[Interlude] Le crépuscule avant l'aube.

- Je ne crois pas non. Dit Clay en se levant sans brusquerie mais sans hésitation pour la suivre. Il perçut du coin de l’œil les chaises des camarades de la jeune femme se tourner vers eux près à intervenir, mais il ne recula pas pour autant, emboitant ses pas dans ceux de la mercenaire. Une vraie scène de théâtre qu’ils leur jouaient là à force.

- Je vous ais agressé en vous demandant si vous aimiez quelqu’un ? Si vous aviez un avis sur votre poste dans votre compagnie ? Quand vous m’avez demandé pourquoi je croyais pouvoir vous comprendre un peu mieux avec mes questions ? Non, Aeryn, vous avez juste cherchez une raison pour vous battre car c’est la seule chose que vous pensez savoir-faire. Essayez au moins de ne pas vous mentir inutilement. Continua-t-il à un mètre derrière elle alors qu’elle s’avançait entre les premières tables.

- En réalité et pour une raison qui m’échappe, vous aviez décidé que ma tête ne vous revenez pas avant même que j’ai ouvert une seule fois la bouche. Ni ma maladresse, ni mon humour, ni mes questions, ni mes insultes n’ont un quelconque rapport avec cela. Ayez cette honnêteté. A quel moment ai-je eu la moindre chance de pouvoir vous prouver ma sincérité, alors que vous aviez déjà pris votre décision plusieurs jours à l’avance ? Pourquoi ne pouvez-vous pas accepter mon intérêt pour ce qu’il est ? Pourquoi faire de moi un ennemi alors que je veux juste vous comprendre ?

De deux grandes enjambées permises par leur différence de taille, il la dépassa avant qu’elle n’atteigne l’escalier menant aux chambres, sa main venant se plaquer sur le bois pour couper sa trajectoire de son bras. Une fois de plus le geste était plus précipité qu’agressif. Il plongea ses yeux dans les siens. Toutes traces de colère avaient disparu de ses traits, remplacé par une perplexité.

- Pourquoi, Aeryn ? Pourquoi ne pas m’accorder une chance ? C’est tout ce que je demande, une vraie chance.

Clay sourit à sa question. Il s’avait qu’elle n’était pas très sensible à son humour, ou du moins qu’elle n’avait pas l’habitude de devoir y prêter de l’attention. Mais c’était dans sa nature, il ne pouvait s’empêcher un bon mot quand il était si gentiment offert.

- Pourquoi j’insiste ? Mais parce que je suis un crétin ! Quelqu’un me l’a dit récemment.

Il secoua doucement la tête, mais sans ôter son bras pour autant de son trajet. Ses camarades étaient debout à présent mais n’intervenaient toujours pas. Seul Pat le roux était encore assis et observait les choses avec un œil torve où luisait plus d’intérêt que de crainte pour la membre de sa troupe. Le cerveau de Clay enregistrait ce genre d’information par habitude mais son attention était toute posée sur la jeune femme qui le foudroyait de ses intenses prunelles océanes.

Elle était toujours en colère, mais de manière plus canalisée, plus… protectrice ? Pour la première fois il avait l’impression de faire un pas dans sa défense plutôt que d’essayer d’épuiser ses attaques. Il n’était pas assez égocentrique pour voir en ce changement une réelle victoire, mais au moins cela changeait-il un peu, peut-être que celle qu’elle cachait au fond d’elle avait plus à dire que sa colère ne l’avait cru.

- Pourquoi devrais-je me montrer moins têtu que vous ? Je ne crois pas vous avoir vu avec un contrat d’exclusivité sur l’entêtement ! Pas plus qu’il ne me semble avoir affirmé que je méritais votre confiance rien que parce que je suis clairement un type sympathique. Mais si vous n’avez aucune obligation à faire des efforts, je ne vois pas pourquoi je me soucierais du fait que vous ne vouliez pas que j’en fasse. Quand je deviendrais une personne pour vous, on rediscutera de ce que je peux faire ou non.

Il écarta son bras pour lui offrir le passage, mais tout espoir de lâcher prise disparu quand il dit :

- Après vous alors, je n’ai pas fini d’insister.

