[Quête] ⚜ Ordre, soin et prière ft. Louisa Courtepointe - 1er Juin 1167 ⚜

Malgré ses vaines explications et le pardon soi-disant aucunement requis auprès de la prêtresse, le Baron de Tourbière ne pouvait s’empêcher de se demander si cet acte n’allait point écraser son âme. Au fil des ans, une douleur lancinante avait creusé son chemin dans cette dernière, laissant une empreinte indélébile sur son cœur. Lorsqu’il fut débarrassé de l’anonymat et qu’il eut récupéré son titre, il pensait pouvoir prendre un nouveau départ. En réalité, il eut été placé dans une autre prison, invisible, où plus que jamais, chacun de ses pas étaient scrutés et jugés, chacun de ses mots analysés et critiqués. Le Seigneur avait causé du tort à Sœur Louisa, alors qu’il devait par son pouvoir, montrer l’exemple et agir responsablement.

Il s’était contenté ainsi d’acquiescer les paroles de son interlocutrice, ne souhaitant davantage rendre la situation plus gênante qu’elle ne l’était déjà. Il voulut à l’origine un nom, et finit par avoir les yeux plus gros que le ventre. Peut-être que ce rappel était un signe des Trois, l’avidité le guettant depuis un certain temps. Il garderait ses ailes pour le moment.
Un géniteur n’ayant pas daigné prendre ses responsabilités… Il semblerait qu’il ne s’était guère trompé à propos du paternel de la bonne sœur. Toutefois, il regrettait ne pas avoir lu entre les lignes plus tôt. Suite à ses paroles hésitantes, il souhaita lui dire qu’elle avait tort, qu’elle eut au moins été désirée par sa mère. Que ce fût avant, pendant, ou après consommation, cela n’avait d’importance. Pour preuve, la génitrice eut continué à prendre soin de l’enfant. Il n’y avait pas plus grande preuve de responsabilité de la part d’un parent. Ce désir de survie n’était nullement autrement alimenté que par l’amour. Seulement, les mots ne voulurent sortirent des lèvres immuables du jeune homme. Peut-être qu’elle le réaliserait un jour, qu’elle verrait le passé sous une lumière différente… Pas aujourd’hui.

Ses mains jointes et les yeux fermés, il gardait le regard rivé vers l’avenir, priant Sérus de lui prêter la force nécessaire, du moins pour la durée du séjour à Sombrebois. Cependant, lorsqu’il entrouvrit l’œil, il aperçut la prêtresse tâtonner en bordure de lit. Celle-ci cherchait l’étrange objet sur lequel il faillit trébucher auparavant, au lieu de s’adonner à la prière. Il abaissa ses mains, observant à présent le cube reposer entre les doigts féminins. Lorsqu’il s’appropria l’étrange chose, il se leva pour s’approcher près du feu crépitant. Il espérait ainsi mieux identifier l’objet, le faisant tourner sur lui-même. « Je pensais que cette chose appartenait au Petit Seigneur. J’ignorais que cela faisait partie de vos biens. », dit-il en faisant davantage tournoyer l’objet, et invitant Sœur Louisa à le rejoindre près de la cheminée. « Je n’ai jamais vu une telle chose dans les marais. Je me souviens de ces cubes en bois pendant mon enfance, mais en pierre… ? Maintenant que vous le dites. », poursuivit-il, penché sur les flammes. « Peut-être devriez-vous le faire examiner auprès d’un expert, une fois de retour à la capitale. Vous pourriez certainement en tirer quelques pièces... », suggéra-t-il, embêté de ne pouvoir l’éclairer sur la mystérieuse pierre. Il tendit alors le bras pour lui rendre cette dernière.

Et si ce petit cube n'était pas un jouet ...

Et si tout ceci n'était pas un jeu ?

À moins que les jouets ne fussent les joueurs eux-même ...

Cela commença par un migraine lanscinante. De celles, sourdes, qui vous emplissaient le crâne des sourcils à l'arrière du crâne en pulsant au rythme du coeur.

Puis, la nausée. Un goût métallique et acide qui noyait la langue dans un marécage nauséabond.

