[Terminé] Un retour "cahotique" [Eric et Gudrun]

Une fois de plus, Gudrun était dans une charrette, suivant la route qui la ramènerait à Sombrebois, serpentant entre les marécages boueux et les bosquets de pins sombres. Encore une fois, elle ruminait de sombres pensées. L'ambiance était plus pesante qu'à l'aller, car le convoi, toujours formé de trois chariots, une coutilerie et quelques hommes à pied, ramenait de Balazuc non pas des ouvriers frais et dispos, mais plutôt des estropiés.

Le convoi venait de repartir après une courte pause pour partager la nourriture, quand le silence se fit dans les bois alentours. Sans dire un mot, les chariots se mirent à l'arrêt et les miliciens resserrèrent les rangs, sortirent leurs armes et scrutèrent du regard les alentours. Face au danger imminent, la petite dizaine de soldats semblait tout à coup bien dérisoire. Un soldat finit par pointer du doigt un endroit entre les arbres, puis tout s'enchaîna très vite. Une silhouette décharnée émergea des arbres. Un Fangeux ! Les miliciens se rassemblèrent en position défensive, tandis que le conducteur du premier chariot criait et fouettait pour relancer ses bêtes à toute allure. Cela pouvait sembler cruel d'abandonner ainsi les miliciens, mais rien n'indiquait qu'ils triompheraient de l'immonde créature. Sans compter que les Fangeux se baladaient rarement seuls, la seule option logique était la fuite, et leur seul atout la vitesse. Le deuxième chariot où se trouvait Gudrun lui emboîta le pas. La route était à peu près bonne à cet endroit et ils purent prendre un peu de vitesse. Malgré tout, les cahots pouvaient très bien faire glisser n'importe qui en dehors du véhicule. La prêtresse s'accrocha comme elle put aux rebords, observant malgré elle les hommes qu'ils laissaient derrière eux. La créature venait de sauter sur une des bêtes de somme du troisième attelage. Les miliciens avaient peut-être encore une chance... Elle n'en saurait pas plus, car la scène fut rapidement hors de vue, cachée par l'épais sous-bois.

Ils continuèrent ainsi quelques instants, qui parurent longs aux yeux de Gudrun, ballotée en tous sens, priant les Dieux d'accorder la victoire à ces courageux miliciens. Il y avait trois ouvriers avec elle, tous blessés et incapables de se retenir à quoi que ce soit. L'un d'eux, inconscient depuis Balazuc, finit par tomber sur la route. Bon sang, ils étaient assez loin du lieu de l'attaque, on pouvait sans doute s'arrêter pour le récupérer désormais ! Non ? Elle se tourna vers le conducteur du chariot pour lui crier de s'arrêter, mais elle n'en eut pas le temps. Le premier chariot venait de se renverser en travers de la route, et le chariot où elle-même se trouvait ne tarda pas à lui rentrer dedans de plein fouet. La vitesse n'était sans doute pas aussi grande qu'un cheval lancé au plein galop, mais suffisante pour rendre le choc violent. La prêtresse sentit qu'elle ne s'accrochait plus à rien, son corps n'était plus en contact avec le chariot. Sa tête heurta quelque chose de dur et puis... plus rien.

Un petit feu crépite au centre de la cavité, projetant des ombres dansantes sur les parois. Une violente bourrasque secoue brutalement la porte qui grince mais tient le coup.
Je grignote une pomme, le regard posé sur une masse sombre.

Quelques heures plus tôt, alors que j’avançais vers nul part, des cris et un terrible bruit de fracas m'étaient parvenus. Comme à mon habitude, je m’étais alors caché, dissimulé dans un arbuste dense sous mon épaisse cape, attendant de voir si d’autres bruits suivaient ou non.
Après un petit moment, jugeant que le danger était sinon écarté au moins diminué, j’allais voir, épée en main.

Je ne vous cache pas qu’en arrivant devant la scène, même moi je m’arrêtais pour l’observer en me grattant la tête.
Dans un autre univers, à une autre époque, on appellerait cela un carambolage. Sur l’instant, j'appellerais cela une collision de charrette, mais je suis certain que l’on pourrait trouver mieux.
Je fais un rapide tour d’horizon pour m’assurer que je suis seul et approche prudemment de la zone. Je constate dès lors que je ne suis pas seul.
Du moins, suis-je le seul en vie.

Le premier chariot, couché en travers de la route, avait écrasé au moins deux personnes dans sa chute. En allant voir un peu plus loin, je trouvais le cocher, plié en deux contre un arbre et une écume sanglante lui coulant de la bouche. En revenant vers les charrettes, je vis qu’un autre malheureux s’était fait projeter du second attelage, accompagné du deuxième cocher, avant d’être tous deux aplatis entre les deux véhicules. Un autre corps, visiblement piétiné par les chevaux maintenant loins se trouvait un peu à l’écart tandis qu’un troisième se trouvait plus en amont, au milieu du chemin. Après inspection, son crâne avait été fracassé sur une pierre affleurante. Je m’assurais rapidement qu’aucun n’avait plus de signes vitaux puis jouais de l’épée pour leur couper la tête.

J'entreprends alors de fouiller rapidement les chariots pour y trouver quelques vivres, ramassant deux sacs pleins, avant de mettre les voiles. C’est en repartant que je suis tombée sur un dernier corps.
Il s’agissait d’une femme qui, après vérification, était toujours vivante.

Le jour décline et la laisser ici, c’était la condamner. N’ayant pas de cheval, je devais la porter, mais cela signifiait me délester d’un des deux sacs de vivres pourtant vitaux. C’est cependant le choix que je fais. C’est donc avec un seul sac de vivres et une femme inconsciente que je quitte les lieux. Après un petit moment de marche, le vent se lève et des gouttes de pluies, annonciatrices d’une véritable tempête de printemps, se mettent à tomber.
Par chance, je connais les lieux pour y avoir passé quelques temps il y a plusieurs mois.

