Un convoi d'importance

1er mai 1167 :

Pour une fois, j’ai dormi dans mon Quartier Général, la chambre que je destine aux invités est très agréable, même si le lit est comme je m'en doutais, trop petit pour moi. D’habitude, je dors à l’Esplanade, dans ma literie sur-mesure, mais je ne voulais pas perdre de temps à venir ce matin, j’ai préféré passer la nuit sur place.

Aujourd’hui est en effet un jour important, il y a même la queue devant la salle de bain, c’est quelque chose d’inédit, mais c’est la première fois que, à part Alana Vielgarde, nous sommes au complet depuis les nouvelles embauches. Par ordre d’arrivée, nous avons Jean Mangefeuilles, Jacques Lepetit, Eric Laporte, André Abati, Pierre Dubois et Elie Coptère. Ce dernier ressemble à un véritable loubard. Il était presque aussi gargantuesque que moi. Un gros bébé, chauve de chez chauve, comme si on avait étiré et engraissé un nouveau-né jusqu’à lui donner cette drôle de forme. Son odeur corporelle est forte dès le matin, il empeste déjà la sueur et il se nettoit régulièrement le front car perlant de sueur. C'est un ancien garde de maison close et il n'a encore jamais tué personne.

Pour ne pas perdre de temps j’envoie aussitôt Jean aller chercher l’ingénieur Edgar Duval, lui prêtant pour cette occasion et à titre exceptionnel mon cheval, car je sais que l’érudit à du mal à se déplacer à cause de sa jambe. Quand je sors, après m'être baigné, je peux voir avec grande satisfaction, pas moins de dix chariots, la moitié sont occupé par des travailleurs dont certains venus avec leurs familles et l’autre partie remplis de victuailles, venant directement du Labret.

À chacun d’eux, est attelé un couple de mules et un conducteur expérimenté les fait marcher droit. Il règne au milieu une atmosphère morose, comme si chacun craignant ce voyage, ce qui est tout à fait normal, les bandits, les bêtes sauvages et les Fangeux sont autant d’obstacles mortels entre eux et leur destination.

J’ai revêtu mon armure, mon épée à deux mains est dans son fourreau et je suis prêt à escorter tout ce beau monde. Je me remémore les différentes étapes de notre voyage, tout d’abord Ménerbes, où nous pourrons dormir à l’abri, puis Piana, l’étape la plus difficile, car le village est en ruine et nous serons à la merci des Goules et enfin Balazuc, notre destination.

Quand arrive l’architecte et Eric, je leur demande, en souriant, Milas, mon suivant étant à mes côtés :

Est-ce que vous êtes prêt ?

Une fois entendu leurs réponses, je donne le signal de départ et en route pour l’aventure !

Le milicien en armure agrippa Edgar par l’épaule, non sans violence, secondé par un autre larbin, tandis qu’on conduisait l’ingénieur à l’échaffaud. Ce dernier traînait des pieds, non pas pour échapper à son destin, mais parce que sa jambe gauche ne le permettait visiblement pas de coopérer dans les termes voulus. L’éconduire jusqu’à l’instrument de mort avait été plus rapide.

« Vous serez décapité par le tout de votre crû, ce qui est une bonne chose. »

Il contempla l’engin, tout ce qu’il y avait de plus traditionnel : une guillotine, d’excellente facture, à croire qu’elle eut été conçue avec amour. Le comble !

« Vous vous êtes mis aux contrepèteries, maintenant ?
— Oui, mais vous ne pourrez pas me transmettre toutes vos humanités puisque je vais vous exécuter, ce qui est une mauvaise chose.
— Mais bordel, arrêtez d’être aussi manichéen ! »

Immobilisé par le coup, il put néanmoins redresser son regard et apercevoir la foule qui éprouvait un mélange de haine, de mépris, de joie, mais pas de tristesse. Entre les faciès défigurés, il crut apercevoir sœur Gudrun, dans son air sévère, fermant son visage une fois pour toute et tournant les talons, jetant son dévolu sur l’ingénieur une fois pour toute, laissant Anur seule juge de ce qu’il adviendrait ensuite.

« J’arrive, maintenant. »

Un semblant de sensation désagréable lui parcourut l’échine. Il ouvrit lentement les yeux, comme pris entre deux mondes, peinant à se représenter une réalité maussade, floue, fort peu aurorée. Bientôt les traits de ses appartements se distinguaient. Il avait fait un cauchemar comme un autre. Certes, il n’y avait cette fois pas de Fangeux à ses basques, mais l’idée de répondre de ses actes avait instillé en lui une anxiété nouvelle, eût-il réussi à aboutir à quelque consensus avec Samuel et messire de Rochemont.

Il se redressa, se massant les mains, gardant un œil sur la bouteille à son chevet qu’il avait vidé de moitié la veille. Il avait réussi à s’endormir plus tôt. Le meurtre de sa némésis avait définitivement changé quelque chose en lui. Même si son subconscient lui soufflait qu’il avait peur de la potence, il se sentait puissant d’être venu à bout d’un personnage qui avait détruit sa vie. Comme s’il était invincible et que, dorénavant, plus rien ne pouvait l’arrêter. Enfin, presque. Il restait humain, il restait une proie pour les Fangeux et peut-être que ses ennemis se multiplieraient.

