Un convoi d'importance

Le vieux soupira. Après la traversée matinale, la fatigue retombait, la tension redescendait et, parce qu’ils avaient passé un peu de temps ensemble, les langues se déliaient. Mais le plan de messire de Rochemont lui fit l’effet d’une secousse électrique dans l’échine. L’idée de se trouver nez à nez avec un Fangeux après qu’il entrouvre une porte le tétanisait. Surtout dans son état. Il essaya de maintenir une respiration constante.

« Messire de Rochemont, croyez-le ou non, vous pouvez avoir peur pour votre corps, mais qu’à cela ne tienne, j’ai encore mon âme, même si j’ai un regard de chien battu et une humeur pour le moins volatile. J’ai peut-être l’air d’un mort-vivant par moment, mais ça, c’est parce que j’ai perdu beaucoup avec ce fléau, au même titre que beaucoup de monde. »

Il massa un instant sa jambe blessée. Le douloureux souvenir de la silhouette boueuse et carnassière lui entaillant violemment la guibole ne semblait pas le rassurer. Sans compter cette clâmeur stridente, ce cri d’effroi qui, au milieu d’une foule terrorisé, avait sonné tel un glas mortifère…

Mais voilà qu’Éric, visiblement épris d’un geste courtois, interrogea le presque estropié sur ses avancées intellectuelles, vis-à-vis de ce message chiffré, notamment.

« Cryptogramme, précisa Edgar. Du vieux Langrois kruptos, secret, et graphein, écrire. Les écritures secrètes. Une maladie cryptogénétique est une maladie dont les origines sont secrètes. La Fange est qualifiable de cryptogénétique. Enfin, c’est de la cryptomasturbation. Et ce n’est pas un message codé… »

Partir dans des explications digne d’un maître de cérémonie effaçait les souvenirs choquant de sa mémoire, alors il poursuivit.

« Enfin, si, ils utilisaient un code, mais un message codé revient à utiliser un alphabet différent. Or, le message ici est chiffré avant d’être codé, ce qui signifie que… »

Il s’arrêta un instant, prenant presque Éric en pitié. Il ne voulait pas paraître pédant et ça se voyait, notamment devant la mine interdite de Desmond de Rochemont qui semblait encore plus imperméable à ce qui pouvait ressembler à du charabiat.

« Vous savez très bien parler, tous les deux. Et lorsqu’il s’agit d’écrire la langue parlée, on utilise des lettres. Il y en a vingt-six dans le Langrois. Et pour chiffrer un message, on utilise des lettres autres que celles normalement utilisées, ce qui fait que le message écrit est inintelligible. En gros. »

Il sourit, satisfait de son explication, sommaire, mais valide.

« Par exemple, dans notre langue, la lettre « e » est le plus utilisée. C’est un point de départ pour « casser » certains textes chiffrés. Mais là, je soupçonne les individus de parler une autre langue que le Langrois. Le texte est non seulement trop court, mais en plus, il ne “ressemble” pas à un message écrit en Langrois. C’est difficile à expliquer sans démonstrations mathématiques ; gardez juste à l’esprit que je suis presque sûr qu’il s’agit d’une langue étrangère, une langue qui est écrite, comme la nôtre, et qui possède d’autres propriétés… »

Il frotta son front d’un revers de manche. Eric émit ensuite des hypothèses qui questionnaient la logique de la chose, et voilà que Desmond demandait des comptes sur les agissements d’Edgar.

« Je ne vous ai jamais dit pourquoi j’étais dans les réserves du Temple simplement parce que si je vous avais dit que je cherchais un ouvrage spécifique sur l’algèbre de Bale, j’ai pensé que vous vous en soucieriez autant que de la manière dont les dorades baisent dans la mer. Pardonnez-moi pour cette fausse supposition et cette comparaison peu glorieuse… Enfin, plus sérieusement, j’étais parti me renseigner sur la Fange, en compagnie d’une prêtresse, et comme je n’avais pas envie d’être vu, nous nous sommes cachés alors que deux personnes venaient vers nous pour chercher on ne sait quoi. Je n’ai pas vu à quoi elles ressemblaient, mais elle parlaient, je pense, une langue totalement différente de la nôtre, à part entière, et les mots que j’ai pu identifier étaient “cryptogramme“, “cloaque” et… “plan”. »

Il avait prononcé « plan » sans nasaliser la voyelle, comme s’il avait dit « planne », telle une surface planne.

« Donc, si ça se trouve, ils parlaient d’un plan. Mais j’avais préféré me tenir à l’écart de tout ça pour ne pas m’attirer des ennuis. Un type comme moi, ça ne sait pas se battre, alors que d’autres vont au devant du danger sans faire cas de leur vie. »

Dans un élan de sympathie, il gratifia Éric d’une palme sur son épaule, alors que ce dernier avait voulu lui intimer quelque chose que le boss avait pu entendre.

« Vous avez raison, jeune homme. Cette histoire n’est pas logique, et il me manque des connaissances pour y percevoir la moindre explication. Je sais juste qu’ils avaient essayé de détourner le chariot dans lequel j’étais, et qu’ils se sont vites arrêtés lorsqu’Elie s’est rué sur eux pour en pourfendre un. J’ignore s’ils me voulaient ou s’ils voulaient les denrées qui s’y trouvaient, puisqu’en toute logique ils ne me connaissent pas. À moins que… »

Il ôta sa main, repensant à qui il avait parlé de tout ça, hors messire de Rochemont et Éric, bien entendu. La seule personne qui en savait quelque chose, c’était Gudrun, mais elle ne semblait pas plus avancée que lui.

