[Interlude] Le crépuscule avant l'aube.

23 Mai 1167.

[Interlude] Le crépuscule avant l'aube. - Page 4 Ulb7

En effet, celle qui ne voulait pas de la présence des autres à se côtés n’était finalement pas si mal entouré. Et même s’il ne doutait pas que ces gens d’armes aurait de toute manière soutenue un collègue de travail qu’ils n’appréciaient pas. Il paraissait évident à ceux qui les regardaient que la camaraderie dont il faisait preuve avec Aeryn ne se contentait pas de la courtoisie professionnelle. Même celui au regard fou semblait la considérer pour plus que cela.

- D’accord, je laisserais cette… Lili ? C’est ça ? Te porter, elle semble beaucoup plus déterminée que moi à ce sujet. Mais commence donc par boire ta gorgée, je ne suis pas là pour cette personne, même si je profite de l’occasion. Dit-il avec un petit air triomphant en indiquant sa chope à la jeune femme d’un coup de menton.

Sans pouvoir dire pourquoi, il fut heureux de la voir plus hésitante qu’il ne l’aurait cru sur le sujet de sa question. Bien entendu, l’idée lui semblait plaisante et lui qui la partageait parfois ne pouvait que le comprendre. Mais au lieu de s’imposer comme une évidence, elle était finalement sujette à débat. Il le lui dit.

- Même si tu vas me dire que tu t’en moque ou que tu ne comprends pas pourquoi je le pense. Je suis heureux que tu ais cette réponse à la bouche. Je crois que cet acte, aussi nécessaire ou satisfaisant pourrait-il être ne ferait que t’enfermer dans ce qu’il a essayé de faire de toi. Alors je vais parier sur la vérité ! lança Clay d’un ton plus joyeux que n’aurait dû l’être l’évocation d’un patricide. Il se mit à réfléchir à la question qu’elle venait de lui poser. Une question des plus pertinente encore une fois. Si le mensonge n’était pas son fort, elle possédait un sens aiguisé pour le choix du sujet. Devait-il mentir une nouvelle fois ? Ou au contraire jouer la franchise pour la prendre de court ?

Il prit le temps de la réflexion en détaillant l’iris glaciale de son « adversaire » puisqu’elle le voyait encore ainsi. Orageux la majorité du temps, il semblait plus brillant et clair à présent, moucheté de fins éclats tranchants plus sombre. Ayant trouvé sa réponse, il lui répondit.

- Il a tué ma Mère. Dit-il sans en rire cette fois-ci. Il s’empressa de trouver sa propre question, qui forcément fit écho à sa propre réponse.

- Tu te souviens de la tienne ?

-Je vois, dit-elle en demi sourire avant de boire sa gorgée de bière. Tu as donc fait le choix de commencer par un mensonge… Intéressant.

Même si la raison de ce mensonge semblait évidente, à savoir : garder la cause secrète. Ryn se sentait tout de même trahie, du moins… en quelque sorte.

- Effectivement, je m'en moque, railla la jeune femme, même si, quelques part, ses pensées rejoignaient les propos du mercenaire.

La prochaine réponse ne se fit guère attendre. Et, encore une fois, celle-ci parut particulièrement honnête… Mais pas comme la première. Cette fois, Clay se trouvait bien plus sérieux, son regard s'étant également assombri brusquement…

-Je suis peut-être naïve ou simplement stupide, mais je vais encore dire "vérité". Après tout, on pouvait très bien accuser n'importe qui de meurtre pour n'importe quelle raison. Par exemple, pour Rodrick, Aeryn avait tué sa propre mère… Question de point de vue, sans doute… Pousser quelqu'un au suicide pouvait également être considéré comme un meurtre. Clay pouvait ainsi faire simplement mention de sa propre interprétation… Ou bien dire les choses telles qu'elles étaient réellement.

-Non… Elle est morte en me donnant la vie. Je n'ai pas pu la connaître… m'en souvenir est donc tout bonnement impossible. Comment était la tienne ?

23 Mai 1167.

Il laissa durer le suspens quelques secondes, s’autorisant toujours son sourire silencieux. Mais après quelques battements de cœur bien assez long à son gout, il prit la parole.