Il se prépara prestemment, prenant soin de rassembler les affaires nécessaires à son séjour à Balazuc : outils de travail comme ces substances qui ne font pas l’unanimité. Il avait fait l’acquisition d’une flasque en peau d’ours, comme celle de messire de Rochemont, dans laquelle il avait pour le moment stocké de la vinasse. Sans oublier ses quelques solutions contre la douleur, en flacon, rangée dans un petit coffret, verrouillé, lui-même soigneusement entreposé dans sa grande poche de voyage.

Un seul échantillon était resté dans son caisson. Celui qu’il ingurgiterait de suite, celui qui lui permettrait de conserver ses esprits pour la journée à venir. Il ne se fit pas prier. Il la débouchonna, la vida d’une traite dans son gosier et la reposa. Il se concentra sur le liquide brûlant et sucrer couler le long de sa trachée.

Il sortit, plus prestant que jamais. Elie Coptère attendait là, en selle, la mine incertaine, accueuillant l’ingénieur d’une révérence respectueuse, avant de l’installer sur l’étrier et de se mettre juste derrière. Edgar pouvait se sentir en sécurité, il n’en demeurait pas moins mal à l’aise, comme s’il avait un énorme bébé qui lui collait un peu trop. La route ne serait pas longue de toute façon.

Ils ne s’échangèrent mot durant le trajet. À son arrivée, il fut conduit jusqu’à messire de Rochemont, à qui il accorde un salut cordial ; ni trop froid, ni trop chaleureux, tout en déviant le regard sur Milas et une autre personne inconnue au bataillon, mais aussi chauve qu’Elie Coptère. Et bien plus miséreux d’apparence.

Il en revint à l’ogre de Rougelac.

« Je suis prêt, messire de Rochemont. »

Je n’étais revenu au Quartier Général des Boucliers de Marbrume que depuis deux jours. Auparavant, j’avais été occupé entre Balazuc et Sombrebois par une rencontre impromptue qui avait duré plusieurs jours. Par la suite, le temps de rejoindre les Faubourgs et de profiter des infrastructures pour me réapprovisionner et mettre un bon coup d’entretien à mon matériel.
Il n’y a pas à dire, même si la vie à la dure dans les bois ne me pose aucune sorte de problème, le confort de pouvoir à l’occasion profiter d’un vrai lit, d’avoir accès au nécessaire pour faire une lessive, de manger chaud et dans une assiette, cela ne se refuse pas.
D’une certaine façon, cela me rappelle la caserne et, pour cause, c’est un peu notre caserne.

Le matin venu, après les préparatifs, je me suis regroupé avec les autres, attendant Desmond et celui qu’est parti chercher Jean Mangefeuille.
J’avais revetus mais habituel habits de lins noir, mes bottes et mes guètres, mon plastron léger de cuir noirci. Une besace pendait à chacun de mes côtés, accompagnée sur mon flanc droit de mon épée. Pour couvrir le tout, ma grande cape noire, arc et carquois par-dessus sont croisés dans mon dos.

Le convoi est grand, dix chariots en tout, avec attelage et cochers. Certains trimballent des gens qui partent pour Balazuc, d’autres contiennent des marchandises et matériaux.
La troupe compte en tout et pour tout huit personnes.
Gros convoi et petite troupe.

C’est alors qu’arrive celui que l’on appelle l’Architecte. J’imagine que ce n’est pas sans raison, mais j’apprends ensuite qu’il se prénomme Edgar Duval. Je le salue d’un hochement de tête tout en lui renvoyant son regard appuyé.
Puis, à mon tour, je réponds à Desmond.

Prêt également! J’ouvre la marche à une centaine de mètres avec une ouverture droite. Je serais donc sur la gauche du chemin.

J’allais tourner les talons mais me vient alors une suggestion que je partage immédiatement avec Desmond.

A moins d’un contre-temps, il est suffisamment tôt pour que nous puissions parvenir directement à Piana et gagner ainsi une nuit de trajet. Sans mauvaise surprise et en marche tranquille, nous y serions dans une dizaine d’heures, nous sommes en forme, nous mettrons sans-doute moins de temps.

Le convoi se met alors en branle et, d’une foulée agile je prends une légère avance pour disparaître de leur vue

Une fois le signal du départ donné, Eric vient me voir pour m’informer de comment il voit les choses et je lui réponds, sans même avoir besoin d’y réfléchir :

C’est une excellente initiative, je te laisse suivre ton idée. J’espère également que nous serons ce jour à Piana, mais nous verrons si les Dieux sont de notre côté aujourd’hui.

Normalement, cela devrait être le cas, puisque j’ai donné quelques offrandes aux Trois, avant de quitter la capitale. Je regarde donc partir l’ancien déserteur sur la route et très vite, je ne le distingue même plus. Pour les autres hommes sous ma responsabilité, je leur indique rapidement leurs emplacements, de manière à complètement protéger le convoi.

Je m’exprime d’une voix claire, car nous sommes encore dans les Faubourgs, mais dès que nous serons dans les marécages où des fangeux peuvent se dissimuler derrière chaque brin d’herbe, nous communiquerons uniquement par geste ou à voix basse pour ne pas prendre de risque. Je suis satisfait que la plupart semblent parfaitement connaître leur rôle, mais ce n’est pas le cas de monsieur Gros Bébé, et je dois lui dire précisément sa place, en queue de la caravane, avec Jean.

Quant à moi, étant le seul chevalier et possédant une monture, je fais des allers et retours, pour m’assurer que tout se passe bien, je passe donc à côté du chariot où se tient Edgar et je lui demande en souriant :

Comment vous sentez-vous ?

