[Quête] ⚜ Ordre, soin et prière ft. Louisa Courtepointe - 1er Juin 1167 ⚜

Ordre, soin et prière ft. @Louisa Courtepointe - 1er Juin 1167

Aloys fut conduit vers sa chambre par un(e) domestique, laissant la Baronne de Sombrebois méditer sur la menace planante sur son domaine. Il avait fait de son mieux pour conseiller la maîtresse des lieux, mais décidemment, la bonne femme n’en faisait qu’à sa tête. Certes, il s’agissait bien de son bourg, et évidemment, la décision finale lui appartenait, toutefois il n’avait pas apprécié la remise en question frontale qu’elle lui fit subir. Malgré tout, il comptait tout de même mener à bien sa mission ici, avant de repartir pour Lods ou Marbrume.

Arrivé dans sa chambre, il rangea ses armes sur un râtelier, puis ôta le gambison qui lui avait collé à la peau depuis maintenant trois jours. L’Employé(e) de maison s’activait, sceau à la main, afin de remplir un baril en bois pour la toilette du seigneur, après avoir allumé un feu de cheminée. Ce dernier s’était déjà installé à son pupitre, plume à la main. Le parchemin avait pour destination Lods, et appelait aux volontaires pour contribuer à la reconstruction du bourg de Sombrebois. Lorsqu’il finit d’apposer son sceau sur le document, l’on frappa à la porte déjà ouverte.

Il s’agissait de Neven, le chef de sa garde, se tenant debout, au seuil de la porte, le souffle coupé. Quand Aloys se leva pour se tourner vers la silhouette, la femme au teint mat et à la chevelure brune-châtaine, vint s'agenouiller devant son seigneur sans attendre même l’invitation à pénétrer dans la pièce.

« Monseigneur, que faites-vous ici ? Nous vous croyions à Marbrume. Votre fièvre… », s’exclama-t-elle, se relevant, étonnée par la présence du Baron à Sombrebois. « Nous patrouillions les alentours du bourg. Nous sommes navrés d’avoir appris votre arrivée avec du retard… ».

Un sourire se dessina sur le visage d’Aloys, rassuré de savoir ses hommes arrivés à bon port. Derrière sa chaise, il dissimulait les tâches de sang déjà sèches de son bas terni pour échapper à toute préoccupation inutile de la part de son interlocutrice. « Partie (la fièvre). Je suis venu dès que possible via le convoyage organisé par l’intendance du Roi. Ce dernier n’a pas été sans encombre, mais nous allons enfin pouvoir entreprendre les réparations du bourg. », répondit-il, en remettant la missive à l’hendoirienne. « Il nous faut solliciter l’effort des lodnésiens, une poignée de volontaires suffiront. Vous emprunterez l’un des chariots stationnés devant le fort au lever du jour. ».

« Oui Monseigneur. », répondit-elle, tout en rangeant le document dans sa sacoche. Quand elle remarqua la présence du domestique qui venait de finir de remplir le petit tonneau et quitter la pièce, elle réalisa que le moment n’était guère opportun pour converser davantage. Sans plus tarder, ils échangèrent par conséquent les aurevoirs, et la guerrière prit congé.

Enfin seul, Aloys retira sa tunique pour commencer sa toilette. Il s'était précédemment résigné à entrer dans l'une des baignoires de la salle d'eau au rez-de-chaussée, ses blessures étant encore fraîches. Il se lava les cheveux, puis favorisant l’utilisation de la serviette en lin, il nettoya les autres parties de son corps, prenant soin d’éviter les diverses coupures sur ses jambes. En observant minutieusement sa personne à la recherche d’autres lésions, le miroir révéla un large hématome sur sa poitrine. Il se souvint ensuite du défunt milicien qui eut été projeté sur lui par la créature pendant la journée. Alors qu'il passait la main sur la tâche bleue, l'on frappa une nouvelle fois à la porte de sa chambre. Il s'empressa donc d'enrouler le morceau de tissu autour de sa taille.

« Entrez. », fit-il, avant de s'installer dans le siège, près des flammes.

Neven:

Louisa s’était faite alpaguer par une de ses Sœurs dès qu’elle avait mis un pied dans le Temple de Sombrebois. Faisant confiance à Gaël pour garder un œil sur Margaux le temps d’organiser sa … détention, elle prit le temps de l’informer des circonstances un peu particulières qui amenaient tout ce beau monde au Temple et des instructions de la Baronne. D'autres se mirent immédiatement en action pour organiser le tout tandis que la première l’attrapa par le coude.
« Vous avez mérité un bain, ma Sœur… Venez… »

Elle allait suivre cette dernière quand un milicien arriva tout essoufflé aux portes du Temple et l’interpella.
« Vous… Vous êtes la prêtresse qui vient de Marbrume ? »

Louisa lui répondit d’un regard presque agressif. Elle était la seule couverte de boue, non ?! Il eut l’air de comprendre.
« Le Baron de Tourbière vous fait mander. Pour soigner ses blessures et… son repas. »

Louisa sembla pétrifiée dans son expression de colère et il prit la fuite. Intérieurement, la jeune prêtresse bouillonnait de rage et faisait de son mieux pour ne pas apparaitre comme une cinglée enragée devant ces Sœurs de Sombrebois qu’elle venait tout juste de rencontrer. Non mais il la prenait pour une bonniche ou quoi ?!

Elle prit une grande inspiration apaisante sous l’œil compréhensif de sa Sœur.

