Où l'enquête prend une tournure mystico-sexuelle... [PV Astrid & Hector]

21 Août 1165 - 20h

L'enquête avec le milicien Quentin n'avait pas donné grand chose... Tout juste le baron avait-il passé un bon moment avec le jeune homme et bu suffisamment pour oublier sa "mésaventure". Par "mésaventure", il fallait quand même comprendre "tentative d'assassinat par empoisonnement". Bref, Hector était de nouveau souriant. Il était environ vingt heure et le baron - comme le reste de la population - avait encore une petite heure avant le coucher de soleil et... le fameux couvre-feu. Hector avait décidé, pour ce rapide séjour à Marbrume, de rendre visite à Kira... mais ce soir, il ne le sentait pas. Il était déjà tard et, arriver à la résidence des Terresang légèrement guilleret ne lui semblait pas une bonne idée ; du tout ! Il décida donc d'aller chercher une auberge où aller se restaurer et passer la nuit. L'une d'entre elles, sur le chemin de l'Esplanade, aiguisa son appétit. En effet, un doux fumet de melon s'échappait de sa porte entrouverte. En cette saison chaude, le baron aimait manger de ces sucrées cucurbitacées.

Il entra dans l'auberge et, étant seul, se dirigea, souriant et avenant, vers le comptoir de celle-ci... d'autant qu'une jolie jeune femme y était également installée. Il la salua d'une amicale inclinaison du chef et d'un bienveillant sourire. Il salua également l'aubergiste et commanda deux verres de vin rouge. Il en offrit un à la demoiselle en se présentant :

- Bonsoir mademoiselle, puis-je me permettre de vous offrir ce verre ? Je... J'ai...

Il avait du mal à déterminer si cette jolie brune était une "professionnelle". Sans doute l'alcool altérait son jugement car, d'habitude, il avait l’œil pour ça.

- J'ai l'impression de vous avoir déjà vu quelque part... Mais, diantre, je n'arrive plus à savoir où ! Je suis Hector de Sombrebois... Cela ne vous... dit rien ?

Après avoir rajusté sa belle chemise blanche, le barbu baron leva son verre afin de trinquer avec sa belle interlocutrice.

Astrid n'avait pas pratiqué la cartomancie ce jour là. Les deux derniers jours n'avaient pas rapporté grand chose et elle avait donc décidé de s'octroyer une légère pause pour réfléchir à une nouvelle tactique ou à un nouvel emplacement. Ça c'était une leçon importante : l'emplacement d'un commerce, même de nature ésotérique, était une des données les plus importantes et il fallait donc en prendre bien soin.
Elle avait donc réfléchi, et était restée toute la journée dans sa chambre à l'auberge. Elle n'avait pas eu de rendez-vous "professionnels" et n'avait trouvé personne à satisfaire ces derniers jours. Heureusement elle avait payé sa chambre en avance pour quelques temps et il lui restait encore du temps pour se refaire. Elle méditait plus ou moins sur ces pensées maussades, installée au comptoir. Le tavernier la laissait profiter de la salle sans rien consommer, déjà parce qu'elle payait sa chambre, mais aussi parce que son joli minois pouvait toujours lui ramener quelques consommations de plus, du moins l'espérait-il.
Astrid aimait bien traîner là pour profiter des bonnes odeurs de cuisine et de l'ambiance, mais elle ne cachait pas spécialement non plus sa disponibilité pour autre chose. La salle d'une auberge était sans doute l'un des meilleurs moyens de se trouver un petit travail quelconque. Sauf que là, il n'y avait pas grand monde. Ce ne devait pas être un bon jour, tout simplement.
Lorsqu'Astrid entendit la porte s'ouvrir elle n'eut qu'à tourner la tête pour apercevoir celui qui entrait. Il avait l'air plutôt robuste, et n'était pas désagréable à regarder. Son nez attirait l'attention, parce qu'il était tout de même grand, mais ce n'était pas spécialement dérangeant. Surtout qu'il faisait un sourire tout à fait engageant à Astrid, qui n'eut pas à se forcer pour le lui rendre. Il avait l'air gentil, et Astrid avait envie de se changer les idées. Une petite discussion ne ferait pas de mal... L'homme semblait dans la même disposition puisqu'il ne manqua pas de commander un deuxième verre lors de sa commande.

- Bonsoir mademoiselle, puis-je me permettre de vous offrir ce verre ? Je... J'ai...

Astrid aurait bien répondu tout de suite que ça ne la gênait pas et que c'était plutôt gentil, mais visiblement il n'avait pas terminé sa phrase et elle préférait éviter de l'interrompre. C'était impoli, et elle ne voudrait pas que la discussion tourne court à cause d'une erreur aussi stupide.

- J'ai l'impression de vous avoir déjà vu quelque part... Mais, diantre, je n'arrive plus à savoir où ! Je suis Hector de Sombrebois... Cela ne vous... dit rien ?

Alors qu'Astrid réfléchissait à la question, le dénommé Hector réajusta sa chemise et leva son verre pour trinquer. L'avait-elle déjà vu ? En tout cas elle n'en avait pas le souvenir, mais elle voyait tellement de monde ! Et la plupart du temps le contexte était peu propice aux présentations... La demoiselle ne se fit pas prier pour trinquer joyeusement avec lui, toujours un sourire aux lèvres. Le nom de l'homme lui évoquait vaguement quelque chose, elle avait du en entendre parler ou l'entendre mentionné dans une conversation, mais il ne lui semblait pas l'avoir déjà rencontré.

- Je vous remercie pour le verre. Votre nom ne me dit rien, mais à vrai dire j'ai l'habitude de voir beaucoup de monde, et rares sont les clients à décliner leur identité...

La cartomancie mettait parfois le doigt sur des problèmes privés qu'on ne voulait pas crier sur tous les toits. Il n'était pas rare que les clients préfèrent garder leur capuchon sur la tête, ou refusent de se présenter. Elle se doutait même que parfois ils devaient sans doute utiliser de faux noms, mais ce n'était pas vraiment des affaires. Tant qu'ils payaient à la fin... Quant à la prostitution, cela suivait à peu près les mêmes règles...
Astrid passa une main dans ses cheveux pour les remettre un peu en place, puis but une gorgée de vin sans vraiment quitter son interlocuteur du regard.

- Je manque à tous mes devoirs, je ne me suis même pas présentée!

Son sourire s'agrandit. Elle n'avait pas oublié de le faire, elle s'en rappelait juste un peu tard. Elle ne fit pas semblant d'être gênée, elle ne l'était pas, la conversation était plutôt décontractée et Hector ne devrait pas lui en vouloir. Enfin, elle voyait les choses ainsi, et si jamais il se montrait choqué par ce manque de protocole il ferait bien mieux de parler à quelqu'un d'autre qu'elle...

- Je m'appelle Astrid, et on me surnomme Astrid la Douce. Mon nom vous rappelle peut-être l'endroit où vous m'avez croisée?

Pendant quelques secondes elle ne dit rien, entortillant tranquillement une mèche de cheveux autour de son index. Puis elle reprit.

- En tout cas je suis navrée, mais si jamais nous nous connaissons je ne m'en souviens pas.

Tout cela était bien intriguant...

- Attendez... Astrid... Cela me...

Hector parut perplexe.

- Cela me dit quelque... Mais oui ! La saucisse sensass' ! C'était là ! Vous... hum...

Et oui, il en était sûr à présent. Elle était montée avec un ami à lui... qui l'avait doublé, en fait ! Bougre de De Matis, il l'avait bien eu sur ce coup là. Sombrebois avait du "se taper" - pardonnez-moi l'expression - une blonde sans saveur. Mauvais souvenir.

- Enfin bref, je crois vous y avoir vu...

