[Terminé]En cours de route [Ft. Rosen de Sombrebois]

Alaric ne vit pas la flèche tirée par Rosen. Tout ce qu'il vit, c'est le sang éclaboussé sur le visage de la victime, ses yeux hagards, vides avant que le corps, inerte, n'ait touché le sol. La scène s'était déroulée au ralenti, il avait perçu le dernier battement de coeur du présumé pirate, la vie l'avait quitté si vite. Avait-il eu seulement le temps de crier ? Alaric ne savait pas. Dans sa bulle, les sons semblaient volatilisés, bloqués par la barrière psychologique qu'il avait dressée inconsciemment.

En gestes lents, il descendit son arc, cessant de tenir en joue sa cible, écroulée. Le trait de la blonde ne l'avait pas loupé : fichée dans le crâne, il ne lui avait laissé aucune chance. Alaric rangea sa flèche dans son carquois puis passa son arme dans son dos. Il s'abaissa et ferma les yeux de l'homme en prononçant une brève prière à son égard. Pirate, brigand, bandit... Anür déciderait de leur sort dans son monde. Tous avaient cependant droit d'y accéder en bonne et due forme.

Il entendit Rosen le rejoindre, elle parlait mais ses paroles s'écrasaient sur les murs de sa bulle invisible. Comme s'il avait la tête sous l'eau, les sons étaient plus lourds, provenaient de loin, trop loin pour qu'il puisse en saisir le sens. Il l'ignora purement et simplement avant de sortir de la bâtisse. Là, il accorda les mêmes gestes à sa première victime.

- Je ne les laisse pas là.

Rosen pouvait faire ce qu'elle voulait, il s'en moquait. Il ne pouvait laisser des cadavres moisir sur les planchers délabrés. Les brûler, voilà ce qu'il devait faire. On n'était jamais trop prudent, ne risquaient-ils pas de se relever, plein de griffes, de crocs et de longs râles menaçants ? Il entreprit donc de déplacer les corps, de faire un tas à l'extérieur, prenant garde à un éventuel réveil non désiré. De silex qu'il gardait toujours dans sa besace, il alluma un feu. Petite étincelle, celle-ci mordit d'abord une vieille tunique avant de s'étendre, de dévorer chairs et vêtements. Assis face au bucher, Alaric aiguisait sa dague, l'air absent.

- Je prends le premier tour de garde, lui dit-il (cria-t-il, si jamais elle est retournée à l'intérieur du bâtiment)

En cours de route

Rosen feat Alaric

Il aurait bien entendu pu m’engueuler – après tout, il l’avait en joue, et s’il estimait qu’il devait mourir, il l’aurait probablement tué lui même. Mais non, il reste immobile, ou presque, se contentant de baisser puis ranger son arme avant de se baisser lui même pour procéder à un semblant de funérailles éclair. Meh… Évidemment, il ne répond pas à ce que je lui ait dis non plus.

Il semble quelque peu déphasé. Je n’irais pas jusqu’à dire en état de choc puisque il arrive encore à réagir. Mais il est clairement affecté par quelque chose. Un ancien milicien qui est perturbé par la mort ? Mouais… cela me paraît peu probable, à moins qu’il ait finit accidentellement dans la milice et qu’il ait été la risé de tous. Auquel cas, il n’aurait pas finit dans la garde de Sombrebois… Beh, cela n’a aucune importance après tout.

Comme il ne me répond toujours pas, je me décide donc à descendre pour le rejoindre comme il y retourne dehors. J’espère qu’il ne va pas traîner car j’aimerais autant pas recroiser des fangeux.

Le voilà à présent qui allume un bûcher – pourquoi pas tiens, avec un peu de chance on va n’attirer qu’une demi dizaine de fangeux – et qui s’assied pour aiguiser sa lame après m’avoir fait entendre qu’il voulait s’occuper des corps.

Mordiable…

« Je prends le premier tour de garde, me lance-t-il.
- Pas que je veux t’emmerder mais… tu crois pas qu’on devrait rentrer à l’intérieur ? La nuit tombe… et avec ton feu on va attirer pas mal de choses, et pas juste des moustiques… on ferait mieux de se barri… ba… ba.. baricader… »

Putain. Sa joue… C’est une blague. Je fixe sa joue complètement hallucinée.

« Ta joue... »

Je retiens ma main que j’allais porter instinctivement à mon visage.

Quoi, lui aussi maintenant il se fait balafrer la joue ?! C’est quoi ça encore, un pied de nez du destin ? Un signe ? Ca me poursuit ou quoi ?! Chiabrena ! Je me demande si ce ne sont pas ces hommes – ou d’autres en lien avec eux – qui étaient en train de s’occuper des cordes… Bon, d’accord, je me calme et je respire un grand coup. Faut pas que je psychote non plus… Ces types n’ont rien à voir. C’est évident… Mais une ribambelle de souvenirs poignants remontent brusquement en surface.

L’air pue trop pour me permettre de respirer correctement, c’est horrible. L'air me manque...

Alaric observait sans les voir les flammes lécher les corps des bandits. Une odeur de chair brûlée emplissait l'air. Le fumet qui s'en dégageait ressemblait, à s'y méprendre, à celui d'un cochon grillé... L'idée, plus que dérangeante, suffisait à lui donner des haut-le-cœur.

- Je vais rentrer, affirma-t-il à la blonde qui l'avait rejoint dehors.

Il avait simplement eu envie, un instant, de se poser. Être confronté à la mort, même s'il se persuadait de ses bonnes intentions, le déroutait toujours, lui rappelait à quel point la vie était courte. Pour ces pirates d'autant plus. Certes, c'était eux ou lui mais... Qui était-il pour décider ? Il soupira et rangea sa dague à sa ceinture. Il dévisagea la blonde avant de s'en détourner. Visiblement, tous n'avaient pas les mêmes scrupules face à la vie et la mort. Il se demanda si, un jour, lui aussi pourrait tuer quelqu'un de sang-froid, sans aucune culpabilité.

- À l'étage, on devrait être en sécurité. Tu crains peut-être que des fangeux soient attirés mais... Moi, je craignais que ceux-là se relèvent. On n'est jamais trop prudents.

Et le feu était une technique qui avait déjà fait ses preuves alors... Il n'avait pas réfléchi plus loin.