Puis, le vertige. Tel un marin au milieu de la tempête, le pont se mit à tanguer et pourtant nul ma^t ou s'attacher, ni de cale pour s'abriter. Un bourdonnement ténu semblait recouvrir d'un voile épais tous les bruits qui étaient témoins des activité au-dehors.

Un clapotis timide se fit entendre.

tac

Les volets accueillirent une première goutte dans un bruit sec. tactactac Cela s'accélérait.

tactactactactactac

Plus de doute, la pluie commençait à tomber.

Puis ... le noir.

HRP:

Une douleur s'insinuait subtilement chez le Baron de Tourbière, qui tendait le bras pour remettre l'objet cubique à Soeur Louisa. Ce fut comme s'il voulait inconsciemment s'en débarrasser. Cela faisait quelques minutes qu'il observait le mystérieux artefact près du feu, et il ressentait au fin fond de lui une légère gêne, un étrange malaise. Était-ce le fait de se remémorer son enfance ? Avait-il enfoui certains souvenirs interdits dans les abimes de son âme ? Soudainement, la souffrance sourde et lancinante s'amplifia jusqu'à devenir insupportable. Tandis que le cube s'échappait de ses doigts, la meule d'affûtage s'acharnait sur les méandres de son esprit. Les tempes du jeune homme pulsèrent, ses yeux se plissèrent, sa mâchoire se crispa. La prêtresse, ainsi que les divers meubles de la pièce, se mirent à tournoyer tout autour de lui. Chaque crépitement provenant du feu de cheminée devint une torture, et la lumière des flammes lui brûla la rétine.

Enfin, sous cette sensation de pesanteur et l'enclume invisible, Aloys tomba à genoux. Le moindre mouvement se transformait en épreuve, la moindre pensée, en calvaire. Ses idées se brouillèrent ensuite, pour s'envoler, se dissiper, emportant avec elles concentration et énergie. Ce fut comme si un brouillard épais venait d'obscurcir son monde et de réduire ses capacités à néant. Comment un pareil objet, avait-il réussi à lui infliger une telle douleur, une telle angoisse, une telle impuissance ? Celui-ci avait presque instantanément drainé sa vitalité et sa sérénité pour laisser place au chaos. « Du poison... ? », murmura douloureusement le Baron de Tourbière.

Le sol continuait à se dérober sous les genoux du seigneur au front transpirant. Il s'appuyait désormais sur le sol de la paume de ses mains pour ne pas perdre la face. « Vous... », désigna t-il, pointant faiblement du doigt la prêtresse. Les murs s'étaient eux aussi rapprochés pour mieux l'oppresser, l'étouffant sans relâche. Le cœur battant à cent à l'heure, il respirait difficilement car l'air lui semblait manquer cruellement. Il lui était impossible de combattre cette effroyable sensation. Puis, ce fut au tour de ses membres fragilisés. Ceux-ci se mirent à trembler, ajouté à cela la contraction sévère de ses muscles. Finalement pris au piège et prisonnier de son propre corps, le Baron de Tourbière succomba aux ténèbres qui l'attendaient.

Louisa regarda le jeune Baron se lever pour s’approcher de la cheminée avec un sentiment grandissant de malaise qu’elle ne parvenait pas à identifier. Sa mention du Petit Seigneur la mit sur une piste : peut-être attendait-elle le moment où Aloys la rabrouerait pour la familiarité dont elle faisait preuve. Pas de titre, pas de fioriture. Bon sang, elle avait même haussé le ton… Elle se mordilla la lèvre inférieure, un peu appréhensive et son trouble s’aggravant maintenant qu’il avait remis de la distance entre eux. Et puis, cette petite voix dans le fond de son esprit qui lui disait, d’un ton amoindri par une soudaine douleur sourde, que c’était lui qui avait commencé les familiarités en fourrant ses mains sous sa robe.

Elle releva difficilement les yeux vers lui, soudain sensible à la luminosité du feu de cheminée, juste à temps pour apercevoir son geste d’invitation. Elle se leva sur des jambes tremblantes et alors qu’elle comblait l’espace les séparant, elle commença à se dire que quelque chose n’allait pas chez elle, la douleur sourde qui s’était installée derrière ses yeux s’intensifiant de façon paralysante. Elle n’avait jamais été sujette aux migraines.

