[Terminé] Un retour "cahotique" [Eric et Gudrun]

Je sifflote tandis que nous tournons. Son odeur me chatouille les narines lorsque ses pas me font la frôler et de petites décharges électriques me traversent lorsque je sens ses courbes féminines ou ses mains effleurer mon dos. Rien à voir avec une quelconque douleur résiduelle, non. Ce sont d’autres types de décharges, plus légères et autrement plus agréables.
Au grès de la danse, je laisse mes propres mains se glisser là où nos mouvements les portes. Tantôt à sa taille, tantôt à ses hanches, parfois ses épaules. J’apprécie la douceur de ce moment comme un cadeau. Car c’est un véritable cadeau que de découvrir cet art avec Eulalie.

Une chaleur m'envahit doucement, s'imprégnant dans mon corps, se diffusant dans tout mon organisme et, cette boule que j’avais au ventre lentement glisse et s'étend jusqu’à ma poitrine.
Alors la danse s’achève sur une dernière note, un dernier pas. La Dame glisse sa main hors de la mienne, souriante, avant de s’incliner. Les joues me brûlent alors que je réponds en inclinant poliment la tête, un sourire aux lèvres.

Alors, j’entends les compliments d’Eulalie à mon égard, ce qui me fait rougir de plus belle. A l’évocation de ma chemise, à savoir si cette dernière me dérange, je suis touché qu’elle y pense. Il semblerait que mon bien-être ne soit passé avant la convenance qui lui tient tellement à cœur.
Qu’elle soit attentionnée à ce point envers moi est quelque chose qui me fait frémir. D’ailleurs, le fait même qu’elle semble chercher une excuse pour convenir que je retire ma tunique me fait rougir de plus belle. L’idée qu’elle aime à me voir ainsi me traverse l’esprit.

Merci Eulalie pour ce moment que je n’oublierais jamais. Merci pour tous ces compliments mais à excellente maîtresse bon élève.

Je dis cela avec une sincérité totale, toisant son regard du mien.

Si cela ne t’importune pas, en effet je préfère ne pas porter ma tunique. Ce n’est pas que c’est douloureux, mais ce n’est pas le plus agréable. Cela dit, s’il n’y avait que le dos...

A ces mots, je retire doucement mon vêtement, face à elle, avant de le lancer sur ma cape. J’en profite pour placer une nouvelle bûche dans le feu avant de me tourner vers elle de nouveau en ramassant la couverture. Je passe dans son dos et viens tendrement poser la couverture sur ses épaules.

Tu as raison, tu as encore du temps devant toi, alors profite-en pour te reposer. Je…

J’hésite, je ne suis pas sûr de mes mots, je doute, j’angoisse, mais au fond, je sais. Mes joues ne sont que braises. Alors j’abrège.

Non, rien.... Repose-toi, je veille sur toi.

Je lui frotte les épaules doucement avant de m’éloigner pour m'asseoir sur ma cape, perplexe par tout ce que je ressens, tout ce qui me chamboule et tout ce que mon esprit fait éclater.

C’était parfaitement agréable Eulalie, que de danser avec toi. Merci, vraiment!

Comment fait-on pour ne plus avoir les joues rouges? Elle va finir par se poser des questions et que répondrais-je alors?

Eric était toujours aussi rouge, la danse semblait l'avoir ému. Sans doute parce qu'il n'avait jamais eu l'occasion de participer à l'une d'entre elles, ce qui était étonnant bien qu'un peu triste au fond. Au moins, elle le crut lorsqu'il dit que cela lui avait fait plaisir, cela se voyait sur son visage rosi, d'habitude inexpressif. Elle en était contente, elle-même avait trouvé l'expérience... agréable.

Il accepta ses propositions avec naturel, avant de venir lui déposer la couverture sur les épaules, dans un geste presque tendre. En fait, non, pas presque. Ses mains restèrent sur ses épaules quelques instants, avant de les lui frictionner doucement et de repartir. Cette fois-ci, c'était elle qui sentit ses joues rougir. Elle n'avait plus l'habitude de contacts aussi rapprochés depuis bien longtemps, et elle ne savait plus très bien comment y réagir. Elle aurait aimé y répondre avec colère, comme d'habitude, mais ces simples gestes n'avaient rien de répréhensible, ses frères avaient eu les mêmes autrefois. Mais voilà, cet homme n'était pas son frère, et si son corps lui rappellait vaguement Einar, ils n'avaient rien à voir l'un avec l'autre. Elle ne comprenait pas bien ce qu'elle ressentait, ce qu'elle aurait dû ressentir, ce qu'elle aurait aimé ressentir... Mais elle sentait confusément que ce n'était pas bien. De tous les points de vue. Il était simplement bon et respectueux avec elle, et elle avait le sentiment de trahir sa confiance en ayant de telles pensées, quelles qu'elles soient.

Elle s'assit en s'enroulant jusqu'aux yeux dans la couverture, fixant le feu et se contentant de hocher la tête aux remerciements d'Eric, sans le regarder. Elle ne lui avait même pas donné son vrai nom, et la culpabilité commençait à la ronger.


On entendait plus de tonnerre depuis quelques temps. Eric ne s'était pas trompé, et le lendemain serait le jour du retour vers Sombrebois. Depuis leur danse, ils avaient passé le temps simplement, à manger, dormir, échangeant quelques mots, faisant quelques parties de dés... Elle lui avait chanté quelques unes des chansons qu'elle connaissait, il lui avait sifflé quelques airs en retour. Elle avait pu nettoyer son manteau désormais sec, et assise devant le feu, elle s'employait à réparer un accroc avec du fil et une aiguille trouvés dans l'incroyable bric-à-brac d'Eric. Elle avait eu le temps de réfléchir pendant tout ce temps passé avec lui, et elle avait pris une décision : quoi qu'il arrive, elle lui dirait son vrai nom avant que leurs routes ne se séparent. Elle trouverait le bon moment, et elle lui dirait. Sa détermination à le convaincre d'aimer les dieux n'avait pas disparu non plus, et le temps était compté désormais pour le persuader. Elle y arriverait, coûte que coûte.