- C’est tristement vrai. Je pourrais te trouver bien des raisons tout aussi vraies et sans aucun doute moralement plus noble. Comme le fait que c’est un homme de pouvoir, qu’on parle de bataille ou d’influence. Et malheureusement, comme la plupart des hommes de ce genre, il voit le pouvoir comme une fin en soi plutôt que comme un outil à mettre au service d’autre chose de plus important. Alors il peut sacrifier, selon moi, bien trop dans cette quête de pouvoir. Et j’ai surement quelques dizaines de raisons au moins équivalentes. Mais à bien y regarder, et aussi égocentré que cela paraisse, ma Mère est la première d’entre elle. Les autres finissent toujours par y trouver leurs origines quand j’y pense.

Bien que son sourire perdurât, un reflet triste s’égaya dans l’acier de ses yeux et il mit sans doute une seconde de trop à lui répondre. Sur ce sujet précis, le mensonge ne lui serait pas d’une grande aide. Il chassa quelque chose en se raclant la gorge.

- Malheureusement, je ne saurais pas te le dire précisément. Je me souviens de douceur, de sécurité et d’une nuit étoilée. Mais j’étais jeune, très jeune et mes souvenirs me semblent parfois bien plus issus de mon imagination en quête d’elle que d’événements vraiment arrivés. Alors disons que c’est plus ainsi que je me la remémore, que de dire qu’il s’agit « d’elle ». Tu as déjà eu envie de faire autre chose que de te battre ? Pas une envie d’aller pisser ou de dormir hein. Une envie de faire autre chose de ta vie ?

- On m'a dit une fois que je pouvoir rendait fou celui qui en était indigne… Je t'avoue que je suis incapable d'imaginer le poids que doit représenter les responsabilités qui vont avec… Mais rien, absolument rien en ce monde ne peut justifier le sacrifice de sa famille. Je n'ai pas eu un modèle familial idéal, je te l'accorde, mais du temps où nous étions tous ensembles, nous étions unis… Nous veillions les uns sur les autres et, sur le champ de bataille, je savais que je pouvais compter sur eux pour me couvrir. Ma mère comptait énormément pour Rodrick… Mes frères m'ont dit qu'il avait changé de façon radicale après sa mort…

Et en le privant à jamais de la femme de sa vie, ce petit nouveau né, arborant la même crinière rousse que celle qui venait de lui offrir sa vie, s'était fait un bien redoutable ennemi… Trois en réalité. Aren et Rohan, ses deux frères aînés, ne se faisaient pas prier pour venger la mort de leur chère génitrice. Au fond, il s'agissait là d'actes désespérés. Chacun de leur coup était empreint de leur amour perdu et de cette sensation d'injustice de devoir affronter le fantôme de leur mère réincarné dans cette petite fille qui lui ressemblait tant.

-Tu devais énormément l'aimer. Au moins as-tu encore quelques souvenirs à chérir. Ce n'est pas rien quand on y pense.

Elle n'essayait pas de le rassurer et encore moins de le consoler, Ryn se contentait simplement de dire ce qu'elle pensait à ce moment-là. Comme toujours.

- Heureusement que nous ne sommes pas tenus d'agir comme nos parents...

Lorsque vint son tour, Clay choisit de nouveau de la surprendre avec une question pour le moins inattendue. Le fait est que la mercenaire n'avait jamais envisagé de faire autre chose de sa vie, tout simplement parce qu'elle ne savait rien faire d'autre.

-Non, répondit-elle simplement tout en sachant que ce n'était-là qu'un demi mensonge. Mais peut-être devrais-je essayer … Même si je n'ai aucune idée de ce que je pourrai faire et encore moins si je saurai me passer de ce boulot. J'ai besoin de me battre, c'est comme ça. Tout simplement parce que c'était la seule chose qui lui permettait d'extérioriser toute la hargne qui s'accumulait en elle. Et toi, qu'est-ce que tu fais quand tu n'escortes pas des gens qui n'ont pas besoin de ton aide ou que tu ne veilles pas sur des personnes qui ne sont pas en danger ?

23 Mai 1167.

Clay fit la moue.

