Un repos bien mérité avec Rosen

Un mouvement du coin de l’œil attire mon attention et je tourne la tête pour remarquer Desmond qui vient s’asseoir à côté de moi, retirant ses bottes pour mettre les pieds dans l’eau.

Il ne dit rien, pas un mot, et je me demande bien comment il arrive encore à me supporter. Je le regarde, toujours silencieuse moi aussi. A-t-il pitié de moi ? Oui, sans doute.

J’ai tellement cette impression d’être devenue un fardeau. Il doit tellement en avoir marre… peut-être même regrette-t-il de m’avoir emmenée ici. C’est même probable.

Des fois, je me demande vraiment ce qu’il me trouve. Je me redresse un peu pour m’asseoir, puis je regarde en face de moi. Le silence, souvent, c’est bien.

C’est le mieux. Ça évite les malentendus, les disputes, les mots malheureux. Mais des fois, ça pèse. Des fois, les mots, ça réchauffe le cœur. Je regarde à nouveau le colosse, dans l'attente de n'importe quoi. Un mot, un geste, une action. N'importe quoi.

Étrangement, Desmond retire son haut pour me le mettre, craignant que je ne tombe malade. Il fait encore frais en cette saison, mais bon. Le voilà torse nu… et qui me propose de rentrer.

J’avais besoin de faire un tour, je ne supporte plus de rester inactive. Je vais devenir folle si je reste enfermée… Mais il me tend la main pour m’aider à me relever, alors je la saisie pour le suivre.

J’en ai sans doute assez fait comme ça. Mais je me sens tellement coincée dans un cercle vicieux… Alors que je marche à côté de lui, une mouche – ou une abeille – me frôle l’oreille et je fais un bond en me collant contre Desmond.

Maudits insectes… même s’il s’est éloigné, je ne lâche pas prise, restant agrippée au colosse. D'accord, je rentre, je me refais faire une tisane et je dors jusqu'à demain. Et là... je ferai ce qu'il me reste à faire.

Desmond me signale alors que je le suis retournée à l’intérieur qu’il va partir après demain. Sur le moment, je ressens à nouveau des angoisses. Je ne doute pas que les habitantes des lieux seront gentilles, mais je ne sais pas, je me sens encore plus perdue par cette annonce.

Allons bon, et maintenant ? J’aimerais bien qu’il reste avec moi.

« Et tu reviendras quand ? »

 Tiens, je parle… je me demande si je ne devrais pas rentrer. D’un autre côté, je réalise que je n’ai pas pris FrouFrou avec moi. Et je ne suis pas sûre que Desmond ait très envie de faire le détour pour me ramener jusqu’à Sombrebois.

Bwarf… je suis bien ici, au fond. Il faut juste que j’arrive à me changer les idées… et à m’occuper l’esprit. Ca tombe bien, il y a certainement plein de choses à faire dans la ferme.

Il faut juste que je me ménage. Puisque j’ignore de quoi sera fait le futur, autant profiter du moment pleinement. Et pour ça, il faudrait déjà que j’arrive à surpasser cette angoisse. Ensuite, ça ira mieux.

Je me demande juste comment faire… Alors que nous arrivons, les trois sœurs sont sur le pas de la porte en train de nous regarder revenir, et j'ai l'impression que leur regard est rivé sur Desmond.

En les voyant rougir, je comprends bien vite la raison : il est torse nu. C'est vrai qu"il a retiré son haut pour le mettre sur mes épaules...

Étrangement, il flotte comme un malaise vis-à-vis des filles. Le colosse prétend que j’ai froid. J’ai dit ça ? Je le regarde en fronçant les sourcils. L’une des sœurs prend un tend moqueur – ou jaloux ? Qui me paraît plutôt désobligeant.

Quand au ‘chevalier’, je ne prends pas la peine de rectifier quoi que ce soit ; c’est que j’ai perdu de ma bagou dernièrement, il va sans dire… Mais ce dernier paraît bien penaud tout à coup.

C’est l’une des deux autres sœurs – décidément, ça serait bien que quelqu’un me dise leurs noms un jour… qui intervient sèchement pour couper court à la scène.

Je ne sais pas trop que penser de tout ça, si ce n’est que je me sens encore bien moins aise que je ne pouvais l’être à la base.

Je suis de trop, c’est une évidence. Elles finissent par retourner à l’intérieur en nous laissant seuls, et Desmond m’informe qu’il revient d’ici un peu plus d’une semaine.