Bien entendu, la pire idée aurait été de la suivre. Il avait provoqué la bête, agité le foulard sous son nez jusqu’à lui faire voir rouge et clairement fait rembarrer. Elle avait été claire, il allait au-devant de représailles s’il faisait cette erreur-là. Même s’il ne se voyait pas dépenser d’argent avec une fille de joie, c’était clairement plus prudent de s’arrêter là. Il pourrait bien boire un verre avec les lames qui le sermonneraient autant que le plaindraient de son lamentable mais courageux échec. Après il irait dormir, une bonne nuit de sommeil dans un lit moelleux bien mérité après ce long trajet et cette discussion peu aimable. C’est un bon plan. C’est ce qu’il se dit en grimpant les marches à sa suite.

Il sentit son dos claquer désagréablement contre le bois de la paroi mais sa haute stature empêcha Aeryn de pouvoir y mettre autant de force qu’elle ne l’aurait sans doute voulue. Tiens, elle le tutoyait maintenant… pas sur que ce soit très bon signe. Mais puisqu’elle demandait si gentiment, il lui répéta en explicitant chaque syllabe.

- JE VEUX APPRENDRE À TE CONNA…

Le coup de poing le cueillit à la mâchoire l’empêchant de finir sa phrase. Heureusement qu’il avait gardé sa nuque souple dans l’attente de ce dernier, sinon il aurait sans doute craché quelques dents, là il se contenta d’un gout cuivré sur la langue. Bon… et bien il avait réussi… maintenant il fallait rester en vie pour voir la suite.
Il interrompit le second coup en calant son avant-bras dans le creux du coude de son adversaire et sa main gauche vint frapper lourdement du plat sur son plexus la faisant tituber en arrière le souffle coupé. Mais il en fallait plus pour arrêter une sauvagerie aiguisée par des années d’entrainement.

La mercenaire bondit à nouveau à l’assaut à peine son pied ayant repris son appui. Il n’avait fait qu’un pas vers elle qu’elle frappait deux fois douloureusement dans le bras qu’il avait, de justesse, placé devant ses côtes. Rapide la louve. En boxeur il encaissa une série de petit coup, certes pas les plus puissant, mais qui visaient clairement à faire mal. Elle lui offrit une ouverture quand elle arma un peu trop en arrière pour tenter un crochet au visage qu’il avait mit à sa portée à force de se tasser pour encaisser.
Son point percuta son épaule avec une telle force qu’il l’envoya bouler en arrière. Aeryn, trop expérimentée pour juste s’étaler sur le sol roula sur la même épaule profitant de l’élan pour se retrouve en appui sur la pointe de ses pieds. Elle attrapa le manche d’une de ses lames. Bon, là, elle était vraiment en colère.

Il bondit vers elle plutôt que de fuir. A peine la lame était-elle sortie de son fourreau qu’il frappait du talon sur son poignet pour l’envoyer voler derrière elle. Il n’eut pas le temps de faire de même pour la seconde qui sortit presque magiquement de derrière son dos. Floutée par la vitesse, la lame ripa sur son oreille au lieu de la transpercer affreusement, la fendant légèrement. Il sut qu’il ne devait cette égratignure qu’au déséquilibre que son coup avait provoqué dans le corps de la fille Monclar. Clay-Une-Oreille… quel nom affreux…

Le genou de la jeune femme le percuta à l’estomac, le courbant en deux. Offrant son dos à la lame. Alors dans cri bestial, il la plaqua à la taille, la soulevant comme une poupée de chiffon en se jetant en avant. La porte de la chambre d’Aeryn vola en éclat sous leurs poids et ils s’écrasèrent dans un râle douloureux et commun. Par réflexe plus que par pensée cohérente, ils roulèrent chacun contre un mur opposé. Clay se hissa péniblement le dos contre le bois les poings levés dans l’attente de l’assaut suivant. Du sang lui goutté devant l’œil gauche, il devait avoir l’arcade fendue. La guerrière n’était pas beaucoup mieux lotie que lui. C’est sur sa joue qu’une zébrure sanglante était visible, le liquide rouge vif coulant sur sa peau pale. Et une marbrure encore claire se dessinait sur son front. Il devait y en avoir beaucoup d’autres sous leurs vêtements. Elle avait perdu son couteau pendant leur vol plané, bonne nouvelle. Ses cheveux aussi s’étaient détaché, cascadant de manière étonnamment longue autour de son visage. Il sourit, du rouge sur les dents.

- On t’a déjà dit que tu étais assez jolie quand tu es en rogne ?