- Tu es vraiment certaine que « veiller » sur toi est le mot juste ? Pardon, ce n’est pas mon tour. Se corrigea-t-il, s’intimant le silence malgré la certitude que la volonté de Rodrick n’avait pas beaucoup à envier à l’ambition du sien en termes de cruauté et de dégâts causé. C’était juste une question d’échelle. En vérité, Aeryn n’était pas très différent d’un chien battu qui malgré la rage et la douleur ne pouvait s’empêcher de reconnaitre dans la main de son bourreau celle d’un maître bienveillant. Même devant l’évidence.

- Tu as raison, il faut chérir ce que l’on a plutôt que de regretter ce qu’on n’a pas… jusqu’à un certain point ! dit-il avant de lever son verre pour appuyer ses dires. Puissions-nous ne jamais devenir nos pères.

Il y avait tant de conviction dans sa voix que la déclaration ressemblait autant à une promesse qu’à une prière. Bien sûr il ne but pas, pour ne pas gâcher son court avantage, mais le cœur y était. Une fois de plus, il fut agréablement surpris de la voir sur une réponse nuancée plutôt que fermée. Il n’avait pas cru qu’elle serait capable d’admettre que cela serait envisageable, même si elle n’y était visiblement pas prête.

- Alors il faudrait te trouver les bon combats… suggéra-t-il, l’air songeur de celui qui commence à se faire une vague idée d’un projet. Au final, le petit jeu d’Aeryn ressemblait de plus en plus à une discussion ouverte. Et malgré sa promesse, elle ne lui mentait plus tant que cela… Il n’en dit rien, se contentant de répondre à son tour.

- Je parle avec des gens qui ne veulent pas me parler ! Je croyais pourtant que c’était évident !

Il rit de bon cœur, mais même s’il aurait pût se contenter de cette remarque dont elle était la principale témoin, il lui accorda un peu plus que cette véridique boutade.

- J’essaie de faire en sorte que les gens comme mon père n’écrasent pas les autres sous leurs bottes. Autant que faire se peut disons. Expliqua-t-il sans vraiment rentrer dans les détails. Malgré lui, il revint sur le sujet qu’il avait repoussé. Il n’arrivait pas à admettre sa vision presque idéaliste de son vécu qu’il imaginait terrible. Il n'aurait certainement pas dû.

- Ton père te battait ? Je sais ce que donne un maitre d’arme dur, mais je sais aussi où termine la leçon et où commence la simple violence. Alors, s’arrêtait-il vraiment à la leçon, le chef de ce groupe qui veillait sur toi ?

- Veiller dans le sens d'éviter la mort de l'autre, c'est déjà pas mal, rétorqua-t-elle sans humour.

Clay semblait trouver cela plutôt drôle, enfin… À sa manière. Cet homme-là jouait de l'humour pour un peu tout. Lorsqu'il leva sa choppe pour crier sa promesse, Ryn se contenta de sourire. Après tout, de bien des façons, elle ressemblait à son père, même si la jeune femme aurait aimé qu'il en fut autrement.

-Les bons combats hein, son sourire s'étira encore un peu tandis que son regard se perdait dans le liquide ocre. Qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Existait-il de "bons" combats ? Sans doute n'avaient-ils pas la même définition du mot. Clay évoquait sûrement les combats de l'esprit tandis que la mercenaire pensait très clairement à ceux mettant en scènes des armes ou des poings… et qui, dans tous les cas, impliquaient de la sueur et du sang.

Après tout, Aeryn avait été taillée dans la haine, façonnée par la violence. Elle n'avait toujours connu que ça et s'était construite tant bien que mal tout autour. Comment pouvait-elle seulement espérer faire autrement ou avoir besoin d'autre chose ?

-Des gens comme ton père hein ... Décidément, cet homme-là semblait bien important et Ryn commençait sérieusement à s'interroger à son sujet bien que consciente qu'il serait inutile de questionner Clay davantage. Vérité aussi, je suppose… Même si j'ai comme l'impression que tu as cessé de jouer, lança-t-elle.

