L'alcool et l'absence ne font jamais bon ménage [PV Ilhanne] [Terminé]

Il y avait longtemps que Finn n'avait pas vu Ilhanne, des semaines déjà s'étaient écoulées depuis cette nuit au Labret, cet instant unique et mémorable durant lequel ils avaient finalement passé un nouveau cap des plus importants, mais toujours la jeune femme demeurait égale à elle-même et au chemin qu'elle s'était choisie. La chasse, le combat, la lutte contre les Fangeux et la survie, tout cela se trouvait quelque part entre les deux amoureux, mais dans ce monde qui était le leur, il n'y avait guère beaucoup de possibilités quand on était pas de noble naissance. L'on pouvait rester terré derrière les murailles qui offraient un abri plus ou moins sûr, tout du moins lorsqu'on avait pas affaire aux divers brigands et à la famine, aux vols et agressions qui se perpétuaient faute de moyens suffisant pour limiter ce genre d'exactions malgré les répressions sans pitié de la Milice. Ou bien l'on prenait les armes et on se forgeait son propre destin, que ce soit justement dans la Milice, comme Mercenaire, guerrier ou chasseur, peu importait. Ainsi se voir était la chose la plus difficile pour le jeune couple qui n'osait même pas vraiment se qualifier ainsi faute de stabilité dans le rythme de leurs retrouvailles occasionnelles. C'est ainsi qu'avec tous ces facteurs couplé à la beuverie qui suivit la fin de la chasse au trésor des festivités de l'été, quelque chose d'assez improbable se produisit. Finn, qui pour une fois s'était accordé le droit de boire plus que de raison, avait pris congé de ses camarades de chasse pour se rendre seul au Labourg, l'épée au côté et l'air faussement frais au vu du degré d'alcool dont il était imbibé. Ivre, il avait entreprit de frapper comme un sourd à la porte de la maison des Barrowner en appelant après la rousse, en pleine nuit, attendant ensuite quelques secondes avant de recommencer, encore et encore, jusqu'à-ce que finalement ce ne soit la vieille voisine d'en face, madame Matin, qui passe la tête par sa fenêtre en lui criant de rentrer chez lui et de laisser dormir les honnêtes gens. Allons bon, n'y avait-il donc personne à cette heure-ci ? Profondément déçu, le Mercenaire avait repris sa route, d'abord avec hésitation, puis finalement en direction d'un lieu bien connu sitôt qu'une idée lui avait traversé l'esprit.

- Tavernier ! Ton meilleur alcool !

L'auberge du vieux Charles profitait des festivités de l'été et du peuple parcourant les rues nuits et jours cette semaine pour demeurer ouvert jusqu'à une heure des plus indécentes, mais l'arrivée d'un homme déjà visiblement éméché n'était pas forcément pour lui plaire et il commença par lui demander s'il avait de quoi payer. Rendu grognon par cette question, le Mercenaire jeta une petite bourse pleines de pièces sur le comptoir et pris place sur le tabouret haut en manquant de se casser la figure, pestant après son épée au côté qui soit-disant le déséquilibrait. Avisant la personne chargée de le servir, il lui adressa un sourire qui vira bien vite à l'air chagrin tandis qu'il repensait à celle qui occupait sans cesse ses pensées.

- Margoooooot !

Il soupira fortement, appuyant ses coudes sur le comptoir et calant son menton dans ses mains avec l'air d'un gamin sur le point de pleurer.

- Ilhanne est pas là, je suis malheureuuuuuux. Elle est jamais là, jamaiiiiis... Qu'est-ce que j'vais faire Margot ? Je l'aime moi, j'peux pas vivre sans elle et j'la vois jamais...

Et attrapant le verre qu'on avait posé devant lui, il le vida d'une traite et soupira fortement, reposant le contenant avec l'air d'attendre qu'on le lui remplisse de nouveau, le regard humide et l'air implorant. Il avait fière allure le Mercenaire, ah ça oui, la fierté de sa Compagnie assurément.

On pouvait dire que la soirée était du genre agité, c’était pas bien étonnant à vraie dire, au vu des célébrations en l’honneur d’Anür. C’était comme si toute la ville essayait d’oublier la famine et la merde ne se noyant dans le divertissement et l’alcool, surtout l’alcool, des litres et des litres, la question était de savoir comment ils avaient réussi à en fabriquer autant.

Le labour n’avait pas échappé à la fête de fin de la chasse au trésor. Dans l’auberge du vieux Charles, ça s’affairait, on avait même embauché une petite gamine pour aider au service. C’était pas du loin terme, la pauvre, elle pouvait pas espérer que ça devienne permanent.

La soirée battait son plein, le brouhaha permanent et insoutenable de la salle se mêlait au vapeur de bibine bon marché. Parfois un tel éclat de voix se faisait étendre voir le sang de quelques clients trop imbibé s’échauffait un peu et ça risquait de déraper, mais il était viré par la peau du cul comme des couillons par les maîtres des lieux, qui pour une fois ne restaient pas le derrière sur une chaise à discuter avec ses habitués.

Margaux venait de préparer un plateau de gobelets remplis de liqueur d’origine inconnue lorsqu’une trombine connue passa laborieusement le pas de la porte demandant le meilleur alcool de la boutique. Avant prenait place en risquant de se vautrer par terre de manière plutôt risible. La brune avait rappliqué directement avec son plus charmant sourire.

« Charles t’occupe j’le gère … souffla-t-elle alors qu’elle poussait l’homme pour qu’il aille s’occuper de ses affaires… et donne-moi ça. T’vas pas l’arnaquer lui. Tu vois bien qu’il tient à peine debout. »

La donzelle arracha la bourse des mains de son patron, qui préféra battre en retraite. Charles était un teigneux, mais un teigneux du genre très lâche et ce soir il avait d'autres merdes à gérer qu’une petite bourse quand l’établissement était plein. Puis malgré le sale caractère de la jeune fille, il avait confiance, elle rendrait sûrement par la bourse entière. Si elle voulait jouer à la justicière c'était son problème. C’était surement le faire qu’elle le connaissait qu’il la rendait plus douce, en temps normal elle aurait pas eu aussi bon cœur.

« Et toi arrête de me regarder avec des yeux de merlan frit ! Ça, ça vas se servir tout seul ! »

Qu’elle houspilla l'aide d’un soir pour qu’elle prenne le plateau, ce qu’elle fit sans se faire et prier et disparut entre les soiffards.