« Écoutez, je vais voir si ça donne quelque chose en prenant les lettres à revers, même si j’ai des doutes. Seulement, si vous entendez quelqu’un parler avec beaucoup de sons type « aaah », des « r » roulés… Prettez l’oreille et informez-m’en. Enfin, messire de Rochemont, si vous connaissez un moyen de mettre la main sur des ouvrages qui relatent du Cloaque et d’une éventuelle dimension linguistique à cette espèce de groupuscule, le tout sans qu’on sache que j’en suis le commanditaire, cela m’intéresserait grandement. Dessiner des bâtiments, c’est ennivrant et je suis fier d’en faire mon métier, mais percer des mystères, c’est ennivrant. »

Il haussa les épaules. Cette espèce de loghorrée l’avait enhardi.

« Je vous suis pour l’auberge. Si un Fangeux s’y trouve par mésaventure, je ne sais pas comment nous allons faire, je sais juste que nous n’avons d’autre choix que de lui botter le cul. Commençons par prendre quelques sacs de sel. »

Si Desmond validait la suggestion d’Edgar que je soutenais, il nous fit ensuite une demande on ne peut plus surprenante concernant la visite d’une ruine d’auberge. Il nous avouait ensuite à demi-mots qu’il n’était pas sans crainte comme ce que beaucoup pensaient.
Haussant les épaules, je répondais à cela à voix basse.

La peur est inéluctable à tout être vivant ayant plus que la vie à perdre. Lorsque nous nous sommes rencontrés, la mort ne me faisait pas peur car je n’avais que ce que j'avais sur le dos à perdre. Maintenant, je n’ai toujours pas peur de la mort, même si je crains de mourir et de laisser quelqu’un derrière moi. Cela étant, je suis là pour affronter ce trajet avec vous puisque c’est mon travail.

Edgar ne semblait pas particulièrement enchanté par l’idée du noble, allant jusqu’à révéler qu’il avait perdu beaucoup depuis l’arrivée de la Fange. Lorsqu’il affirma que c’était le lot de beaucoup de monde, je ne jugeais pas opportun de signaler que je n’étais pas concerné.

Desmond enchaînait en questionnant Edgar sur les individus qu'il avait croisé quelque temps plus tôt dans la bibliothèque. A partir de là, ne recevant aucun ordre, j’estimais pouvoir rester dans la confidence et me contentais d’écouter.
L’architecte se lançait, entre ma question et la remarque de Desmond, dans des explications complètes auxquelles je ne comprenais pas grand-chose. Tout cela était d’une extrême complexité et demandait des connaissances que j’étais loin d’avoir. Nul doute que Gudrun aurait été alors, bien meilleur auditrice que moi.
Je me contentais de hocher la tête par politesse, parvenant tout de même à en saisir le sens. Je tentais même une question, afin de savoir si j’étais dans le juste.

C’est un peu comme si l’on remplaçait les mots d’une phrase par d’autre mots de même taille et qu’ensuite on en changeait les lettres? Comme-ci… J’indiquais un chariot. Comme-ci chariot était remplacé par table et qu’ensuite on remplaçait le “t” de la phrase par de “e”, et ainsi de suite? Et donc là, vous essayez de savoir faire le chemin inverse?

Durant son discours, il avoua ne pas être homme d’action avant de me donner une tape sur l’épaule comme pour signaler ma capacité à ouvrir la marche et risquer de mauvaises rencontres pour le bien du groupe. Mon visage ne changea pas d’expression, les compliments ne m'atteignent pas vraiment plus que le reste. Seule Gudrun commençait à provoquer des changements émotionnels en moi.
Enfin, il nous demanda de l’avertir si l’on entendait des gens parler avec des mots inconnus et des sons différents.
Il conclut en confirmant venir avec nous.

Je déposais mon arc et mon carquois presque vide qui ne seraient d’aucune aide dans des ruines. Par ailleurs, vu le peu de flèches qu’il me restait, il me fallait les conserver pour le trajet du convoi. Je retirais mes besaces qui se croisaient sur mon torse et fit tomber ma cape. Je replaçais alors mes sacoches comme à l'accoutumé, l’une sur le flanc gauche et l’autre à droite avant de remettre ma cape par-dessus.
Pourquoi ce manège?
Desmond avait apprit à ses dépens qu’une cape libre pouvait servir d’arme ou tout du moins d’entraves, par ailleurs, coincé comme elle l’est par mes sacoches en temps normal pourrait causer ma perte si un fangeux s’en saisissait puisqu’il me serait impossible, du fait des sangles des sacoches, de l’enlever. Là, un simple geste sur son attache et j’abandonnais la cape pour prendre le large.

Messieurs, je suis prêt! Il ne faut pas traîner si l’on veut espérer revenir avant la pénombre. Nos amis seront peut-être méfiants en nous voyant arriver de nuit. Qu’est-ce que cette auberge abrite pour qu’il nous faille nous y rendre?



HRP: Désolé pour le délai de réponse mais entre des semaines chargés et des week-end tout autant, ce fut compliqué. J'aurais dû vous prévenir, mes excuses

L’architecte ne semble pas très enthousiasmé par mon idée d’aller voir cette ancienne auberge. Il préfère parler du message codé, le plus intéressant, c’est qu’il m’indique qu’il s’agit d’une autre langue que la nôtre. Ce serait donc des étrangers qui seraient à l’origine de l’attaque que nous avons subie ?

Il me demande ensuite de mettre la main sur des ouvrages sur le Cloaque, et même si je n’en ai pas, mon allié Victor de Rougelac en possède peut-être, c’est donc muni de ses divers éléments que je lui réponds :

Je ferai attention si des gens parlent bizarrement, pour les livres, je connais un homme qui possède une bibliothèque bien fournie, j’en demanderai l’accès et noterai les titres, afin de voir ce qui pourrait vous intéresser.

Ainsi, l’érudit pourra choisir ce qui lui semble pertinent et je lui ramènerai les écrits correspondants. Eric n’est pas en reste et essaye lui aussi de comprendre le sens du message crypté, puis il se prépare, laissant son arc inutile et bougeant sa cape, qui, je l’espère a été nettoyé depuis notre dernière rencontre, de manière très bizarre.