- « Ta joue... »

Quoi, sa joue ? Il porta ses doigts sur son visage, surlignant les contours de la balafre qu'il avait reçue. La flèche l'avait effleuré tout à l'heure, l'adrénaline lui avait fait oublié cette blessure. Désormais, des picotements désagréables emplissaient sa joue meurtrie.

- Ce n'est rien.

Il l'avait dit sur un ton neutre, avait même haussé les épaules, signifiant qu'il s'en sortirait, y'avait pas de quoi s'en faire. Mais il trouvait le regard de Rosen alerte, comme si elle était vraiment inquiète. Il fronça les sourcils et secoua la tête.

- Je t'assure, la flèche m'a juste effleuré...

Maintenant qu'il y pensait, il était étrange que cette minuscule cicatrice inquiète tant la baronne de Sombrebois. Il devait y avoir autre chose. Elle semblait s'être perdue dans des pensées trop profondes, des souvenirs auxquels Alaric n'avait pas accès.

- Bon, je rentre. Fais attention à toi.

Et il s'engouffra dans la bâtisse. Avant de monter à l'étage, il s'approcha de Bravoce et le caressa. Depuis la mort des trois assaillants, les chevaux avaient cessé de piaffer, mais Alaric mettait un point d'honneur à les calmer, les rassurer. Il attrapa ensuite quelques affaires – des provisions et une couverture – puis utilisa l'échelle. Ils étaient bons pour passer la nuit ici, et cette dernière pouvait se révéler longue... Autant s'y préparer au mieux.

En cours de route

Rosen feat Alaric

Alors que je reste plantée devant Alaric, ce dernier me dit qu’il va rentrer, qu’il va bien et me dit de faire attention à moi, tournant les talons pour retourner à l’intérieur. Ouais, voilà. Il pourrait tout aussi bien me dire ouvertement que ma présence l'insupporte que ça ne serait pas bien différent.

Je soupire en regardant le feu brûler quelques instants. Je pourrais m’allonger ça et toutes ces conneries seraient finies. Mais sans doute que de l’autre côté, avec tout ce que j’ai pu faire, je ne risque pas d’avoir une belle après-vie… Non, je ferais mieux de trouver un moyen d’expier tout le mal que j’ai pu faire avant. Ça sera toujours mieux…

Je finis par retourner à mon tour à l’intérieur et monte à l’étage. Mon compagnon de voyage n’a sans doute pas nécessairement envie d’avoir à endurer ma compagnie, alors je vais m’allonger non loin sans lui adresser la parole. Non, je n’ai plus l’envie d’emmerder mon monde. J’ai juste envie d’avoir la paix. Mais combien de personnes ai-je emmerdées qui avaient pourtant l’envie qu’on leur foute la paix ?

Ma bougie posée à côté de moi, j’expire de lassitude en regardant comme bien souvent la flamme vaciller. Je sens que je vais avoir du mal à dormir… Je me demande si Hector dort ou pas. Si je lui manque ou pas et je repense à cette stupide dispute.

Hector semble être passé à autre chose. D’ailleurs, il semble avoir cette incroyable faculté à passer à autre chose à une vitesse fulgurante. C’est un atout indéniable et ça peut m’être bénéfique, pour peu qu’il ne me délaisse pas à une vitesse toute aussi fulgurante. J’ai l’impression que c’est à double tranchant...

La flamme brille fine et haute, stable au dessus de son pilier de cire. Dire que j’avais décidé de me passer de lumière la nuit… ça n’aura pas duré longtemps. Il a suffit que Hector veuille m’abandonner pour que mes angoisses nocturnes reprennent le dessus. Je ne sais combien de temps s’écoule pendant que j’essaie de dormir. Je sais juste que j’ai du mal à trouver une position confortable et je ne cesse de me retourner dans les sens. Les soucis, l’inconfort, tellement de tracas.

Alaric lui, ne dit pas un mot. Il y a bien un moment où je sens le sommeil approcher timidement, mais un maudit moustique me fait sursauter brusquement et me retourner une fois de plus en me recouvrant la tête de la couverture après avoir essayé de l'écraser en tapant dans mes mains. Bordel ! Je grogne et maugréé après cet insecte infernal. Je crois que ma nuit est foutue…

Enveloppé dans sa couverture, Alaric guettait les environs, hésitait à remonter sur le toit. La température chutait aussi vite que la course du soleil et le ciel, noir et couvert, annonçait une nouvelle averse. Pas sûre qu’il y verrait mieux là-haut et puis, il préférait rester au chaud. Finir trempé dans les marais… Non, plus jamais.

Si d’aventures des créatures pénétraient dans la vieille bâtisse, il serait prêt à les cueillir de son arc, déposé sur ses jambes croisées. Sans l’échelle, il ne les croyait pas capables de se hisser au second étage, mais on ne savait jamais… En tout cas, les fangeux seraient à découvert. Cette cachette lui semblait sûre… Plus sûre qu’ailleurs entre Sombrebois et Marbrume.

Afin de tenir le coup, il commença à mâchouiller un morceau de viande séchée qu’il avait emmenée pour le trajet. Quelques noix accompagnaient son maigre, mais coriace repas. Si tout allait bien, demain, il mangerait à la table de Victor de Rougelac. Même si les temps étaient durs, le souper demeurerait plus goûtu sur l’Esplanade.

Enfin, il observa Rosen le rejoindre. Il prit soin d’éviter son regard, se concentrant sur sa tâche, son tour de garde. Pour une fois, ils étaient sur la même longueur d’ondes : inutile de se parler, cela dégénérerait encore plus. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de partir avec elle, déjà ? Elle demeurait la baronne de Sombrebois et en tant que chef de la garde, il avait eu le sentiment qu’il devait la protéger. La blonde avait coutume de n’en faire qu’à sa tête, elle serait partie seule dans tous les cas, alors autant la rejoindre… Puis, pour une fois depuis très longtemps, il avait vraiment eu envie de retourner à Marbrume.

Il l’entendait se retourner sur sa couche improvisée, soupirer, grommeler, percevait son rythme cardiaque trop agité pour qu’elle puisse trouver le sommeil. Alaric se demandait ce qui la tracassait… certainement pas les meurtres de sang-froid qu’elle avait commis un peu plus tôt. Ses mésaventures dans les marais, sa relation conflictuelle avec le baron… Le soldat ne savait pas exactement ce qui n’allait pas entre eux, mais il était clair qu’il y avait de l’orage dans l’air. Qui l’aurait cru ? Les deux amoureux de Sombrebois, déchirés… Ces pensées l’amenèrent vers ses propres problèmes sentimentaux. Il se remémora les paroles de Rosen ; il y avait eu quelques bons conseils, il devait bien l’avouer.

