Forcer la chance ou la laisser faire [Finn - Terminé]

Margaux m’avais laissé fouiller dans sa chambre à l’auberge du vieux Charles, surtout dans son vieux coffre ou elle empilait un peu tout et n’importe quoi. Je lui avais pris un mouchoir propre et ce qui m’avait apparu comme étant des bandes. Après avoir retiré les dernières traces d’humidité qui faisait doucement luire ma peau j’avais soigneusement plié le mouchoir, pour m’en servir comme compresse et le poser sur la plaie, à peine plus basse que ma taille. Le tissu se teinta de quelques point rouges sombres avant de se faire recouvrir d’un bandage serré, du moins le plus serré qu’il m’était possible de faire.

La mère Martin avait renoncé à me venir en aide grâce à l’intervention, un peu surestimée de Finn. D’ailleurs elle n’était même pas restée, parti s’occuper de ses affaires, pour mon plus grand soulagement.

S’était là que les affaires se corsaient. J’aurais aimé juste sauter dans un pantalon, enfiler une chemise et s’était parti, mais bien entendu Margaux, n’avait pas de pantalon, elles n’avaient que quelques robes. Sentir le tissu chatouiller le dessus de mes pieds, me fit pas réellement un effet rassurant. Bien sûr comme tout individu féminin, avant la fange, je ne postais que ça, des robes. Mais depuis je m’étais habituée à la praticité des vêtements masculins et remettre quelque chose d’aussi long et encombrant … je me sentais terriblement moins libre de mes mouvements.

« S’tu pouvais pas te moquer, ça serait aimable. »

Demande on-ne peut plus sérieuse au demeurant.

Juste le temps de peigner ma tignasse et le tressée pour éviter qu’elle ne me gêne, que ne me sentait pas vraiment plus à l’aise.

« Je rêve surtout de retrouver mes affaires. »

Je devais être tellement ridicule.
Mes affaires qui étaient à l’auberge du vieux Charles, sous la bonne garde de Margaux, exception faite de mon arc et de mon carquois que j’avais curieusement pas eut très envie de laisser là-bas. Prenant le sac qui contenait tout ce que j’avais emprunté et la lingue mouillée, je m’étais dirigé vers la porte. En me voyant passer dans mon parfait accoutrement la vieille Martin eut un sourire satisfait. La commère, si ce soir je me faisais attraper, je saurais qui avait mouchardé.

« Mais j’imagine qu’on peut se permettre un détour. »

Parce qu’au final, je n’avais pas vraiment envie de rentrer maintenant.

Finn était en train de finir de remettre en place son armure de cuir avec ses innombrables attaches lorsqu'il tourna la tête pour constater que Ilhanne avait revêtue... une robe. Surpris, il cligna des paupières, puis ne pu réprimer le large sourire qui montait à ses lèvres, coupé néanmoins dans son élan par une demande interdisant toute moquerie. Non pas que telle fut son intention, mais il aurait bien aimé la charrier un peu comme elle se le permettait parfois, gentiment, sans méchanceté, aussi dut-il à la place se résoudre à se contenter d'un compliment.

- Moi je te trouve très bien comme ça. Ça change, c'est sûr... mais tu es très belle.

Hop, dernière attache serrée, le voilà qui s'assure qu'ils n'oublient rien, l'aidant à ramasser ce qui se trouvait trop près du sol pour lui éviter de tirer sur sa blessure, ne prenant pas ombrage de sa première réponse concernant son envie de retrouver ses affaires. Probable qu'elle n'avait pas ou plus l'habitude de porter une robe, cependant il aurait volontiers apprécié de la voir vêtue ainsi plus longtemps. Nul besoin de le réclamer car voilà qu'à présent c'était au tour de la Chasseuse de se laisser tenter par un détour, faisant revenir à la charge le sourire sur le visage du Mercenaire, lequel acquiesça avant de se diriger vers la sortie en sa compagnie. Un petit signe de tête à la vieille femme et les voilà de nouveau dehors, respirant l'air frais qui eut le mérite de chasser les derniers vestiges de pression sur leurs épaules.

- Il y a de bons vendeurs de nourriture dans le coin, on pourrait aller acheter de quoi se remplir l'estomac.

Ce serait l'occasion pour les deux jeunes gens de parler un peu, de deviser sur un sujet si le cœur leur en disait ou, plus simplement, de faire perdurer encore un peu ce moment passé ensemble.

- Tu crois que tu remettras des robes de temps en temps ?

Osa demander Finn avec un demi-sourire bienveillant, guettant ses réactions et ses tics, à l'affût du moindre signe d'approbation ou de désapprobation.

Dehors, l’air frais, le soleil, enfin, ce qui y ressemblait plus ou moins, au moins ne pleuvait-il pas. Pas de chaleur douloureuse pour mon flanc blessé, des vêtements sur le dos, même si il était évident que j’en aurais préféré d’autre, je me laissais guider par Finn.

Porter plus souvent une robe ?

« Nooon … J’trouve ça horrible. »

Je me sentais presque offusquée de sa question, mais seulement presque. Pas vraiment flattée non plus par ses compliments, j’avais quelque peu ce sentiment qu’il n’avait aucune objectivité sur la chose, ou alors qu’il était suffisamment beau parler pour le faire croire. Le tissu frôlait les jambes au rythme régulier de la marche.

« J’ai l’impression qu’j’vais m’prendre les pieds d’ans à chaque pas. »

Et s’était presque miraculeux que ça soit pas le cas. Comment je faisais avant ?
Question à laquelle j’allais bien évidemment répondre seule, avec les automatismes qui reviendraient seuls. On ne pouvait passer une petite vingtaine d’aller dans ce genre de frusques sans prendre des habitudes pratiques.

« Et j’me sens particulièrement ridicule. »

Le fait que certaine personnes me regarde à cause du mélange assez peu courant d’une femme portant une robe, mais avec une arme parfaitement visible, n’aidant en rien.