C’est là qu’elle regarda, plus longue Finn, il était pas frais, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Elle, ça la faisait doucement rigoler. Lui qui avait tout le temps l'air si correct le voir très pompette c’était plutôt cocasse.

« Bah mon grand t’es bon pour rouler sous la table. »

Se moquait-elle en attrapant un verre qui devait être propre et une bouteille contenant un liquide légèrement trouble dont elle versa deux doigts.

« Ow, ow, ow, doucement c’est pas du p’tit lait. »

C’était qu’il avait de la descente le gaillard, puis elle pouvait pas vraiment le ramener chez lui vu carrure qu’il avait elle pourrait même pas le traîner jusqu’à la porte. Elle le regarda avec des grands yeux alors qu’il s’effondrait en pleurant sur le fait qu’il ne voyait pas assez Ilhanne.
D’ailleurs, la rouquine n’était pas si loin, en fait, elle dormait à l’étage, dans la chambre de Margaux. Du coup ça le mettait dans une situation un peu compliquée la brune. Mais de toute façon vu l’état d’enivrement avancé du monsieur il était un peu hors de question de lui dire où elle était.

« Oui, bah hein d’quoi tu t’étonnes ? Vos vies elles sont aussi dingues et chaotiques l’une que l’autres. Normal qu’tu la voix jamais. »

Elle attrapa un chiffon et commença à briquer le bar, plus pour s’occuper les mains que par soucis d’hygiène poussé.

« Si t’es si malheureux, j’sais pas … d’mande lui d’vivre avec toi, ou épouse là j’en sais rien. »

Les mots étaient sortis tour seul, alors qu’elle surveillait du coin de l’œil la recrue du soir pour voir si elle s’attirait par des ennuis ou qu’elle tirait aux flancs. Puis d’un coup elle se rendit compte de la connerie qu’elle venait de sortir.

« Euh … non oublie ça, oublie vraiment ça, c’la pire idée du monde »

Vu les deux numéros qu’ils étaient, c’était vraiment une salle idée.
Elle attrapa prestement la bouteille dont elle avait déjà sorti la mixture qu’il avait bue d’un coup pour lui en reverser un petit peu plus.

« Tien ça va t’aider. »

Finn y voyait encore à peu près clair, mais il était visiblement éméché et la façon dont il s'appuyait sur ses coudes dénotait un manque d'équilibre flagrant que son air chagrin n'arrangeait en rien, lui donnant plutôt celui d'un imbécile en détresse qu'un amoureux transi. Aux mots de la brune, il se redressa pourtant, levant les bras comme si elle venait d'énoncer une évidence, puis les abaissa vivement, les mains claquant sur ses cuisses dans un bruit sec.

-Ah ! Penses-tu ! J'lui en ai déjà parlé d'tout ça ! Mais on dirait qu'c'est même pas la peine.

Son verre fut resservit et il le descendit un peu moins vite, non pas qu'il soit rassasié, mais plutôt parce que Margaux lui avait dit de le boire doucement. Hey, il fallait bien écouter la serveuse, elle savait de quoi elle parlait l'air de rien. S'appuyant de nouveau sur le comptoir, il lui sourit gentiment, soupirant un peu.

- J'sais bien qu'on a des vies de dingues, mais j'aimerais bien qu'elle m'épouse... j'ferais tout pour qu'elle manque de rien, même si j'sais qu'elle voudra continuer de chasser, j'm'en fiche, je l'aime trop pour l'enfermer dans une maison.

Le Mercenaire entreprit de jouer avec son verre vide, le faisant tourner dans un sens, puis dans l'autre, scrutant les reflets dans les parois transparentes avant de le tendre de nouveau vers la jeune femme, un sourire canaille aux lèvres.

- Franchement est-ce qu'on peux me résister ? J'sais que je suis pas mal pour un homme venu d'un p'tit village et j'plaisais bien avant qu'la Fange arrive.

Puis comme beaucoup d'homme ayant trop bu, son humeur changea et son visage s'assombrit alors même qu'une terrible pensée lui traversait l'esprit. Il fixa Margot comme si on l'eut giflé, les yeux écarquillés et au bord de la panique.

- Tu crois que j'suis assez bien pour elle ? Tu crois pas qu'elle pourrait en rencontrer un autre dans son travail ? Ou même une...

Et Finn se cala la tête entre les mains en marmonnant qu'il ne pourrait jamais la contenter si jamais elle tombait amoureuse d'une femme ou pire encore d'un Noble, un gars qui aurait une situation et qui pourrait la protéger derrière de hautes murailles. Et la suite ne fut qu'une série de propos du genre alors que le jeune homme semblait en pleine détresse. Pitoyablement affligeant.

Le truc c’est qu’elle savait qu’elle chassait plus, elle savait tout ce qui s’était passé en une semaine. Puis surtout elle savait, ‘fin elle pensait très fort, ou non, plutôt, elle était certaine connaissant la bestiole que la rouquine elle avait rien dit à personne. Ça lui jouera des tours un jour, ça allait même violemment lui retomber dessus, si on lui demandait son avis. Margaux lui avait dit à Ilhanne, puis fatalement elle avait fait celle qui comprenait pas, ou qui voulait pas comprendre, c’était pareil. C’était pas que s’était plus son problème, mais bon elle savait qu’elle comprendrait quand elle voudrait ou quand ça serait trop tard.

« Tu lui a d’mandé d’épouser ? T’es sérieux ? C’est pas juste un joli rêve que t’as fait un jour ? »

Elle lui disait rien cette histoire, rien de rien. Si ça avait été vrai, elle aurait pas pu garder ça pour elle la rouquemoute, elle aurait débarqué complètement perturbée, à plus savoir qu'en radoter. Oh ça, pour sûre s'il lui avait demandé de passer devant un prêtre elle l’aurait sue.

La serveuse, improvisée barmaid savait pas si elle devait être soulagée de le voir picoler un peu plus, histoire qu’il oublie tout ce qu’il allait lui dire ou tout ce qu’elle lui avait dit pendant leur échange. Mais en tout cas, ça avait déjà pour effet de lui délier la langue.