« Vous ne pouvez pas aller vous présenter comme ça devant le Baron… Allons vous rafraichir. J’ai peur qu’un bain plus confortable ne doive attendre…»

Louisa passa en mode automatique. Il n’était pas question de trainer. Manquerait plus qu’elle fasse attendre Monsieur le Baron. Elle suivit la prêtresse dans une petite pièce sombre, s’extirpa péniblement de ses vêtements poisseux et plongea dans un petit bac d’eau froide. Elle ne put empêcher un petit cri aigu de lui échapper au contact de l’eau glacée. Rien à dire, les thermes de Marbrume l’avaient ramollie… Elle se récura le plus vite possible avec des gestes machinaux et remit des robes propres amenées par sa sympathique aidante. Celle-ci lui avait également apporté une brosse avec laquelle elle balaya les traces du voyage qui maculaient ses cheveux. On lui tendit enfin une petite besace contenant du matériel de soin, qu’elle reçut avec gratitude et passa en bandoulière.

Pendant tout ce petit ménage, l’esprit de la jeune prêtresse… était ailleurs et la tension qu’elle ressentait pour Margaux s’était transformée en réelle anxiété. Pourquoi l’avait-il fait appeler elle ? Ce n’est pas comme s’ils avaient fait connaissance pendant le trajet. N’importe quel prêtre de Sombrebois aurait pu faire l’affaire. La suspectait-il de quelque chose qui serait lié à l’affaire de Margaux ?

L’estomac transformé en pelote d’épingles, elle faillit oublier sa pince à cheveux et la remit tant bien que mal en remontant la rue principale du bourg, courant presque. Elle ralentit devant l’entrée du château mais les gardes lui firent signe de passer.

Entrée dans le hall, elle s’arrêta un bref instant pour observer l’endroit. C’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans une demeure noble… Mais une servante l’attendait au pied des marches et lui tendit un plateau, lui rappelant bien clairement sa condition.

« Pour le Baron ? », demanda la servante, apparemment déjà sûre de la réponse puisqu’elle lui fourra le plateau dans les mains. « Premier étage. Quand vous sortez de la cage d’escalier, prenez à droite. Ce sera ensuite la deuxième porte à votre droite, ma Sœur. »

Louisa la remercia en grommelant, toujours partagée entre la colère et la peur. Et la fatigue aussi. Elle monta les marches, profitant de ce petit moment de répit pour observer encore les alentours et tenter de se distraire des scénarios catastrophe qui hantaient son esprit. Et s’il faisait ça juste pour l’éloigner de Margaux ?

Arrivée devant la porte, elle s’arrêta un très bref instant. Le plateau faisait un étrange bruit… Elle prit un moment à comprendre qu’en réalité, il tremblait sous les impulsions de ses mains devenues incontrôlables. Elle prit une profonde inspiration pour tenter de se calmer – sans grand succès -, porta le plateau en équilibre d’une seule main et toqua. Il fallait donner le change.

La voix du Baron s’éleva derrière la porte et elle entra, reprenant le plateau à deux mains pour éviter un drame tout en refermant ensuite le panneau de bois du pied.

« C’est Sœur Louisa, Monsieur le Baron. J’apporte de quoi vous soigner et votre… » Elle s’interrompit, ayant enfin relever les yeux du plateau tremblant pour le chercher dans la pièce. « … repas… »

Il était nu, le bougre ! Un simple morceau de tissu autour de la taille n’avait jamais trompé personne ! L’avait-il prise pour sa mère ?! Non, c’était impossible, il ne connaissait pas sa mère… Enfin, en ce moment précis, elle espérait de toutes ses forces que le Baron de Tourbière ne connaissait vraiment pas sa prostituée de mère.

Le rouge lui était monté aux joues sous le panel d’émotions qui lui donnait maintenant la nausée. Gêne, colère, peur et épuisement se volaient successivement la vedette. Elle alla poser le plateau sur une table de nuit puis joignit ses mains dans son dos pour tenter de masquer leur tremblement. Et là, Louisa se rendit compte que, pour une fois dans sa vie… elle ne savait pas quoi faire. La plupart des hommes la dégoutait mais celui-ci… l’effrayait. Et s’il l’avait fait venir ici juste pour la jeter dans les geôles auxquelles Margaux avait échappé, persuadé d’une sorte de complot quelconque ? Mais alors, il ne l’aurait certainement pas accueilli dans cet accoutrement ? Pas vrai ? Allez… Donner le change.

« Que… Mh… Voulez-vous que je traite vos blessures en premier ? »
De là où elle était, il était impossible de manquer les plaies qui ornaient ses jambes et l’ecchymose qui s’étalait sur son torse. Elle se décida à s’approcher en faisant passer la besace par-dessus sa tête. Mais peut-être voudrait-il manger d’abord. Le repas de Môsieur allait refroidir.

Impassible, le Baron de Tourbière toisait du regard la jeune femme qui venait de pénétrer dans la pièce après y avoir été invitée. Ses yeux balayaient les lieux, à la recherche de ceux du seigneur. De son siège, ce dernier prêta attention aux mains frémissantes de la prêtresse, tentant si bien que mal de ne pas renverser le plateau. Leurs regards finirent évidemment par se rencontrer, collision qui donna des rougeurs soudaines à celle qui se tenait debout, au bord de l’incident.

Était-ce la gêne ? De la colère ? Impossible à dire, mais le Baron de Tourbière retint la première supposition. Son interlocutrice ne semblait guère troublée, ses joues préservées, avant qu’elle ne découvrît sa personne, couverte au minimum. Toutefois, ses blessures l’exigeaient, et cela lui épargnait d’ôter ses vêtements devant la dame, générant éventuellement davantage d’embarras pour celle-ci.

« Bonsoir, Sœur Louisa. », répondit-il, réaffirmant une nouvelle fois sa présence. Son intonation précédemment belliqueuse avait désormais laissé place à la placidité la plus totale. Il l’observait désormais déposer le plateau sur la table de nuit. « Je vous prie de m’excuser pour ce manque de pudeur, je n’ai vraiment le choix. ».