La question suivante vint doucement titiller ses nerfs. S'il y avait bien un sujet que Ryn détestait évoquer, c'était bien celui-ci. La colère recommençait à s'infiltrer dans ses veines, lentement, mais sûrement… Comme pour essayer d'être le feu qui viendrait inéluctablement provoquer l'explosion qu'elle ne pourrait pas contenir, la mercenaire vida son verre d'une seule traite avant d'en commander un autre.

-Non, rétorqua-t-elle brusquement avant de pousser un rot particulièrement sonnore . Et ton père, s'est-il remarié depuis ? Paraît que c'est mal vu de rester célibataire chez les gens importants .

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Il se contenta d’un haussement d’épaule supplémentaire. Pas le moins du monde gêné par le fait qu’elle s’aperçoive qu’en effet, il était bien plus intéressé par leur échange que par la victoire.

- Rien dans tes règles n’interdit d’apprécier les réponses honnêtes ! Justifia-t-il. Bien entendu, malgré ce constat, elle mentit à sa question. La preuve en étant que la gorgée qu’elle prit pour le signaler implicitement noyait bien d’autres choses que sa défaite. Il choisit de ne pas creuser dans ce sens. Même s’il tenait à ce qu’elle ne se cache pas derrière de fausse vision d’une famille « soudée ». Il ne voyait pas non plus l’intérêt d’un couteau remué sur le sujet. Ils avaient la réponse.

- Je dirais même qu’il a peu tarder à le faire ! Le deuil n’est pas son activité favorite. Et si tu veux tout savoir, cette femme est clairement la pire des garces ! Tu me parais même aimable en comparaison, imagine un peu. Mais sans doute correspond-t-elle mieux à sa vision du monde.

Sa belle-mère n’était certainement pas son sujet favori, mais il y avait longtemps qu’elle ne le terrorisait plus. A tort sans doute. Elle n’avait rien perdu de sa dangerosité, bien au contraire. Mais aujourd’hui, il s’en moquait. Preuve s’il en fallait une, que les humains pouvaient s’habituer à tout pour peu d’en avoir le temps.

- Tu as déjà porté une robe ? contrattaqua-t-il soudainement avec son sourire de celui qui sait être un emmerdeur.

Elle aurait pu ressentir une certaine reconnaissance envers ce jeune homme pour ne pas avoir cherché à approfondir le sujet. Qu'importe sa réponse après tout, sa réaction avait parlé d'elle-même si bien qu'il était devenu inutile de dire la vérité. Qu'aurait-elle pu répondre d'autre, de toute façon ? Que son père avait commencé à la battre alors qu'elle tenait à peine sur ses jambes ? Que le traumatisme avait causé un retard d'apprentissage de la parole ? Que la plupart des cicatrices qu'arboraient son corps provenaient des sévices de son père et de ses deux aînés ? "Plutôt crever", se dit-elle tout en buvant la gorgée de la défaite, juste pour la forme.

-Et bien, pouffa-t-elle malgré le sérieux des affirmations du mercenaire. Ravie de ne pas arrivée en tête des pires garces de ce foutu duché, même si, visiblement je reste dans les dix premières.

Ce n'était absolument pas ce qu'il avait affirmé, mais l'alcool commençait doucement à laisser se manifester les petits effets sournois qu'ils pouvaient avoir sur la rouquine.

-Qui se ressemble, s'assemble, non ? Enfin, c'est c'qu'on dit en tout cas… Même si j'émets de sérieux doutes sur le sujet. Remarque, pour ce que j'en sais !

En entendant la nouvelle question de Clay, Ryn manqua presque de s'étouffer.

-Sérieux ? T'avais pas mieux ? railla-t-elle gentiment. Oui, j'en ai déjà porté, mais a l'époque je devais avoir trois ou quatre ans. Après ça, je n'ai porté que les vieux vêtements de mes frères. Et toi, t'en as déjà porté ?

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Le jeune homme se renfonça dans son siège et se gratta le menton, semblant réfléchir aux propos de son interlocutrice. Il se mit à compter sur ses doigts sous les yeux médusé et très légèrement embrumé de la jeune mercenaire. Il finit par hocher la tête et dit :

- Disons parmi les vingt première ! la corrigea-t-il tout sourire.