J’avais toujours aimé les abords du temple. Ça avait été les ruelles de mon enfance, ces endroits où, une fois que j’avais été assez vieille, j’avais pu échapper au quotidien de la maison, au regard de Val, à quelque paire de claques de mon père. S’était bien le seul avantage qu’il y avait eu au fait que ce soit un poivrot, il pouvait pas rattraper une gamine pleine d’énergie.

Les ruelles étaient assez replies, comme toujours au abord du temple. On entendait quelque prêtres prêcher, pouvant saisir aussi quelque brides de conversations plus enjouées, plus frivoles.

« Ça doit pas être facile d’être le gentil garçon de service tout le temps, Si ? Surtout quand on tombe sur une casse pied, compliquée et niaise. »

Je l’avais regardé, un sourire malicieux aux lèvres, un air un peu moqueur, même si ma question était tout à fait sérieuse. Son contrôle et sa gentillesse presque pathologique me rassuraient au moins autant qu’elle me laissait perplexe. Si il semblait avoir vite compris comment je fonctionnais, pour ce qui était de lui, j’avais toujours et sûrement pour encore un moment cette impression d’avancer en plein brouillard.

Il rit et ce fut le premier rire clair et léger de sa journée. Ilhanne trouvait que porter une robe était horrible, lui la trouvait très bien vêtue ainsi, même s'il devait reconnaitre que voir ses jambes et son fessier moulés dans un pantalon était bien plus intéressant à regarder. Une tenue féminine changeait énormément, lui aurait même donné l'air presque douce sans l'arme qu'elle arborait sans gêne aucune. On ne changeait pas une Chasseuse et le Mercenaire était prêt à parier que jamais elle n'abandonnerait son arc, pas même une fois la Fange définitivement éradiquée, au même titre qu'il ne se séparerait plus jamais de son épée. Peut-être que les futures générations, débarrassées du Fléau, ne comprendraient pas leurs ainés, mais pour eux cela ne changerait rien à l'affaire. Lorsque la jeune femme parla de se prendre les pieds dans le tissu, il ralentit son pas pour scruter avec attention celui de celle qui marchait à ses côtés, constatant qu'effectivement la robe battait les chevilles et devait beaucoup gêner pour courir ou même pour escalader quelque chose, sans parler de se battre. Relativement pragmatique sur les bords, il hocha la tête avec un air compréhensif, puis rit brièvement quand il fut question de ridicule.

- Point du tout, je t'ai dit que je te trouvais belle dans cette tenue et je ne cherchais pas à te flatter sans le penser. En revanche il est vrai que cela semble beaucoup moins pratique qu'un pantalon ajusté, aussi je pense te comprendre un peu à ce sujet.

Il sourit en coin, visiblement amusé par une pensée qu'il ne se priva pas d'évoquer à voix haute.

- Encore que je n'ai jamais porté ce genre de chose, il faudra que j'essaye pour voir à quel point c'est si désagréable que tu l'affirmes.

Imaginer Finn, grand gaillard relativement bien bâti, en robe, avait quelque chose de réellement ridicule et ce dernier ne manqua pas de rire un peu, secouant la tête en s'imaginant en femme, chose aussi improbable que singulière, qui ne lui correspondait pas un seul instant, loin s'en fallait. Les prêtres non loin de là officiaient en pleine rue, il y avait un crieur pour certains commerçants et l'on discutait de chose et d'autre tout autour d'eux, avec une saine agitation qui avait le mérite de conférer à cette journée des allures de vacances bien méritées.

- Je ne pense pas être aussi gentil que ça en vérité.

Le Mercenaire lança un regard complice à Ilhanne, puis haussa les épaules, préférant ne pas répondre à la deuxième partie du propos de la rousse, histoire d'éviter tout conflit. Non pas qu'il la trouva casse-pied ou niaise, cependant il devait reconnaitre qu'elle n'était pas la femme la plus accessible du monde ce qui, étrangement, ne faisait que l'attirer plus encore. Si elle avait bien voulu se rapprocher de lui, il ne pouvait que s'accrocher d'autant plus et advienne que pourra.

- J'ai déjà du tuer et je le ferais sans doute encore. Je suppose qu'avoir des principes m'empêche de devenir un vulgaire criminel qui ne sert que ses intérêts propres, cependant je gage que les Trois me pardonneront mes erreurs si je me repend sincèrement. Parfois j'aurais pu retenir ma lame, ou essayer, mais je ne l'ai pas fait, aussi j'espère que Rikni fut malgré tout satisfaite, elle qui a soif de sang et de justice.

Rares étaient les fois où il parlait autant de ce qu'il espérait des Dieux, cependant en tête-à-tête avec la Chasseuse, il considérait pouvoir tout lui dire sans gêne ni honte, bien que cela ne soit pas sa nature première de s'épancher de la sorte. Avec elle, il désirait tout partager et essayait donc d'apprendre à le faire, par petites touches, se référant à ce qu'il voyait et entendait autour de lui pour se guider au mieux.

- Ais-je donc l'air si gentil et inoffensif ?

Plaisanta-t-il à moitié en interrogeant plus ou moins sérieusement Ilhanne, requérant de ce fait son avis et quelques exemples qu'elle pourrait appliquer à son propos et ainsi éclairer un peu sa vision de ce qu'il renvoyait aux autres.

L’idée que Finn veuille essayer de porter une robe, m’arracha un rire plus que franc. Il n’était guère bâti comme une armoire à glace, mais il n’était pas fluet non plus, plutôt carré. L’imaginer porter un vêtement féminin ne pouvait donner qu’une image particulièrement ridicule qui ne voulait cependant pas quitter toute de suite mon esprit prolongeant un peu mon fou-rire.

L’animation de la rue dénotait avec le calme et l’agitation plus austère de la vie à Traquemont. Il n’y avait pas vraiment de point de comparaison possible, la taille des populations entres les deux murailles n’avaient rien à voir, comme leurs soucis, même si certain était commun. A petite dose, une petite journée par une petite journée tout ce bouillonnement avait quelque chose de plaisant, un peu de vie, un air presque d’insouciance, tant cela ressemblait à la vie quotidienne, à la vie avant. OU alors était-ce plutôt le fait de la présence de Finn qui rendait cela simplement mieux ?

