[Terminé]En cours de route [Ft. Rosen de Sombrebois]

Bringuebalé sur le dos de Bravoce, Alaric était présent de corps mais pas d'esprit. Ses pensées étaient ailleurs, restées bloquées dans l'enceinte du château de Sombrebois. Il n'avais pas pensé qu'il repartirait pour Marbrume aussi rapidement. Des rumeurs, parvenues avec l'un des rares convois du mois, avaient éveillé sa curiosité : un navire s'était échoué sur les côtes, des étrangers vivants à son bord. Le soldat s'était souvenu des gémissements qu'il avait entendu, lorsque, prisonnier de l'eau froide, enfermé à cause de la terrible tempête, il n'avait pu aider le noyer. L'un des rescapés ? Peut-être le bateau n'était-il pas loin de sa position. De la sienne, et de celle de Sydonnie. Sydonnie. Cause des nombreuses tensions qui animaient le bourg fortifié ces deux dernières semaines. Rentrer sur Marbrume, en apprendre plus sur les survivants, ce n'était qu'une excuse pour s'éloigner quelques temps de sa maison.

Alaric avait raconté de long en large à Hilde ses péripéties en compagnie de la sergente. Certes, il avait omis quelques détails. Le goût de sa peau, la douceur de ses lèvres. Et apparemment il ne s'était pas montré des plus convaincants. Il n'empêche qu'il en avait eu assez de ses silences explicites, de ses regards loudrs de sens comme s'il était un monstre. À tel point qu'un soir, il avait tenu à lui parler face à face. Dans sa chambre, qui aurait pu devenir la leur, il avait pris ses mains dans les siennes et lui avait dit :

- Hilde. Tu as peut-être raison de douter de moi. Mais je tiens à toi et toute cette histoire...

À savoir, sa nuit passée avec la sergente.

- Je ne voulais pas que ça entache notre relation.

Il avait marqué une petite pause. Il n'avait pas voulu la blesser et il était sincère. Il s'était mis dans cette situation seul et il devait assumer ce qu'il avait dit, ce qu'il avait fait. Il n'empêche que la réaction de la rousse l'avait attristé.

- Tu sais, tu es la seule raison pour laquelle je n'ai pas franchi le pas avec elle. Que tu me crois ou pas...

Il avait ensuite suggéré l'idée de partir quelques temps pour Marbrume, prétextant la découverte du navire et des réfugiés. Une pause qui serait bénéfique pour tous les deux.

C'était en ruminant ces derniers événements qu'il avançait vers Marbrume, au côté de la baronne de Sombrebois. Il semblait que son voyage de noce n'avait pas été des plus mémorables, mais Alaric n'avait posé aucune question. Depuis qu'ils étaient revenus de leurs mésaventures dans les marais, quelque chose semblait s'être brisé au sein du couple. Comme quoi, Rosen et Alaric étaient bien différents, mais aucun des deux n'étaient ressortis indemnes de leur visite marécageuse. Les voilà qu'ils chevauchaient ensemble, comme s'il fallait prendre du recul face à tout ça, combattre le mal par le mal.

Il se souvenait d'avoir proposé à la baronne de longer la mer, de prendre par la plage. Car c'était le chemin le plus sûr. Un conseil de Sydonnie. Malgré lui, il se demanda si elle avait pu gagner sa coutellerie, ou si elle était tombée sur quelques monstres, seule. Au-dessus de leur tête, le ciel était noir, chargé de pluie qui ne tarderait pas à se déverser. Le mois de septembre était l'un des pires que le soldat ait connu. Pressant l'allure, il se rapprocha de la blonde. Il ne pouvait rester muet pendant tout le voyage.

- Si on pouvait atteindre Balazuc avant la douche, ce serait bien...

Néanmoins, il essayait de tenir compte du statut particulier de la baronne : enceinte. Il n'osait pas lui demander comment elle allait, si elle avait besoin d'une pause... À coup sûre, elle n'aimerait pas recevoir un traitement de faveur.

- Alors, que vas-tu faire à Marbrume ?

En cours de route

Rosen feat Alaric

25 septembre 1166

Déjà la fin de cette lunaison de septembre qui se profile. Il est temps pour moi d’aller à Marbrume voir comment se porte la bonne Fortune. J’ai donc profité de l’occasion que le chef de la garde décide de se rendre à la capitale pour faire au moins l’aller avec lui par souci de sécurité.

Il est toujours plus rassurant de ne pas voyager seul, et même si c’est loin d’être moins choix de préférence, je le fais pour rassurer Hector d’une part et pour m’éviter des mésaventures supplémentaires d’autres parts. J’ai donc fait mes affaires rapidement le jour J.

Et lorsque tout est prêt pour le départ et que nous sommes sur le point de partir, je me dirige vers Hector pour le prendre dans mes bras. Même si rien ne va plus depuis cette tragédie qu’on a vécue et même si je lui en veux au fond de moi, même si l’on semble s’être blessés et même si j’ai voulu recouvrir cette carapace, je ne sais pourtant me résoudre à lui rester indifférente ou mauvaise.

Même s’il m’a accusée d’être blessante. J’ignore bien en quoi, je n’ai jamais cherché à l’être avec lui et les Dieux savent à quel point je peux pousser les gens à bout lorsque je le veux…

Je suis donc partie le prendre dans mes bras avant de partir. Je n’ai rien dit, pas un mot. Je me suis juste contenter de le serrer fort contre moi. Parfois, il vaut mieux savoir se passer de mots.

Les mots peuvent faire plus de mal que de bien. Pas une étreinte, en théorie. Alors je profite de ce moment, fermant les yeux un moment avant de les ouvrir à nouveau, pleinement dans l’instant. Qui sait si ce n’est pas la dernière fois que je le peux… Personne ne peut savoir de quoi le lendemain sera fait.

Si notre relation n’est plus au beau fixe, j’ai au moins la chance dans mon malheur de pouvoir remarquer que ça ne va pas mieux pour les deux autres tourtereaux du château.

