[Terminé]En cours de route [Ft. Rosen de Sombrebois]

Alaric l'écouta, réfléchissant à ses propres sentiments. Finalement, en discuter dans le calme était plutôt instructif : il était enfin capable de mettre des mots sur ses problèmes. La blonde avait utilisé le terme « instinct », mot qui résonna en lui. C'était tout à fait ça : il avait envie de suivre son instinct, et ce, depuis le début. Le problème, c'est qu'il avait le sentiment qu'il ne pouvait se le permettre. Une fois de plus, raison et sentiment se battaient fiévreusement dans son esprit. Il devrait élucider cela plus tard. La chose serait peut-être plus aisée lorsqu'il serait face à l'une des deux.

Quand elle évoqua un possible déménagement, Alaric réfléchit à ses dires. En fait, il était tellement pris par ses sentiments contradictoires qu'il n'avait pas encore pensé aux conséquences. Retourner vivre à Marbrume... Il était vrai que cela lui semblait compliqué. Il aimait vivre à Sombrebois, malgré les dangers quotidiens. Mais les fangeux étaient un peu à Sombrebois ce qu'étaient les bandits à Marbrume : une menace permanente.

- Je ne sais pas trop. Elle est venue à Sombrebois, mais je pense que ça ne lui a pas plu...

Vu la vitesse avec laquelle elle avait décampé. Évidemment, Alaric n'était pas dupe : la fuite de la sergente n'avait rien eu avoir avec la décoration du château. Il aurait pu l'emmener n'importe où, le problème avait été ses habitants...

- J'aimerais continuer de travailler pour Hector, quoi qu'il arrive.

L'avenir le lui dirait. Il pouvait simplement effectuer des allers et retours plus fréquents, participer aux convois, en organiser certains depuis Marbrume... Il ne s'inquiétait pas trop. En fait, ce changement probable lui semblait encore tellement loin dans le temps qu'il ne pouvait déjà s'en préoccuper: d'autres soucis le précédaient. En attendant, Rosen avait raison : sa situation penchait la balance, influencerait son choix.

Alaric manqua de s'étrangler avec la dernière question de la blonde. Est-ce que ça la regardait ? D'un côté, il avait été le premier à déballer ses problèmes sentimentaux, alors il ne pouvait pas vraiment le lui reprocher. La blonde n'était pas connue pour être des plus pudiques, contrairement à lui. Bégayant plus qu'autre chose, il bredouilla :

- Mais euh, non, enfin pas vraiment...

Il sentait ses joues rosirent et, le regard fuyant, il tâcha de se concentrer sur le chemin à parcourir. Pour le coup, il avait eu les mêmes rapports intimes avec les deux : c'est à dire, pas grand chose. L'ambiance, cependant, avait été bien différente dans les deux cas.

- Qu'est-ce que ça changerait, de toute façon ?

- C'est non, confirma-t-il.

Il aurait préféré que la blonde ne s'insinue pas autant dans sa vie privée, force était de constater que ce n'était pas le point fort de la baronne de Sombrebois. Que pensait-elle de lui, au juste ? Il était avec Hilde, il n'allait pas s'envoyer en l'air avec quelqu'un d'autre ! Il n'avait pas manqué grand chose pour que le pas soit franchi cependant. Plusieurs raisons les avaient poussés à ne pas aller plus loin : ce qui leur restait de lucidité. Ils avaient simplement été deux personnes à la recherche de chaleur corporelle... Rien que ça, non ? Quelle ironie, alors que Hilde lui envoyait de multiples signaux lui affirmant qu'elle était prête, lui n'avait fait que retarder avec elle... Mais face à Sydonnie, ce qu'il avait ressenti avait été différent. Certes, ils étaient au bord de la mort, mais... Il l'avait désirée. Il s'en voulait toujours d'avoir ressenti une telle envie envers une autre femme que la sienne.

- Par contre, me demander d'attendre le mariage, de ta part...