La prêtresse se tenait à présent devant lui, maladroitement. Il regardait de gauche à droite, cherchant de ses yeux les mains dissimulées derrière le dos de la silhouette, comme si cette dernière allait le faire participer aux devinettes. Aloys n’appréciait point cette attitude, laissée ouverte à interprétation, et se tint prêt à parer un possible coup de couteau. Il demeura néanmoins calme face à femme de foi agitée, avec conviction que ceci lui donnerait l’avantage dans cette situation ambiguë.

« Je vous en prie. », l’invita-t-il à s’agenouiller pour examiner ses diverses coupures. « Certains plats se mangent froid, paraît-il. ». Il sourit légèrement, ne quittant point des yeux son interlocutrice, à l'affût d'une quelconque réaction. Enfin, celui qui n'était guère plus âgé que la soigneuse, se mit soudainement à l'interroger sur sa vie intime. « Avez-vous de la famille, Sœur Louisa ? En dehors du temple bien entendu. ».

Le Baron l’invita à soigner ses plaies en premier. Louisa s’en trouva ravie et ses excuses l’apaisèrent un peu. Se mettre en mouvement lui permettrait de masquer un peu mieux ses tremblements que de rester bêtement debout.

Elle commençait à comprendre ce qui la dérangeait chez Aloys. Contrairement à tant d’autres, elle ne parvenait pas à lire le Baron, à moins qu’il manifeste volontairement une émotion. Son impassibilité était sans faille et elle n’arrivait pas à savoir ce qu’il pensait d’elle ou dans quel état d’esprit il se trouvait. C’était très troublant.

Louisa s’agenouilla donc aux pieds du Baron, tentant de limiter un maximum les mouvements de ses yeux. Elle ne tenait pas en voir plus que nécessaire. Elle sortit le contenant de la besace et posa les divers récipients, chiffons et bandages au sol.

« Ça va piquer… », l’informa-t-elle, presqu’avec joie en s’attaquant à la tâche avec des gestes lents et précis, assise sur ses talons pour bien voir les plaies aux jambes du jeune noble.
Pendant ses gestes, une sorte de pierre cubique au milieu de son assortiment attira son attention. Elle ne savait pas si le petit objet se trouvait dans son sac ou s’il était déjà par terre lorsqu’elle avait déposé ses affaires mais elle n'avait jamais rien vu de pareil. Était-ce une particularité des marais ? Une pierre de guérison ?

La question du Baron la déconcentra et la surprit. S’il connaissait vraiment sa mère, elle allait lui balancer la petite pierre cubique à la tête… Ça ne ferait pas mal, mais ça ferait passer le message.
« Bien sûr… Une mère, un père j’imagine, et sept frères et sœurs. », répondit-elle d’une voix basse, pas très assurée.
Elle releva brièvement les yeux vers les siens, toutes ses interrogations quant à cette question personnelle dans le regard.
« Pourquoi ? », risqua-t-elle, l’estomac toujours au bord des lèvres.
Oserait-elle lui poser des questions sur Margaux ?

Quand la prêtresse s’agenouilla pour débuter le traitement des blessures du seigneur, ce dernier réalisa que les mains féminines figuraient vides. Il associa alors la précédente attitude de son interlocutrice à de la nervosité, ou bien de la timidité, en sa présence seigneuriale.

Du haut de son siège, index sur sa pommette et pouce sous la joue, il observait silencieusement la guérisseuse s’agenouiller auprès de lui. Celle-ci vidait à présent le contenu de sa besace sur le sol pour ainsi s’atteler à la tâche. Il fut averti des inévitables picotements, et il se redressa pour s’installer au fin fond de son siège, dont il serrait l’avant des accoudoirs.

Lorsque le morceau de tissu tenu par les mains expertes entra en contact avec les tâches pourpres, les poils du Baron s’hérissèrent et des frissons parcoururent son corps. Il fallut quelques secondes, avant qu’il ne s’adapte de nouveau à la sensation du désinfectant sur ses lésions. Ses muscles étaient désormais décontractés, le regard rivé sur les flammes crépitantes.

Aloys écouta d’une oreille attentive la réponse de la bonne sœur, bien qu’il pût paraître distrait. Il avait un talent exceptionnel pour analyser les dires de ses interlocuteurs, en déduire des informations. Celle qui se tenait à ses pieds n’avait soit jamais connu son paternel, soit le méprisait pour son irresponsabilité, ou peut-être les deux.

Au moment où la dame lui demanda le pourquoi de sa question, le jeune noble lui rendit son regard du coin de l’œil. « Vous me détestez. », répondit-il avec assurance. « Seulement, vous n’abhorrez pas tous les hommes, malgré l’absence de votre père. ». La joue en appuie sur son poing, il dévisageait maintenant son interlocutrice. « La manière dont vous regardez cet homme aux yeux bleus… Vous plaît-il ? », inquisita-t-il ensuite, un léger rictus aux lèvres. Il marqua un temps de pause avant d’apporter davantage de précisions à ces allégations. « Je veux dire par-là que vous lui faites confiance. ». La proximité des deux individus n’était point passée inaperçue tout au long du convoyage, ajouté à cela le fait qu’ils eurent plaidé bec et ongles la défense de l’enfant. Toutefois, un autre personnage manquait à l’équation. « Comment se nomme cet autre homme… Celui à la barbe broussailleuse d’un brun sombre ? », finit-il par demander. « Vous le connaissez. », affirma-t-il ensuite, sûr de lui. « Celui-ci a vaillamment combattu à vos côtés. Nous pourrions avoir besoin d’hommes comme lui. ».

Louisa avait de nouveau baissé les yeux sur sa tâche et s'attelait à appliquer l'onguent cicatrisant sur ses plaies lorsqu'il affirma qu'elle le détestait. Elle releva la tête pour le sonder. Le détestait-elle vraiment? Aurait-elle répondu à sa convocation si ça avait été le cas? Non. Elle aurait très bien pu trouver une bonne excuse pour ne pas se présenter et envoyer quelqu'un d'autre...