Je lui pose cette question, car d’une part, cela se voit qu’il n’a pas bien dormi et d’autre part, certaines personnes sont terrifiées à l’idée de passer plusieurs heures hors de la protection des murailles. Je ne pose pas la question aux autres personnes qui sont dans les charriots, puisque je connais déjà la réponse, vu qu’elles n’osent même pas respirer tellement elles craignent de faire venir un monstre.

Je sais que les autres passagers du chariot ne perdent pas une miette de notre conversation et je décide de rester le plus neutre possible, en lui demandant :

Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à me demander. Nous allons sûrement forcer l’allure, alors il risque de ne pas y avoir de pause pour déjeuner, mais le repas vous sera servit directement.

C’est l’avantage de convoyer des vivres, même s’il faut tout faire pour que Balazuc soit le plus vite possible indépendant au niveau nourriture.

Le chauve semblait imperturbable et déterminé. C’était un tout autre chauve qu’Élie Coptère. Élie Coptère avait le regard du saprophyte qui attendait qu’on lui serve la pitance ; celui-ci avait un tout autre regard. Probablement qu’il avait déjà ôté la vie et, si tel fut le cas, il avait dû se faire une raison. Il devait être bien plus jeune, plus jeune même que Desmond de Rochemont. L’ingénieur demeura coi, regardant le chauve mystérieux s’élancer vivement devant après qu’il eut échangé des formalités approuvées avec le noble.

Le vieil ingénieur ne se fit pas prier pour monter à bord d’un chariot, quelque peu avec difficulté, Elie ne se montrant pas très confiant à l’idée de blesser l’estropié.

« Mais hissez-moi, bon sang !
— Pardon, monsieur Duvard.
— Duval, pas Duvard. C’est branlé comment là-dedans ? »

Edgar montra du doigt la boîte craniène d’Élie, une moue presque réprobatrice, devant l’air incrédule du Gros Bébé.

« Je plaisante ! Allez, laissez-moi tranquille, maintenant ! »

Quelques rires nerveux se firent entendre au tour, puis moururent vite alors que Desmond passait par là. Le vieil ingénieur, lui, s’effaça presque, restant à ses aises, alongé dans un chariot entre deux sacs à patates, la jambe gauche complètement tendue. D’une façon ou d’une autre, il était à la merci de Desmond de Rochemont et de ces mercenaires. L’idée qu’ils allaient traverser une zone hostile ne l’enchantait guère, aussi but-il discrètement dans sa flasque quelques longues gorgées, espérant trouver un calmant à cette anxiété naissante.

Le convoi s’éloignait donc, à allure modérée d’abord, à allure plus soutenue ensuite. Les infranchissables remparts de la grande Marbrume semblaient déjà loin, et au fur et à mesure qu’ils avançaient, tous, Edgar put apercevoir au loin la silhouette citadine se découper en un arc de cercle grisâtre, s’évanouissant dans un horizon de plus en plus floral.

Droit devant, il y avait l’inconnu, mais la promesse d’un ailleur moins suffocant, de jours plus calmes aussi. La silhouette de la sentinelle au crâne poli ne s’était pas remontrée.

« Comment vous sentez-vous ?
— Nerveux, de répondre Edgar, tout en portant sa flasque à ses lèvres. »

Seule sa tête dépassait du chariot. Le spectacle aurait été comique en d’autres circonstances ; voir une tête de vieux prêt à chier dans son froc aurait fait rire plus d’un mariole, Elie y compris. Mais Edgar ne semblait pas être le seul redouter l’assaut de bandits de grands chemins ou, pis encore, de Fangeux. La dernière option était moins plausible cependant, le premier jour de Mai offrant un soleil au beau fixe.

« Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à me demander. Nous allons sûrement forcer l’allure, alors il risque de ne pas y avoir de pause pour déjeuner, mais le repas vous sera servit directement.
— Grand merci, messire de Rochemont. N’y voyez aucune fausse sollicitude de ma part, mais soyez prudent. Il semblerait que beaucoup d’hommes comptent sur vous. »

Il lui accorda une considération toute attentionnée d’un simple hochement de tête. Le voir sourire et confiant avait quelque chose de galvanisant, mais l’image de Desmond de bourreau qui abaissait la guillotine dans son cauchemar était encore fraîche. Alors, pour détendre l’atmosphère et se convaincre qu’il pouvait se fendre d’une petite plaisanterie pendant le voyage, il lui demanda :

« Est-ce que vous avez torturé une autre âme avec le tout de mon crû ? demanda-t-il à Desmond. »

Desmond est d’accord avec ma proposition et je ne perds donc pas de temps en paroles inutiles.
Tandis que je trottine pour m’éloigner du convoi, je repense à l’homme qui nous a rejoint. L’architecte m'a longuement observé sans que je comprenne trop ce qu’il espérait voir. Ou ce qu’il, de toute évidence, avait vu chez moi pour le pousser à ainsi me toiser. Éventuellement, je pourrais toujours lui demander.
Pour l’heure, c’est ma mission qui compte. Comme à l’époque de la milice ou même de l’armée. Ouvrir la marche, c’est mon credo, mon terrain, mon savoir faire. Accessoirement, couvrir les retraite aussi, mais il faut espérer que je n’ai pas à le faire.