De quoi me sentir un peu moins seule… j’ignore tout de la tension entre eux ; il se trouve que peu de gens ne viennent me parler et que de mon côté, je passe le plus clair de mon temps à m’isoler sur les remparts du château. Mais du peu de temps que je passe en la compagnie des autres, j’ai bien pu constater ce trouble.

Et après ? J’ai assez de mes propres troubles à gérer sans avoir à me préoccuper de celui des autres. En outre, je me souviens de la reconnaissance du garde lorsque je l’ai aidé avec sa belle : refuser d’être mon témoin puis m’afficher à mon mariage. Alors je vais éviter de me mêler de ses affaires à l’avenir. Il est assez grand pour les régler tout seul.

Et alors que nous nous mettons en route et quittons le domaine, il m’invite à passer par la plage. Ma foi… s’il y tient. Je n’ai omis aucune objection, me contentant de hocher la tête pour accepter son itinéraire. J’ai l’impression que c’est un sacré détour, m’enfin, qu’importe. C’est alors qu’il dit espérer que l’on atteigne Balazuc avant de se ramasser la pluie. D'accord... J'aime pas trop son intonation. J'espère qu'il ne sous entends pas que je le ralenti.

« Alors, que vas-tu faire à Marbrume ? me demande-t-il.
- Eh bien, j’ai quelques affaires de gérance à régler. »

Il n’a pas besoin d’en savoir plus. Et puis plus pour changer de sujet que pour faire la conversation, je demande :

« Et toi ? »

Il avait reçu la réponse de la blonde cinq sur cinq : elle avait des affaires à régler dans la cité qui ne le concernait en rien. Non pas qu'Alaric s'était attendu à ce que Rosen lui raconte tout ce qu'elle y manigançait, mais il avait espéré que la situation soit moins gênante. Meubler une discussion n'avait jamais été son fort. Lui-même ne savait pas quoi lui répondre : c'était un éternel problème avec lui, il n'avait pas plus de conversation que la plupart de ses interlocuteurs.

Qu'allait-il faire à Marbrume ?

- Je pensais aller vérifier moi-même ces rumeurs de rescapés, de naufrage...

Après tout, ce n'était pas un mensonge. Il était curieux d'en apprendre plus sur de nouveaux survivants, des alliés contre la fange. Qui sait ? Peut-être y'avait-il ailleurs, encore plus loin, d'autres personnes luttant contre le Fléau... Peut-être même que là-bas, dans ces contrées inaccessibles, les fangeux n'existaient pas... Il soupira. C'était trop beau pour être vrai.

- Quand j'étais bloqué dans la tempête, j'étais prêt de la mer... Et J'ai entendu des cris.

Plus il y pensait, plus il se demandait s'il n'avait pas assisté au naufrage du navire, si l'homme qu'il avait entendu gémir n'était pas l'un de ces rescapés passés par dessus bord.

- J'avais voulu aller le sauver mais... Je n'ai pas pu.

Plutôt, Sydonnie l'avait retenu, à raison. Il n'aurait sans doute pas été capable de sauver qui que ce soit, gelé et épuisé comme il était, ayant déjà des difficultés à se maintenir en vie. Ensuite ils avaient rebroussé chemin et les gémissements plaintifs avaient rejoint les râles d'agonie d'autres victimes, les hurlements de sa soeur dans ses cruels souvenirs.

- Cette tempête a été terrible pour tout le monde, ajouta-t-il, plutôt pour clore le sujet.

Il savait qu'Hector et Rosen l'avaient endurée de leur côté. Décidément, tous avaient choisi leur bon moment pour quitter Sombrebois ! Au fond de lui, Alaric sentait pourtant que cette tempête n'avait rien eu de naturel, tout comme leurs positions hors du bourg, tel un chemin tissé par les Trois. Tous étaient sortis changés après cette catastrophe, pour le meilleur ou pour le pire...

Et puis, cette tempête avait amené le bateau, une source d'espoir. Certes, elle l'avait détruit, provoqué son engloutissement, mais il y avait des survivants, des hommes comme eux. Sans cet orage, auraient-ils touché Marbrume ? Alaric leva les yeux vers le ciel, adressa une brève prière à ses dieux. Il ne pouvait s'en remettre qu'à leur bon vouloir... Claquant son talon sur les flancs de Bravoce, il accéléra. Au loin, il apercevait les ruines de Balazuc et déjà, les premières gouttes s'écrasaient dans ses cheveux. Plus question de finir trempé dans les marais, il avait donné !

En cours de route

Rosen feat Alaric

J’écoute le garde me dire qu’il va s’enquérir d’un naufrage qui a eu lieu pendant la tempête. Je ne sais pas où il a bien pu entendre cette rumeur. Moi, je m’isole si souvent que c’est comme si j’étais coupée du reste du monde. La seule information dont je dispose réellement concernant l’extérieur, c’est surtout la météo.

Il m’explique ensuite que lorsqu’il était bloqué dans la tempête, il a entendu des cris. J’ignorais qu’il avait été bloqué dans la tempête… Bon, il me semblait bien qu’il avait disparu du château avant mon propre départ, mais il aurait pu être rentré entre temps.

« J'avais voulu aller le sauver mais... Je n'ai pas pu », qu’il rajoute ensuite.

Je me raidis un peu, j’expire de lassitude pour tenter de garder mon sang froid. Lui, il clôture en disant que la tempête a été terrible pour tout le monde. Je suis certainement crispée, car je peux rapidement constater que mes lèvres sont pincées.

« Parfois, c’est mieux de crever plutôt que d’avoir à endurer une vie pareille », réponds-je sur un ton plutôt aigri.

Pour sûr, je ne compte plus ces derniers temps le nombre de fois où j’aurais bien aimé mourir. Bon, je ne cherche ni le conflit ni une ambiance de merde, alors il faudrait bien que je fasse un effort.

Mais je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. Non seulement je garde une image assez négative de mon compagnon de voyage, mais en plus, il faut qu’il me sorte une phrase qui me donne des envies de suicide ! J’essaie ceci dit de rattraper ma mauvaise humeur comme je peux.