Eulalie semblait un peu perturbée elle aussi. Après lui avoir frotté les épaules, je remarquais qu’elle arborait des joues roses, comme les miennes.
Elle acceptait mes remerciements sans un mot, presque entièrement disparue sous sa couverture.
Alors, sur ma couverture, je me mis à réfléchir en observant la Dame enroulée près du feu.
Je réfléchissais à ce qui me faisait rougir, à ces sensations diffusent en moi, tantôt électriques, tantôt frémissantes, toujours agréables et toujours perturbantes. Au combien perturbantes surtout.

Alors que je gardais un œil sincèrement protecteur sur elle, je ne pu m’empêcher de la revoir, nue dans l’eau. Je me remémorais ce que je lui avais dit en visualisant chaque détail, que j’avais pu voir, de son corps.
Alors, je ne trouvais plus ma phrase à son encontre toujours aussi juste. En me la repassant, elle était devenue fade.
“Tu n’es pas très originale physiquement, mais je te trouve harmonieuse. Une harmonie très plaisante.” Il n’y a pas à dire, c’est moche et en plus cela ne veut pas dire grand chose. Elle est harmonieuse, ça oui. Et très plaisante à regarder, là encore. Mais le corps ne se dissocie pas de l’esprit. Hors là, je suis face à une femme à l’esprit fort et pourtant faible, d’une ouverture sans borne mais cloisonnée. Je suis face à une Dame qui se bride elle-même.

Mais une femme belle à sa façon, qui me plait, à l’esprit en pleine contradiction, qui n’appel que mon soutient.
Plus je pense à cela, plus je sens le feu grouiller en moi.
En des mots plus simples, pour les simplets voyeurs qui me lisent, je crois que j’ai pour Eulalie un sentiment profond d’attachement qui, si je ne me trompe pas, peut-être associé à de…
Heu!
De l’amitié? Non! C’est plus que cela.
Vous avez devinez? Mais je ne le dirais pas, pas à vous!

***

Soirée du 23 avril 1167

L’orage s’est arrêté juste avant la tombée de la nuit, ainsi que je l’avais pensé. Le lendemain amènerait le départ vers Sombrebois, ce qui signifiait notre séparation prochaine.
Je n’en avais pas envie, mais j’avais fait une promesse.
Je m’y tiendrais comme je l’ai toujours fait.

Dans l’attente, Eulalie m’a chanté des chansons que j’essayais d’accompagner en sifflotant. Nous avons mangé, bien sûr, repris des forces. J’avais longuement observé la dextérité de la Dame pendant qu’elle reprisait son grand manteau. J’avais d’ailleurs confié que, si j’étais capable de réparer un habit, j’étais incapable d’une telle finesse, d’une telle précision.
Contrairement au jour précédent, nous avons beaucoup moins parlé.
Nous semblions tous deux un peu perdus dans nos pensées. Moi, en tous cas, je l’étais. J’ai même rougis en revenant, nu, de mon bain. Je dois être honnête, j’en fus le premier surpris.

La journée touchait à sa fin et je n’avais de cesse de retourner dans mon esprit ce qui me tracassait, ce que je devais dire sans arriver à trouver les mots. Sans arriver à vraiment comprendre ce que je devais dire. Moi, qui vantait la sincérité du cœur, je n’arrivais pas à écouter le miens; un comble!

Je viens alors m’installer à côté d’elle, qui retouchait un fil de son manteau, affichant un air un peu grave mais sans doute triste.

Demain, nous pourrons prendre la route.

Je posais alors une main douce sur son épaule avant de demeurer immobile quelques instants, muet. Alors, je me fis légèrement plus ferme sur son épaule avant de m’approcher et de l’enlacer tendrement. Elle avait refusé quand je lui avais demandé. Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas la voir partir sans avoir fait cela. Même à ce qu'elle me vire et m'insulte.

Il ne se connaissait que depuis deux jours, et pourtant elle avait l'impression que cela faisait bien plus longtemps. Elle ne déchiffrait toujours pas certaines expressions du visage d'Éric, mais elle perçut néanmoins que quelque chose le tracassait lorsqu'il vint s'asseoir à côté d'elle sur la couverture, avant de lui annoncer qu'ils pourraient partir le lendemain. Ça n'avait pas l'air d'être une manière d'amener une conversation quelconque. C'était une simple constatation, à sa manière habituelle, mais avec un je-ne-sais-quoi qui la rendait différente. Il voulait sûrement lui dire quelque chose qu'elle ne pourrait pas comprendre, encore une fois. Elle ne protesta pas quand il posa doucement une main sur son épaule. Le geste n'avait rien de déplacé à sa manière, et la proximité physique des derniers jours les avait considérablement rapprochés. Comme il l'avait si bien dit la première fois qu'ils s'étaient parlé, s'il avait voulu lui faire quelque chose, il l'aurait fait ! Il n'avait même plus commenté son apparence physique, et c'était appréciable. Et comme elle-même l'avait dit, elle se sentait à l'aise en sa présence.