Comme elle, il n’était pas vraiment surpris que certains profils s’attirent, même s’il n’aurait pas parlé stricto sensu de ressemblance réelle. Si les méthodes pouvaient les rapprocher, voir parfois les rendre indissociable, les objectifs autant que les raisons pouvaient varier du tout au tout, quand elles ne s’opposaient pas littéralement. Malgré la colère confinant parfois à la haine qu’il éprouvait pour son géniteur, il reconnaissait le fin stratège et l’homme capable d’actes grandioses pour peu que cela serve ses intérêts. En revanche sa belle-mère représentait tout ce qui allait mal dans l’humain et choisissait, en tout cas, la voie la plus vile pour parvenir à son objectif.

- Tu devais être adorable, ta tête de ronchonneuse sur une petite robe, j’aurais payé cher pour voir ça ! Alors non, je ne regrette pas ma question, bien au contraire !

Il se pencha vers elle, posant sa main à demi devant ses lèvres pour éviter que d’autres n’entendent sa réponse et la limite du gloussement, il dit :

- Si tu veux tout savoir, oui ça m’est déjà arrivé. J’ai une cousine très convaincante ! Garde-le pour toi hein ?

Il lui fit un clin d’œil qu’il regretta aussitôt par un petit grognement douloureux que lui valut de tirer sur son arcade meurtrie. Ce qui ne l’empêcha pas de rester souriant.

- Tu sais et aime danser ?

-hm... grogna-t-elle face à la moquerie qui de Clay qui, malgré tout, lui permit de réaliser une chose : Ryn n'avait aucune idée de ce que pouvait être son tempérament lorsqu'elle était encore enfant.

Les souvenirs de cette époque avaient depuis bien longtemps déserté sa mémoire, les premiers datant de sa septième année, à peu près. En somme, tout ce qu'elle pouvait dire de sa petite enfance lui avait été raconté par ses aînés…

-Vraiment ? rétorqua-t-elle tout en essayant de se retenir de rire lorsque son esprit, embrumé par les relents d'alcool, s'amusa à dépeindre une image de Clay tout en mousseline couleur poussin. Lutter contre son hilarité alcoolisée fut bien évidemment impossible si bien que, encore une fois, le rire sonore de la rouquine vint troubler la quiétude des lieux. Et bien, je ne sais pas qui de nous deux pourrait payer le plus cher pour assister à ce genre de scène. Je ne connais pas ta cousine, mais je suis presque sûre que je saurai l'apprécier.

Encore une question étrange…

-Danser ? répéta-t-elle, perplexe avant d'avouer. Je n'ai même jamais essayé. Et, honnêtement, cela ne m'attire pas le moins du monde … C'est quoi ces questions au juste ? Aurais-tu décidé de te payer ma tête ?

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Clay rit de bon cœur en sa compagnie, sans doute moins influencé par l’alcool qu’elle, mais la prévint quand même du danger.

- Je suis certain qu’elle t’adorerait, mais prend garde, elle a un don pour te faire faire ce que tu n’aurais jamais cru pouvoir ou devoir faire. Tu finirais par danser en robe de bal après avoir simplement accepté qu’elle t’attache les cheveux.

Malgré le reproche nommé, il adorait sa cousine, les quelques des souvenirs heureux de jeunesse qu’il était, malgré tout, parvenu à acquérir l’incluaient la majorité du temps. Et il s’agissait souvent de grosses bêtises. Une pointe d’inquiétude le transperça à son sujet, mais il se savait impuissant à cette heure. Demain. Oui, demain il s’occuperait de cela. Il en revint à la conversation.

- Tu me demandes cela comme si mes questions devaient forcément concerner des choses douloureuses ou essentielles. Mais ! Même si tu me soutiendras l’inverse. Je pense que tu es plus complexe qu’un bref résumé d’une guerrière avec un problème au père et une tendance à la violence. Alors je pose les questions dont la réponse me permet de te découvrir, même à travers ce que tu n’aimes pas.

Il but une petite gorgée et précisa aussitôt :

- Je ne mens pas, j’ai juste soif ! Tu aimes tes cheveux roux ? Ou aurais-tu pas soucis de simplicité, choisit une autre couleur si tu l’avais pu ?

