brilla une lueur acérée, qu'un non habitué aurait pu attribuer à l'alcool ou à l'esprit de dragueur invétéré.

- Tu veux que j'te le dise ? Viens approche, faut pas que ça soit rapporté.

Finn lui fit signe de venir, se penchant avec l'air d'un conspirateur, en appui sur son bras posé sur la table, tandis que l'autre se glissait discrètement jusqu'à sa dague qu'il empoigna fermement. Sitôt l'individu à portée, il lui saisit la nuque et pointa l'arme contre son entrejambe, qu'un seul mouvement malheureux transpercerait immédiatement. Le regard du Mercenaire était devenu sombre et rageux, de ces colères qui menacent d'être noires et qui procurent à leurs dépositaires des airs de fou furieux. Sa voix grave prit des accents rauques alors que se mâchoire se crispait sous l'afflux d'adrénaline et l'envie de castrer sans attendre cette ordure.

- Écoute-moi bien, gros dégueulasse. Si jamais tu poses encore les mains sur mon amie, je te coupe ce qui est censé faire de toi un homme et je te l'enfonce dans le cul. Ensuite je te trancherais les mains et je te les ferais bouffer, morceau par morceau, et si tu dégueules je te le referais bouffer aussi sec, c'est bien compris ?

Le poignard traversa le tissu et vint piquer l'entrejambe, arrachant un couinement au sale type alors que la main de Finn serrait plus encore sa prise sur sa nuque et que son regard se faisait brillant de rage, ses dents serrées dans un rictus trahissant son désir de mettre à exécution sa menace.

- C'EST BIEN COMPRIS ?! C'est "Bonjour Mademoiselle" et "Au revoir mademoiselle", et si jamais j'apprends, par elle ou par qui que ce soit d'autre dans le quartier, que t'as osé lui faire quoi que ce soit, je te jure que même les Fangeux te paraitront délicats à côté de moi.

Puis le Mercenaire le repoussa violemment en arrière, assez pour le faire tomber de son assise, se levant d'un bond en rangeant sa lame alors qu'il le fixait comme s'il s'agissait du pire déchet que l'Humanité ait jamais porté. Il avisa la bière sur la table, puis décida de l'y laisser, sortant même une pièce d'argent de sa poche pour la jeter aux pieds de l'individu.

- Tiens, pour ta dignité et ta promesse.

Tournant les talons, Finn porta la main à la garde de son épée et garda les oreilles grandes ouvertes, les muscles tendus et les sens en alerte. Est-ce que l'homme allait essayer de l'attaquer lâchement par derrière ou bien avait-il compris la leçon ?

Heureusement que le vieux Charles entendait plus très bien parce qu’il aurait pas aimé que quelqu’un menace sa clientèle, même si s’était plus que mérité.

« Margaux bordel qu’est-ce t’as cor’ fait ? »

Il braillait de la réserve ou la serveuse l’avait fait entrer quand elle avait prétexté avoir besoin de lui. Margaux était quelque peu interloquée par le changement d’attitude aussi brutale qu’impressionnant du jeune homme. Note à elle-même de jamais l’énervé.

« Rien j’ai cogné dans une chaise et j’l’ai fait tomber s’tout. T’as pas b’soin d’venir. »

Le propriétaire maugréa, mais ne sembla pas vraiment pressé de venir vérifier si son employée disait bien vrai. La serveuse retourna derrière son comptoir pendant que le mercenaire s’approchait.

« Merci Finn, j’crois qu’vu la tête qu’il fait, il me cassera plus les pieds. Son p’tit couinement s’était parfait.»

Elle avait un petit air amusé au visage, ou plutôt satisfait. C’était peut-être qu’un gros beauf désagréable en moins, mais s’était déjà ça de pris, surtout que lui il en tenait une couche. Le gars qui avait été maltraité s’était relever difficilement. Et avait filer dans l’étage ou se trouvait les quelques chambres de l’établissement. Même déjà à moitié aviné, il avait préféré de ne pas tenter le diable, signe d’une certaine lucidité, ou d’une certaine couardise, dur à dire.

Mais Margaux, n’avait pas oublié le regarde que le jeune homme lui avait lancé quand l’ivrogne avait mentionné la rouquine et surtout le fait qu’elle s’était fait recoudre. Si il avait pu la fermer sur ce point, ça aurait été mieux.

« Fait pas cette tête, Ilhanne à rien, elle est juste arrivée avec une entaille un peu profonde, mais pas grave, sur le côté. Elle m’a juste dit que le convoi avec lequel elle était rentrée avait été attaqué par deux fangeux. Et c’est vrai que la plaie était pas toute nette. »

Ça ressemblait pas à quelque chose de métallique et d’affuté, même grossièrement. A traîner avec ce qui était pas toujours des gentils garçon, elle en avait vu des plaie, et celle-là, elle avait pas été faite par une arme.