Il me demande ensuite la raison de cette visite d’auberge et je lui réponds :

J’espère que le bâtiment est encore en bon état, nous pourrons ainsi abriter le convoi, ce sera plus sûr que l’endroit que nous occupons actuellement.

Je prends ainsi la tête de notre petit groupe, prenant deux petits sacs de sel dans une charrette, même si je doute de leur efficacité, le reste de mes hommes gardant le convoi et après une dizaine de minutes de marche, nous arrivons devant l’imposant bâtiment, la plaque est à moitié tombé et elle est devenu illisible. Le toit me semble être en bon état, les fenêtres sont toujours barricadées et vermoulus, mais le plus inquiétant, c’est que la porte est à moitié ouverte.

Je dégaine donc mon épée à deux mains et j’entre doucement à l’intérieur, espérant que mes compères vont me suivre. J’ignore si les Fangeux dorment, mais ce serait bien si c’était le cas, de toute façon, j’adresse une prière aux Trois, on n’est jamais trop prudent.

A mes deux compadres:

Edgar déglutit. Alors qu’il comprit que le trio s’apprếtait véritablement à investir cette vieille auberge dans l’espoir d’y passer la nuit, il palpa de gestes presques mécaniques sous son manteau pour y sortir sa flasque et boire quelques gorgées pour s’engaillardir. Il était dans un état d’ébriété permanent ; lucide mais légèrement soulevé par une ivresse qui saurait inhiber sa peur, qui dans les moments les plus sombres pouvait se transformer en angoisse paralysantes. Ils n’avaient pas besoin de ça. Surtout Éric, qui faisait montre d’un courage ineffable ; et Desmond qui semblait avoir été rompu à des situations de crise bien plus saisissantes. Et en fond sonore, au plus profond le lui-même, la plainte déchirante du goule qui avait balafré sa jambe. Il boitait en direction du chariot, questionné par le chauve qui l’arrachait à ses chimères ; des paroles salvatrices qui réduisaient en lambeaux des pensées sombres, trop longtemps emitouflées dans un linceul mortifère…

« Plus simple encore, Éric. Prenez votre prénom : “Éric”. Il a quatre lettres : E, R, I, C. »

Il avait prononcé distinctement les lettres pour s’assurer que son interlocuteur le suivait.

« Il suffit que je les remplace le E par le U, le R par le T, etc. Et c’est un hasard. L’important, c’est que les mêmes symboles – ici, les lettres – sont utilisés. Mais il n’y a pas nécessairement de substitution d’un mot par un autre, surtout si cela complique le chemin inverse pour retrouver le message d’origine. Si je casse ce code, je vous dirai comment j’aurai fait, vous comprendrez bien mieux. Mais de vous à moi, tout serait bien plus simple si vous savez lire ; ce que je peux vous enseigner si vous êtes analphabète, au besoin… »

Le vieil ingénieur n’était pas accoutumé aux suppositions, surtout celles qui pouvaient blesser ceux qui croyaient que le travail de l’esprit était supérieur au travail du corps. Il se contenta d’un léger sourire triste, se voulant rassurant, alors qu’il prenait deux sacs de sels à son tour ; un fourré dans sa poche, l’autre pendu à sa canne.

C’était ensuite messire de Rochemont qui montrait de l’intérêt à la quête intellectuelle d’Edgar, aussi suprenant que cela parût.

« Ce qui me fait penser : j’espère qu’on prévoit la construction d’un lieu à Balazuc où le clerc pourra se documenter sans avoir à trop faire circuler d’ouvrages depuis Marbrume ; si la vie humaine est précieuse, la connaissance ausssi. Lorsqu’un homme meurt, c’est une bibliothèque tout entière qui brûle… Enfin. »

À nouveau un sentiment d’angoisse l’assaillait. Il n’avait pas eu notion du temps à parler de ces choses-là, ennuyeux fût-il. Ils étaient déjà arrivé devant l’édifice auquel le sang bleu avait fait mention. C’était presque une ruine qui aurait demandé un ravalement de façade de la part de l’ingénieur, en des jours moins sombres.

Edgar serra les dents et avala sa salive à l’idée que l’ogre de Rougelac psalmaudiât une prière à la Trinité, ponctuée d’un bruit metallique désagréable. Il comprit qu’Éric, bien plus enhardi que lui, seconderait le noble, et qu’il fermerait la marche, boiteux, tremblant, poisseux, hésitant. Il avait déjà la tête qui tournait à l’idée d’entrer dans la gueule du loup.

Les lieux étaient sombre, même encore timitement éclairés par la lumière du jour. D’après sa connaissance du fléau, l’hypothèse qu’un prédateur se cache céans n’était pas nulle. Et cette porte qui n’avait pas été fermée…

Autour d’eux, de la poussière, des débris qui semblaient avoir été écartés sur les bords, typique d’une activité humaine, sans doute récente.

Oh, voilà que ses jambes commençaient à trembler, comme si elles allaient se dérober sous son poids. Allait-il être un boulet pour ces deux-là ? Et manquer à sa parole auprès de Desmond qui l’avait aidé à supprimer sa némésis de presque toujours ?

Alors, à son tour sous l’empire d’un élan de courage, il maintint sa respiration longue, un peu bruyante, et commença à parsemer du sel autour de lui, essayant de distinguer l’indice ultime dans l’obscurité et…

« F-F-Fange… »

On entendit une sorte de réaction aigüe, comme si un acide rongeait la matière, et une fumée jaunâtre qui s’évaporait sur le sol, des traces de boues disparaissant sous des écumes agités au contact de l’épice.

Une goule était passée par là.