«Je ne vous déteste pas... Je ne suis pas tout à fait d'accord avec certaines de vos décisions, ou en tout cas avec leur théâtralité, mais ça ne veut pas dire que je vous déteste. Et je ne... conteste certainement pas certaines de vos conclusions.» Il y avait quelque chose de particulier dans toute cette histoire, avec Margaux, et la fiole. Elle était bien d'accord.

La référence à Gaël la surprit et elle se prit à réfléchir réellement à la question. Est-ce que Gaël lui plaisait? Certes, il était bel homme, mais le Baron n'était pas en reste. Elle en avait la preuve toute nue sous les yeux... Toutefois, elle s'était faite une promesse il y a bien longtemps: celle de ne pas tomber dans le même piège que sa mère et de gâcher sa vie pour une belle gueule. La confiance, par contre... Elle baissa de nouveau les yeux et commença à panser les plaies.
«J'imagine que oui, j'ai fait confiance au milicien et à Almère», elle accentua le nom, « pendant le trajet. Probablement parce qu'ils se sont personnellement mis en danger pour l'enfant et moi tout au long du voyage, et ce à plusieurs reprises, là où d'autres nous auraient volontiers jetées en pâtures aux bêtes pour gagner un peu de temps. Ce milicien qu'Almère a tué? Il l'a fait uniquement pour me protéger d'un homme mordu qui a perdu la tête au moment de mourir.» Elle eut un frisson au souvenir qui se rappela à son esprit. A l'homme délirant qui se trainait vers elle. Aux bruits effroyables des poings d'Almère qui s'abattaient sur le crâne du mourant. Elle se garda par contre de parler du sac de Margaux... «Quand à savoir si Almère combattra pour vous, il faudra le lui demander... Je n'en sais pas beaucoup plus sur lui ni sur les raisons de sa présence à Sombrebois.»

Les bandages en place autour des jambes du Baron afin de protéger ses blessures, elle se redressa sur ses genoux, un pot d'un autre onguent dans les mains et observa l'ecchymose qui barrait le torse du noble.
«Comment vous vous êtes fait ça?», demanda-t-elle doucement, sa main libre et froide tâtant le bleu à divers endroits pour tester son changement de coloration. Elle savait que certaines ecchymoses pouvaient cacher des blessures bien plus importantes, mais elle n'était pas assez formée pour en savoir plus. Tiens, elle tremblait moins...
Le pot ouvert dans une main, elle commença à appliquer le baume apaisant sur l'ecchymose. Il fallait normalement masser l'onguent jusqu'à ce qu'il disparaisse complètement mais la situation la gênait déjà suffisamment comme ça, aussi limita-t-elle ses gestes au minimum requis. Et puis, la position était tout à fait inconfortable. Toutefois, elle se décida à oser.

«Qui avait-il dans la fiole?», demanda-t-elle enfin, les yeux rivés sur son ouvrage.

C’est gagné.

Le Baron de Tourbière ne put s’empêcher de contenir un glorieux rictus suite à cette révélation. Non, il n’avait aucunement besoin d’hommes comme lui, d’un fauve à la folie sanguinaire, qui ne connaissait ni discipline, ni intégrité. Almère… Ce prénom lui suffisait. L’obscur individu serait indéniablement arrêté le lendemain, le temps d’être interrogé sur son éventuelle implication vis-à-vis de l’affaire en cours. Aloys avait obtenu précédemment l’autorisation de la Baronne de Sombrebois, le témoignage d’un crime commis envers la Milice et par conséquent la Couronne, il ne lui suffisait plus qu'à lever le petit doigt pour exécuter son plan.

Oui, il eut profité de la prêtresse pour extraire ces informations avec une facilité remarquable. Non, il ne se fichait point d’être détesté pour autant. D’autant plus quand il s’agit d’un représentant de foi, entre autres, un porte-parole direct des Trois. Au travers de son éducation pieuse, le Baron de Tourbière craignait tout aussi bien qu’il vénérait la Trinité. Toutefois, il avait la fâcheuse tendance à opérer dans l’ombre, à se méfier d’autrui quand il s’agit pourtant d’œuvrer pour le plus grand bien… ou dans les intérêts de la Couronne ? Il lui fallait avouer que, de temps à autre, la frontière lui semblait devenir floue entre ces deux concepts. Peut-être était-il encore jeune pour avoir le recul nécessaire.

Le seigneur ne pouvait s’empêcher de se sentir en confiance autour d’hommes et de femmes de foi, bien qu’il ne devrait point l’être. L’histoire avait prouvé que la croyance pouvait être elle-même pervertie. De ce fait, celle qui prenait soin de lui en ce moment-même, pouvait bel et bien se révéler affiliée au Cloaque ou à la secte des Purificateurs. Malgré sa naïveté et sa douceur apparente ? Impossible.

« Un homme de la milice s’est interposé entre une créature et… », il hésita avant de reprendre, « Moi-même. ». Il observait la main féminine se poser sur l’ecchymose. Froide, elle contrastait agréablement avec le corps brûlant du Baron de Tourbière, assit depuis un moment devant les flammes. « Nous fûmes projetés sur quelques mètres. », poursuivit-il, détournant à présent le regard, gêné. « Il n’a pas survécu. ». Il demeura silencieux quelques secondes, avant de déclarer avec conviction : « C’est pourquoi nous ne devons pas échouer, ici, à Sombrebois ». Le feu crépitait dans le reflet de ses yeux ocres, perdus dans ceux de la prêtresse.