Trop occupée à essayer de comprendre ce qui lui arrivait, la jeune prêtresse manqua presque les prochains mots du Baron et elle suivit son geste alors qu’il lui tendait le cube. L’objet semblait la narguer de ses reflets colorés, posé dans la paume d’Aloys.

Subitement, elle fut prise d’un doute alors qu’un élan de nausée la faisait déglutir péniblement. Elle avait des nausées en arrivant… Mais le genre de nausées engendrées par un stress intense. Celles-ci étaient différentes, accompagnées du pire mal de tête qu’elle ait jamais eu et surtout beaucoup, beaucoup trop soudaines. Elle n’avait jamais subi ou entendu parler de symptômes si rapides. Et ils se trouvaient pris dans une affaire de poisons… Par acquis de conscience, elle voulut balayer le cube de la main du Baron. Mais alors qu’elle rassemblait les forces qui lui manquaient, il lâcha le cube de lui-même et tomba à genoux. Seulement alors Louisa se rendit-elle compte qu’Aloys était aussi déjà affecté. Ils avaient besoin d’aide. Et vite.

Lou voulut faire un pas vers la porte mais un terrible vertige la fit tanguer et ses jambes ne supportèrent pas le mouvement, cédant sous elle. Elle tomba elle aussi à genoux alors que le Baron pointait un doigt accusateur vers elle. Un rugissement dans ses oreilles l’empêcha d’entendre ce qu’il disait, mais l’accusation était claire et la blessa inutilement. Quelle piètre empoisonneuse elle ferait si elle s’était empoisonnée elle-même…

Le monde tournait autour d’elle et son cœur battait la chamade. La prêtresse voulut crier, appeler à l’aide, mais sa voix resta coincée dans sa gorge serrée, tout comme son souffle. Elle lutta aussi longtemps que possible mais finit par s’effondrer sur le côté, la forme inconsciente du Baron sous les yeux alors qu’elle perdait connaissance à son tour, terrassée par la douleur et les vertiges.

L'étreinte rassurante des ténèbres qui apaise chaque maux ...

Le clapotis régulier de la pluie était le seul son qui semblait percer ce voile qui enveloppait les deux êtres qui s'étaient écroulés de façon moins érotique que n'avait semblé escompter le baron.

Les paupières s'ouvrirent alors ...

Aloys

Je crains qu'il ne s'agisse de la syphilis, Votre Honneur. Une forme que je n'ai jamais vu auparavant.

Le vieux médecin au crâne tavelé était penché au-dessus du bas ventre du baron. Des bésicles épaisses chaussées sur son nez aquilin, il grattait la couronne de cheveux blancs que lui avait laissé la calvitie. Il se retourna en laissant le jeune noble remonter ses chausses et s'en retourner derrière son bureau où s'entassaient mille carnets reliés de cuir.

Quelques aventures hasardeuses dernièrement, Monseigneur ?

Le médecin caqueta un petit rire complice qui se transforma bien vite en une quinte de toux. Le vieil homme porta un mouchoir à ses lèvres, lequel fut rougi de sang presque immédiatement. Il se ressaisit avant de poursuivre.

L'apparition de ces écailles sur la peau reste un véritable cas d'école.

Il pointait le bas ventre du baron de son index légèrement tordu et ridé.

Lorsque nous toucherons terre, il faudra que j'en réfere à nombre de collègues. En attendant, je crains de ne pouvoir faire grand chose tant que nous sommes en mer. Il n'y a que la quarantaine que je puisse vous proposer.

Le grincement régulier du bois et des cordages et le léger roulis frappèrent alors le patient. Cette petite cabine en bois, éclairée timidement par deux lanternes, ce clapotis persistant, le cri aigu des mouettes qui filtrait à travers les lattes laqués, il avait bel et bien quitté le plancher des vaches.