Il ne termina pas sa phrase, tant la fin était éloquente. Rosen n'était pas réputée pour se montrer aussi chaste, elle ne l'avait pas été avec Hector et Alaric ne doutait pas qu'elle n'en était pas à sa première fois. Non pas qu'il la jugea, sur le moment, mais qu'elle le sermonne à ce sujet était un peu fort !

- Et bien, je serai prudent, ajouta-t-il plus pour terminer cette étrange conversation que parce qu'il y croyait vraiment. Mais ne t'inquiète pas, une relation avant mariage, je connais.

Il rit doucement, se rappelant les rendez-vous secrets avec Margaux. Bon, il n'avoua pas à Rosen que son père avait découvert la vérité, sans doute pas la meilleure des idées. En attendant, il ne s'était jamais plus intéressé à une femme, au début parce qu'il espérait revoir sa promise, vivante, à Marbrume, ensuite parce qu'il s'était éloigné de toute vie sociale.

Ils avancèrent le long de la plage pendant un long moment, sans qu'aucun bruit suspect ne vienne les déranger. Le ciel était chargé, mais heureusement pour eux, il n'avait pas encore commencé à se déverser sur leurs têtes. Observant la courbe du soleil, Alaric estima qu'ils étaient fin d'après-midi. Bientôt, il leur faudrait installer un campement pour passer la nuit. La perspective ne le réjouissait guère, mais ils avaient besoin de prendre du repos. De plus, les chevaux aussi avaient besoin de manger et de ralentir le rythme.

Soudain, il perçut un bruit non identifié vers l'intérieur des terres. Attrapant son arc ainsi qu'une flèche dans son carquois, il laissa Bravoce avancer tandis qu'il lâchait les rênes et armait son trait. Si jamais il s'agissait de fangeux, il leur faudrait galoper afin de les semer. Ce serait possible, bien sûr, mais une course poursuite affaiblirait d'autant plus les chevaux, ce qu'il préférait éviter.

- C'est toi qui ne veux pas, grommela-t-il, énervé face à la soudaine agressivité de la blonde.

Une fois de plus, elle avait le culot de se croire plus « tout ». Oui, Rosen avait déjà tout vu, tout vécu et, de fait, pouvait se permettre de donner des « conseils » à tout va. Elle avait l'expérience – la sagesse ! – des personnes âgées alors qu'elle n'était pas beaucoup plus vieille que lui. Les fameuses recommandations qu'elle lui transmettait, Alaric avait plutôt l'impression qu'elle se les donnait à elle-même, plutôt qu'à lui. Comme si elle vivait avec trop de remords qui la grignotaient peu à peu... Car jamais, il en était certain, la blonde n'accepterait de l'aide. Elle était bien trop fière pour cela. Et puis, elle n'avait sans doute pas de conseils à recevoir d'un enfant tel que lui, n'est-ce pas ? Il discernait en elle une maladresse qui l'attendrissait parfois, il observait les efforts qu'elle tentait à son encontre, mais une sorte de blocage les séparait tous les deux. Il ne la sentait pas sincère.

Heureusement, ou pas, mais un bruit attira leur attention. Armés tous les deux, parés pour un combat à distance, ils fixèrent les alentours, leurs sens aux aguets. La blonde les repéra en premier : trois hommes dans les fourrés, légèrement en avant de leur position. Des pirates ? Peut-être. À vrai dire, Alaric n'avait cure de leur occupation, tant qu'ils ne s'en prenaient pas à eux. Il avait un mauvais souvenir de ce genre de rencontre dans les marais... D'autant plus qu'il n'était pas en aussi bonne compagnie que la dernière fois. Vivre avec Rosen ce qu'il avait vécu avec Sydonnie... Nan, ils se seraient sans doute entretués bien plus tôt.

La proposition de la blonde était intéressante, mais risquée. À coup sûr, ils seraient repérés, mais que pourraient faire ces intrus ? Quand bien même ils auraient des armes de jet, encore faudrait-il qu'ils soient capables de les viser alors qu'ils auraient vitesse et effet de surprise pour eux. Peu de chance. Le soldat rit.