C’est ainsi que je conduisais l’inconsciente sur mon épaule jusqu’à une ancienne mine qui avait l’énorme avantage de posséder une lourde porte avec battant et poutre de verrouillage. C’est un lieu discret et sûr.

J’entrais donc avant de déposer la femme au sol. J’allumais rapidement un petit feu avec un stock de bois que j’avais laissé à mon dernier passage puis j’allais fermer la porte. J’enroulais l’inconsciente dans ma couverture après l’avoir délestée de ses sacoches que je laissais à ses côtés puis m’installais sur ma cape après avoir posé armes et besaces un peu à l’écart.

Je sors une pomme que je croque en observant la masse sombre que forme la femme allongée dans ma couverture.

Gudrun se réveilla en sentant une odeur de fumée. Elle avait la bouche pâteuse et mal au crâne. Elle voulut se lever comme d'habitude, mais elle se rendit vite compte que tout son corps était engourdi. Pas étonnant, elle était allongée par terre. Mais pourquoi allongée par terre au juste ? Forçant pour ouvrir les yeux complètement, elle vit simplement qu'elle se trouvait dans un endroit sombre. Elle entendait un feu crépiter juste à côté. Elle réussit à se dépêtrer de la couverture qui la recouvrait et se releva en position assise. Elle se retourna. Le feu était là... Et un inconnu était assis à côté, qui la regardait en croquant dans une pomme. Ce n'était pas un Fangeux, Anür soit louée ! Mais où était passé le chariot ? Et les hommes qui l'accompagnaient ? Ils avaient pris la fuite et puis... Et puis quoi ?

Son premier réflexe fut de lui demander où elle se trouvait. Aussitôt contré par un sentiment de peur. Qui pouvait bien faire des feux dans les cavernes en enlevant les honnêtes gens ? Des bandits ! Et que faisaient-ils de leurs prisonniers s'ils ne les tuaient pas immédiatement ? Ils les violaient ou ils les mangeaient. Et les prisonniers finissaient morts, à un moment ou à un autre ! Ces gens là n'avaient pas de pitié. Elle pouvait essayer de négocier, mais elle ne voyait pas bien quoi, personne ne paierait de rançon pour elle. Elle resta silencieuse en observant l'inconnu, mais son visage ne trahit rien de ses intentions. Elle se souvint alors qu'elle avait un petit couteau dans sa sacoche de ceinture : c'était risqué, mais c'était sa dernière chance. La peur l'empêchait de réfléchir plus clairement. Les bras sous son manteau elle chercha la sacoche en question. Elle n'était plus là ! Heureusement, son regard tomba dessus immédiatement. Elle était juste un peu plus loin, par terre. Rikni je t'en prie, donne moi la force d'accomplir ta volonté. Tu sais mieux que personne que la violence est parfois nécessaire. Elle banda tous ses muscles en continuant de regarder l'inconnu, puis au dernier moment tourna la tête vers sa sacoche et se jeta dessus.

HRP:

La masse s’agite!
La masse gronde, grogne et souffle jusqu’à s’asseoir. Hirsute, elle l’est la dame ce qui, en plus de la bosse en devenir, lui donnera une allure étrange.

Je croque dans ma pomme.

Elle se tourne vers moi.
Erreur de diagnostic, la bosse n’est pas en devenir, la bosse est là et bien là.

Je mâche ma pomme.

Ses yeux dansent dans tous les sens.
Puis sur moi.

J’avale ma pomme.

Son regard semble la présenter comme soulagée...Puis surprise, puis méfiante, enfin apeurée et plus ou moins décidée.
A quoi faire, je n’en ai pas la moindre idée.

Je jette le trognon dans le feu et une douce odeur de pomme cuite s’élève aussitôt.

Je suis alors la direction de ses yeux.
Droit sur l’une de ses petites sacoches.

Il y a une arme là dedans, pas vrai?

A peine ais-je posé la question qu’elle bondit sur l’objet de sa convoitise.

Danger?
A considérer comme nul!

Je la laisse faire, me contente de me lever et de lui tendre une gourde.

Si tu me crois dangereux pour ta vie, demande-moi de t’ouvrir la porte. Si tu as conscience que je ne présente pour toi aucun risque, assieds toi.

Elle fouille dans sa sacoche.

Il fait nuit et l’orage gronde, temps idéal pour les fangeux. Et comment feras-tu pour me tenir en respect avec un couteau dans une main tout en retirant la barricade de la porte, une poutre en chêne d’une vingtaine de kilos?

Avant de me demander comment je sais qu’elle a un couteau, je vous demanderais de faire fonctionner votre cervelle.
La probabilité qu’une personne qui voyage possède un couteau, ne serait-ce que pour manger, est de l’ordre de la certitude. De plus, vue la taille de sa sacoche, il est presque évident qu’elle ne cache pas dedans une épée à deux mains.

Situation?
Elle a trouvé son arme.

Danger?
Minime!

Ripostes envisagées?
Verbale en priorité. Au besoin, j’ai une gourde.

Stratégie?
Évidente!

Eric! Tu devrais boire au lieu de t’agiter inutilement.

HRP::

Gudrun jeta un coup d'oeil rapide à la porte dont parlait le bandit, tenant toujours le couteau pointé sur lui. Effectivement, elle était barrée. Et même à deux mains elle n'était pas sûre de pouvoir soulever la poutre. En revanche, elle ne savait pas s'il disait la vérité sur l'heure et la météo, le sang battait à ses oreilles. L'homme semblait tranquille, ses paroles étaient posées et paraissaient sensées. La prêtresse retrouvait peu à peu ses esprits après ce réveil brusque, même si la peur restait toujours là. Du moins, assez pour réaliser que seule dans la nature elle n'avait aucune chance de s'en sortir. Elle resta figée, observant le bandit à la lueur du feu. Il avait une allure étrange, un crâne chauve, pas de sourcils, un air... détaché ? Elle finit par attraper la gourde qu'il lui tendait, avant de reculer de nouveau. Il ne lui tendrait pas cela s'il voulait la tuer tout de suite. Elle se rassit lentement, le regard toujours fixé sur lui. Le couteau aussi, évidemment.