Je réfléchissais définitivement trop.

S’était relativement perturbant de sentir cette proximité, peut-être même un peu de complicité qui s’instaurait doucement entre nous. ‘Fin, nous ça sonnait encore étrangement quand j’y pensais, possible qu’un jour ça me semble normal, ou pas. J’en connaissais une qui, si elle avait pu m’écouter penser m’aurait sûrement dit d’arrêter et de voir, que ça n’allait pas me tuer.

Dur de savoir ce que les Dieux voulaient, surtout en ce moment. Je ne pouvais m’empêcher de penser au père de Tourres, qui avait affirmer qu’il fallait continuer à vivre à se battre par pour l’humain parce que si on était pas tous des raclures, on en avait tout le potentiel, mais bien pour les Dieux. Plus j’y pensais, plus je trouvais que ça n’avait aucun sens.

« J’ dirais pas ça, surtout quand on sait ce que tu caches et ce qu’on t’a vu faire… »

J’eus un petit sourire sans grande conviction, me souvenant de la circonstance qui nous avait fait nous rencontrer. De ma méfiance que j’avais ressentie vis à vie de lui et surtout la manière assez singulière dont il avait réussi à la faire complètement s’envoler.

« Mais pour avoir déjà vu et subit, beaucoup seraient, bien moins patients. »

D’ailleurs, ce n’était plus réellement ça le sujet de l’échange.

« Je pense que maintenant, ceux qui n’ont jamais fait d’erreurs, qui n’ont jamais laissé filtrer même, un peu leurs mauvais penchants se font plus que rares. Si les Dieux ne pardonneront pas les hommes sûrement, c’est dans notre nature et ça nous rassure de ne pas être seule à réagir ainsi. Puis on dit bien que l’erreur est humaine. »

J’en avais fait aussi, certaines que je regrettais plus que d’autres, heureusement pour le moment rien qui ne m’empêchait encore de dormir.

« Je n’essaye pas vraiment de savoir ce que les Dieux veulent, je laisse ça aux hommes d’église. »

Mais si ils étaient tous comme le père de Tourres on était mal barré pour comprendre la volonté des trois. Ou alors était-ce moi qui étais trop stupide pour comprendre ce qu’il avait essayé de me dire, malgré le fait que sur le moment ça m’avait paru quelque peu rassurant, un peu réconfortant, au moins tranquillisant.

« ‘Fin avec moi, t’es limite trop gentil et inoffensif »

Bien entendu que je plaisantais, je me moquais doucement, même si au fond ça m’inquiétait un peu quand même.

Finn ne savait pas s'il était aussi patient que ce que Ilhanne semblait croire, n'ayant pas spécialement la sensation de se forcer à quoi que ce soit, si ce n'est retenir son bras armé lors des combats, chose qu'il ne faisait pas toujours. Pour lui, il était un homme parmi d'autres, ni plus ni moins, rien qu'un gars qui pourrait fort bien trébucher tôt ou tard, comme n'importe qui, aussi sourit-il lorsqu'elle lui affirma que d'autres à sa place seraient moins patients, ravit d'apprendre qu'il sortait un peu du lot à ce sujet. L'idée que personne ne soit parfait était également rassurant, empêchant ainsi le Mercenaire de trop s'interroger quant à son comportement, de même qu'il acquiesça au proverbe disant que l'erreur était humaine.

- C'est vrai que même si on ne les comprends pas toujours, les Dieux ont cet avantage de pouvoir corriger plus facilement leurs erreurs, si tant est qu'ils en fassent.

Pas question de blasphémer, juste de se laisser aller à quelques suppositions au sujet de la Trinité, laquelle était, aux yeux de Finn tout du moins, parfaitement équilibré et lui convenant fort bien telle qu'elle était. Lui aussi préférait laisser le soin aux hommes du temple de prêcher leurs convictions, lui avait les siennes et c'était bien ainsi. Pourtant la remarque de la Chasseuse ne manqua pas de le surprendre un peu et l'ancien artisan stoppa sa marche pour la regarder, passablement interloqué.

- ... C'est peut-être parce que je me sens bien avec toi.

Finit-il par confier, presque songeur à ses propres mots, alors qu'il fixait Ilhanne droit dans les yeux. Il ignorait pourquoi en vérité, c'était assez difficile de mettre des mots plus précis sur le mélange de sensations qu'il éprouvait en sa présence, mais la jeune femme dégageait quelque chose qui confinait à l'apaisement, lui donnant envie de se détendre et de profiter du temps qui passe. Une telle chose aurait pu mener à une relation platonique, mais la Chasseuse avait pour elle un tempérament qui interdisait toute banalité et une beauté qu'on ne pouvait remarquer sitôt qu'on s'arrêtait pour l'observer un instant. Ainsi créait-elle à la fois le calme et la tempête qui allait de pair avec, cette pensée lui arrachant un sourire amusé.

- Lorsqu'on est tous les deux, tout ce qui fait mal disparait et il ne reste que le... le calme. J'ai l'impression de revenir en arrière, avant la Fange, avant même que je vienne à Marbrume, quand je menais ma petite vie tranquille d'artisan. Tout me paraissait tellement plus simple et facile.

La vie se résumait alors à travailler, vendre ses services et le fruit de son labeur, acheter le nécessaire et vivre aussi confortablement que possible, en regardant passer les saisons et en se divertissant agréablement, sans prétention ni désir d'en découdre avec qui ou quoi que ce soit. Une vie comme certains en rêvait sans oser y croire, non pas celle d'un guerrier ou d'un soldat, mais bel et bien d'un homme parmi d'autres, comme il en existait et en existera encore. Finn songea que tout cela prenait des allures bien trop sérieuses et ne rendait pas honneur aux efforts de la Chasseuse pour détendre l'atmosphère, aussi rit-il un peu pour camoufler le début de gêne qui s'installait, embrayant sur un autre sujet.