… Et le faire jouer le joli cœur…

« Ouai, si tu v’nais pas d’me dire qu’t’avais d’mander à Ilhanne d’lui passer la bague au doigt, je te sauterais dessus. »

Elle rigolait … à moitié.
Les bons garçons ça courait pas les rues, ‘fin par ses rues visiblement. Donc bon si elle aurait pu lui mettre le grappin dessus elle aurait pas hésité bien longtemps. Mais bon Ilhanne, elle l’aimait bien même si c'était une foutue bondieusé de bourrique, elle pourrait pas lui faire ça, ou pas encore, elle savait pas bien.

« Non mais tu dis n’impo… Attend … Une ?! De quoi tu parles ? »

L’information venait d’arriver à son esprit et ça lui plaisait à moitié, encore une connerie dont elle était au courant. En même temps ce genre de chose, si c’était vrai, elle était pas sûre de vouloir le savoir, ou si, ou non. En tout cas, elle savait quelque la rouquine elle voudrait pas que ça s’ébruite, personne le voudrait.

« C’est quoi le bordel Finn ? De quoi tu parles ? »

Margaux avait repris le verre des mains du mercenaire, elle le lui rendrait potentiellement rempli que s'il l’ouvrait et lui déballait une grande partie de ce qu’il savait.

Finn hocha vivement la tête en premier lieu, puis sembla se raviser et grommeler à moitié avant de finalement reprendre la parole, regardant Margot avec un air un peu penaud qui ne faisait sans doute que passer, au vu de son état d'alcoolémie avancé.

- Bah, j'voulais lui demander alors j'ai tâté le terrain et... j'crois que s'poser quelque part avec quelqu'un, c'est pas trop ce qu'elle veut. Elle a parlé de voyager quand la Fange serait terminée, de trucs dont elle n'était pas sûre...

Il passa une main sur son visage, puis la remonta sur son front avant de lisser machinalement ses cheveux vers l'arrière, cheveux qui reprirent leur place de bataille désordonnée sur son crâne sitôt le geste achevé.

- J'sais pas si j'dois attendre la fin de la Fange pour lui demander, je sais même pas si elle veut vraiment d'moi ou...

Le compliment détourné sur le fait qu'elle voudrait bien de lui, même si elle sembla en rire, réchauffa un peu le cœur du Mercenaire qui sourit légèrement, avant de réaliser juste après qu'il en avait peut-être trop dit concernant une chose que Ilhanne lui avait confié. Et merde, il n'avait pas fait attention et voilà qu'à présent l'amie de la rousse risquait de tout découvrir ou pire encore, d'aller questionner la chasseuse au sujet de ce dérapage qu'elle pourrait avoir eu avec une femme. Grimaçant, Finn secoua la tête et soupira fortement.

- De rien, c'est juste que j'm'inquiète, j'ai peur qu'elle en rencontre un d'meilleur que moi et qu'elle me laisse. Ce s'rait pas juste...

Il avisa son verre et le poussa doucement devant la jeune femme, lui offrant un vague sourire moitié amical et moitié suppliant.

- J'dois t'embêter avec mes histoires, tu dois avoir beaucoup de travail. Prend de quoi payer le reste de la bouteille et un peu pour ton pourboire, je vais me servir tout seul et j'partirais après.

Même si à l'heure actuelle l'ancien artisan n'était pas certain de réussir à quitter les lieux sur ses deux jambes, mais si on le lui demandait, il se sentait encore capable d'aller occire du brigand et de boire encore trois bouteilles au moins. L'illusion de l'alcool à n'en point douter.

« Ta ta ta ... ce soir j’ai un larbin, donc je peux t’écouter me dire que t’es triste toute la soirée s’tu veux. »

Margaux mit le verre de Finn avec ceux qui étaient destinés à la plonge. Elle estimait qu’il avait assez picoler finalement et que l’emmerde que représentait le fait de devoir en faire quelque chose quand il se serait écroulé terrassé par la bibine, serait plus grande que le bénéfice de le voir éliminer tous les souvenirs de cette soirée en même temps que le contenue de ses tripes.

« Puis ralenti sur l’alcool, ça t’rends morose. »

Ce qui était pas faux, il était triste et la bibine ça faisait ressortir tout ça. Pas vraiment au plus grand plaisir de la barmaid improvisée, mais bon ça lui changeait de la drague lourde et des discourt décousu.

« Qu’est ce qui s’rait pas juste ? T’es triste de pas avoir assez joué avec…»

Lança-t-elle se moquant ouvertement de lui. Elle pouvait bien faire toutes les allusions qu’elle voulait de toute manière il y avait beaucoup trop de bruit pour que quelqu’un entende tout ce qu’ils pouvaient bien se raconter. Puis même on pouvait pas dire que l’auberge du vieux Charles avait pour réputation d’être un endroit raffiné, y entendre un sous-entendu un peu salace n’était pas si scandaleux.

« La picole ça t’fais dire des conneries… Ilhanne elle est conne parfois, puis elle est un peu … beaucoup bornée et souvent … c’est la merde, toi et moi on va pas s’mentir. Mais y’a bien une chose que ça veut dire c’est que jamais tu lui f’ra faire ce qu’elle veut pas. »

Ça pour sûre qu’elle avait pu tester les élans de caractère de la rouquine. L’inverse était pas faux non plus d’ailleurs, mais du coup ce n’était pas bien dur de se connaître quand elles avaient passé tant de temps ensemble.

« J’vois pas c’qui t’fais douter… »

Elle faisait pas n’importe quoi, ou du moins pas volontairement.

Attrapant une bouteille un peu plus loin sur le comptoir, elle la fit glisser pour que la recrue pour un soir l’attrape. Les gestes de réception furent un peu approximatifs et ne manquèrent pas de risque de faire tomber le contenant en verre grossier.

« Mais Finn, c’est triste qu’Ilhanne te mette dans cet état. »

La jeune femme fit la moue en s’appuyant à son tour sur le comptoir.

En temps normal Finn aurait protesté d'entendre Margaux parler de larbin et aurait même adressé à la jeune serveuse venue en soutien ce soir un sourire gentil, mais ce soir, ivre et centré sur sa petite personne, le jeune homme se contenta de secouer lentement la tête, pas trop amplement histoire d'éviter l'arrivée d'un vertige qui menaçait de poindre tandis qu'il écoutait la brun affirmer que l'alcool le rendait morose. Ah ça... il avisa son verre un peu plus loin et s'apprêtait à faire une remarque à ce sujet quand, entendant les termes employés par l'amie de Ilhanne, il se leva d'un bond de son tabouret, l'air furieusement indigné et tapant du plat de la main en un coup sec sur le comptoir de bois, avec toute la force qu'un Mercenaire dans son genre pouvait posséder, faisant se retourner quelques clients éméchés non loin de là.