Peut-être n'était-elle plus prostituée et ce n'était guère poli de rappeler ce genre d'activité à celui ou celle qui, possiblement, en avait changé. Il finit son verre de vin rouge et interpella le patron. Lorsque celui-ci approcha d'Astrid et Hector, notre cher baron demanda à la jeune femme :

- Accepteriez-vous de manger avec moi ? Je n'aime guère manger seul...

Puis il désigna son nez et s'adressa à l'homme derrière le comptoir.

- J'ai cru sentir du melon... Que proposez-vous avec ça ?
- Du jambon, messire.
- Parfait, répondit Hector, je vais prendre ça. Vous aussi, Astrid ?

Avant qu'il ne parte en cuisine, le baron interpella le patron pour qu'il apporte également un pot de vin. Sans cela il devrait constamment demander à ce qu'on le resserve. C'était bien peu pratique et il risquait d'être coupé dans sa conversation.


Le patron en cuisine, le baron soupira, repensant à ce qui le tourmentait...
- Ah c'milicien... soit il était mauvais... soit mon cas est... compliqué.

C'était aussi un moyen d'engager la conversation...

-Cela me dit quelque... Mais oui ! La saucisse sensass' ! C'était là ! Vous... hum...

Astrid fronça un peu les sourcils, signe de sa tentative pour se rappeler de la soirée à laquelle son interlocuteur faisait allusion. Oui, ça lui disait vaguement quelque chose, mais ça ne faisait pas partie de ses nuits les plus mémorables. Peut-être qu'elle avait bu ce soir là, ce qui expliquerait ses faibles souvenirs. Il fallait bien s'aider un peu parfois, et l'alcool la rendait plus joyeuse et plus libre quand il était bien dosé.

- Enfin bref, je crois vous y avoir vu...
- C'est probable oui, maintenant que vous le dites ça me rappelle quelque chose...

Elle ne s'attarda pas la dessus. Il avait probablement très bien compris la profession qui était la sienne dans cette soirée et elle se disait qu'elle ne pouvait pas vraiment se montrer plus claire.
Hector avait déjà fini son verre de vin, et se décidait même à interpeller le tavernier. Il buvait bien plus vite que sa camarade de boisson du moment, mais ce n'était pas forcément étonnant. Astrid aimait le vin mais ne souhaitait pas s'en rendre malade, et elle se savait assez frêle pour avoir besoin de surveiller sa descente. La cartomancienne s'attendait à ce qu'Hector demande un nouveau verre, mais il choisit plutôt de prononcer une nouvelle invitation. Il agissait comme un homme charmant, ce qui était agréable à Astrid. Même si au fond elle se doutait que ce devait être intéressé d'une manière ou d'une autre, ça ne l'empêchait absolument pas de s'amuser et de prendre du bon temps ainsi.

- Accepteriez-vous de manger avec moi ? Je n'aime guère manger seul...
- Avec plaisir, je n'aime pas beaucoup la solitude non plus...

Ça pouvait sonner un peu comme un autre genre d'invitation, mais à vrai dire Astrid était tout à fait sérieuse. Depuis son enfance elle avait toujours vécu en groupe, avec ses amis saltimbanques, et elle ne connaissait véritablement la solitude que depuis qu'elle avait renoncé à prendre la route. La Fange la terrorisait trop. Mais ce n'était pas le moment de penser à cela. Elle ne s'était pas encore habituée à ne pouvoir compter sur personne du tout ici bas.

-J'ai cru sentir du melon... Que proposez-vous avec ça ?
- Du jambon, messire.
- Parfait, je vais prendre ça. Vous aussi, Astrid ?

Astrid riait lorsque les deux homme se tournèrent vers elle pour avoir sa réponse. Ce n'était pas méchant, mais le mouvement d'Hector envers son nez, qu'il avait fort grand d'ailleurs, avait suffi à l'amuser. Il ne pouvait pas se tromper sur le melon avec un tel outil ! Il devait avoir de l'humour visiblement, ou au moins de l'auto-dérision. À moins qu'il n'ait pas réalisé le comique de la situation et qu'il se sente vexé? Ça ne semblait pas être son genre.

- Oui oui, ce sera très bien, merci, répondit-elle après avoir calmé son rire.

Elle n'écouta pas vraiment ce qui concernait le vin, déjà parce que ça ne l'intéressait pas vraiment, mais surtout parce qu'elle tentait de reprendre tout à fait son calme afin d'éviter un fou-rire qui pourrait s'avérer gênant. Elle remarqua simplement que le tavernier partait vers la cuisine, et le soupir d'Hector acheva de la ramener à la réalité.

- Ah c'milicien... soit il était mauvais... soit mon cas est... compliqué.

Avec ce genre de phrases il y avait toujours de possibilités. La première c'était l'ignorer : soit le problème ne nous intéressait pas, soit on se disait que l'interlocuteur avait fait une gaffe en le mentionnant et on voulait éviter de s'attirer ses foudres en le questionnant sur le sujet. Astrid préférait, dans le cas présent, la deuxième option. Hector avait piquésa curiosité, et il n'y avait pas de mal à discuter. Si vraiment il ne voulait pas en parler il n'aurait qu'à le lui dire explicitement.

- Vous avez des ennuis ?

Elle posait la question avec un réel intérêt, même si la réponse ne changerait sûrement pas grand chose à cette soirée dans l'absolu. À moins que la milice n'entre brusquement pour l'arrêter le coller au cachot mais ça semblait hautement improbable.

- Ah j'aurais peut-être mieux fait de vous tirer les cartes le soir où nous nous sommes croisés, au lieu de m'occuper de quelqu'un d'autre!

Elle avait ajouté cela sur le ton de la plaisanterie. Certes elle était cartomancienne avant d'être prostituée, et c'était d'ailleurs ce qui faisait son charme d'après certain, mais elle avait appris une chose depuis le temps : si on la connaissait d'abord comme prostituée, on ne croyait jamais à son talent de divination. Talent dont la véracité était d'ailleurs encore à prouver... Enfin bref, elle était loin de se prendre au sérieux à ce sujet, et disait plutôt cela pour rire. Et pour dédramatiser des ennuis qui pouvaient être graves. Elle but une gorgée de vin. Elle baissa doucement les yeux vers son décolleté, remarqua que sa robe retombait de manière subtilement vulgaire sur sa poitrine (à savoir aguicheuse sans en avoir trop l'air), et décida de ne surtout pas y toucher.

- Rassurez-moi, nous ne risquons pas de voir notre discussion interrompue par un tueur à gage ou une troupe de la milice ?

Astrid plaisantait là aussi. Elle voulait éviter que la discussion ne prenne tout de suite un tour trop grave. Elle fut aidée à atteindre cet objectif par le tavernier, qui revint de la cuisine avec la nourriture demandée. Voilà au moins une soirée de plus où la demoiselle n'aurait pas à se soucier de son repas.

Astrid était charmante... mais pas que physiquement : elle était pleine d'humour et cela ravissait à Hector qui n'était pas venu là pour s'offrir une aventure amoureuse. Il voulait avant tout manger et résoudre son problème d'empoisonnement.

- Vous avez des ennuis ?

Hector se retint de soupirer de nouveau.

- On a tenté de m'assassiner ! Pas plus tard qu'hier ! Faut que je trouve celui qui a fait ça... et que je lui fasse payer !

L'enquête avec Quentin avait été un fiasco alors à présent, le baron était un peu découragé.

- Ah j'aurais peut-être mieux fait de vous tirer les cartes le soir où nous nous sommes croisés, au lieu de m'occuper de quelqu'un d'autre !
- Ah ah ! Oui peut-être, avait commencé Hector sans trop prêter attention au sens des mots d'Astrid. Vous tirez les cartes !?

Cette nouvelle semblait pouvoir résoudre tous ses problèmes. L'alcool, décidément, rendait le baron bien instable. Un large sourire s'afficha sur son visage.