Mais la combinaison de ce geste et de cette phrase l'inquiétait. Est-ce qu'il allait lui annoncer une mauvaise nouvelle ? Il restait là, sans bouger, comme si ce qu'il avait à dire était bloqué. Ce qui était en soi très étrange, puisqu'il ne semblait pas avoir l'habitude de retenir ses paroles, elle en avait eu la preuve à de nombreuses occasions ces deux derniers jours. Elle en était là de ses réflexions, commençant à s'inquiéter elle-même, quand soudain, Éric se pencha vers elle pour l'enlacer, dans un mouvement très doux, qui ne paraissait pas menaçant. Surprise devant la douceur de ce geste, elle ne sut pas comment protester et se retrouva là, entourée de ses bras, crispée, toujours avec son aiguille et son fil dans la main. Elle avait envie de réagir par réflexe en le sermonnant rudement, mais la chaleur qui l'enveloppait était... très agréable. Tiraillée entre des sentiments contradictoires, son coeur se mit à battre la chamade. Panique ? Indécision ? Surprise ? Peur ? Plaisir ? Éric n'avait rien de menaçant, elle l'avait constaté ces derniers jours, mais il avait aussi dit qu'il comprenait qu'elle ne veuille pas de câlin. En fait, elle avait du mal à se rappeler ce qu'il avait dit exactement, ses pensées s'embrouillaient dans son esprit. Un simple câlin, entre gens qui s'appréciaient. Oui, c'était quelque chose comme ça. Cet instant de surprise passée, les idées un peu plus claires, elle commença à se détendre, ferma les yeux pour reprendre une profonde inspiration, posa son ouvrage devant elle. La tension était toujours là, mais elle n'y pouvait rien. La seule autre chose à faire aurait été de le repousser, mais elle n'en avait tout simplement pas envie, parce que... Parce qu'il ne méritait pas d'être blessé ? Ou parce qu'elle aimait réellement ce contact ? Peu importaient les raisons, elle resta là sans bouger, sans parler, profitant simplement de ce moment particulier sans se poser plus de questions. Elle finit même par se pencher légèrement pour poser la tête sur l'épaule d'Éric afin d'être plus à l'aise.

Après un long moment et quelques respirations apaisées de plus, elle finit par relever le buste et s'écarter doucement d'Éric, et tourna la tête pour lui sourire. Elle ne voyait pas bien quoi lui dire qui aurait pu exprimer ce qu'elle ressentait. Alors, elle reprit son fil et son aiguille pour continuer le reprisage de son manteau.

Pas de cri, pas de mouvement brusque, elle ne me repoussait tout simplement pas quand bien même elle m’avait expliqué que cet acte était pour elle totalement déplacé.
Elle était tendue, mais je l’étais aussi, en proie à une confusion intérieure fantastique.
Alors elle me sauva de mes turpitudes.
Alors elle posa la tête sur mon épaule après avoir posé sa couture.
Alors, elle donnait la primeur à mon geste en y répondant bien au-delà de mes espérances.

Une explosion se fit en moi tandis que je profitais de chaque seconde de ce tendre câlin. Nous restâmes ainsi, l’un contre l’autre, mes bras autour d’elle, immobiles, jusqu’à ce qu’elle se redresse et s’écarte en me gratifiant d’un sourire.
Un simple câlin entre gens qui s’apprécient…
Oui je t’apprécie Eulalie, mais jusqu’à quel point?
Et jusqu’à quel point acceptes-tu que je t’apprécie?

Voilà ce que je devrais dire, voilà ce que je me demande sans trouver la réponse…
Vraiment?
Eric, tu nous bassines avec l’honnêteté notamment envers nous-même depuis le début! Alors sois honnête avec toi-même! Car la réponse, tu l’as!

Je réponds au sourire de la femme à mes côtés et l’observe reprendre son œuvre. Il s’écoule quelques instants avant que je n’arbore de nouveau une mine un peu grave. Mon cœur est au galop. Je parle alors, le ton grave et la voix tendue.

Je...Je n’ai plus envie de t’accompagner qu’à Sombrebois…

Je prends une profonde inspiration avant de me pencher vers elle, vers son cou, vers son oreille. C’est là que je chuchote d’une voix sûre mais vibrante d’émotion.

J’ai envie de t’accompagner bien plus loin, bien plus longtemps…

Je suis en flammes, mes joues brûlent, en l’état je ne peux dire mieux, même si j’ai les mots. Je n’ose bouger, ni la regarder. Je me sens...minable? Oui, c’est cela.
Un minable à l’image de sa vie de misère!

Éric resta tranquillement assis à côté d'elle tandis qu'elle continuait à passer et repasser son aiguille autour de la déchirure de son manteau. Elle se sentait bien, assise à côté de lui, tout simplement. Au fond, elle aurait sans doute dû accepter ce câlin depuis le début, il lui avait fait du bien. Mais il y avait des moments où l'on était plus réceptif que d'autres. Elle s'était fait des idées à ce moment là, tandis qu'ici et maintenant, la situation était simple et plaisante, et ses propres arrières-pensées n'avaient plus rien à faire dans l'histoire. Elles étaient bien rangées au fond de son esprit.
Elle était calme, en paix avec elle-même, avant qu'il ne reprenne la parole à nouveau, d'une drôle de voix, prononçant des paroles énigmatiques, d'un ton hésitant qui ne lui ressemblait pas. Il poursuivit en se penchant vers elle, son ton de plus en plus assuré, avec des paroles qui résonnèrent étrangement dans sa tête.

J’ai envie de t’accompagner bien plus loin, bien plus longtemps…

Cette phrase la déconcerta et son air serein disparut de son visage. Elle tourna la tête vers lui. Après lui avoir prononcé ces mots à l'oreille de manière si assurée, il regardait désormais ailleurs, les joues en feu ! Elle se mit soudain à douter de toutes ses certitudes à son propos. Il avait des comportements et des paroles tellement contradictoires... Elle qui jugeait si souvent ce qui était en accord avec la morale ou non, elle n'avait jamais su comprendre les émotions des autres. En cela, elle enviait Éric qui semblait lire en elle comme un livre ouvert, alors qu'il fréquentait beaucoup moins de monde qu'elle... Il n'y avait pas besoin de comprendre pour juger. Mais là, cette phrase, dans ce contexte, pouvait tout et rien dire. Elle lui avait prêté des intentions étranges la veille, avant de se rendre compte que ça n'était pas le cas. Alors, comme la veille, il lui semblait nécessaire d'éclaircir les choses, plutôt que de mal interpréter ses paroles.

- Éric, je sais que tu as l'habitude de parler sans détours, et j'apprécie cela, mais là, cette phrase, je ne la comprends pas. Qu'est-ce que tu essaies de me dire ?

Après un petit instant d'hésitation, le voyant mal à l'aise, elle essaya de préciser sa question.

- Je... Il y a un endroit plus loin que Sombrebois où tu aimerais aller avec moi ? J'aime beaucoup ta compagnie Éric, mais... Enfin, je vis à Sombrebois maintenant et il faut que j'y retourne... Je pense que certains peuvent avoir besoin de moi là-bas, alors voyager ne fait pas vraiment partie de mes projets, tu comprends ? Et puis, pour tout te dire, les Fangeux me font un peu peur... Je ne suis pas faite pour courir dans les bois.