Louisa

Les paillasses avaient été installés en deux colonnes de part et d'autre de la cale. Une odeur âcre de sueur et d'urine flottait dans l'air. Les gémissements épuisés des patients répondaient aux invectives des soeurs qui tentaient de maintenir conscient un homme dont le visage était ravagé par d'étranges écailles grises sur la peau.

Des corps immobiles étaient recouverts d'un drap souillé et nauséabond, au pied du petit escalier qui menait vers le pont. Des matelots à la mine résignée les prenaient un par un, avant de monter les quelques marches vers l'air frais. Il ne fallait que quelques secondes pour entendre un "plouf" qui témoignait du sort qui attendait les défunts.

Une femme d'âge mûr, aux mèches argentées qui strillaient ses boucles brunes, passa en trombe entre les rangées de paillasses, la mine contrite.

Allons, ma soeur ! Un peu de nerf ! Ces malheureux ont besoin de notre aide, pas d'être observés comme des reliques !

Elle colla des linges tièdes dans les mains de la soeur avant de poursuivre sa route vers le fond de la cale d'un pas décidé. Aussitôt, un jeune homme allongé poussa un grognement enrouée en levant une main dans sa direction. Il avait les cheveux collés sur le front par la sueur et des écailles recouvraient la partie droite du visage, depuis la tempe jusqu'au cou. L'homme ne parvenait plus à articuler le moindre mot. Rien que des borborygmes insensés.

HRP:

« La Syphilis… ? », questionna le Baron de Tourbière, la voix pleine d’inquiétude. « Comment est-ce possible… ? », dit-il. Il n’avait aucun souvenir d’une quelconque récente relation sexuelle, ou encore de prostituées. Il remontait maintenant ses chausses, l’air pensif. Quand le vieux médecin au crâne tavelé l’interrogea au sujet de ses aventures, il n’était à vrai dire plus sûr de lui-même désormais. Il tentait de se souvenir avec vigueur, d’éventuelles courbes féminines, quitte à s’infliger une migraine. Ce fut ainsi que le visage de la prêtresse refit surface. Comment l’oublier ? Qu’avait-il fait ? « Sœur Louisa… » marmonna-t-il. Il regardait à présent l’ancien cracher violemment ses poumons dans un tissu rougeâtre. La scène paraissait presque surréaliste. « Vous… Vous allez bien ? », s’inquiéta le jeune homme. Était-ce son vieil âge qui lui infligeait tant de maux, ou bien une maladie incurable ?

Lorsque la personne âgée fit référence aux écailles sur sa peau, en pointant de son index flétri le bas du ventre seigneurial, Aloys se retourna soudainement pour entrouvrir son bas et jeter un coup d’œil, tâtant par la même occasion la zone affectée. Comment ne s’en était-il pas rendu compte plus tôt ? « Êtes-vous sûr qu’il s’agit bien de la Syphilis ? Est-ce guérissable ? », demanda-t-il, malgré les paroles incertaines de son interlocuteur. La maladie, invisible à l’œil nu, s’était alors semblablement faufilée dans son corps à son insu, se mélangeant potentiellement dans sa chair et son sang. Pourtant, au moment de cette discussion, il ne ressentait aucun mal de tête, aucune fièvre légère ou fatigue persistante. Ne s’était-elle pas encore attaquée à ses organes vitaux ? Il souffrait seulement d’hypocondrie, redoutant d’éventuels douleurs aiguës et de troubles physiologiques graves.

Comment allait-il faire face à cette maladie insidieuse qui lui rongeait le corps de l’intérieur ? Ce fut comme s’il se fut soudainement et brutalement retrouvé en-dessous d’une épée de Damoclès. Il se sentit tout à coup si impuissant. La mort, si survenue bien tardivement, ne l’effrayait point, il regrettait seulement de quitter ce monde froid si jeune, sans héritier, sans héritage… Néanmoins, pour le moment, Aloys devait faire preuve de courage, de patience et de résignation pour affronter cette adversité. Peut-être qu’il en apprendrait plus une fois à terre. « Terre !? », s’exclama-t-il en se retournant à tire-d'aile vers le vieux médecin. « Comment ça… Nous sommes en mer ? Comment !? », il balbutiait, regardant tout autour de lui. Jusqu’ici, il n’avait prêté attention au grincement régulier du bois et des cordages, au léger roulis, au cri aigu des mouettes… Il n’en croyait pas ses oreilles : la maladie, maintenant la mer. Il se précipita donc d'un pas déséquilibré et instable vers la porte de la cabine pour lever le voile sur la vérité. Qu'allait-il découvrir derrière celle-ci ?