Ça fait long quand on doit passer tout ce temps avec des inconnues. Mais ça va aller… J’ai assez d’herbes pour dormir ce temps-là s’il le faut, même si je sais bien que ce ne serait pas la solution. Je regarde Desmond avec un léger sourire.

« Tout ce temps...  dis-je peinée, la gorge serrée. Bon… je rentrerai à ton retour, alors. Sauf si... »

Je cherche quelques secondes mes mots, perdue dans le vague.

« A moins… que je ne dérange… Sans quoi, il faudrait que j’aille ailleurs ou que je reparte avec toi. » 

Ce que ça me coûte de parler… Je crois que je commence vraiment à apprécier le silence. Je retourne ensuite à l’intérieur sans lui laisser l’occasion de répondre pour rejoindre la maisonnée en cherchant quelque chose à faire pour me rendre utile.

Mais je me sens plus comme un boulet à me tenir plantée là, observant, en attendant de trouver quelque chose pour rendre service. Je vais plutôt m’asseoir dans un coin et me faire oublier, je crois. L’ambiance sera meilleur si je reste à l’écart, c’est évident.

Quoi, ce grand nigaud m’obliger à faire des choses ? Ça serait la meilleure celle-là. Je regarde la jeune femme, perplexe, me demandant bien ce qu’elle peut imaginer.

S’il y a bien une femme sur terre sur qui Desmond ne s’amusera pas à déconner, c’est bien moi. Bon, oui, vous me direz, il a toujours tendance à essayer de profiter de la situation pour obtenir ce qu’il veut, mais jamais il ne me forcera à quoi que ce soit. Tout au mieux, il peut profiter de mes faiblesses passagères… J’ai un petit rire amusée accompagnée d’un geste désinvolte de la main.

Je ne sais pas ce qu’elle va s’imaginer, mais je trouve ça marrant. C’est que je l’ai bien dressé, le Desmond. Si elle savait toutes les misères que je lui ai fait endurer…

Bon, ça lui arrive d’avoir des phases de rébellions, comme avec le banni, mais je crois qu’il a vite compris que ce n’était pas dans son intérêt. Bref...

Si quelqu’un aurait eu à craindre quoi que ce soit, ce serait plutôt elle et ses deux sœurs. Mais peut-être que quelque part, le colosse a changé. C’est du moins la sensation que j’ai quand je me souviens du début où je l’ai connu.

Lorsqu’il m’avait accompagné à Mabrume quelques jours après son arrivée à Sombrebois, et qu’il avait brutalisé deux jeunes filles mordues pour qu’elles me remettent sur pieds après ma chute dans les rapides. Je me souviens lorsqu’il les avais attachées aussi.

Je me demande bien s’il a changé depuis. La fermière me demande de l’aider à mettre à table, ce que je fais donc en un éclair, portant les couverts sur mes avant-bras et dans mes mains. Oui, je ne le répéterai jamais assez : cette époque à la Bonne Fortune me manque…

J’aide comme je peux ensuite, cuisinant avec elle,  coupant les légumes nécessaires au repas, tournant le plat lorsqu’elle est occupée à autre tâche à côté et lavant les ustensiles une fois que nous avons finis de les utiliser. Ses deux sœurs arrivent ensuite après avoir finis leur labeur matinal.

Je m’éclipse donc un instant pour aller chercher Desmond à présent que le repas est presque près. Je tape à sa porte et le regarde sans rien dire.

Il se trouve que mon acolyte est en train de faire un peu d’exercice au moment où je viens le trouver. Il cesse donc son activité et se rafraîchit avant de s’approcher pour me demander si j’ai besoin de quelque chose.

J’esquisse un très léger non de la tête en fermant les yeux. Je le vois enfiler un vêtement et me souvient avoir laissé celui qu'il m'a prêté dans la cuisine. Il faudra qu'il pense à le récupérer, d’ailleurs.

Lorsqu’il me demande si c’est déjà l’heure de manger, je souris dans une succincte expiration. Quel goinfre celui-là alors… des fois, je me dis qu’il ne pense qu’à bouffer. Il vient alors m’essayer les mains, sans doute ai-je dû mal les nettoyer après avoir aidé en cuisine.

Et sans que je ne m’y attende, le voilà qui se penche pour m’embrasser. Des fois, je me demande vraiment où tout ça va mener. Je ne peux pas l’épouser, je ne le pourrais sans doute jamais. Et de toute façon, je n’ai vraiment pas l’envie de me remarier.

Si je survie à toute cette histoire, il faudra pourtant bien que j’y vienne tôt ou tard. D’ici quelques mois, à la fin de mon veuvage, j’aurais certainement des prétendants un peu téméraires ou audacieux qui tenteront leur chance. D’ailleurs, ça pourra même arriver pendant…

Je me demande comment réagira Desmond. Peut-être bien qu’il le vivra très mal. Ou bien qu’il passera à autre chose rapidement. Seul l’avenir nous le dira. Il me prend ensuite la main pour retourner dans la salle à manger. Niveau discrétion, j’imagine que l’on fait mieux.

Et si jamais les fermières se rendent compte de mon identité, ça promet au niveau des rumeurs… Et il y a des chances qu’elles s’en rendent compte. Espérons que non… Je lâche la main de Desmond une fois arrivée dans la pièce et je m’installe.

L’ambiance est toujours assez animée, et ça me rappelle le château par moment. Et penser à des moments joyeux au château me rappelle Hector. Bien vite, je finis par me refermer sur moi même pour me détacher des discussions.

Je soupire discrètement. Hector… Peut-il me voir de là où il est ?

Je fais de mon mieux pour manger un minimum, même si je retombe un peu dans mon état nauséeux de ces dernières lunes. Les angoisses ne m’aident vraiment pas à aller mieux faut-il dire. Je ne sais pas ce que je dois faire, je ne sais pas si rentrer si vite est une bonne idée.

Je ne sais même pas si être partie en est une… J’arrive à un stade où mon esprit est embrumé et où je ne saurais dire qui serait mieux ou pas. Me fier à Desmond n’est certainement pas la meilleure chose à faire ni le meilleur gage de fiabilité, mais je c’est encore le mieux je crois.

Je sais qu’il aimerait que je reste plus longtemps, que j’accouche ici. Probablement même que je reste m’installer définitivement. L’idée est tentante, une fois mes marques prises, je suis sûre que j’arriverais à me sentir bien dans la ferme. Une vie simple, sans ennuis.

Juste un peu de misère et le danger des fangeux… mais c’est certainement plus reposant que les responsabilités du bourg. Mais je ne veux pas abandonner. Je veux même assumer ce qu’il s’est passé. Tout ce qu’il s’est passé. Je n’aurais pas dû partir je crois. Mais Desmond a insisté...

J’espère que ça n’aura pas trop de répercussions… je passe mon temps à faire n’importe quoi. Je crois que je ne suis plus à ça près… Mais tout de même. C’est la voix du colosse expliquant qu’il va partir puis revenir me chercher qui m’interpelle, puis la fermière dont je ne connais toujours pas le nom, celle qui est la plus présente et qui s’affirme le plus, se questionne sur moi.

Ce qu’il y a à savoir... ?

Je regarde Desmond perplexe, puis je la regarde tout autant. Mais il répond que non. Mon regard tombe, se pose sur une mouche qui vient de se pose sur le morceau de pain à côté de mon assiette. M’ignorant royalement, la vermine avance un peu, se lave les pattes arrière comme si de rien était avant de se promener sur la nourriture.

Je reste obnubilée à la regarder, occultant tout ce qui se passe à côté de moi.Ma respiration devient lourde et pesante, mais ça va aller. Je ne fuirai pas. Je ne cillerai pas. Je peux y faire face.

Je peux faire face à cet insecte. Je peux même faire face à la myriade d’insectes qui s’immiscent dans mon esprit. Suis-je l’objet d’un sort quelconque pour ne plus réussir à m’extirper de ces visions ?

Je me le demande… Il faudrait que j’essaie d’en parler à Marie-Ange. Elle s’y connaît un peu cette sorceresse… c’est évident. Elle saura me répondre, sans doute.

Saleté d’insecte… Le voilà qui recommence à bouger pour arpenter la nourriture. J’ai toujours eu horreur des mouches. Les mouches, ça va dans la merde, dans les matières en décomposition, et….

je n’ai pas le temps de terminer le fil de ma pensée que quelque chose touche ma main. Je regarde la fermière quelque peu ahurie. Si quelque chose ne va pas ?

Mais la diversion est de courte durée car l’insecte de tous les enfers prend son envol pour venir se cogner… en plein dans mon visage. Chiabrena !

« Elle m’attaque ! », je m’exclame dans un cri paniqué.

J’ai un tel recul que je crois que si Desmond ne m’avait pas rattrapée, j’aurais fini à la renverse par terre. Je me relève d’un coup pour me précipiter dans la chambre de Desmond et m’y enfermer en poussant le lit contre la porte.

Oui, c’est complètement stupide. Ridicule, même. Je ris. C’est drôle, oui. Tellement drôle. Moins lorsque j’aperçois soudain une autre mouche voler.