« D’ailleurs à mon avis s’pour ça qu’elle est venue ici au lieu de rentrer chez elle directement, parce qu’elle ne voulait pas que Valériane lui pose trente-six questions. »

Ilhanne aimait pas qu’on lui pose des questions, jamais. Elle finissait toujours pas y répondre, en y mettant foule de mauvaise volonté, mais elle aimait pas ça.

« Chose promise, chose due. J’ai envoyé la d’moiselle aux thermes, parce qu’elle était couverte d’boue et d’sang, fin’ pas que du sien et heureusement vu la couleur. S’tu parts maintenant tu la r’trouvera là-bas quand elle aura fini. »

Le mensonge était petit, mais faisait toute la différence, Ilhanne était parti il y avait très peu de temps en fait. Elle était restée un peu après s’être fait recoudre pour récupérer, le fait de se faire enfoncer une aiguille dans la chaire n’étant jamais très agréable. Ce qui fait qu’elle était partie très peu de temps avant l’arrivée du Mercenaire. Du coup, si il la rejoignait, elle serait sûrement assez peu habillée.

« Mais tu peux aussi l’attendre ici, parce qu’elle doit revenir. J’avais libéré mon après-midi, pour qu’elle essaye encore de m’apprendre à tirer à l’arc. Mais le vieux Charles peut bien avoir un imprévu qui demande ma présence… comme par hasard.»

Margaux était penchée sur le plan de travail, un chiffon qu’elle triturait dans les mains et un petit air taquin. Se demandant ce qu’il allait choisir, même si au fond, elle penchait plus sur la solution raisonnable. Dommage, rien que l’idée de la tête d’Ilhanne voyant le Finn débarquer aux thermes était très, très amusant.

Il était resté en alerte, mais finalement le temps qu'il atteigne le comptoir en bois, l'homme venait à peine de se remettre sur ses jambes, non sans ramasser la pièce d'argent, puis sans même un regard dans leur direction, fila à l'étage sans demander son reste. Finn hocha la tête, l'air lui-même satisfait tandis que son expression se radoucissait à vue d’œil, son attention se reportant sur Margaux à qui il ne parvint pas à sourire immédiatement, non pas parce qu'il était encore trop remonté -encore que...- mais parce qu'il s'inquiétait pour Ilhanne dont il n'eut même pas besoin de demander des nouvelles tant la jeune femme en face de lui anticipait d'avance ses réactions.

- Tu es une vraie amie Margaux, Ilhanne a de la chance de t'avoir.

Qui d'autre aurait pu la recoudre sinon ? Il n'était pas dit que la rousse aurait risqué de venir le trouver au Quartier Général, au même titre qu'elle n'avait pas voulu inquiéter sa sœur ainée, pourtant le Mercenaire se surprit à espérer qu'un jour ce soit le cas, qu'elle n'hésite pas à venir le trouver en cas de besoin, peu importe pourquoi. Bah, ils se connaissaient depuis peu de temps, il fallait bien que celui-ci fasse son œuvre. L'information qui lui fit donner eut le mérite de lui faire légèrement froncer les sourcils, puis secouer la tête et se lever sans attendre.

- Les Thermes, seule, en étant blessée ?!

L'idée en soi n'était pas mauvaise, l'eau chaude délasserait le corps meurtri de la chasseuse, mais bien que celle-ci soit capable de se débrouiller sans aide, il l'imaginait déjà tournant de l’œil à cause de la douleur à son flanc et des vapeurs brûlantes, ou même un autre gros dégueulasse comme celui qui avait embêté la brune, tentant de la tripoter pendant son bain. Le fait que Finn soit persuadé d'arriver quand elle serait censée avoir terminé, donc d'éviter tout problème, le convainquit quant à la bonne décision à prendre... d'autant plus qu'il n'avait envie que d'une chose, revoir Ilhanne. Là maintenant, là tout de suite. Margaux avait pourtant l'air d'une esseulée à triturer son chiffon et l'homme qu'il était se sentit coupable de l'abandonner ainsi alors qu'elle avait son après-midi de libre. Hésitant visiblement, il finit par avoir une idée et sourit en coin, le regard malicieux.

- Je serais bien resté te tenir compagnie, mais je préfère aller m'assurer qu'Ilhanne va bien. En échange je te promet de te présenter un bûcheron de ma connaissance, un gars bien que j'apprécie, c'est un ami qui respecte aussi les femmes.

Il lui fit un clin d’œil et se pencha pour embrasser son front, une main dans les cheveux, protecteur.

- Fait attention à toi d'ici là.

Et voilà le Mercenaire qui file déjà vers la porte, agitant la main en signe d'au-revoir et promettant de revenir bientôt juste pour lui faire avoir une pause. Quittant l'auberge, Finn s'éloigna d'un pas vif et rapide, prenant la direction du Temple et de ses Thermes, situé non loin de là.

Le reproche à peine voilé dans la question du mercenaire n’avait pas vraiment plus à la serveuse qui avait tenu à mettre les choses au clair.

