Un repos bien mérité avec Rosen

Et les jours passent inexorablement. J’ai l’impression que ça fait des lunes que je ne me suis pas arrêtée de voyager… C’est épuisant, vous n’imaginez même pas. Nous finissons enfin par arriver à destination et c’est assez timidement que je descends de la charrette avec l’aide de Desmond.

La ferme a l’air grande, mais rien de bien impressionnant lorsque l’on est habituée à vivre dans un château. C’est même petit, à côté. Mais je n’en reste pas moins mal à l’aise. Une jeune femme vient bien vite nous accueillir, renforçant le malaise d’entrée de jeu.

Moi, la femme de ce nigaud ? Quelle drôle d’idée… J’ai pris la peine d’emmener quelques robes simples, de lins, bien loin de la soie, du satin ou du velours que je portais dernièrement.

Lorsque Desmond me présente clairement comme étant ‘Gosseline’ je manque presque de porter ma main à mon visage tellement que c’est n’importe quoi de me présenter ainsi, comme si c’était mon prénom. Mais c’est Desmond… S’il faisait dans la finesse, ça se saurait.

Deux autres jeunes femmes arrivent, et je me sens subitement oppressée, entourée de toute part. Lorsque la première demande si nous venons de Marbrume, je regarde mon acolyte. J’ai l’impression que je vais de nouveau avoir du mal à parler… C’est étrange, cette sensation.

Je lui ai déjà fait le topo, alors je le laisse gérer et qu’importe s’il raconte encore des bêtises. J’y suis habituée après tout... Je le suis ensuite à l’intérieur comme elle nous invite à entrer, adressant un sourire gêné aux habitantes.

Pour être fatiguée, pour sûr que je le suis. Je pourrais m’allonger par terre et dormir… Je contiens difficilement un bâillement et me frotte les yeux. Imperceptiblement, je crois, je me rapproche de lui.

Les lieux sont plutôt rustiques comme toute ferme et de temps à autre on peut entendre quelques cris d’animaux. L’odeur de la paille et du foin est assez agréable et je n’ai qu’une hâte, c’est de pouvoir m’allonger dans un lit pour me reposer.

Les fins de journées sont les moments les plus agréables. Plus de cahots, plus de secousses, plus de roulis ni de grincement. Être à peu près au chaud et confortablement installé pour la nuit.

Je ne sais pas combien de temps je vais rester. Sûrement le temps que Desmond revienne me chercher une fois qu’il aura fini ce qu’il a prévu de faire ailleurs. Sauf si complication, ce sera certainement ça. Disons entre une et deux semaines… J’espère enfin pouvoir me reposer.

Desmond répond suite à mon regard. Oui, quand l’on peut se passer de la parole, tout est tellement plus simple. Je les laisse échanger quelques nouvelles puis je suis rapidement conduite à une chambre pour me reposer. Je crois que la fatigue est telle que je dois faire peur et qu’elle doit se sentir à des lieux à la ronde.

Maintenant que je me retrouve seule, j’éprouve de nouveau un certain malaise. Je suis dans un lieu inconnu, sur une terre où je ne suis jamais venue. Et me perdre dans mes souvenirs récents et mes pensées ne m’aide guère à me détendre. Bien au contraire, même.

Je m’assieds sur le lit, jette un œil à la fenêtre. Elle semble barrée de lourds volets qui laissent passer peu de lumière. Oui, il faut bien ça pour se protéger de la fange. C’est alors qu’un vrombissement me fait sursauter.

Je me lève brusquement et me dirige dos à la porte, cherchant du regard l’insecte. Finalement, je sors de la pièce rapidement. Je ne sais pas trop où aller exactement, mais j’aimerais rester loin de cette vermine.

Finalement, je cherche Desmond de pièce en pièce et une fois que je l’ai trouvé, je rentre dans la chambre et referme la porte derrière moi. Je cherche ensuite attentivement du regard s’il y a quelques au plafond ou sur les murs, mais je ne vois rien.

Pour le coup, ça sera certainement moins simple de me faire comprendre sans la parole. Mais il ne peut pas y avoir des avantages partout… n’est-ce pas ? Je le regarde ensuite quelque peu anxieuse, les yeux se perdant dans le vide.

Je n'ai presque pas parlé du voyage, je crois. Je réalise que je n'ai même pas parlé du tout. Je ne sais pas combien de temps ça va durer encore, ni pourquoi cela recommence, mais ce que je sais, c'est que je n'ai pas envie de rester seule.

Je regarde Desmond, mon regard se voile. Quoi, je viens le voir et il me demande de partir ? Je le dérange, peut-être. Je ne saurais dire pourquoi cette sensation oppressante dans ma poitrine.