J’aimerais autant ne pas passer tout le voyage dans une ambiance massacrante, même si je n’ai pourtant aucune envie de faire le moindre effort. Je vais quand même en faire. Ne serait-ce que pour Hector… Même si de toute façon, il ne le voit même pas.

« Enfin… si ça peut te rassurer, dis toi que ça ne sert à rien de culpabiliser. Quand il n’y a rien à faire, il n’y a rien à faire… Alors n’y pense plus. »

Bien sûr, c'est toujours plus facile de donner des conseils que de les appliquer. Je pourrais en rajouter, lui parler de ma sympathique entrevue avec l’autre cinglée il y a un peu moins de deux semaines. J’étais dans un état… Mais à quoi cela pourrait-il servir ? Pas besoin de donner les détails. Parfois, on ne peut rien faire et puis c’est tout. On doit juste apprendre à vivre avec ce fardeau sur la conscience.

On ne peut pas sauver les rescapés, on ne peut pas sauver les bébés et leurs mères, c’est comme ça. D’ailleurs en parlant de bébé, je ne sais même pas si Alaric est au courant de ce qu’il s’est passé. J’avais vu beaucoup de monde autour de moi ce soir où je suis revenue à moitié nue et blessée - un bébé mort dans les bras - mais pas lui. Dans tous les cas, quelqu’un lui aura assurément parlé de mon magnifique retour ce jour-là… tout se sait toujours.

Surtout que j’ai ri toute la soirée et tout le lendemain, alors ça fait un bon prétexte pour demander aux uns et aux autres ce qu’il m’est arrivé. Je ne sais même pas si Hector n'a pas raconté notre mésaventure. Je lui avais demandé de ne pas le faire, mais cela aura-t-il été suffisant ? Parfois, on a juste envie de parler et de se confier pour se libérer. Cela dit, Hector ne semble pas affecté plus que ça par ce drame, comparé à moi. Mais tout se sait toujours...

« Moi non plus, je n’ai rien pu faire », je rajoute finalement.

Je ne sais pas s’il fera le lien avec mon histoire et ce bébé mort dans mes bras, ou s’il va penser sottement que je parle de son rescapé. Peut-être même va-t-il faire un autre rapprochement.

Qu’importe après tout, je n’ai pas le courage de m’étendre sur le sujet alors moins j’en dis et mieux c’est. C’est sorti tout seul… tant pis. Mais s’il connaissait mon histoire, je crois qu’il n’aurait plus vraiment de quoi culpabiliser. Enfin, si ça se trouve, j’ai mal interprété et il ne culpabilise même pas.

Rapidement, Alaric comprit qu'il n'aurait pas dû aborder ce sujet avec Rosen. Il l'entendit soupirer distinctement et ne dit plus rien, de peur d'aggraver encore plus la situation entre eux deux. Si elle n'avait pas envie de l'écouter, ni de parler... Il avait pensé que meubler la conversation serait préférable, mais finalement, c'était une mauvaise idée. La réplique de la blonde le lui confirma. Son ton était sec, son vocabulaire tranchant. Il lui jeta un regard à la dérobée, mais ne réagit pas. Il ne savait pas ce qu'elle avait vécu ces derniers jours après tout, alors autant ne pas jeter de l'huile là où il faudrait de l'eau.

S'en rendit-elle compte ? Toujours est-il que la blonde se reprit, changea de ton, essaya de paraître plus amicale. Dans le doute, il prenait ses paroles pour une tentative de réconfort, de rattrapage... D'un peu tout.

- Oui, c'est aussi ce que Sydonnie m'a dit...

La sergente avait pris son visage entre ses mains, lui avait certifié qu'il avait pris la bonne décision. Toutes deux étaient bien différentes, mais le soldat imaginait qu'elles avaient vécu de terribles choses elles aussi, et que leurs conseils étaient bien avisés.

- « Moi non plus, je n’ai rien pu faire »

Il la revit sur le seuil de Sombrebois, frêle femme tenant contre son corps un bébé, aussi dur qu'une pierre. Ni Rosen ni Hector n'avait souhaité raconté ce qu'il s'était passé, mais il ne fallait pas faire preuve de beaucoup d'imagination pour comprendre qu'ils avaient fait une terrible rencontre dans les marais. Bannis, bandits... ? Ils avaient été mis au supplice et il leur faudrait du temps avant de digérer ces événements. Finalement, lui-même ne s'en était pas trop mal tiré, dans les marais... Comme il l'avait répété à la noiraude à plusieurs reprises : les Trois avaient été clairvoyants en les réunissant, cette nuit-là.

- Toi et Hector êtes revenus. C'est le plus important, non ?

Alors ils accélérèrent le rythme et lancèrent leurs montures au galop afin d'atteindre les ruines de Balazuc. Quand ils y parvinrent, ses cheveux étaient humides et plaquaient son front, mais l'eau n'avait pas eu le temps de transpercer ses vêtements. Une promenade de santé, comparé à ce qu'il avait vécu ! Il guida la blonde entre les bâtiments délabrés et, après plusieurs coups d'oeil, ils s'installèrent dans une vieille bâtisse dont un pan du mur et le plafond demeuraient en bon état. Alaric descendit de Bravoce et le tint par les rênes, l'empêchant de s'éloigner. La végétation avait repris ses droits depuis belle lurette sur les ruines : de lierre et autres feuilles sauvage s’intercalaient entre les plus petits interstices, fissuraient les constructions de bois, craquelaient les fondations de pierre. Était-ce blottie contre ces épais feuillage que la sergente avait passé la nuit, quand elle avait quitté Sombrebois ?

Pendant quelques secondes, le soldat craignit revivre un orage, revivre la situation désespérée qu'il avait partagée avec Sydonnie. Mais le ciel n'était pas aussi noir, le vent pas aussi fort. Les arbres ne ployaient pas sous sa force, la pluie ne se déversait pas sur les marais. Il se détendit : ce n'était qu'une averse habituelle, digne d'un mois de septembre.