- Mais, donc, vous pourriez savoir qui...

Hector s'interrompit en suivant le regard de la jeune femme jusque dans son profond décolleté. Lorsqu'elle releva les yeux, le baron fit de même... mais avec un quart de seconde de retard. Elle avait du voir qu'il avait vu... Mais le baron ne rougit pas. Il connaissait les filles de joies et ne s'emballait plus aussi facilement que par le passé.

- qui a tenté de m'occire...
- Rassurez-moi, nous ne risquons pas de voir notre discussion interrompue par un tueur à gage ou une troupe de la milice ?
- Et bien non, je ne pense pas. A l'heure qu'il est, mon assassin croit sûrement que j'ai rejoint les Trois...

Les melons arrivèrent avec les jambons et la cruche de vin. Hector remercia le patron qui proposa aux deux jeunes gens de s'installer sur une table où ils seraient plus à l'aise qu'au bar. Le baron accepta et prit la main d'Astrid pour la mener vers une petite table discrète - bien que la salle commune fut presque vide - et s'installa à coté de la belle cartomancienne. Ainsi, ils pouvaient avoir un œil sur la salle... et - avouons le - la proximité avec Astrid ne déplaisait pas au baron qui cala confortablement sa cuisse contre celle de sa compagne de dîner. L'étoffe de la robe au large décolleté froufrouta sensuellement à l'oreille d'Hector.

- Bon appétit, mademoiselle, fit le baron en attaquant le melon qui lui faisait tant envie.

La bouchée fut délicieuse et un soupir de ravissement sortit du gosier du baron. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas tant apprécié un met des marais. Il tourna la tête vers la prostituée pour voir si, elle aussi, appréciait son repas.

- Alors, dîtes-moi, que puis-je savoir grâce aux cartes ? Est-ce possible d'avoir... un nom ?

On a tenté de m'assassiner ! Pas plus tard qu'hier ! Faut que je trouve celui qui a fait ça... et que je lui fasse payer !

Un assassinat ? C'était peut-être pour ça qu'il venait manger dans une auberge. Astrid ne doutait pas qu'un homme comme lui devait avoir une armada de serviteurs prêts à répondre au moindre de ses désirs. Du moins, elle s'imaginait cela comme ça. Elle n'avait jamais mis les pieds dans quelque chose de plus luxueux qu'une auberge pour le moment. Hector cherchait certainement de la compagnie, avait-elle pensé au départ, mais elle se rendait compte qu'il y avait peut-être autre chose derrière sa présence.
Étrangement, il semblait tout à fait disposé à croire en son don de voyance par les cartes. Astrid ne s'emballait pas pour autant, elle voyait bien que son interlocuteur devait déjà avoir ingurgité une certaine quantité d'alcool jusque là. S'il se montrait encore tout à fait maître de ses actions, son caractère pouvait en être légèrement altéré, et ça pouvait expliquer cet empressement à parler d'empoisonnement à une inconnue. Et à croire à la divination. Pour le moment, Astrid préférait simplement s'assurer qu'elle ne risquait rien et que personne ne viendrait chercher Hector pour le moment.

Et bien non, je ne pense pas. A l'heure qu'il est, mon assassin croit sûrement que j'ai rejoint les Trois...
Oh...

Toute cette histoire commençait à couper l'appétit d'Astrid. Heureusement la bonne odeur des melons ne la laisserait pas se faire avoir, et elle n'allait pas mourir de faim. De toute façon il serait pêcher de pas profiter de nourriture gratuite et si gentiment offerte. Le tavernier, qui se sentait visiblement concerné par leur bien-être (ou par la possibilité de se faire de l'argent si Hector continuait à inviter Astrid ?), leur proposa de s'installer plutôt à une petite table pour profiter d'un peu plus de discrétion. Il était vrai que le comptoir était juste en face de la porte, ce qui n'était pas forcément l'endroit le plus agréable pour discuter. En plus, dés que quelqu'un ouvrait la porte il faisait entrer l'air froid.
Hector accepta et saisit la main d'Astrid qui se laissa évidemment faire. Elle le suivit tranquillement, tenant dans sa main libre son verre de vin qu'elle n'avait pas encore terminé. Elle aurait aimé se montrer un peu plus gaie mais les circonstances étaient tout de même bien sombre pour son interlocuteur. Enfin, elle se reprendrait bien vite ! Son rôle était souvent de faire oublier leurs problèmes aux hommes qui lui tenaient compagnie.
Ils s'assirent l'un à côté de l'autre, et pas en face. Voilà qui leur permettait d'être plus proches l'un de l'autre, c'était courant. Elle n'aurait pas su dire si c'était l'objectif avoué de son interlocuteur, mais elle savait en tout cas que ça ne lui déplaisait pas. Sinon, il n'aurait pas placé sa cuisse aussi près de la sienne.

Bon appétit, mademoiselle

Il avait déjà sauvagement attaqué son melon à la fourchette lorsqu'Astrid lui répondit.

-Bon appétit, monsieur

Elle lui fit un sourire, et se lança elle aussi à l'attaque du plat. Ce moment de tranquillité et de silence fut de courte durée néanmoins, parce que monsieur de Sombrebois n'avait pas oublié sa précédente déclaration sur les cartes.

Alors, dîtes-moi, que puis-je savoir grâce aux cartes ? Est-ce possible d'avoir... un nom ?

Elle manqua de peu de s'étouffer avec sa bouchée de melon, et termina son verre assez rapidement pour faire passer tout ça. Un nom ? Certainement pas ! Elle n'arrivait déjà pas elle-même à faire la différence entre ce qu'elle voyait de vrai et ce qu'elle surinterprétait, elle ne risquait pas de pouvoir donner un nom. Son jeu de cartes n'était pas prévu pour ça, il ne contenait de toute façon aucune lettre. A quoi bon ? Astrid ne savait pas lire.

-Non. Si les Trois sont avec nous, vous pouvez avoir un indice, ou peut-être confirmer ou infirmer des soupçons. Mais les cartes ne vous donneront pas de noms, elles sont plus vagues que ça.

Elle espérait qu'il renoncerait à lui demander de l'aide de cette manière. Elle n'était pas sûre d'avoir accès à quoi que ce soit de véridique ce soir, même si elle savait qu'elle voyait parfois juste. Elle risquait de mener Hector sur de mauvaises pistes qui pourraient le conduire à sa perte, mais aussi de provoquer la mort d'un innocent par une mauvaise prédiction. D'un autre côté, il avait sûrement beaucoup d'argent et elle pourrait en profiter un peu... Ou essayer de lui donner un tarif dissuasif, pour éviter qu'il n'ait recours aux cartes ? Non. Ça n'irait pas dans le sens des affaires. Et puis, qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire qu'un inconnu meure ? Il saurait sûrement pourquoi au fond de lui-même. Et si ça se trouve elle viserait juste. Pourquoi se gêner ?

-Mais, vous ne craignez pas de sortir seul après une attaque de ce genre ? Je crois que je serais terrorisée...

Elle ne se serait jamais risquée à faire un seul pas à l'extérieur, craignant que quiconque ne l'attaque. Elle aurait probablement fini paranoïaque. Mais ça ce n'était pas vraiment en rapport avec le problème d'Hector et elle n'était pas là pour lui raconter sa vie.

-Normalement je n'occupe pas mes soirées à tirer les cartes, je fais plutôt ça la journée... Mais je veux bien faire une exception pour vous, si ça vous intéresse...

La journée, elle avait le plus de clients en tirant la cartes. Ses autres activités avaient plutôt leur place la nuit, à moins que certains aient un emploi du temps particulièrement calme le jour... Ce n'était pas courant.
Elle ne précisa pas qu'elle pensait habituellement à un service payant. Hector lui avait offert un verre et l'avait invitée à dîner, ça valait quelques minutes de cartomancie. S'il voulait autre chose ensuite, elle aurait tout le temps de le lui faire payer.