Elle eut un petit sourire crispé. Courir n'était plus dans ses capacités tout court. Il fallait croire qu'elle était un peu tendue par cette conversation pour raconter de telles sornettes.

Parlez sans détours…
En entendant ces paroles et celles qui suivirent, il était en effet évident que les mots imprécis que j’ai utilisés n’ont pas permis de comprendre ce que je voulais dire.
Elle me souriait, les lèvres tendues, sans doute elle-même n’était pas certaine d’avoir compris ce qu’elle pensait.
Bref, tout le monde était perdu.
Mais j’ai les mots, ils sont là mais ne veulent pas sortir ou, plus exactement, je n’arrive pas à les laisser sortir. Je relève la tête et cherche son regard pour y plonger le mien.

Je…

Je prends une grande bouffée d’air.

C’est une image.

Alors, je viens délicatement poser une main sur la sienne, pour interrompre son geste.

Une image pour te dire que je t’ouvre mon coeur Eulalie…

Et allez! Sortez violon et pipeaux!
Tourner autour du pot n’est décidément pas mon fort, je suis nul à ce jeu là. Ah! J’ai beau faire de beaux et longs discours sur l’honneur, l’honnêteté, mais finalement, je me prends les pieds dans le tapis dès qu’il s’agit de sujet très personnel.
Oui, mais voilà!
Ma personnalité, celle qui fait de moi Eric, c’est ma franchise et mon parlé direct, sans encombre.
Un truc est rouge, il n’est pas magenta foncé aux reflets pourpre!
Alors vaille que vaille, du nerf mon gars! T’es au pied du mur là, alors lance toi et ne va pas te tordre l’esprit avec des suppositions hasardeuses sur ce qu’il pourrait advenir.

Quant à vous autres, lecteurs assidus, gardez-vous bien de vous moquer!

Dans un mouvement fluide, je viens déposer un délicat baiser sur la joue marquée de la Dame qui m’a fait flancher. Puis, je m’exprime d’une voix ferme mais tendre.

Ce que j’ai dis avant est superflus. Je t’aime! C’est tout!

Ceci dit, je reste à ma place sans esquisser le moindre geste, lâchant sa main pour lui laisser son espace.
J’ai l’impression que je vais fondre où qu’elle va se brûler si elle me touche la joue...

Éric finit par se retourner vers elle pour la fixer dans les yeux, ce qui était toujours aussi inquiétant. Elle avait du mal à voir où il voulait en venir, et ses paroles décousues commençaient à sérieusement l'inquiéter. Jusqu'au moment où... il lui dit que c'était une image, posant sa main sur les siennes. Elle fronça les sourcils, commençant à percevoir quelque chose qui ne lui plaisait pas vraiment, attendant néanmoins la suite... Qui ne fit que lui confirmer ce qu'elle pensait. Il osa même lui faire un bisou avant de lui lâcher la main, rouge comme une fraise bien mûre. Cette fois-ci, elle était en colère. Déçue.

- Tu me dis ça après m'avoir assuré à plusieurs reprises qu'il n'y avait aucune ambiguïté pour toi ? Et tu oses me dire ça alors qu'on ne se connaît que depuis deux jours ? Qu'est-ce que tu connais à l'amour Éric ? Et qu'est-ce que tu connais de moi au fond pour dire que tu m'aimes ?

Elle s'en voulait terriblement d'avoir cédé à la tentation de ce câlin. Elle l'avait pourtant dit clairement la veille, ce n'était pas une bonne chose un câlin entre deux personnes adultes, et voilà qu'elle avait tout de même accepté ! Et elle y avait même pris plaisir ! Les dieux lui pardonnent toutes ses terribles actions ! Ne tenant plus en place, elle se releva pour commencer à faire les cent pas autour du feu.

- Ça tombe bien, c'est sans doute le moment de te dire que je n'ai pas été honnête moi non plus ! Je ne m'appelle pas Eulalie ! Et je suis mariée ! Est-ce que tu t'en es soucié de ça avant de vouloir m'aimer ?

Elle s'arrêta un moment, réalisant qu'elle était un peu injuste de s'emporter contre Eric, alors qu'elle était la seule responsable de tout ça, et sans doute la seule à avoir une part de culpabilité dans l'histoire. A ce qu'elle sache, il n'était pas marié, lui, il n'avait aucune obligation morale envers quiconque. Il n'avait rien fait de bien offensant envers les dieux, au contraire. Mais ça ne changeait rien, elle était toujours furieuse contre elle-même et elle continua à tourner en rond dans la mine, sourcils froncés. Mis à part qu'elle se devait d'être honnête pour tenter de corriger ses erreurs.

- Gudrun. Je m'appelle Gudrun.

Gudrun!

Je répétais son prénom dans ma tête.

Ce que j’avais craint comme réaction à mon câlin n’avait été que simplement retardé.
Comment décrire ce qu’il venait de se passer simplement?
Un orage.
Eulalie, car c’était encore son prénom à ce moment-là, a tout simplement explosé. Je me pris une première volée alors qu’elle était toujours assise contre proche de moi. Elle me reprochait de lui avoir menti, demandant ce que je connaissais de l’amour ou ce que je savais d’elle pour prétendre l’aimer.

A ce moment, mon visage perdait son rouge en un instant alors que mes traits se fermaient.
Elle, elle se levait brusquement, envoyant voler son ouvrage. Elle avouait m’avoir mentie et me cracha qu’elle ne m’avait pas donné son véritable prénom. Surtout, elle me jeta en pleine face qu’elle était déjà unie à quelqu’un.
Voilà la douce et célèbre danse des poignards, qui vous parcourt le cœur et laisse à jamais empreintes figées.

Elle tournait en rond autour du feu comme un fauve en cage. S’arrêtant brièvement avant de repartir, plus calmement. Elle m’informait alors de son véritable prénom.
Gudrun.
Cela sonnait mieux que Eulalie.