- Je t'interdis ! T'as pas l'droit d'dire ça, t'entends ?! Ilhanne c'est pas un jeu ni un objet ! C'est la meilleure femme du monde !

Puis semblant réaliser son emportement, il rentra un peu la tête entre ses épaules et ramassa le tabouret de bar qui était tombé au sol, se rasseyant avec l'air penaud d'un gosse qui venait de faire une bêtise et qui savait avoir dépassé les bornes.

- ... Pardon, je voulais pas crier.

Et surtout pas après la pauvre Margaux qui n'avait rien demandé à personne et surtout pas de se faire engueulée pour quelques mots lâchés pour se moquer sans méchanceté. Soupirant fortement, il écouta la suite des paroles de la jeune femme et acquiesça à ses dires une fois de plus, conscient que celle qu'il aimait était un esprit libre qui n'en faisait qu'à sa tête et ce n'était pas lui qui essaierait de la changer. Elle lui avait aussi plu parce qu'elle n'était pas comme les autres, alors vouloir qu'elle soit différente revenait à vouloir une autre femme à ses côtés, impensable pour l'amoureux transi qui se morfondait ce soir dans l'auberge du vieux Charles. Ce fut ce moment que la brune qui lui faisait face fit glisser une bouteille vers la jeune recrue du soir, les yeux clairs du Mercenaire suivant le mouvement en imaginant déjà l'objet tomber et se briser au sol, puis il reporta soudain son attention sur sa vis-à-vis, grommelant un peu pour la forme.

- C'est pas qu'elle me rende triste, c'est juste que parfois c'est difficile de ne pas la voir. J'aimerais bien pouvoir la serrer dans mes bras, lui parler, l'embrasser, lui dire des choses qui la font rire.

Il fixa Margaux en face avec un air peiné, puis esquissa un pauvre sourire bien moins radieux que ceux qu'il arborait en temps normal en la voyant à son tour morose.

- Hey, fait pas cette tête ma belle, je survivrais tu sais... enfin j'crois. Et toi alors, quand est-ce que tu vas te trouver quelqu'un pour te passer la bague au doigt ? A moins que tu sois comme Ilhanne, le genre libre et sans attaches.

Il ne réalisait pas le pauvre bougre qu'elle lui faisait des petites allusions depuis le début, ne comprenait ni ne voyait rien, aveuglé par l'amour qu'il éprouvait pour la chasseuse, exactement comme le disait le proverbe à ce sujet. Un cas désespéré qui avait de quoi finir par lasser.

La Margaux, elle fait un peu partie des murs maintenant, des années qu’elle traînait sa silhouette pas bien épaisse dans le bouiboui du vieux Charles. Avec le temps elle avait pris de l’assurance, de l’aisance, sûrement trop au goût de certain et peut-être même du propriétaire des lieux qui se faisait de temps en temps houspiller pour quelques magouilles ou qu’il intervienne dans quelque contentieux. Mais au final il disait trop rien parce qu’elle était bosseuse la petite et qu’elle avait l’habitude de gérer les habitués un peu avinés. Plus rien semblait la surprendre de la part d’un type qui avait un coup dans le nez.
D’ailleurs quand Finn s’était levé tapant de la main sur le comptoir, faisant tout tomber elle l’avait seulement regardé haussant un sourcil, scrutant s'il n’allait pas avoir de geste violent inconsidéré. Au final il avait rien fait que protester bruyamment et s’en rendre compte.

Il était mignon avec son air penaud de petit garçon pris sur le fait.

« Il va baisser d’un ton le joli cœur, ou il risque de réveiller le meilleure femme du monde … »

C’était pas que ça lui plaisait plus que ça de prendre un ton sec, mais bon si elle pouvait éviter qu’il refasse un esclandre ça lui ferait des vacances. On savait jamais ce que ça pouvait déclencher ce genre de soir, avec des gars tous plus finis les uns que les autres, suffisait qu’il y en ait qui le prenne plus à cœur pour que ça parte dans la mauvaise direction.

Pas non plus que ce qu’il lui disait ça la touchait pas, mais des deux, y’en avait pas un pour rattraper l’autre. On pouvait pas dire qu’ils se facilitaient la tâche pour ce qui était de se trouver du temps à deux. Puis pour en connaitre plus que bien l’un de deux, elle était convaincue qu’ils faisaient pas grand-chose pour ça non plus. Puis c’était pas ce qu’elle avait pas le droit de lui dire que ça allait arranger les choses.
Elle aimait pas des masses se retrouver au milieu de tout ça. Le sale sentiment qu’un moment ça risquait de lui retomber dessus d’une façon ou d’une autre lui trottait dans la tête. En réalité elle avait surtout peur que la frangine, de Valériane, si la maman de substitution apprenait le quart de ce qu’Ilhanne lui cachait elle donnerait pas cher de leur peau à toute les deux.

Puis l’idée de quelqu’un lui demande de se marier, la fit sourire. Une risette ironique un peu amer, ça lui était encore jamais arrivé et ça lui arriverait pas avant un moment à ce qu’elle pensait.

« Ça dépends, tu me fais quand ta demande ? »

Même imbibé comme il était, Finn pouvait se rendre compte qu’elle se fichait un peu de lui, que s’était pour plaisanter qu’elle lui avait renvoyé.

« Tu comptes me faire des propositions toute la soirée ? »

Son petit sourire taquin ne trompait pas vraiment.

Finn n'avait pas voulu crier, mais son état d'ébriété avancé le rendait beaucoup plus prompt à laisser sortir tout ce qu'en temps normal il gardait parfaitement sous contrôle, l'inconvénient d'être ce genre de brave gars qui laisse toujours une bride en place pour éviter tout incident, mineur comme majeur. Mais là ce soir, l'alcool l'avait d'abord rendu enjoué, puis déprimé lorsqu'il n'avait pas pu voir celle qui ne cessait de hanter jour et nuit son esprit et son cœur. Et si Margaux tenta de lui faire comprendre que Ilhanne était non loin d'ici, la subtilité n'était pas ce qui caractérisait le Mercenaire en cet instant, si bien qu'au lieu de se lever d'un bond en cherchant partout autour de lui où pouvait se trouver sa bien-aimée, le jeune homme soupira fortement en croisant ses bras sur le comptoir, posant son menton dessus en gardant levés vers la jeune femme ses yeux clairs embués par l'émotion.