Et ce cri déchirant qui provenait de l’étage qui semblait comme avoir figé le cœur de l’ingénieur au point qu’il allait faire un arrêt cardiaque.

Le limoneux, lui, continuait de planter ses crocs dans sa victime, dont le cadavre était encore chaud…

Spoiler:

Il est vrai que la lecture, comme l’écriture ou la science des chiffres, me sont inconnus. Cela ne m’a guère handicapé jusqu’à aujourd’hui puisque j’ai toujours su régler mes problèmes. Cependant, des changements récents me poussent à prendre bonne note de votre proposition. Je vous en remercie.

J’affichais un bref sourire, ce qui était chose rare, et lui décochais un léger coup de coude.

Je ne vais pas vous tenir rigueur de me rappeler que je suis aussi habile avec votre plume que vous avec mon arc! Je suis intimement convaincu que seuls les hommes conscients de leurs limites ont la capacité de progresser.

Nous étions arrivés devant une bâtisse en piteux état, plus proche de la ruine que de l’abri. Cependant, les murs semblaient robustes et la charpente intacte. Sans me prendre pour un architecte, j’ai arpenté suffisamment de vieux bâtiments pour reconnaître ceux qui pouvaient me tomber sur la tête. Un vieux chariot défoncé était en partie écrasé contre un des murs.
Tel ne semblait pas être le cas ici.
Le danger était donc ailleurs.
Les poils de ma nuque se hérissèrent, il y avait bien quelque chose dans les environs et c’était quelque chose de dangereux. Alors, dans la suite de Desmond, je dégaine mon épée courte dans un tintement sinistre.

Je croise le regard de l’érudit tandis que le noble pénètre l’endroit.
Je vois la terreur dans ses yeux, une terreur de déjà vu. Je ne sais rien de lui si ce n’est qu’une odeur étrange de boisson le précède et le suis. C’est un homme torturé, dans sa chair et dans son esprit. Peut-être que les deux sont liés, mais il apaise ses douleurs avec l’alcool.
Je lui fais un signe des yeux pour lui faire comprendre que je ne le laisserais pas avant de suivre Desmond.

La poussière brillait dans les quelques rayons de soleil qui perçaient. A chaque pas, quelque chose craquait ou crissait. Tantôt brindille, tantôt tesson, parfois de vieux clous. En esquiver un, c’était mettre le pied sur un autre.
Desmond s’était avancé presque au milieu de la pièce principale et je suivais, épée en main, légèrement vouté et genoux pliés. Le combat en intérieur, ce n’était pas mon plus grand point fort. Je savais me défendre, j’avais passé plusieurs années dans l’armée puis dans la milice, mais c’était bel et bien à l’arc que je faisais la différence.

Alors, un sifflement désagréable se fit entendre. Je me retournais vivement vers l’ingénieur qui bredouillait le nom du pire danger que nous pouvions rencontrer. Une fumerolle âcre s’élevait de l’endroit où il avait jeté du sel. Comme pour confirmer sa sinistre découverte, un cri glaçant retentit depuis l’étage.

Situation?
Dangereuse!

Risque?
Élevé!

Options?
Deux; Combat ou fuite!

Quel choix?
Combat!

Comptabilisation des forces?
Compter Edgar comme inopérant, Desmond aurait dû choisir un autre pour cette opération

Analyse de possibilité?
Première possibilité; Frontal, par l’escalier, charge rapide, Desmond en renfort, mise sur la surprise.
Seconde possibilité; Frontal, charge brutale, Desmond en premier, moi en renfort, mise sur la puissance de frappe.
Troisième possibilité; Déportée, axe aléatoire, action aléatoire, effectif aléatoire, mise impossible à prévoir.

Analyse des risques?
Première situation; risque maximal à titre personnel, issue fatale fortement envisageable, échec probable.
Seconde option; risque très élevé, issue très incertaine, échec à envisager.
Troisième option; risque aléatoire mais surement maximal, issue fatale probable, échec à envisager

La meilleure option?
La troisième! Un action déportée détourne l’attention et ouvre plus d’options.

J’arrachais le sac de sel des mains du scientifique, lui en laissant un, avant de sortir du bâtiment à la hâte aussi silencieusement que possible. Une fois dehors, je bondis sur la carcasse de chariot repéré plus tôt et gravis la toiture, toujours accroupie. Je prenais la direction de l’étage, visualisant la pièce du rez -de -chaussée pour me repérer.
Lorsque j’arrivais au-dessus du palier de l’étage, je m’allongeais et utilisais mon épée pour percer un trou dans le toit de chaume. Je fis un trou suffisamment large pour pouvoir m’y glisser et arrêtais mon geste lorsque je le vis.

La goule était penchée sur un cadavre au sang bien rouge, un cadavre frais. Pas besoin d’être prêtre pour savoir que le sang noircit vite hors là, il était bien rouge.
L’horreur ne m’avait pas encore repéré.
Agir! Vite!

Je coinçais mon épée entre le toit et mon torse et me pris le sac de sel.
Alors, je le retournais pour en vider l’intégralité du contenu sur la goule et sur sa victime.
Je ne savais pas si le sel agirait sur la goule comme sur la boue en bas, mais le temps était maintenant compté.

J’étais repéré, mais théoriquement trop haut. Le fangeux me toisa et poussa un hurlement.
A l’instant même où il se tut, j’ouvrais la bouche.

DESMOND! A L’ETAGE A DROITE! CHARGEZ MAINTENANT!!!

Je décrochais ma cape et la laissais tomber sur le fangeux alors qu’il se relevait, le drapant de noir, l’aveuglant. Chaque seconde de répit était appréciable.
Je levais les yeux au ciel.