- Je pense que ça ne dura pas. Reprenons la route dès que ça se calme.

En cours de route

Rosen feat Alaric

Suite à ma phrase bateau, le garde m’a expliqué que c’est ce que Sydonnie lui a dit aussi. Qui est Sydonnie ? Aucune idée, mais cela n’a aucune importance. Il m’a ensuite dit lorsque je lui ai raconté que moi non plus, je n’ai rien pu faire, que je suis revenue avec Hector et que c’était le plus important.

Que répondre à ça ? Rien. Il ne sait même pas ce qu’il s’est passé ce soir là. J’ai juste fait la moue puis, le temps n’étant pas au beau fixe, nous nous sommes contentés d’accélérer et de passer au galop pour nous abriter à Balazuc et fuir la pluie.

En attendant, nous voilà coincés dans cette ruine. On a le choix entre rester silencieux pendant un temps pouvant potentiellement se révéler bien long, ou essayer de le faire passer plus vite en faisant l’effort de parler. Je veux bien faire cet effort, si seulement j’avais la moindre idée de quoi dire.

« Si tu savais ce qu’il nous est arrivé ce soir là, tu serais sans doute moins optimiste. »

En plus, depuis cette histoire , il a suffit d’un voyage pour que ça vole en éclat avec Hector. Alaric ne se sent certainement pas concerné – quoi de plus logique après tout - sans quoi il se serait sans doute passer de sa réponse. Rien ne va plus et si j’ai tenu pendant des lunes à Sombrebois malgré que je suis incapable de m’y sentir chez moi, c’était bien pour Hector. Et maintenant, si même Hector se met à ne plus me supporter ?

Les choses ne sont plus comme avant. Pourront-elle le redevenir un jour ? Quand j’essaie de me projeter dans l’avenir, je m’imagine revenant de la chasse, avec mon gibier sur l’épaule, débarquant au milieu d’une joyeuse réunion familiale. Des rires, des histoires drôles. Des blagues.

Tout le monde se tait alors en me voyant arriver ; mon bébé dans les bras de n’importe qui - le cousin de Hector, sa prêtresse… pourquoi pas tiens ! Tout le monde se disperse ensuite et je reste seule, en haut des remparts à allaiter. Je soupire en secouant ma tête pour chasser ses pensées négatives dans un pincement au cœur. L’avenir me paraît de plus en plus sombre…

Je fixe le ciel de part l’ouverture du toit écroulé. Que la pluie cesse vite…

« Faudrait vraiment qu’on arrête de voyager par un temps pareil. Faut croire qu’on cherche vraiment les ennuis, à force. »

Après un moment de silence je lui demande finalement :

« Bon et sinon, tu leur veux quoi à ces rescapés ? Tu veux proposer ton aide pour les soigner ? »

Alaric se retourna vers Rosen et la toisa quelques secondes. Optimiste. Encore ce joli adjectif accolé à sa personnalité. Il rit, ses pensées tournées vers ce qu'il avait vécu de son côté dans les marais. Malgré la tempête, le froid, l'eau qui manqua de le noyer à plusieurs reprises, malgré l'homme qu'il avait dû abattre, le cadavre qu'il avait vu flotter... Malgré la peur qu'il avait lue dans les yeux de Sydonnie, malgré les forces qui l'avaient abandonnées... Oui, il était demeuré optimiste. Il y avait cru.

- Je ne sais pas ce que vous avez vécu, mais moi aussi, j'ai manqué de mourir à plusieurs reprises. Pris dans la tempête, bloqué dans un couloir souterrain, immergé dans l'eau gelée...

Il marqua une petite pause et se détourna de la blonde, fixant ses yeux bleus sur l'horizon gris. La pluie dégoulinait le long des ruines, s'écrasaient contre les murs encore debout, portée par le vent. De nuages noirs s'amoncelaient au-dessus de leurs têtes. Quand ils auraient continué leur chemin, le duo pourrait en faire de même.

- Mais j'étais persuadé d'en revenir vivant. Ce n'était pas mon heure... c'est ce que j'ai cru au début. Puis la situation a empiré... Et j'ai pensé que les Trois m'ordonnaient de profiter de chaque minute chaque instant, car tout pouvait s'arrêter si vite...

Il hocha la tête, convaincu par ses propres paroles. Il ne savait pas très bien si la baronne de Sombrebois serait réceptive à ses paroles, mais lui-même appréciait de les prononcer à voix haute. Il avait beau avoir relaté les événements à Hilde plusieurs fois, il n'avait jamais pu prendre le recul nécessaire pour évaluer ce qu'il avait réellement ressenti.

- Alors, peut-être que toi aussi, tu dois juste profiter d'être encore là...

Il se tut et flatta l'encolure de Bravoce, lui murmura quelques paroles apaisantes. Il ne répondit rien à la blonde, se contenant de hausser les épaules. Il souriait presque en imaginant Sydonnie le sermonner, apprennant qu'il avait fait la route par ce temps. Et toi alors, aurait-il répondu... S'il la revoyait, bien sûr. Si elle était vivante...

- Ces gens n'ont plus rien... Et nous, nous avons besoin de bras pour reconstruire le bourg. Certains seraient peut-être d'accord de rejoindre Sombrebois. En tout cas, je pense qu'il faut essayer.

En fait, il ne savait pas à quoi s'attendre. Il n'avait plus mis les pieds à Marbrume depuis plusieurs mois, la ville avait-elle changé ? Et ces fameux rescapés, étaient-ils nombreux, quel âge avaient-ils ? Oui, Alaric voulait aller voir par lui-même ce qu'il se passait à Marbrume. Il était curieux bien sûr, mais il y voyait également un intérêt pour aider à la reconstruction du bourg.

- Et puis, cela fait longtemps que je ne suis plus allé à Marbrume... J'aimerais voir comment ça se passe, là-bas...