- Tu as déjà pensé à ce que tu feras quand on en aura finit avec la Fange ? En admettant qu'on y arrive je veux dire... qu'est-ce que tu aimerais faire ? Vivre de la chasse ? Entrainer des futurs chasseurs ?

Il ne pouvait l'imaginer avoir une famille sans continuer à se servir de son arc, au même titre qu'elle ne s'en séparait pas présentement alors qu'elle portait une robe au sein même de la cité, créant ainsi un contraste à la fois saisissant et intéressant, assez plaisant dans le fond. Après tout, une femme de caractère, c'était tout ce qu'il aimait.

« Partir. »

Je n’avais même pas eut à réfléchir pour savoir quoi répondre à cette question, savoir ce que je ferais si, ou quand, tout cela serait fini. J’y avais déjà tant songé, lors des tours de garde et des moments de calme sur les remparts de Traquemont. Parfois, il n’y avait que ça à faire, des moments de calme, où penser était la chose qu’il restait.

« Quitter cette ville de malheur. »

Si toutefois ça aurait une fin, si un jour on prenait vraiment l’avantage, que ça serait fini, Val’ ne serait plus en danger. J’avais déjà hésité, songé, pousser par la nécessité ou simplement la lassitude de cette vie. Si la fange avait bien eu quelque chose de positif, était de m’avoir permis de m’affirmer, d’avoir vraiment à faire des choix et des choix qui avaient des conséquences, qui allaient influencer ma vie. Une tête de mule, je l’avais toujours été, mais grandir dans l’ombre de Val, la voir encaisser à la place, n’avait pas aidé. J’avais toujours eu l’impression que si j’osais dire quelque chose de trop, ce que je ne finissais pas faire malgré moi, que si j’essayais de m’extirper de la situation ma sœur le prendrait mal, me prenant pour une ingrate, alors que ne s'était tellement pas le cas.

« J’ai tellement envie de voir de nouveaux horizons. Autre chose que ces murs, que ces marécages, toute cette désolation. »

Partir de n’importe quel point un peu haut ici on ne voyait que ça, les marécages, la vase, la flaque, les arbres rachitiques. J’avais envie de voir d’autres choses. Quelque chose de moins boueux peut-être. J’avais se sentiment, sûrement très stupide que plus j’allais mettre de distance entre moi et cette ville, plus la vie serait belle, enfin moins grise.

Pourtant, là, malgré la mine morose du ciel, la vie me semblait douce. Après tout, peut-être que Finn n’était pas le seul à se sentir bien quand on était tous les deux. Sûrement pas jusqu’au point de se croire avant la fange, mais au moins avec cette sensation que je me partageait qu’avec peu d’être un peu comme je voulais, sans que ça les fasse fuir, sans craindre chaque réaction, sans devoir me faire violence pour na pas l’ouvrir.

« Mais qui sais, si quelque chose me retient, j’sais pas. J’ai aucune idée de comment on sera. Si tout redevenait comme avant ou pas… »

Si notre condition, si la place des femmes n’avait que très, très peu bouger, au moins avait-elle évolué un peu, on était mises un peu plus à l’égale des hommes, plus seulement cantonné au rôle de poule pondeuse, d’épouse parfaite, même si celle qui choisissait la nouvelle voit était si mal vue. Si il n’y avait plus de fangeux, est-ce que ça reviendrait comme avant ? Est-ce qu’on aurait plus le droit de rien ?

« Et toi ? Qu’est-ce qu’ tu f’rais ? Tu r’tournerais dans ton village ? Tu r’prendrais ton travail, celui d’avant ? Te trouver une gentille fille bien sage pour fonder une famille ? »

Je le cherchais complètement, de manière complètement décomplexée. D’ailleurs, ma propre bêtise m’avait arraché un petit rire moqueur. J’en oubliais presque la douleur sur mon côté, l’inconfort d’être en robe et les regards parfois insistants parce que je dénotais un peu dans le paysage des ruelles.

Elle voulait partir, comment le lui reprocher ? Lui-même se sentait parfois trop à l'étroit au sein de la grande Cité, il se rappelait la liberté de son village et des alentours, de la route qui s'étendait à leurs pieds et qui jamais n'avait été barrée pour se protéger de quelque danger que ce fut. les bêtes sauvages se tenaient alors éloignées des humains qu'elles savaient trop dangereux pour elles et les gens vivaient alors en bonne harmonie. L'idée de découvrir de nouveaux horizons le tentait assez, bien qu'il ignora exactement ce qui pourrait lui plaire assez au point de ne jamais revenir dans les environs, faute d'avoir connu autre chose. Ilhanne parlait d'être retenue à Marbrume et cela lui fit légèrement froncer les sourcils, la connotation étant des plus négatives.

- A mon avis tu ne devrais pas rester où que ce soit si tu risques un jour de penser que tu as été entravée. Enfin moi j'dis ça...

Le Mercenaire eut un grand sourire amusé et complice, avant de hausser les épaules à la question de la Chasseuse, riant ensuite de la voir supposer tant de choses juste pour lui casser gentiment les pieds. Malgré tout il avait déjà eu le temps d'y penser, lors de ses nombreuses nuits blanches passées et ce fut donc avec l'air paisible qu'il répondit.

- Je pense que j'aimerais voir autre chose moi aussi. Je ne pense pas retourner à mon village, tout au plus le traverser s'il est sur mon chemin, mais j'aurais besoin de découvrir les terres qui s'étendent au-delà du Morguestanc. Je veux voir comment ça se passe ailleurs et, quand je sentirais que j'en ai assez vu, je me poserais avec une belle rousse avec un sale caractère qui ira nous chasser le repas que je pourrais cuisiner.

Il lui adressa un clin d’œil, puis rit de bon cœur sous le ciel d'été, sa main venant lui poker doucement l'épaule avant qu'il ne jette un regard alentours, puis reporte son attention sur la jeune femme.