- On fait comme t'as dit. Ils pourront pas réagir assez vite. On fonce !

Joignant le geste à la parole, il encouragea Bravoce à accélérer. Le duo les dépassa à vive allure. Du coin de l'oeil, Alaric les aperçut se tourner vers eux, mais il n'y prêta pas attention. Des cris lui parvinrent, il ne se retourna pas. Une flèche – tirée plus rapidement qu'il ne l'avait cru, il fallait l'avouer ! – se ficha dans le sable, à quelques centimètres d'une jambe de Bravoce. Ce fut la seule tentative que les présupposés pirates eurent le temps d'effectuer. Cependant, ils ne ralentirent pas pour autant. Ce n'est que bien plus loin qu'Alaric autorisa de repasser au trot, conscient que sa monture haletait et fatiguait.

- Pfiou... Les gens sont toujours exécrables, dans les marais... Ils sont plus dangereux que les fangeux. Ça va ?

Alaric s'était seulement préoccupé de l'ombre formée par Rosen à ses côtés pendant la cavalcade. Il savait qu'elle savait monter à cheval correctement, mais il craignait que la fatigue ne la gagne déjà.

- En tout cas, ils n'ont pas essayé de nous suivre...

Rosen demeurait silencieuse, aussi Alaric se contenta de reprendre la route, haussant les épaules. Sans doute allait-elle encore bouder le reste du trajet... De toute façon, la blonde semblait préoccupée par toutes ses mésaventures passées et le soldat préféra la laisser ruminer de son côté. Lui-même évita de replonger dans ses pensées et souvenirs et tâcha de garder un oeil sur les alentours. Parfois, il flattait l'encolure de Bravoce, lui murmurait des paroles rassurantes et encourageantes. La bête avait tenu son galop sur une longue distance et, même si elle avait retrouvé un rythme cardiaque plus lent, Alaric ne doutait pas qu'elle avait effectué un effort certain.

Les paroles de Rosen confirmèrent ce qu'il pensait de la blonde. Sa présence devait lui être insupportable, pour qu'elle préférât encore risquer sa vie seule dans les marais plutôt qu'à ses côtés ! Oh tiens, cela lui rappelait la décision d'une autre femme, il y a peu... Finalement, le problème venait peut-être de lui ?

- Je resterai plus longtemps. Je pensais revenir avec un convoi, c'est beaucoup moins dangereux.

Il n'ajouta pas « tu devrais faire pareil », sachant pertinemment qu'elle n'écouterait pas ses conseils.

- Décidément, vous êtes nombreuses à préférer le danger des marais plutôt que supporter ma compagnie.

Et par « nombreuses » évidemment, il voulait dire « deux », ce qui était loin d'être « nombreux ». Il se savait ridicule, mais il n'en avait cure. La vérité est qu'il était toujours blessé par cette décision, et même s'il comprenait celle de Rosen, il avait du mal à accepter celle de Sydonnie. La baronne de Sombrebois s'était toujours montrée solitaire et débrouillarde, il était dans sa nature d'agir de la sorte, de s'isoler. Après tout, peut-être en allait-il de même avec la sergente ? Comme Rosen le lui avait fait remarquer, il ne la connaissait pas si bien après tout. Mais non, il le sentait, c'était autre chose. Elle avait filé à cause de lui.

- Tu sais, si ça t'ennuyait vraiment de faire le trajet avec moi, tu pouvais toujours partir de ton côté.

Il ne savait pas trop s'il était en colère contre elle, en colère contre lui, en colère contre Sydonnie. Les trois en même temps, sans doute. Ce dont il était sûr, en revanche, c'était qu'il ne comprenait pas la baronne de Sombrebois. Il en avait assez de l'entendre se plaindre, mais de refuser la moindre aide tendue. Vraiment, si elle avait besoin d'aide, ne pouvait-elle pas mettre sa fierté de côté ?