Vous trois là-haut, si vous avez un tant soit peu de pitié pour moi, si le pire devait arriver, sauvegardez les deux autres et laissez moi le temps de leur délivrer un message.
J’aperçu la tête de Desmond alors, je me glissais par le trou pour atterrir avec fracas sur le plancher, clouant la victime au sol avec mon épée, la courte lame plantée dans sa gorge avait traversé le plancher pourri.
A toi Desmond!

Bien bien bien!:

Bien bien bien 2:

Je vois avec plaisir qu’Edgar puis Eric m’emboîtent le pas et j’arrive ainsi au milieu de la pièce. Le sol est très sale, mais je m’y attendais et de toute façon, avec mes chausses, je ne risque rien, l’avantage d’avoir une armure de plaque. Alors que j’allais continuer mon exploration rendu difficile par le manque de lumière, l’érudit semble avoir remarqué quelque chose, car il balance du sel par terre et finalement indique qu’il y a un Fangeux !

Comme en réponse à sa déclaration, j’entends un cri qui confirme les pires craintes de l’architecte et les miennes par la même occasion. Je serre encore plus la poignée de mon épée, et je me demande quoi faire. Je pourrais reculer, mais laisser cette créature aussi près du convoi serait dangereux, trop dangereux, d’un autre côté, avec plus de troupes, je diminuerai les risques. J’en étais là de mes réflexions quand je vois du coin de l’œil le chauve se barrer !

Cette petite fouine nous a abandonnés ! Je pensais avoir une personne fiable dans mon équipe, mais finalement, je me suis trompé, je suis déçu, très déçu par son comportement. On se retrouve seulement à deux face au monstre, enfin deux, c’est beaucoup dire, je dirais plutôt un et un demi, et encore, je suis gentil. Alors que j’étais en pleine confusion, j’entends un cri inhumain, puis des instructions venant du toit, ; le mercenaire et ancien vagabond ne m’a pas trahi, il a dû prendre des risques insensés pour monter sur le haut du bâtiment et me donner un avantage tactique.

Je me précipite, l’épée à la main et j’abats de toutes mes forces mon arme sur la goule, dont la peau est brûlée. Il semble très énervé, vu comment il se débat dans la cape.

Le combat:

Le combat est rude, très rude, c’est ma première fois contre un Fangeux et je me prends de nombreuses blessures, heureusement pour moi, aucune de ses attaques ne perce mon armure et c’est donc couvert d’ecchymoses avec peut-être un ou deux os cassés que je sors victorieux du combat.

Etat de Desmond:

Le monstre est à mes pieds et pour plus de sûreté, je le décapite ainsi que sa propre victime, une vieille femme habillée en paysanne dont nous ne saurons jamais le nom.

La situation de crise avait ainsi disparu aussi vite qu’elle avait point.

Edgar reprit conscience, poisseux plus que jamais, poussant quelques cris de paniques sur l’instant, avant de retrouver ses esprits dans leur totalité. Sa vue trouble se précisa ; ils étaient dans cette auberge abandonnée, et à en comprendre la situation l’absence de ses deux comparses…

« Eric ?! appela-t-il soudain. »

Quoiqu’encore sous l’empire d’un alcool peu salvateur, il se surpris à pouvoir se redresser, sans trop de heurt, pouvant être porté sur ses deux jambes. L’adrénaline n’était pas encore descendue. Et les clâmeurs de la goule encore fraîches dans son imagination.

Il monta à l’étage, où il aperçoit le colosse et le chauve s’affairer à des tâches chirurgicales. Comme si le fait de voir Élie Coptère se faire charcuter n’avait pas suffi, la seule chose qu’Edgar pût faire en guise de félicitations fut d’offrir une galette jaunâtre liquéfiée en plein sur le passage. Il se cambra sur sa canne pour ne pas finir la tête la première dans son propre vomi. Il pensa à contre-cœur qu’Éric et Desmond allaient devoir passer par là, marcher dedans au pire, mais à sa grande suprise, ses remugles n’avaient aucune odeur. C’était le Fangeux et le cadavre qui puaient la mort. Il s’approcha néanmoins.

C’était inespéré qu’il approchât un corps infecté d’aussi prêt. Son cœur se remit à battre la chamade. Il crut qu’il allait faire un nouveau malaise, mais la proximité de ses comparses le maintenaient dans un état enhardi.

« Messire de Rochemont, je sais que le moment est mal choisi, mais… »

Il regarda à nouveau les corps. C’était en effet une occasion inespérée.

« J’avais pour idée de trouver un de ces quatre une de ces choses pour l’analyser. Je ne suis pas médecin, mais mes notions en chimie m’ont donné l’idée plutôt de répandre du sel pour confirmer la présence d’une telle chose. Aujourd’hui, à ma connaissance, il n’y a rien qui justifie que le sel soit un répulsif efficace. Pensez-vous qu’on puisse le démembrer en plus de conserver la tête quelque part ? Sans trop vous en demander, bien sûr. Et vous seriez les premières personnes au courant de mes recherches là-dessus… »

Il observa ensuite un peu plus l’état physique des deux combattants. Messire de Rochemont exhibait des blessures superficielles.

« Il doit me rester de l’alcool si vous voulez désinfecter ces choses, mais mes savoirs en premiers soins sont inexistants. »

La lame de Desmond passa à un cheveu de ma tête.
Fort heureusement, n’ayant pas de cheveux, je ne fus pas touché. Il n’empêche que je me dégage d’une roulade, abandonnant mon épée dans la gorge de la victime du fangeux.
Accroupis non loin des goules et du noble, je remarque seulement maintenant les brûlures terribles causées par le sel. Une odeur âcre remplie la pièce et me donne un haut-le-cœur tandis que le guerrier rugit en bataillant. Il n’y a pas à dire, j’espère ne jamais mériter son courroux.
Face à Desmond, autant que je m’égorge moi même...Ca lui enlèverait le plaisir de me tuer et ce serait un beau pied de nez…
Notez que je préfère tout de même que l’on reste dans le même camp.