- Franchement, j'aviserais au fur et à mesure, mais je pourrais au moins proposer soit mes services d'artisan, soit ceux de guerrier, je pense qu'avec ça je ne serais jamais à court d'argent ou même d'un toit où dormir.

Sans parler de la nourriture, mais il lui vint cependant l'idée de lui confier autre chose, dans la même veine.

- D'ailleurs je pense que je construirais moi-même la maison où je m'établirais avec ma future femme. On décidera de la taille, d'éventuels étages, du nombre de pièces qu'elle voudra... Franchement, j'en sais assez pour très bien m'en sortir et ce que je ne sais pas, je demanderais autour de moi, ça ne devrait pas poser problème. Comme ça pas d'excuse sur le choix de la maison.

De nouveau son large sourire amusé, Finn imaginant très clairement la scène, avec lui en train de trimer sur une poutre de bois sous un soleil brûlant et Ilhanne en contrebas qui lui donne des directives tout en dépeçant un gibier qu'elle aura chassé. Ça avait quelque chose de ridiculement authentique et de passablement comique, quoique assez tentant. Il ignorait s'il serait capable d'avoir une vie "ordinaire" après tout ce qu'ils avaient vécus et allaient encore vivre, mais pour le moment il espérait pouvoir au moins construire sa propre maison s'il devait demeurer hors d'une cité.

Il y avait quelque chose qui me mettait mal à l’aise, profondément mal à l’aise dans ce que j’entendais du discours de Finn. J’avais pas réussi à mettre tout de suite le doigt dessus me demandant ce qui pouvait bien remuer un peu cette sourde angoisse toujours tapis quelque part quand il était là. Ce n’était pas lui, bien au contraire, seulement, j’avais peut de faire n’importe quoi. Puis j’avais compris, du moins j’avais pensé avoir compris. C’était le fait qu’il évoque avec sérieux ce qu’il imaginait comme avenir, construire une maison, se poser, avoir une vie normale. Semblant espérer tout ça avec moi, alors que je ne n’avais aucune idée de ce que j’allais faire ne serait-ce que cette après-midi, maintenant que le plan de la journée avait été complètement chamboulé.

Je me frottais le bras un peu gênée. Il fallait que je trouve quelque chose à répondre, assez vite. Mais le fait qu’il semblait déjà bien plus engager ou attacher que j’avais l’impression de l’être me bloquait un peu, beaucoup.

En tout cas, lui ça avait l’air de bien le faire rire, du coup peut-être qu’il n’était pas si sérieux et que je me montais la tête pour rien. Après en ayant commencé à le cerner, j’avais un doute sur le caractère complètement comique de la chose, sans fond de vérité. Du coup, la question devenait « comment le dire ? » en plus de « quoi dire ? »

Autant le dire tel que. Du moins, c’est ce qui semblait avoir un peu de sens.

« Ça me met un peu mal à l’aise qu’t’ai l’air d’avoir pensé à ça, avec moi. ‘Fin j’ai p’têtre mal compris après j’sais pas. »

J’espérais un peu avoir interprété ça de travers, même si j’aurais l’air de la dernière des connes, mais ça en soit s’était pas non plus la chose la chose la moins courante.

« J’sais pas, j’y ai pas pensé en fait…J'ai l'impression que t'as des idées et des attentes très lointaines et précise alors que j'suis complètement dans l'flou »

Ça me coutais plus ou moins de mettre des mots sur ce qui me passait par la tête, mais j'avais promis d'essayer.
Peut-être que j’y penserais maintenant, ou plutôt au prochain moment de calme.

« D’ailleurs t’nous emmène à l’autre bout d’la ville ? »

Tentative pour le moins ridicule de changer de sujet, même si il était vrai que ça faisait un moment qu’on marchait, errant dans le quartier, à parler d’un peu tout et un peu rien. La ville s’animait et s’acharnait à vivre ou plutôt à survivre autour de nous à l’ombre pesant des remparts.

Finn aimait à plaisanter sur bien des sujets et, si celui de s'établir quelque part avec Ilhanne semblait fort sérieux tel qu'il l'avait énoncé, sa façon d'en rire ensuite et d'affirmer qu'il ne savait pas de quoi l'avenir serait fait en disait plus que ce qu'il ne voulait bien réellement confier. Il avait rêvé ce genre de vie, il y avait une éternité lui semblait-il, mais à présent le futur lui semblait incertain, au même titre qu'il songeait parfois qu'il finirait terrassé par un ennemi, fangeux ou humain, sans pouvoir jamais revoir ne serait-ce que le visage de celle qui, en ce jour, occupait autant son esprit que son cœur. L'idée aussi qu'il puisse perdre la Chasseuse tourmentait le Mercenaire, bien que cela demeura une chose qu'il n'évoqua point, mais à laquelle il pensait de plus en plus, surtout après avoir vu ses cicatrices : elle avait tant vécu. Ainsi lorsque la rousse confia son malaise, l'homme d'armes eut-il un sourire à la fois chaleureux et rassurant, secouant légèrement la tête.

- Ce ne sont que des idées saugrenues qui me traversent parfois l'esprit. n'ai point d'inquiétude, je ne suis pas de ceux qui prévoient tout et anticipent toute une vie par avance, tout au plus vois-je à une ou deux années, guère plus.

Et encore, rien ne se passait jamais comme prévu, il suffisait de voir ce qui était arrivé avec la Fange et tous les chambardements qu'elle avait apporté avec elle. Finn cependant fut tiré de toutes ces réflexions à la question de Ilhanne, laquelle faisait fort habilement remarqué qu'ils s'éloignaient de plus en plus dans les rues sans but précis apparent. Toussotant un peu pour marquer sa gêne, le Mercenaire s'arrêta droit sur le pavé et jeta un regard alentours, avant de rire, nerveux et visiblement désolé.

- Décidément je perds la tête quand je suis avec toi. C'est par là.