« Hé, j’te rappel que c’une grande fille, qu’elle est pas en sucre et que j’suis pas inconsciente. Elle est pas dans un état catastrophique, si elle peut marcher toute seule, elle peut supporter un bain. »

Après tout elle avait vécu toute sa vie sans lui, et elle vivait encore sa vie sans lui au vu du peu de fois où ils s’étaient vu, donc encore heureux qu’elle était capable de s’occuper d’elle toute seule la rouquine. Puis s’était pas une petite nature, les bas quartiers en produisaient rarement. Margaux leva un sourcil circonspect face à la proposition du jeune homme.

« Mais … J’ai pas besoin d’un homme monsieur ! J’ai juste besoin de quelqu’un pour remettre les choses au clair avec les poivrots, parce que fatalement la serveuse en colère ça impressionne pas grand monde.»

Objecta-t-elle fortement pendant qu’il s’éloignait. C’était plus par principe que vraiment pour être contre sa proposition, mais la serveuse était pas peu fière d’arriver à s’en sortir plus ou moins par ses propres moyens, il en allait de se fierté personnelle !

« Margaux le respect des clients merde ! »

Fatalement le vieux Charles avaient entendu ça.

Les termes étaient clames, presque désert, à cette heure-ci la plupart des personnes travaillaient. En rentrant Finn pu seulement croiser un petit vieux qui sortait en le saluant poliment.

Il faisait chaud, l’air était saturé de vapeur emplissant l’espace d’une douce brume traversé çà et là par les rayons du soleil qui entrait par quelques fenêtres. L’atmosphère silencieuse et l’architecture du lieu étaient propices aux échos de quelques sons, même les plus infimes. Au loin, au fond, dans les derniers bassins raisonna le bruit de l’eau qu’on agitait.

Si le mercenaire approchait encore, il pourrait voir dessiné au travers de quelques volutes une silhouette svelte à semi cachée sur le haut sur corps par une tignasse ondulante blonde cuivré. Elle était assise sur les premières marches les pieds dans l’eau, elle semblait paisible. Sa main tenant une petite pièce de tissu s’enfonça dans l’eau légèrement trouble du bassin avant de se frictionner sur un savon qui dégageait une faible odeur de lavande.

Le tissu guidé par sa main passa sur ses jambes fines à la courbe dessinée par les longues heures de marche et comptant quelques égratignures et quelque petites ecchymoses sans grande importance. Puis il remonta sur ses hanches qui n’avaient rien d’étroite. D’un geste doux, elle rabattit la masse de sa chevelure sur un côté découvrant la ligne de son buste effilé dont le côté nouvellement montré était barré d’une plait qui suintait encore un peu. Cette dernière passait sur une cicatrice plus vieille, trois grandes traces de griffure qui zébrait son dos. Souvenir d’une de ses premières sorties à de Traquemont qu’elle avait réussi à ne pas divulguer à sa sœur. Le bout de tissu évita assez soigneusement la zone meurtrie pour remonter vers la poitrine, certes petite.

Si il avançait encore plus …

Les bruits de pas ne m’avaient pas vraiment inquiété du moins au début. Les thermes étaient un lieu public après tout. Puis j’étais au fond un peu cacher des regards. Mais ils avaient continué à se rapprocher, raisonnant doucement dans l’espace.

Ça avait fini par m’intriguer, et j’avais fini par me retourner. Chose très stupide, vu que ça avait forcé sur mon côté qui avait tortu mes toutes nouvelles sutures. Les risques du métier. J’avais senti une petite goutte de sang glissé du coin de plus bas de la griffure.

Au début, s’était seulement une grande silhouette dans le brouillard pas très épais du lieu, mais il m’avait pas fallu longtemps pour mettre un visage et un nom sur elle.

« Finn ?! … C’est … Une coïncidence ? »

Bien sûr, qu’est-ce que ça pouvait être d’autre ? J’étais rentré ce matin.
Je voyais mal qui aurait pu lui dire quoi que ce soit. Margaux avait sûrement pas quitté l’auberge du vieux Charles, et de toute façon elle savait pas où le trouver.

Enfin était monté à mon esprit que je n’étais pas habillée devant lui, ce qui n’était pas vraiment quelque chose qui me mettait à l’aise. Un rapide coup d’œil à mes affaires qui était un peu trop loin.