D'accord, il n'avait pas vu venir le long monologue que la blonde lui déblatéra à la figure. Pendant sa tirade interminable, il ne répondit rien, mais ses yeux se levèrent vers le ciel à plusieurs reprises, il secoua parfois sa tête, leva les bras en signe d'impuissance. Se rendait-elle compte qu'ils se reprochaient exactement la même chose ? Comme si elle ne se prenait pas pour le centre du monde ! « Et moi j'ai vécu ça, mais tu comprendras pas » « et moi j'ai subi ça, mais tu voudras pas savoir » « et moi je suis passée par là » et blablabla. Tiens, la revoilà « une multitude de raisons », qu'est-ce qu'il pensait, quelques secondes plus tôt ? La pauvre Rosen en avait tellement vu des vertes et des pas mûres, qu'elle préférait voyager seule en se lamentant sur ses erreurs passées...

L'entendre reparler de cette histoire de mariage le mit hors de lui. Ils se connaissaient si peu à ce moment-là, comment pouvait-elle croire qu'il aurait pu accepter de prendre une place aussi importante dans sa relation avec Hector ? Elle n'avait pas de problème avec lui ? Oh ben oui, ça se voyait ! C'était pour cette raison qu'elle remettait le sujet sur le tapis. Elle lui en voulait depuis son refus. Et cette guerre dont il avait parlé, ce n'était qu'un trait d'humour, mais apparemment, prendre tout au pied de la lettre était un autre des nombreux défauts de la baronne de Sombrebois.

Dans son élocution, elle avoua qu'Hector lui avait également fait des reproches. Et bien, n'était-ce pas la preuve qu'elle devrait se remettre en question, elle aussi ? Sans doute pas, après tout, ne gagnait-elle pas toujours à ce jeu là ? L'entendre se dénigrer une dernière fois fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Tant mieux, car cette dernière jérémiade marquait la fin de son plaidoyer.

- Tu mens très mal. Tu m'en veux depuis que j'ai refusé d'être ton témoin. La preuve, tu me le rabâches encore.

C'était une première chose. Alaric parlait d'une voix posée, dangereusement calme. Chaque mot était prononcé avec une intonation presque menaçante, comme s'il avait dépassé le stade de la simple colère.

- Si Hectore t'en veut, c'est que tu devrais aussi te remettre en question.

Second élément. Il n'était pas capable de reprendre les arguments dans l'ordre de ses insinuations, tant la colère l'empêchait de faire de l'ordre dans son esprit.

- Tu passes ton temps à te plaindre, à croire que tu mènes une vie plus difficile que les autres. C'est insupportable.

Peut-être était-ce là le plus grand reproche qu'il pouvait lui administrer.

- Moi aussi, j'ai essayé de faire des efforts. Mais t'entendre t'apitoyer me coupe l'envie.

Il marqua une pause et prit une profonde inspiration, ce qu'il ne s'était plus permis depuis qu'il avait débuté sa réponse. Il ne pouvait pas encore prendre assez de recul pour s'apercevoir que ses paroles avaient été dures, prononcées sans aucune empathie. Il avait simplement énoncé tout ce qui l'énervait chez la blonde, sans se demander s'il allait la blesser ou non. D'habitude, il prenait toujours des gants et évitait avec soin de froisser autrui. Cependant, cette fois avait été différente. Une limite avait été franchie et, par les Trois, qu'est-ce que cela faisait du bien d'être franc, quelques fois ! Rosen aurait sûrement quelque chose à lui rétorquer, mais tant pis. Elle avait une excuse pour tout, il n'avait plus envie de l'écouter.

Au loin, les premières ruines de Piana se découperaient bientôt dans le ciel. Il fallait les atteindre avant la tombée de la nuit. Ce serait juste, mais c'était possible.

Soudain, une flèche siffla et effleura sa joue. Alaric porta une main sur cette dernière, légèrement ensanglantée et se retourna sur sa selle. Les pirates, ou tout autre fonctions que ces bandits occupaient, s'étaient finalement lancés à leur trousse. Dans leur altercation stupide, mais nécessaire, ils ne les avaient pas entendu arriver. Grossière erreur. Le soldat jura et lança Bravoce au galop. Pas sûr qu'il soit capable de les viser correctement, à cheval. Cependant, il ne devrait pas être trop compliqué de les semer. Au pire, ils se faufileraient entre les décombres de l'ancien village : il les connaissait bien, Piana offrait un nombre inestimable d'embuscades.