Il pointa du doigt une rue adjacente dont ils venaient de dépasser l'entrée d'une dizaine de mètres, rebroussant ainsi chemin pour s'y engouffrer, l'homme levant un peu le nez pour humer l'odeur de boulangerie et de diverses denrées qui semblaient se vendre dans la zone. La faim commençait à lui tordre le ventre après toutes ces émotions et il devenait vital de se restaurer au plus vite.

- Qu'est-ce que tu préfèrerais ? Quelque chose de sucré ou de salé ? J'ai quelques pistoles d'argent de côté, bien assez pour nous octroyer un bon petit repas.

La vente de tout ses biens, dont du bois, plusieurs œuvres et son cheval, avaient permis de mettre des écus de côté, mais au bout de presque un an et malgré une économie conséquente, le petit magot avait bien diminué et l'arrivée prochaine de premières missions allait être plus que bienvenu. Souriant malgré tout, Finn attendit le choix de Ilhanne avec son habituelle bonne humeur qui, en ce jour, semblait être un peu plus forcée qu'à l'accoutumée, probablement parce que son inquiétude venait de gagner quelques crans.

Une ou deux années, c’était déjà infiniment plus que ce que je pouvais prévoir quand il m’arrivait de voir un peu plus loin que lendemain, le surlendemain, la semaine ou la quinzaine. Tout ça, c'était très vrai avant, mais surtout d’autant plus maintenant. Ne même pas être certaine de rentrer en vie à chaque fois que l’on quittait l’abri de hauts murs, n’aidait pas vraiment à faire des projets sur le long terme. Ça ne me rassurait pas vraiment de savoir que lui arrivait à se projeter. Peut-être que ce n’était qu’une question de caractère après tout. J’avais toujours été sceptique et un peu cynique.

« S’tu perds la tête, peut-être que j’devrais ne pas r’venir. J’préfèrerais qu’tu la gardes. »

Il y avait quelque chose dans sa voix, dans savoir trop ce que s’était réellement. Ça ressemblait à de la nervosité. Juste pour s’être un peu égaré ?
En tout cas, j’avais seulement doucement ri en parlant du fait que préférait que sa caboche reste sur ses épaules. Il devait être bien assez grand et prudent pour savoir ce qu’il devait faire ou non et prendre soin de lui. S’était quelque chose que j’avais du mal à faire, materné quelqu’un. Protéger, oui, m’inquiéter aussi, mais sentir le besoin de m’en occuper outre mesure, non, pas réellement, ou plutôt pas souvent. Possiblement parce que j’avais été plus souvent celle de qui on s’occupait.

« Finn, garde tes pièces, t’en a sûrement bien plus besoin que moi. »

Après tout, je faisais partie de ceux qui ramenaient une partie de la nourriture, j’avais presque assurément une part sur ce qui rentrait. Mais, pour appuyer mon propos, j’avais fouillé dans une des poches de mon sac. Si peu d’argent circulait à Traquemont, on arrivait souvent à revendre des petites pièces de fourrure ici en ville, ou à des convois qui passaient même si c'était bien plus rare. J’avais senti le métal froid des pièces sous la pulpe des doigts. En sortant ce que ça contenait, il devait y avoir à voir de nez deux pièces d’argent un peu plus, sûrement le reste d’une transaction qui datait à compléter par quelques pièces sûrement encore plus anciennes qui traînaient là-dedans.

« Pourquoi t’as l’air triste d’un coup ? »

Si Finn faisait quelque chose très souvent, s’était bien sourire. Sur le peu que je l’avais vu, j’avais dû voir toutes les variantes de risettes dont un humain pouvait être capable. Celui-là, il était un peu sombre.

« Si tu veux, on peut trouver un endroit plus calme. On peut aller où tu veux, tu peux même y aller tout seul si tu veux. »

J’avais aucune idée de ce qui pouvait bien lui passer par la tête, mais généralement un endroit plus silencieux que moi je cherchais dans ces moments-là.

La plaisanterie sur le fait de garder ou non sa tête sur les épaules avait passablement surpris Finn qui ne s'y attendait pas et qui, si Ilhanne n'avait pas rit quasi immédiatement après, lui aurait fait se poser de sérieuses questions quant au désir de cette dernière de le revoir. Mais non, il s'agissait d'une blague et l'homme eut un sourire en coin, secouant la tête d'un air faussement désespéré de la voir aussi légère.

- Un peu que je vais la garder, elle est trop belle pour être coupée.

Un sourire amusé revint à la charge sur ses lèvres alors qu'ils marchaient d'un pas tranquille, le débat sur qui allait payer arrivant finalement sur la table de discussion et, si la rousse montra ses pièces d'argent avec l'air d'avoir tout à fait raison... et bien que voulez-vous, ce que femme veut...

- Fort bien, tu paieras donc ta part, mais point la mienne, je suis trop bon mangeur pour ça.

Pas question de la ruiner, d'autant que dans les poches du Mercenaire, c'était des pistoles qui attendaient sagement avec des sous, de quoi payer le repas de plusieurs personnes pendant deux semaines : son pactole avait été conséquent et ce n'était là que ce qu'il emmenait hors du Quartier Général, le reste demeurant bien à l'abri dans ses affaires. Nul voleur à la Compagnie des Lames, aussi chacun laissait-il dans une cachette propre, dans le bâtiment, ses économies et ses biens personnels. Le fait en revanche que son sourire n'atteignit plus ses yeux ne sembla pas passer inaperçu et la Chasseuse lui en fit la remarque, lui demandant pourquoi il avait l'air triste tout à coup. Aïe... Un sourire revint à la charge, mais là encore il demeurait forcé et Finn se retint de grimacer, haussant les épaules d'un air faussement nonchalant, écoutant les propositions de la jeune femme avant de s'arrêter net au milieu de la petite rue, la fixant soudain avec gravité.

- Non, je n'ai pas envie de rester seul.

Oublié le sourire et cet air perpétuellement joyeux qu'il affichait sans cesse, il y avait dans le ton et dans le regard quelque chose de bien trop sérieux pour laisser place au doute.

- Je pensais juste aux Fangeux et à tout ce qui n'est plus... J'ai véritablement hâte de pouvoir en occire quelques-uns et de me montrer plus utile.