Margaux avait mal prit les dires de Finn et ce dernier avait secoué la tête lorsqu'en passant la porte, elle lui avait presque crié qu'elle pouvait elle aussi se débrouiller toute seule, au même titre qu'elle l'avait dit pour Ilhanne l'instant d'avant. C'était sans doute le propre des hommes de leur temps, que de penser qu'une femme, aussi forte soit-elle, avait parfois besoin de se laisser protéger un peu, cependant il ne s'attarda pas sur cet échange et, tout en s'éloignant rapidement, songea que malgré tout il lui faudrait lui expliquer comment il percevait tout cela. Une autre fois. Il ne lui fallu pas longtemps pour rallier le Temple et gagner les Thermes, pénétrant à l'intérieur en regrettant tout à coup de porter son armure de cuir tant l'air était étouffant. Il toussa un peu, puis entreprit de ralentir son pas comme son souffle, cherchant du regard la silhouette familière de la rousse... sur laquelle il passa d'abord sans s'attarder, avant de réaliser que d'une, c'était la seule personne présente et, de deux, c'était bel et bien ses longs cheveux qu'il apercevait et pas ceux d'une autre. Le Mercenaire déglutit, puis entreprit de s'approcher doucement, décrivant un arc de cercle pour ne pas arriver dans le dos de la jeune femme en train de se laver, cette seule vision suffisant à affoler son cœur qu'il sentit résonner dans sa gorge et son crâne avec une insistance poignante. La vision des cicatrices détourna brièvement son attention, faisant monter un profond sentiment d'inquiétude à l'égard de la chasseuse qui, pourtant, véritablement, savait visiblement survivre seule. Elle avait du tant en voir que les mots lui manquaient, alors qu'il avançait vers elle, alors qu'il aurait voulu se précipiter pour la prendre dans ses bras, la réconforter, mais également se rassurer, s'assurer qu'elle était là et ne disparaitrait pas. Cette sensation, plus forte que la dernière fois qu'ils s'étaient vu, l'inquiéta un peu tant il lui semblait soudain être comme affaibli, cependant il préféra la chasser de son esprit, la vision offerte l'y aidant beaucoup. Est-ce que Margaux ne lui avait pas dit qu'elle aurait finit ? Cela lui revint comme Ilhanne se retournait soudain en l'apostrophant de surprise. Aïe, boulette.

« Finn ?! … C’est … Une coïncidence ? »

- Heu... oui, enfin non, j'veux dire que...

Allez, encore une fois, tu peux le faire. Bordel, pourquoi est-ce qu'il faisait aussi chaud dans ces thermes ? Il était en armure de cuir lui, avec le vêtement en tissu qui allait avec en-dessous pour le protéger des frottements, sans parler de l'épée à son côté et du poignard, de quoi ajouter au poids de l'ensemble. Passant une main sur son front pour en ôter la sueur, il inspira un grand coup et eut un rire nerveux, son regard ne cessant de dévier vers la poitrine de la jeune femme, au point qu'il finit par pivoter de côté pour se forcer à cesser de la fixer et réussir à aligner deux mots intelligibles.

- Hum, Margaux m'a dit que tu étais là, mais... elle avait dit que tu aurais finit, je ne voulais pas te déranger pendant ton bain.

Nouvelle inspiration, comme s'il essayait de contenir une souffrance quelconque. Le Mercenaire tourna brièvement la tête vers elle puis, constatant qu'il ne rêvait pas et qu'elle était belle et bien dénudée, reporta son attention sur le mur situé à quelques mètres de là et qui se devait d'être tout à coup plus intéressant que le reste, il en allait de la bienséance.

- Je vais euh...

Quoi ? Aller l'attendre dehors ? Allons bon, cela l'obligerait à se dépêcher alors qu'il était évident qu'elle n'était pas là depuis assez longtemps pour avoir vraiment profité des sources d'eau chaude. Il ne pouvait décemment pas lui imposer ainsi un timing quelconque, car même en lui affirmant avoir le temps, elle voudrait ne pas le laisser seul, la connaissant. Aussi après une rapide réflexion, il entreprit de défaire son ceinturon et de poser son épée au sol, commençant à défaire les -trop- nombreuses attaches de son armure de cuir.

- M'en veut pas, mais j'étouffe là-dedans et ça fait longtemps que je n'ai pas pris un bon bain chaud. Je peux me joindre à toi ?

L'honneur était encore sauf, il n'avait pas encore commis le pire des impairs, à savoir ne pas contrôler son organe malgré la vision magnifique du corps dénudé de Ilhanne, mais s'il ne se dépêchait pas soit de sortir, soit d'entrer dans l'eau, il allait inévitablement finir par se trahir.

J’aurais pu m’indigner sur le fait que Margaux nous avait eu tous les deux à la faveur de ce qui semblait être un hasard fortuit. J’aurais pu demander, si on parlait bien de la même Margaux, cette très (trop ?) jolie fille qui servait d’appât à clients pour le vieux Charles. D’ailleurs, curieusement, j’en avais envie, j’avais envie de savoir si on parlait bien de la même Margaux, si il allait souvent chez le vieux Charles, ce qu’il y foutait et ce qu’il faisait avec Margaux, surtout ce qu’il faisait avec elle, en fait tout le reste avait un côté très accessoire.

Mais …

Est-ce qu’il était vraiment en train d’enlever son armure ? Vraiment ? Comme ça là ?
Cette question était somme-toute des plus stupides vu qu’on était dans des thermes et que dans ce genre d’endroit on prenait des bains, et qu’un bain se prenait rarement habillé. Mais tout de même j’avais le voir commencer à enlever les attaches de sa cuirasse avait fait tourner mon esprit dans le vide quelques secondes. Enfin s’était surtout savoir ce que ça allait impliquer qui avait tout mouliné dans le vide.