J'arrive rapidement à bonne distance et me glisse dans les fougères qui bordent la route. J’observe tout ce qui est visible de gauche à droite, cherchant la moindre irrégularité envirronnementale.
Fort heureusement, ma surveillance s’avère inutile durant la première heure de voyage. Je n’entends rien d’autre que mes pas et les bruits habituels de la forêt.
Du moins, jusqu’à ce que j’entende quelque chose qui ne me plais pas. Un coup de hache sur un tronc provenant de la route, droit devant. Puis ce furent quelques rires, tentant d'être discrets.

Je m’accroupis et me déporte pour prendre un peu de hauteur et mes yeux me renseignent alors. Trrois hommes visibles, peut-être d'autres en arrière ou sur les côtés. Au travers de la route, un arbre fraîchement coupé. Pas de doutes, ce sont de faux bûcherons!

Je pivote immédiatement pour regarder le chemin sur lequel progresse le convoi encore hors de vue. J’encoche une flèche et tire pour la planter en plein milieu du chemin à plus de soixante mètres de moi. S'ils la voient, le convoi devrait s’arrêter. En théorie, ils enverront quelqu'un à ma rencontre.

Je grimpe donc dans un arbre afin d'avoir une meilleur vue.

Si le convoi s'arrête bien, je pourrais les prévenir.
Danger droit devant, cinquante mètres environs
Mon estimation?
Le coup classique, un arbre en travers pour bloquer les chariots mais rien vu de suspect pour bloquer les arrières.
Trois hommes pour jouer les bucherons. Surement six hommes, peut-être sept, en tout.
Ils on peu d'armement, une mauvaise organisation.
Le danger est faible du moment que tout le monde reste calme.
Si les civils paniquent, cela peut vite devenir ingérable.

Edgar se sent nerveux, ce qui est tout à fait normal, je lui suis également, même si je ne le montre pas, car je sais que la seule solution face à un Fangeux, c’est de prendre la fuite le plus vite possible et de monter à un arbre, ces monstres étant très difficile à tuer. Il me demande ensuite d’être prudent et son conseil rejoint ma pensée, car je compte bien survivre pour récupérer mon titre de chevalier, plus que quelques mois !

Il me pose ensuite une question étrange que je ne comprends pas dans son intégralité, mais soucieux de ne pas paraître idiot, je lui réponds simplement :

Je n’ai pas le pouvoir de torturer les âmes, avec ou sans cru, c'est là, la tâche des Dieux.

Bon, ma phrase n’a guère de sens, mais je n’ai guère trouvé mieux. Heureusement, je suis tiré d’embarras par un de mes mercenaires situé en tête de convoi qui lève la main, selon un certain angle, demandant ainsi mon aide. Je salut d’un rapide signe de la tête l’ingénieur et je rejoins rapidement le garde.

Je peux immédiatement voir ce qui l’a incité à me prévenir et levant haut le poing, j’ordonne à la colonne de s’arrêter, une flèche sur une route étant toujours signe d’un danger. Je descends de ma monture et remarque qu’il s’agit d’un projectile d’Eric, je fais donc signe à Jacques, André et Pierre de me rejoindre, laissant deux hommes pour protéger le convoi et nous avançons sur le chemin tous nos sens aux aguets.

Connaissant un peu l’ancien déserteur, il doit y avoir un danger devant, il peut s’agir d’animaux sauvages, de bandits ou d’une goule. Je prie pour cela ne soit pas le cas, j’ai œuvré durement pour recruter les hommes qui m’accompagnent, ce n’est pas pour qu’ils meurent maintenant ! C’est en effet un risque, car il suffit d‘une blessure pour potentiellement se transformer en monstre, je n’aurais pas le choix d’achever tout ceux qui se feront toucher lors de l’affrontement, c’est la loi de notre époque.

Initialement, le convoi eut été promis à une bonne dizaine d’heures de marche monotone et sans accro. Mais cela aurait fait du sens dans un monde idéal, linéaire, ou bien dans un exercice bateau posé en salle de classe. Ici, il se tramait décidément quelque chose, puisque le chariot dans lequel Edgar s’était arrêté. Il aurait voulu somnoler un peu, l’esprit brumeux, mais la pensée qu’un prédateur soit à l’origine de cet évènement le rendit tout alerte et blême. Il ne consentit nul mot, serrant sa canne et observant attentivement autour de lui, basculant la tête en arrière pour observer Elie, le visage incrédule.

« Vous surveillez bien les arrières, hein ?
— Oui, monsieur Duval… de répondre le Gros Bébé, pas convaincant pour un sous. »

L’ingénieur redressa l’échine, regardant devant lui. D’autres chariots attendaient, certains remplis de civils. Il essayait d’observer leur réaction. Certains ne purent s’empêcher de spéculer à messes basses sur l’origine de l’arrêt. Il loucha cependant sur deux hommes, ceux-ci paraissaient bien silencieux. Ils avaient le regard baladeur, tantôt sur les hommes de Desmond, tantôt sur les marchandises. Naturellement, il fallait s’enquérir de l’état de la défense, des provisions et denrées diverses.

Et de l’infirme qui avait un chariot à lui tout seul.

Edgard leur rendit leur regard, ponctué d’un sourire et d’un geste de main. Et intérieurement, une question brûlait dans son esprit.

Comment les nigauds allaient s’y prendre pour faire leur sale coup ? Ils empestaient la fraude à mille lieues maintenant que le vieux les avait dans le collimateur. L’évènement au devant servait probablement de diversion. Il n’y avait rien qui laissait présager une attaque à revers. Peut-être que le danger venait de l’intérieur, et il y avait une seule façon de le savoir. Il tourna à nouveau la tête, parlant cette fois à voix plus basse à l’attention de l’homme de messire de Rochemont.