Malgré lui, il laissa traîner son regard sur la blonde et soupira.

- Je n’aurais pas de bons conseils. Mais je sais écouter. Je crois… Que tu trouveras plus facilement après avoir parlé.

Il était à peu près sûr d’écoper d’une nouvelle engueulade. En fait, il ne savait même pas pourquoi il lui avait proposé de l’écouter. Peut-être parce que, après tout, la blonde l’avait aidé. Même s’ils ne s’accordaient pas sur grand-chose, il pouvait au moins lui prêter une oreille attentive.

- Alors si tu en as besoin, ou pas… Enfin, comme tu le sens. Je te jugerai pas, tu sais.

En cours de route

Rosen feat Alaric

Les moustiques, le sol trop dur, les tourments, cette joue qui me gratte insupportablement et toute une flopée de souvenirs désagréables qui me tourmente. Mais moi, j’aimerais juste dormir et ne plus penser à rien...Deux flèches qui ont fait mouche. Deux flèches éveillant brièvement quelques cuisants souvenirs que je m’efforce de garder enfouis.

Alors que je bataille pour trouver le sommeil et contre toute attente, Alaric me propose de m’écouter si j’ai besoin de parler. Ça alors ! C’est bien la première fois qu’on me demande de parler ! D’habitude, j’ai la langue tellement acérée qu’on préférerait me la faire bouffer…

Et puis celle là c’est la meilleure. Je le provoque en lui disant que je vais aller parler à sa bûcheronne pour l’emmerder et lui, il chercherait à m’aider… Non décidément, je ne comprendrai jamais l’être humain. Mais de quoi pourrais-je bien lui parler, hein ?

Ai-je assez confiance en lui pour pouvoir lui confier quoi que ce soit ? Certainement pas. Il ne faut faire confiance à personne dans ce bas monde. C’est à peine si je peux garder confiance en Hector… c’est sûr, il ne supporterait ce que je suis à l’intérieur. Le bref et malencontreux aperçu qu’il a eu lui a été une véritable douche froide… et si mon époux ne peut me voir comme je suis, qui le pourrait donc ?!

« J’ai juste du mal à dormir, expliqué-je simplement. Excuse moi de t’avoir dérangé... Je vais essayer de moins m’agiter. »

Je soupire. De quoi voudrait-il bien que je lui parle ? Qu’est-ce que cela pourrait bien changer ? Il l’a dit lui même : il n’a aucun bon conseil à me donner. Si c’est pour parler dans le vide, je préfère encore causer à ma bougie ! Mais puisqu’il propose…

« … et puis je dors toujours mal loin de Hector. Mais je crains que tu ne puisses pas faire grand-chose pour m’aider. Et puis pourquoi vouloir m’aider de toute façon, je suis insupportable… tellement insupportable que tout le monde serait bien mieux si je disparaissais. Il n’y a rien que je fasse mieux que de détruire, alors... Autant me laisser dans mes tourments... »

Je devrais peut-être essayer de faire un pas vers lui là qu’il en fait un. Mais je me demande bien à quoi ça peut servir. Peut-être qu’il se rend enfin compte qu’il n’a pas été très agréable avec moi et qu’il veut essayer de faire des efforts. Le mal est fait de toute façon – autant pour lui que pour les autres – mais mieux vaut tard que jamais comme on dit…

« Si tu veux tout savoir, j’aurais bien aimé que les choses soient différentes. Mais je crois que ça n’a plus d’importance maintenant parce que le mal est fait. Mais j’aurais aimé me sentir chez moi à Sombrebois… J’aurais aimé qu’on me laisse une chance. Ça a beau faire des lunes que je suis là et j’ai beau être mariée à Hector, j’ai toujours l’impression d’être une étrangère. Tu n’as pas idée d’à quel point c’est pesant. Surtout quand ça impacte ma vie conjugale. »

Je soupire à nouveau en regardant un moustique tourner autour de la flamme. Avec un peu de chance, il va s’y brûler…

Au début, il crut que Rosen se refermerait une fois de plus. Alaric ne comptait pas insister. Cependant, il sentit dans le ton de sa voix que la blonde réfléchissait, sans doute pesait-elle le pour et le contre. En vérité, lui-même aurait réagi de la même manière : il n’était pas aisé de se confier, d’autant plus lorsque l’on ne s’entendait pas au mieux avec son interlocuteur. Néanmoins, là était le paradoxe, il était souvent plus simple de déblatérer sa vie à un inconnu – ou presque – que d’abandonner ses craintes et peines à un proche, de peur d’écoper de jugements dont on se serait bien passé. En ce sens, le soldat pouvait se révéler être l’oreille attentive dont la blonde aurait besoin : vider son sac, simplement. Parfois, émettre ses pensées à haute voix était suffisant pour trouver des réponses tapies au fond de soi-même.

Ainsi, il l’écouta sans mot dire, la laissant d’abord user de ses amis sarcasme et ironie avant d’en venir au fait. Une protection supplémentaire, un piège dans lequel Alaric ne comptait pas tomber. « Oui Rosen, tu es insupportable » « Ah tu vois, dans ce cas je me tais » et blablabla… Un résumé de leurs discussions précédentes qu’il ne renouvèlerait pas. Il ne rentra pas dans son jeu afin de la pousser à en dire plus, à avouer ce qui comptait vraiment, plutôt que de se torturer sur son piètre sort.

La stratégie marcha. Certes, Rosen demeurait Rosen, mais elle avait dégagé des pistes intéressantes, émit ce qui lui pesait sur le cœur. Alaric hocha la tête et, comme promis, ne la jugea pas. Ce n’était pas l’envie qui manquait : vu son comportement, comment espérait-elle s’intégrer à Sombrebois ? Il essaya d’adapter un regard plus neutre, plus objectif.

- Qu’est-ce qu’il faudrait pour que tu te sentes comme chez toi ? Qu’est-ce qui te manque ?