La première chose que Louisa remarqua, ce fut la disparition de l’effroyable mal de tête qui l’avait mise à terre. D’ailleurs, elle n’était plus au sol mais bien campée sur ses deux jambes. Elle ouvrit subitement les yeux, une interrogation à destination d’Aloys sur les lèvres.
« Bar-? »

La prêtresse s’interrompit brusquement alors qu’elle enregistrait tous les détails de son environnement et tentait vainement de les raccorder à son dernier souvenir. Sauf qu’à part la nausée qui la secouait, emmenée par la terrible odeur de l’endroit et le roulis du plancher sous ses pieds, rien, mais vraiment rien, ne collait. Le Baron aurait dû se trouver juste là, à portée de main. Même ses cheveux étaient à nouveau attachés alors qu’elle se souvenait distinctement avoir laissé sa pince posée sur le lit du noble. Mais autour d’elle, même les visages des prêtresses lui étaient inconnus, sans parler des… marins ? qui agonisaient sur les couchettes. Est-ce qu’elle était sur un bateau ?

…

Mais qu’est-ce qu’elle faisait sur un fichu bateau ?!

Un élan de panique lui saisit la poitrine alors qu’une Sœur plus âgée la secouait et lui fourrait des chiffons tièdes dans les mains. Atterrée, Louisa n’eut pas le temps de réagir qu’elle s’éloignait déjà.
L’attention de la jeune prêtresse fut alors attirée par un des malades, à ses pieds, qui tendait le bras dans un mouvement désespéré. Par réflexe plus qu’autre chose, elle s’agenouilla à côté de la personne dans le besoin, les yeux rivés sur les écailles qui marquaient son visage. Quelle était donc cette terrible maladie ? Car elle avait beau ne pas être une spécialiste, il était clair que le jeune homme n’en avait plus pour très longtemps. Et qu’est-ce qu’elle faisait là, au milieu de ce cauchemar, par les Trois ?! Était-ce un de ces rêves plus vivants que la réalité ? Ou délirait-elle sous l’effet du poison qui les avait abattu ? Était-elle morte ?

Des marins descendant les escaliers étroits pour emporter un autre corps la détournèrent un instant du malade auquel elle ne voyait pas trop quelle aide apporter, à part un peu de réconfort. Il était condamné… Comme ce cadavre qu’ils emmenaient, probablement pour le jeter par-dessus bord vu les bruits qu’elle entendait.

Le souffle de plus en plus court et la poitrine de plus en plus serrée, Lou agrippa brusquement la robe d’une jeune Sœur qui passait à proximité.

« Ma Sœur, que se passe-t-il ? Où sommes nous ? », demanda-t-elle, interrogation et panique dans la voix.
Elle entendit à peine la réponse, alors que la sensation d’étouffement s’aggravait. Soudain, elle se releva et se précipita vers l’escalier qui semblait mener dehors. De l’air. Elle avait besoin d’air.

Personne ne daignait répondre à leurs questions ...

C'est comme s'ils se trouvaient au centre d'une pièce bien huilée et que chaque personnage déroulait son texte à la virgule prêt, sans jamais dévier des rails sur lesquels son rôle le conduisait ... Tout juste leur adressait-on un regard vide et un vague sourire avant de reprendre ses activités.

Aloys

Le vieux médecin essuya ses lèvres sanguinolentes en secouant la tête. La cabine s'était mis à tanguer un peu plus que précédémment. Les vagues qui heurtaient la coque claquaient avec plus de force. Le vieillard tendit le cou, révélant les écailles argentés qui le recouvraient.

Il semblerait que nous allons traverser un grain !