« Elie, inspectez les hommes sur le chariot juste devant. »

Mais eut-il été entendu ou non, on entendit bientôt de l’agitation. Les deux hommes concernés bondirent de leur charrette et tirèrent chacun une lame au clair, courte, affûtée, provoquant un début de panique qui se généralisa. Ils semblaient en avoir après Edgar, ou du moins son chariot. Les deux hommes responsables de la tractation s’écartèrent de peur, laissant les rênes aux deux escrocs qui commencèrent à le détourner de leurs propres mains.

« Mais qu’est-ce que vous faites ?! demanda Egard. Elie ! À l’aide ! »

Gros Bébé, quant à lui, ne se fit par prier pour débouler, quoique avec un doute certain. Il était armé, mais ses opposants aussi. Ces derniers relâchèrent l’espèce de charrette dans laquelle Edgar était allongé avec quelques sacs opaques et foncèrent droit sur le gros mercenaire chauve, qui répliqua d’une clameur de désespoir tout en abattant sa lame, in extremis, sur le crâne d’un des deux imposteurs qui était sur le point de lui taillader un tendon avec une précision chirurgicale. Un silence de mort suivit le cri rauque du mercenaire qui restait interdit face au faciès fendu de son opposant qui s’était figé dans une posture martiale, l’autre demeurant interdit à l’idée qu’un bleu ait eu raison de son associé.

« Saktar gat! hurla l’inconnu. »

Le chauve eut à peine le temps de retirer son épée qu’il sentit une lame danser autour des articulations d’Élie qui, incapable de riposter, poussa de petites plaintes de douleur mêlée à de la détresse. Il tenta, dans la panique, un coup d’épée à la verticale, mais son opposant était habile face au gros qu’il avait commencé à saigner. L’inconnu prit la fuite, poursuivit par l’autre mercenaire qui avait à peine eut le temps de quitter son poste de l’autre côté du convoi.

« Venez vite m’aider, putain de merde ! hurla Edgar d’une voix rauque. »

Il se haussa avec difficulté hors de son chariot pour se diriger tant bien que mal vers Elie qui s’était recroquevillé comme un fœtus sur le sol, les poignets ensanglantés. Le visage blême du mercenaire était celui d’un enfant terrifié.

« J’veux pas mourir, j’veux pas mourir, j’veux pas mourir ! répétait-il en état de choc. »

Sous l’urgence de la situation, le vieil homme, s’il n’était pas expert en médecine, comprenait qu’il fallait d’instinct désinfecter les plaies et faire cesser l’hémorragie. Il était bientôt aidé par deux civils qui avaient pris leur courage à deux mains, plus habiles que l’ingénieur de surcroit.

Ils étaient au milieu de nulle part et sans défense désormais.

Pourvu que Desmond et ses hommes ramènent vite leur cul, pensa-t-il sous la précipitation.

Alors que je vois Desmond arriver avec quatre de ses hommes, j'aperçois, du haut de mon perchoir, que quelque chose cloche au niveau du convoi.
Aussi, je libère un nouveau carreau destiné à atterrir devant les hommes qui se ramènent vers moi. Malgré cela, une clameur me parvient et je comprends qu’il y a de la casse.
Les trois faux bûcherons perçoivent également ce signale et décident alors de se ruer intelligemment en avant, droit sur Desmond et sa troupe.

Un sifflement, un bruit sourd et un cri plus tard, ils ne sont plus que deux à s'égailler vers le convoi. S'apercevant alors qu’il en manque un, ils se retournent et comprennent qu’un archer les observe. Aussitôt, ils s’éloignent l’un de l’autre, comme si cela pouvait m’empêcher de faire mon travail.
Je vais pour armer une nouvelle flèche lorsqu’un traits se plante dans le tronc en dessous de moi. Celui que j’ai touché avait une arbalète que je n’avais pas remarqué, aussi, je change de cible pour aller transpercer son épaule. Va armer ton truc avec un bras en moins maintenant!

Le convoi! Retournez au convoi!

Je crie cela à Desmond et aux autres avant de décocher de nouveau vers l’un des brigands, que je rate. Déjà cinq flèches, surement que deux ne seront pas récupérables. Je saute alors à bas de l’arbre, passe mon arc dans mon dos et dégaine mon épée pour charger l’individu le plus proche de moi.
Plus le temps pour la finesse si on veut éviter d’autres problèmes.

Rapidement sur lui, j’esquive sa hache avant de lui envoyer mon poing dans l’estomac.
Débute alors un combat qui devrait être rapide.
Il dégaine un coutelas en main gauche.
…
Débute alors un combat qui pourrait-être éprouvant!

Sacrebleu ! Les choses se passent à grande vitesse et j’ai l’impression que nous sommes attaqués de toute part, il y déjà des bruits de combat que j’entends provenant du convoi qui semble subir un assaut et trois hommes qui nous foncent dessus sur la route. J’indique à Jean :

Prends les hommes avec toi et retourne au convoi, je m’occupe de ces pécores.