Après un moment, sonné et noyé dans mes pensées confuses, je me levais à mon tour. D’un pas lent, j’allais me planter devant elle, l’obligeant à arrêter son manège.
Je plongeais mon regard marron dans le sien, un regard ferme mais doux. Un regard blessé mais droit.

Enchanté Gudrun! Moi, c’est Eric!

Alors je lui tendis la main.
Alors je repris la parole.

Lorsque je t’ai assuré qu’il n’y avait pas d'ambiguïté, il n’y en avait pas. Mes sentiments à ton égard ont évolué au fil du temps. Quant à ma connaissance de l’amour, je sais le vide que son absence maintient en moi. Je sais que ce vide est comblé depuis deux jours. Quant à ce que je connais de toi...

Je posais un doigt sur son front.

Je pense avoir cerné et compris beaucoup de ce qu’il y a là !

Je pointais, sans toucher, son coeur.

Quant à ici, je ne pense pas que ne pas avoir eu ton véritable prénom m'ait empêché de te connaitre toi!

Je reculais alors, avant qu’elle ne puisse réagir, et repris.

Tu ne peux juger de mes sentiments. Tout au plus tu peux les rejeter ou les refuser, mais tu ne peux me les arracher. Tu es mariée, alors très bien, je n’irais pas plus loin. Je n’ai pas l’impression que ton mariage soit très heureux cependant car, si je ne me suis pas préoccupé de ton statut matrimonial, je n’ai pas souvenir que tu m’ai annoncé une quelconque urgence à rentrer ou encore un éventuel mari inquiet de ton absence. Je ne juge pas ton mariage, je rétorque simplement que tu ne m’as donné aucune piste pouvant porter à croire que tu étais unie à quelqu’un.

Je baissais alors la tête, mon regard s’ouvrant légèrement. Il me venait une pensée, une omission de ma part qu’il fallait corriger. Elle m’avouait son véritable prénom, je devais lui avouer également quelque chose.

Sache que je dois moi aussi te confesser quelque chose. Il y a peu, j’ai été recruté comme mercenaire pour l’escorte des convois. Je n’ai pas encore participé, mais sache qu’il n’est, de fait, pas impossible que l’on se recroise. Tu as cependant ma parole que je ne t’aborderais pas et que je te laisserais en paix.

Je me ferme de nouveau, redevenant l'insondable Eric.

Je tiendrais parole et te conduirais auprès de ton époux en tout bien tout honneur. Ensuite, je sortirais de ta vie comme je le fais toujours. Maintenant, tu devrais te reposer.

Alors, je me saisis d'une torche et doucement, je prends la direction de la caverne étoilée.

Alors qu'elle fulminait encore, perdue dans ses pensées, elle fut arrêtée par Éric qui s'était mis devant elle, l'obligeant à le regarder de nouveau. Il n'y avait pas de trace de colère sur le visage d'Éric. Simplement un air sérieux et grave, qui tranchait avec son expression d'indifférence habituelle. Elle aurait préféré le voir furieux contre elle. Mais au lieu de simplifier les choses, il se contenta de lui tendre la main, comme s'ils pouvaient repartir à zéro. Instinctivement, elle leva la sienne, mais la rabaissa bien vite.

Il se remettait à parler comme d'habitude, clairement, et d'une façon tellement honnête qu'elle ne pouvait que croire à ce qu'il disait. Il n'y avait pas de grands mots dans ses phrases, pas d'enthousiasme débordant, pas de flatteries outrancières. Aucune demande, aucun reproche de sa part.
Elle fronça les sourcils quand il lui toucha le front, annonçant calmement qu'il avait compris ce qu'elle ressentait. Elle en doutait fortement, mais il avait l'air tellement sûr de lui qu'elle ne savait pas quoi répondre. Il commença à reculer, comme s'il avait peur qu'elle l'agresse de nouveau. C'était... blessant. Et mérité également. Ses commentaires sur son mariage étaient... blessants aussi. Mais toujours aussi vrais. Elle avait désormais perdu toute contenance, même si tous ses sentiments continuaient à bouillonner en elle.

Éric changea à nouveau d'expression, arrêtant de la fixer dans les yeux, comme s'il était gêné. Il lui avoua qu'ils risquaient de se revoir. Est-ce qu'il avait évité de le lui dire volontairement ? Pourquoi serait-il gêné sinon ? Et pourquoi aurait-il évité de lui dire ? Une fois de plus, elle ne le comprenait pas.

Reprenant son éternel air indéchiffrable, Éric fit une dernière déclaration avant de partir, la laissant plantée là. Elle n'avait rien dit, mais elle se sentait vidée, comme s'il avait dit à sa place tout ce qu'il y avait à dire. Elle resta immobile quelques instants après son départ, mais son trouble ne disparaissait pas. Elle tourna la tête vers son manteau qui gisait en vrac dans la poussière. Avec un soupir, elle alla le ramasser et se rassit pour finir son raccommodage. S'occuper les mains l'aidait à faire du tri dans ses pensées d'habitude, mais cela ne semblait pas fonctionner cette fois-ci. "Je sortirais de ta vie comme je le fais toujours". Cette simple petite phrase tournait dans sa tête en boucle, même si elle avait été prononcée d'un ton détaché. En fait, cela rendait même la chose pire. Est-ce qu'il pensait vraiment qu'il pouvait sortir de la vie des gens comme ça ? Oui, il le pensait vraiment, elle n'en doutait pas. Elle admirait l'abnégation dont il faisait preuve, mais par cela même il méritait mieux. Énervée, elle avait du mal à terminer le noeud. Juste une réparation de plus sur ce vieux manteau délavé et rapiécé. Le voyage en mer ne lui avait pas fait de bien non plus, le sel avait taché la laine par endroits. Est-ce qu'elle s'accrochait au souvenir de son mari aussi stupidement qu'à ce manteau qu'il lui avait offert ? C'était vraiment ridicule. Elle aurait aimé un signe d'Anür pour lui dire quoi faire dans cette situation. Elle ne voyait pas où la réaction appropriée était décrite dans les livres du culte.