- Tu me trouves insupportable ? Tu n'as encore rien vu.

Alaric lui adressa un regard, ce genre qui vous pousse à vous taire, à moins d'être suicidaire. Il aurait très bien pu braquer une flèche et la tenir en joue qu'il n'aurait pas été moins menaçant. Il en avait assez entendu. Bien sûr, discuter avec Rosen ne rimait à rien. Mauvaise foi incarnée, elle aurait toujours une réponse toute faite à lui adresser, lui prouvant à quel point il avait tort. Tout ce que la blonde glanerait, c'était un ennemi supplémentaire. Elle était ridicule, à vouloir avoir le dernier mot sur tout, elle ne faisait que s'enfoncer un peu plus dans ses erreurs et ses mensonges, au lieu de les reconnaître. C'était désolant. Alaric aurait voulu être capable de l'aider, mais il n'était pas des plus habiles avec les gens et les relations sociales en général. De plus, pas sûr que Rosen ait réellement envie de faire ce pas. Car c'était à elle d'avancer en premier.

L'attaque surprise des soi-disant pirates coupa court à leur discussion envenimée et tous deux prirent la fuite, serpentant entre les traits assassins qui les manquaient toujours de peu. C'est qu'ils savaient tirer à l'arc, les bougres !

Au galop, ils pénètrèrent dans les ruines de Piana. Le soir tombait, dans moins d'une heure, il ferait complètement noir. Ici, Alaric avait déjà fui des fangeux. Il connaissait les lieux. Reconnaissant les différentes bâtisses effondrées, il enjoignit Rosen de le suivre, lui intimant de se taire d'un doigt sur les lèvres. Lorsqu'Alaric avait accepté de travailler pour Hector, ce dernier l'avait emmené dans la cité détruite, à la recherche d'une certaine... Kyra ? Quelque chose comme ça. Bref, ils avaient dégoté une demeure pas trop mal en point que le baron avait voulu retaper afin de créer un relais possible entre Sombrebois et Marbrume. Les circonstances dangereuses l'avaient empêché de mener ce projet à bien, mais la maison était toujours là, solidement campée sur ses fondations de pierre. Alaric y mena la blonde et, une fois dans le hall, il descendit de Bravoce. Il flatta son encolure, caressant son poil ruisselant de sueur. Il faudrait nourrir et abreuver les chevaux, mais d'abord, s'occuper des intrus était plus important. Des éclats de voix semblaient parvenir des quatre coins de Piana : ils étaient à leur trousse. Le soldat pensait discerner trois timbres de voix différents, mais impossible d'en être certain.

- Je monte. Cache-toi dans l'ombre de l'entrée, tu les auras par surprise. T'as une dague ou un poignard ?

Il adressa une prière silencieuse aux dieux, puis entreprit d'aggriper la dense végétation qui avait pris possession des lieux. Entre les branches et les poutres encore valides, il se hissa jusqu'au toit, ouvert en un large trou béant. Alors il s'accroupit et avança jusqu'au rebord, priant pour que la charpente ne s'écroule pas sous son poids.

Alaric attrapa son arc et encocha une flèche. Patient, il attendit, observant sans sourciller les flammes des torches qui dansaient dans l'obscurité des lieux. Il y en avait trois, il ne s'était donc pas trompé. Enfin, une silhouette s'approcha de la bâtisse. À la lueur de la torche, le soldait devinait des traits durs, des cheveux rasés, une armure de mauvaise qualité. C'était assez de détails qu'il percevait pour savoir qu'il pouvait décocher. Ce qu'il fit. La flèche fusa dans l'air avant de traverser brutalement la cuisse de l'assaillant. Ce dernier hurla avant de s'écrouler, sa torche roulant sur le sol. Nul doute que ses partenaires se rueraient dans sa direction afin de l'aider... Pas de problème, j'ai d'autres traits pour vous...