Vu ses dires, Hector occupait une place importante dans sa vie. Il ne s’agissait pas que de parties de jambes en l’air, elle avait vraiment besoin de lui. Qui l’eut cru ? La forte et fière Rosen dormait mal sans son époux à ses côtés.

- Je pense que tu es tout aussi importante pour Hector, tu sais. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre vous, mais… Tu le rendais vraiment heureux. Cela compte, tu ne crois pas ?

Alaric ne posa pas plus de question, guettant la moindre réaction chez la baronne de Sombrebois. En silence, il terminait son repas, s’enroulait dans ses couvertures. Désormais, le ciel était noir, la nuit était tombée, et la pluie, timide, glissait sur la vieille bâtisse. Le vent ne s’était pas levé – prions les Trois qu’il en reste ainsi – et malgré le trou béant dans le toit, le duo demeurait au sec.

En cours de route

Rosen feat Alaric

Je regarde l’insecte tournoyer autour de la flamme, écoutant d’une oreille distraite ce qu’Alaric me répond. Ce qu’il faudrait pour que je me sente chez moi ? A son avis ! Puis la seconde phrase tombe, dure, lourde, dévastatrice.

« Tu le rendais vraiment heureux. Cela compte, tu ne crois pas ? »

Je sens ma gorge se serrer douloureusement. Je le rendais heureux… Je ne réponds rien. Sous la couverture, je sens mon corps se tendre et mes poings se serrer. Oui, bien sûr, je le rendais heureux… Mais maintenant ?! C’est fini ?! Seul le présent compte et ce que le passé en engendré, nous ne vivons pas dans le passé ! Et si je comptais tant que ça pour lui, il n'aurait pas voulu m'abandonner à deux reprises sur le retour !

Après plusieurs longues secondes de silence où ma mâchoire est crispée nerveusement, je finis par répondre :

« Quoi donc ? Qu’est-ce qui compte ? Le fait que je ne le rende plus heureux à présent ou le fait qu’il était heureux seulement autrefois ?! »

Sans déconner… J’ai juste envie de me lever et de courir au dehors. Pour en finir une bonne fois pour toute.

« Tu veux savoir ce qu’il aurait fallu pour que je me sente chez moi ? Peut-être qu’il aurait déjà fallu que l’on essaie pas de me tuer peu après mon arrivée. Peut-être qu’il aurait fallu que tu acceptes d’être mon témoin. N’est-ce pas censé être un honneur après tout ? Peut-être aurait-t-il fallut que ta bûcheronne ne me regarde pas de travers lorsque toi et moi parlions l’autre jour sur les remparts. Peut-être qu’il aurait fallut que les gens essaient d’apprendre à me connaître au lieu de me considérer comme une indésirable. Je sais, je ne suis pas la personne la plus sympathique du Morguestanc, mais si quelqu’un s’était donné la peine de faire un pas vers moi, ça m’aurait vraiment aidée. J’aurais pu être une autre personne. J’aurais pu vraiment devenir agréable.

J’ai une expiration suivie d’un succinct rire jaune.

« Je dois trop en demander... »

Je ne sais plus si je suis sincère ou sarcastique. Je ne sais même plus si j’ai raison ou si j’ai tort. Si seulement les choses avaient pu être différente…

« C’est comme ça je sais, je dois m’y faire… mais si Hilde te demandait de devenir ami avec un homme qui a des vues sur elle et qui a voulu se débarrasser de toi, tu y arriverais peut-être ?! J’aimerais bien voir ça. C’est vrai… c’est parti de là avec Hector, sans rentrer dans les détails. Bon, il n’y a pas que ça. Mais le reste, je ne peux pas en parler. C’est… ça, et à côté, plus ça va, plus j’ai des emmerdes et plus je fuis les gens. Avant, ça m’amusait bien, ce que les autres pouvait penser de moi. Mais maintenant, j’en ai assez d’être l’intruse excentrique que personne ne veut chercher à comprendre. Et maintenant Hector en a marre de tout ça. Mais je ne vois pas comment aller vers des gens que je n’ose même plus croiser... J'aurais pu devenir quelqu'un de meilleur avec vous tous comme je l'ai été avec Hector, même si lors de notre voyage j'ai été dure avec lui... »

Je devrais arrêter de me torturer avec cette histoire. C'est derrière nous à présent et nous sommes passés au dessus, même si je redoute depuis que cela ait cassé quelque chose entre nous.

- Je ne voulais pas dire que tu ne le rendais plus heureux, se défendit Alaric. Mais la complicité que vous aviez alors ne peut pas avoir disparu.

Alaric n’eut pas le temps de justifier un peu plus ses propos. De sa position, il pouvait voir la blonde s’agiter d’autant plus sur sa couche. Un sourire naquit sur ses lèvres, caché par l’obscurité, lorsqu’elle se décida enfin à vider son sac. Le soldat décida de ne pas la couper dans son élan et écouta sans rechigner sa longue tirade qui, il lui semblait, était plus adressée à elle-même qu’à lui. Il haussa un sourcil interrogateur : qui avait essayé de la tuer ? Ne dramatisait-elle pas encore ? À l’écouter, l’opinion qu’il avait de la blonde se renforça. La baronne de Sombrebois se comportait en noble bien avant d’obtenir son titre. Elle réclamait une attention que les habitants du château n’avaient pas été prêts à lui accorder. Sauf Hector…

Elle ne voulait pas rentrer dans les détails, il ne lui en demanderait pas. Quand elle eut terminé, il ne répondit rien pendant plusieurs secondes, réfléchissant à ses dires. Il l’avait prévenue qu’il n’aurait pas de conseils à lui donner, de toute façon. En l’occurrence, il en avait, mais il n’avait aucune envie de recevoir de nouvelles engueulades.

Se grattant l’arrière du crâne, il soupira :

- On dirait que ta relation avec Hector est vraiment très importante pour toi. J’espère que vous pourrez traverser tous ces obstacles. Moi aussi, c’est grâce à lui que j’ai pu m’intégrer à Sombrebois. Pourtant, crois-moi, je suis loin d’être l’homme le plus sociable du coin… Si ça a marché pour moi, pourquoi pas pour toi ? ajouta-t-il sur un ton qui se voulait rassurant. Essaie de te reposer un peu. Je te réveillerai quand j’irai dormir à mon tour.