- Il faudrait néanmoins monter dans ma chambre, ce n'est pas le genre de choses qui se font en public, et de toute façon j'y ai laissé mes cartes.

S'il entendit à peine le "bon appétit" qu'elle lui avait répondu, le baron ouït parfaitement les limitations avouées par la belle brune à l'égard de ses propres cartes.

Mais s'il pouvait déjà avoir ne serait-ce qu'un indice, ce serait déjà un grand pas en avant.

- Aaaaah... ce serait déjà bien... sans doute... un indice.
- Mais, vous ne craignez pas de sortir seul après une attaque de ce genre ? Je crois que je serais terrorisée...
- Et bien... non, ça va. J'ai ceci - il montra la hache de guerre de Sombrebois qui tenait à sa ceinture - Je ne crains pas les attaques frontales... Et mon ennemi n'a pas été assez fou pour m'affronter en face ! Le lââââââche !

Sa force était célèbre. Ce n'était pas pour rien qu'on le surnommait l'ours, comme le symbole des armoiries de ses terres. C'était parce que ses avant-bras avaient effectivement la force des grands ursidés. D'ailleurs, lorsqu'il posa la cruche après avoir rempli le verre d'Astrid et le sien, il manqua de la briser. Son geste avait été un peu trop ample et le bruit que fit la cruche fit se retourner quelques clients.

- Oups, excusez-moi, fit-il, confus, à la cartomancienne.
- Normalement je n'occupe pas mes soirées à tirer les cartes, je fais plutôt ça la journée... Mais je veux bien faire une exception pour vous, si ça vous intéresse...
- Oui merci, je vous en serai gré. Je vous payerais en conséquence, ne vous en faîtes pas pour ça...

Peu importait si ses prix nocturnes étaient plus élevés que les diurnes, le baron payerait ce qu'il faudrait pour savoir qui voulait sa mort.

- Il faudrait néanmoins monter dans ma chambre, ce n'est pas le genre de choses qui se font en public, et de toute façon j'y ai laissé mes cartes.
- Très bien. Finissons ce repas et allons dans votre chambre... Je - il craignait tout de même un peu de succomber aux charmes de la prostituée - je n'y vois aucun inconvénient...

Sa voix se fit légèrement hésitante... mais il but une bonne gorgée de vin pour accompagner melon et jambon et tout alla mieux. Lorsqu'il eut fini, l'assiette d'Astrid était encore à moitié pleine.

- Rassurez-vous, j'ai une bonne étoile. Il ne m'arrivera rien. J'ai résisté aux attaques des seigneurs ennemis, des fangeux, des fourbes, du poison... Alors ? Non vraiment, ne vous en faites pas pour moi, mangez.

Il leva les yeux vers la salle pour ne pas regarder la belle prostituée avaler les mets estivaux... il y avait, pour lui, quelque chose de bien trop excitant dans cette vision que tout un chacun aurait trouvé somme toute banale.

Autour d'eux, dans cette grande salle, il y avait surtout des hommes. Une table de cinq, des commerçants visiblement, une table de deux, des amis, et 3 miliciens au comptoir. Il n'y avait que deux autres couples qui mangeaient calmement de part et d'autre de la pièce, à l'écart des bruyantes tables masculines. La bras d'Hector vint se poser derrière les épaules d'Astrid. Sa tête se pencha légèrement vers la belle et longue chevelure brune. Il inspira profondément pour sentir le parfum qu'elle avait... Il caressa doucement son épaule, sans dire un mot. Son esprit divaguait un peu. Il n'était peut-être pas aussi serein qu'il le disait, qu'il le croyait. Il avait peut-être besoin d'un peu de réconfort, de tendresse, de douceur. Sa main glissa jusqu'au cou, jusqu'à la nuque de sa compagne d'un soir.

- Votre... votre surnom n'est point usurpée...

Il ferma les yeux et posa un tendre baiser dans la chevelure brune aux senteurs épicées...

* Calme *

Sentait-elle ce dont le baron avait besoin ? Combien de temps dura cette presque-étreinte ?

* Bien-être *

Hector se redressa, souriant, apaisé.

- Allons-y, je vous suis...

Il déposa un pistole d'argent sur la table et se leva, prêt à suivre Astrid partout où elle le mènerait.

Lorsqu'elle vit l'arme qu'Hector arborait, ainsi que sa démonstration de force avec la cruche, Astrid comprit qu'il devait effectivement se sentir plutôt en sécurité. Elle n'avait pas le sentiment que beaucoup de personnes seraient capables de rivaliser avec lui en terme de force, et la force couplée à la hache qu'il possédait devait être suffisante pour causer de lourds dommages. Elle avait sursauté lorsque la cruche avait heurté la table, alors même qu'elle l'avait sous les yeux et s'y attendait. Les autres clients s'étaient même retournés ! Ça n'empêcha pas Astrid de faire sa proposition d'aide. Certes Hector était particulièrement fort, mais il n'avait absolument pas l'air de lui vouloir du mal et elle ne craignait pas de l'emmener avec elle dans sa chambre. Il avait même parlé de paiement, alors qu'elle n'avait rien demandé. Astrid ne s'en plaindrait pas et prendrait sans doute ce qu'il lui donnerait. Elle ne gagnerait pas sa vie en refusant d'être payée. Parfois elle se disait que ses clients avaient bien plus besoin de cet argent qu'elle, mais ce n'était visiblement pas le cas de son compagnon du soir. Et elle ne refusait jamais d'argent. En tout cas, ça ne lui était encore jamais arrivé.

Très bien. Finissons ce repas et allons dans votre chambre... Je

Il marqua une hésitation. Astrid haussa un sourcil interrogateur, et tourna la tête vers lui en cherchant la source du problème. Du moins, si cette hésitation marquait un problème ?

- je n'y vois aucun inconvénient...

Bon. Si problème il y avait eu, problème il n'y avait plus ! Et puis, ce n'était pas une demande en mariage ! Si jamais il n'avait finalement pas envie d'entrer dans sa chambre il pourrait toujours changer d'avis et attendre devant qu'elle prenne ses cartes. Ils pourraient toujours se trouver un endroit tranquille et « neutre » où discuter. Astrid se rappela alors du couvre-feu, et espéra qu'Hector ne changerait pas d'avis au sujet de sa chambre.
Avec tout cela, Astrid n'avait pas beaucoup mangé. Son interlocuteur, lui, avait déjà terminé son assiette. Elle n'était pas une grande mangeuse de nature, mais là il s'agissait tout de même un peu de cette histoire d'assassinat aussi. Pourtant, même l'homme qui avait été visé par cette tentative de meurtre semblait bien plus tranquille.

Rassurez-vous, j'ai une bonne étoile. Il ne m'arrivera rien. J'ai résisté aux attaques des seigneurs ennemis, des fangeux, des fourbes, du poison... Alors ? Non vraiment, ne vous en faites pas pour moi, mangez.

C'était vraiment un homme charmant. Il prenait la peine de s'inquiéter de ce qu'elle mangeait et de son inquiétude. Même si Astrid ne se sentait pas particulièrement rassurée, elle se força à avaler le reste du contenu de son assiette. C'était très bon, et puis elle ne voulait pas manquer de respect à Hector qui l'avait invitée.
Astrid s'étira alors doucement, et au moment où elle allait s'appuyer contre le dossier de sa chaise elle sentit le bras d'Hector se glisser doucement derrière ses épaules. Elle lui sourit et le laissa faire. Il approcha son visage de sa chevelure pour en inspirer l'odeur, le parfum. Astrid sentait son souffle chaud contre ses cheveux, c'était agréable. La main d'Hector, qui s'était d'abord posée sur son épaule, rejoignit lentement son cou. Astrid le trouvait très délicat. Les choses ne se passaient pas toujours ainsi.