Il posa une main à plat sur son bureau pour ne pas être désiquilibré par le roulis qui s'accentuait avant de diriger ses petits yeux couronnés de sourcils épais vers le jeune baron. Vers lui ou simplement dans sa direction ? À y regarder de plus près, il ne croisait pas le regard avec son patient.

Je vous conseille de regagner votre cabine. Une mer agité avant même d'entendre gronder l'orage est souvent mauvais signe.

Le médecin se dirigea vers la porte fine qui menait à un couloir de bois et l'ouvrit avant de tousser à nouveau. Un filet de sang coula le long d'un sillon de peau tracé par les décennies qu'avaient vécus le grand-père.

Je ne peux que vous conseiller le rep ... Beuargh

La quinte de toux moucheta le visage du baron de sang noirâtre et visqueux. Le médecin s'effondra la seconde d'après ...

Louisa

Le souffreteux gardait les mains crispés dans les airs, tentant d'agripper des fantômes qu'il paraissait le seul à voir.

La soeur arrêta une nonne qui passait. Cette dernière l'observa en silence, souria timidement et se libéra de l'étreinte mollement avant de se diriger vers l'homme allongé tout près. Le duo de "fossoyeurs" redescendaient la volée de marche pour venir se saisir d'un autre corps alors que le roulis commençait à se faire plus fort.

Elle se dirigea vers le pont, faisant claquer ses bottines sur les planches du pont. L'équipage s'attelait à replier les voiles du mat d'artimon. Des hommes tournaient autour du cabestan qui grinçaient de façon inquiétande. Droit devant, des nuages noirs s'amoncelaient au-dessus de flots verts et gris qui gonflaient à vue d'oeil. Aucune terre à l'horizon, rien qu'une étendue d'écume et d'eau, partout où le regard se posait.

Les marins avaient la mine crispée, certains boitaient, d'autres toussaient à s'en décrocher les poumons. Tous voyaient quelques écailles étranges qui couraient sur leurs joues ou le dos de leurs mains.

Soudain, un mugissement profond ampli l'atmosphère. Un son si grave qu'il faisait vibrer le corps de quiconque l'entendait. En réponse, le grondement du tonnerre retentit avant que les nuages noirs ne grignotèrent le ciel laiteux.

La houle s'intensifiait ...

Le roulis éclatant fit presque trébucher le Seigneur, l’empêchant d’atteindre la porte de la cabine. Il se rattrapa à la dernière seconde, faisant appel à son équilibre. Il vint ensuite prendre appui contre un meuble lambda suite à la mise en garde du vieil homme. Ce dernier ne semblait pouvoir répondre à ses questions, toutefois, Aloys ne put s’empêcher de remarquer les écailles argentées sur le cou de son interlocuteur. Était-ce les mêmes que les siennes ? Lui aussi, était-il donc malade ? Pourquoi ne lui avait-il pas révélé ce détail ? Était-ce le destin qui l’attendait ? L’esprit dérouté et perturbé, la confusion s’empara du jeune homme qui haïssait se sentir impuissant et vulnérable.

Le vieux médecin semblait s’adresser à lui, sans pour autant s’adresser à lui ? Il lui conseillait désormais de regagner sa cabine. « Ma cabine… ? Où est-elle ? », interrogea-t-il dans le vide. Ce fut comme si un épais brouillard obscurcissait peu à peu sa pensée, l’empêchant de distinguer les contours nets des idées et des choses. Enfin, l’individu au crâne tavelé se dirigea vers la porte, devant le regard éberlué du Baron de Tourbière. Le sillon de peau couvert de rouge, suscita chez Aloys un sentiment profond de répulsion. Il fit deux pas en arrière suite à cette vision repoussante. Il était également dégoûté par l’idée de dépérir ainsi.