Je voulus, à un moment, récupérer mon épée pour lui apporter mon soutien mais je manquais de peu de ramasser la sienne dans le buffet. Aussi je restais finalement en retrait.
Il fallait qu’il en vienne à bout car sinon, armé de mon seul couteau, je ne ferais clairement pas long feu...Quant à l’architecte resté en bas, n’en parlons pas. Il est brave, il ne faut pas le lui retirer, bien plus brave que bon nombre d’hommes valide alors qu’il use d’une canne.

Alors que le sang bleu prend l’avantage, je vois la tête de l’ingénieur apparaître et, comme si c'était une vision prophétique, une tête vola alors. Enfin, Desmond étêta la victime de la goule, laissant mon épée plantée dans le plancher. Au même instant, Edgar gratifiait le sol d’un magma fermenté.
Je me relevais pour ramasser mon arme.

Bien joué Desmond! Ça va aller?

J’imagine que oui. S’il a quelques éraflures, il ne semble pas mordu devrait se remettre avec une bonne désinfection et quelques bandages. Il faut être honnête, dans certaines circonstances, la plaque a des avantages.
Je levais alors un œil suspicieux vers le scientifique. Ramasser des morceaux de la bestiole à des fins d’analyses? Enfin, je fus surpris par sa précision.

Il est le premier, avec moi, Messire…

Aucune animosité dans ma voix. Comme toujours, je ne faisais qu’établir un constat, relevant d’une certitude.

Hors de question que je trimballe ça dans une de mes besaces, elles puent déjà trop! Je peux vous porter votre puzzle morbide mais trouver un truc pour le fourrer dedans!

Je jetais alors un œil au cadavre de la victime avant de regarder alternativement l’érudit et le noble.

Peut-être que vous devriez aussi prendre un morceau de la victime...Qui sait, vous pourrez peut-être en apprendre plus sur le fonctionnement de la contagion…

Je n’attendais alors pas de savoir si l’idée était bonne ou pas, je passais devant eux, enjambais le cadeau viscéral d’Edgar et descendais les marches pour aller prendre l’air.

Plutôt que recevoir des félicitations de la part de l’ingénieur qui vient à notre rencontre, j’ai la désagréable surprise de le voir dégobiller, comme si l’odeur n’était pas assez forte. Certes, mon casque filtre un peu les odeurs et je me garde bien de l’enlever, mais si on ajoute à cela la puanteur du Fangeux et de la vieille qui a commencé à faisander, je ne souhaite guère rester ici.

Mais ce n’est pas le cas d’Edgar qui me demande de démembrer la goule et je lui réponds :

Il semble que le sel lui ait brûlé la peau, un peu comme une grenouille si je ne m’abuse.

Petit, j’aimais bien torturer les animaux, en grandissant, j’ai évolué et maintenant je torture des êtres humains, c’est plus intéressant. Je continue donc sur ma lancée :

Normalement, le Temple décourage toute expérimentation sur un Fangeux, mais ici, nous ne risquons pas grand-chose, après tout, la déesse Rikni elle-même m’a donné la victoire, alors elle ne devrait pas s’offusquer de couper le Fangeux en morceaux, dites-moi juste comment faire.

De plus, il faudra bien le sortir pour brûler les deux cadavres, alors je suis les instructions pour la découpe et posent les parties à l’extérieur, en prenant au passage le corps de la vielle femme, faire de la manutention, surtout avec l’aide d’Eric, c’est dans mes cordes. Concernant les soins vu mon état de santé, je leur réponds à tous les deux :

C’est fort aimable de votre part, mais je compte bien garder mon armure, j’irai voir un rebouteux plus tard.

Une chance que les plaques ont tenues le choc, je fais d’ailleurs une courte prière aux Trois et je me promets d’aller remercie le forgeron qui avait remis en état mon armure. Une fois, cette sinistre besogne réalisée, j’indique à Edgar :

Je peux vous accorder deux heures, après j’indiquerai à mes hommes de prendre possession des lieux.

Je ne perds pas de vue mon objectif, trouver un endroit où nous serons à l’abri pendant la nuit.

Décidément, les situations de crise pouvaient mener à de belles occasions, et les deux comparses du boiteux avaient énuméré deux idées fulgurantes. Il y avait de quoi faire, entre prélever la chair de la victime et torturer une grenouille. Il n’avait notamment pas pensé que les amphibiens avaient leur peau brûlée par le sel. Peut-être que, sans le savoir, messire de Rochemont avait apporté une contribution majeure à l’éclaircissement du mystère de la Fange.

Le vieil homme tourna néanmoins la tête, se tenant sur sa canne, essayant d’emplir son esprit de pensées positives, salvatrices, plutôt que de s’imaginer messire de Rochemont jouer les bouchers. C’était un mal nécessaire pour un bien qui saurait peut-être les sauver plus tard ; sinon les générations futures. Et ça, le Temple n’avait rien à y dire.

Après avoir contemplé l’œuvre de messire de Rochemont, il eut un nouveau un haut le cœur et…

… Et il se contint, cette fois. Il était galvanisé, il devait contribuer à sa manière.

« Je risque d’être endetté à votre égard, plus que de raison, messire de Rochemont. »

Il esquissa un sourire satisfait et, se saisissant de tissus divers et variés qu’il avait toujours sur lui pour ce genre de situation, il emballa soigneusement les morceaux les plus discrets, oubliant son dégoût momentanément. L’adrénaline affluait encore dans son corps, au point qu’il se surprit à aider le sang bleu, se tenant sur ses deux jambes, quoique boitant encore, pour extraire le massacre dont les deux guerriers avaient été les hauteurs. Dire qu’il tenait une goule détruite dans les bras, lui qui redoutait ces prédateurs au plus haut point.