Il cala son dos contre un mur délabré, recouvert de lierre. La plante grimpait tout le long de la bâtisse, s’engouffrait par le trou béant du toit. Dehors, la pluie s’écrasait sur les marais. Dans leur refuge, il n’avait pas froid, enroulé dans ses couvertures.

Dans le noir, isolé de Rosen, Alaric avait l’occasion de se retrouver avec lui-même. Loin de Sombrebois, pour une fois, cela lui faisait du bien. Il en avait eu assez des regards noirs de Hilde, du manque de confiance qu’elle lui avait accordé, depuis qu’il était revenu avec Sydonnie. D’un côté, il se mettait à sa place, mais… était-ce trop lui demander, de le croire ? Il lui avait raconté tout ce qu’ils avaient vécu, de la tour, au labyrinthe sous cette dernière, des cadavres et des plongeons désespérés. Bon sang, il avait manqué de mourir à plusieurs reprises en une seule nuit et tout ce qu’elle retenait, c’était qu’il avait passé ladite nuit en compagnie d’une sergente de Marbrume. Avec laquelle il ne s’était – presque – rien passé, justement parce qu’il ne voulait pas devenir ce genre d’hommes ni faire souffrir la rousse.

Parfois, des râles crevaient le silence de la nuit et Alaric se redressait, posait sa main sur l’arc placé en travers de ses jambes. Cependant, rien ne pénétrait dans la bâtisse. En bas, il devinait les chevaux en train de dormir ; ils s’agiteraient et préviendraient du danger, si danger il y avait. Quand il sentit le sommeil le gagner malgré lui, il quitta sa couche et se dirigea vers la blonde. Avec douceur, il caressa son épaule afin de, soit l’extraire de son sommeil, soit d’attirer son attention.

- Tu reprends le tour de garde ? Je vais me reposer un peu.

Puis, attendant qu’elle se relève, il ajouta :

- J’ai entendu des fangeux, au loin. Ils rôdent, mais ne semble pas vouloir entrer ici… Je pense que leur présence inquiétera les chevaux, si jamais ils approchent…

Il rejoignit alors ses couvertures et son mur de lierre, plus agréable qu’on pourrait le croire, et se résolut à fermer les yeux. Il avait beau avoir des différends avec Rosen, il savait qu’il pouvait lui faire confiance. Elle n’hésiterait pas à tirer, tuer… Contrairement à lui. Il grimaça à cette pensée, secoua la tête, puis rejoignit peu à peu le monde de l’inconscient, avant que les rêves ne l’enveloppent tout entier.

En cours de route

Rosen feat Alaric

La complicité entre Hector et moi ne peut pas avoir disparue, ne peut pas avoir disparue… il faut le dire vite ! Moi, j’ai bien l’impression d’avoir brisé quelque chose… Mais peut-être est-ce juste une impression… ou le reflet de mes appréhensions.

« On dirait que ta relation avec Hector est vraiment très importante pour toi » a-’il ensuite lâché au milieu d’autres phrases.

Je suis restée un moment silencieuse, presque étonnée, le temps de le laisser finir de parler plus ou moins. Puis j’ai répondu d’une voix troublée :

« Évidemment que Hector compte pour moi, c’est mon mari... »

Et je l’ai écouté lorsqu’il m’a dit d’essayer de me reposer.

Bien sûr, personne n’est dupe. Personne mis à part Hector et je gage que si personne ne m’a encore acceptée, c’est en parti à cause du fait que personne n’est passé à côté de ma nature véritable. Mais après ? J’ai changé !

Je peux rester insupportable par moment, mais je tiens réellement à mon époux à présent, et ce depuis un moment. C’est la seule personne en ce monde qui a su me témoigner de l’affection… la seule personne qui m’a appris ce qu’était la douceur et la tendresse.

Même alors que je l’ai verbalement durement malmené, il s’est tut, n’a pas répliqué la moindre réprimande, quand bien même pas mal d’homme à sa place m’aurait battue pour avoir parlé de la sorte. Non, lui, il m’a juste supplié de ne pas le tuer en s’effondrant dans le lit.

Et moi, j’aurais pu la fermer, mais non, j’en ai rajouté une couche en lui disant qu’il était la chose la plus pitoyable que je n’ai jamais vue… Et ça m’a pas empêchée de parvenir à trouver le sommeil. Certes, pas très rapidement, mais quand même.

Hector lui, il en a profité pour se tirer en douce pendant que je dormais. Et si je ne m’étais pas réveillée à temps… Je ne l’aurais jamais revu. Il serait mort, perdu à jamais au cœur de la nuit.

Oui, j’ai de bonnes raisons de penser que j’ai détruit notre histoire. Mais pour ma défense, il m’a cruellement et injustement blessée auparavant… à deux reprises.

Que je dormirais mieux après avoir confié ce que j’avais sur le cœur, c’est vite dit là aussi. Maintenant, j’ai juste envie de parler… Je détache mes cheveux dans un geste agacé - comme si la baguette pouvait seulement être la responsable - ferme les yeux et cesse de fixer ma bougie.

Lentement, je finis par sombrer dans le sommeil avec de nombreux cris gutturaux en fond sonore. Un sommeil agité j’imagine, sommeil où rôdent de nombreuses créatures. Je sens soudain une main douce me toucher l’épaule dans une caresse.

« Hector ? lançé-je à moitié reveillée en posant ma main sur celle qui venait de se poser sur moi. Je venais de m’endormir… On fera ça un peu plus tard s’il vous plaît... »

Mais quelque chose ne va pas.

« Hmmm… ? », marmonné-je en me redressant soudain, mes cheveux recouvrant alors mon visage.

Et je réalise en les écartant…. Je ne suis plus à Sombrebois mais à Piana et ce n’est pas Hector. Juste Alaric...

« Euh, pardon... j’ai rêvé que... enfin tu vois… »

Lorsque ensuite ce dernier m’explique que des revenants rôdent autour de l’abri, je lui réponds juste que je les ai entendu.

Évidemment, comme je le redoutais, le feu les a attirés… Je laisse Alaric s’installer pour dormir et je me rattache les cheveux avant de d’aller m’asseoir un peu plus loin, bras croisés, en face de la porte après avoir récupéré ma bougie. Ah, que j’aimerais qu’ils rentrent et qu’on en finissent une bonne fois pour toutes…

Je me demande bien pourquoi Alaric tient tant que ça à surveiller. Avec Hector, on ne s’embête pas tant. On dort tout simplement… Personne ne risque de débarquer au beau milieu de la nuit. Quant aux fangeux, s’ils leur prend l’envie de nous rejoindre… pourra-t-on seulement faire quelque chose pour nous défendre ?