« Attends je vais t’aider sinon tu vas en avoir pour trois heures. »

Se lever n’avait pas été si gênant en soit, surtout que Finn s’était mis à trouver le mur particulièrement intéressant à regarder. J’avais pas vraiment réfléchi, j’avais fait c’est tout, je m’étais rapproché de lui, je savais pas si on était proche ce qu’il fallait ou trop proche, de toute façon, j’étais trop occupé à me concentrer sur ce que je faisais. S’était une façon de tromper mon esprit qu’il oublier un instant que j’étais nue, complètement nue, face à un homme qui n’avais visiblement pas que des sentiments fraternel à mon égard … et que j’étais en train de l’aider à retirer son armure pour qu’il puisse retirer ses vêtements et qu’il vienne dans le même bassin.

Qu’est –ce que j’étais en train de faire ? Sérieusement ?

Une nouvelle idée, vite.

« Tu vas souvent à l’auberge du vieux Charles ? »

Parfait. Ironiquement parfait.

J’aurais volontiers plaidé la curiosité, ce que j’allais faire si on me demandait pourquoi je posais cette question. J’avais ce sale sentiment que si il me répondait oui, ça n’allait pas vraiment me plaire. Ce qui n’avait aucun sens, du moins quand j’y réfléchissais n’avait aucun sens.

Elle n'avait pas dit non et c'était une bonne chose, même si le silence qui avait suivit sa question avait eu le mérite de l'inquiéter un peu. La surprise fut d'entendre un bruit d'eau caractéristique d'une personne en sortant en ruisselant et, à peine eut-il tourné la tête et aperçu la silhouette nue de Ilhanne qui s'approchait, qu'il se remit à fixer le mur avec plus de force encore... Mais pour combien de temps ? Il n'avait pas fallu plus de deux secondes pour que la jeune femme ne le rejoigne et Finn fut bien forcé de lui faire face pour qu'elle accède aux attaches de son armure situées au niveau de ses épaules et qui demeuraient les plus délicates d'accès, d'autant plus qu'il portait quelques légères plaques de métal pour renforcer sa tenue de combat. Ses propres mains cessèrent tout mouvement pour s'écarter face à celles de la chasseuse dont il se surprit à fixer l'expression concentrée, la laissant défaire les attaches alors que son propre cerveau se mettait lui aussi à tourner dans le vide. L'instant semblait comme suspendu, le Mercenaire avait conscience que quelque chose se passait, que c'était le moment d'agir, de dire ou faire quelque chose de spécifique... et il resta là, comme deux ronds de flan, à scruter celle qui se tenait nue devant lui sans gêne aucune. Inévitablement, cependant, son regard finit par dériver sur les courbes de ce corps à portée de main et dont il pouvait sentir la chaleur jusque sur sa peau, mais également scruter les cicatrices qui striaient cette peau d'un blanc presque laiteux faute d'être exposé au soleil.

- ... Tu es très belle tu sais.

Ce n'était sans doute pas le plus grand des compliments ni le plus recherché, mais c'était tout ce que son esprit avait bien voulu lui autoriser à formuler, faute de parvenir à fonctionner correctement avec tout ce qui lui passait par la tête. Ses doigts vinrent saisir doucement quelques mèches colorées qu'il approcha de son visage pour mieux les observer, appréciant le reflet roux qu'il y voyait, avant de river ses yeux clairs à ceux de Ilhanne, une expression grave au fond de ses prunelles troublées. Les attaches défaites pour le haut de l'armure, il ôta le cuir qu'il déposa sur le côté par-dessus ses armes, les dissimulant ainsi à la vue d'éventuels curieux, puis entreprit de défaire le reste avec application, seule chose en vérité qui l'empêchait de laisser certaines pulsions parler à sa place.

- Même avec ces cicatrices, une femme comme toi pourrait hanter les rêves de n'importe quel homme, même le plus endurcit des guerriers.

Bon, ce n'était pas encore là non plus le meilleur des compliments, mais cela y ressemblait pourtant fortement, ne serait-ce que parce que certains étaient réputés impossibles à atteindre, en aucune manière. Finn soupira un peu, puis acheva d'ôter toutes les pièces de cuir et de métal, bottes incluses, tirant pour se faire un peu d'air sur sa chemise de lin qui n'était plus de première jeunesse, mais qu'il avait réussi à maintenir propre malgré tout. Loin d'être pudique, il se sentit soudain intimidé malgré tout à l'idée de finir de se déshabiller, scrutant la chasseuse avec l'air d'attendre son assentiment, un signe, n'importe quoi qui confirmerait qu'elle voulait bien qu'il se joigne à elle dans les bains.

Même si je voulais me concentrer sur ce que je faisais, je pouvais pas ne pas voir les réactions de Finn. Sa façon de rester calme, presque stoïque. J’jusqu’à ce qu’il prenne, observe une mèche de cheveux. Qu’est-ce qui pouvait bien l’intéressé de si près dans une mèche ?

« Tu dis n’importe quoi … »

Intriguée, j’avais fini par lever le nez, de toute façon, il n’y avait plus d’attaches qui avaient besoin d’être défaites.

« Pourquoi tu me regarde comme ça ? »

Il avait n’avait plus besoin de mon aide pour enlever le reste, je m’étais donc dépêché de rejoindre l’eau. La relative protection de l’eau, le relatif abri de l’eau. J’avais laissé une discrète trainé rouge au niveau de mon côté.

Je les voyais pas ces cicatrices, mais je les aimais pas vraiment. C’était pas vraiment le meilleur souvenir que j’avais. Une rencontre à la faveur d’une flaque de boue un peu plus profonde. Heureusement j’avais eu le droit qu’aux griffes, heureusement, un de ceux qui m’accompagnait avait réussi à le faire lâcher prise avant qu’avec le troisième ils l’achèvent. Ça avait été douloureux un moment, mais s’était surtout l’impression de pas être à la hauteur, qui était cuisante.

Enfin ce n’était pas le propos, pas du tout, très loin de là.
Je me sentais pas belle, peut-être parce que je faisais rien pour l’être. Margaux, elle se coiffait, Margaux elle savait choisir ces robes et elle on la trouvait belle.

D’ailleurs…

« Tu n’as pas répondu à ma question Finn… Tu cherches à me cacher quelque chose ? »

Doucement moqueuse, doucement surtout parce que je ne voulais pas que ma voix porte raisonne sur les murs. On semblait seul. Seul au milieu au milieu du brouillard. Avec juste le bruit des mouvements d’eau qui venait troubler le silence quasi-religieux.

Les coudes sur le rebord, une main tenant ma tête, je regardais d’en bas Finn, qui semblait se tâter à enlever ce qu’il lui restait de vêtement. J’avais juste passé une main dans l’eau pour l’éclabousser. S’était trois fois rien, quelques gouttes.

J’avais envie qu’il me réponde, je voulais qu’il reste, j’espérais qu’il me rejoigne, même si j’appréhendais, je savais pas trop ce que j’appréhendais.

Mais j'avais fini par m'éloigner du bord lui tournant brièvement le dos.

La question à laquelle il n'avait pas prêté attention la première fois revint sur le devant de la scène, non sans que Ilhanne ait d'abord réfuté son appréciation de la beauté et regagné l'abri de l'eau chaude du bassin, laissant une trainée rouge dans l'eau qui ne manqua pas de l'inquiéter légèrement. Point trop de mouvements, sans quoi sa blessure allait se rouvrir et nécessiterait qu'on la recoud encore, ce qui était assez douloureux pour qu'on évita d'en arriver là. Finn fixa la jeune femme, puis répondit sans détour, presque immédiatement à son interrogation.

- Non je n'ai rien à te cacher, j'y vais seulement pour avoir de tes nouvelles.

Et guetter ainsi son retour, cela faisait tout de même moins détraqué que d'aller faire le pied de grue durant des heures devant la maison où elle vivait avec sa sœur, sans parler du fait que la vieille voisine ne manquait jamais de l'interpeller en passant pour causer de tout et n'importe quoi. Margaux était l'amie de Ilhanne, elle était toujours au courant de tout ou peu s'en fallait, alors s'était tout naturellement vers elle qu'il se tournait quand il cherchait la chasseuse. Pauvre serveuse au final qui, même si elle n'avait pas besoin d'un homme comme elle le lui avait jeté à la figure un peu plus tôt, se retrouvait malgré tout reléguée au rang de second rôle. La rousse choisit ce moment pour l'éclabousser doucement, à peine quelques gouttes, puis se détourna en s'éloignant un peu, comme un assentiment muet qui l'enjoignit à ôter ce qui lui restait de vêtement. Le tissu d'un blanc cassé et passé depuis longtemps atterrit sur l'armure et le bruit d'un corps s'enfonçant dans l'eau résonna dans le dos de la jeune femme. Finn était jeune et robuste, le travail du bois et les entrainements armés avaient façonnés son corps qui n'arborait nulle trace de graisse, pas même là où l'on aurait pu s'attendre à en voir un peu. Tel ces bâtisseurs portant des charges à longueur de journée, ses muscles étaient visibles sous sa peau claire, roulant à chaque geste, chaque mouvement, dessinés par l'effort et le labeur. Oh il n'était pas aussi épais que ces colosses en armure capables de soulever leur ennemi pour le jeter au loin, mais il avait pour lui la haute taille, le buste en V, le ventre plat aux abdominaux dessinés et son visage pour le moment épargné, contrairement au reste de son corps. Loin d'égaler celui de Ilhanne, le Mercenaire portait malgré tout les petites cicatrices qu'on s'attend à voir chez un artisan, mais également celles, plus grandes, de l'ancien Milicien qui en six mois avait réussit à récolter un petit bouquet de taillades laissant de fines lignes blanches presque invisibles faute de bronzage, coups de couteau et une qui lui balayait l'épaule, souvenir d'un coup d'épée abattue comme une massue et qui avait faillit l'emporter. La marque caractéristique de coups de griffes de Fangeux se faisait voir sur son torse, comme si l'on avait tenté de l'ouvrir sans parvenir à faire plus qu'entailler la surface, sombre souvenir qui hantait encore ses nuits. Un soupir échappa à Finn une fois installé dans l'eau chaude qui lui arrivait au torse, luxe qu'il ne s'était pas accordé depuis trop longtemps, ayant toujours eu l'habitude de se laver dans un baquet ou à l'eau froide.

- Souffres-tu beaucoup ?

Demanda-t-il finalement en se rapprochant de la silhouette, tendant la main pour effleurer doucement l'épaule de la chasseuse à qui il adressa un regard tendre et inquiet. Techniquement rien ne l'autorisait à se montrer aussi expansif, cependant il ne pouvait nier son attirance pour la jeune femme, au même titre qu'il était certain que si jamais qui que ce soit devait jamais lui faire du mal, il tuerait l'impudent sans hésiter un seul instant, comme lors de leur rencontre dans cette ruelle mal famée des Bas-Quartiers.

Le bruit de quelqu’un qui entrait dans l’eau m’avait fait me retourner.
J’avais senti mon cœur s’emballer, juste un peu, juste quelques battements de plus, puis quelques autres à mesure qu’il s’approchait.

Il faisait chaud, non ?

« Euh …Non… Non, j’ai vu pire »

En effet, j’avais vu pire, d’ailleurs ma peau en avait gardé des séquelles, s’était pas pour autant que ça faisait pas un mal de chien. Mais, déjà, s’était sûrement dû à l’eau chaude qui m’arrangeait rien, ayant au moins le mérite d’avoir nettoyé la plaie. Ensuite, j’avais un peu cette impression diffuse et désagréable d’être une pauvre petite chose fragile à côté de Finn, donc avoue que oui, ça faisait assez mal pour pas que j’oublie que j’avais été blessée ce matin, ne me semblait pas un bon plan.

Sa main qui avait effleuré mon épaule. J’étais pas mal à l’aise là, s’était pas ça, enfin pas toute à fait ça.

J’avais le choix, soit je trouvais un moyen de fuir, comme j’avais fait jusque-là, pour me faire ramener pas fière devant lui, l’écouter encore une fois me dire qu’il me voulait aucun mal, loin de là, le voir supporter mes angoisses carrément bizarres. Soit je restais, je ne bougeais pas, j’essayais d’accepter, d’appréhender de comprendre au risque de bousculer la façon dont je percevais les choses. Le risque que ça se passe pas si mal.

De toute façon, fuir là tout de suite, ça serait pas possible. Une fois sorti il faudrait que je fasse un bandage serré digne de ce nom pour l’entaille que j’avais. Du temps pendant lequel, il pourrait me raisonner, me regarder avec son air de chaton triste.

« Je vois que je suis pas la seule à avoir quelques cicatrices. »

Gentiment moqueuse, j’avais doucement effleuré du bout des doigts une qui était bien visible sur son épaule. Vu la tête de la marque, il avait dû la sentir passer un moment. Ma main avait glissé sur la peau moite à cause de l’humidité ambiante. Je sentais les muscles justes sous la peau, la chaleur qu’il dégageait. Ça n’avait duré qu’un instant, un court instant.

Il faisait définitivement chaud.

Réalisant ce que j’avais laissé fait, j’avais de retirer ma main, précipitamment.

« Je devrais pas faire ça, je sais. »

Savoir qu'elle avait vu pire n'était pas forcément pour lui faire plaisir, cependant il était persuadé que si sa vie avait été différente, Ilhanne n'aurait pas été la même non plus et, potentiellement, ils ne se seraient même jamais croisés et n'aurait, de fil en aiguille, jamais finis dans le même bain chaud aux Thermes. Le geste sur son épaule avait été fait pour qu'elle se retourne et qu'il puisse ainsi vérifier la plaie, mais il fallait reconnaitre que cela l'aurait obligée à sortir un peu plus de l'eau et à se dévoiler de nouveau, chose que peut-être elle ne désirait pas. Une certaine gêne perdurait, que l'une comme l'autre tentait de faire disparaitre en se concentrant sur des détails plutôt que sur l'ensemble, les cicatrices semblant être l'apanage de la conversation. Les doigts, légers et fins de la chasseuse, l'effleurèrent avec tant de douceur que le Mercenaire en frémit, sans pour autant bouger d'abord de là où il était, hochant la tête avec un léger sourire quand elle affirma qu'elle ne devait pas agir comme elle le faisait.

- Ça ne me dérange pas tu sais, au contraire... ça me fait du bien. Et puis cette cicatrice n'est pas si terrible.

L'instant était crucial, le moment délicat, la croisée des chemins étendant ceux-ci à leurs pieds et ne leur permettant point de se tromper. Finn scruta avec attention le visage de Ilhanne, puis songea que doués comme ils étaient, s'il ne tentait rien à cet instant précis, il laisserait sans doute passer le fameux moment dont ses parents lui avaient jadis parlé, il y avait une éternité ce lui semblait. Profitant de cette proximité, l'ancien artisan vint prendre la main de la jeune femme et vint la poser sur son torse, à l'emplacement du cœur où se trouvait les cicatrices laissées par un Fangeux, sans brusquerie aucune, son regard brûlant la scrutant intensément.