S’il était ivre, dans d’autres circonstances, il aurait fait une farce ou deux à Desmond en jouant avec le bras arraché d’un Fangeux pour l’apeurer, pensait-il. Mais non seulement le contexte ne s’y prétait point, alors qu’en plus il n’était pas sûr de la manière dont le prendrait l’ogre de Rougelac.

Peut-être que c’était Edgar qui finirait démembré, après tout.

Après que les restes morbides eurent été sortis, Duval se saisit de sa fiole, aspergea les déchets et, à l’aide d’un briquet à percussion, enflamma le tout. Une odeur de soufre embaumait bientôt autour des cadavres, et au fur et à mesure que la pression retombait, l’ingénieur s’appuyait sur sa canne.

« Et sinon, ça fait quoi d’être venu à bout d’un Fangeux ? finit-il par demander à Éric et messire de Rochemont, histoire de faire la conversation. »

Spoiler:

Une fois dehors, je respire à pleins poumons l’air frais tandis que mes deux compères discutent de filets, de palerons, de gigots ou tout autres terminologies permettant d’identifier un morceau de viande de fangeux. L’idée d’en rapporter un bout me parait complètement loufoque mais, il est évident que je suis loin d’être un homme de science.
Je suis simplement quelqu’un de pragmatique et, je trouve mon idée d’étudier la victime comme la goule plutôt cohérente.

Voyant Demsond extraire un morceau de viande de l’auberge, je m’engouffre de nouveau à l’intérieur avec lui pour l’aider à évacuer les corps. C’est alors que me vient une réflexion tandis que nous trimballons la pauvre vieille femme.

C’est étonnant que cette vieille dame soit arrivée ici seule tout de même...Il faut peut-être s’attendre à ce que d’autres l’ai laissé ici provisoirement, la pensant en sûreté...Ils pourraient alors ne pas apprécier la découverte.

La macabre tâche exécutée, l’ingénieur met le feu aux corps sans vie pour que l’on soit certain qu’ils ne nous jouent pas de mauvais tours. A l’évidence, la chance n’est pas avec moi car, à l’instant même où la colonne de fumée se fait haute et épaisse, le vent change de sens pour tout me renvoyer en pleine figure. Je m’écarte rapidement en toussant, pris de nouveaux hauts-le-cœur.

Techniquement, c’est Desmond qui l’à abattu. A le regarder, je dirais qu'il doit y avoir la satisfaction d'être vivant et le dégout de l'état de son armure...N'ai-je pas raison?

Je me tourne alors vers l’intéressé.

Nous devrions faire rappliquer le convoi le plus vite possible, avant que d'autres fangeux ou intrus ne débarquent! Vous n’avez cas restez là tous les deux, je fais l’aller-retour au plus vite si cela vous convient?

L’érudit semble content de mon œuvre et me remercie pour mon travail de boucher. En tout cas, il prend soin des morceaux que je lui tends et bientôt, il ne reste plus que la carcasse que Maitre Duval fait brûler à l’aide d’une sorte de feu grégeois, je pense, les reste et c’est un petit bûcher qui s’élève.Je suis bien content que notre sinistre besogne soit terminé.

Pendant le transport, Eric, qui m’apporte une aide précieuse, fait une réflexion pleine de bon sens et je lui réponds en haussant les épaules :

Je n’en sais rien, mais nous ferons attention lors des tours de garde, c’est la seule chose que nous pouvons faire.

Puis arrive la question sur mon état d’esprit qui me fait sourire et je leur réponds à tous les deux :

Notre compagnon à raison, être vivant est une bonne chose, mais ma principale préoccupation durant le combat, c’était de ne pas être mordus ou griffé.

C’est ma plus grande inquiétude, devenir un Fangeux et perdre mon âme, même si, d’après les conversations que j’ai eu avec deux religieuses, tant que je suis vivant, j’ai mon âme et lorsque je passe de vie à trépas, mon âme rejoint les Trois et autre chose prend possession de mon corps. J’espère que c’est vraiment le cas, après tous les dons que j’ai fait au Temple, ce serait quand même ballot que je ne puisse pas accéder à la félicité promise.

Le chauve nous propose un plan et je lui réponds :

C’est une très bonne idée, je m’assure qu’il n’arrive rien à notre ami.

Cela évitera qu’Edgar marche trop, vu l’état de sa jambe. D’ailleurs, une fois, le mercenaire partit, je lui demande à l’architecte :

Vous voulez-vous vous assoir ?

Puis n’oubliant pas notre mission primaire, je l’informe de la suite des évènements :

Nous allons avoir besoin de votre expertise pour consolider les lieux.

Je ne tiens pas à combattre à nouveau une goule, ma chance tournera un jour ou l’autre.

La pause fut de courte durée. L’ingénieur comprenait qu’il était en compagnie de deux hommes d’urgence, et lui-même au fond aurait pu ressentir quelque sentiment coupable à l’idée de faire passer sa petite curiosité personnelle avant l’urgence de la situation. Il semblait alors déjà avoir oublié le morceau de chair qu’il avait très soigneusement enveloppé dans moult tissus, tant pour préserver la chose que pour étouffer les senteurs nauséabondes que la chair de Fange pourrait dégager.

Ainsi, sous ses yeux, il observait avec une fatigue soudaine la silhouette d’Éric s’éloigner. Fort heureusement, il restait l’Ogre de Rougelac, fidèle au poste, dont la présence semblait parfois relever de la volonté des dieux plus qu’autre chose. Et pour couronner le tout, il continuait de s’enquérir de la solitude de l’ingénieur, comme si de rien n’était.

« Ne restons pas là… suggéra-t-il d’une voix enrouée par la fatigue. »

Il enjoignit le noble à le suivre à nouveau dans la bâtisse, observant les lieux, constatant l’évidence de la chose. Il faudrait a minima fortifier cette bâtisse qui saurait être en proie à une nouvelle agression surnaturelle.