Sa remarque ne sembla pas la calmer mais décontenança la jeune femme qui haletait difficilement. Au moins, elle n’avait plus ce regard presque fou du moment où elle avait empoigné ses armes. Des pas précipités remontaient le couloir. Intéressant comme quelques secondes peuvent paraître très longue quand on joue sa vie. A sa surprise, ce n’est pas les lames qu’y déboulèrent, ou plutôt pas seuls. Deux miliciens les devançaient et jouer des coudes pour faire reculer la bande.

- C’est quoi ce bordel !? Hurla plus que ne demanda l’un d’entre eux.

Il aurait pu l’enfoncer, après tout, même s’il s’était montré très insistant dans la salle du bas, elle était la seule à l’avoir menacé ouvertement, la seule à être montée armée. Sans parler du triste ressentiment que possédait encore beaucoup d’hommes pour l’idée d’une femme combattante. Ils passeraient la nuit en cellule tous les deux, mais lui n’aurait pas de gros problèmes. En revanche, une lame en pleine mission qui se laissait aller à une agression… même leur arrivée incognito ne leur ferait pas échapper aux conséquences très longtemps…

- J’ai un peu trop bu, et je suis tombé. Ma collègue a gentiment essayé de me relever, mais j’ai encore trébuché au point de l’entrainer avec moi à travers la porte. Ma maladresse va devenir légendaire. Hein, Aeryn ? Dit naturellement Clay d’un ton désolé mais plus amusé qu’inquiet, comme si cela pouvait vraiment expliquer la situation. Son regard se posa sur elle, curieux de sa réponse.

Ils s’en étaient mieux sorti qu’il ne l’aurait cru. Soit les miliciens étaient plus perspicace qu’il ne l’avait présumé et avait comprit que la situation était plus compliquée que réellement dangereuse. Soit, ils avaient d’autres chats à fouetter. Des choses plus importantes, mais quoi ? La réaction de Pat le fit sourire, intérieurement du moins, ce n’est pas le genre d’homme à qui il aurait voulu faire croire qu’il se moquait de lui. En réalité, il lui rappelait son premier maître d’arme. Taciturne, efficace et qui réglait les choses au bon moment plutôt que d’éclater de colère.

Clay soupira et ramassa un tabouret qui était tombé mais avait miraculeusement survécu à leur entrée dans la chambre. A moins qu’il n’ait jamais vraiment branlé comme cela avant. Ensuite il s’accroupit non loin de la jeune femme qui l’ignorer autant que possible et entreprit de l’aider à ramasser les nombreux éclats qui jonchaient le sol.

- Moitié moitié pour la porte ? Après tout, on est deux à avoir trébuché dedans. proposa-t-il avec tranquillité, comme si la chose était évidente et que le fait qu’il ignore une nouvelle fois sa demande n’était que très secondaire.

Le battant était irrécupérable, même avec du temps. Les deux principaux morceaux étaient fendus en plusieurs endroit plusieurs dizaine d’éclat plus petits étaient visible. Mais le cadre lui, avait bien tenu. Les gonds s’étaient arrachés de la porte plutôt que de lui. Une bonne nouvelle pour leurs bourses.

- J’ai vu un dépôt de bois derrière le bâtiment. Poursuivit-il naturellement en amassant les morceaux qu’il ramassait sur l’un des plus grands. Cette porte fermera plus jamais rien, mais elle peut encore servir dans une cheminée. Tu récupères tes lames et on y va ?

La jeune femme faisait vidée, comme si, en plus de la bagarre, elle avait couru deux jours en continu. Cela la rendait clairement plus calme, mais aussi plus terne. Cela dit, son sarcasme ressemblait presque à de l’humour. Une petite, minuscule, rikiki victoire, mais une victoire tout de même. Étonnamment, ce n’était pas la première fois qu’il voyait cet état chez quelqu’un. Une fatigue venue après une rage guerrière. Oui, la comparaison pouvait paraître facile, mais il se souvenait encore de cette nuit comme si elle ne datait que d’hier. Les hurlements à la lune, comme un défi, les haches. Il observait le dos d’Aeryn en se demandant si ce qu’il avait cru réserver à un peuple pouvait aussi arriver parmi les siens.

Il offrit un sourire désolé au tenancier et renchérit sur une promesse de remboursement. L’avantage des guildes est que leur réputation était nécessaire à leur fonctionnement et donc elle payait rubis sur l’ongle quand ses hommes étaient impliqués. Pour continuer à travailler, il ne faut pas que les clients craignent de vous embaucher. Visiblement, ce savoir que partageait le propriétaire suffisait à transformer sa colère en agacement.
Ils déposèrent leur fardeau à l’arrière du bâtiment. Le sang ne goutait plus dans son œil, mais en effet il aurait sans doute besoin d’un point de suture pour éviter une trop grosse cicatrice. Oui, il allait s’occuper de ça. Plus tard.