D'une façon ou d'une autre, les missions commenceraient bientôt et le Mercenaire désirait ardemment faire ses preuves au sein de la Compagnie des Lames, mais il avait également soif de victoire sur le Fléau, de protéger, de défendre... autant de choses contradictoires qu'un homme faisant son métier ne pouvait guère faire sans paiement ou contrat.

- On peut acheter de quoi manger et tu me montres un endroit calme ?

Autant suivre le sage conseil de Ilhanne et l'ancien artisan commençait à vouloir effectivement un peu plus de distance entre lui et les autres, la jeune femme exceptée. Ignorait-elle donc que sa présence était comme la plus douce des médecines ? Probablement ne le réalisait-elle pas, après tout les choses allaient à deux vitesses dans leur cas, lui se sentant terriblement plus lié à elle que l'inverse. Le temps seul lui permettrait de voir ce qu'il adviendrait de tout cela, mais en attendant, Finn offrit un sourire tendre à Ilhanne, espérant au passage la rassurer un peu quant à son désir de la voir demeurer à ses côtés. A quelques pas d'eux, une petite échoppe vendant de quoi se restaurer attirait l'attention.

Juste le temps de regarder vers où on était et quel endroit serait le plus calme, le plus surprenant.

« J’espère qu’tu sais grimper. »

Était tout ce que j’avais répondu à sa demande. Il avait toujours cet air triste. J’avais aucune idée de ce que ma présence pouvait lui apporter, mais il avait l’air de vouloir que je reste alors si c'était ce qu’il voulait… De mon côté j’avais aucune envie de le laisser comme ça tout seul. Tout ça qui semblait le ronger, cette envie de vengeance qu’il m’avait déjà laissé entrevoir. S’était déstabilisante cette facilité avec laquelle il m’avait cerné, amadouer à partir du moment où j’avais consenti à me laisser approcher.

On s’était dépêché d’acheter de quoi manger. Un peu de viande sous forme de brochette, que j’avais enveloppé dans un linge et mis dans mon sac, mais surtout des fruits, des pommes, ce genre de chose qui était tellement rare à Traquemont.

Il avait fallu s’éloigner un peu, se perdre dans les ruelles plus ou moins entretenues. En arrivant au pied d’un muret à peine plus grand que moi, je m’étais arrêté. J’avais oublié ce petit détail, cette robe que j’avais dû enfiler.

« J’regrette tellement mon pantalon. »

Avais-je seulement lâché en regardant que personne et surtout pas de vieille pie acariâtre ne regardait ce qu’on pouvait bien faire. Tout le monde s’activait, à cette heure, pas de badaud qui traînaient laissant leur regarde vagabonder où bon leur semblait. J’avais coincé un pan de la robe dans la ceinture à la ma taille. S’était juste histoire de prendre un appui sur le mur que j’avais attrapé et … la mauvaise idée. Les points n’avaient pas lâché, mais ils avaient bien tiré. L’atterrissage avait été un peu rude pas contre, m’arrachant un grognement douloureux. Penser à réfléchir avant de faire quoi que ce soit …

Attendant que Finn passe, j’avais remis cette foutue robe en place. Il allait tomber dans un petit bout de terrain, vraiment pas bien grand, recouvert de hautes herbes derrière une maison tout aussi petite et qui semblait sur le point de s’effondrer à tout moment. Le mur qu’on venait d’escalader était fait de tout, de rien, des pierres plus ou moins grosses, des briques des bouts de touille de poteries, le tout maintenant en place par un mortier qui s’effritait.

« Avant c'était un jardin où une p’tite vieille un peu bizarre faisait pousser des plantes dont elle se servait. J’ l’aidais à entretenir ça contre des remèdes ou quelque piécettes. »

Expliquais-je ne faisant quelques pas au milieu des graminées.

« Elle est morte depuis un moment, et la maison avait été récupérer par de la famille un peu lointaine, mais elle brûler il y'a longtemps. Maintenant c’est plus qu’un tas de bois à moitié calciné qui tient à peine debout et le jardin c’est un petit bout de nature sauvage. »

Je m’étais pas trop approchée de la maison, la raison en était évidente. On l’avait pas encore démolie, démonté, retapée parce que personne n’avait les moyens de payer le bois nécessaire.

« Enfin, ça a pas tant changé, la moitié de sa verdure, ça ressemblait à d’la mauvaise herbe. »

Plusieurs fois je m’étais fait réprimander pour avoir arraché la mauvaise, mauvaise herbe.

Finn et Ilhanne achetèrent de quoi se restaurer et, rapidement, la jeune femme partit devant pour ouvrir la marche en direction d'un endroit de sa connaissance où ils devraient pouvoir être tranquille. L'homme la suivit au même rythme, souriant légèrement en se demandant où elle l'emmenait comme ça et pourquoi il faudrait grimper. Ah, grimper... voilà une autre chose qui lui manquait, lui qui avait adoré le faire aux arbres durant toute son enfance et sa jeunesse, vivre dans une grande Cité avec pour seuls perchoirs des bâtisses en plus ou moins bon état n'était pas pour le ravir, mais peu importait. Ils se retrouvèrent devant une sorte de muret et le Mercenaire eut tout le loisir de dévorer la Chasseuse du regard quand elle releva sa robe assez haut pour dévoiler ses jambes longues et effilées. Seulement, à peine avait-il compris ce qu'elle voulait faire et amorcé un geste pour l'en empêcher que déjà elle agrippait le rebord du muret pour se hisser, grimaçant de douleur à cause de sa blessure et le faisant grimacer, lui, de deviner sa souffrance rien qu'à ce seul geste. Il jura entre ses dents et la rejoignit de l'autre côté en un rapide et agile bond, se hissant à bout de bras avec la force de l'habitude pour se laisser retomber souplement de l'autre côté, aussi vite et aussi bien que l'aurait fait une crapule habituée à crapahuter dans les ruelles de Marbrume.