-Je doute fort qu'elle y parvienne, pouffa la rouquine avant de boire une nouvelle gorgée. A moins qu'elle ne tienne à nous humilier toutes les deux. Porter une robe avec mon attitude reviendrait à me travestir… Autant dire qu'il n'y a pas plus ridicule.

A ses yeux, Ryn restait un garçon, quand bien même portait-elle les cheveux longs. Plus personne ne l'obligeait à se vêtir de la sorte ou à bander sa poitrine et pourtant, elle continuait d'elle-même. Par habitude mais surtout parce qu'elle se sentait parfaitement à son aise dans ses vêtements masculins.

-Si je devais te faire la liste de tout ce que je n'aime pas, une soirée ne suffirait pas, railla-t-elle avant de réfléchir à sa prochaine réponse.

Par réflexe, elle se saisit doucement de l'une de ses mèches rebelles et emmêlées. La jeune femme en observa la couleur tout en se demandant ce qu'elle en pensait réellement avant de se rendre à l'évidence : elle s'en fichait complètement.

-Ce sont juste des cheveux, rétorqua-t-elle en haussant les épaules. Blond, bruns, roux… C'est du pareil au même non ? Ils ne m'ont jamais vraiment posé de problèmes à moi… c'est les autres que ça dérange. Par soucis de facilité, le mieux serait encore de leur crever les yeux. Ainsi peut-être pourront-ils s'attarder sur des détails autrement plus importants qu'une couleur de cheveux. Le beau, le laid… Tout cela semble énormément compter pour les autres… C'est stupide… Personne c'est fichu de s'accorder sur la définition de ces deux mots...

Blasée, la mercenaire fit passer la mèche de cheveux derrière ses épaules avant de replonger son regard dans celui du jeune homme.

-Et donc, qu'aimerais-tu changer chez toi ? lui demanda-t-elle en souriant. Voudrais-tu être roux ?

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- Parce que tu crois que je me sentais au summum de ma virilité quand elle m’a convaincue de le faire ? Répondit-il avec le même amusement. Un amusement renforcé par le fait on ne peut plus crédible que la liste des choses qu’Aeryn Monclar n’aimait pas aurait surement put remplir quelques salles.

Au contraire il fut étonnamment et agréablement surpris de sa réponse. Bien entendu, en fouillant, il aurait sans doute trouvé dans son éducation une façon de ne pas aimer la manière dont elle était parvenue à cette conclusion. Mais sortie de son contexte, il trouvait plutôt sain de voir les choses ainsi. Ce ne sont que des cheveux, il y avait autrement plus important. Bon il fallait quand même éviter l’énucléation généralisée, mais la philosophie, simple et évidente, restait agréable à entendre.

- Tu as bien raison, c’est stupide de s’attacher à ce genre de terme flou. Pourtant je trouve certaine chose plus belle que d’autres malgré tout…

Il s’offrit à son tour une petite gorgée, l’observant par le rebord de sa pinte, sans doute encore pour se désaltérer. Puis répondit.

- Je changerais mon sang si je le pouvais. Mais après tout ne suis-je pas qui je suis grâce à lui ? Je pourrais très bien finir par l’envier si je ne l’avais pas eu. Tout est relatif comme on dit. Et hors de question d’abandonner ma splendide crinière sombre ! Le roux c’est joli, mais ça fait moins mystérieux dans une scène épique ! Clama-t-il en souriant un peu plus qu’il ne le devrait. Surement la bière était-elle moins coupée ici qu’en ville.

- Tu comptes faire quoi demain ? Questionna-t-il soudainement.

-Je ne suis pas là pour juger de ta virilité, Clay. Qui suis-je pour critiquer tes goûts. Je préfère les vêtements masculins après tout … Tu as bien le droit d'aimer la flanelle et les frou-frous, le taquina-t-elle tout en levant une main en l'air. Inutile de te justifier.

Une petite moquerie n'a jamais fait de mal à personne, certainement pas d'aussi innocente que celle-ci. Aeryn commençait à apprécier cette légèreté, même si la mercenaire n'était certainement pas prête à le reconnaître.