En cours de route

Rosen feat Alaric

Le garde m’a soudain regardée étrangement pendant un court instant. Quoi, j’ai dit quelque d’offensant ? Puis alors que je me suis rembrunie en haussant un sourcil, il s’est mis à rire.

Je ne comprends pas. Je me demande soudain s’il se moque de moi, mais il se met à me raconter sommairement ses mésaventures pendant la tempête et sincèrement, je trouve ça doux. Très doux, comparé à ce que moi j’ai pu vivre deux jours auparavant. Je l’écoute ensuite me raconter ce qu’il attendrait des rescapés.

« On a tous échappé à la mort d’innombrables fois, dis-je en m’adossant contre le mur, me tenant les coudes et croisant les jambes. En tout cas pour ma part, j’y suis habituée. Regarde ce monde. On peut mourir chaque seconde, si tôt l’on met un pied en dehors de chez soi. Les bandits, les fangeux, le climat... »

Je me gratte ma cicatrice pensivement.

« C’est habituel à notre époque et si je pouvais échanger ce drame que j’ai vécu avec ta mésaventure lors de la tempête – à laquelle j’ai moi même été confrontée d’ailleurs – je ne me ferais pas prier pour accepter. Mais tu ne peux pas comprendre parce que tu ne l’as pas vécu et tu n’as aucune idée des répercussions que je dois subir depuis. La différence entre toi et moi, vois-tu, c’est que moi, j’aurais préféré trépasser mais malheureusement, je suis encore là. Dommage. Ça n’aurait pas été plus mal que je disparaisse. »

Non, il n’en a aucune idée et c’est très bien ainsi. Je ne veux ni un soutien potentiel, ni sa compassion et encore moins sa pitié. De toute façon, il ne fait que me tolérer parce qu’il n’a pas le choix, alors je ne risque pas d'avoir quoi que ce soit de bienveillant de sa part.

Il n’y a aucun lien entre nous qui pourrait justifier que je veuille me confier. Même Hector, je n’en suis plus capable. Alors je ne vois pas pourquoi je voudrais lui expliquer.

Ça serait surtout prendre le risque que cette histoire s’ébruite et que la milice vienne un beau jour nous chercher Hector et moi. Oui, on sait comment ça se passe. Je vais le raconter à Alaric, qui va le raconter à Hilde, qui va le raconter à tout le château, qui lui même va le raconter à tout le bourg… qui va le raconter à toute la capitale.

« Dis moi… Hector t’a-t-il raconté ce qu’il nous est arrivé ce soir-là ? »

Si ça se trouve, il le sait déjà mais il ne veut pas le dire… Ça ne m’étonnerait pas que Hector lui ait raconté quelque chose. Après tout, il a bien voulu en parler à notre arrivée, et il l’aurait fait si je ne l’avais pas arrêté.

- Vrai qu'on est habitué à côtoyer la mort... C'est devenu naturel. Or, je pense que l'on devrait cesser de rendre... tout ça banal.

Alaric l'écouta néanmoins poursuivre ses dires. Bien sûr, les mésaventures de Rosen et d'Hector avaient dû être bien pires que la sienne. Son ton condescendant le fit soupirer, et il n'ajouta rien. Il savait d'avance que relater son histoire était inutile, que Rosen n'en aurait cure. Pour elle, il avait passé une promenade de santé dans les marais. Ben tiens... Il aurait bien voulu l'y voir, enceinte, à essayer de plonger dans l'eau gelée, forcer une porte contre courant... Son expérience à elle avait dû être bien plus traumatisante, il n'en disconvenait pas. Plus difficile, en revanche, il n'en était pas certain.

- Tu ne voulais pas vivre pour Hector ? Moi, je voulais au moins vivre pour protéger Sydonnie.

Cette volonté l'avait aidé à s'en sortir. De même, il savait que la sergente avait tout mis en oeuvre pour le sauver lui, elle lui avait répété plusieurs fois, mais ses actes avaient parlé d'elle-même. Elle avait bravé sa peur de l'eau, avait cessé d'hésiter et avait plongé, leur dégotant leur instant de répit. Si tous deux avaient voulu mourir... Et bien, ils ne seraient pas sortis vivants de ces étranges labyrinthes souterrains.

La blonde semblait inquiète qu'il puisse connaître la vérité, que le baron ait pu lui raconter toute cette histoire. Alaric nia cependant, secouant sa tête de droite à gauche.

- Non, j'ai bien vu que vous étiez... abattus. J'ai pensé que s'il voulait m'en parler, il saurait où me trouver.

Le soldat n'était pas du genre à questionner, surtout lorsqu'il ne s'agissait pas de ses affaires. C'était un sujet bien trop vif, sensible et personnel pour qu'il ose en discuter avec le maître de Sombrebois. D'abord, il fallait leur laisser prendre du recul, prendre conscience de ce qu'ils avaient vécu. Un jour, peut-être qu'Hector se confierait. Qu'il le fasse ou non n'avait guère d'importance aux yeux d'Alaric : tant que le baron s'en remettait, c'était le principal. Et s'il avait besoin d'une oreille attentive, il savait qu'il pouvait compter sur lui.

Le jeune homme balaya les ruines du regard. Ils étaient venus s'abriter dans les restes de Balazuc, mais ce détour les avait éloignés de la mer. Il n'aimait pas – plus – être ainsi à la merci de fangeux qui pourraient rôder dans les parages.

- Je n'aime pas rester ici par ce temps.

Il sortit une flèche de son carquois, qu'il arma, arc en main. Il ne percevait aucun bruit suspect ou étrange, mais le bruit des gouttes de pluie s'abattant sur les herbes et les bâtiments emplissait l'air, amoindrissait les sons plus éloignés. Dès que l'averse serait passée, il filerait à nouveau vers la mer. De là, il remonterait vers Marbrume. Non, frôler la mort ne devrait plus être naturel. Sa survie ne tiendrait plus du miracle, mais de son comportement sensé.