Sans qu’il ne s’en rendit compte de manière immédiate, et sans aucun doute sous l’effet d’une forte détermination, la main d’Aloys avait saisi avec fermeté le poignet féminin. Il lâcha prise brusquement lorsqu’il prit conscience de son geste, malgré tout, sa main demeurait contre l’avant-bras de la prêtresse qui le questionnait davantage. « Du poison. », confessa-t-il à voix basse. Les rôles s’étaient désormais inversés, mais cela l’indifférait au fil des minutes. Il lui devait bien ceci après tout. Ses pensées s’emballaient, il ne parvenait plus à réfléchir clairement. Fatigue ? Chaleur ? Sorcellerie ? Possiblement un cocktail de toutes ces choses. Cela dit, beaucoup de désir. Inconsciemment, son autre main vint chercher les hanches de la prêtresse, l’invitant à s’installer sur ses genoux. Le toucher de la jeune femme, associé à différents facteurs, semblait avoir éveillé en lui un profond désir charnel. « Je… Laissez-moi vous aider. », proposa-t-il maladroitement, dans un moment de faiblesse, laissant de côté sa fierté et son assurance habituelle.

L’explication du Baron la rassura sur l’étendue de ses blessures. La possibilité d’une blessure interne était réduite avec un choc pareil et sans doute aurait-il réagi tout autrement aux doigts courant sur sa peau si quelque chose avait été cassé. Une simple contusion donc.

La soudaine prise du Baron sur son poignet la saisit et son autre main lâcha le pot d’onguent qui alla rouler sur le tapis. Elle releva ses yeux d’ambre écarquillés vers lui. La jeune prêtresse n’avait du coup pas d’autre moyen de marquer sa surprise lorsqu’il lui annonça le contenu de la fiole. Tout était plus clair… Aloys craignait un autre attentat contre le bourg, ou la Baronne peut-être…

Lorsque l’autre main du Baron vint chercher sa hanche, Louisa était tellement sous le choc qu’elle se laissa faire, sa main libre venant se poser instinctivement sur son épaule pour se stabiliser et l’autre toujours pressée contre son torse.

L’aider ? Comment pourrait-il l’aider ? Et l’aider à quoi ? Elle avait presque terminé d’appliquer l’onguent, qu’est-ce que- Oh, la pauvre Margaux. Les yeux maintenant baissés sur l’endroit où la main du Baron était toujours posée contre son avant-bras, un tourbillon de questions, de doutes et d’angoisses l’assaillaient. Car la prêtresse était bien certaine d’une chose : l’enfant n’agissait pas de sa propre volonté.

« Qu’est-ce qui pousse une enfant bien née à faire ce genre de choses ? Quel moyen de pression ont-ils sur elle ? Et que feront-ils quand ils apprendront qu’elle a échoué et qu’elle s’est faite attraper ? », fit-elle tout bas, les larmes aux yeux. Ils étaient si proches, il n’y avait pas besoin de parler beaucoup plus fort. Sur cette réflexion, la promiscuité de leur position lui apparut enfin, ainsi perchée sur les genoux du jeune noble. Jusque là, elle avait tiré un certain réconfort de la proximité du Baron. Elle n’avait jamais été si proche d’un homme, encore moins nu, avant. Elle ne se laissait normalement pas faire. Elle tournait le dos aux prêtres, invectivait les malandrins du Goulot, réprimandait les ouailles qui tentaient quoi que ce soit mais lui… Pourquoi l’avait-elle laissé faire ? La fatigue ? La relative sécurité qu’elle ressentait à ses côtés après deux jours de calvaire ? Ou le fait qu’au fond, elle savait qu’il tenait la vie de Margaux entre ses mains ?

Elle releva les yeux et plongea dans les orbes ocres du Baron. Ce qu’elle y lut était sans équivoque.

Oh

Une larme lui échappa enfin et coula le long de sa joue, l'effroyable tension des derniers jours ayant raison d’elle.

Questions, doutes, angoisses… Le Baron de Tourbière perçut la visible confusion sur le visage de son interlocutrice. Il ne s’était personnellement point sentit troublé de la sorte lorsqu’il découvrit le poison, n’étant aucunement lié à l’enfant, mais il ne put s’empêcher de ressentir l’affection de Sœur Louisa pour la petite âme. Il l’avait profondément bouleversée au travers de cette révélation succincte, tandis qu’il se livrait progressivement à une débauche inouïe.

Ses mains ardentes se faufilèrent au-dessous la robe de la prêtresse, explorant les courbes voluptueuses de la silhouette à sa merci. Il ne pouvait répondre aux questions dont il n’avait les réponses, uniquement émettre des hypothèses. Seulement, voulait-il les partager dans l’immédiat ? Futile, la vérité était à portée de main après tout, ici à Sombrebois. « Je l’ignore… », se contenta-t-il de répondre à voix basse, « … mais nous le saurons très bientôt. ».

Aloys observait les larmes perler sur les joues de Sœur Louisa. À vrai dire, il était impossible de les manquer à une telle distance. L’une de ses curieuses mains se retira subtilement de l’ample tissu pour venir essuyer du pouce les gouttes salées de l’humide joue gauche de la prêtresse. Son autre main, à présent en contact direct avec le dos féminin, l’empêchait de basculer en arrière. Il s’inclina ensuite pour lui murmurer dans son oreille, quelques mots propulsés par la chaleur de son souffle, « Je peux vous protéger. Vous… L’Enfant… ». Il venait d’ôter, simultanément et avec habilité, la pince à cheveux ornée de la femme.

Les mains du Baron sur son corps fatigué éveillèrent des sensations qu’elle aurait préféré éviter, son esprit toujours emprisonné dans un méandre d’émotions étouffantes. C’était la première fois qu’un homme la touchait de cette manière. Et elle ne pouvait pas dire qu’elle y était totalement insensible.

Une simple pensée la frappa alors avec toute la force nécessaire pour la ramener définitivement à la réalité et se résumait en une seule personne : sa propre mère.

Elle avait tellement blâmé sa mère… Pour ses erreurs qui les avaient tous enchainés dans une vie d’indigents et de parias. Et voila qu’elle se trouvait dans la même situation qui avait fait chuter la matriarche Courtepointe jusque dans les bas-fonds: à se laisser bêtement séduire par un jeune homme charmeur qui vous étourdissait de ses caresses au moment où vous étiez la plus fragile.