Oui, c'était vraiment ridicule. Elle se releva, ramassa la couverture pour se tenir chaud, et entreprit de se rendre dans le fond de la mine. Il semblait être reparti plus loin, sans doute dans la salle qu'il lui avait montrée. Elle attrapa une torche et entama la marche pour s'y rendre. Elle avait assez bien mémorisé le trajet la veille, elle ne craignait pas vraiment de se perdre. Néanmoins, elle eut le temps de réfléchir tout le temps que dura le trajet. C'était un homme décidé, dont les pensées et les paroles étaient trop honnêtes, c'est tout ce qu'elle pouvait lui reprocher. Mais c'était aussi un comportement assez exemplaire selon elle. Alors, même si elle ne savait toujours pas bien ce qu'elle ressentait, il était hors de question de le laisser s'enterrer seul au fond d'une mine.

Elle finit par arriver à la caverne et posa sa torche à côté de celle qu'Éric avait manifestement laissée là. Elle prit ensuite le passage qui menait à la petite caverne, et, distinguant sa silhouette assise dans la pénombre, elle s'approcha sans mot dire et s'assit à côté de lui, à une distance raisonnable. Elle resta un petit instant silencieuse, cherchant les mots qu'elle voulait lui dire.

- Tu as des paroles honnêtes et sages. Les miennes ne l'étaient pas car je n'ai pas compris ce que tu m'avais dit. Tu ne raisonnes pas comme la plupart des autres hommes, mais cela je ne l'avais pas pleinement réalisé. Je crois que c'est fait maintenant.

Elle parlait à voix basse, comme si le lieu était particulièrement sacré. Elle s'interrompit un autre instant pour réfléchir à la suite.

- Vois-tu, pour moi, l'amour, c'est quelque chose qui ne vient qu'après plusieurs années de mariage. C'est quelque chose de très fort, et qu'on ne peut pas effacer comme ça. Mon époux ne m'attend pas à Sombrebois. Ni ailleurs sans doute. Tu ne pouvais pas le comprendre seul. Et tu ne peux peut-être pas comprendre ce que je dis. Tout comme j'ai du mal à comprendre qu'on puisse aimer quelqu'un aussi rapidement. Mais si tu me dis que c'est le cas, je n'ai pas à le mettre en doute.

La tristesse et d'autres émotions s'emmêlaient étrangement dans son esprit et elle avait la gorge nouée. Mais il fallait qu'elle lui dise une dernière chose.

- Enfin, quoi que tu en penses, tu ne devrais pas sortir de la vie des gens ainsi. Je ne sais pas à qui tu faisais allusion exactement, mais... Ta compagnie est... agréable. Je suis certaine que je ne suis pas la seule à le penser. Je n'aime pas le fait que tu sois un déserteur, mais ce que tu m'as montré pour le reste me prouve que tu es une belle personne, et je suis sûre que les dieux te le rendront un jour. Je ne dis pas ça pour que tu viennes me revoir, c'est un simple fait, tu n'as pas à en tenir compte si tu ne le souhaites pas... Simplement, j'ai essayé d'être sincère et honnête comme toi, mais ça n'est pas si facile tu sais ?

Elle n'avait certainement pas le même degré d'honnêteté que lui, mais c'était déjà un gros effort pour elle. Elle se tut, fixant les petits points lumineux au dessus d'elle, soulagée d'avoir pu lui dire une partie de ce qui lui pesait sur le cœur.

Une étoile!

Une seule étoile dans un vaste univers!
Voilà ce qu’est chaque être que porte ce monde. Un grain de poussière céleste lancé là par les Dieux.
Certaines étoiles sont faites pour luire indéfiniment, d’autres pour n’être qu’un imperceptible point dans les cieux, mélangé aux autres.

Je suis l’étoile noire.
Celle que l’on ne voit pas.
Celle qui pour personne n’existe vraiment. Parfois, on l’aperçoit mais généralement on l'oublie.
Pourtant, je suis.

Cette étoile sombre, pour laquelle les Dieux eux-mêmes semblent ne pas avoir d’attention.
Qu'eux-mêmes oublient.
Une étoile morte, creuse, qui brille à l’envers des autres.
Qui brille par sa noirceur.
Celle qui ne guide pas, n’illumine pas, ne fait pas rêver.
Celle qui demeure terne d’inutilité.

Mais alors, pourquoi avoir lancé cette étoile parmi les autres?
Pourquoi m’avoir fait exister?

Les Dieux et leurs ambitions sont impénétrables et, là, ce soir, je n’ai même pas envie d’avoir une réponse.
Je suis comme cette étoile, terne, inutile, invisible.
Alors oui, je sors de la vie des gens que je croise.
Ils ne s’en portent pas plus mal.

Voilà où j’en suis lorsque Gudrun me rejoint et vient s’asseoir à distance raisonnable de moi.
Elle ne dit mot et moi, je me tais.
J’ai dis ce que j’avais à dire.

Lorsqu’enfin elle brisa le silence, elle le fit à voix basse, calmement. Elle respectait ce que ce lieu avait de sacré à mes yeux, peut-être sans vraiment le savoir.
Alors, j’écoutais.
Je la laissais évoquer ses pensées, ce qu’elle avait compris à retardement, cela allait jusqu’à ce qu’elle pensait de moi en passant par son mari.
Et je restais, à l’écouter, scrutant cette étoile que moi seul voyais.
Et quand elle eu terminé, je me taisais toujours.

Je finis par parler, répondant d’un ton calme, presque serein, doux et chuchotant tout comme elle.

J’ai senti en toi une lourdeur, une pudeur qui n’avait rien de physique, de visuel, rien à voir avec le corps. Une pudeur enfouie dans ton âme et dans ton cœur. Quelque chose que tu cherches à fuir tout en y restant profondément ancrée. Je n’ai pas compris quelle était cette chose. Mais ce n’est pas une chose, c’est ton époux. Il appartient à ton passé mais tu ne peux te résoudre à l'y abandonner. Un peu comme ce manteau que tu t'échine à réparer.