En cours de route

Rosen feat Alaric

« Tu ne voulais pas vivre pour Hector ? Moi, je voulais au moins vivre pour protéger Sydonnie.
- Si, bien sûr que si… lui réponds-je après qu’il m’ait confirmé ne rien avoir appris. Sur le moment, je voulais vivre… Mais c’est surtout lui qui a dû survivre pour me sauver. Mais maintenant je préférerais être morte que de devoir vivre avec ça. »

Je me tais un instant. J’aimerais tellement pouvoir en parler, mais je suis condamnée à vivre avec ce fardeaux sur les épaules. La seule personne a qui je peux me le permettre c’est Hector, et au vu des conflits préoccupants que ce sujet a soulevé quand j’ai essayé, c’est mieux que nous n’en parlions plus jamais. Alors je ferais mieux de me résigner et d’éviter d’en dire plus à mon actuel compagnon de voyage.

Et puis de toute façon encore une fois, à quoi bon me confier à une personne qui doit me mépriser au fond d’elle. Au mieux j’aurais quoi, de la pitié ? Je ne veux pas de sa pitié. Cela m’avancerait à quoi ?

Je soupire et me contente de hausser les épaules lorsqu’il se plaint du temps. Il pleut oui et alors ? La pluie finira bien par s’arrêter à un moment ou à un autre. D’ailleurs, il ne pleut pas beaucoup. Je le regarde armer son arc. Je lui dirais bien que ça serait totalement inutile fasse à un fangeux, mais je préfère ne pas rajouter de la tension.

« Tu n’as pas voulu vivre pour retrouver Hilde ? je lui demande ensuite pour rapidement changer de sujet. Pas que je veuille te critiquer, mais généralement on pense à la personne que l’on aime dans ces moments-là où on ne sait pas si on la reverra un jour. Enfin je crois, non ? Moi c’était le cas en tout cas. J’imagine bien que tu as dû penser à elle, mais ça fait bizarre de t’entendre dire que c’est pour une autre que tu as voulu survivre. »

C’est vrai. Moi, c’est bien à Hector que je pensais pendant toute cette folie. Je ne savais pas s’il s’en sortirait. Je ne savais pas si j’allais survivre. Je ne savais pas le moins du monde ce que nous allions devenir.

Je n’ai pensé à personne d’autre, pas même aux autres victimes qui étaient pourtant dans le même bateau, si je puis dire. Même si ça ne m’a pas empêché de vouloir sauver le bébé… Bébé qui est finalement et rapidement mort dans mes bras sur le chemin du retour.

Elle aurait préféré mourir... Oui, Alaric pouvait concevoir cette idée. Il hocha simplement la tête, peu désireux de faire renaître des pensées obscures chez la blonde. Cette dernière n'avait pas l'air de comprendre qu'une telle météo soit dangereuse pour les humains qu'ils sont. La vue floutée par l'obscurité, les sons diminués par la pluie, ils étaient des proies faciles pour les créatures qui rôdaient dans les marais. Il était vrai qu'il n'avait pas toujours été prudent : en les gestes désinvoltes de Rosen, il se reconnaissait. Si je dois mourir, il en sera ainsi. Mais Alaric ne se fichait plus de mourir, désormais.

- Tu n’as pas voulu vivre pour retrouver Hilde ?

Le coeur d'Alaric rata un battement. Il se revoyait dans la tour, au début de la nuit, laissant cuir son canard sur la broche. Il avait parlé d'Hilde à Sydonnie, il lui avait dit qu'il espérait vite la revoir, retrouver Sombrebois.

- Bien sûr que j'ai pensé à Hilde.

Et après son évocation dans la tour ? Cette dernière s'était effondrée, ils avaient plongé dans les souterrains gelés, et son assurance s'était évaporée. Il n'y avait plus eu que eux deux. Et le monde s'était arrêté de tourner.

- Seulement... je n'étais tellement plus sûr de revenir vivant. Je ne pensais qu'au moment présent. Et à ce moment-là, il y avait Sydonnie.

Il n'empêche, qu'est-ce qui l'avait empêché de dire à Rosen : « je voulais vivre pour Hilde » ? Quand il avait formulé cette phrase à voix haute, il n'avait pas pensé à la bucheronne, il devait se l'avouer. Sans s'en rendre compte, Rosen venait de provoquer chez lui une véritable remise en question : celle qu'il essayait d'éviter depuis des jours. Depuis son retour.

D'un côté, Hilde lui promettait un couple stable, il savait qu'elle avait des sentiments pour lui, après tout, c'était elle qui avait fait les premiers pas. Avec elle, il avait appris à s'attacher de nouveau aux gens, à faire confiance. D'une certaine manière, Hilde l'avait guéri... Et pour la remercier, il avait le sentiment de la tromper. Il se sentait horrible pour cela, mais il ne pouvait empêcher ses sentiments de parler. Plus maintenant.

Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu que la pluie s'était presque arrêtée. C'est le silence des marais qui le ramena à la réalité.

- Il ne pleut plus.

Phrase inutile sans aucun doute, Rosen n'était pas aveugle.

Alaric monta sur Bravoce et fit signe à la blonde de reprendre leur route. Allait-il vraiment à Marbrume pour les rescapés du navire ? Ou pour espérer revoir la sergente de ses souvenirs ?

En cours de route

Rosen feat Alaric

J’écoute mon compagnon de voyage me dire que ne pensant pas revenir vivant, il s’est focalisé sur l’instant présent, et donc sur Sydonnie. Est-ce une explication logique ? J’ai du mal à savoir.