Pour la première fois depuis très longtemps, Lou’ eut une bouffée d’amour pour sa mère qui s’était ainsi faite piéger. La jeune prêtresse avait toutefois un avantage que sa mère n’avait pas : un exemple à ne pas suivre… Elle se rappela son éternelle promesse : ne pas faire les mêmes erreurs que Margot. Quel intérêt un Baron aurait-il pu avoir pour une simple prêtresse comme elle ? Il jouait simplement avec elle sans doute, et la laisserait sur le bord du chemin dès qu’il en aurait terminé. Elle refusait toutefois d’être ce genre de victimes. Mais comment l’éconduire sans mettre Margaux encore plus en danger ? Comment ne pas l’énerver, ou le vexer ?

Il s’approcha alors encore plus d’elle, sa main courant de sa joue à ses cheveux en un geste doux. Il lui murmura ensuite à l’oreille, des mots rassurants, sécurisants, d’un souffle chaud et d’une voix basse qui lui envoyèrent un frisson le long du dos. Pourquoi son propre corps la trahissait-il donc ainsi ?
Les larmes de la prêtresse se tarirent alors qu’il retirait sa pince à cheveux et que sa longue chevelure auburn se déployait dans son dos. Il fallait que cela cesse. Maintenant. Lou’ prit une petite inspiration, sa bouche elle aussi à hauteur de l’oreille du jeune noble.

« Je ferai tout ce que vous voudrez, pour l’enfant… Mais pas ça. Vous oubliez qui vous êtes, Baron… Et qui je suis également. », fit-elle enfin d’une voix toujours douce et à la fois bien plus assurée que tout ce qu’elle avait bien pu prononcer de la soirée. Elle ne souhaitait pas le contrarier plus que nécessaire, mais sa décision était sans appel. Elle s’écarta donc un peu de lui et chercha à nouveau le contact visuel. « J’ai prêté le serment des Trois, ce n’est pas pour cracher sur leurs enseignements à la première occasion. Les conséquences seraient peut-être minimes, voire inexistantes pour vous, mais avez-vous pensé une seule seconde à moi ? Je ne peux pas. »
La jeune prêtresse était peut-être fatiguée et en détresse, mais il lui en faudrait plus pour lui faire perdre tout intégrité. Et dans un coin de sa tête toujours cette petite voix qui hurlait cette fois : « Tous les mêmes ! Tous des salauds ! »

Ses deux mains posées sur les épaules du Baron, elle s’en servit pour se relever et se remettre sur ses pieds. Il n’y a pas de défi dans sa posture, c’était juste un fait. Elle se donnerait peut-être un jour à un homme, mais en prêtresse digne de ce nom, il faudrait d’abord qu’il lui passe le ruban, et elle voyait difficilement pourquoi le Baron se porterait candidat.

Alors que le Baron de Tourbière admirait avec ferveur la longue chevelure auburn se déployer dans le dos de la sensuelle silhouette, une voix lointaine fit appel à sa conscience éperdue. Mais pas ça… Et chaque seconde depuis, il sentit l’objet de son désir lui échapper. D’un souffle à l’oreille, la prêtresse l’envoya valser par-dessus bord. Il se noyait à présent dans un océan déchaîné de tristesse et de douleur. Était-ce cela, le rejet ? Quelques mots, juste assez pour emporter tout espoir et bonheur, des vagues de souffrance déferlantes sans relâche. Lèvres légèrement entrouvertes, les fissures dans le cœur du jeune homme semblaient s’étendre à l’infini, comme des crevasses dans un glacier. Seulement, ses yeux plongés dans ceux de la distante Louisa, refusèrent de laisser échapper les torrents de larmes glacées. Ce n’était pas son genre, il n’avait jamais appris à s’exprimer de telle manière. Peut-être dans une autre vie.

La main, posée inconsciemment contre sa propre poitrine, comme si son cœur lui venait d’être littéralement extirpé, il regardait le nuage sombre qu’il eut invité dans sa chambre se lever haut dans le ciel. Âme envahie, âme obscurcie. La douleur s’était frayée un chemin au travers du corps brisé et abandonné sur le siège. De ses doigts crispés, le Baron de Tourbière eut creusé dans sa poitrine, faisant naître une marque carmine et brûlante, comme pour effacer les traces de froid et de solitude, laissées par la brise glaciale qui s’était insinuée dans ses os. Les conséquences seraient peut-être minimes, voire inexistantes pour vous...

« Vous ne me connaissez pas. », répondit-il, froissé et blessé avant de poursuivre, « Je sais ce que c’est... Naître seul. ». Son regard s’était perdu dans le vide, semblable à celui d’une coquille sans vie. « Je n’ai connu mon père que très tardivement. Et je n’ai connu ma mère que très peu de temps. ». Aloys parvint à trouver la force pour se lever de son siège. « Alors je sais ce que c’est, de donner la vie d’une telle manière. Les conséquences que cela implique. », affirma-t-il.

Sans plus tarder, il enfila le haut et le bas de sa tunique, précédemment et soigneusement déposée sur son pupitre par l’employé(e) de maison. « Pendant un moment, j’espérais ne plus devoir marcher seul, dans les ténèbres. », dit-il. « Je me suis senti vulnérable et je m’en excuse. Mes responsabilités sont les miennes, et uniquement les miennes. ». Le noble lui tendait désormais la fameuse pince à cheveux qu’il eut dérobé auparavant. « Accepteriez-vous de rester quelques instants de plus… ? », hésita-t-il à demander. « Le temps d’une prière… ».

Les émotions qui se succédèrent sur le visage du Baron lui firent mal au cœur. Elle l’avait blessé… Dans sa fierté ? Mh, non, pas que… Elle craignit un moment une menace ou une contrainte qui ne vint jamais. Au lieu de ça, les larmes contenues achevèrent de l’attendrir. Elle savait que c’était un de ses gros défauts… Elle absorbait les émotions des autres comme une éponge. Même celles d’un homme qui, quelques instants plus tôt, l’avait prise pour une fille facile.