- Eulalie. J'étais dans un chariot. Avec des compagnons. Qu'est-ce que tu as fait d'eux ?

Elle ne voyait aucune trace d'eux dans la caverne. Morts ou vifs, ils n'étaient pas passés par ici. Elle se demanda si le tutoyer était une bonne idée, trouverait-il cela impoli ? Puisqu'il avait commencé ainsi, elle espérait que cela l'apaiserait.

Elle prit prudemment une gorgée de l'outre tout en tentant de garder un oeil et le couteau vers lui. Elle finit par avaler une gorgée de travers et se mit à tousser. La rebouchant, elle la fit glisser en direction du bandit chauve.

- Merci.

Sa soif était à peu près étanchée, et elle se sentait beaucoup plus alerte désormais. Mais son corps entier semblait fatigué, et elle sentait des bleus sur presque tous ses membres. Elle ne pouvait plus résister à sa curiosité.

- Où est-on ? Je veux dire, à combien de temps sommes-nous de la ville la plus proche ?

Le couteau n’est pas baissé.
Son regard vérifie que je dis vrai concernant la porte. Je dis vrai.
Un grondement se fait entendre depuis l’extérieur, lent et roulant, comme une charge de cavalerie qui passerait au-dessus de nous.
Alors elle m’observe d’un œil attentif, tandis que je lui tends toujours la gourde. Elle s’en saisit farouchement avant de remettre de la distance entre nous. Nous nous asseyons à peu près en même temps.
Le couteau est toujours présent.
Alors elle expose la réalité, du moins celle qu’elle avait en mémoire, sa propre réalité. Mais ça, c’est ce qui était et non les faits.

Tu n’étais pas dans un chariot lorsque je t’ai trouvé. Tu étais étalée dans les fougères à côté d’un rocher. Tu as de la chance de ne pas avoir saigné. Tes sept compagnons sont morts. J’ai vérifié, aucun signe de vie. L’un, en amont de l'accident, est tombé sur une pierre au milieu du chemin, un second s’est pris un arbre et les cinq autres se sont fait écraser par les chariots et les chevaux. La nuit allait tomber et la pluie allait démarrer. J’ai donc juste fait ce que l’on fait aux cadavres avant qu’ils ne se relèvent. Tu étais la seule secourable.

Je l’observe, impassible, boire une gorgée et s'étouffer avec, pointant toujours la lame sur moi. Lorsqu’elle me rend ma gourde, je la pose entre nous. Je hoche la tête pour lui indiquer qu’il est normal de donner de l’eau à quelqu’un que l’on tente d’aider.
Puis elle me demande à quelle distance de la ville la plus proche nous sommes.

Vu la direction des chariots, je suppose que la destination était Sombrebois. La ville la plus proche est donc ton point de départ. Tu arrives sans doute du nouveau campement, soit environ un jour de chariot et donc un jour et demi à pied sans faire de détour.

J’ajoute une bûche dans le feu et tire à moi la sacoche de vivres que j’ai pris dans le chariot. Je l’ouvre et en sors un pain ainsi qu’un morceau de fromage.

Mange un peu, même si tu n’as pas faim, car il te faut reprendre des forces si tu veux poursuivre ta route. Après, tu devras dormir. Ce n’est pas raisonnable de prendre la route dans ton état. Vu le choc, tu vas sûrement avoir des vertiges, c’est le meilleur moyen de se perdre dans les marais.

Je romps deux morceaux de pain et en colle un dans ma bouche avant de me lever. Je vais à ma besace et en extrait une grande chemise blanche. Je reviens et je la pose à côté des vivres.

Il faut que tu te défasses de ta cape et de tes habits, ils sont boueux et humides et doivent sécher. Si tu gardes ça pour dormir, tu vas épuiser tes forces pour conserver une bonne température. Tu pourras enfiler ça pour te reposer et j’ai une deuxième couverture si besoin.

Sur la forme, je donne l’impression de ne pas laisser le choix, d’ordonner. C’est faux, bien sûr, mais c’est ma façon d’exprimer un conseil...

Tous morts ? Dans un simple choc entre chariots ? Et qu'étaient devenus les miliciens et les hommes à pied laissés avec le Fangeux ? Ils n'étaient pas repassés sur la route à leur suite ? Ou bien les avaient-ils vus et avaient préféré continuer leur chemin ? C'était à peine croyable.

Elle hocha lentement la tête, imitant inconsciemment le bandit. Balazuc était plus proche. Mais elle ne voulait qu'une chose pour l'instant, c'était rentrer à Sombrebois, entre les murailles rassurantes, dans le temple de pierre solide. Oui, mais voilà, il y avait un monde entre ce qu'elle aurait voulu et la réalité des choses. Sa volonté de vivre qui l'avait soutenue jusqu'ici n'était pas morte. Manger n'était pas une option. Dormir, en revanche, c'était une autre histoire. Chaque chose en son temps. Il lui donna également un vêtement sec. Il avait sans doute été blanc à une époque, mais il paraissait relativement propre malgré tout. Elle posa son couteau à côté d'elle, en évidence, et entama le pain qu'il lui avait donné.

Elle aurait voulu lui demander s'il plaisantait lorsqu'il parlait de changer d'habits, mais il n'avait pas l'air du genre à faire des blagues. Elle resta donc silencieuse, observant son manteau sale et prenant conscience de l'humidité de ses vêtements. Un petit frisson la parcourut, qui n'avait rien à voir avec le froid qu'elle ressentait. Elle s'était promis de ne plus laisser sa peur de l'eau prendre le dessus. Mais l'habit sec à côté d'elle était plus que tentant. Et si elle répugnait à enlever son grand manteau de laine pour lequel elle avait tant d'affection, elle se rendait bien compte qu'il serait plus raisonnable de l'étaler pour le laisser sécher. Indécise, elle continua à manger en fixant l'homme chauve. Elle ne savait plus très bien s'il fallait continuer à le considérer comme un bandit. Il pouvait y avoir plusieurs raisons à sa présence dans les bois après tout.