« Donc toi quand tu n’es plus sûr de revoir celle que tu aimes, c’est vers celle qui est à côté de toi que tu te tournes ? Au risque de vraiment te paraître agaçante, je crois qu’il y a un problème quelque part. Tu vois là, on va repartir, il y a de grosses chance que l’on croise des revenants vu le temps… Je peux t’assurer que c’est à Hector que je penserais si ce moment arrive et non à toi, dussé-je vivre une folle épopée à tes côtés. Pas que je sois totalement indifférente à ce qu'il pourrait t'arriver, mais je serais trop préoccupée par mon propre avenir. »

Malgré tout ce qu’il s’est passé et les déchirures, ça reste mon époux et ça reste l’homme que je suis censée aimer alors oui, ça serait bien à lui que je penserais si je risquais de rendre mon dernier souffle. Je n’ai aucun doute sur le fait que mes pensées resteront rivées vers lui. Lorsque Alaric signale qu’il ne pleut plus et retourne sur sa monture, je vais ouvrir la porte puis je retourne sur FrouFrou sans perdre mon temps à signaler qu’il serait plus prudent d’attendre encore un peu.

Si la pluie fait sortir les fangeux, c’est que l’humidité leur plaît. Et l’humidité reste encore un moment après la pluie. Mais ce n’est pas comme si mon instinct de survie était des plus puissants en ce moment.

« Après c’est peut-être juste moi aussi qui suis comme ça… il me semble que je ne fonctionne pas comme vous autres. Ça se voit d’ailleurs je crois… n’est-ce pas ? »

Oui ça se voit aucun doute. Il faut dire que j’ai du mal avec les rapports humains et que la seule personne à ce jour qui a su éveiller en moi de l’intérêt, c’est Hector. Ça pourrait être un début d’explication…

« Et cette Sydonnie dont tu me parles… tu l’as rencontrée dans la tempête ou tu la connaissais déjà avant ? Tu tiens à elle ? »

J’essaie de comprendre mais je crois que les émotions me dépassent encore. Même si c’est quelque chose que j’ai fini par intégrer, ça reste un monde nouveau à explorer et à dompter. Un monde bien différent de celui que je connaissais avant. Un monde déroutant qui nous fait nous sentir tantôt intouchable, tantôt dans une faiblesse déconcertante.

Il écouta son long monologue sans broncher. Il n'avait même pas besoin de l'écouter, il savait qu'elle avait raison, car il se répétait exactement la même chose. Sauf que dans ses pensées, il pouvait faire taire ces paroles, ces questions. Énoncées à haute voix par Rosen, c'était différent. Tout prenait un sens, un sens qu'il aurait voulu éviter. Alaric raffermit sa prise sur les rênes de Bravoce à s'en blanchir les jointures des doigts. Il ne disait rien, mais il se sentait bouillonner au fond de lui. Ne pouvait-elle pas se taire ? Quand elle s'arrêta de parler, ce n'était que pour reprendre la parole quelques secondes plus tard, arguant qu'elle n'était pas comme tout le monde. En temps normal, il l'aurait taquinée, se serait gentiment moqué. Mais il était si préoccupé qu'il ne dit rien ; il l'avait à peine entendue.

- « Et cette Sydonnie dont tu me parles… tu l’as rencontrée dans la tempête ou tu la connaissais déjà avant ? Tu tiens à elle ? »

Il se figea sur sa selle et la dévisagea.

- Non, je ne la connaissais pas avant.

Articuler ces simples paroles lui coûtaient plus qu'il ne l'aurait cru. Et ensuite ? Il devait aussi répondre à la seconde question. S'il lui disait qu'il tenait à elle, comment Rosen interpréterait ses paroles ? Elle risquait de ramener Hilde sur le tapis... à juste titre, non ? Mais d'un côté, il pouvait lui mentir, et lui dire que non, il n'en avait rien à faire de Sydonnie ! C'est vrai, elle n'en avait fait qu'à sa tête après tout, elle avait préféré fuir le confort de Sombrebois, le fuir lui, et affronter seule les marais et la fange. Ah !

- Tu sais quoi ? Oui, je tiens à elle ! Si ça se trouve, elle est morte dans les marais. Et je n'aurais rien pu faire !

Il hurlait presque, sans doute pas la meilleure idée. Il risquait d'attirer une panoplies de créatures à leurs trousses.

- Et si je vais à Marbrume, c'est aussi pour m'assurer qu'elle va bien.

Il se tut, Bravoce ralentissant également le rythme, de telle sorte que le soldat était au même niveau que Rosen.

- Et je l'ai dit à Hilde, mais elle ne me croit pas, et ça me tue car j'aimerais qu'elle me fasse confiance, sauf que... elle a peut-être raison de douter...

Son coeur battait vite, il avait l'impression d'avoir couru une longue distance, comme si son souffle traînait. Il maugréa quelque chose d'incompréhensible puis intima à sa monture d'augmenter la cadence. Rejoindre la mer, sa priorité.

- Désolé. C'est à moi que j'en veux, pas à toi.

En cours de route

Rosen feat Alaric

Je crois qu’il serait bon de changer de sujet parce que plus on parle et plus Alaric se renfrogne et me jette des regards désagréables. Il se met même à hausser sérieusement le ton, se mettant presque à crier pour dire que non il ne la connaissait pas avant mais que oui il tient à elle. Je hausse un sourcil.

D’accord… le voyage va vraiment être sympathique à n’en point douter. Et je l’écoute parler de Hilde, douter, s’excuser.

« C’est pas la peine de crier… T’as le droit de tenir à elle et de vouloir t’assurer qu’elle aille bien, ce n’est pas un crime… »

Il fut un temps où j’aurais profité de cette occasion pour le descendre et l’enterrer sous terre. Mais à quoi bon. Et puisque je suis forcée de faire ce voyage avec lui, autant faire en sorte que ça se passe au mieux. Même si j’ai assez de mes propres soucis et que personne ne m’aide à moi.