Je ressens une profonde tristesse en ce moment précis. Ai-je vraiment bien fait de venir ici ? Le doute m'étreint l'estomac. Il faudrait bien que j'arrive à trouver mes marques...

Il a beau me sourire, ça ne change rien. Me parler de nourriture n’est franchement pas plus réconfortant, bien au contraire. J’ai envie de vomir. Il passe finalement sa main dans mes cheveux.

J’hésite à me blottir contre lui, lorsque soudain, on tape à la porte. Je sursaute et me retourne avant de regarder Desmond, perplexe. Il ouvre la porte et l’une des fermières s’excuse de nous déranger.

Pourquoi cette insupportable sensation d’être en trop ? Je regarde Desmond, je crois que c’est moi qui dérange. Mais où aller ? Je quitte finalement la pièce pour les laisser, rasant les murs comme une ombre. Oui, où aller ? Retourner dans la chambre que l’on m’a attitrée ?

Non… Pas envie ! Mais je ne peux pas rester en plein milieu de la demeure à me mettre en travers de tout le monde… Je retourne donc sur mes pas et me dirige vers ma chambre, ralentissant le pas une fois devant. Là, je pose ma tête sur la porte pour écouter, mais il n’y a aucun bruit, évidemment.

Je m’adosse alors au mur pour me laisser glisser au sol et ainsi m’asseoir, posant ma tête contre mes genoux que j’enroule de mes bras. J’ai froid… J'ai si froid.

Tant d’images défilent sous mes yeux. Tant d‘horreurs oppressantes, tant d’odeurs et de vrombissements terrifiants. Comment effacer cette trace, ce frisson ne lâchant plus de mon esprit ? J’ai si froid… elle est partout, elle plane autour de moi. Elle étend son souffle glacial sur ma nuque. Eux aussi, ils sont partout. Ils rampent autour de moi, formant une chrysalide de vermine interdimensionnelle.

Je les sens. Tous. Ils ne sont pas réellement là, bien sûr, mais ils le sont bel et bien. Je sens leur essence inconsistante rôder sur moi comme des loups assoiffés de sang.

Dans chaque recoin, derrière chaque meuble. Dans chaque ombre. Au plus profond de mon âme. Partout. Ils m’aspirent… me retiennent. Réussirai-je un jour à m’en débarrasser ? À ressentir à nouveau la chaleur de la vie et non ce vide mordant.

La lumière me paraît si sombre et ce flottement ne me quitte plus. Je suis ici et ailleurs à la fois. Insaisissable, perdue au cœur d’un lieu qui n’existe pas. Quelque part entre la vie et la mort, je crois. Qui pourra bien me tirer de là ? Qui pourra bien me sauver ?

Je m’enfonce toujours plus bas au sein de ce gouffre infernal qui ne semble jamais avoir de fin. Je sursaute soudain en me sentant m’élever pour quitter le sol avant de retomber. C’est la voix de Desmond qui me ramène partiellement parmi les vivants. Desmond ?

Je regarde autour de moi comme il me recouvre. Où sommes nous ? Il me faut de longues secondes avant de revenir totalement à moi. Au Labret… Je regarde autour de moi dans la pièce, je ne vois plus de mouche. Il prend ensuite ma main et essaie de me rassurer. Le peut-il seulement ? Il a l’air blasé, fatigué lui aussi.

Je le fixe un moment, le regard toujours aussi vague et triste. Je tire sur sa main pour qu’il vienne avec moi dans le lit et lui tends les bras pour un câlin. Il y a beau avoir des gens autour de moi, je me sens toujours terriblement seule, perdue.

Desmond essaie de me rassurer, mais s’il était si simple, tout irait bien depuis un moment. Parfois, les angoisses ne sont même pas rationnelles. Mais pour le coup, si jamais je suis recherchée, je ne suis pas sûre qu’il pourra me protéger bien longtemps.

Surtout qu’il ne va pas tarder à repartir et me laisser seule ici… Il s’allonge près de moi et me caresse les cheveux, puis me demande de lui parler. Lui dire quoi ? Je le regarde sceptique.

Je ne sais pas ce qu’il veut savoir. Que lui répondre ? Je repose ma tête et ma main sur sa poitrine pour la caresser doucement. Ça me fait toujours bizarre, de sentir un corps chaud contre le mien.

C’est comme si dorénavant, un corps était censé être froid et rigide… Il va falloir que je me réhabitue à la chaleur des vivants et que tous ces flashs macabres cessent de me hanter.

Mais ça continue.

J'suis couchée, les yeux fermés. Y'a plus de soleil, plus de réveil. Ça sent le sang. Y'a des asticots qui courent. Partout dans tous les sens. Macchabée sans espoir. Je cherche pas les histoires.