-Tu as bien le droit d'avoir ton opinion et tes goûts, je suis personnellement incapable d'y accorder une quelconque importance… Enfin, disons que j'ai ma propre vision des choses. Pour moi, un lieu va être "beau" si je m'y trouve bien. Une personne sera agréable si son fond me convient… Tout le reste n'est que surface… n'étant pas certaine de se montrer claire, la rouquine grimaça avant de hausser les épaules. Mouais… bon, je ne suis pas sûre que tu puisses comprendre ce que je raconte. Je ne me comprends pas toujours moi-même.

Encore une réponse surprenante…

-Le sang… Au fond, il ne représente pas grand-chose. Pas plus aucun nom, d'ailleurs. Ce sont nos actes qui définissent notre valeur … Même s'il est vrai que c'est bien plus difficile de réellement nous distinguer lorsque nous sommes issus d'une lignée connue. Néanmoins, ce n'est pas impossible. Il faut juste se battre un peu plus que les autres pour laisser percevoir notre propre nature afin de nous émanciper réellement. À mes yeux, il n'y a pas plus belle victoire que celle de remplacer l'image liée à un nom par une autre. C'est pour cela aussi que je ne compte pas renier le mien… Même si, je suppose que nos pères ne représentent pas la même chose aux yeux des autres.

Il devenait de plus en plus évident que la place de Clay se trouvait à un tout autre niveau que le sien. Aeryn imaginait au moins le fils d'un grand général ou encore d'un noble. Peut-être pas un héritier, mais quelqu'un d'important tout de même. Évidemment, à ses yeux à elle, cela ne changeait rien du tout. La rouquine se fichait bien de tout ceci et restait elle-même en toutes circonstances.

-Je dois aller faire la connaissance de deux personnes qu'il me faudra escorter jusqu'au Labret. J'espère d'ailleurs pouvoir partir d'ici… Les festivités ne m'intéressent pas le moins du monde… soupira-t-elle. Pourquoi tu le demande ça d'ailleurs ?

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Un sourire, un rire et maintenant il avait carrément le droit à une boutade ! Mais où allait donc le monde si Aeryn commençait à prendre plaisir à plaisanter avec lui ? Vers un endroit qui l’emplissait de curiosité. Il rit, pas par objectif, pas pour la mettre en confiance, mais parce que quand elle le voulait, elle pouvait être vraiment drôle.

- Un jour je te montrerais ma magnifique garde-robe, tout ce tissuuu… Dit-il en appuyant volontairement le ton. Plus sérieusement il ajouta :

- Se battre un peu plus que les autres ne suffit pas toujours. Parfois, malgré les efforts que tu fais, les gens ne cesseront jamais de te voir à travers ton nom ou ton sang. Même s’ils disent l’inverse. Tu seras toujours le fils ou la fille de. Celui ou celle qui doit faire. Parce que sinon cela bouleverserait leur vision du monde et pour beaucoup, cela est impossible même face à la mort. Alors même quand tu auras prouvé mille fois l’inverse, ils te colleront dans cette petite case en laquelle ils ont besoin de croire. D’un pauvre sourire, il but, avant d’ajouter avec une certaine conviction :

- Note que même en sachant cela, il faut continuer d’essayer. Sinon, c’est leur donner raison.

Il parut surpris de sa réponse.

- Ah ? Déjà une autre mission ? Ma foi tu es sacrément prévoyante ! Cela dit, je doute que tu trouves un convoi en partance demain. Même si elles ne t’intéresses pas, peu de monde voudra manquer les festivités, que ce soit pour faire son beurre ou simplement s’amuser. Après tout beaucoup l’on bien mérité. Nous compris. Et je te le demande, parce que je reste jusqu’après demain, pour y prendre part je pense. Je me disais que si tu étais encore là demain soir et qu’on n’était pas tombé à travers une nouvelle porte d’ici là. On pourrait remettre ça ?

Un grand sourire d’emmerdeur se dessina sur son visage, mais il ajouta la suite avec un flegme maitrisé.

- On pourrait même faire la route du retour jusqu’au carrefour ensemble ?