« Donc si je comprends bien, tu ne sais plus où tu en es et tu te sens perdu entre deux femmes. A l’avoir su, je ne me serais pas ennuyée à te faire aller vers Hilde. »

J’évite de ramener une nouvelle fois le sujet sur moi pour lui dire que moi je sais bien que c’est Hector que je veux et pas un autre. Ça n’apporterait rien de bon dans ses doutes et je n’ai pas envie de parler de moi. Et puis, rien ne va plus avec mon époux, alors…

« Ce serait bien que tu fasses le point pour savoir où tu en es. Sydonnie, elle tient à toi aussi ? Parce que Hilde tient à toi, elle. Donc autant ne pas gâcher votre histoire pour une femme qui ne tiendrait pas à toi. Sinon si c’est le cas… Je crois que tu vas devoir faire un choix. »

Je regarde les arbres devant moi qui ont commencé à perdre leurs feuilles, puis je reprends :

« Mais réfléchis bien. Ça fait combien de temps que tu connais Hilde ? Tu la connais bien. Toujours mieux qu’une femme que tu n’as vu que le temps d’une tempête, non ? Tu as eu le temps de créer un attachement avec Hilde. Tu as vécu avec elle de nombreuses lunes. Si tu décides d’aller vers Sydonnie que tu ne connais pas, c’est prendre le risque qu’à l’un de ces jours, tu te rendes compte qu’elle n’était pas pour toi et que tu auras tout gâché. »

Je crois que je ne suis pas en train de l’aider le moins du monde. Tant pis, je ne fais dire que la vérité après tout. La seule chose que je trouve à dire pour le tranquilliser c’est tout simplement ça :

« Si tu ne sais pas quoi faire, rien ne te force à prendre une décision dans l’heure… Tu as la vie devant toi. Tu n’es engagé avec personne il me semble, alors tu peux toujours faire le choix qui te paraît le plus convenable quand tu seras sûr de toi. »

Ah, les gens… arriver à se torturer juste parce que l’on ne sait pas choisir entre deux personne quand à côté tu as une pauvre hérétique qui a détruit le salut de son âme… Je soupire. Les gens manque de maturité je crois.

- A l’avoir su, je ne me serais pas ennuyée à te faire aller vers Hilde.

Il lui jeta un regard noir avant de secouer la tête. Il fallait toujours qu'elle ramène tout à elle... Franchement, pour ce qu'elle avait fait, en plus, y'avait pas de quoi se jeter des fleurs. Heureusement, son ton se radoucit et Alaric en fit de même. Il écouta avec plus d'attention ses paroles qui n'étaient pas dénuées de sens. Bien sûr, Rosen ne faisait que répéter ce qu'il savait déjà, mais le fait de lui dire le poussait à réellement faire le point.

Est-ce que la sergente tenait à lui ? Bonne question... Vu comme elle avait fui le bourg de Sombrebois, quelques jours plus tôt, il n'en était pas certain. Cependant, il ne pouvait oublier les gestes tendres qu'elle avait eu à son égard, consciente ou non. N'avait-elle pas trouvé le sommeil uniquement lorsqu'elle s'était blottie contre lui ? Mais cela aurait pu être n'importe qui... Elle avait juste besoin de quelqu'un et c'est tombé sur moi. Il aurait voulu que ce soir plus que ça.

- Il faudrait que je sache ce qu'elle ressent pour moi, tu as raison. Je profiterai de mon séjour à Marbrume pour lui parler... Si elle vit toujours.

Après tout, il n'avait jamais eu de ses nouvelles : comment aurait-il pu en avoir ? De toute façon, il devait en avoir le coeur net, faire un choix comme le suggérait Rosen.

- Choisir, c'est le problème.

Le coeur ou la raison ? Depuis le temps, Alaric se connaissait. Il savait très bien lequel des deux il voulait suivre.

- On a vécu tellement de choses cette nuit-là, j'ai l'impression de bien la connaître, déjà... Dis-moi, Rosen : dois-je vraiment me préoccuper de ce qui pourrait arriver dans le futur si je me trompe ? Alors que tout peut si vite s'arrêter... Ne devrais-je pas simplement profiter de l'instant, faire ce que je veux ?

D'un côté, cela sonnait comme un gamin égoïste. Ce n'était pas tout à fait faux. C'était pourtant la conclusion à laquelle il était parvenu, manquant de mourir dans la tempête. Se sentir vivant simplement, ne plus se torturer sur les erreurs qu'il avait commises, sur celles qu'il craignait de faire.

La dernière phrase de la blonde le fit sourire. « Tu as la vie devant toi », qu'est-ce qu'elle en savait ? Ne venait-elle pas de dire qu'effleurer la mort était habituel, dans ce monde ?

- Je n'ai pas l'impression que Hilde me le laisse, ce temps.

Il marqua une pause avant de s'expliquer.

- Elle attend de moi de fonder une famille. Elle voudrait une vie stable. Comment fait-on pour mener une vie stable dans un monde qui est devenu fou ? Je ne peux lui offrir ce qu'elle attend de moi pour l'instant. Je sais que je la déçois, qu'elle veut plus. Elle m'attend.

Et Sydonnie... Elle ne lui avait pas donné l'impression d'attendre la moindre chose de lui. Tous les deux... c'était comme s'ils s'étaient acceptés, leurs défauts avec, sans en pâtir.

- Euh... Je suis désolé, Rosen. Je n'ai pas pour habitude de parler de ce genre de choses... Hé, tu vois que tu sais être une bonne confidente, plaisanta-t-il afin de détendre l'atmosphère, de rattraper les tensions qu'il avait créées.

Un peu brusque et chiante dans son approche la confidente, mais il n'allait pas gâcher l'instant et le lui dire. Même s'il aurait pu, juste pour l'embêter.

Ils regagnèrent la plage sans encombres, la pluie ayant complètement cessé de tomber. Le ciel demeurait sombre, cependant, et le soldat devinait une nouvelle averse. Au pire, ils s'abriteraient à nouveau à Piana, s'ils atteignaient les ruines à temps. Demain, juste avec le coucher du soleil, il espérait poser ses pieds derrrière les murailles de Marbrume.

Les sabots de Bravoce laissaient des empreintes dans le sable humide, Alaric n'aimait pas l'idée de laisser tant de vestiges de leur passage. Néanmoins, il se rassura en pensant que les vaguelettes remonteraient suffisamment pour les effacer. Toute cette histoire l'avait distrait, mais désormais, il était bien décidé à reprendre la route le coeur un peu plus léger.