Sans bruit, je finis par descendre l’échelle pour aller flatter le chanfrein des chevaux. Puis, entendant un nouveau râle au dehors, je me dirige vers la porte et cherche à regarder par une interstice si je peux voir quelque chose. Sans doute n’est-ce pas très prudent, ils pourraient bien sentir mon odeur, mais j’imagine qu’ils le pourront bien sans ça.

J’ai soudain un brusque mouvement de recul en voyant un mouvement non loin dans les ténèbres. D’accord… je vais m’éloigner de là, c’est mieux. Je remonte et retourne m’asseoir où j’étais précédemment, mais la nuit avançant, ça devient de plus en plus calme, au fur et à mesure que le ‘bûcher funéraire’ s’éteint. Les grognements s’espacent, jusqu’à pratiquement disparaître et ne restent que mes tourments habituels. Je bâille, dos contre une caisse, accoudée sur mes genoux. J’ai du mal à garder les yeux ouverts… Un bâillement, deux bâillements… Et je finis par me rendormir, à l’aube naissante.

Dernière édition par Rosen de Sombrebois le Jeu 17 Sep 2020 - 15:42, édité 1 fois

Au moins, Rosen eut l’air de se calmer et Alaric fut rassuré de la voir se reposer, tandis qu’il prenait le premier tour de garde. Il espérait sincèrement que la situation évolue dans le bon sens, entre les époux de Sombrebois. Comment pourrait-il en être autrement ? À entendre la blonde, elle tenait réellement à son mari alors, même si elle l’avait blessé, elle en était désolée… Hector devait comprendre cela, non ? Il était vrai que le baron avait cette mauvaise réputation, à changer de femme comme de chemise… Serait-il capable de se montrer patient, cette fois ?

Lorsqu’Alaric avait réveillé Rosen, sa réaction l’avait fait sourire. Il avait tâché de ne pas la brusquer, il n’avait eu aucune envie de se faire attaquer par les bons réflexes de la baronne de Sombrebois. Il avait donc joué la carte de la douceur… Un peu trop bien, visiblement. Comme quoi, même la nuit, la blonde rêvait de son précieux époux !

- J’ai vu, oui, avait-il répondu avant de ricaner.

Ensuite, il avait attendu quelques minutes, que Rosen se relève et soit d’attaque pour débuter son tour de garde. Le sommeil l’avait rapidement gagné, dès qu’il avait rejoint ses couvertures. Ses propres rêves l’avaient guidé dans des méandres abstraits, des visages flous, des paroles vides. Il lui arrivait de garder des souvenirs de ses rêves, ce ne serait pas le cas cette fois-ci. Rien n’avait de sens ; c’était comme si tous ses tracas se mélangeaient, se heurtaient dans son esprit complexe. Lorsqu’il ouvrit les yeux, le jour était levé.

Les images fugaces, vestiges oniriques, s’effacèrent lorsqu’il cligna des paupières, aveuglé par la lumière. En baillant, il se redressa sur ses coudes et balaya la bâtisse du regard. À sa place de la veille, Rosen dormait encore. Tu parles d’un tour de garde… Alaric grogna et se redressa, dépliant ses membres endoloris. Il ramassa et rangea ses affaires, descendit au rez-de-chaussée et nourrit les chevaux. Tout ça sans prêter la moindre attention au bruit matinal qu’il provoquait. Il espérait bien réveiller la princesse à l’étage. Au moins, cette erreur ne leur avait rien coûté… N’était-il pas un peu dur envers elle ? Après tout, la dernière fois qu’il avait dû assurer un tour de garde, n’avait-il pas sombré, lui aussi ?

- Fini de dormir, Rosen héla-t-il, alors qu’il avait vu la masse blonde s’agiter.

Il but une gorgée d’eau puis prépara son cheval afin de reprendre leur chemin vers Marbrume. Ce soir, ils y seraient enfin.

Avec prudence, il passa sa tête au dehors de l’ancienne auberge et observa les alentours. Une pluie fine continuait de s’abattre sur les marais ; elle n’avait pas dû s’arrêter de la nuit. Au moins, le vent ne s’était pas levé et les températures demeuraient correctes.

Afin de prendre des forces, il mangea quelques fruits secs enrobés de miel, tandis que Rosen le rejoignait enfin.

- Prête pour repartir ?

Il préférait perdre le moins de temps possible. Son maigre petit-déjeuner enfilé, il monta Bravoce et sortit de la bâtisse.

- Piana offre des ruines et des lieux parfaits pour les embuscades… Ouvrons l’œil et rejoignons la plage. Ensuite, on longera la mer jusqu’à Marbrume, ça te va ?

En cours de route

Rosen feat Alaric

Je suis dehors, perdue dans une abominable tempête qui me ballotte en tout sens. Tout autour de moi, de nombreuses formes se rapprochent. J’aimerais crier, mais aucun son ne sort de ma bouche. Je suis perdue, perdue…

Je sursaute soudain en appelant.

« Hector ?! »

Ah, c’est vrai… il n’y a pas de Hector. Juste Alaric, encore une fois… Un Alaric désagréablement bruyant qui vient de me réveiller. Je me suis endormie comme une bûche alors que j’étais censée surveiller… Bah. En tout cas, je n’ai toujours pas assez dormi. Je bâille en me frottant les yeux. Je resterais bien dormir encore un peu…

« Fini de dormir, Rosen, me parvient soudain la voix de mon compagnon de voyage.
- C’est pas des manières de s’adresser à une baronne... » je marmonne moitié râlant, moitié plaisantant.

Être devenue baronne, ça doit forcément avoir des avantages, même si je n’ai vu que les mauvais côtés jusqu’à présent – mis à part la meilleur qualité de vie bien entendu.

Alors si je peux en trouver, autant les exploiter. Bon, il va de soit, que je serais plus proche de me prendre un seau d’eau au visage que de recevoir une quelconque marque de respect de cette façon, mais c’était plus de l’humour qu’autre chose au fond. J’imagine que le respect se mérite, se gagne, et ne découle pas d’un stupide titre. M’enfin…

Je le rejoins enfin en bas et lui répond lorsqu’il me le demande que je suis prête à repartir et que son plan me va. Qu’on longe la mer, qu’on passe par les marais… peu m’en chaut.