Je me tourne alors vers elle, conscient que pour le moment je n’ai pas du tout réagit à un seul des mots qu’elle à prononcé. Avec une douceur d’horloger, je lui saisis le menton et vient chercher son regard dans la pénombre.

Du fond du coeur, tu as ma compassion Gudrun.

Je la lâche ensuite, reprenant ma position et replongeant sur mon étoile noire.

C’est vrai que je ne raisonne pas comme tout un chacun. Mon enfance ne m’a pas permis d’apprendre à le faire. Je me suis construit très tard mais j’ai beaucoup observé, énormément écouté et analysé quantité de situations du quotidien. Je sais que parfois, je gagnerais à me taire, mais je ne peux m’y résoudre. Un silence peut parfois être plus blessant qu’une vérité. Mais lorsque tu me dis que maintenant tu l’as compris, je te crois et, à vrai dire, j’en suis content.

Je ne quitte pas ce point noir des yeux.

L’amour, ce n’est qu’un mot fourre-tout. On peut aimer ses enfants, ses parents, son conjoint, ses amis…

Je pose la main sur mon cœur.

Il n’y a pas de véritable mot pour décrire ce que c’est réellement. Ce n’est qu’un mot de vocabulaire. Ce que je ressens, c’est une chaleur dès l’instant que tu me touches, c’est un plaisir lorsque tu me parles, c’est un écœurement à l’idée de te perdre. Je suis conquis par les efforts que tu fais pour moi. Depuis le premier jour, tu essaye de me comprendre sans vraiment me juger, tu y mets tellement de volonté à cerner ce que cet homme face à toi essaye de dire que j’en suis touché. Cette danse que tu m’as accordé était pour moi un véritable enchantement. Je me suis senti vivant pour quelqu’un. Je me suis senti homme. Je me suis vu me racheter auprès de la société si possible pour vivre en paix à tes côtés.

Je m’interromps brièvement. Elle m’a touché, bien plus qu’elle ne l’imagine, en faisant tous ces efforts pour parler avec moi. J’ai senti tout cela, les difficultés qu’elle à dû surmonter pour rester le plus honnête possible avec moi.
C’est la première à s’ouvrir autant à moi.
C’est la première à insuffler de l’espoir dans mon cœur.

Lorsque tout le monde vous repousse, plus ou moins gentiment, à quoi cela rime de rester à leurs côtés?
Je suis content si ma compagnie t’a été agréable. Mais ce n’est pas pour cela que je t’aime Gudrun!

Je tourne de nouveau le regard vers elle.

Je t’aime telle que tu es avec moi, que tu te nomme Eulalie ou Gudrun. La patience dont tu as fait preuve à mon égard, les moments que tu m’as accordés, la franchise avec laquelle tu m’as entre-ouvert ton cœur et la confiance que tu m’as donnée. Ce qu’il y a dans ton âme et dans ton cœur me donne un but, un espoir. Tu es une étoile Gudrun, à mes yeux, dans ma vie en tous cas. Tu es une personne avec ses défauts et ses faiblesses qui te rendent belle et humaine. Tu es une belle femme aussi, il serait mentir que je ne te le dise pas. Oui, à mes yeux tu es belle.
Quant à ton époux, je comprends ce qui t’empoigne le coeur, je le conçois. Mais il n’est pas bon de vivre dans le passé. Sans pour autant l’oublier, tu dois au contraire l’amener avec toi sur les marches de la vie. Aujourd’hui, son souvenir te trouble, t’opprime et tu t'empêches de vivre. Il te tire en bas de l’escalier. Porte-le avec toi et il t’accompagnera. Porte-le avec fierté et il te guidera.

Je cherchais ses yeux avant de conclure.

Sache que je suis disposé à accueillir son souvenir et à respecter la place qui fut sienne. Car s’il a eu ton amour il mérite le mien.

Je poussais un soupir et détournais le regard. Je me lève doucement et vais caresser mon étoile terne.

A son grand étonnement, Éric reprit la parole à son tour. Il finit par lui prendre doucement le menton, l'obligeant à le regarder. Dans la pénombre, elle ne distinguait pas ses yeux, mais ça n'était pas nécessaire. Il y avait au final peu de choses qui passaient sur ce visage, mais il compensait par des paroles claires et transparentes, pour qui voulait bien se donner la peine de les comprendre. Sa manière si simple de présenter les choses était un réconfort.
En revanche, sa vision de l'amour semblait très idéaliste aux yeux de Gudrun. Juste un peu de chaleur, de plaisir, de peur, et il parlait déjà de changer de vie : cela lui semblait bien trop exagéré.

Elle voulut l'interrompre là, mais il reprenait déjà la parole, et elle craignait de le blesser de nouveau inutilement. Alors elle attendit patiemment qu'il ait terminé son discours. Elle ne pouvait pas dire que ses mots ne lui faisaient rien. Ils lui faisaient chaud au coeur... Mais elle se rendait bien compte que tous ces compliments étaient exagérés. Il ne réalisait sans doute pas l'importance de son prénom non plus, ce que cela impliquait, il n'accordait aucune importance au rang, à la hiérarchie sociale... Il était vraiment inconscient.

Néanmoins... Il termina son discours sur des paroles qui lui paraissaient encore une fois sages et pleines de bon sens. De bonté même. Elle avait du mal à accepter ce qu'il lui conseillait, mais elle sentait confusément que c'était un avis raisonnable. Elle ne savait pas quoi penser de toutes ces déclarations. Il s'était levé pour aller toucher le cristal qu'il lui avait désigné le matin. Était-il gêné de son discours ? Ou simplement songeur ? Il valait sans doute mieux ne pas chercher trop d'explications.

- J'ai bien compris qu'il était inutile de te dire que tu te trompais sur tes sentiments. Ce sont les tiens, et je n'y toucherai pas. Mais sache néanmoins que je ne crois pas avoir eu plus de patience à ton égard qu'avec n'importe quel autre croyant. Et sache aussi qu'une étoile seule dans le ciel paraît toujours être la plus brillante. Je réfléchirai sérieusement à ce que tu viens de me dire, alors j'espère que tu essaieras de faire de même.