Toujours aussi peu loquace, il hoche la tête pour montrer qu’il a compris et repart au convoi en courant, c’est là notre principale préoccupation. Si quelque chose arrive aux marchandises ou aux passagers, nous ne serons pas payés, et ça, c’est inacceptable, car j’ai besoin d’argent, car géré une guilde coûte horriblement cher. Je me retourne ensuite vers les agresseurs qui continuent à courir, sauf un qui s’est pris une flèche, mais qui est toujours aussi combatif, car je le vois commencer à tirer à l’arbalète.

Heureusement, il se prend une seconde flèche, pendant que son camarade m’attaque avec une épée longue. Je dégaine rapidement et pare facilement et abats mon arme sur lui au niveau de la tête, l’assommant, car je ne veux pas le tuer, j’ai de nombreuses questions à lui poser. Je vois Eric au corps-à-corps avec un autre homme et je ne m’en fais pas pour lui, il saura s’en sortir. À la place, je jette mon dévolu sur l’arbalétrier qui essaie tant bien que mal de recharger avec un bras en moins.

Je me dépêche d’arriver à sa hauteur et je lui dis :

Lâche ton arme, sac à merde !

Il s’exécute sans opposer de résistance, envoyant son lance-projectile dans la terre et je le prends par son bras valide pour le remettre debout. Je demande ensuite à l’ancien déserteur :

Tout va bien ? Tu as besoin d’aide ?

Si besoin, je viens à la rescousse en assommant son adversaire, sinon, je prends sur mon épaule le bandit toujours inconscient et l’apporte au convoi. Il ne me reste plus qu’à espérer que mes hommes s’en sont tous sortit, même si je suis pratiquement sûr que c’est le cas et qu’ils n’ont reçu que des égratignures, puisque, à part Elie Coptère, ce sont tous des vétérans.

C’était une véritable situation de crise et plus rien semblait n’avoir d’importance, hormis le sort du seul homme qui semblait avoir subit le plus de dommages cet assaut durant. Elie gisait là, sur l’herbe sauvage, le visage blême, la respiration sifflante. On aurait dit un énorme tonneau de vin qui fuyait de toute part. On s’apercevait un peu plus chaque instant de multiples plaies, certaines béantes, d’autres moins ; il n’y avait pas besoin d’inventer le fil à couper le beurre pour comprendre que le convoi avait été infesté par deux assassins professionnels. Peut-être même qu’il y en avait d’autres. Parmi les civils, certains, agissant sous l’urgence s’affairaient à boucher les entailles les plus profondes ; d’autres pétrifiés se tenaient à l’écart. Quelques rares tentèrent de fuir mais se ravisèrent en voyant les hommes de Desmond revenir au convoi.

« Il va pas survivre ! s’exclama un civil qui gardait un tissu pressé contre la panse d’Elie.
— Ta gueule et presse, fils de pute, de maugréer Edgar. S’il y passe, je te fais exécuter sur-le-champ. Et accroche-toi, Gros Bébé ! Tu vas quand même pas te laisser emporter par Anür alors que tu nous as tous sauvés ?! Hein ?! »

Il administra une paire de gifles à Élie pour qu’il ne perde pas connaissance, tandis qu’une femme lui tendait une flasque, faisant boire le blessé avec difficulté.

Entre temps, l’autre mercenaire qui était resté au convoi avec Élie revint, bredouille, expliquant à ses collègues la situation.

« Fouillez tous les civils en retrait ! ordonna Edgar, comme s’il s’eut prit l’espace d’une seconde pour le chef de la guilde des boucliers. »

Car s’il restait un spadassin parmi les gens, il valait mieux le neutraliser au plus vite, surtout en pareille posture avec une mercenaire dans un état critique. Pauvre bouclier, survécût-il à son baptême du feu, bien ensanglanté celui-là !

À la vue de messire de Rochemont, Edgar se redressa, les mains en sang, et alla à la rencontre du chef des mercenaires.

« Nous avons été attaqués par deux assassins déguisés en civil. Élie en a pourfendu un, l’autre… »

Il s’arrêta net. Effectivement, l’un d’eux avait le crâne fendu, mais n’était ni décapité, ni carbonisé. L’expression faciale d’Edgar changea du tout au tout. L’idée qu’un Fangeux se relevât d’entre les morts le tétanisait. Pris d’un élan d’adrénaline, comme la fois où il avait commis son premier meurtre, il se rua en direction du cadavre de l’assassin, sa canne devenue presque inutile pour le coup, porté par ses jambes d’une foulée hasardeuse et rigide.

« Vite, Desmond ! Il faut agir très vite ! »

Le titre de noblesse, eût-il été omis sur l’instant, attendrait avec le reste des explications.

Desmond vient vite, très vite, à bout de son premier adversaire, après avoir renvoyé ses hommes au convoi. Du coin de l'œil, je le vois se diriger vers le type à l’arbalète qui gigote toujours. De mon côté, je suis face à un gars qui ne veut pas se laisser faire. J’esquive coup sur coup la hache et le coutelas dans ce corps à corps où je me trouve handicapé dans mes mouvements par l’arc dans mon dos. J’aurais dû le laisser tomber avant de charger comme un imbécile.

Ça ira! Lançais-je en réponse au noble.

Je pare sa hache de mon épée, m’accroupissant pour esquiver sa lame avant de me jeter à plat dos et de lui envoyer mes pieds dans le genou. Un vilain “crack” retentit suivi d’un hurlement et l’homme s’écroule. J'exécute une roulade pour me mettre hors de sa portée avant de me relever et de rapidement lui glisser ma lame sous la gorge.

Lâche tes armes immédiatement!