Votre... votre surnom n'est point usurpée...

Le doux sourire de la prostituée s'agrandit.

-Merci, murmura-t-elle.

Parler à haute voix n'aurait pas convenu à l'atmosphère de ce moment, Astrid en était plus que convaincue. Elle sentit le léger baiser qu'il posa dans ses cheveux, et plaça sa main sur la cuisse d'Hector. Elle ne voulait pas bouger, pour éviter de le déranger. C'était cependant sa manière de s'approcher encore un peu de lui, sans risquer de le mettre dans une position inconfortable. Ils restèrent ainsi un instant, quelques longues secondes. C'était agréable, et ce moment de repos contrastait avec toute l'énergie que son noble compagnon avait manifestée jusque là. Astrid n'aurait pas voulu le priver d'un moment de calme, en particulier après ce qu'il venait de lui dire sur ces derniers jours.
Ce fut donc Hector qui mit fin à cette petite pause, en se redressant avec un air soudainement beaucoup plus apaisé. Et aussi avec le sourire.

Allons-y, je vous suis...

Il paya. Astrid se leva gracieusement, épousseta sa robe au cas où il y aurait une miette ou un peu de poussière dessus, mais il n'en était rien. Elle remit ses cheveux en place en faisait un ou deux pas en direction de l'escalier, puis tourna la tête en direction d'Hector.

-Venez je vous en prie, c'est par là.

Elle se doutait bien que pour le reste des clients, ça ne ressemblait pas vraiment au début d'une séance de cartomancie. Mais à vrai dire, elle n'était plut tout à fait convaincue non plus qu'il ne s'agirait que de cartomancie.
Sa chambre n'était pas très loin. Astrid en ouvrit doucement la porte, et fit signe à Hector d'entrer. La pièce était assez vide. Le mobilier était rustique, un grand lit, une table de chevet, une armoire. Astrid l'occupait depuis quelques temps déjà, mais la maintenait toujours extrêmement propre et rangée. Elle n'appréciait pas le désordre, et ça donnait de toute façon une mauvaise image d'elle. Il y flottait une bonne odeur de fleurs, parce qu'elle avait veillé à parfumer l'endroit.

-Faites comme chez vous surtout, mettez-vous à l'aise.

Elle referma la porte derrière Hector, et se dirigea vers sa table de chevet. Le seul objet qui y trônait était son paquet de cartes, qu'elle attrapa délicatement avant de s'asseoir sur le lit. Une vraie Dame aurait certainement calculé le mouvement de sa robe dans une telle opération, vérifiant qu'elle ne dévoilerait même pas une cheville. Ce n'était pas du tout le genre d'Astrid, qui n'avait pas besoin d'y faire attention et adoptait une position plutôt naturelle. Qui laissait voir bien plus que ses chevilles, et toujours autant son décolleté.
Elle mélangeait ses cartes tout en regardant Hector, avec un air joyeux et un peu amusé. Elle s'attendait à ce qu'il s'installe auprès d'elle, parce qu'il n'y avait pas vraiment d'autre siège que le lit.

- Vous savez, à l'origine, je dois mon surnom à ma voix...

Hector suivit la cartomancienne dans l'escalier, presque hypnotisé par les mouvements pendulaires de la robe et du bassin de la demoiselle. Dans sa chambre il pénétra tranquillement, regardant d'un œil lent cette pièce claire et, d'une certaine manière, accueillante. Celle-ci n'eut pas fait tâche à Sombrebois. Rustique, fonctionnelle, dénuée d'ornement et de décoration. Elle était juste fonctionnelle ; et propre ! Ce qui, pour une chambre de passe, était une bonne chose.

- Faites comme chez vous surtout, mettez-vous à l'aise.
- Merci...

Hector posa sa hache de guerre dans un coin. En cet été très chaud, il s'était habillé légèrement et n'avait, par conséquent, rien à enlever. Il regarda Astrid s'asseoir tout naturellement sur son lit, dévoilant sans y penser ses jolis mollets ronds. Elle était belle : naturelle, joyeuse, souriante. Hector se demanda comment tout cela finirait. Les cartes l'intéressaient de moins en moins et la peau de la prostituée de plus en plus. Il s'approcha du lit, observant les cartes aller et venir prestement entre les fines mains de la brune. C'était une danse bouleversante qui lui rappelait les gestes gracieux de ses meilleurs amantes, les nuits d'amour, lorsqu'elles se délestaient de leurs étoffes, avec cérémonie...

- Vous savez, à l'origine, je dois mon surnom à ma voix...

Hector avait effectivement remarqué son joli filet de voix. Il était à présent presque gêné de n'avoir complimenté Astrid à ce sujet.

- Vous avez trop de charmes pour qu'il soit possible d'en faire une liste exhaustive, Astrid... mais je...

Il était funambule, ce soir... et il allait tomber... restait à savoir quand.

- Je dois avouer que votre voix m'apaise...

Mais elle était également si sensuelle et envoûtante... Et son corps, sa peau, sa poitrine... Il imagina un instant la belle Astrid sous ses mains, et il la désira ardemment.

Mais...

Mais il s'installa finalement sur le lit, à une certaine distance d'elle. Il lui laissait la place pour étaler ses cartes. Il se laissait le temps d'écouter ce que sa magie pouvait lui révéler...

- Alors, dîtes-moi tout : comment devons nous procéder ? Dois-je tirer une carte ? Dois-je répondre à des questions ? Ou faîtes-vous tout toute seule ?

Cette séance de cartomancie - la première dans la vie du baron - avait encore suffisamment d'attrait pour dissiper un peu les pensées érotiques qui l'étourdissaient depuis son entrée dans ce charmant boudoir aux senteurs florales.

Hector s'était délesté de sa hache de guerre, mais il était vrai qu'il n'avait pas grand chose d'autre à retirer en ces temps chauds.

Vous avez trop de charmes pour qu'il soit possible d'en faire une liste exhaustive, Astrid... mais je...

Astrid n'avait pas vraiment entendu le « mais ». Elle n'avait pas l'habitude d'un si joli compliment, et elle en aurait presque rougi. Oui, elle savait qu'elle était belle, qu'elle avait la peau douce, et on lui avait parfois parlé aussi du bon goût de ses lèvres. Mais jamais on ne s'était aventuré à lui parler d'une liste bien plus longue. Un grand sourire, toujours aussi doux, presque tendre, naquit sur ses lèvres.

Je dois avouer que votre voix m'apaise...

Ça, elle ne savait pas si c'était vrai. Mais c'était gentil de toute façon, et Astrid n'avait pas l'intention de refuser les compliments. D'un autre côté, elle n'avait pas dit cela vraiment pour qu'il lui parle de sa voix. Ce n'était qu'une réaction à ses paroles un peu plus tôt, puisqu'il lui avait lui-même parlé de son surnom. Il n'était pas le seul à s'être laissé avoir de la sorte. Mais à l'époque où on avait commencé à l'appeler ainsi, elle ne vendait pas encore son corps. Elle se contentait de chanter et de danser pour sa troupe. C'était sûrement de là qu'elle tenait sa grâce.

-Vous me flattez... C'est gentil, merci.

Hector s'installa tranquillement sur la lit, mais Astrid se serait attendue à ce qu'il se place plus près. Ça ne changeait rien pour la séance de cartomancie qui s'annonçait, quoique ça lui laissait plus de place tout de même, mais leur proximité antérieure lui avait laissé penser qu'il préférerait se mettre à côté d'elle. Ce n'était pas le cas. Elle ne s'en sentait pas vexée toutefois. Elle n'était pas du genre à forcer les gens, ou à racoler jusqu'à ce que ça en devienne gênant, bien au contraire. Elle préférait simplement laisser entrevoir des possibilités, et c'était généralement tout à fait suffisant.

