Gudrun haussa les épaules.
- Pour avoir le luxe de pouvoir épargner une vie, encore faut-il être en mesure de la prendre. Les choses sont souvent plus complexes que cela, et Rikni sait que la pitié n'est pas toujours celle que l'on croit, lorsqu'on est sur un champ de bataille.
Elle avait reporté son regard sur le grand homme blond, cuirassé du dehors, mais dont l'amure n'empêchait pas la tristesse de se déverser au point que même elle le voyait. Elle s'approcha de lui pour lui poser la main sur le bras.
- Je n'aime pas le ton que tu prends pour parler des dieux. Tout cela...
Elle s'interrompit un instant, peu sûre de la manière de le formuler. Peut-être serait-il sage de ne même pas parler de cela, mais elle et lui s'était retrouvés dans le même bateau, au sens propre comme au figuré, et les liens qui s'étaient créés à cette occasion n'avaient rien de banal. Elle s'appuya sur la table, et recommença à parler.
- Je dois avouer que j'ai douté, et je doute toujours, de ce que les dieux nous réservent. Je n'ai peut-être pas perdu mon époux de la même manière que tu as perdu ta femme, mais le supposer mort n'est pas moins douloureux. Combien de gens avons-nous laissé derrière, et dont nous ne connaîtront jamais le sort ? C'est le problème des gens qui restent. Tout ce que je peux te dire, c'est que tu n'es pas seul : il me semble que... nous sommes une sorte de famille désormais.
La voix hésitante de la prêtresse s'affirma soudain un peu plus.
Mais pense-y : si nous sommes toujours en vie après cette catastrophe, le périple en bateau, le naufrage, ce n'est pas pour rien. Quelque chose ou quelqu'un veille sur nous et a des projets pour nous. Je me suis parfois demandé si j'aurais dû révéler ma foi au grand jour, et mourir en martyr. Qu'est-ce que j'accomplis, ici, à faire semblant de vénérer cette fichue Trinité, après tout ?
Son ton était passé de doux à acide, héritage de ce doute incessant.
- Et puis... Et puis il y a quelques jours, il m'est arrivé une aventure étrange. Un homme m'a sauvée. Et il m'a demandé ma main. Pour quelle raison l'a-t-il fait, je n'en suis toujours pas certaine, mais tout cela ne pouvait pas être un hasard. C'était impossible. Alors j'ai accepté. Je suis persuadée que tout cela est un plan des dieux. J'attends son retour pour me confirmer que tout cela n'est pas un rêve, mais j'ai eu un signe Eivør. Un de ceux qu'on ne peut pas ignorer ! Les dieux ne sont pas cruels par nature, je le sais ! Prends ton mal en patience. Appuie-toi sur moi si tu as besoin. Un jour, tu en auras un aussi. Fais attention à bien le reconnaître, car ils ne sont pas évidents.