- La réveiller, la réveiller... elle doit être à des lieues d'ici si elle est pas chez elle, à Traquemont ou au Labret... Et j'suis p't'être saoul, mais pas stupide, on prend pas la route dans mon état et en pleine nuit, ce serait du suicide.

Gros soupir à fendre l'âme. Margaux l'ignorait encore, même si elle finirait par l'apprendre, mais Finn n'était pas du genre à reprocher à autrui de respecter la parole donnée, quand bien même il faille mentir à un amoureux transi pour sauvegarder le secret de son amie. Que la serveuse soit au milieu de tout ce foutoir ne lui percutait même pas l'esprit à cet instant précis, mais le jour où cela se ferait, il n'en prendrait pas ombrage et ne le reprocherait pas à la brune. La vie était ainsi et Ilhanne avait tendance à fuir le Mercenaire malgré le fait qu'elle rechercha aussi sa compagnie, tel un aimant possédant deux bords opposés qui, selon le sens dans lequel il tournait, se rapprochait ou s'éloignait du jeune homme. Celui présent ce soir au comptoir y alla finalement d'un gentil sourire pour dire à celle qui l'écoutait depuis un bon moment déjà qu'il survivrait, puis lui demanda si elle comptait se marier un jour. Sa réponse ne manqua pas de faire revenir pour de bon le sourire sur les lèvres de l'homme d'arme qui apprécia la plaisanterie.

- Comme tu es ! Non je ne vais pas te demander toute la soirée, je me doute que tu as autre chose à faire que d'écouter un pochtron, même s'il doit y avoir beaucoup de ça à cette heure-ci.

Il pivota un peu sur son tabouret haut, jetant un regard aux tablées alentours, avant de reporter son attention sur la brune, son sourire revenant pour de bon au coin de ses lèvres.

- T'es une vraie amie.

Lâcha-t-il tout à coup, avant de se hisser vers l'avant, bras en appuis sur le comptoir de bois, profitant de sa haute taille pour se pencher soudain et déposer un baiser sur la joue de la jeune femme, se laissant retomber sur le tabouret en manquant de basculer, la faute au manque d'équilibre.

- L'jour où tu trouves quelqu'un, dis-le-moi, j'lui dirais la chance qu'il a de t'avoir. Et si jamais qui que ce soit te fait du mal, dis-le-moi aussi, j'me chargerait de lui apprendre les bonnes manières.

Et là-dessus le Mercenaire se leva, posa ses deux pieds au sol et avisa le tourbillon de sa vision qui semblait relativement modéré, puis sourit à Margaux avant de la saluer d'un signe de tête, visiblement de meilleure humeur que lorsqu'il avait franchit le pas de la porte de l'Auberge du Vieux Charles.

- Prend soin de toi princesse, j'reviendrais te voir quand j'serais plus frais. Et garde la monnaie.

Fit-il en désignant du menton la petite bourse de cuir que la jeune femme avait conservé à l'abri, sachant bien qu'il y avait de quoi faire deux pièces d'argent là-dedans, mais conscient également que la vie n'était pas toujours facile et qu'avec ce qu'ils avaient gagné à la chasse au trésor, il pouvait bien se le permettre. Un petit coup de folie pour une bonne humeur retrouvé, ça n'était pas si cher payé, ou alors c'est que le Baron Hector de Sombrebois commençait à déteindre sur lui. Et c'est en sifflotant que le Mercenaire Finn Gallagher quitta la Taverne, le pas enjoué et l'air ragaillardi, ignorant que sa dulcinée dormait à l'étage de l'établissement, prenant un repos bien mérité qu'il allait lui-même avoir au sein du quartier général de la Compagnie des Lames.

Une nuit comme celle d’aujourd’hui, ça aurait été stupide de prétendre au calme. Mais ce bruit c'était un bon bruit, c’était celui de l’espoir qui se débattait pour pas qu’on l’oublie.
‘Fin dans tous les cas c'était un bruit qui m’empêchait de fermer plus de quelques instants un œil. Y'avait pas que les cris de goret avinés qui me tenaient éveillée, fallait bien le dire. Même si ça cicatrisait pas trop mal dans mon dos ça tirait encore et un peu partout, ça faisait mal ça appuyait, les coups, les articulations malmenées. C’était ça ma nouvelle vie, fallait que je m’y habitue, fallait que je me rendurcisse.

Mais là de suite, j’en avais eu marre de tourner et retourner dans le lit, finir complètement étriqué dans le drap et se tortiller pour en sortir parce que finalement il faisait trop chaud.

En entrant dans la salle j’avais été accueilli par deux trois sifflements. La routine, ‘fin la routine quand tout le monde était torché. Margaux, qui faisait le tour des tables pour ramassé tout ce qui traînait et avait besoin d’être lavé, s’approcha.

« T’arrive pas à dormir ? »

Elle avait l’air un peu inquiète, fallait dire que je gardais un reste de bleu, en plein sur la joue, charmant souvenir du sous-fifre qui avait trouvé ça drôle de décapiter un mec en plein milieu de la cour.

« Non, j’ai mal et y’a trop de bruits… Puis ton lit est pas confortable. »

Je moquais d’elle, avec mon sourire en coin. C’était pas un problème que son lit soit pas le plus confortable de la ville, de toute façon vu comme j’étais fatigué, avec un peu de calme, j’aurais pu pioncer par terre.

« Si t’es pas contente r’tourne chez ta sœur. »

Qu’elle répondit sur le même ton railleur, en me poussant légèrement juste avant de se remettre à la tâche. Le vieux Charles guettait de son comptoir. Il aurait sûrement bien voulu que j’attrape un plateau pour faire le service. Il pouvait se mettre le doigt dans l’œil jusqu’au coude.
Tout ce que j’avais fait s’était suivre Margaux.

« T’as manqué Finn d’trois fois rien.