Alors, dîtes-moi tout : comment devons nous procéder ? Dois-je tirer une carte ? Dois-je répondre à des questions ? Ou faîtes-vous tout toute seule ?

Astrid arrêta de mélanger ses cartes.

-Il vous suffit de poser votre question, une seule par tirage, et je ferai le reste, en espérant que les Trois seront avec nous.

Elle se doutait de ce qu'il allait demander. Sûrement quelque chose qui ressemblait à « Qui a voulu m'empoisonner ? ». Il n'y avait pas besoin de s'y connaître en divination pour arriver à cette conclusion, c'était le motif même de cette séance.
Elle attendit qu'il pose sa question, avant de tirer quatre cartes et de les poser, face cachée, devant elle. Elle lança alors un regard furtif en direction de monsieur de Sombrebois. Le suspens de cette soirée était très certainement à son comble, et elle ne désirait pas le faire languir. Du moins pas pour des cartes.
Astrid retourna la première carte. La face représentait un joli dessin, plein de rouge et de rose, un cœur qui prenait presque toute la carte. Intéressant. Avant de formuler une hypothèse, ses doigts passèrent à la carte suivante, qu'elle retourna délicatement pour découvrir une forêt embrumée. Le mystère, le secret. Elle retourna alors la troisième carte. Celle-ci représentait une rose jaune. Astrid n'aimait pas beaucoup cette carte, elle pouvait avoir autant de symboles que la fleur en question : jalousie, pardon accordé ou sollicité, ou joie, amitié aussi. La vie amoureuse d'Hector semblait tout à fait digne d'intérêt mais pour le moment Astrid ne voyait pas quel lien elle pouvait faire avec cette histoire d'empoisonnement. Il restait la dernière carte pour essayer de mieux comprendre. Astrid la retourna à son tour, toujours en silence.
Le dessin était magnifique, comme sur toutes les cartes d'Astrid, mais n'en représentait pas moins un poignard. Ouvragé, agréable à l’œil, mais dont le symbole était beaucoup moins plaisant : trahison ou vengeance. Les éléments se mettaient en place dans l'esprit de la cartomancienne.

-Je crois que votre vie amoureuse vous a causé quelques ennuis, commença-t-elle. Il peut s'agir de problèmes de jalousie, de pardon, ou de problèmes d'amitié, visiblement à cause de quelque chose de secret. Ça peut être vous ou votre aimée, d'ailleurs, qui êtes jaloux, blessé ou coupable...

Elle s'arrêta un instant, souriant à Hector d'un air un peu amusé.

-Ne vous en faites pas, vous n'êtes pas obligé de me raconter !

Elle reprit avec sérieux néanmoins.

-La dernière carte, c'est la trahison ou la vengeance. Je pense que votre ennemi est peut-être plus proche que ce que vous pouviez penser... Apparemment, vos amours ont causé tout cela, d'une manière ou d'une autre. J'espère qu'elles ne seront pas toujours aussi dangereuses pour vous.

Spoiler:

- Qui a commandité mon assassinat ? Demanda le baron.

S'il avait quelques ennemis, il n'aurait su en citer un, suffisamment haineux pour lui souhaiter sa mort. Même Anton Gunof, le vil milicien avec qui il s'était mainte fois opposé n'aurait souhaité sa mort. Même le baron de Travers, même le chevalier de Feroule...
La belle cartomancienne commença à tirer les cartes ; quatre, faces cachées, entre elle et son client. Elle les tourna cérémonieusement et Hector, fasciné par la beauté des dessins de ces cartes et la voix de la femme, se laissa bercer par les explications.

- Je crois que votre vie amoureuse vous a causé quelques ennuis. Il peut s'agir de problèmes de jalousie, de pardon, ou de problèmes d'amitié, visiblement à cause de quelque chose de secret. Ça peut être vous ou votre aimée, d'ailleurs, qui êtes jaloux, blessé ou coupable...
- Kira...
- Ne vous en faites pas, vous n'êtes pas obligé de me raconter ! La dernière carte, c'est la trahison ou la vengeance. Je pense que votre ennemi est peut-être plus proche que ce que vous pouviez penser... Apparemment, vos amours ont causé tout cela, d'une manière ou d'une autre. J'espère qu'elles ne seront pas toujours aussi dangereuses pour vous.

Il réfléchit un instant en détournant son visage.

Kira, aurait-elle eut vent de mes aventures ? Par les trois quel malheur ce serait... Je dois absolument la retrouver et lui expliquer...

- J'espère que je me trompe mais je... Il me faudrait une seconde... un second tirage.

Et si ce n'était pas elle... Peut-être une de mes amantes était-elle mariée ? C'est peut-être un mari jaloux...

Il prit de sa bourse un écu d'or qu'il déposa dans la main d'Astrid. Cela était une somme extraordinaire qui lui aurait sans doute offert des réponses pour au moins un an ! Mais il s'en fichait, sa vie, et peut-être celle de Kira, était en jeu... Il regarda Astrid dans les yeux, et, après avoir choisi chacun de ses mots, demanda :

- Où puis-je trouver cette personne ? Où est-elle en ce moment-même ?

Il était nerveux et agité. Si c'était bien Kira qui avait voulu le tuer, il devait la trouver sur le champ. Si c'était quelqu'un d'autre, il le reconnaîtrait sûrement en le voyant... Le mystère s'éclairerait certainement... Mais pour l'heure, il n'avait pas une minute à perdre. Impatiemment, il serrait ses poings, espérant que les cartes auraient une réponse à lui donner.

Hector avait l'air pensif, il ne regardait plus vraiment Astrid ni les cartes. Il cherchait probablement à agencer la prédiction, à comprendre à quoi elle faisait allusion, mais ça la cartomancienne ne pouvait pas le faire pour lui. Elle ne connaissait rien de sa vie, à part son identité et cette tentative d'empoisonnement. Elle n'avait aucun moyen de savoir si ce qu'elle avait dit pouvait trouver écho dans la vie d'Hector, il lui avait juste semblé entendre un prénom. Elle n'avait pas retenu lequel.

-J'espère que je me trompe mais je... Il me faudrait une seconde... un second tirage.

Astrid hocha la tête, et récupéra délicatement les cartes. Une fois son paquet reconstitué, elle recommença à les mélanger avec attention. Hector avait pris quelque chose dans sa bourse, et le glissa dans la main de la cartomancienne, qui arrêta donc son mouvement pour observer ce qu'elle tenait à présent.
Un écu d'or. Astrid n'en avait encore jamais eu, et son premier réflexe était surtout de se demander si c'était une véritable pièce. Hector de Sombrebois n'avait pas l'air d'avoir de problèmes de finances, s'il pouvait se permettre de payer si cher pour un service dont le prix était bien moindre. Il n'avait, de toute façon, pas demandé à Astrid ses tarifs. Ça ne devait pas l'inquiéter.

- Je n'aurai jamais assez pour vous rendre la monnaie...

Elle comprenait néanmoins qu'Hector ne s'attendait pas vraiment à ce qu'elle lui rende quoi que ce soit. Astrid rangea l'écu dans sa propre bourse sans un mot. Avec ce qu'il venait de lui donner, il pouvait exiger ses services pendant plus d'une année certainement. Il pouvait également exiger d'elle des résultats fiables, et ça lui plaisait moins. Elle ne pouvait pas se porter garante de ses cartes ! C'était pour ça qu'elle demandait si peu pour une séance de cartomancie: éviter qu'on ne vienne lui réclamer des remboursements si ce n'était pas concluant. Mais de toute façon, elle avait bien compris qu'Hector n'était probablement pas le genre de personne à qui on pouvait se permettre de dire non. Elle reprit ses cartes et entreprit à nouveau de les mélanger jusqu'à ce que son client pose une nouvelle question.