- Vous me proposez de me laisser dormir ici. Vous me donnez à manger. Vous me proposez de me sécher. Mais qui êtes-vous donc par Anür ! D'ailleurs, je ne sais pas où nous sommes, mais comment diable avez-vous fait pour m'amener jusqu'ici ? Je ne me souviens absolument pas avoir marché ! Que faites-vous dans les bois ?

Le morceau de pain avait réveillé son appétit. La peur aurait dû lui laisser la gorge nouée, mais il fallait croire qu'elle commençait à se sentir à l'aise. Elle engloutit le morceau de fromage.

- Et surtout, pourquoi me laisser repartir ? Quelle sera la contrepartie ? Vous sous-entendez que vous allez m'indiquer le chemin à suivre, mais comment puis-je savoir que ce n'est pas un piège ?

Elle avait l'esprit encore embrumé, et ne voyait pas bien d'autre manière de lui soutirer ces informations plus subtilement.

Elle semble surprise par les informations que je lui donne. J’ai bien entendu quelques bruits de combats encore plus avant sur le chemin, mais des hurlements mon immédiatement enseigné la nature intraitable et presque invincible de l’adversaire. Je n’ai donc pas jugé pertinent de me lancer seul contre un fangeux.

Elle pose son couteau et s'attaque au pain, muette, semblant réfléchir à ses options. Ses yeux se posèrent longuement sur la chemise que je lui avais donné, avant de se porter sur le fromage, passant tantôt sur moi. Après un silence étiré, elle m’expédia plusieurs questions. Visiblement, savoir qui, pourquoi et comment était plus important que d’agir sur sa condition.
Je reprends donc la parole, restant parfaitement factuel, comme à mon habitude. Peu d’émotion dans la voix et pas de gestes inutiles.

Je te l’ai dit, je m'appelle Eric. Nous sommes dans une ancienne mine environ à mi-distance de Balazuc et de Sombrebois, dans les marais. Pour t’amener ici, je t’ai porté. J’aurais pu te traîner par une jambe, mais cela ne m’a pas semblé adéquat.

Je sors une seconde gourde, de vin cette fois, et bois une bonne gorgée avant de lui tendre le contenant.

Je vis dans les bois. Parfois ici, parfois plus vers Sombrebois, parfois encore ailleurs. Depuis que j’ai déserté la milice, j’évite les villes.

Après avoir avalé son fromage, elle revient à la charge avec une question supplémentaire. Un piège? Je fais donc aussi peur que cela?
Oui, bon, certes…
Je crois que ce que l’on fait dans ces moments-là, c’est hausser les épaules, non? Alors c’est ce que je fais.

Pourquoi te retenir? Tu es libre d’aller dehors et de mourir si c'est ce que tu souhaites. Je ne fais que te faciliter la survie mais je n’ai pas le droit de choisir pour toi. C’est pareil pour ce qui est de t’indiquer la route, c’est pour faciliter ta quête mais tu es en droit de refuser. Pour ce qui est de la contrepartie, la sacoche de vivres que j’ai récupéré dans le chariot me permettra de tenir deux bonnes semaines, j’estime cela suffisant.

Après avoir énoncé cela, j’ai comme l’impression que cela ne lui suffira pas, alors je poursuis.

Si je t’avais prévu un funeste, ou au moins un mauvais destin, tu serais attachée. Est-ce le cas? Si j’avais voulu te tuer, ce serait fait depuis longtemps et je ne t’aurais pas trainé ici. Pareil, si j’avais voulu abuser de toi, ce serait fait.

Je me relevais alors pour rapprocher plusieurs bûches afin d’éviter de faire des allers-retours toute la nuit. Ceci fait, je me défais de mon plastron de cuir qui va rejoindre mes armes. Je retire tout ce qu’il n’est pas confortable de garder pour la nuit et me réinstalle sur ma cape vêtu simplement de mon pantalon et de ma chemise. En faisant tout cela, j’avais réfléchi à ma dernière phrase et je fis une moue désapprobatrice. J’essayais, lorsque je croisais des gens, de me montrer un tant soit peu civilisé, cordiale et...normal? Résultat, ma dernière phrase sonnait dans ma tête comme terriblement vexante pour la dame face à moi, aussi voulus-je corriger le tir.

Quand je dis que je n'ai pas abusé de toi, cela ne signifie pas que tu n’es pas désirable, c’est juste que ce n’est pas ainsi que se passe une relation charnelle convenable. Ton visage est agréable, c’est certain, mais pour le reste il fait trop sombre et tu es trop couverte pour que je puisse en juger. Si cela te tient à cœur, je pourrais te donner mon avis sur la question lorsque tu te changeras, ce que tu devrais faire sans tarder d’ailleurs au risque d’attraper froid.

J’avais l’impression d’enfoncer le clou. Alors je haussais de nouveau les épaules.

Dans tous les cas, tu es ici en sécurité, je ne te ferai rien, les Dieux m’en sont témoins.

Je mords alors une lamelle de viande séchée, réfléchissant à ce que j’avais dis, si les tournures étaient correctes, si rien ne pouvait être mal interprété. Je conviens avec moi-même que j’avais fais au mieux et eu alors un air satisfait.

La traîner par une jambe !? Effectivement, ça n'était pas adéquat pour un preux chevalier. Mais pour un déserteur qui vivait dans les bois, le simple fait de l'avoir portée jusqu'ici était incroyable. Elle refusa d'un signe de tête la nouvelle gourde qu'il lui proposait. Elle ne savait pas ce que c'était, sans doute du vin ? Mais s'il y avait de l'eau fraîche disponible, elle s'en contenterait. Elle n'avait pas l'habitude de toucher à l'alcool, et dans sa situation cela aurait été encore plus malvenu.