Oh, elle connaissait les grandes lignes de l’histoire du Baron en réalité, comme beaucoup de gens attentifs aux rumeurs au moment de son procès. Et si ses paroles la touchèrent encore un peu plus alors qu’il lui confiait ses blessures, c’est parce qu’elles résonnaient terriblement avec les siennes. Mais elles éveillèrent aussi une nouvelle étincelle de colère en elle.

Soudain, elle avait froid, loin des bras du Baron, et c’était comme s’il lui avait renversé un seau d’eau glacé sur la tête. Avait-il si peu d’estime pour elle ? Elle croisa ses bras sur sa poitrine comme pour s’étreindre elle-même.

« Alors pourquoi infliger cela à quelqu’un d’autre ? Pourquoi nous infliger cela ? », répondit-elle, sa vexation et sa douleur bien audible dans sa voix et son index faisant des aller-retours entre eux deux. « Ne pouvez-vous me montrer un tant soit peu plus de respect que votre père n’en a eu pour votre mère ? Ou mon géniteur pour la mienne ? »

Il s’était rhabillé et Louisa sentit l’un des nombreux poids qui pesaient sur sa poitrine se lever. C’était beaucoup mois déstabilisant comme ça.

Le Baron reprit alors la parole et s’excusa. Il s’ouvrait à elle, ce que peu d’hommes étaient capables de faire, et Lou’ reconnut la confession pour ce qu’elle était. Elle tendit la main pour récupérer sa pince à cheveux mais ne la remit pas tout de suite. Il fallait des mains stables pour fixer le volumineux chignon et c’était loin d’être le cas. Accepterait-elle ses excuses ? Elle trouva qu’elle en était capable… Ils étaient tous épuisés et éprouvés par les épreuves du voyage. Elle-même s’était laissée allée à une indécence qu’elle n’aurait probablement jamais tolérée autrement. Elle lui répondit donc d’une voix un peu plus calme.

« Je crains que l’amour charnel ne puisse combler à lui seul votre manque, Baron… Il n’est que passager. »

Comment Méli le lui avait-elle expliqué, encore ? Ah oui… Trouver quelqu’un qui vous traitait comme un partenaire, et pas un objet…

« Comprenez-moi bien, Baron. Votre confiance me touche. Vraiment. » Son désir aussi, si elle voulait être honnête avec elle-même. Derrière la peur, la fatigue et l’énervement, elle se sentait aussi un peu… flattée ? Mince.

Il lui demanda alors de rester, pour prier, l’expression plus ouverte que jamais, et Lou’ n’eut pas la force de le refuser. Elle se détourna de lui et alla s’asseoir sur le lit, ses pensées pour Margaux toujours en périphérie de son esprit. Si c’était tout ce qu’il fallait pour l’apaiser un peu et s’assurer de sa bonne volonté … Mais il n’était plus question de positions désastreuses. Elle n’allait pas le laisser gamberger debout, blessé comme il l’était, mais il était aussi exclu de se retrouver à ses pieds et encore moins, les Dieux l'en préservent, sur ses genoux. Elle serait à son niveau cette fois.

« Venez… », invita-t-elle en désignant la place à côté d’elle. Elle ne l’avait pas pris pour une homme particulièrement pieux mais elle n’arrêtait pas de se tromper sur lui alors…
« Vous pensez à une prière en particulier ? Pour les Trois ? Ou Rikni peut-être ? » Voila un terrain qui lui était beaucoup plus familier et sûr.

Cette distance soudaine, entre la femme et l’homme, avait laissé le froid pénétrer leurs os et engourdir leurs jambes, comme la morsure d’un serpent venimeux. Pendant un moment, la barrière invisible et le gel avait crée cette atmosphère oppressante, une solitude glaçante qui isola les deux individus. Âme vide et sans vie, le Baron de Tourbière regardait la dame récupérer la pince dans le creux de sa main viciée. La distance, aussi insaisissable que l’air et omniprésente dans la pièce, rendait désormais tout contact impossible entre la paire. Le jeune noble, impuissant, observait de ses yeux secs, les mains tremblantes de la prêtresse. Le lendemain, ils deviendraient des étrangers égarés dans la foule.

« J’ai pensé… Je pensais que la chose était réciproque. », tenta-t-il de se justifier tant bien que mal. Il jugeait son interlocutrice, bien trop dure avec ses mots. À son sens, celle-ci rendait l’offense impersonnelle et fondée sur des généralités. Il refusait d’être mis dans le même panier qu’un banal criminel, ou d’un insatiable homme-animal. « Votre toucher, votre regard… m’ont aveuglé. », poursuivit-il sans excès, « Je ne vous demande point d’accepter mon pardon, seulement d’essayer de comprendre la raison pour laquelle j’ai agis ainsi. ». Il n’était point du genre à prendre, ce qu’un haut-seigneur, pouvait se permettre de prendre. Il nécessitait une attraction mutuelle, et il considérait l’incident comme un malheureux malentendu, bien qu’il fût certainement interprété comme un abus de pouvoir. « Malgré tout, nous avons été conçus à travers l’amour. Charnel, interdit… Cela a-t-il une réelle importance ? », finit-il par dire, espérant donner de nouvelles perspectives à Louisa, « J’aime à penser que je suis né désiré. ».

Le Baron de Tourbière, avait conscience que les mots prononcés constituaient un blasphème, mais il ne put s’empêcher d’exprimer sa réelle pensée suite au jugement de la bonne sœur. Après tout, qu’était-il supposé faire ? Chercher le pardon pour les actes commis par ses parents, au risque de finir ronger par la culpabilité ? Ne point écouter son cœur et se haïr pour le restant de ses jours ? Il vénérait la Trinité, mais cette règle, ou plutôt dogme, lui paraissait défier toute logique naturelle.