- Où puis-je trouver cette personne ? Où est-elle en ce moment-même ?

Il la regardait dans les yeux, et entre son regard et sa voix Astrid sentait sa nervosité et son inquiétude. Au fur et à mesure il semblait perdre sa désinvolture face à la situation, lui qui avait dit plutôt ne pas craindre pour sa vie en sortant seul. En baissant les yeux vers des cartes Astrid aperçut également qu'il serrait les poings, mais elle n'aurait pas pu dire si c'était de l'impatience, de la colère, ou un simple moyen de garder son calme.
Elle tira encore quatre cartes et suivit le même schéma qu'au précédent tirage: elle les posa face cachée. Astrid espérait de tout coeur qu'elle arriverait à tirer quelque chose de ses cartes, pour ne pas décevoir Hector. Son air inquiet lui faisait de la peine, il avait été si charmant qu'elle ne comprenait pas qui pourrait lui en vouloir. Les nobles dames, ou ses autres amantes, devaient être bien jalouses pour en arriver là. Ou leurs maris.
Elle retourna la première carte. La vue du dessin la fit presque sursauter, elle fronça les sourcils. C'était la carte de la nuit, entièrement noire à l'exception d'un dessin de constellation quasiment identique à celui qui ornait le tapis de sa tente. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas tiré cette carte. Mais le plus surprenant était qu'elle correspondait très exactement à la situation. Astrid retourna la deuxième carte. C'était la carte de la trahison ou de la vengeance, qui était déjà apparue au tirage précédent. Voilà qui était rare: deux fois la même carte... La cartomancienne choisit de ne pas y réfléchir tout de suite et préféra passer à la carte suivante presque instantanément. C'était la carte de la citadelle, qui représentait un genre de forteresse imaginaire. Pris au pied de la lettre, cela pouvait signifer Marbrume, mais cette carte symbolisait avant tout la protection et la sécurité. Astrid en était toute agitée. Il était rare que les cartes collent aussi bien. Elle espérait que sa prédiction serait exacte et servirait Hector ainsi. La dernière carte représentait un canard suivi de ses cannetons. Le symbole du groupe, ou au moins de l'absence de solitude. C'était une des cartes préférées d'Astrid, parce qu'elle était terriblement mignonne, et qu'elle n'aimait pas la solitude.
Il était temps de faire un récapitulatif.

- Je crois que... Votre vengeance aura lieu la nuit, je ne sais pas si c'est ce soir. Mais cette carte pose problème, dit Astrid en pointant la citadelle. On peut comprendre qu'il s'agit uniquement d'une forteresse, et donc de Marbrume. Mais... C'est aussi la carte de la protection. Associée à celle-ci, dit-elle en montrant la carte suivante, cela peut vouloir dire que vous serez protégé parce que vous ne serez pas seul.

La cartomancienne releva la tête pour regarder Hector. Elle craignait un peu sa réaction. La situation ne devait pas être facile à gérer ni même à comprendre, et elle avait un peu peur qu'il veuille se jeter dans la gueule du loup. Mais elle attendait d'abord qu'il dise quelque chose ou qu'il fasse un geste, pour ensuite lui donner ses recommandations.
Elle replia ses jambes sous elle, se redressa un peu et remit ses cheveux en place. L'ambiance avait bien changé depuis leur repas, voilà ce à quoi elle pensait.

La première carte, ténébreuse, fit frémir le baron. Que voulait-elle dire ? Était-ce la couleur de son avenir ? La noirceur de son âme ? La couleur des sentiments de son ennemi ? Il regarda Astrid, effrayé, priant pour que les mots qui sortiraient de sa bouche soient moins sombre... Mais elle ne dit rien ! Elle continuait, avec professionnalisme, rigueur et une certaine impassibilité, à retourner les cartes : le poignard revint, puis deux nouvelles images furent dévoilées : une citadelle et... des canards ! Tout cela, bien qu'un peu plus gai, laissait Hector perplexe. Heureusement, mes mots de la Douce arrivèrent, et le mystère s'éclaircit (un peu) :

- Je crois que... Votre vengeance aura lieu la nuit, je ne sais pas si c'est ce soir. Mais cette carte pose problème, dit Astrid en pointant la citadelle. On peut comprendre qu'il s'agit uniquement d'une forteresse, et donc de Marbrume. Mais... C'est aussi la carte de la protection. Associée à celle-ci, dit-elle en montrant la carte suivante, cela peut vouloir dire que vous serez protégé parce que vous ne serez pas seul.

- Alors ça veut dire que...

Il hésita... tout ça n'était peut-être pas aussi clair qu'il lui semblait, finalement...

- ... que cette nuit, je dois... retrouver mon... ennemi... et que, sans doute... qu'il se trouve sur l'esplanade... et que...

Une étincelle brilla dans son regard.

- ... et que quelqu'un doit m'accompagner ! Et... et... ce sera vous !

Son doigt pointait, presque tremblant, sur le cœur d'Astrid, tandis que le sourire revenait au visage du baron.

- Vous êtes ma bonne étoile ! Vous me porterez bonheur, j'en suis sûr !

Il se leva du lit avec vivacité, faisant presque rebondir la prostituée, et s'empara de sa lourde hache.

- Il n'y a pas de temps à perdre ! Vene...

Hector eut un moment d'hésitation. Quel droit avait-il sur cette jeune femme ? Aucun en fait. Bien sûr il avait payé... mais pour des cartes, par pour une mission dangereuse à Marbrume, de nuit, alors qu'en plus, un couvre-feu interdisait à quiconque - même pas aux nobles - de circuler dans la ville après le coucher du soleil... Alors il regarda la fenêtre et, justement, le soleil venait de passer sous les toits des maisons à l'ouest... Même en faisant vite, ils auraient bien du mal à rejoindre l'esplanade avant que le voile nocturne recouvre entièrement la cité des survivants.

Il déposa une nouvelle pièce d'or dans la main d'Astrid.

- S'il vous plait, Astrid, j'ai besoin de vous...

Alors ça veut dire que...

Astrid se demandait bien où il voulait en venir. Elle, elle ne voyait pas spécialement quelle conclusion en tirer. Elle aurait été du genre à attendre sagement que les pièces du puzzle se mettent en place avant de prendre une quelconque décision. Souvent, quand elle se tirait les cartes, elle ne voyait cela que comme un avertissement. Jamais comme une certitude, encore moins comme un conseil. Mais les gens qui pensaient la même chose étaient rares.

... que cette nuit, je dois... retrouver mon... ennemi... et que, sans doute... qu'il se trouve sur l'esplanade... et que... 

Hector sembla soudain avoir une illumination, comme s'il avait compris le sens profond de la prédiction et qu'il lui appartenait de faire en sorte que tout se déroule comme il l'avait prévu.

... et que quelqu'un doit m'accompagner ! Et... et... ce sera vous !

Monsieur de Sombrebois retrouva le sourire qui avait précédemment disparu sous l'effet de l'anxiété, et leva brusquement son bras. Son index pointait à n'en point douter le cœur d'Astrid, qui sursauta autant que si on venait de décocher une flèche dans cette même direction. Elle ne s'était pas du tout attendu à cette fin de phrase. Elle n'avait pas particulièrement l'intention de violer le couvre-feu, c'était même tout l'inverse : elle craignait de sortir la nuit et de croiser des miliciens. Elle n'était qu'une pauvre fille qui voulait éviter les ennuis. Elle les attirait bien assez comme ça.

Vous êtes ma bonne étoile ! Vous me porterez bonheur, j'en suis sûr !