« Le sel, messire de Rochemont, est notre atout le plus puissant présentement. Enfin, si les conditions le permettent — et j’ai des doutes — creuser un fossé autour des murs, saler les douves de fortunes et poster à l’étage des hommes prêts à saler les prédateurs par les fenêtres. »

Il balaya du regard les environs, se déplaçant péniblement à l’aide de sa canne, boitant, tatonnant par endroits pour observer le répondant du bois.

« En supposant que des prédateurs passent par là et nous sentent, ils nous encercleront pour sûr. Il faudra s’attendre à dormir d’un seul œil, voire point du tout. Vraiment, je suggère de répandre autant de sel que
possible, le gros de nos réserves, autour de la bâtisse, en abondance plus prononcée prêt de l’issue principale. »

Ce faisant, il quitta le hall principal, inspectant les annexes. Il revint, constatant.

« Il existe bel et bien plus d’une issue. Il faudra renforcer ces deux-là en priorité. Salé à l’extérieur, barricadé à l’intérieur, et nous devrions pouvoir nous en sortir. Nous n’aurons pas le temps de creuser quoi que ce soit de toute manière, alors je suggère de nous concentrer sur le salage. »

Ce faisant, en totale contradiction avec ses dires, il se posa sur un tabouret qui avait survécu aux ravages de la barbarie, débouchant sa flasque, préoccupé à refaire le plein.

« Nous arriverons demain à Balazuc, n’est-ce pas ? »

Aussitôt proposé, aussitôt validé!
Ce qui est appréciable dans le fait de travailler avec Desmond, c’est qu’on ne perd pas de temps en discussions inutiles. Si une proposition lui convient, elle est immédiatement mise en application.

Très bien, je fais au plus vite!

Je regarde ma vieille cape d’un œil un peu dégouté. Ce grand pan de tissu m'a suivie huit ans durant sans jamais me faire faux bond, s'abritant par temps de pluie, me dissimulant aux yeux du monde, oui elle m’a plus d’une fois sauvé la vie. Cependant, bien que n’étant pas un homme de science et encore moins un érudit, je doute qu’il soit de bonne augure de la porter alors même qu’elle à servie à aveugler une goule et qu’elle est maintenant imprégnée de purin putride et de sang maudit.

Je la ramasse alors pour la lancer dans les flammes qui dévorent les cadavres découpés.

Je m’élance, rebroussant chemin vers le convoi avant de me tourner vers le chevalier.

Vous avez noté Desmond? C’est la deuxième fois que j’aveugle un adversaire avec cette vieille cape, ne lui en voulez pas d’avoir été le premier.

Je lui lance un fin sourire amusé avant de prendre la route en trottant.

Si le trajet se déroule bien, je dois avouer que c’est aussi du fait de mon habitude de parcourir les environs seul. Près d’un an à vagabonder en solitaire, je ne suis que parfaitement rodé à l’exercice.
Le plus compliqué est de réussir à mettre le convoi en branle.
Les cochers en ont marre de ce voyage trop long, les passagers de plus en plus effrayés et les mercenaires rechignent à écouter quelqu’un d’autre que leur chef.
Il me faudra usé de ma patience et de ma diplomatie mais dès lors, nous perdons un temps précieux.
C’est donc excédé que je ramasse mon arc et mon carquois que j’avais laissé à l’aller pour finalement brailler et menacer.

Enfin, nous avançons et, levant le nez au ciel, je suis certain que nous arriverons juste avant la nuit. A l’évidence, il ne faut pas rencontrer le moindre problème. Je ne peux même pas partir en éclaireur car je suis le seul à pouvoir guider le convoi. J’ouvre donc la marche d’aussi loin sur l’avant que possible.

C’est finalement au crépuscule que nous arrivons à l’ancienne auberge et, je dois être honnête, je suis complètement fourbu!
J’espère que tout c’est bien passé en mon absence!

Le chauve me lance une pique à propos de sa vieille cape avant de partir et je lui réponds d’un ton désabusé :

Au moins, elle ne contaminera plus personne.

A la demande de l’architecte nous entrons dans la bâtisse et j’écoute ce que ce dernier à me dire pour la défense, une fois qu’il a terminé, je lui réponds :

C’est entendu, nous pouvons poser du sel, pour le récupérer ensuite demain et je mettrai en place des sentinelles cette nuit aux endroits que vous m’avez indiqué.

Je le vois s’assoir un peu et récupérer un peu de courage liquide. Pour ma part, je me sens dans une forme olympique ! Tuer un fangeux est vraiment un sentiment grisant, pour un peu, je me croirais l’équivalent d’un champion des Trois ! Mais je dois rester prudent, une seule griffure, une seule morsure d’n de ces monstres et je serais contaminé, il faut donc la jouer profil bas, le plus possible et ne les affronter que quand je n’ai pas le choix.

Mon invité me pose une question sur notre voyage et je lui réponds, sûr de moi :

Effectivement, si tout va bien, demain soir nous pourrons dormir sur nos deux oreilles, ce sera la fin de notre voyage.

Je passe un peu de temps à vérifier que les planches condamnant les fenêtres sont bien en place et puiser de l’eau au puits non loin pour la nuit. Je n’enlève pas mon armure pour le moment, craignant trop que les compagnons de la victime du Fangeux ne reviennent ou qu’une goule fasse son apparition, mais finalement tout se passe bien et j’observe, au crépuscule, que le convoi est enfin arrivé.

Je donne mes ordres rapidement pour que l’on puisse détacher les montures des différents chariots pour qu’ils puissent se reposer également et bien vite, après avoir pris les mesures de sécurité demandée par Edgar, nous nous retrouvons tous à l’intérieur de l’ancienne auberge, étant le plus possible en sécurité, enfin pour notre époque.