J'suis doux comme un agneau. Je marche seul, les pieds devant. Entre quatre planches et la gueule de bois. Ça sent le sapin, le roussi, c'est froid. J'sens plus rien, j'suis éteint, j'suis crevée. J'pars en fumée.

Je disparais, je sors du décor. L'air de rien, j'prends mon air absent. J'ai l'air fin. Je longe un long, long couloir. Un très très long long couloir. Interminable couloir. Tout noir, tout noir, tout noir, tout noir.

Noir de monde, de gens transparents, abonnés absents. Y'a quelqu'un ? Personne répond. J'reste sans voix, c'est le trou du cul du monde. En moins d'une seconde. Le trou noir, troublant. J'en reviens pas.

Desmond tient à ce que je dorme. Peut-être est-ce pour pouvoir lui même dormir car après m’avoir demandé finalement de me reposer voyant que je ne lui répondais pas, c’est lui même qui s’endort. Heureusement qu’il m’a encore promis de rester réveillé… Je soupire en restant contre lui.

C’est pas grave… Je sais bien que c’est dans ma tête. Je ne crains rien ici. Cette stupide angoisse doit chercher. J’essaie donc de me reposer aussi, mais je ne parviens qu’à somnoler un peu lorsque l’on frappe à la porte. Je me redresse alors brusquement, craignant que quelqu’un n’ouvre la porte.

Oh, ce ne serait pas bien grave, au fond. Mais quand même. Je regarde Desmond et je commence à le secouer pour qu’il se lève lorsqu’il me dit lui même qu’il faut nous lever. Bien, parfait.

Quittons la chambre. Je m’assieds un instant et prends ma tête entre mes mains avant de me lever et de suivre Desmond pour rejoindre les habitantes afin de passer à table.

Je suis l’ancien chevalier comme une ombre, aussi discrète que pourrait l’être une souris. J’attends que l’on m’attribue une place pour m’asseoir, espérant qu’elle ne sera pas trop loin de lui d’ailleurs. Je m’efforce de ne pas paraître désagréable à qui que ce soit et de sourire dès que l’on me regarde.

Je garde toujours Desmond dans mon champ de vision, aussi. C’est drôle, il est le seule représentant de la gente masculine dans la maison. Il doit se sentir bien seul… ou sacrément bien entouré. Au choix…

L’ambiance semble agréable et animée ; enfin, je crois. Je suis toujours quelque peu ailleurs, à voguer entre deux mondes, prenant soin de rester à la juste distance d’entre les deux.

Alors que je me suis donc installée à côté de Desmond, j’essaie toujours de rester parmi la maisonnée même si mon esprit est fuyant. Mon acolyte qui a râlé quand je l’ai secoué pour le réveiller, lui, semble bien à l’aise comme un poisson dans l’eau et semble avoir presque toute l’attention des filles. Ce n’est plus mal, d’un côté. J’ai envie de me faire oublier, moi.

Je joue comme j’en ai pris l’habitude depuis de nombreux mois à promener mon couverts dans l’assiette. Éparpiller la nourriture, en grignoter les miettes donne toujours l’impression que je mange un peu et me permet d’éviter que l’on me force à manger.

Mais Desmond s’assure que mon assiette se vide - pour se remplir à nouveau - ainsi que mon godet. Bon, je dois bien avouer que je suis plus portée à boire qu’à manger – même si le vin et l’eau de vie me manquent – mais le plus important et que cette famille ne manque pas de nourriture. Tant mieux…

C’est alors qu’une voix me tire de ma torpeur. Ça fait bizarre de me faire appeler comme ça… en fin de compte, j’aurais dû choisir Rose. Combien de mois ? Je repose ma fourchette pour montrer mes doigts. Tous ceux de ma dextre plus trois de ma senestre, ça fait huit, voilà.

C’est pour bientôt… J’aurais bien aimé éviter de me faire stresser en me faisant rappeler l’échéance qui approche à grand pas. D’ailleurs, en fonction du temps que Desmond mettra à revenir et des aléas de la nature, je risque bien d’accoucher ici. Espérons pas…

Je vais pour prendre une bouchée lorsqu’un vrombissement attire mon attention. Mon geste s’interrompt de lui même à mi hauteur, ma bouche presque entrouverte encore. Mon regard lui, se fixe vers l’objet du bruit, obnubilé par l’insecte qui vole autour de la table.

Je ne le lâche plus du regard, occultant tout ce qui peut bien m’entourer. Quand elle s’approche trop près, j’ai tendance moi à me rapprocher de Desmond. Je ressens une terrible nausée subitement… une myriade de visions macabres ressurgissent brusquement. Et j’ai l’impression que ma respiration s’emballe.