J’sais. »

Bah oui, je savais. Ça faisait bien quelques minutes que j’avais voulues descendre, mais dans l’escalier, j’avais reconnu sa voix dans il avait gueulé. La meilleure femme de la terre… elle avait même pas été foutue de prendre son courage à deux mains, elle était resté là comme une conne planquée à attendre qu’il se carapate. Mais il était bourré et moi j’avais une marque de coup visible, dans mon esprit ça faisait une salle addition.

« Non mais… ! Ilhanne ! Putain de bordel de merde ! »

Elle m’avait frappé ! La garce !

« Aïeuh ! »

Ça faisait mal !

« Margaux ! Langage ! Merde ! »

Pas un pour rattraper les autres.



Presque deux semaines étaient passées depuis la course au trésor. Dans les rues restaient des vestiges de la fête, des bouts de décorations mais surtout des relents d’euphories qui rendaient l’atmosphère moins pesants. Dans l’auberge du vieux Charles, en ce début d’après-midi c’était calme. La jolie serveuse, sous l’œil avisé de son patron débarrassait les tables de ce qui avait été servi pour le repas de midi, en lâchant parfois un soupire face à l’état dégueulasse d’une table.

Le bruit sec de quelque chose se plantant dans du bois se fit entendre, étouffé.

« Elle va faire fuit les clients avec ses conneries ! Puis pourquoi elle a besoin de s’entraîner ça fait j’sais pas combien d’année qu’elle manie ça là. ‘Pourrait pas faire comme toute les bonne femmes et faire d’la couture… »

Il était ronchon visiblement, le vieux Charles. Ce qui n’étonna personne, surtout pas Margaux, la donzelle ne prenant même pas la peine de formuler une réponse, qui de toute façon n’aurait fait que donner plus de raison de râler au gros homme.

Le tintement de la clochette de la porte retenti, alors que la brune se saisissait d’une gamelle sale.

« Bienvenu, qu’est-ce qu’on vous sert ? »

L’intention était bonne, mais le ton était un peu renfrogné, trahissant l’état renfrogné du propriétaire des lieux. Cet état de fait arrache un énième soupiré à sa serveuse, qui, en se retournant, eu la surprise de voir que c’était une tête connue qui venait de faire son apparition. Ce n’était pas un habitué pochetron, non, non, mais quelqu’un qui la mettait dans une position plutôt délicate.

« Tien, salut joli cœur, ça fait un p’tit moment »

Depuis la chasse en fait. Elle arborait un joli sourire, alors qu’en vrai elle se demandait comment elle pourrait gérer le truc. Le truc était qu’Ilhanne se trouvait dans l’arrière-cour, s’entraînant avec son nouvel arc, des traces de coups et des cicatrices de fouets que Finn finirait vite à trouver. Du moins ça c'était la situation telle qu’elle se présentait géographiquement parlant. Ce qui la mettait plus mal à l’aise, s’était qu’elle savait que la rouquine avait toujours rien dit à personne pour la milice, qu’elle faisait sa sauce dans son coin. Elle était même pas sûre qu’elle l’avait dit à Valériane. ‘Fin dit, dit, plutôt que Valériane était pas tombée dessus par hasard dans la caserne.
Margaux sentait le drame arrivé et ça lui plaisait moyen.

À nouveau le bruit Sec d'une flèche rencontrant du bois parvint ténu.

La brunette ne laissa pas le temps au mercenaire de se demander ce que c’était. Du moins c’était son intention quand elle lui lança un petit sac de pièces.

« T’as oublié ça la dernière fois. T’imagine pas les trésors d’inventivité qu’jai du déployer pour empêcher l’vieux Charles d’tomber d’sus. Il est pire qu’un cochon à truffe quand il s’agit de blé ! »

Il pouvait le regarder, c’était bien la bourse qu’il lui avait laissé une dizaine de jours plus tôt. Elle était plus légère du prix de ses consommations, voir peut-être un peu plus, pour les intérêts, mais certainement pas vide.

Finn avait finit de cuver son alcool dans son lit au quartier général de la Compagnie des Lames, il avait eut droit à un mal de crâne mémorable le lendemain mais, heureusement, lui et Oriane avaient ramené tellement de nourriture qu'on leur avait bien volontiers laissé le droit à quelques jours de repos amplement mérités. Une bonne humeur s'était emparée des Mercenaires, rendue meilleure encore par la certitude d'avoir de quoi manger pour plusieurs mois en économisant bien. Passé quelques jours on avait reprit le travail avec entrain et, lorsque l'ancien artisan passa la porte de l'auberge du vieux Charles, il tenait fermement dans l'une de ses mains un sac de toile gonflé de formes difficiles à identifier, mais qui lorsqu'il s'approcha de la serveuse laissa planer une odeur de viande séchée et de fromage.

- Bonjour Margaux, ça faisait au moins quelques jours oui.

Dit-il avec un sourire amusé, semblant se porter bien et affichant cette tête de ceux qui sont sobres, en plus d'une bonne humeur évidente. Le bruit sec d'un projectile heurtant le bois lui fit redresser la tête, mais avant qu'il ne puisse réagir à cela, il du attraper au vol de sa main libre la bourse que la jeune femme lui lançait, un air attendrit passant sur son visage en constatant qu'il restait encore des pièces à l'intérieur. Son sourire cependant s'étira largement quand il se rappela le motif de sa visite, tendant le bras en lui présentant le sac qui devait bien peser quelques kilos à vue de nez.

- Merci c'est gentil. J'ai un cadeau pour toi moi aussi, tiens prend-le.

Et il continuerait de lui tendre le sac de toile jusqu'à-ce qu'elle s'en empare. Une fois ouvert, la jeune femme pu constater qu'à l'intérieur se trouvait trois pains de bonne taille, plusieurs morceaux de viande séchée emballés et deux gros fromages, de quoi manger à sa faim pendant au moins trois semaines voir un mois selon l'économie qu'on en faisait et le nombre de repas journaliers.

- Ne laisse pas le vieux Charles te le prendre, c'est toi seule qui en disposera comme tu l'entends.

Son amusement ne monta cependant pas tout à fait jusqu'à ses yeux, car de nouveau le bruit sec retentit en provenance de l'arrière cour, lui rappelant fort bien une scène qui s'était déroulée quelques mois auparavant. Contournant Margaux d'un pas rapide, il se précipita vers la porte du fond et l'ouvrit après avoir entendu le nouveau claquement caractéristique, le cœur battant à tout rompre et l'espoir au fond de ses yeux clairs. Aussi attentionné que pouvait être Finn en tant qu'ami, aussi sincèrement puisse-t-il se préoccuper d'autrui, il était toujours une seule personne qui avait le dessus en toute chose en son cœur...