J’ai une horrible envie de vomir… J’espère que ça va vite s’atténuer, à défaut de totalement passer. Les matins sont les moments les plus éprouvants et ceux où je vomis le plus. En sortant dehors, je me rends compte qu’il pleut. Voilà qui est contrariant…

« Avec ce temps, j’ai bien peur que l’on ne croise des revenants… Ça craint l’eau de mer ces bestioles tu crois ? Ya des rumeurs qui disent ça mais je ne sais pas ce que ça vaut. Je me demande s’ils nous suivraient jusque dans l’eau… »

Ça pourrait être une porte de sortie, mais on irait pas bien loin ainsi dans l’océan.

Ce qui est certain, c’est que nous devons rester sur nos gardes et éviter de palabrer. Le danger est partout et peut se cacher au détour de chaque arbre…

Alaric l’entendit grommeler quelque chose, en lien avec son statut de baronne et il soupira. Vu la distance qui les séparait, il n’avait pas saisi l’intégralité de ses paroles, mais il devinait aisément leurs sens.

- Excusez-moi, vous vouliez peut-être que j’amène le déjeuner dans votre lit ? répondit-il sur un ton volontairement théâtral.

Tandis qu’il se préparait, il réfléchissait au meilleur moyen d’atteindre la cité fortifiée. La météo ne lui convenait guère, il était de source sûre que les fangeux sortaient plus facilement par temps de pluie. Cependant, le mois de septembre ne s’était pas montré clément cette année et par habitude, Alaric devinait qu’octobre ne serait pas plus agréable. Ils ne pouvaient pas rester dans cette bâtisse à moitié effondrée, à attendre que les averses cessent.

- Il paraît qu’ils craignent le sel… C’est pour cette raison qu’il faut longer la mer. C’est toujours plus prudent que de marcher au milieu des marais. De toute façon, nous avons nos chevaux. Ils sont bien reposés… On devrait les distancer.

C’est ce qu’il espérait, en tout cas. Bravoce était un cheval puissant, capable d’accélérations rapides et impressionnantes, il pouvait tenir un galop sur de longues distances… mais il ne pouvait pas l’épuiser non plus. Si les fangeux étaient partout, la bête serait cernée, fatiguée.

Ils quittèrent définitivement les ruines de Piana, le regard tourné vers l’horizon. Les chevaux trottaient en silence, Alaric restait concentré sur sa selle. Il n’y avait pas que les créatures qui l’inquiétaient, il n’était pas dit que d’autres bannis ou bandits ne traînaient pas également dans les parages. Il en avait eu assez avec leur petit groupe de la veille : il n’avait aucune envie de tuer d’autres personnes… Ou simplement, de voir la vie quitter d’autres personnes. Une partie de lui prônait encore les idées utopistes qu’il avait développées lorsqu’il était plus jeune. Parfois, il avait envie d’y croire : les hommes, tous unis contre un seul ennemi, ces satanées créatures.

Ils n’étaient plus très loin de la plage, lorsque des gargouillis retentirent. D’instinct, tous deux regardèrent dans la direction du bruit, tous leurs sens aux aguets. Évidemment, les râles venaient de derrière, du cœur des terres. Bientôt, mêlés à la pluie, s’ajoutèrent des bruits de pas, des craquements de branches, des froissements de feuillage. Le premier fangeux sortait d’un sombre buisson lorsqu’Alaric poussa Bravoce au galop.

- Vers la plage !

Ils s’engagèrent à bride abattue, droit devant eux. Alaric savait pertinemment que les fangeux ne s’arrêteraient pas une fois leurs pattes posées sur le sable. Au mieux, ils n’aimeraient simplement pas ça. Même s’il pensait bien que, s’ils plongeaient, les créatures ne lui suivraient pas, il préférait ne pas prendre ce risque. Et quand bien même, jusqu’où iraient-ils, à la nage ? Ils ne pourraient s’éloigner du rivage…
Un bref coup d’œil en arrière lui apprit que deux fangeux les coursaient. Deux. C’était jouable. Mais, et si d’autres les rejoignaient en cours de route ? À l’heure actuelle, ils étaient plus proches de Piana que de Marbrume.

- Allez Bravoce, allez…

Le cheval se donnait, ses jambes battaient le sol spongieux des marais. Habitué aux terrains accidentés aux alentours de Sombrebois, il ne risquait pas de trébucher, mais gardait un équilibre qui forçait l’admiration. Alaric s’était penché sur sa monture afin d’augmenter encore sa rapidité, mais les deux créatures qui les pourchassaient ne faiblissaient pas.

Jouant le tout pour le tout, il se redressa et encocha une flèche. Tirer en mouvement, voilà qui n’était jamais aisé. Il essaya de faire abstraction de la course, ne voyant plus que le fangeux le plus proche. Tant bien que mal, il tâcha de s’habituer au galop de Bravoce et, après avoir pris une grande inspiration, tira. La flèche fusa et fit mouche : en un sifflement, elle transperça le visage du fangeux, ce qui le stoppa net dans sa course. Plus qu’un…

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En cours de route

Rosen feat Alaric

« Ah non, pas de la nourriture ! » me suis-je exclamée avec un haut le cœur, sans savoir s’il était réellement sarcastique ou si c’était une plaisanterie bon enfant. Pour le coup, moi, je ne plaisantais plus… Puis suite à ma question il m’a répondu une évidence, le genre de réponse qui ne renseigne pas le moins du monde, m’enfin, qu’importe. On avance donc à un trot tranquille, trot permettant de ne pas épuiser inutilement nos montures. Je me gratte la joue pensivement, les nausées habituelles me ceignant l'estomac.

Espérons que nous arriverons entiers… vivants, et si possible non mordus. Mais c’est sans compter ce vicieux destin qui décide rapidement de mettre sur notre route des fangeux. D’abord du bruit… comme des grognements animal.

Bien vite, le bruit d’un pas de course s’est ajouté aux borborygmes gutturaux. Après un rapide regard vers la provenance de ces sons, j’ai fini par lancer FrouFrou au galop, la talonnant vigoureusement à deux ou trois reprises pour la lancer dans un galop frénétique.