La désinvolture dont il faisait preuve la laissait pantoise. Il avait donc porté sa personne et un sac de vivres. Alors qu'il aurait pu porter le sac de vivres seul. Voire même deux, il y en avait sûrement plus dans le chariot de tête. Etait-il idiot ou simplement trop généreux ? Il était sans doute inutile de se poser la question, puisque dans les bois, être l'un ou l'autre devait avoir les mêmes conséquences. Mais il était là, en face d'elle, apparemment sûr de ses compétences et de sa capacité à survivre dans les bois.

- Si j’avais voulu te tuer, ce serait fait depuis longtemps et je ne t’aurais pas trainé ici. Pareil, si j’avais voulu abuser de toi, ce serait fait.

Il garda le silence plusieurs instants pendant qu'il s'agitait.

- Merci.

Gudrun ne prononça que ce mot, à voix basse, l'observant toujours aussi attentivement. Elle avait un peu peur d'être impolie ce faisant, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Les yeux du déserteur avaient une expression particulière, qui lui semblait familière. Elle n'arrivait pas à se rappeler où elle avait bien pu déjà voir ce regard. Quoi qu'il en soit, la phrase d'Eric n'admettait tout simplement pas de réponse. Mais elle invitait certainement à la réflexion : le raisonnement était logique, et cet homme semblait finalement être quelqu'un de calme, posé. Peut-être devrait-elle suivre ses conseils. Elle se releva avec difficulté, et, le quittant des yeux pour la première fois depuis un long moment, elle commença à détacher les liens de son manteau. Eric s'était déjà allongé de son côté, prêt à dormir. C'est alors qu'il reprit la parole. Et ce qu'il avait à dire la laissa complètement ahurie, debout à côté du feu. Est-ce que.. ? Quoi !? Les yeux écarquillés, elle le fixait de nouveau du regard, laissant sa tâche en suspens. La seule chose claire qu'elle avait compris de ce discours, c'était sa dernière phrase. Pas de danger. Et il faudrait bien qu'elle le croit car apparemment, sa survie allait dépendre de lui. Qu'il parle des dieux était d'ailleurs rassurant. Néanmoins, il fallait clarifier les choses...

- Je ne vous demande rien Eric. A part de m'aider bien sûr. Enfin, si vous le voulez bien, bien sûr... Je... Enfin, pas m'aider pour regarder...

Ce qui lui semblait être une demande particulièrement claire au début tourna à la déroute, car elle ne savait comment se faire comprendre clairement par cet interlocuteur, dont les idées suivaient de toute évidence un chemin plus tortueux que chez la plupart des gens. Cela eut le don de l'agacer contre elle-même.

- Enfin oui ! Je vais me changer ! Mais pour l'amour des dieux ! Tournez-vous vers le mur !

Et, tentant de garder une attitude digne, elle enleva son manteau qu'elle étala au sol. Elle avait cessé de regarder vers lui. Il y avait à peine quelques mois, elle avait prêté les pires intentions à un homme qui voulait simplement l'aider, et elle s'en était mordu les doigts. Elle ne recommencerait pas cette erreur. Et aujourd'hui, rien n'indiquait qu'Eric était un être mauvais. Elle choisit donc de lui faire confiance, et cela ne se donnait pas qu'à moitié. La seule alternative possible aurait été de s'enfuir, mais c'était la mort assurée. Le choix était vite fait. Elle se débarrassa de sa robe et enfila la chemise aussi rapidement que possible, dos à l'inconnu, avant de se rasseoir sur le sol et de s'enrouler dans la couverture. Celle-ci sentait le moisi, mais elle ne savait pas si c'était elle-même qui lui avait donné cette odeur plus tôt, ou si c'était son odeur d'origine. Elle se remit à fixer Eric.

Désormais, la raison lui dictait de dormir. Elle n'était pas sûre de pouvoir le faire tant qu'il serait réveillé. Mais la confiance ne se donnait pas qu'à moitié... Elle s'allongea, tentant de trouver une position à peu près confortable. Elle continuait à fixer la forme sombre allongée en face d'elle, de l'autre côté du feu. Le poids de la fatigue commençait à se faire sentir...

De rien. Vous étiez vivante mais en danger, j’avais la possibilité de vous aider...Rien de plus n’est à considérer. Je crois…

Elle ne me quittait pas des yeux, mais je ne m’en offusque pas. A vrai dire, j’en avais plus que l’habitude. En retour, je l’observais également. Ses cheveux en pagaille, sa bosse, la terre et la boue un peu partout sur ses habits et sur elle.
Elle finit par se lever et à détacher son ample manteau boueux et je crois bien que c’est la première fois depuis son réveil qu’elle ne me surveille pas.
Aurait-elle compris que je n’étais pas un danger?

C’est ce moment que j’ai choisi pour tenter d’éclaircir ma pensée auprès d’elle et m’assurer que je ne l’avais pas froissé. Je m’étais compris moi même, mais même sans avoir beaucoup de lumière, il me parut évident qu’une fois encore, j’avais fait fausse route.
A sa réponse, outre le fait qu’elle acceptait finalement mon concours, elle semblait penser que j’avais proposé de me rincer les yeux. Cependant, elle se corrige elle-même et je comprends alors que mon avis quant à son aspect physique ne l’intéresse pas.

C’est comme tu veux.

Je me retourne donc face à la paroi de la mine, lui laissant l’intimité qu’elle désire. J’essaye de comprendre ce que j’ai pu dire pour la rendre aussi confuse. Il est vrai que beaucoup de personnes ont une approche pudique de la nudité. C’est sans doute cela. Pour moi, une personne nue est une personne nue. Et j’ai toujours préféré être nu que d’être en hypothermie.
Je pense alors à une chose.