- Ilhanne...

Margaux avait regardé le sac d’un air dubitatif un certain temps avant de le prendre, voyant que, de toute façon Finn ne semblait pas prêt à lui laisser le choix sur le fait d’accepter ou non. Un peu curieuse quand même, la serveuse posa son plateau lourd de vaisselle souillée pour ouvrir le contenant de toile.

Du pain, de la viande séchée, du fromage, de quoi se nourrir pour un mois en faisant un peu attention. Elle aurait pu s’étouffer, qu’elle l’aurait faite la jeune femme. À la place elle fila le train à type alors qu’il se dirigeait sans sourciller vers l’arrière-cour, alors que c’était précisément ce qu’elle aurait voulu éviter.

« Non mais t’es pas bien, y'en a pour un paquet de pognon de nourriture là-dedans… »

On pouvait pas empêcher un amoureux transi d’aller voir sa belle, et lui dire qu’il était dingue en même temps, du moins la Margaux, elle en était pas capable.

« … mais tu m’écoute d’jà plus… »


Ah mais c’était pas vrai !

À dix pas, je tirais en plein milieu d’une cible normalement, mais là, ça déviait vers la gauche.
Ils étaient bien les arcs de la milice, pour les grandes distances, la qualité du bois, de la corde, tout faisait qu’il y avait plus de force dans la flèche pour la même force dans le bras. Sur les cibles lointaines ça le rendait plus efficace, plus précis, mais sur les cibles plus proches j’avais pas encore trouvé comment maîtriser aussi bien le projectile qu’avec mon ancien arc. Il y avait trop de force, ça rendait le tir plus brouillon.

Puis il faisait chaud.
Ça m’avait fait enlever ma veste, et ouvrir ma chemise. De toute façon personne allait dans l’arrière-cour à cette heure de la journée, à part Margaux qui venait prendre ses pauses, et peut-être le vieux Charles qui avait envie de râler, deux personnes pour qui j’avais pas grand-chose à faire si elle voyait un bout d’épaules ou le gros bleu qui prenait déjà une teinte violacée au niveau de la clavicule.

Il fallait pas se décourager.
Prenant une nouvelle flèche, je l’avais encoché, levé l’arc, bandé la corde pour que l’empannage me chatouille doucement la joue. Je voyais le centre de la plaque de bois, marqué avec un gros rond à la craie. Je pouvais le faire.

Complètement concentrée, j’avais pas entendu ce qui se passait à l’intérieur, enfin si je savais qui s’était passé quelque chose, mais j’avais rien écouté.

Je pouvais le faire.

La corde avait légèrement claqué venant racler la protection de mon bras quand je l’avais lâché.
Bordel, toujours sur la gauche… même si moins sur la gauche.

Baissant mon arme et soupirant, c’est là que j’avais entendu quelqu’un prononcer mon nom. Une voix trop familière, pour que mon cœur s’emballe pas à plus savoir comment en battre d’un coup.

« Finn … euh … je … ‘fin… t’es pas à la compagnie ? ... »

Je devais avoir le sourire d’une gamine prise en plein en train de faire une connerie alors que je me rhabillais de ma main libre. Manquait plus qu’il ait une jolie vue sur mes marques de coup. Déjà que j’avais changé d’arc et que sur le carquois posé par terre y avait l’écusson du Duché.

Margaux était à côté de Finn, elle me regardait comme si j’avais été un cas désespéré. Si elle avait pu applaudir sarcastiquement, elle l’aurait fait.

Pauvre Margaux, effectivement il ne l'écoutait déjà plus, c'était souvent ça le problème avec les amoureux transit, ils n'en avaient que pour leurs belles et, en l'occurrence, Finn venait d'ouvrir la porte du fond donnant sur l'arrière-cour et venait de voir celle qui lui manquait tant. Vouloir l'en détourner reviendrait à vouloir convaincre un Fangeux de devenir végétarien, peine perdue. Ilhanne avait aperçu celui qui venait de débouler sans prévenir et la première chose qu'elle fit fut celle qui mit la puce à l'oreille du Mercenaire : elle se rhabilla. Allons bon, est-ce qu'il ne faisait pas déjà assez chaud comme ça aujourd'hui ? Et cet air embêté qu'il remarqua, juste avant que le bleu violacé n'accroche sa vision et que tout le reste ne disparaisse soudain. Les yeux de l'ancien artisan s'écarquillèrent et il s'avança d'un pas rapide et lourd, saisissant le poignet de la jeune femme d'une main tandis que l'autre se levait vers son visage, vers cette marqua qu'il effleura à peine du bout des doigts, avec une expression entre le déchirement et l'incompréhension. Et puis, comme cela devait forcément arriver par la suite, son visage s'assombrit et son regard clair se voilà d'un éclat inquiétant.

- Qui t'as fait ça ?

La seule fois où la Chasseuse avait vu cette expression, c'était dans cette ruelle où il l'avait découverte en train de se faire agressée. Il n'avait eu aucune pitié pour ces hommes ce jour-là et à voir la tête qu'il faisait, on aurait pu sentir l'odeur du sang flotter par avance dans l'air. De même, ce mouvement qu'elle avait eu pour se rhabiller se rappela à son esprit et, sans lâcher le poignet de la jeune femme, il entreprit de lui faire retirer d'un geste sûr son autre manche et un des côtés de son vêtement qui n'avait pas lieu d'être portée par une telle chaleur, découvrant alors le carnage qui se laissait apercevoir dans le haut de son dos.

- ...

Il y eu un instant de flottement, durant lequel Finn relâcha toute prise sur Ilhanne et perdit toute couleur, hébété, presque choqué de la voir meurtrie de la sorte et, surtout, que cela soit aussi récent. Les marques n'étaient pas celles d'un Fangeux, celles-là il les portaient lui-même sur son corps. Non, c'était des marques de fouet et cette fois la rousse avait l'une des rares fois l'occasion de parler avant le Mercenaire, durant cette petite fenêtre d'action qui, sitôt qu'elle se refermerait et selon ce qui se passerait, déterminerait la suite des évènements.