Enfin, Sœur Louisa accepta la demande de prière, et Aloys suivit alors son guide spirituel vers le meuble destiné au coucher. Sur son chemin, le jeune homme tapa du pied contre un chose solide et concrète. Curieux de cette dernière, le genou désormais au sol, il souleva délicatement le drap pour jeter un bref coup d’œil sous le lit, où eut échoué l’objet. Celui-ci, verdoyant et rougeoyant dans l’obscurité, semblait de forme cubique. Un jouet appartenant à l’héritier de Sombrebois ? Ce n’était point surprenant, la chambre de la baronne étant voisine à la pièce. Peut-être que celui-ci s’était naturellement perdu. Finalement, « Rien d’important », prévint-il, avant de s’asseoir aux côtés de la prêtresse, sans tarder davantage. Il s’était installé à l’autre extrémité du lit, comme si un gouffre infranchissable eut été creusé entre les deux individus. Il craignait d’être visité par Rikni, dans ses rêves en ce jour si agité. Pas aujourd’hui. « Sérus. », répondit-il plutôt. Demain, nous continuerons à chasser sans relâche les ennemis de la Couronne. Décidemment, le jeune homme était voué à rester prisonnier de son propre isolement.

Était-ce réciproque ? Pouvait-elle nier que les attentions du Baron l’avaient emportée ailleurs l’espace d’un instant ? C’était très difficile à admettre et pourtant… Mais était-ce pour autant suffisant pour s’adonner ainsi aux plaisirs de la chair ? Sans attachement ni même… connaissance de l’autre ? Elle ne se souvenait même pas qu'ils se soient parlé pendant le convoi. Et la première fois qu’elle lui avait réellement adressé la parole, c’était pour le supplier de ne pas envoyer une enfant en prison. Superbe départ !

Mais toute attirance qu’il y ait pu avoir, il n’en restait pas moins qu’elle avait des principes, dictés tant par son passé que par sa foi. Et il faudrait plus que les beaux yeux du Baron pour qu’elle y renonce en un claquement de doigts. Devait-elle toutefois lui en vouloir d’avoir… essayé ? Mh… Elle savait les hommes faibles, plus prompts à penser avec une autre partie de leur anatomie qu’avec leur tête, et l’épuisement et la douleur n’avaient pas dû aider le noble à se contrôler.

« Il n’y a pas de pardon à accorder, Baron, je ne vous en veux pas. Mais l’amour charnel sans engagement est pour moi une flamme bien dangereuse… Elle vous brûle les sens autant que les ailes. J’espère que vous pourrez le comprendre également. » Elle ne rejetait pas le Baron en tant que personne, elle ne le connaissait pas assez pour ça. C’était toute l’idée de relation hors mariage qui lui donnait des boutons. D’ailleurs, ils avaient clairement une vision bien différente de leur bâtardise… « Ça en a eu pour moi, de l’importance… Mon géniteur n’a pas daigné prendre ses responsabilités, que du contraire, et ma mère n’a trouvé d’autre choix que la prostitution pour assurer notre survie. » Elle hésita un instant. Elle n’était pas sûre d’avoir voulu partager ce détail avec lui. Il expliquait pourtant à lui tout seul son point de vue… Mais elle continua : « Il n’y avait pas d’amour dans leur relation et je n’étais désirée par aucun de mes parents. Je n’étais qu’une erreur, un fardeau. » Sa voix s’était à nouveau durcie. Pas par énervement mais bien parce qu’il n’était plus question de craquer devant lui. Il avait déjà bien assez vu ses larmes. Ainsi le Baron avait-il eu de la chance, dans son malheur. Celle d’avoir un père qui avait fini par intervenir. Oh, comme elle avait prié pour que le sien vienne un jour la sauver, du constant mépris de sa mère, des violences de ses clients, de la misère dans laquelle elle baignait chaque jour. Pour qu’il débarque tel un prince des contes pour enfants et l’emmène loin, vers une vie meilleure. Mais il n’était jamais venu. Et elle était restée là, à la merci de monde et des hommes.

Assise sur le lit à attendre que le Baron la rejoigne pour une prière, elle prit un peu mieux conscience de l’endroit où elle se trouvait, du luxe qui les entourait. Aloys était dans son élément, ici. Il ne dépareillait pas avec le décor. La prêtresse quant à elle n’était pas à l’aise dans ce faste. Cette chambre devait à elle seule faire la taille de la pièce principale de sa maison familiale… Et ils n’avaient jamais eu de couvertures aussi douces ou de lits aussi moelleux que ceux sur lesquels elle était assise. Comme quoi, la vie tenait parfois à très peu de choses.

Il vint enfin vers elle et Louisa le vit cogner du pied dans l’objet cubique qu’elle avait remarqué plus tôt et qui roula sous le lit. Rien d’important, dit-il, en vérifiant sous le lit.
« Vous êtes sûr ? Cette pierre, j’avais l’impression qu’elle se trouvait dans le sac qu'ils m'ont donné, au Temple. » S’il s’agissait d’une possession du Temple, elle aimerait autant le leur retourner. Le Baron s’était assis suffisamment loin d’elle pour qu’elle ait la place de manœuvrer. Aussi, une main posée entre eux sur le lit pour se stabiliser, elle se pencha pour tâtonner de l’autre main en bordure de lit. Il était hors de question qu’elle se mette à quatre pattes. Enfin, elle sentit le petit cube sous ses doigts, alors qu’Aloys réclamait une prière à Sérus. Evidemment…

La jeune prêtresse se redressa, l’étrange objet entre ses doigts fins. Il semblait être animé de reflets absolument fascinants.
« Une pierre de guérison, peut-être ? Originaire des marais? », supputa-t-elle, en se tournant vers le Baron et en lui tendant l’objet pour le laisser tomber dans sa main. « Vous connaissez bien mieux les marais que moi… »