Entre les gémissements de douleur, un grognement et les armes sont lâchées. Je lui colle alors un coup de pommeau sur la tempe afin de l’assommer et je le ligote rapidement, une cheville avec les mains, dans le dos. Il n’a ainsi plus que sa jambe au genou cassé de libre.
Je ne m’encombre pas à le trimballer, on pourra le ramasser en passant puisqu’il est incapable de bouger. Desmond retourne au convoi avec l’homme à l’arbalète, aussi je me charge du dernier, assomé.
Une fois sur mes épaules, je reviens vers le convoi, suivant de près mon comanditaire.

A peine arrivons-nous que nous sommes alertés par le vieux qui nous accompagne.
Nous avons un cadavre sur les bras, et je ne parle pas de notre blessé.
Il n’en faut pas plus pour que mon chargement tombe lourdement au sol et que me précipite dans la direction indiquée par le boiteux. J’estime que tous les événements se sont déroulés très vite et que, de fait, le risque pour que le brigand se change est assez faible...pour le moment.

Je ne sais pas si le noble me suis et je n’ai pas de temps à perdre à vérifier cela. En revanche, dès que j’aperçois le corps, je m’arrête, une idée me traversant l’esprit.
Je dégaine mon arc que j’arme rapidement.

Dégagez!! Hurlais-je à tous ceux qui se trouvaient sur mon chemin.

Une fois le champ libre, je libère mon trait qui file sur le cadavre. Ma flèche atteint son objectif et le corps se retrouve cloué à un chariot, une flèche lui traversant l’épaule.
Je reprends ma course, au moins maintenant, si l’envie lui prend de se relever, nous aurons quelques secondes de répit pour lui trancher la tête...Le temps qu’il arrache la flèche en tous cas. J’espère que cela suffira à Edgar pour arriver et finir le boulot. C’est lui le plus proche, et de loin.

Eric n’ayant pas besoin de mes services, je pars donc en direction du convoi. Sur le chemin j’entends même des os craqués et un hurlement de douleur qui me fait sourire, cet ancien déserteur est vraiment une très bonne recrue ! Mais je n’ai guère le temps de me féliciter de l’avoir embauché car je vois Edgar qui m’explique qu’il y avait deux assassins caché parmi la populace !

Je me plaindrais à la Milice, ils vont devoir revoir leurs consignes de sécurité, je n’ai pas de temps à perdre avec ce genre de chose ! En plus, je suis sûr que la couronne va prendre sur ma prime pour la perte de deux passagers ! L’important c'est que Elie a fais ses preuves, je savais que Gros Bébé était un bon combattant, il n’a pas abandonné pendant son admission et rien cela, ça prouve une certaine forme de caractère, ou de la chance.

Mais pour une raison inconnue, l'éclopé part en courant vers le fond du convoi et je lui suis tout naturellement. Je suis rapidement dépassé par l’infatigable Eric qui transperce à nouveau le cadavre et je comprends que tous craignent que l’homme tué, s’il a été déjà été blessé par un Fangeux, puisse se relever immédiatement après sa mort. Je les rassure donc :

Pas d’inquiétude, nous avons au moins une dizaine de minutes.

C’est en tout cas ce que j’ai pu constater, d'après mon expérience personnel et les différents recueil, vu que je m’intéresse beaucoup à la chose, mais on n’est jamais trop prudent et je fais un signe à Jean, un de mes mercenaires, pour qu'il coupe la tête à notre invité indésirable. Il le fait avec sa célérité habituelle et fouille le cadavre à la recherche d’indice. Quant à moi, je crains surtout que tout ce remue-ménage n’ait attiré les Fangeux et je préviens l’ensemble du convoi :

Nous repartons, mettez les prisonniers et le blessé dans le dernier chariot, Eric, je te donne comme mission de les surveiller, nous allons devoir nous arrêter au village de Ménerbes.

Je n’ai pas le choix, le gros mercenaire a perdu trop de sang et les prisonniers doivent être interrogés. Bien conscient que l’architecte ne peux pas marcher sur de longues distances, je lui propose :

Maître Duval, voulez-bien monté sur mon cheval ?

C’est la seule solution que j’ai trouvée, nous irons au pas, également en fin de colonne, les autres membres de ma Guilde assureront l’avant-garde. Nous récupérons les bandits qui avaient projeté de s’en prendre à nous et poussons les cadavres des plus malchanceux en dehors du chemin, pas le temps de les brûler, c’est la dure loi des terres sauvages.

L’ingénieur se sentit rapidement désinvesti d’un labeur qui ne lui siérait pas, alors que Jean, qui avait réagi au plus vite, s’était empressé de décapiter sans sommation le cadavre accroché au chariot. Au même titre que Desmond et Eric, c’était un homme rompu aux situations d’urgence qui, s’il n’avait le temps de faire brûler le cadavre, il le fouilla, sembla récupérer quelques effets personnels et le disposa dans une fosse, hors de portée de la vue de tous, comme s’il n’eût jamais existé. Encore un être qui mourrait dans l’anonymat sans doute, qui ferait peut-être la tristesse de ses proches s’il lui en restait. La tension redescendant, face à ce spectacle d’horreur, le vieil homme ne put s’empêcher de cambrer et d’exécrer une substance acide, lui brûlant l’œsophage, aux teintes jaunâtres et rougeâtres par endroits. Il réprima un juron, se tenant la tête, les yeux injectés de sang, craignant de tourner de l’œil d’un moment à l’autre.