- Est-ce que ça va ? Tu as fait sauter des points ?

Demanda tout naturellement le jeune homme avec un air inquiet, l'écoutant lui parler de l'histoire de ce qui avait tout l'air d'un petit terrain vague, mais qui apparemment n'en avait pas toujours été ainsi. Jetant un regard tout autour de lui, Finn songea qu'il était bien dommage de laisser un bout de terre en friche de la sorte, alors qu'on avait terriblement besoin de la plus petite zone cultivable à portée de main. Il suivit Ilhanne d'un pas tranquille, observant les restes calcinés de l'ancienne maison, l'air grave et songeur, se figurant fort bien tout ce qui était arrivé.

- De la mauvaise herbe, peut-être, mais il n'empêche qu'on pourrait faire pousser deux-trois légumes ici, avec un peu de volonté et beaucoup d'acharnement.

Bien sûr il restait la question de la propriété du terrain, du prix des semences et du risque de s'attirer des ennuis avec un endroit pareil, comme une réquisition par la Milice ou un autre problème du genre. En attendant le Mercenaire choisit un carré de terre correct et s'y assit en tailleur, tapotant le sol près de lui avant de sortir la nourriture achetée et qu'il avait attaché à sa ceinture pour l'escalade, dans le bout de tissu fournit avec servant de baluchon de fortune. Saisissant en tout premier lieu une pomme, il croqua dedans avec appétit et soupira d'aise quand il sentit le goût sur sa langue et son palais.

- 'élichieux !

Lança-t-il avec un sourire véritablement enjoué, le regard brillant avant de mâcher plusieurs fois avant d'avaler tout rond sa bouchée. Soupirant de nouveau, il s'étira, bras vers le ciel, avant de scruter la Chasseuse avec un air complice.

- Alors, c'est ici que tu viens quand tout est trop bruyant ? Moi j'aimais aller dans les bois, je ne faisais pas que couper les arbres je l'avoue, j'adorais y grimper aussi.

Il haussa les épaules, mordit de nouveau dans la pomme, mâcha, avala en silence, puis sourit légèrement en coin, comme encourageant Ilhanne à lui parler un peu plus des choses qu'elle aimait faire avant la Fange. Il devait bien y avoir eu autre chose que la chasse, n'est-ce pas ?

Ça va, j’étais pas en sucre, j’avais eu mal, et ça me tirait encore un peu, mais j’allais pas m’empêcher de vivre pour une entaille. Si son inquiétude, un peu outrancière était amusante, voir un peu touchante maintenant, je savais pas si à la longue ça allait pas plus m’irriter qu’autre chose. J’avais besoin qu’on me laisse faire, qu’on me fasse confiance, confiance dans la connaissance de mes limites, même si parfois, je les titillais d’un peu trop près.

« Beaucoup d’acharnement, elles étaient toutes rabougries ses plantes. »

M’amusais-je en m’asseyant à côté de Finn. Il avait pas tort, des petits lopins de terre comme ça, ça aurait dû être exploité. Mais il y avait beaucoup de choses logiques que le monde ne faisait pas et tellement de choses bizarres qu’il répétait avec un chargement bien étrange. On avait surtout dû l’oublier ce petit bout de friche. Le pâté de maisons était un peu de excentré, et la maison carbonisée devait attirer la méfiance, laissant oublier ce qu’il pouvait bien y avoir derrière.

Plongeant la main dans mon sac, j’en avais également sorti une pomme, ce qui n’était pas spécialement pour me déplaire, j’avais l’impression que ça faisait une éternité que je n’avais pas avalé un fruit. Coquant dedans j’avais goûté la chaire ferme même si peut être un peu trop granuleuse.

« Ça dépend… »

Avais-je répondu à sa question une fois ma bouchée avalée. J’imaginais Finn le grand gaillard, essayé de grimper à un arbre et ça m’avait arraché un sourire. Je crois que si j’avais habité au milieu des marais avant, Val ne m’aurait pas beaucoup vu dans les mauvais moments de nos vies. Il y avait quelque chose d’infiniment plus plaisant de traîner en pleins milieux de la nature, plutôt qu’errer dans les rues, et sûrement d’infiniment moins dangereux.

« Crois-le, ou non, j'suis une bestiole sociable. ‘Fin, sociable a petite échelle. Quand tout devient trop bruyant, j’ai souvent besoin de quelqu’un. Pas forcément de lui parler, mais juste de sa présence de savoir qu’il n'est pas loin. Mais d'préférence dans un endroit calme, c 'clair. Mais juste toute seule, j’aurais juste l’impression qu’le silence serait trop … »

Lourd ? Trop bruyant ? Juste trop ?

Avant, c’était pas forcément mieux que maintenant. Certes on risquait pas nos vies dès qu’on avait besoin de passer les remparts, mais avant il y avait déjà tout le reste. Je sais pas, pour moi, ça avait permis de m’affirmer un peu, de plus juste laisser la vie décider.

« Quand on se retrouvait avec Margaux à en avoir marre du monde en même temps, on finissait par imaginer comment s’était hors de Marbrume, hors du Duché on avait même un plan scabreux pour partir. Mais on l’a jamais appliqué, pour tout un tas de bonnes ou mauvaises raisons. »

Surtout des bonnes raisons, en fait, s’étaient bien pour ça qu’on avait été raisonnable, pourtant que est qu’on avait pu prévoir, discuter, rêver.

« Qui sait ce qui se serait passé, si on avait été assez folle ou téméraire pour l 'faire. Ptêtre qu’on serait mortes quelque part, prêtre qu’on serait libre quelque part, prêtre qu’on aurait fini par revenir, prêtre qu’on serait coincé dans une autre ville qui croit aussi être la dernière du monde. »

Au-delà de Lods, personne savait ce qui se passait. Pour les plus pragmatiques, la vie humaine avait juste été éradiqué par la fange. Mais on pouvait toujours espérer, ce dire que si on pouvait être dans cette situation pourquoi pas une autre ville, Marbrume n’était pas la seule fichue cité fortifiée du monde.