 
Qu’est-ce qui l’avait mis le plus en colère ?
Il s’était approché, bien trop pressé, bien trop énervé. J’avais bien essayé de me sauver, mais j’avais réagi trop tard. Faire face à la conséquence de ma connerie, ça me rendait pas plus vive ou plus intelligente, loin de là. Pourquoi je lui avais pas dit tout de suite ?!

Question stupide, exactement pour ce qui était en train de se passer.

« Lâche- moi tu me fais mal ! »

Il me faisait pas vraiment mal à me tenir le poignet qui tenait l’arc comme ça, c’était désagréable, gênant, ça faisait plus mal à mon amour-propre qu’autre chose. Puis ça me faisait mal à moi de voir que je l’avais mis dans cet état. Visiblement c’était les résidus jaunâtres estompés qui traînait sur ma joue qui l’avait rendu fou. Dans ses yeux y’avais juste cette rage qu’il gardait tout au fond. Je savais que si je donnais un nom, un bout de nom, le gars serait mort.

Sentir sa main agrippé ma chemise pour l’enlever, ça m’aurait plus, mais là vraiment là, ça avait provoqué un vent de panique, me poussant ma me débattre.

« Arrête j'suis pas ta chose ! »

Fallait pas qu’il voie mon dos. Trop tard …

Je voulais qu’il me lâche, mais pas comme ça. Son expression elle prenait mon palpitant entre ses mains et elle pressait sans pitié jusqu’à ce que ça soit douloureux. Dire que je me sentais coupable, c’était tellement rien à côté de la réalité.

Aucune foutue idée de ce que je devais faire, mais je devais le faire vite. Vite, avant qu’il se fasse lui-même ces propres histoires. Vites avant qu’il parte en furie.
Vite avant qu’il se retourne contre moi…

« C’est moi qui me suis fait ça. Voilà, t’es content ?! »

Je m’étais rapproché de mon carquois arc toujours en mains. Je savais que ça lui plairait pas ce que je venais de lui dire. En vraie, j’avais peur qu’il me frappe, je voulais pas y penser, me l’avouer, mais ça me tenait assez les tripes pour me sentir prête à le menacer s'il approchait trop agressif.

« C’est moi qui me suis engagée dans la milice et c’est moi qui l’ai ouvert quand il fallait pas. »

À chaque fois c’était moi qui avais fait le choix stupide de pas me taire.

La frapper, cela ne lui serait jamais venu à l'esprit, pas même un seul instant, pas même une fraction de seconde, quand bien même elle aurait menacé de lui trancher la gorge. Sans doute était-il bien trop stupide pour cela, ou trop amoureux diront certains, mais si l'instant d'avant il l'avait saisit si fortement et avait cherché à voir à tout prix ce qu'elle essayait de lui dissimuler, ça n'avait pas été pour la malmener, mais bien pour découvrir la vérité. Et quelle vérité... Finn en restait muet de stupeur et avait même reculé d'un pas en la regardant avec de grands yeux écarquillés. Les premiers mots de Ilhanne furent cependant un second choc pour lui et son esprit se mit à carburer à toute vitesse. Comment ça, elle s'était infligée ça toute seule ? Est-ce qu'elle s'auto-mutilait ? Est-ce qu'elle avait été blessée et avait cherché à retirer quelque chose de son dos ? Pire, est-ce qu'elle avait tenté de mettre fin à sa vie ? Pourquoi n'était-elle pas venue le trouver ? Pourquoi elle n...

« C’est moi qui me suis engagée dans la milice et c’est moi qui l’ai ouvert quand il fallait pas. »

Lourd silence, suivit de la voix faible du Mercenaire qui semble se reconnecter peu à peu au moment présent, ne retenant que l'essentiel en premier lieu.

- La Milice...

Son regard accrocha l'arc qu'elle tenait en main et du carquois dont elle s'était rapprochée, repérant le discret blason qui se trouvait dessus. La Milice... Il y eu comme un moment de flottement, puis un long soupir échappa à Finn qui se prit le visage dans les mains, les passant dessus avant de sembler reprendre un souffle qu'il ne se souvenait même pas avoir perdu durant ce laps de temps.

- J'ai cru que... je suis désolé, j'ai cru qu'on t'avait... par les Trois quelle frayeur.

Il avisa le mur derrière lui et s'y adossa lourdement, faisant racler les attaches métalliques de son armure dessus, se passant une main sur le front avec l'air d'avoir manqué de tourner de l’œil. Son expression était encore un peu hagarde, mais déjà il relevait des yeux plus éveillés sur la chasseuse, passablement inquiet.

- Je ne voulais pas te faire mal, pardonne-moi. J'ai cru qu'on t'avait agressé et que tu ne m'en avais pas parlé, j'ai cru... au pire.

Il tenta bien un sourire, mais celui-ci était encore mal assuré et son attention se porta sur Margaux, spectatrice silencieuse qui devait le voir d'une manière bien différente à cet instant. Se redressant sur ses jambes en se raclant la gorge, le Mercenaire inspira profondément pour se redonner contenance et amorça un premier pas vers Ilhanne, hésitant encore après les gestes brusques qu'il avait eu.

- Tu as été fouettée pour avoir désobéi à un ordre, c'est ça ? Depuis combien de temps est-ce que tu...

Me cache la vérité, ne me dit pas que tu es blessée, ne me préviens pas que tu es là. Il se souvenait encore de son état d'ébriété de l'autre fois et de son désespoir à l'idée de ne pas la voir. Et voilà qu'il apprenait maintenant qu'elle lui avait encore caché des choses essentielles... Elle allait le rendre dingue à force, assurément, et ça commençait à faire beaucoup.

- Non, oublies, tu me diras ça quand tu l'auras décidé, comme toujours.

Le ton avait été plus amer que ce qu'il aurait voulu, mais la peur qu'il venait d'avoir, couplé à ce sentiment de ne pas être assez important pour qu'elle le prévienne d'une chose aussi importante que son entrée dans la Milice, tout cela faisait naitre une colère brûlante qu'il préférait ne pas laisser sortir, pas ici et encore moins maintenant. Tournant soudain les talons, Finn quitta l'arrière-cour sans un regard en arrière, les poings serrés et le pas décidé, le visage fermé et la mâchoire crispée.