- C’est de naissance. Plaisanta-t-il avec un clin d’œil qui le fit grimacer quand cela tira sur la plaie. Je t’offre un verre ? Quelque chose d’un peu plus fort que du lait si tu veux bien. Je sens que j’en aurais besoin cette nuit.

Il s’écarta en lui proposant d’un geste de le suivre.

- Et puis c’est plus sympathique de discuter en buvant quelque chose. Et je pourrais te parler de la nuit où j’ai vu les Vahasi Savasci.

- Désolé, j’ai reçu un coup sur la tête il y a peu…

Elle n’apprécierait sans doute pas non plus cette réplique ci, surtout au vu de sa responsabilité dans l’affaire, mais c’était son style et s’il devait la convaincre de sa sincérité, commencer par mentir sur son comportement ne serait pas les meilleures des idées.
Et même s’il devait admettre que discuter avec elle s’avérait très certainement dangereux, il n’était pas tout à fait certain d’avoir détesté l’expérience jusqu’ici. Comme un dresseur de fauve le lui avait dit à la capitale. « On ne dompte pas ce genre de bête, mais en les affrontant, on peut gagner leur respect. Ne leur tourne pas le dos quand même ! » lui avait-il dit avec un petit clin d’œil. Enfant, il n’avait pas tout à fait compris la remarque et s’était surtout émerveillé de la symbiose entre l’étrange personnage et les terrifiantes mais magnifiques créatures. Aujourd’hui, il pensait comprendre un peu mieux.
Il répondit sérieusement, comme elle le demandait.

- Parce que tu n’es pas qu’une brute. Oh tu en as tous les atouts et très clairement le caractère. Mais il y a autre chose. Je te l’ai dit tout à l’heure, tes yeux, tes yeux racontent autre chose. Je ne crois pas que tu détestes la compagnie des autres autant que tu l’affirmes, tu as juste appris à ne pas en avoir besoin, jusqu’à croire que tu n’en veux pas. J’ai sans doute été trop loin tout à l’heure, je voulais te faire réagir, mais ce que j’ai dit reste vrai dans l’ensemble. On t’a privé de ton droit à aimer pour t’apprendre à survivre.

Il se gratta l’arrière du crâne.. ouch ! La aussi il allait avoir une bosse.

- Si je me trompe et qu’il n’y a vraiment rien sous ta carapace, alors je t’aurais fait perdre ton temps ainsi que le miens. Mais imagine une seconde, juste une seule, que j’ai raison. Je crois que je regretterais de ne pas l’avoir découvert.

Il s’approcha d’un pas d’elle. Il était décidément grand par rapport à elle. Mais si auparavant il pensait qu’elle pourrait malgré tout lui en faire voir de toutes les couleurs, maintenant il le savait. Sa voix était plus basse, un peu plus profonde.

- Oublie toute cette histoire de rêve, vision, délire, appelle ça comme tu veux. J’ai eu tort de t’aborder en pensant trouver toutes les réponses et être déçu que ce ne soit pas le cas. Tu es quelqu’un, pas parce que tu m’apparais la nuit, mais parce que tu te tiens là, devant moi. Et j’aimerais savoir qui.

Il recula et sourit. Oui, nouveau trait d’humour en approche.

- Et puis, je n’aime pas trop qu’on me déteste sans me connaître ! Alors quand tu me connaîtras, tu auras une bonne raison de le faire.

Il l’observa alors qu’elle lui tournait le dos pour s’éloigner vers l’avant de la bâtisse. Si elle avait été une montagne, il l’aurait soupçonné de s’amuser à étirer son sommet chaque fois qu’il dépassait une crète en pensant avancer. Mais ce n’était que poudre aux yeux. Une montagne ne grandissait pas. Elle pouvait en donner l’impression, devenir plus abrupte, plus hostile, mais elle ne grandissait pas. Et il continuait de grimper.

- C’est faux. Se contenta-t-il de dire pour l’interpeller. Il nota un léger raté dans son pas, même si bien entendu, elle ne se retourna pas pour autant. Alors il se mit à avancer pour poursuivre aussi, répétant ses paroles au mot près.