Astrid rougit. Elle n'avait pas l'habitude qu'on la définisse comme étant un porte-bonheur ou quelque chose d'approchant, mais ça ne la motivait pas vraiment à le suivre à l'extérieur. Le soleil était déjà presque couché... Elle laissa échapper une sorte de hoquet de surprise lorsque son interlocuteur se releva vivement, à cause du moment que cela provoquait au niveau du matelas. Elle n'eut cependant pas le temps de dire quoi que ce soit, parce que dès que la surprise fut passée, Hector tenait déjà son impressionnante hache et reprenait. Toujours bien décidé à accomplir sa vengeance cette nuit-là.

Il n'y a pas de temps à perdre ! Vene...

La cartomancienne cherchait un moyen d'éviter cette sortie lorsqu'il s'interrompit. Elle haussa un sourcil interrogateur, comme elle le faisait souvent dans ce genre de situations, et attendit la suite. Il allait peut-être trouver lui-même un problème dans son plan si sûr et certain. Voilà qui épargnerait à Astrid la recherche laborieuse de prétextes ou d'explications. Hector ne pouvait pas ignorer l'existence du couvre-feu, et ça ne faisait certainement pas partie des choses qui pourraient l'arrêter.
Il avait d'ailleurs prévu le refus de la prostituée, puisqu'il plaça une nouvelle pièce d'or dans sa main. C'était ridicule, avec ce qu'il lui avait déjà donné il avait payé suffisamment pour qu'elle l'accompagne fort longtemps.

- S'il vous plait, Astrid, j'ai besoin de vous...

Il avait déjà tant payé qu'il n'y avait pas vraiment de propositions, à part le meurtre, qu'elle ne prendrait pas le temps d'examiner. Elle préférerait éviter de le suivre, mais n'en avait pas de possibilité légitime. Encore moins maintenant. Mais elle avait peut-être la possibilité de négocier...
Astrid releva la tête, regarda Hector, et lui rendit sa pièce. Elle essayait de prendre un air déterminé, mais son visage avait bien plus l'habitude des sourires, des airs espiègles ou tendres, que d'une quelconque fermeté. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi il disait avoir besoin d'elle, mais à la limite ce n'était pas son problème. Elle voulait simplement éviter les ennuis, ça ne voulait pas dire qu'elle ne voulait pas aider Hector. Ça voulait juste dire qu'elle ne le ferait pas n'importe comment.

-Je viendrai avec vous à une seule condition, et ce n'est pas de l'argent. Je veux juste...

Elle chercha la manière la plus polie et directe à la fois de parler. Elle détestait les gens qui tournaient autour du pot pour rien. Autant agir de manière à ce que tout le monde sache à quoi s'attendre. Sauf en séduction... Là, il fallait du mystère. Mais ce n'était pas tout à fait le propos.

-Je ne veux pas me retrouver toute seule dehors après le début du couvre-feu.

Elle n'était pas sûre qu'être accompagnée, même par un noble, l'aiderait beaucoup, mais au moins elle ne serait pas seule. Elle n'était qu'une demoiselle assez fragile, et elle craignait tout abus de force de la part de la milice autant que les sanctions légales prévues. Si elle était accompagnée d'un homme, elle risquerait déjà beaucoup moins de désagréments.

-Si vous promettez de me raccompagner, ou au moins de me laisser dans un endroit où j'aurai l'autorisation de rester jusqu'au matin après notre sortie, aussi illégale soit-elle, je vous accompagne.

Astrid était nerveuse. Elle n'avait pas l'habitude d'exiger quoi que ce soit, ni de refuser des sommes d'argent aussi importantes. Hector pourrait mal le prendre, il pourrait la forcer à l'accompagner. La prostituée avait coutume de dire que les clients achetaient d'abord son temps avant d'acheter son corps, voilà un cas où elle aurait préféré ne rien vendre du tout. Hector avait tout à fait le droit d'exiger tout simplement qu'elle le suive, mais elle espérait qu'il n'en serait rien.
Elle sourit. Une demoiselle devait toujours sourire si elle voulait s'attirer les faveurs d'un homme. Ou alors pleurer, mais on s'éloignait du but d'Astrid.
Peut-être même que pour lui, ça coulait de source. Peut-être qu'il n'aurait jamais songé à la laisser seule dans les rues au beau milieu de la nuit. Mais elle préférait s'en assurer.

Astrid rendit la pièce à Hector qui crut que c'était sa manière de refuser... Evidemment il se trompait. Ce que voulait la jeune femme c'était seulement de la sécurité. L'assurance qu'elle ne finirait ni emprisonnée, ni seule dans les rues noires de Marbrume.

Hector sourit.

- Je comptais bien vous raccompagner mademoiselle... Je ne laisserais pas une jeune femme seule, la nuit, dans les rues de Marbrume.

Et c'est ainsi qu'Hector et Astrid redescendirent l'escalier de l'auberge, passant sous le regard surpris du propriétaire qui rangeait la grande salle vide. Evidemment, eu égard au couvre feu, les clients étaient partis depuis longtemps et sortir maintenant, alors que le soleil allait d'un instant à l'autre se coucher, était extrêmement étonnant. Le baron se contenta d'un "Bonsoir" et s'engouffra sans plus attendre dans les rues quasi-désertes, rues où des retardataires rentraient chez eux au pas de course tandis que les miliciens, armes à la main et sourire vicieux aux lèvres, attendaient que le signal leur soit donné d'arrêter les noctambules...

Hector se tourna vers Astrid. Sa beauté lui sembla plus frappante, là, à la lumière du couchant.

- Venez, il n'y a pas de temps à perdre !

Il la prit par la main et l’entraîna dans une course rapide à travers les rues de Marbrume, en direction de l'esplanade. A la fenêtre d'une maison, une grand-mère qui fermait ses volets les vit passer main dans la main, lui, le grand guerrier à la hache étincelante et elle, la séduisante brune à la robe volante et, dans une étrange réminiscence de ses jeunes années, laissa perler une goutte sur sa joue en voyant ceux qu'elle imaginait amoureux, fuyant quelque mortel danger.

Hector, lui, ne pensait pas à cela. Son esprit était entièrement tourné vers la porte des Anges, son objectif premier, et au fait qu'elle était bien gardée et qu'ils devaient arriver à temps pour la franchir. Alors il accéléra encore sa course, tirant par la main la leste prostituée... Seulement voilà ; l''instant d'après, l'obscurité se fit plus grande et les cloches se mirent à sonner !

- Et merde ! Fit le baron en s'arrêtant tout essoufflé.

Il lâcha la douce main d'Astrid et désigna, au bout de la rue, les remparts de l'esplanade et la fameuse porte des Anges, bien gardée par une demi-douzaine de miliciens armés.

- On y était presque...

La déception était grande pour le baron... Il tentait de reprendre son souffle et ses esprits mais ce n'était guère chose facile. Pourtant, il fallait faire quelque chose. Si Astrid et Hector voyaient les miliciens, cela signifiait qu'eux aussi devaient les voir... et la petite escapade nocturne risquait donc de tourner court...

- Baron de Sombrebois ?!

D'une rue perpendiculaire arriva un groupe de 5 miliciens.

- Euh... oui... Fit Hector, inquiet.
- Ne restez pas là, venez vite, dépêchez-vous de rentrer ! Fit le coutilier qui n'était autre que Simon Dumoulin, un des miliciens qui avaient participé aux bûchers des condamnés qu'Hector avait, un temps, mis en place.
- Simon, c'est vous ? Quel plaisir de...
- Oui, mais ne traînez pas, s'il vous plait, sinon c'est moi qui aura des ennuis !

Hector hocha la tête, prit la main d'Astrid et suivit la patrouille de son ami qui rentrait également sur l'esplanade en cette heure tardive. Une fois la grande porte passée, Hector remercia prestement son ami milicien et demanda un dernier effort à sa compagne d'un soir pour courir vers la rue des aiglons, là où était située son ancienne demeure.


- Par les trois, quelle course ! Fit-il lorsqu'il se trouva devant son ancien manoir.

Par chance, plus un seul milicien n'était en vue...