Lancer de dés

Alaric ignora purement et simplement la remarque de la blonde, tout attelé qu'il était à rechercher et tester des prises. Se hisser à l'étage de la bâtisse serait aisé grâce aux poutres et à une rambarde à moitié conservée, l'accès au toit et à son trou proéminent se révélerait plus ardu. Néanmoins, il avait déjà réussi lorsqu'il avait visité les lieux avec Hector la première fois et il savait qu'il était capable de recommencer. Il avait déjà gravi des obstacles bien plus compliqués et bancals et ses tentatives s'étaient toujours terminées en réussite.

Enfin, lorsqu'elle en rajouta une couche, il daigna se retourner vers elle, après avoir enjambé souplement la balustrade de l'étage. Se réceptionnant en douceur sur les lattes de bois, il lui rétorqua :

- Mes excuses, je pensais justement que c'était en robe, que tu faisais tomber les hommes...

Et il la planta là, afin d'atteindre l'ouverture, à l'aide de la végétation et autre charpente à l'aspect solide. Une fois sur le toit, plus rien ne compta que ses sens et son arc. Lorsque sa flèche avait transpercé la cuisse de son adversaire, Alaric s'était senti fier de lui, même s'il ne pouvait taire la pointe de culpabilité qui était née en lui : l'homme, malotru soit-il, devait souffrir le martyr... Son hurlement suivi de ses gémissements plaintifs n'étaient pas exagérés. Le soldat eut un moment d'hésitation : il ne pouvait le laisser là, à l'agonie, mais il répugnait à l'idée de lui ôter la vie. Repensant aux paroles de Sydonnie, il arma une seconde flèche. C'était ce type ou lui-même. Et il était bien décidé à rester en vie. Après avoir adressé une prière aux dieux pour s'occuper de l'âme du futur défunt, il décocha son trait ; il se logea son difficulté dans le crâne de la victime, ses gémissements se turent aussitôt.

Pendant qu'il tergiversait, les deux autres pirates étaient rentrés dans la bâtisse délabrée. En silence, il se pencha vers l'ouverture du toit et observa Rosen en achever un d'une flèche fatalement tirée. Accroupi, il nota les déplacements de leur dernière victime, cette dernière cherchant un moyen d'atteindre l'étage. Non loin, les chevaux piaffaient, alertés par cette violence soudaine qui se déroulait sous leurs yeux. Alaric pouvait voir les idées qui fusaient dans la tête du pirate : à découvert dans ce vaste hall, il était à leur merci. En revanche, il pouvait toujours se protéger et tenter de fuir. Même si tourner le dos aux deux habitants de Sombrebois était du suicide. Dans tous les cas, il devait tenter le tout pour le tout.

À la lueur de la torche, Alaric aperçut un éclat de mauvais augure dans la main du pirate : une petite lame dégainée. Craignant pour la vie de sa fidèle monture, il descendit avec prudence, se reçut d'une roulade, et, flèche encochée, banda son arc. Le trait se ficha dans l'épaule du pirate, ce dernier cria et lui répondit par un regard assassin avant de reporter ses yeux haineux sur le morceau de bois qui transperçait son corps.

- Voilà pourquoi tu ne devais pas les laisser rentrer. J'ai aucune envie qu'il blesse Bravoce.

Sans doute la blonde n'avait-elle pas pensé à leurs montures, cibles pourtant faciles d'accès... Alaric profita de ce moment de faiblesse pour descendre dans le hall d'entrée à l'aide de l'échelle et tint son ennemi en joue dès que possible.

- Lâche ton arme, cria-t-il d'un ton sans équivoque. Essaie de me convaincre de te laisser la vie sauve.

Et il espérait bien qu'il y arrive ! Il avait déjà pris la vie, il n'avait aucune envie de recommencer. Bon, au pire, Rosen s'y donnerait sans doute à coeur joie...