- Tu affirmes sans savoir… simplement en te basant sur une simple impression. dit-il donc avec un sourire amusé. Même si j’arrivais à te croire sur le fait que tu te moques complètement de la présence des autres enquiquineurs ou que je n’ai aucune chance d’influencer ton avis concernant ma personne. Que l’amour et l’attachement sont des concepts inutiles à tes yeux. Tu mens, à moi autant qu’à toi en affirmant n’être qu’une brute sans cervelles qui suit les ordres bien gentiment. Il n’y a pas un quart d’heure, tu as essayé de me tuer Aeryn. Pas quand je t’ai provoqué et insulté, là j’aurais presque pu y croire. Mais quand tu as commencé à craindre que mon intérêt pour toi ne s’efface pas après que tu te sois comportée comme une conne irascible.

Ses jambes plus longues lui permirent aisément de se porter à sa hauteur, comme s’ils rentraient ensemble à l’auberge bien plus qu’ils ne se séparaient. Il reprit.

- Tu dois avoir l’habitude que les gens laissent tomber à ce moment-là, que ta mauvaise humeur et ta colère suffisent à les dissuader de pousser plus avant leur volonté de te connaître. Alors quand ça n’arrive pas, c’est là que tu exploses, parce que tu crains que l’autre se rende compte qu’effectivement, tu n’es pas que ce que tu montres. Je dirais même que tu ne montres qu’une minuscule partie de ce qui tu es. Peut-être même qu’à toi aussi tu le caches.

Il lui lança un clin d’œil qu’elle ignora avec la superbe qui lui était propre, mais cela ne l’empêcha pas le moins du monde d’être certain de sa déduction. Peut-être même son attitude présente renforçait-elle ses certitudes.

- Je me trompe peut-être, mais vu que tu nous mens à tous les deux sur une chose si importante, je ne peux pas avoir confiance dans le reste avant d’avoir vérifié moi-même, tu comprends ? demanda-t-il crânement, comme si la logique était imparable. Alors je vais tenir ce rôle d’ennemi collant et agaçant que tu m’as attribué de force, et ça jusqu’à ce que tu me donnes raison ou que j’admettes avoir tort. Et puis vu que tu me traites déjà comme une menace, le pire que tu risques c’est de te réveiller avec un ami sans l’avoir voulu. Ah et peut-être un mal de crâne que ce soit à cause de l’alcool qu’on va boire ou de ta manie d’enfoncer littéralement des portes ouvertes.

Il pouffa en lui ouvrant la porte pour la laisser entrer dans le bâtiment. La galanterie n’était pas totalement morte, même à cette époque.

- Tu as une préférence sur la boisson ? Devant son regard réprobateur il se justifia en souriant. J’ai répondu avec franchise à ta question et même si la réponse ne te plait pas, elle est honnête. Donc j’estime que tu peux bien boire et discuter un peu avec moi. Promis, je ne te parlerais plus d’amour ce soir, on a bien le temps pour ça !

Une victoire de plus ! Bien entendu, il n’était pas stupide au point de se dire qu’elle cédait du terrain pour reconnaître sa défaite, au contraire, comme un général d’armée, elle battait en retraite pour mieux gérer le terrain de la contrattaque qui le repousserait hors de ses frontières. Mais quand l’envahisseur était au courant de la stratégie et qu’il s’armait de patience, alors la perte de terrain pouvait devenir permanente. Il se demanda en prenant place face à elle si elle comptait soudain bondir par la porte et s’enfuir dans la nuit. Et si elle le poignarderait au passage. Et plus encore s’il courait après si elle ferait ça. L’idée le fit sourire et la rendit plus probable.

- C’est ta manière de penser qui n’est pas la bonne. Gagner, prendre, besoin, devoir. Tu n’as que ça à la bouche. Mais tout ne peut pas se résumer à ces termes. Je n’ai rien à gagner à te connaître, mais j’en ai envie. Tu n’as pas besoin d’ami supplémentaire, mais tu peux. Les termes que tu évites soigneusement d’utiliser rendent le monde bien plus vaste et intéressant, tu ne crois pas ?

Joyeux et détendu malgré leurs échanges houleux, il prit une longue gorgée de bière dont la fraicheur lui fit s’apercevoir de la chaleur qui l’habitait. Il la prolongea donc un peu pour se rafraichir. Quand il reprit la parole, le sujet avait totalement changé.