- Je ne vais point te mentir... Je rêve chaque nuit que tu me touches comme tu l'as fait, je rêve de pouvoir t'étreindre et de demeurer à tes côtés, mais je sais aussi combien tu es libre et aventureuse. Une fière chasseuse.

Il sourit, mais nulle moquerie n'habitait son expression ou sa voix, rien qu'une certaine admiration et, au fond, dissimulé, de l'appréhension à l'idée que sa démarche ne récolte que rejet et colère.

- Je te sais forte et courageuse, je te sais capable de survivre même sans quelqu'un pour te protéger et encore moins un de ces hommes que tu sembles redouter... J'ignore quel malheur à pu vous frapper, toi et ta sœur, mais je préfèrerais mourir que de te faire souffrir, de quelque façon que ce soit. Je désirerais être à tes côtés, quoi qu'il puisse arriver, je...

"Allez lance-toi" lui souffla sa voix intérieure, alors qu'il la fixait d'un regard presque vulnérable, lui ouvrant soudain son cœur sans plus hésiter, envoyant valser ses doutes et ses hésitations.

- Je t'aime Ilhanne.

Finn prit une inspiration, mais ne bougea pas, gardant la main de la chasseuse contre son torse, mais sans forcer pour autant. Si elle désirer s'éloigner, il ne la retiendrait pas. Si elle restait, ils pourraient parler et peut-être même échanger quelques baisers. Si elle décidait de partir, alors il ne chercherait pas à l'en empêcher et probablement que cette fois il ne parviendrait pas à lui courir après comme il l'avait fait la dernière fois. Il n'avait jamais ouvert qu'une seule fois son cœur dans toute son existence, avait eu une éducation assez tendre grâce à des parents aimants et attentionnés, faisant de lui un homme probablement moins "brut", mais tout aussi capable de se battre en cas de besoin. Mais suivre les élans de son cœur était à ses yeux la chose la plus dangereuse au monde, plus encore que d'affronter des Fangeux. Ainsi le silence se fit-il après sa déclaration, le laissant dans une attente qui, à chaque seconde, lui paraitrait une éternité.

Le contact de sa peau, le rythme de sa respiration, le calme de l’endroit qui rendait chaque mot franchissant ses lèvres parfaitement clair. Mon cœur se serrait un peu plus à chaque fois qu’il ajoutait quelque chose. Il ne se serait pas comme si quelqu’un le pressait pour le faire exploser, plus comme si quelque chose d’un peu maladroit venait essayé de l’entourer sans avoir de sales intentions.

Aucune idée si ces derniers mots avaient raisonné dans l’immensité du lieu ou juste dans ma tête. On en était là. On était au même point d’avec Clotaire. Ou pas, à vrai dire. Il y avait tellement de colère, tellement d’amertume, tellement de rancœur et un peu trop de possessivité dans ce qu’avait dit mon ancien partenaire de chasse. Pour moi ça avait presque été une punition des mots pour me faire souffrir, pour ébranler, détruire cette gangue protectrice que je m’étais faite. En soit il avait réussi, mais ce n’était certainement pas à son avantage…

Mes doigts s’étaient légèrement crispés s’enfonçant doucement dans la peau moite.

« Je … je sais pas ce que t’attend de moi Finn … J’en sais strictement rien … je sais juste que là tout de suite je peux pas te dire que moi aussi. »

Qu’est-ce qu’il voulait que je lui dise ? Je voulais pas lui mentir. Je luttais contre cette envie de me sauver qui me tiraillait autant que la plaie sur mon flanc, parce qu’il fallait bien que j’arrête de me cacher un jour, mais surtout parce que j’avais le sentiment que si je me défilais maintenant, il allait m’en vouloir et j’allais m’en vouloir pour bien trop longtemps.

Autant dire la vérité jusqu’au bout.

« J’sais même pas vraiment pourquoi je suis revenue, j’avais juste envie. Comme j’avais envie que tu restes, que tu viennes dans le bain, même si … Même si je m’attendais pas vraiment à te croiser la maintenant, surtout pas envoyé par Margaux. »

En même temps la probabilité que les choses se soient déroulée ainsi devait être proche du néant. J’avais bougé ma main, sans pour autant qu’elle ne le quitte. En réalité elle glissait le long de ton torse vers son dos, au fur et à la mesure que je me rapprochais. J’étais tout sauf assuré, j’avais presque l’impression de trembler très légèrement, comme ces moments où il ne fallait absolument pas rater.

« Margaux qui a toujours été la plus … »

Avenante ? Sympathique ? Amusante ? Jolie ? Désirable ? N’importe quel terme flatteur aurait pu fonctionner dans ces circonstances.

« J’ai pensé un instant qu’elle, fin’ que vous … laisse tomber s’était stupide »

Contre lui, j’avais d’un coup très peur que ce soit lui qui s’en aille. J’avais tellement l’impression de dire n’importe quoi.

« Je suis désolée »

De pas pouvoir dire ou faire mieux