Mais il ne fallait pas ployer. Pas maintenant. Il fallait même s’occuper d’Élie, qui était peut-être dans un état critique. Alors il revint sur ses pas, la démarche plus lente, plus précautionneuse aussi. Sa guibole lui refaisait comprendre que l’excitation n’était plus, et que la douleur, fût-elle estompée par les calmants et l’alcool, était encore belle et bien présente. Il n’osait imaginer celle du Gros Bébé entrain de se faire rabibocher et installer sur un chariot en cours de réaménagement.

L’ingénieur ne se fit pas prier pour monter en selle avec Desmond. Il s’en serait presque voulu d’être un fardaut presque incapable de mettre un pied devant l’autre, sans compter son inaptitude criante au combat. Et ses réactions sommaires aux situation de crise aussi. Il darda un regard méprisant sur le civil qu’il avait insulté, avant de le perdre dans le vide, terré dans un mutisme dont il ne sortirait qu’après être arrivé au village de Ménerbes.

Ils arrivèrent à bon port, dans un bourg qui respirait curieusement encore la vie, loin des imposante murailles de la capitale. Les palissades céans étaient sommaires, mais visiblement suffisantes. Il y avait même des soldats de la milice extérieure pour accueillir le convoi, sans s’attarder sur quelque contrôle d’identité que ce fût : ils comprirent la situation d’urgence et acceptèrent de rapatrier au plus vite les chariots et les hommes dans l’enceinte du village.

Edgar finit par descendre de selle, se mettant en retrait du convoi, cherchant un puits pour se laver les mains ensanglantées et se rafraîchir le visage, contemplant son pitoyable reflet dans l’eau trouble du seau qu’il avait fait remplir aussitôt.

Entre temps, Mangefeuille profita d’un instant de répit de la part de messire de Rochemont pour lui rapporter les effets personnels du cadavre ; bourse, dague d’excellente facture et un papier déchiffoné, sur lequel les hommes pouvaient observer le contenu suivant :

Spoiler:

Le vieil ingénieur, quant à lui, pour reprendre contenance, ne trouva rien de mieux que de reprendre une bonne lampée d’alcool. Ne fût-il pas requinqué, il revint à la rencontre de Desmond, le front poisseux, le visage blême, comme s’il eut été un cadavre revenu d’entre les morts.

« Je n’avais pas fini ma phrase tout à l’heure. Il y avait deux assassins cachés parmi les civils, je les avais aperçus par chance parce qu’ils regardaient le chariot où je me trouvais avec insistance. J’ai demandé à Élie de les inspecter, ce qui les a fait réagir. Ils sont descendus et ont essayé de détourner mon chariot. Elie s’est précipité sur eux et en a abbatu un sans sommation. L’autre a hurlé quelque chose comme “Sac tard ga”, ce n’était certainement pas du Langrois, et s’en est pris au chauve… »

Il loucha autour pour voir si Éric était dans les parages, mais il ne parlait bien évidemment pas de ce chauve-là.

« … À Élie, je veux dire ; et un de vos hommes l’a poursuivi. C’est allé très vite. J’espère qu’il s’en remettra. Où l’avez-vous emmené, par ailleurs ? »

À nouveau, il regarda autour de lui. Il lui était limite impossible de distinguer les civils du convoi des autochtones, la plupart affairés à porter assistances aux voyageurs.

Je me contentais de hocher la tête à la requête de Desmond. Il voulait que je surveille les blessés et prisonniers dans le chariot, c’est ce que je fis. J’aidais à installer tout ce petit monde, prenant soin de ficeler les brigands l’un derrière l’autre. Je m’installais alors face au premier de la rangée et dégainais mon épée avant d’en apposer la pointe sur le torse de l’individu.
Le message?
“Toi et tes potes, tenez-vous tranquille, sinon tu es le premier à y passer!”
L’auto-discipline, il n’y a rien de plus efficace.

Le trajet se déroula finalement sans heurts et en silence, mis à part les râles et gémissements des blessés.
A notre arrivée, une fois à l'abri de l’enceinte, les gens s'éparpillent rapidement. C’est une des choses que je n’aime pas être en groupe. Tout le monde n’en fait qu’à sa tête et quand vient le départ, on prend toujours du retard parce qu’il manque Untel qui est allé acheter des volailles, Machin qui est ivre mort dans un coin ou encore Truc qui a disparue la veille avec une fille d’Anür et n’a pas refait surface depuis.

Aussi, dès que les blessés sont pris en charge et les prisonniers entre les mains des miliciens, je m’esquive, fuyant le monde, la surpopulation, le bruit, bref je fuis tout ce qui me dérange et m’incommode. Un autre individu semble avoir la même idée que moi puisque je vois l’architecte se diriger vers un puit.
Pour ma part, j’avise un bac d’eau destiné à la toilette et me dirige vers ce dernier. Contre le récipient, je dépose arc et carquois ainsi que cape et mes deux besaces avant de retirer mon plastron et ma tunique, dévoilant mon dos lacéré.

Je commence alors à m’asperger un peu, me frictionnant. Le trajet à été pénible et le mois de mai commence chaudement. Aussi, c’est avec un certain plaisir que je me débarbouille et me rafraîchit. J’envisage déjà, avec ce que me rapportera ce travail, d’investir dans une cape plus légère pour les saisons chaudes. La mienne, bien que usée, n’en demeure pas moins excellente pour lutter contre le froid, mais là, elle est trop chaude.

HRP: