Le dîner de toutes les possibilités (PV)

La bourgeoise, le bras enroulé autour de celui de Pépin, compressait sa poitrine contre le flanc de son guide, offrant un avant-goût de ses courbes à travers le tissu. Et il y avait de quoi goûter effectivement.

On m’a toujours appris à faire les choses importantes dans l’ordre. Commençons donc par le rez-de-chaussée, voulez-vous ? Peut-être possédez-vous un petit jardin ?

Patience est mère de toutes vertues. Elle souhaitait faire la visite complète. Soit ! Le comte hocha la tête avant de tendre sa main libre devant eux.

Tout à fait, c'est par ici.

Ils longèrent le couloir pour se rendre vers l'arrière du manoir. Ils passèrent devant les cuisines, là où le garde du corps de la Priost se restaurait en compagnie de quelques servantes et du maître-coq de la maisonnée et ses commis. Ils passèrent une embrasure sans porte, accédant à la terrasse qui donnait sur le petit jardin dissimulé derrière les murs qui entouraient la propriété. Elle faisait la conversation alors qu'ils avançaient dans la fraîcheur nocturne qui regnait entre les buissons proprement taillés.

Il est si étrange que votre fils et mon époux actuel se prénomment tous deux Charles. Je suppose qu’il vaudra mieux éviter un tel écueil à l’avenir. Que pensez-vous d’un prénom qui rappelle vos propres initiales ?

Il gloussa légèrement avant de répondre avec un ton rempli d'évidence.

À croire que porter un prénom de Roi vous rend stupide.

Une petite dépendance au toit bas longeait le jardin. Pépin le désigna du plat de la main en poursuivant.

Voilà où loge le personnel de maison. Femmes de chambre, valets, cuisiniers, et éventuelle nourrice. C'est là aussi que loge Bakshish que vous avez rencontré il y a quelques jours.

Il se tourna vers la verdure qu'on devinait dans les ténèbres violacés avant de surenchérir.

Malheureusement, il manque la lumière du jour pour profiter de cet endroit. Les arbres commencent à bourgeonner, cela sera ravissant d'ici quelques semaines.

Il resta un instant immobile, observant les silhouettes végétales dans le noir, réfléchissant à la remarque précédente de la Priost. Il n'avait pas réagi immédiatement, préférant peser les mots qu'il emploierait. Il reprit finalement.

Et concernant les prénoms, il me semble un peu tôt pour penser à ce genre de détail. Je ne suis pas un homme superstitieux mais entre la conception, la grossesse, l'accouchement et la survie de l'enfant, il y a bien le temps d'y penser.

Une petite bourrasque fraîche tourbillonna et vint faire frissonner le duo. Le Dauphin lança un regard à sa compagne et à sa tenue aussi affriolante que légère avant d'affirmer.

Rentrons, Madame. Je n'ai pas envie que vous attrapiez la mort.

La silhouette massive de Jérôme se découpait dans le rai de lumière qui traversait la terrasse. Le Comte en profita pour l'interpeler.

Jérôme, préparez-nous un peu de ce thé que fait pousser Bakshish. Cela nous réchauffera. Où préférez-vous le faire servir Madame ?

L'air de rien, il lui offrait l'opportunité de donner sa première directive en temps que maîtresse de maison. Un opportunité qu'il ne doutait pas qu'elle allait saisir. Restait à poursuivre la visite avec en point de mire, la chambre.

Aussi étonnant que ce soit, le Comte ne se fit pas prier pour suivre la demande de son invitée. Malgré ses manières peu élégantes à table, il montrait ainsi son éducation en matière de galanterie. Alors qu’ils passèrent devant les cuisines, le regard de la bourgeoise rencontra brièvement celui de Gontrand, temps suffisant pour qu’il s’aperçoive que les choses allaient pour le mieux dans ses plans.

Malheureusement le manque de lumière ne permettait pas vraiment de voir grand-chose de l'extérieur. Il était bien dommage qu’elle ne puisse étudier la flore des lieux, le détail des plantation tout autant que le savoir-faire du jardinier étaient indicatifs sur la santé du domaine. Alors qu’ils longeaient la dépendance des domestiques, cela lui plaisait beaucoup de savoir que le Comte pouvait se permettre un tel confort.

cela sera ravissant d'ici quelques semaines.

L’invitation était bien peu dissimulée, aussi acquiesça t-elle sans attendre, acceptant tacitement cette future rencontre. Pourtant, bien vite elle déchanta lorsqu’il la recadra sur sa précédente discussion.

Et concernant les prénoms, il me semble un peu tôt pour penser à ce genre de détail. Je ne suis pas un homme superstitieux mais entre la conception, la grossesse, l'accouchement et la survie de l'enfant, il y a bien le temps d'y penser.

Un rappel qu’elle s’était emballé bien plus que leur statut actuel ne pouvait le permettre. Ils ne se connaissaient que d’un seul soir et tous ses plans d’avenir venaient de changer. D’un autre côté c’est une occasion dont elle avait tellement rêvé sans oser y croire que sa prudence habituelle avait disparue. Et l’offre était trop belle, trop juteuse et trop rare pour la laisser passer. Deux choses payaient réellement de manière générale : le travail et le risque. Habituellement, ce dernier était toujours mesuré. Or, il était impossible d’être en demi-teinte dans cette affaire.

Plus les minutes passaient, plus Théodora voyait ce qui serait siens, plus elle avait tendance à penser que le jeu en valait la chandelle. A condition de ne pas effaroucher le principal instigateur de toute ceci avec de l’impatience. D’un autre côté, il n’avait pas tort, pour l’instant tout restait à prouver sur ses capacités conjugales et maternelles. Aussi ne se fit-elle pas prier lorsqu’il la fit rentrer, sans compter que l’air était réellement frisquet.

Entendre parler d’une infusion à cette heure était tout à fait étrange. Les hommes avaient souvent une préférence pour l’alcool à ce moment de la journée. Ledit Bakshish avait prévenu la négoçiante que son Maître était original. Visiblement il n’était parfois pas aussi prévisible que ses pairs. Encore moins quand il lui laissa le choix de l’endroit où serait servit cette dernière boisson. Elle ne connaissait pas le demeure, pour autant il était hors de question de se démonter.

« Le froid s’est emparés si vite de nous. Veuillez nous amener ce délicieux breuvage devant la cheminée du Comte, nous pourrons y continuer nos échanges sur ces futurs projets en nous réchauffant. »

Un sourire aimable ponctua ses mots, en même temps que l’innocence se peignit sur ses traits, comme si elle comptait réellement passer le reste de la soirée à papoter au coin du feu. Ce ne fut qu’au moment où le majordome se retourna, que la commerçante lança un regard bien moins sage à son hôte. La chaleur ne se trouvait pas dans les flammes de la cheminée qui les attendait, mais bien dans les iris émeraudes de Théodora. Malgré tout, elle continua à garder un ton des plus distingués.

« Peut-être pourrions-nous nous avancer à l’étage le temps que Jérôme fasse le nécessaire ? Et peut-être nous asseoir, j’ai sans doute un peu abusé de ce formidable vin que vous m’avez fait goûté. »

Oh bien sûr le Comte pourrait croire que la demande était innocente, or Théodora et lui étaient fait du même bois. Nul doute qu’il connaissait la réelle raison de sa demande. Si jamais cela n’avait pas été suffisamment pour lui, sa manière d’accentuer son déhanchement alors qu’ils montaient les marches pouvait être à elle seule suffisante pour le mener sur le bon chemin.

Derrière eux, les glapissements de la petite chose ridicule qui lui servait d’animal de compagnie se firent entendre. Ce chien, malgré tout l’amour que lui portait le Comte, ne pouvait sans aucun doute par rivaliser avec les effluves gourmandes du savon de la bourgeoise, ni avec les pierres de sa parure qui lui montraient directement l’accès aux fruit défendu.

Sans se démonter, la bourgeoise joua la maîtresse de maison.

Le froid s’est emparés si vite de nous. Veuillez nous amener ce délicieux breuvage devant la cheminée du Comte, nous pourrons y continuer nos échanges sur ces futurs projets en nous réchauffant.

Se réchauffer hein ? Nul doute qu'il y avait un double sens qui puait la luxure dans cette phrase. Elle avait passé l'âge de ne pas faire exprès ce genre de sous-entendu, d'autant qu'elle s'y était déjà prêté allégrement dès le début de la soirée.

« Peut-être pourrions-nous nous avancer à l’étage le temps que Jérôme fasse le nécessaire ? Et peut-être nous asseoir, j’ai sans doute un peu abusé de ce formidable vin que vous m’avez fait goûté. »

Et voilà qui confirmait la première impression du Comte. L'étiquette voulait qu'elle n'évoqua pas directement les vélléités de visiter le lit du propriétaire des lieux, mais seul un jouvenceau ignorant n'aurait pas compris l'invitation. Mon petit Pépin, heureusement que tu avais traîné dans le bain en fin d'après-midi, il aurait été mal venu de ne pas s'être astiqué l'entrejambe avant de le présenter à une dame.

Le couple montait les marches côte à côte, le regard du Dauphin d'Or fut attiré par la poitrine de sa compagne qui rebondissait à chaque pas de façon quasi-hypnotique. Fascinant comme ces boules de chair pouvaient avoir un pouvoir d'attraction aussi puissant même chez le plus intègre des hommes. Et Pépin n'était pas l'homme le plus intègre, loin de là. Dans leur dos, Pépette sautillait de marche en marche, remuant la queue avec entrain en jappant de temps à autre. Elle aussi semblait excité par ce qui se profilait à l'horizon.

Ils arrivèrent sur le palier qui donnait sur un large couloir qui paraissait traversé tout le manoir. Pépin désigna la gauche avant de déclarer.

Par ici, la chambre de Charles et celle de Lothaire, bien que ce dernier ne l'utilise plus depuis son entrée au séminaire, ainsi que les appartements de leur valet au besoin.

Il pivota lentement pour désigner les portes les plus proches en emmenant son invitée vers le fond du couloir.

Ici, les chambres des invités, amis avec des petites chambres attenantes pour le personnel dédié.

Atteignant la dernière porte, il poussa la porte de sa main libre. Pépette se précipita à l'intérieur en sautillant joyeusement, la langue pendante.

Et enfin, mes appartements.

Un grand lit a baldaquins trônait au centre de la pièce. De part et d'autre, des tables de chevets estampillées du blason familial étaient disposés symétriquement. Une cruche d'eau et un gobelet se trouvaient sur celle de droite, tandis qu'un épais ouvrage était posé sur celle de gauche. Une bibliothèque était adossé au mur de droite, à côté d'une large fauteuil à accoudoirs moelleux qui profitait de la lumière d'un chandelier mural. Sur la gauche, une large commode sur laquelle bondit Pépette en prenant appui sur une chaise avant de s'asseoir sur un épais coussin bleu avec des ponpons pendant de chaque coin. Une armoire aux larges portes achevait la décoration de l'endroit qui était bien plus pratique qu'ostentatoire sans être dénué de goût. Une décoration simple pour un homme que beaucoup jugé excentrique. Il prit la main de la bourgeoise qui s'accrochait à son coude et la fit avancer lentement pour fermer la porte.

Je vous en prie, installez-vous où vous le souhaitez.

Le lit, le fauteuil, le sol, peu importait pour dire vrai. "L'important n'était pas la chute, mais l'atterissage" comme disait le poète. Pensée saugrenue avant des actes moins poétiques à venir.

La visite de l’étage fut brève et à la fois bien suffisante. La bourgeoise devrait partager cet espace avec ses futurs beaux-fils, en échange, il semblait y avoir assez de place pour ses enfants. Le Comte n’avait pas précisé combien il y en avait exactement, pour autant, ce serait sans aucun doute suffisant. Surtout si ce Charles disparaissait du tableau.

La fin de leurs pérégrinations se présenta sous la forme d’une énième porte, la dernière qui s’ouvrirait avant que les deux partenaires ne scellent leur engagement. Bien entendu, le temps ne pressait pas. Ils étaient désormais là où ils devaient se trouver et Jérôme devait toujours leur apporter cette mystérieuse boisson digestive. Bien qu’elle ne soit pas particulièrement prude et que certaines rumeurs se devaient de circuler, celle où elle se trouvait en plein effeuillage devant le Comte se devait de ne pas être ébruitée.

S’avançant dans la chambre, la commerçante s’imprégna de l’endroit. C’était bien moins ostentatoire que le rez-de-chaussée. Soit le Dauphin n’avait pas prévu d’emmener son invitée dans son repaire, soit il avait cherché à l’impressionner dans un premier temps seulement. Théodora n’avait pas envie de choisir entre les deux solutions, car elle était certaine que la vérité ne lui plairait pas.
Dans tous les cas, les choses se jouaient maintenant. Laissant le temps à son hôte de se dépêtrer avec la porte, elle se dirigea vers le coin qu’elle trouvait plus accueillant. Encore une fois ses yeux parcoururent la bibliothèque du Dauphin. Sa main glissa négligemment sur le dossier du fauteuil alors qu’elle détaillait les reliures face à elle. Les falaises de Santenoque, Les champs pourpres de Boismorand, le maquis de tous les danger, des noms qui transportaient dans des terres méridionales désormais abandonnées à la fange.

Le bruit dans l’entrée s’était arrêté, stoppant la lecture de la bourgeoise. Sa main s’affermit sur le fauteuil, sa seconde la rejoignant.

« J’ai donc donné une mauvaise indication à Jérôme. Pour autant il n’avait pas l’air surprit. »

La lueur du chandelier oscillait sur le profil de Théodora. Les ombres accentuaient les émeraudes gourmandes et déterminées, alors que la lumière mettait en valeur la chair emprisonnée dans le corset de la Dame. L’atmosphère des lieux, tout autant que sa fonction, apportait une certaine tension dans l’air. La promesse de ce qui suivrait indubitablement n’arrangeait rien.

« Le thé de Bakshish n’est-il qu’un code pour lui quémander un peu de tranquillité à l’étage ? »

Si c’était le cas, alors il serait temps pour eux d’allumer les flammes de la passion. Qu'y avait-il chez le Comte en dehors de son titre ? Cette intelligence, qui brillait dans ses noisettes, n’était pas à la portée de tous. Des débats enflammés les attendaient pour parsemer le morne de l’hiver. Son charme était tout à fait honorable, sa présence emplissait une pièce sans que son physique ne soit le seul coupable dans son manque de discrétion. Oui, le Dauphin dégageait quelque chose d’indescriptible.
Ou peut-être était-ce cet instant ? Que reflétaient les yeux de Santenoque ? Etait-ce seulement son désir, ou celui de Théodora venait-il se mêler au sien ?

La canine de la Dame vint pincer sa lèvre inférieure sans que ce ne soit réellement intentionnel. Sa respiration se coupa un instant, avant de reprendre de plus belle quand son vis-à-vis s’avança. Les palpitations de son cœur augmentèrent, comme si lui aussi était au courant que les prochains instants ne seraient pas de tout repos.

Elle pénétra dans la pièce en inspectant la décoration assez sommaire comparé au rez-de-chaussée.

J’ai donc donné une mauvaise indication à Jérôme. Pour autant il n’avait pas l’air surpris.

Un petit gloussement aigu vint saluer la remarque de la bourgeoise. Pépin pensa à ce grand escogriffe en train de chercher le duo avec son attitude guindée et les sourcils froncés.

Le thé de Bakshish n’est-il qu’un code pour lui quémander un peu de tranquillité à l’étage ?

Il releva les sourcils, presque surpris par la question. Il répondit avec bonhommie, au premier degré.

Ah non. C'est une vraie plante que mon intendant fait pousser sous serre. C'est assez fascinant, vous faites sécher les feuilles et les effriter avant de les mettre dans une espèce de petite boule trouée que vous plongez dans l'eau bouillante. Elles colorent l'eau et la parfument, c'est délicieux ! Je trouve que c'est très décontractant. Et Jérôme aura probablement compris que nous gagnons l'étage en entendant craquer l'escalier. Un bel ouvrage mais peu discret. Je suis sûr qu'il patientera jusqu'à nous entendre desc...

Elle se mordillait la lèvre en lançant un regard. Vous savez, ce genre de regard qui signifie que faire tomber le haut de chausse est la seule préoccupation qui occupait son esprit. Pépin s'interromput lui-même, admirant les courbe voluptueuses de la Priost qui se découpaient dans le halo mordoré dans lequel baigné le fauteuil qu'elle caressait du bout des ongles. Il toussota légèrement, cherchant à retrouver une contenance qui l'avait abandonné pendant un instant et s'avança doucement vers la brune sculpturale aux yeux verts. Sa voix parut légèrement plus grave et suave alors qu'il entrait dans un jeu bien moins innocent que les précédents.

À moins, Madame ... À moins que vous aillez une idée de comment occuper cet instant de "tranquillité" ?

Il se risqua à s'approcher un peu plus, tendant l'index vers une mèche rebelle qui se rabattait sur le côté du visage de la Priost. Un sourire accroché aux lèvres, il chassa les cheveux jusque derrière l'oreille de sa compagne. Jamais jusqu'ici, il n'avait eu le loisir de toucher la peau de la bourgeoise. Un premier contact qui fit battre son coeur un peu plus vite.

Quelque part la bourgeoise fut quelque peu déçue que cette éventuelle manigance ne soit pas. Même si les employés étaient suffisamment intelligents pour ne pas venir se mêler des affaires personnelles du Maître. Celui-ci s’approchait, se délectant de ce qui était offert à ses yeux. Depuis le début de la soirée il avait su que ceci serait à sa disposition. Et pourtant, sa réaction était on ne peut plus honnête.

Le Comte ne demanda pas le droit de s’approcher, il n’était pas un jouvenceau. Non, il vint même au plus proche, prédateur et cajoleur à la fois, pour initier le premier contact. Ses doigts, effleurèrent le lobe de la bourgeoise, indiquant qu’il n’était désormais plus l’heure de reculer.

« Une occupation Messire ? Vous semblez tout à fait avoir une idée vous-même. »

Son visage vint se nicher dans la main du Dauphin. Ses paupières s’abaissèrent un instant pour profiter de la chaleur offerte, puis quant elles se relevèrent, elles dévoilèrent les iris vertes en coin, qui fixaient le Comte. Comme si la fièvre s’était emparée d’eux, les yeux de Théodora brillaient. A moins qu’il ne s’agisse encore d’un effet du candélabre. Le résultat était le même, révélant que quelques idées continuaient de fourmiller dans cette tête bien pleine.

« Mais avant, pourriez-vous m’aider à desserrer les lacets de ce corset ? J’ai affreusement du mal à respirer depuis quelques instants. »

Non seulement elle ne pouvait faire seule, mais c’était surtout d’une nouvelle invitation pour le Comte à continuer son exploration. Au cas où l’invitation ne soit pas assez claire, ses mains quittèrent l’assise du fauteuil. L’une resta près de son corps, les doigts de l’autre revanche vinrent se poser avec légèreté sur l’avant-bras du Dauphin. Comme un rappel des yeux de Théodora, les pierres vertes brodées sur ses gants brillèrent avec la même intensité sous la lueur des petites flammes.
Très vite pourtant, l’index et le majeur de la bourgeoise se firent plus lourd, rappelant si besoin était qu’elle n’était plus son invitée sagement assise à table. Il n’avait plus besoin de seulement l’observer. Le toucher s’était initié par le Comte et il pouvait à présent agir à sa guise, leur connexion effaçait tout doute qui pouvait demeurer sur le consentement de son invitée.

Afin de ne pas heurter la sensibilité des plus jeunes lecteurs, jettons un voile pudique sur ce qui se passa ensuite.

Pour les autres, bande de pervers éhontés, c'est par ici : Le second dessert

Les derniers moment qu’ils avaient passé dans l’intimité de la chambre de Pépin avaient été baigné d’une ambiance complice et agréable. Si Théodora avait materné Charles et dominé Gontrand, comme la plupart des autres hommes qu’elle avait rencontré, c’était une première pour elle de trouver un quasi-égal. La négociante n’aurait jamais pensé rencontrer quelqu’un avec qui il serait possible d’échanger sur des sujets importants à n’importe quel moment, quelqu’un qui partagerait au quotidien sa vision des affaires, quelqu’un qui savait apprécier ses talents, alors même qu’elle était une femme.

Malgré tout, le Comte ne connaissait pas tous ses secrets. Maintenant qu’ils descendaient les escalier pour retourner dans la partie plus publique de la demeure, la bourgeoise eut un doute. Ce qu’elle s’apprêtait à faire n’était pas une mince affaire, parviendrait-elle à garder sa liberté ?
Le risque était énorme pour elle, pour ses enfants. Sa seule sécurité, et elle se félicitait d'y avoir songé, avait été d’avoir joué la prudence en évitant de sortir son actuel époux du tableau aussi vite que ne l’aurait aimé le Dauphin. Maintenant, ne lui resterait plus qu’à établir ses quelques conditions, petit à petit, pour se sentir tout à fait à l’aise.

En attendant, la soirée n’était pas terminée. Il n’y avait aucune place pour ses questions et errements en cet instant. Surtout que son ami avait dû trouver étrange de la trouver aussi silencieuse depuis qu’ils parcouraient le couloir. Il fallait pourtant comprendre que l’expérience du jour était tout à fait déroutante, du pas de la porte au pas de la chambre.

Avant que les oreilles d’un domestique ne soit à portée, ses lèvres vinrent donc rassurer le Comte. Il n’avait pas perdu la main.

« Vous avez serré à la bonne mesure. Je gage que vous aurez d’autres occasions d’ôter ce que je porte. »

La bourgeoise reprit sa figure publique après ces quelques mots, laissant derrière elle la facétie pour laisser place à Dame Priost, l’une des plus honorable femme de commerçant de Bourg-Levant. Ses doigts se firent plus léger sur le bras de son amis et ses courbes se firent moins fusionnelles avec celles de son guide. On ne pouvait penser qu'à un gentilhomme faisant une promenade avec son invitée.

Heureusement pour eux car Jérôme les attendait avec le plateau de thé. Malgré l’heure tardive, il aurait été de mauvais goût de décliner une dernière boisson préparée à son intention.

« Peut-être pourrions nous retourner dans le salon où vous m’avez reçue ? Nous avons quelques menus détails à peaufiner pour lancer notre affaire sur les quais. »

Assurée pas le choix que lui avait laissé le Comte plus tôt, Théodora n’hésita pas à suggérer leur destination. Sans l’ordonner, elle prit l’initiative. Après tout, elle portait peut-être déjà la graine d’un futur Santenoque en elle. La vérité se saurait d’ici une paire de semaines.

La discussion privée avait été menée et bien menée. Les joues rosies du Dauphin et de sa compagne étaient les derniers témoins de l'intensité des débats qui avaient eu lieu derrière la porte close. Les figures intimes de Pépin et Théodora devaient se dissimuler désormais derrière Dame Priost et le Comte de Santenoque. Dans leur sillage, Pépette trottinait gaiement en remuant la queue. Il sentit l'étreinte de la brune aux yeux verts se faire plus douce, leurs corps s'éloignèrent à une distance respectable aux yeux des bonnes moeurs à mesure qu'ils descendaient l'escalier qui grinçaient sous leurs pas. Elle demeura quelques instants silencieuses, se concentrant probablement pour entrer de nouveau dans le personnage qu'elle avait joué pendant la première partie de soirée. Elle glissa àmi-voix, profitant d'être encore hors de portée d'oreille curieuse.

Vous avez serré à la bonne mesure. Je gage que vous aurez d’autres occasions d’ôter ce que je porte.

Usant du même ton de confidence, il lui répondit sans ciller, même si son regard trahissait de la friponerie.

J'y compte bien. Plus il y aura d'occasions comme celle-ci, plus nous nous connaîtrons et plus mémorables elle seront.

Et pourtant, cette première avait été un succès, il devait bien le reconnaître. Pépin ne pouvait qu'être hâtif de découvrir ce que cela donnerait lorsqu'ils sauraient tous deux anticipés les attentes de l'autre. Jérôme apparut, un plateau dans les mains sur lequel une théière arrondie et deux grosses tasses avaient été disposés. Elle prit les devants.

Peut-être pourrions nous retourner dans le salon où vous m’avez reçue ? Nous avons quelques menus détails à peaufiner pour lancer notre affaire sur les quais.

Un petit gloussement plus tard, Pépin se tourna vers son majordome en levant les sourcils.

Eh bien, vous avez entendue notre invitée, mon brave. Quels hôtes serions-nous pour refuser cette proposition ?

Ils rejoignirent donc la pièce qui avait marqué le début de cette charmante soirée. Une façon de boucler la boucle en quelque sorte. Le Comte accompagna Theodora jusqu'à son fauteuil avant de prendre place à son tour. Jérôme servit le breuvage dans les tasses avant de les déposer sur les guéridons qui jouxtaient les fauteuils. Il échangea un regard avec son Maître, lequel fit un petit signe de tête avant que l'homme massif et raide comme un piquet ne sortit sans un mot. Pépin se saisit de la tasse fumante avant de déclarer.

Quels sont ses peaufinements que vous voudriez évoquer, ma chère ?

Se laissant guider par la bonne humeur du Comte, Théodora se retrouva dans ce petit salon qui l’avait accueillie à son arrivée. Les lieux lui paraissaient encore plus chaleureux et apaisant qu’à sa première visite. Une fois confortablement installée, la bourgeoise observa le travail du majordome, précis pour un homme de sa carrure. Même sa disparition fut plutôt discrète, enjointe par la tête ronde du Dauphin. Le teint de ce dernier, remarqua t-elle, avait abandonné les couleurs écarlates que leur entrevue particulière avait amenée. Son propre visage devait lui aussi être revenu à la normale, malgré le maquillage qui avait dû s’abîmer. Il lui faudrait régler ceci avant de sortir de la demeure Santenoque.

Sans attendre plus longtemps, elle se saisit de la tasse et souffla sur le liquide fumant. Les reflets dorés sur le lac ambré dansaient de manière hypnotique. Pas suffisamment cependant pour que la bourgeoise ne soit surprise de la prise de parole de son hôte.

« Nous avons laissé nos discussions sur la première affaire au point mort. J’avais évoqué une soirée mondaine pour promouvoir nos services et nous n’avons finalement validé aucun détail. Quand souhaitez-vous lancer officiellement les livraisons et où dois-je indiquer à mes employés de se rendre pour recevoir les commandes ? »

Ce n’était pas parce qu’ils avaient passé un moment des plus exquis que le reste devait être oublié, encore moins quand c’était un gage de plus de sa valeur. Un personnage tel que le Dauphin, doté d’un sens des affaires redoutable et d’une certaine intelligence, ne se laisserait pas berner par de la médiocrité. De toute façon, la négociante s’était élevée grâce à son sens du détail, il n’était pas question que ce projet échappe à la règle.

Pour autant, il n’était pas certain que le Comte veuille s’étendre sur leur besogne après avoir apaisé les démangeaisons de son second cerveaux. Ce genre d’activité là avait tendance à abaisser le niveau d’attention des mâles. Théodora en avait parfois profité, elle ne se mentirait pas à elle-même. Le drôle d’oiseau qui se tenait assis face à elle, quelle serait sa réaction ? Elle le saurait bien assez vite, elle ne pouvait pourtant pas s’empêcher d’édulcorer ses demandes.

« Maintenant que vous me connaissez mieux, vous aurez sans doute remarqué que je prends très au sérieux toute tâche dans laquelle je m’engage. »

Un brin de leur complicité vint poindre dans ses émeraudes, sans doute y verrait-il son engagement tout aussi sérieux dans leur affaire privée à venir. Quoi qu'il en soit, Théodora ne baissa pas son regard alors qu'elle trempa les lèvres dans cet étrange, mais non moins délicieuse, boisson.

À peine Jérôme disparu, Theodora se saisit de sa tasse et répondit aux interrogations de Pépin avec un le même aplomb dont elle avait fait preuve en chaque instant de la soirée, même les plus canailles.

Nous avons laissé nos discussions sur la première affaire au point mort. J’avais évoqué une soirée mondaine pour promouvoir nos services et nous n’avons finalement validé aucun détail. Quand souhaitez-vous lancer officiellement les livraisons et où dois-je indiquer à mes employés de se rendre pour recevoir les commandes ?

Les yuex du Dauphin s'étréçirent légèrement. Il connaissait assez les femmes pour que si ces détails reviennaient sur le tapis, c'était dû à deux possibilités. Soit, il avait tant retourner les émotions de sa compagne qu'elle en avait perdu le fil des évènements, soit elle n'avait pas obtenu ce qu'elle souhaitait et revenait à la charge en espérant mettre les conditions qu'elle avait choisi. Toutes autres possibilités étaient bien entendus exclus de l'esprit du Comte. Elle ajouta alors avec un regard pleine de la complicité qu'avait fait naître leur corps-à-corps mémorable.

Maintenant que vous me connaissez mieux, vous aurez sans doute remarqué que je prends très au sérieux toute tâche dans laquelle je m’engage.

Un sourcil s'arqua sur le front de Pépin, au même titre que ses lèvres qui dessinèrent un large sourire. Il concéda de bonne grâce.

Je suis prêt à témoigner devant un Juge, Madame. Nous sommes fait du même métal. De celui qui ne sert qu'au meilleur alliage.

Il gloussa doucement, ravi de ce petit trait d'esprit partagé et qui ravivait des souvenirs aussi réçents que brûlants. Il poursuivit.

Il me semblait pourtant que nous avions convenus que cette "soirée" serait l'occasion d'annoncer le mariage. Il faudra donc avoir passé une période de deuil convenable. Et seule vous savez quand aura lieu le début de votre veuvage !

Il souriait, entre deux gorgées de thé. La boisson chaude et douce-amère libéra des arômes fruités avant de couler au fond de sa gorge. Il reprit.

Je pense que nous pouvons débuter notre collaboration commerciale d'ici quelques jours. Après tout, nous sommes réunis officiellement pour mettre en place tout ceci dans les plus brefs délais. Cela permettrait d'effectuer des trajets différents afin de s'assurer du meilleur chemin à prendre et servirait d'un formidable prétexte justifiant une future union entre des partenaires devenus amis et même au-delà une fois que les Trois auront frappés de malheur la pauvre épouse et mère que vous êtes. De l'appréciation naîtrait l'amitié, de l'amitié, l'amour ... Ce genre de fable qui feront rêver les pucelles et qui offriront des arguments aux crédules qui tempèreront les ragots des plus suspicieux. Et quand à savoir où se rendre, je suis certain que vos gens sauront reconnaître les bâtiments frappés de mon blason.

Il joignit les mains en coupe sur son ventre, laissant la tasse fumante reposer quelques instants.

Je vous retourne donc la question. Quand souhaitez-vous que nous donnions cette petite fête pour ouvrir les livraisons à quiconque souhaitera se l'offrir ? Trois semaines à un mois après les obsèques me parait le mieux, mais comme vous êtes la première concernée, je suis certain que vous avez déjà une idée.

Même si le « convenu » lâché par le Dauphin ne plaisait pas particulièrement à Théodora de par sa nature unilatérale, la suite lui permit de se conforter dans ses intensions. Elle pouvait concéder au Dauphin cette victoire puisqu’il était d’accord pour son plan concernant la déchéance de Charles, et qu’elle obtenait sa réponse claire sur le début de leur collaboration.

« Bien. »

Un signe de tête vint conclure cette partie de leur échange. Après tout, Santenoque n’avait pas l’air d’aimer déblatérer des heures sur le même sujet, surtout lorsque son égo mâle lui dictait que c’était une chose réglée. Dame Priost se nota tout de même de s’occuper de près de cette installation. Ne manquerait plus qu’un jeune incapable aiguille mal ses employés pour rater ce départ. Ce n’était absolument pas envisageable. Peut-être laisserait-elle Oscar s’en charger, son fils prenait beaucoup d’initiatives en ce moment, il était temps qu’il prouve qu’il en était capable pour les affaires familiales aussi.

A l’image de son hôte, la bourgeoise posa sa tasse et se laissa interroger. Chacun son tour, c’était de bonne guerre. Un peu moins d’un mois pour un deuil ? Cela lui semblait envisageable si les choses étaient bien amenées.

« Selon mes prévisions, Charles devrait succomber à sa maladie d’ici mi ou fin-Mai. Cela nous laisse déjà ce laps de temps pour resserrer nos liens. Et j’ai quelques affaire à régler tant que je peux encore agir sous son nom. Même si ma position est solide, il est toujours plus facile de le faire sous le nom de Madame Priost que de la veuve Priost. Si ces quelques affaires aboutissent comme je le souhaite, nous devrions pouvoir encore renforcer notre empire commercial de manière tout à fait appréciable. »

Que ce soit les Martel, les Priost, ou même le Dauphin, tous y trouveraient un avantage certain. Mais avant de vendre la peau de l’ours, il fallait être certain de pouvoir le tuer. Une chose de plus sur laquelle elle devait s’atteler rapidement. Avant cette soirée, elle se serait laissé une demi année pour mettre à exécution son plan. Désormais, il était hors de question d’attendre une semaine de plus pour mettre les choses en place. Il faudrait se montrer plus prudent, un peu plus généreux certainement, mais le jeu en valait la chandelle.

Le sourire que ces expectatives lui apportaient fut vite remplacé par une moue concentrée. Le délai pour le remariage était une question délicate. Pour autant, si Théodora et Pépin jouaient le jeu comme il se devait, personne ne pourrait contredire leur amitié et l’envie pour l’homme de prendre soin rapidement de cette nouvelle amie.

« Un petit mois après sa cérémonie me paraît être un bon délai à la vue de cette amitié forte qui nous liera bientôt aux yeux de tous. »

Ce qu’il appelait des fables pour les pucelles et les crédules, nourrissait les discussions de toutes les couches sociales. Un phénomène tel que lui avait peut-être depuis longtemps fait fi de ce que les mondains pensaient de ses actions. Ce n’était pas le cas d’une bourgeoise qui avait joué avec les apparences depuis tant d’années. Cette force irréfutable qui accompagnerait le couple dès ses débuts était nécessaire pour la suite des choses. Et même si Pépin de Santenoque n’était pas un grand amoureux des mièvreries, il devrait s’y plonger quelques temps pour le bien de leur entreprise.

En jetant un coup d’oeil dans la pièce, Théodora arrêta un instant son regard sur la bibliothèque, avant de fixer de nouveau son futur époux.

« Peut-être trouverez-vous un peu d’inspiration romantique dans les fables de votre Comté. M’en parleriez-vous, de votre chez-vous ? J’avoue assez mal connaître cette partie de notre royaume. »

Le faire parler de ses terres ferait sans doute appel à cette corde sensible qui sommeillait en lui. Après tout, quel seigneur n’aimait pas se vanter fièrement de ce qui lui appartenait ?

Après avoir acquiescé à la déclaration de Pépin, la bourgeoise se livra à quelques confessions sur les plans qui visaient à faire succomber son futur ex-époux des suites d'une terrible maladie incurable.

Selon mes prévisions, Charles devrait succomber à sa maladie d’ici mi ou fin-Mai. Cela nous laisse déjà ce laps de temps pour resserrer nos liens. Et j’ai quelques affaire à régler tant que je peux encore agir sous son nom. Même si ma position est solide, il est toujours plus facile de le faire sous le nom de Madame Priost que de la veuve Priost. Si ces quelques affaires aboutissent comme je le souhaite, nous devrions pouvoir encore renforcer notre empire commercial de manière tout à fait appréciable.

Le Dauphin d'Or se contenta d'opiner du chef une fois encore, écoutant religieusement la Priost dérouler son plan et ses attentes.

Un petit mois après sa cérémonie me paraît être un bon délai à la vue de cette amitié forte qui nous liera bientôt aux yeux de tous.

Pépin sirotait son thé distraitement, adressant un regard droit à sa compagne qui embrassa le petit salon du regard avant de revenir à lui.

Peut-être trouverez-vous un peu d’inspiration romantique dans les fables de votre Comté. M’en parleriez-vous, de votre chez-vous ? J’avoue assez mal connaître cette partie de notre royaume.

Il gloussa, amusé par la remarque avant de secouer la tête.

Ma chère, il est évident que vous ne connaissez pas les sornettes et galéjades de Santenoque. Aussi charmantes qu'étaient les terres de ma famille, les superstitions et les contes étaient à l'image de sa population. Creux et tristes !

Il ne put retenir ses yeux de rouler dans leurs orbites avant de hausser les épaules. Si elle désirait en apprendre plus sur les stupidités que s'échangeait le bas-peuple, soit. Après tout, elle restait issue de cette couche populaire friande de billevesées.

Il y en a un qui parle d'un prêtre de Pipignan -un hameau sinistre- souhaitant ramener toutes ses ouailles sur la voie des Trois. Un autre parle d'un berger incapable de garder ses chèvres qui se font dévorer une à une par un loup. Un autre encore parle d'une nuée de sauterelles qui a bouffé toutes les cultures. Aucun ne se termine bien.

Il tordit sa bouche en une moue contrite avant de poursuivre.

Il y a bien souvent une morale amère à toutes ces fables. Etonnament assez juste sur la nature humaine mais à l'opposée de nombres de poèmes du Morguestanc, vantant l'amour courtois ou la bravoure de preux chevalier vengeur. Je crains qu'il n'y ait guère de romantisme à trouver là-dedans.

Il vida sa tasse avant de la reposer sur la table basse à ses côtés puis se gratta le double menton, songeur.

Mon grand-père me disait souvent lorsque j'étais enfant que Santenoque ressemblait aux jardins des Trois, mais que nos fables nous ramenaient toujours à notre condition de mortels et à notre humilité. Quelque part cela m'a forgé. J'appris à savourer ce que nous offrent Serus, Rikni et Anür et à me méfier de hommes.

La porte s'ouvrit de nouveau, dévoilant la large carrure de Jérôme une fois encore. Le majordome portait un petit paquet fermé d'un ruban jaune pâle. Pépin écarta les bras en souriant.

Ah ! Fort bien ! J'ai pensé Madame qu'un petit présent en gage d'amitié vous ferait plaisir.

Il se saisit du paquet avant de le tendre à Theodora.

Mon intendant est un habile parfumeur ! J'espère que les senteurs de ce mélange vous plaieront.

Sujet: Re: Le dîner de toutes les possibilités (PV) Sam 4 Mar 2023 - 12:01

Si Théodora avait pensé pouvoir soutirer une quelconque once de romantisme chez cet homme d’affaire en faisant appel à ses souvenirs, elle fut vite ramenée à la réalité. Cet endroit lointain, dont elle serait bientôt la Comtesse, ne laissait place à aucun sentiment volatile. Les gens y semblaient plus durs, plus terre-à-terre, tout à l’image de son hôte. Et ce constat lui plaisait, même si ce genre de personne nécessitait une approche différente que la population locale. Quoi qu’il en soit, n’importe quel va-nu-pied avait ses faiblesses et ses envies, elle saurait gérer ces gens là si l’occasion devait se présenter.

« Le pragmatisme n’est pas une mauvaise chose. Il est juste moins courant ici. »

Quelques instants plus tard, la bourgeoise observa avec intérêt ce cadeau qui venait de lui être offert. A peine celui-ci dans ses mains, elle se saisit délicatement du nœud pour le faire glisser, dévoilant, après la chute du tissu, une petite bouteille en verre. Le conteneur était petit, mais de taille bien raisonnable pour un produit aussi rare et onéreux que le parfum. C’était un présent qui aurait fait de nombreuses jalouses dans son cercle de voisinage. Aussi, elle lança un léger sourire envers son hôte.

« Une telle attention est fort généreuse Messire. A ce stade je n'en doutais de toute façon plus un instant. »

Théodora avança le nez pour humer les délicates flagrances qui se dégageaient du flacon. Elle reconnaissait un ou deux arômes, mais la plupart lui étaient inconnus. Sans doutes étaient-ils issus de Santenoque ou de la région de Bakshish. Le parfum se dirigea vers le cou de la négociante, qui pencha la tête pour lui laisser un meilleur accès, avant qu’elle n’appuie sur la pompe pour en faire sortir le précieux contenu.

« Qu’en pensez-vous Messire ? Ne dis-t’on pas que le parfum change de nuances en fonction de son porteur ? »

Encore une fois, les iris de Dame Priost ne dégageaient aucune innocence, bien que sa question paraisse tout à fait anodine, l’intention ne l’était pas. La dernière image que le Comte avait d’elle devait être suffisamment mémorable pour qu’il n’oublie pas à quel point leurs affaires étaient compatibles, bien plus qu’avec n’importe qui d’autre.

« Quelles fragrances nouvelles pouvez-vous détecter ? »

Que ce soit l’odeur qu’il en garderait, ou l’image de son cou gracile habillé par l’argent et les émeraudes, le Comte ne pourrait décidément pas effacer de sa mémoire leur soirée. Ce n’était tout simplement pas envisageable.

Sujet: Re: Le dîner de toutes les possibilités (PV) Mar 7 Mar 2023 - 15:51

Elle n'avait pas paru déstabilisé par les révélations sur les terres natales de Pépin. En réalité, il aurait presque était décevant qu'il en fut autrement. La réaction à la petite bouteille de parfum fut plus démonstrative et confortante pour le Comte. Il avait fait un bon choix, une fois encore.

Une telle attention est fort généreuse Messire. A ce stade je n'en doutais de toute façon plus un instant.

Sans perdre de temps, elle s'aspergea la nuque de quelques gouttes du liquide aux effluves sucrées avant de tendre le cou vers Pépin pour qu'il puisse s'enivrer un peu plus de la peau qu'il avait eu le plaisir de goûter d'encore plus près quelques minutes plus tôt.

Qu’en pensez-vous Messire ? Ne dis-t’on pas que le parfum change de nuances en fonction de son porteur ?

Il se contenta de hocher la tête en rendant le ragrd aux nuances complices et un brin lubriques que lui avait adressé la Priost. Une fois de plus, elle s'offrait, sans retenue, dans une attitude qui aurait pu faire jaser dans la bonne société. Cette même société se serait étouffé en sachant ce qu'ils s'étaient offerts l'un l'autre en amont. Les imbéciles.

Quelles fragrances nouvelles pouvez-vous détecter ?

Le Dauphin prit une grande inspiration, se délectant autant de l'odeur de la femme que celle du parfum. Il se redressa après avoir pris tout son temps pour renifler et fit une moue qui signifiait la réflexion.

Hum ... Groseille à n'en point douter. L'autre est plus florale ...

Il se gratta le menton, forçant son cerveau à retrouver la fragrance. Il leva l'index lorsque la réponse lui apparut comme une évidence.

Lilas ! Oui c'est cela ... Groseille et lilas ! Un mariage délicat et séducteur. Cela vous sied, Madame et ne fait qu'ajouter un atout de plus à la personne que vous êtes.

Il s'enfonça dans le fond de son fauteuil pour observer sa compagne. Au bilan, cette soirée avait été bien plus intéressante qu'il s'y était attendu, par bien des façons. Certaines concrètes, d'autres plus frivoles, mais les prémisces de cette collaboration laissaient présager du bon. Du très très bon ... Il ne doutait pas qu'elle se souviendrait autant que lui de ce "dîner d'affaire".