Un peu plus loin dans la mine, il y a une sorte de cuvette dans la roche. Elle est pleine d’une eau qui provient de la terre, une eau chaude. Demain, tu pourras t’y laver, je ferai des torches.

J’entends alors le bruit de la couverture et jette un oeil. Elle m’observe, enveloppée dans la laine chaude, aussi je me retourne. Nous sommes là, à trois mètres l’un de l’autre à nous observer , le feu nous séparant. Le silence s’installe et seul le crépitement des flammes se fait entendre, résonnant dans la caverne. Au bout d’un moment, je n’entends plus qu’une respiration lente et calme provenant de la rescapée. Vu l’émotion, elle va dormir d’un sommeil lourd.

J’extrais alors une corde de ma besace et m’éloigne un peu du feu, un bout de bois incandescent en main. Je tends la corde entre deux pics rocheux et plante la torche improvisée dans un troue creusé pour cela. J’étends alors, silencieusement, son manteau et ses habits sur la corde. Ils sécheront mieux ainsi qu’au sol.
Allant ensuite à ma réserve de bois, je récupère de quoi faire six torches qui seront utiles pour le lendemain.

Lorsque je me réveille, la dame dort encore. Je ravive donc le feu et verse de l’eau dans une carafe en fer que je mets à chauffer. Je dépose un morceau de pain et de la viande séchée non loin de la femme. Ensuite, je ramasse mes torches et deux autour du campement. En plus du feu, nous nous verrons enfin correctement. Je prends ensuite la direction de la cavité d’eau chaude, disposant quatre torches régulièrement espacées que j’allume, menant jusqu’au bassin.
Là, je retire mes habits et m’immerge, nu, dans l’eau. Il y a fort longtemps que je ne me suis pas attardé sur mon corps marqué. Je me contente de me laver, laissant aux autres le soin de me juger sans que cela ne m'atteigne. Avec mon dos déchiré, ma haute et large carrure et ma pilosité volontairement inexistante…
Je hausse les épaules.

Je suis ainsi!
Indéniablement!

Elle se réveilla en entendant un bruit. Enfin, c'était ce qu'elle avait cru, puisque l'endroit était désormais silencieux. Il faisait froid dans la mine, malgré le petit feu. Elle bascula en position assise, toujours enroulée dans la couverture, regardant autour d'elle. Aucune trace du déserteur. En revanche, il y avait à manger et à boire, et elle dévora les provisions assez rapidement en essayant de réfléchir à la suite. Il lui semblait qu'elle avait déjà les idées plus claires que la veille.

Il n'était pas sorti puisque la porte était toujours barrée. Le jour était-il déjà levé ? Elle se leva pour essayer de jeter un coup d'oeil sous le seuil de la lourde porte mal ajustée. Il faisait sombre de l'autre côté, mais cela ne prouvait rien. Elle se rejeta en arrière en constatant que sa tête qu'elle avait approchée du sol était à seulement quelques pouces d'un petit crapaud ! Celui-ci avait réussi à passer la porte, pour venir se mettre au sec ? C'était nouveau ça ! Ces répugnantes créatures étaient vraiment perfides.

Ses vêtements avaient été étendus et il y avait de nouvelles sources de lumière. Eh bien, il tenait peut-être plus du prince charmant que du vagabond finalement. L'humour n'était pas vraiment son fort, alors elle se garderait bien de prononcer sa blague à voix haute. Elle passa la main sur ses habits. Encore humides, bien que moins que la veille. Il fallait s'y attendre. Il lui faudrait brosser la boue de son manteau, elle ne supportait pas de le voir dans cet état.

Que faire ? Il avait parlé la veille d'eau chaude. C'était tentant. Mais tout ce qu'elle voulait c'était rentrer au plus vite, et pour ça, il fallait d'abord le trouver. Elle s'enfonça dans la mine en suivant les torches, toujours enroulée dans sa couverture. Après quelques dizaines de pas hésitants, elle finit par l'apercevoir, de dos, dans une cuvette naturelle remplie d'eau. Seuls son crâne chauve et ses bras dépassaient du bassin, un petit tas de vêtements à côté.

- Bonjour Eric.

La cuvette d'eau était plus vaste qu'elle ne s'était imaginée quand le déserteur lui en avait parlé. La tentation était irrésistible. Elle s'approcha du bord, posa la couverture par terre, et laissant une bonne distance entre elle et Eric, elle s'assit, laissant ses jambes tremper dans l'eau chaude.

- Vous m'avez proposé d'en profiter hier soir, donc je me permets de vous rejoindre. Si je vous dérange, dites-le moi, je m'en irai.

Elle avait vu un bon nombre d'hommes nus dans sa vie par la force des choses, et si elle évitait de fixer Eric c'était tout simplement pour éviter de le mettre mal à l'aise. Elle était davantage pudique quand cela la concernait, sans l'être beaucoup. Depuis la Fange, la pudeur était un luxe que l'on pouvait rarement s'accorder. Si la proposition indécente de l'homme la veille au soir l'avait troublée, après une nuit de sommeil, l'impression s'était atténuée. Elle ne l'avait cependant pas oublié, et n'avait aucune envie de tenter le diable en se plongeant toute entière dans le bassin.

Elle entreprit de frotter ses jambes et ses bras. La chaleur était vraiment relaxante. Elle passa au visage, qu'elle évita de frotter trop durement car une bosse douloureuse était née sur son front. Sous ses doigts, elle avait l'impression qu'elle était énorme, mais ce n'était sans doute qu'une impression. En se penchant, elle se rendit compte que ses cheveux n'étaient plus vraiment attachés. Elle finit de les détacher avec l'intention de refaire sa coiffe, mais certaines mèches s'étaient soudées avec de la boue séchée, ce qui n'était pas très gratifiant. Elle avait très envie de se laisser glisser dans le bassin, elle n'avait besoin que d'un instant... Peut-être allait-il partir et lui laisser un peu de temps seule dans la cuvette ? C'aurait été très impoli de lui demander cela tout de même.