Elle se releva, décidée à retourner auprès du feu. Mais elle hésita légèrement. Elle n'avait pas grand chose à lui dire de plus, mais il lui semblait ne pas avoir été complètement honnête avec lui, alors que lui-même l'avait été entièrement.

- Si je dois être sincère avec toi... Je devrais quand même te dire que tu m'as apporté bien plus que tu ne sembles le croire. Mais, je me trompe sans doute. Tu sembles lire en moi comme si j'étais aussi transparente que de l'eau, alors tu dois savoir ce que je ressens. Et tu le dirais sans doute mieux que moi. Enfin... Je ne sais pas vraiment si tu le saurais, puisque je ne saurais pas le dire moi-même... Je... Tu me troubles Éric.

C'était assez gênant à admettre. Une fois de plus, elle se rendait bien compte qu'il lui embrouillait les idées, et cela ne lui plaisait pas.

- Assez de discours pour le moment. J'ai besoin d'un peu de calme tout simplement. Je vais rester ici avec toi, si ça ne te dérange pas.

Elle se rassit, la couverture toujours enroulée autour d'elle, appuyée contre la paroi. Les yeux dans le vague, elle essayait de penser à ce qu'il avait dit, de manière raisonnable, comme elle le faisait pour les autres d'habitude. Mais c'était si difficile d'avoir le même recul sur son propre cas. Et puis, écouter son coeur et son intuition, est-ce que ça n'était pas cela aussi écouter les dieux ?

Gudrun était déjà perdue dans ses pensées au sujet de ses sentiments, de l'amour, du mariage, des dieux... lorsqu'Éric se mit à l'attirer tout contre lui. Il venait pourtant de dire qu'il ne voulait pas l'influencer, et il venait ensuite se serrer contre elle, comme si cela n'avait aucune importance ! Peut-être que pour lui ce contact ne représentait rien. La chaleur qui l'envahissait l'empêchait de réfléchir clairement, et elle pestait intérieurement contre la tentation qu'il lui imposait, sans doute de bonne foi. Au moment où elle prenait conscience de cela, tout s'éclaira soudainement, et elle se releva brusquement, incapable de tenir en place.

- Je ne le réalise que maintenant ! Ce sont les dieux qui t'ont mis sur ma route Éric ! Mais pas pour me sauver la vie comme je l'ai cru ! Non, les dieux sont trop subtils pour que l'on comprenne leurs propos dès le début ! Ils voulaient me faire passer un message, et c'est par ta bouche que je l'entends vraiment !

Elle prit une grande inspiration pour essayer de se calmer, cette révélation l'avait vraiment bouleversée.

- Tu as raison ! Voilà trois ans que je n'ai pas vu mon mari. Même s'il est en vie quelque part, à quoi est-ce que cela sert que je lui reste fidèle ? Les dieux n'aiment pas le célibat, je n'arrête pas de le dire et de le répéter à tout le monde, mais je ne l'avais jamais vu sous cet angle pour moi-même ! Quelle aveugle j'ai été ! Tout s'explique ! Les dieux m'envoient une tentation pour me rappeler que le célibat n'est pas naturel ! Une tentation qui me parle aussi de mon mari et me montre la voie. C'est désormais clair pour moi Éric : les dieux t'estiment grandement pour t'utiliser comme messager. Oh, ils nous aiment tellement, je ne pourrai jamais les remercier suffisamment, même avec une vie de prière.

Elle ne pouvait plus s'empêcher de sourire, étrangement choquée par cette illumination.

Je la tenais contre moi depuis peu de temps qu’elle se levait brusquement. Ce n’était pas un geste pour me repousser ou pour se débarrasser de mon contact gênant, non. C’était plus comme un besoin d’être debout alors que, animée par une soudaine excitation, elle avait besoin de bouger.
Je demeurais assis sur le sol pendant qu’elle exprimait ce qu’elle pensait avoir compris.

Elle commençait à parler des Dieux qui, selon elle, nous avait fait nous rencontrer pour lui faire passer un message, lui sauver la vie n’étant en réalité qu’un prétexte. Je me trouvais être en fait un messager.
Si j’arrivais à suivre son raisonnement, je ne voyais pas bien ce qui justifiait un tel engouement de la part de la prêtresse.
Je ne voyais pas le lien avec ce que j’avais déclaré plus tôt et fis une légère moue d’incompréhension.

La suite me prit de court.
D’après Gudrun, les Dieux, à travers moi, lui rappelaient que le célibat était très mal perçu. C’était une chose qu’elle répétait bien souvent sans avoir pris le temps de le regarder en introspection. Elle le faisait alors, là devant moi. Trois ans depuis qu’elle à perdu son époux de vu, par les temps qui courent, il y a de grandes chances pour qu’on puisse le compter comme mort. Cela dit, elle confirma considérer son mari comme disparu et par conséquent, sa fidélité comme obsolète.
Je devenais alors une tentation pour lui faire prendre conscience de son célibat forcé et lui rappeler qu’elle ne devait pas rester seule.

Je n’avais pas dit un mot, non plus lorsqu’elle prétend que les Dieux m'estiment au point de me confier la tâche de messager. A vrai dire, ce sont ses précédentes paroles qui résonnent le plus en moi.
Je me gratte la tête, pensif durant quelques instants, puis me lève doucement.
Je m’approche d’elle tandis qu’elle sourit de cette révélation, la bougeotte au corps.

Gudrun?

Je l'appelais pour attirer son attention et posais doucement ma main sur son épaule. Alors, je l’embrassais, d’un baiser léger, non-intrusif, venant caresser ses lèvres des miennes, me rapprochant d’elle sans me coller.
Cela ne dura que quelques instants avant que je ne me recule légèrement. Je plonge mon regard dans le sien. Je murmurais alors.

Laisse moi être la solution à la tentation!

J' humais son parfum, sans trop savoir si j’avais opté pour la bonne stratégie.
Au moins, elle était claire et sans problématique de langage ou d’expression...