- Les Vahasi Savasci donc ! Je crois que je devais avoir quatorze ans quand je les ai rencontrés. C’est une tribu du peuple des routes. Tu connais ? On parle peu d’eux, mais ils ont été aussi essentiel à la survie de Langres que nous ces derniers siècles. La plupart été ou sont, s’il en reste, commerçant. Comme les Sérélen, surement les plus connus d’entre eux. Mais ils avaient malgré tout, tous une caste guerrière, pour se défendre, parfois contre nous, parfois contre d’autres. D’excellent guerrier, plus… subtil que notre style de combat. Cela restait cependant une part minoritaire des caravanes, enfin, de ce que j’en sais. Mais il y a une exception. Les Rekenan, du nom de leur guide… des sortes d’hommes et de femmes qui ont été propulsé au rang de dieux par leurs actes, au point d’inspirer tout un peuple.

Pour eux, c’était donc Rekenela, une guerrière sans égale qui avait fait de la guerre un art. Je te passe les détails. Mais tout leurs membres, hommes, femmes, enfants devaient apprendre et maitriser trois armes pour pouvoir prétendre à devenir adulte. Et c’est parmi eux qu’on trouve les Vahasi Savasci. Une caste qui selon leur légende, ne contient que des personnes chez qui le sang de Rekenela coule encore, pur.

Il observa Aeryn qui devait se demander pourquoi par les trois, il l’emmerdait pour finalement lui raconter des choses aussi vieilles qu’absurdes. Il cacha son sourire dans sa pinte et poursuivit.

- Même si on les appelle « peuple des routes » par convention. Tous ne sont pas nomades, du moins pas à plein temps. Certains possèdent… possédaient est surement plus juste à présent, des domaines bien à eux, même dans le royaume de Langres. Des forêts, des cols, les lacs qu’aucun seigneur ne réclamait ou ne traversait avec ses troupes par un accord tacite avec les habitants. Pas par respect, malheureusement, mais par crainte. C’était le cas d’une partie montagneuse au nord du duché. Si proche, tu te rends compte ? Donc quand j’avais quatorze ans, mon père qui servait dans les troupes ducales et sa compagnie ont voulu traverser se domaine pour repousser une armée pirate venue de par-delà la mer et ayant accosté juste après les chaines du nord. Le chef de cette tribu a refusé au duc le droit de passage, mais lui a offert une promesse en échange d’un retour paisible hors de ses terres. Les Vahasi Savasci tueraient tout homme d’arme qui tenteraient d’entrer en Morguestanc par leur domaine et ceux pendant toute une année. Mon père, et quelques autres ont été autorisé à rester comme humm… témoins de la parole donnée. En me cachant sous une des charrettes, je suis parvenu à rester et quand la nuit est tombée il était trop tard pour que l’on me fasse rattraper l’armée. Poursuivit-il, visiblement fier d’avoir toujours été l’emmerdeur de quelqu’un.

- Les pirates, à quelques solitaires près, ne se sont décidés à traverser les passes que la troisième nuit. En force. On aurait dit que la mer les avait crachés aussi aisément que ses vagues. Alors les Vahasi Savasci sont sorti des ombres, comme s’ils étaient faits. Tous aussi nu qu’à leurs naissances, leur corps peints de symboles étranges, chacun armé différemment, toute les tailles d’épée, de hache, de lance, mais jamais un bouclier. Et ils étaient si peu nombreux. On aurait cru voir une marée se jeter à l’assaut de minuscules pierres. Alors ils ont chanté. Un chant proche du hurlement bestial, mais un chant. Et la marée s’est fracassée contre eux. Les pierres étaient devenues un mur infranchissable. Ils ne se battent pas comme nous Aeryn. Enfin… pas comme moi. Ils entrent dans une sorte de fureur guerrière et moissonnent comme la mort elle-même, le chant les galvanise, les guide, oriente leur rage. Je ne sais pas comment te l’expliquer précisément. Mais tu leur ressembles, quand tu te bats, à te jeter à corps perdu dans la bataille, devenir l’arme et la colère en oubliant le reste.

Il leva un doigt, pour annoncer le « mais ».

- Mais ! Eux avaient le contrôle, eux avaient le chant. Quand mon père et les autres ont questionné le chef sur la nature de ces guerriers, il l’a maladroitement traduit de sa langue part « Berserker ». Je n’avais pas éprouvé cette sensation avant que… tu ne tombes à travers la porte. Je ne pensais pas que c’était possible pour les gens comme nous. Eux semblaient persuader que cela venait de leur sang. Intéressant, non ?