Rares sont les choses de la vie qui me procurent un réel plaisir.
Rares sont les choses de la vie dont je profite et dont j’ai un jour pu profiter.
C’est ainsi et j’ai appris à me satisfaire de ce que mon cheminement me permet de croiser. Mais un bain dans l’eau chaude de cette mine est un délice. C’est un endroit que je connais depuis des mois et j’y passe régulièrement.

Alors, je suis assis dans l’eau, adossé au rebord et les bras sur la rive, ne laissant que ces derniers, ma tête et mes épaules dépasser. Les yeux clos, je profite de cette eau douce et chaude qui détend mes muscles et allège mon cœur lorsque j’entends des pas.
Mon invitée est donc levée et me rejoins, ce qui se confirme lorsqu’elle me salue poliment. Je pivote la tête dans sa direction, la trouvant à quelques pas, toujours enroulée dans la couverture.
J’esquisse un sourire.

Bonjour à toi!

Je me décroche du bord de la cavité pour me retourner complètement et lui faire face. Il y a beaucoup plus de lumière que la veille grâce aux torches et je l’observe se défaire de la couverture pour se trouver en simple chemise. Chemise qui au passage n’est pas aussi blanche que dans mes souvenirs.
Elle me rappelle que je lui ai parlé du bassin, ce que je n’avais pas oublié, et annonçant se permettre donc de me rejoindre.
Visiblement oui, puisqu’elle est là…
C’est lorsqu’elle ajoute qu’elle peut me laisser que j’ai un nœud qui se forme au cerveau.

Tu ne m'incommode pas le moins du monde…

Un éclair humoristique me traverse alors la tête tandis qu’elle trempe ses pieds dans l’eau et se frotte doucement. J’affiche un étrange sourire, comprendre là qu’il s’agit d’un vrai sourire mais qu’il fait étrange sur mon visage.

Sans couteau en main, tu ne me dérange pas!

N’ayant toujours que les épaules qui dépassent, je profite qu’elle soit à se frotter pour jeter un œil à sa bosse. Elle va la garder un petit moment mais ce n’est là rien de grave.
La lueur des torches met en exergue les traits de son visage, la noirceur de ses cheveux, même s’ils sont plutôt teinte boue, et le tout fait ressortir ses deux pupilles bleues. Je distingue une estafilade sur sa joue droite mais je suis bien mal placé pour trouver qu’une cicatrice est affreuse…
Pour le reste, ma chemise ne la mets pas en valeur mais c’est bien une femme...Au cas où quelqu’un se pose la question.

Tu as déjà meilleur mine en tous cas, sans jeu de mots quant au lieux…

Je me gratte la tête, cherchant à savoir si ce que je viens de dire est de l’humour ou une simple bêtise. Décidant finalement que cette réflexion ne me mènera nulle part, je lui indique le bassin.

Déshabille-toi et rejoins-moi, cela te fera le plus grand bien!

Alors, que les choses soient claires! A aucun moment je n’ai dit cela dans un quelconque intérêt visuel personnel. N’allez pas chercher de raisonnement tordu là où c'est le plus élémentaire de tous qui guide mes mots.
Elle est sale et fatiguée, un bain chaud est le meilleur des remèdes, prendre un bain sans habits c’est bien mieux et, enfin, ses habits n’étant pas secs il faut que la chemise le reste si elle veut pouvoir s’habiller ensuite. Je suis pragmatique…
Et accessoirement, la pudeur n’est définitivement pas quelque chose qui me vient naturellement. Mais avec mon histoire, cela se comprend je pense.

Je voyais cependant bien que quelque chose n’allait pas aussi je voulut la rassurer, certain d’avoir compris le problème.

Ne t’en fais pas, ce n’est pas profond!

Ben quoi? Elle est peut-être hésitante car ayant peur de l'eau? Ce ne serait pas la première personne que je croise à ne pas savoir nager...

Eric sourit. Enfin, on pouvait supposer que c'en était un, coins de bouche relevés, dents apparentes... Il avait peut-être passé trop de temps dans les bois. Cela l'amena à penser qu'il n'avait sans doute pas pu prier à un temple ou se confesser depuis un bon bout de temps. Déserteur ou non, c'était bien triste qu'un droit pareil lui soit refusé.

- Sans couteau en main, tu ne me dérange pas!

- Grands dieux ! Je suis désolée, je n'avais pas tous mes esprits hier et j'ai cru... Enfin, j'ai cru que vous étiez un bandit. Vous devez savoir que c'est assez courant dans les bois.

Eric tenta ensuite une politesse, à moins que ce ne soit qu'un jeu de mots ? Elle savait qu'elle passait parfois à côté de sens cachés dans les phrases. Il avait l'air de vouloir se montrer aimable en tous cas. Même s'il avait de nouveau une façon de présenter les choses quelque peu... étrange ? Gudrun se remémora sa résolution de la veille. "Confiance". Le "rejoindre" n'était sans doute qu'une proposition mal formulée. Malgré tout... Il la fixe depuis qu'elle est arrivée. Et puis zut, il n'avait pas l'air d'un mauvais bougre, et comme il l'avait si bien dit plus tôt s'il avait voulu quelque chose de déplacé, il ne s'en serait pas privé. De toute évidence, physiquement elle ne faisait pas le poids. Techniquement, ce n'était même pas la peine d'y penser. Ce n'était pas une maigre chemise qui allait faire la différence.

- Merci Eric, vous êtes très prévenant.

Elle retira la chemise et se coula rapidement dans l'eau chaude. Elle constata qu'effectivement ce n'était guère profond, et le fond était pierreux, pas vaseux. Aucun crapaud à craindre sans doute ! Elle soupira de contentement, plongea la tête sous l'eau, puis s'affaira rapidement à se décrasser. Heureusement qu'il n'y avait pas beaucoup de lumière, elle avait bien peur de faire changer la couleur de l'eau avec toute cette crasse.