« Cours, putain, cours ! », m’écrié-je comme si elle pouvait seulement me comprendre.

Si on croise des fangeux à peine partis de Piana, ça va être quoi la suite du trajet ? Combien va-t-on donc en croiser encore ?! Sans même un regard en arrière, je continue de galoper à un rythme effréné avant de me décider à lancer finalement un coup d’œil derrière moi pour apercevoir Alaric qui n’est pas très loin. Je ralentis le galop pour repasser en trot rapide. FrouFrou est essoufflée, évidemment, et je me rends compte que la fine pluie qui tombait s’est arrêtée.

« On les a semés ?? » je questionne inquiète.

Je crois bien que oui. Je l’espère sincèrement en tout cas, autant pour ma survie que pour le repos de ma monture. Si loin de tout abri où se cacher, la situation est réellement préoccupante et c’est un coup à se faire attraper.

« On continue de galoper ou on reste au trot ?, je rajoute ensuite. Il ne faut certes pas trop épuiser nos chevaux, mais je ne voudrais pas que l’on tombe sur un groupe de fangeux qui nous prendraient au piège… Les fangeux ne sont pas connus pour être solitaire et si tu veux mon avis, je gage qu’il y en a d’autres dans le coin. Et j’aimerais autant ne pas tomber sur leurs petits copains… ou que ceux-là nous rattrapent d’ailleurs. »

Dur dilemme auquel j’ai certainement moins d’expérience qu’un ancien milicien, il va s’en dire. Autant le laisser décider donc. Alors que le soleil approche du zénith, ce dernier finit par se montrer, se dévoilant dans un ciel enfin dégagé. Voilà qui devrait nous aider pour la fin du voyage ! Un peu moins aux abois – sans pour autant relâcher ma vigilance – je finis par sombrer à nouveau dans mes tourments habituels. Entre autre, je finis par repenser à la discussion de la veille lorsque le garde m’a incitée à parler de ce qui me pesais. Et alors que nous avançons silencieusement, je lui demande :

« Hier, t’avais presque l’air étonné que je puisse tenir à Hector… pourquoi ? »

C’est pas comme si c’était un mariage arrangé, je ne suis pas noble, Hector n’a plus de famille pour lui imposer leur choix d’épouse et il n’est pas réellement quelqu’un d’intéressé par les richesses titres, terres ou quoi que ce soit d’autres dans ce goût -là. C’est un homme simple…

Et moi, eh bien...certes au début ça pouvait paraître intéressant malgré les conséquences, mais je sais que je tiens réellement à lui au jour d’aujourd’hui. Pet-être que cela ne se voit pas et que c’est pour ça que j’ai temps de mal à me faire accepter. Au fond, je crois que je peux les comprendre. Je n’ai jamais été une bonne personne… J’essaie, mais je crois que je n’y arriverai jamais.

Alaric se recoucha sur sa monture et tous deux suivirent Rosen au galop. Est-ce que les fangeux étaient capables de raisonnement, de faire preuve d’intelligence ? Chacun priait pour que ce ne soit pas le cas. Toujours est-il que, soit le second fangeux fut réellement distancé par les chevaux, soit, la vue du cerveau transpercé de son camarade le dissuada de continuer. Alaric ne s’accorda un regard en arrière que lorsque la baronne ouvrit la bouche.

- Tu les as semés. Moi, j’en ai tué un.

D’une belle flèche, en plein crâne ! Et dire que Rosen avait raté ça. Pour une fois qu’elle aurait pu le prendre au sérieux… L’important, cependant, était qu’ils soient tous les deux en vie, qu’ils ne soient plus pris en chasse.

- On galope jusqu’à la plage, lui cria-t-il, haletant.

Lorsque les sabots des montures touchèrent le sable, la pluie avait cessé, le soleil perçait par endroit la couche épaisse des nuages. Avec un peu de chance, les créatures ne ressortiraient plus tant que l’astre solaire brillerait dans le ciel. Ce n’était pas une vérité absolue, cependant. Reprenant son souffle, Alaric laissa Bravoce repasser au trot et lui flatta l’encolure. Le silence était revenu, entrecoupé de chants d’oiseaux sifflant des marais, du ressac de la mer, les vagues s’écrasant lentement sur le sable. La promenade aurait presque pu être agréable, si un danger de mort ne trônait pas au-dessus de leurs têtes.

Le soldat se sentait bien. Il se laissait entraîner par le rythme de son cheval, profitait de la pâle chaleur du soleil. Il se sentait revigorer. Décidément, même après la tempête, il avait toujours autant besoin de frôler le danger. En réchapper lui permettait de jouir un peu plus des plaisirs simples.

Alaric haussa les épaules.

- Ne le prends pas mal, mais tu n’as pas l’air d’être du genre à t’attacher très longtemps à la même personne.

En fait, il en allait de même pour Hector. Peut-être s’étaient-ils bien trouvés, finalement. En grandissant et vieillissant, les gens changeaient.

- J’avais plus l’impression que tu étais là pour t’amuser. Et que maintenant, la fête est finie…

Il laissa sa phrase en suspens, avant d’ajouter :

- Je suppose que je t’avais mal jugée.

Il ne savait pas sur quel pied danser avec Rosen. Depuis qu’elle était au château, l’ambiance était différente. Plus joyeuse, c’était vrai et, même si cela avait fait du bien au soldat, il s’en était souvent mordu les lèvres, leur reprochant en silence leur manque d’attention. C’est ainsi que leur mariage avait manqué de tourner à la catastrophe. Parfois, Alaric avait l’impression que le couple de Sombrebois oubliait qu’il habitait dans un vieux domaine où la fange aimait régner en maître.

Néanmoins, il n’était pas certain de s’être trompé à son sujet. Pour sûr, Rosen aimait être au centre de l’attention. Elle avait cet air désinvolte, comme si ce qui ne la concernait pas ne l’affectait en rien. Elle se souciait de ses affaires, et c’était bien assez. Et quand elle n’avait plus ce qu’elle voulait, quand plaisir et divertissement avaient disparu, n’en cherchait-elle pas simplement ailleurs ?

- Mais je suis heureux d’apprendre que tu tiens réellement à lui.

Il lui sourit, puis reporta son attention sur l’horizon.