- Par Anür, quel plaisir !

Elle se retourna légèrement vers Eric pour voir s'il n'était réellement pas dérangé par sa présence.

- Je n'en ai pas pour longtemps. J'imagine que c'est un de vos refuges habituels dans les bois. Pourquoi le partager avec moi ?

La voilà qui s’excuse suite à ma plaisanterie sur son couteau. Elle m’explique qu’elle me croyait alors bandit, qu’elle craignait pour sa vie et son intégrité, qu’elle était alors chamboulée. En effet, dans des moments pareils, c’est compréhensible. De plus, elle avait raison, les bois grouillaient de bandits. J’en avais croisé pas plus tard que la semaine précédente. Cela s’était mal fini, pour eux.

Ne t’excuse pas voyons. Je sais bien que je ne suis pas forcément des plus avenant ni des plus rassurants. D’ailleurs comme tu le dis, les bois regorgent de brigands. Cela dit, je suis content que tu te sois fait à l’idée que je n’en suis pas un!

J’étais sincère. Ce coup-ci, j’en suis sûr, c’est un vrai sourire qui s’affichait. Après lui avoir conseillé de me rejoindre, et l’avoir un peu détaillé, j’attends sa décision. Elle semble hésiter, ou non, vu qu’elle se décide rapidement. Elle me remercie avant de se dévêtir devant moi, sans se cacher vraiment, se contentant de descendre rapidement dans l’eau.
Sans la dévisager ni en profiter outre mesure, mais comme elle se déshabille face à moi je n’ai pas à me forcer, j’observe ses courbes.
Ce que j’apprécie plus encore, c’est le quasi naturel avec lequel elle s’immerge avec moi. J’en viens à me demander pourquoi elle a refusé ma proposition de la veille, mais je décide de mettre cela sur le compte de son état. Aucune importance après tout.

J’estime le bassin suffisamment grand pour pouvoir le partager avec toi, dis-je en un sourire.

Elle disparaît sous l’eau avant d’émerger, ses cheveux coulant le long de sa nuque pour s’étoiler à la surface de l’eau. Elle exprime alors le côté agréable de ce bain avant de se tourner vers moi et d’affirmer qu’elle n’en a pas pour longtemps. Elle me demande ensuite pourquoi je partage ce lieux avec elle.

Prends le temps qu’il te faut, profite de cette source chaude! Tu ne m’indispose pas, au contraire, c’est même agréable de pouvoir discuter avec quelqu’un. D’ailleurs, c’est l’une des raisons pour lesquelles je te partage cet endroit. Cela plus le fait que tu en as besoin. Je t’abrite, je te nourris, je t’habille alors autant faire la démarche jusqu’au bout en te permettant de te laver. Tiens, d’ailleurs…

Je me redresse en avançant vers la paroi, abaissant le niveau de l’eau juste au niveau de mes hanches. Je vais jusqu’à une petite cavité, légèrement en hauteur et y plonge la main, faisant toujours plus ou moins face à la dame. J’attrappe ce que je voulais et reviens vers elle tranquillement. Une fois arrivé à la distance adéquate, je lui tends un morceau de savon.

Voilà, cela peut-être utile. Ah! Et tu peux aussi me tutoyer!

Je me demande alors si je dois dire quelque chose sur le fait que je l’ai aperçue nue...Elle a décliné, mais les femmes sont parfois contradictoires. Par ailleurs, ayant vu plus que regardé, mon avis ne serait pas vraiment précis. Je ne sais pas trop quoi faire ni quoi dire et cela me tracasse. Je ne veux pas non plus que mon silence soit interprété comme un avis négatif, je ne veux pas qu’elle se vexe.
Du coup, avant que mon hésitation ne paraisse trop claire, je lui pose une question anodine.

Il te faudra aussi un peigne, non? J’en ai un au campement, je te le prêterais.

Parler ? Etait-ce la solitude qui lui pesait ? Gudrun aurait imaginé que la faim et la peur permanente seraient des préoccupations plus fortes que ça, qui seraient passées avant tout. Mais elle pouvait le comprendre. Et c'était peut-être un échange équitable. Parler, elle pouvait le faire.
Il lui tendit un savon et elle le prit, étonnée.

- Merci... Vous... Tu m'étonnes un peu Eric. J'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi dévoué à son prochain. J'ai du mal à croire que tu sois un déserteur.

Le regard de l'homme se troubla. Elle se demanda si elle avait dit quelque chose qui n'allait pas, avant qu'il ne lui propose d'aller chercher un peigne. Proposition encore plus incongrue que celle qu'il lui avait faite la veille.

- Eh bien, c'est très aimable de proposer, mais je me servirai plus tard de celui que j'ai dans mes affaires. Et je suis sûre qu'il conviendra bien mieux que n'importe quel autre peigne que tu pourrais me proposer, dit-elle en fixant le crâne chauve de son interlocuteur.

Il avait beau paraître gentil, il n'en était pas moins très étrange, imprévisible. Elle espérait qu'elle n'aurait pas de mauvaises surprises... C'est alors qu'elle réalisa qu'il était plutôt difficile de se savonner sous l'eau. Elle pesta intérieurement contre elle-même. Elle aurait dû lui demander d'aller chercher ce fichu peigne ! Elle hésitait entre différentes options. Elle n'était pas pudique, mais être nue aux thermes, entourée de dizaines d'autres personnes, était tout de même assez différent de la situation actuelle. Finalement, elle allait abuser de la gentillesse de son hôte.

- Eric... Pourrais-tu te retourner s'il te plaît ? Vois-tu, je n'ai pas vraiment l'habitude de prendre mon bain dans ces.. hum... conditions et je... Enfin, je vois que la pudeur n'est peut-être plus une de tes préoccupations actuelles, mais... Je n'aime pas trop qu'on me fixe ainsi quand je me lave.