Alors que l’ancien débuta une nouvelle phrase, sa quinte de toux refit surface, plus violente cette fois-ci. Des gouttelettes noirâtres et visqueuses furent projetées sur le visage du nobliau, qui essaya vainement et trop tardivement de se protéger de ses mains en guise de réflexe. Il essuya promptement sa joue de son gant, envahi par une extrême aversion. « Coprolithe ! », s’exclama-t-il, à la vue du vieux médecin s’effondrant « Hé ! … », il se pencha au-dessus de la personne âgée, la secouant, comme pour la réveiller, inutilement. « Vous m’entendez ? », demanda-t-il sans retour. Il le plaça alors en position latérale de sécurité pour prendre son pouls. Son cœur, s’était-il arrêté ? « Bon sang, il faut que je sorte d’ici, demander de l’aide… Réfléchis… », se dit-il à lui-même.

Les souvenirs lui revenaient progressivement, pourtant toujours aussi flous. Il se souvenait désormais vaguement de Sombrebois, de la prêtresse, d’une histoire de poison… Avec certitude, il revoyait le visage de la femme, avant de perdre connaissance. Toute forme vacillait par le passé, ses lèvres… L’eut-elle moqué avant qu’il ne s’effondre ? Était-il mort, prisonnier d’Etiol ? Ou bien, Rikni lui jouait-elle un tour, en ce moment-même ? Il observait ses mains gantées. Ce corps lui semblait simultanément réel, et non réel… L’avait-on kidnappé, drogué ? Son rythme cardiaque s’accéléra, et il tremblait de tout son être. Une sensation de chaleur l’avait submergé. Ce n’était que de la colère face à la trahison et l’injustice. Il était à présent frustré de s’être fait avoir si bêtement. « Puterelle, je vais t’étriper », se promit-il à lui-même, serrant le poing.

Il s’éloigna du cadavre pour venir retourner le bureau du vieux médecin, espérant trouver une quelconque réponse à ses questions, des indices qui seraient susceptibles de l’éclairer sur sa situation actuelle. Il feuilleta un bon nombre de carnets en cuir. Qu’allait-il découvrir ? Une fois qu’il eut terminé d’investiguer le bureau, il irait s’approprier l’une des lanternes de la cabine pour ensuite s’aventurer dans le mystérieux couloir de bois.

Louisa grimpa les marches quatre à quatre pour atteindre le pont. Son élan la fit avancer de quelques pas supplémentaires. L’air frais mais étrangement salé lui fouetta le visage alors qu’une nouvelle scène se déroulait sous ses yeux. Elle était bien sur un bateau… Un damné bateau… Ses pieds la portèrent jusqu’au bastingage et elle fit face à la mer déchainée, le roulis s’intensifiant sous elle. Et dans son esprit, toujours les mêmes questions : que faisait-elle ici ? Comment était-elle arrivée là ?

Lorsqu’elle rêvait, ou plutôt cauchemardait, elle n’en avait normalement pas conscience alors qu’en ce moment précis, elle se rendait bien compte que quelque chose n’allait pas. Dans ses rêves, les personnes inventées par son imagination réagissaient de façon relativement logique alors qu’ici, sur ce bateau, les gens qu’elle croisait lui paraissaient étranges, évitant son regard ou donnant l’impression de voir à travers elle. Même maintenant, alors qu'elle était adossée au bastingage, les mains agrippées au rebord, les matelots s’attelaient à leur travail, préparant le navire pour la tempête et leurs yeux passant sur elle comme si elle faisait partie du décor. La réaction de la Sœur qu’elle avait interrogée plus tôt la dérangeait aussi, comme si elle n’avait même pas entendu ses questions.

L'angoisse toujours bien présente, Lou' aurait donné n'importe quoi en ce moment pour apercevoir un visage familier. Même le cinglé de milicien qui avait agressé Margaux ou l'infernal Baron ferait l'affaire.

Le souffle toujours très court bien qu’un peu apaisé par l’air frais, la jeune prêtresse essaya de remettre de l’ordre dans ses idées. Même si elle était en plein rêve, ou en plein délire, rester sur le pont d’un navire alors qu’une tempête approchait ne semblait pas être une bonne idée.
Essayant de rester hors du chemin des marins, elle recula vers l’arrière du navire et les cabines. Ce bateau devait bien avoir un capitaine, qui devait avoir un bureau. Peut-être pourrait-elle trouver quelque chose, n’importe quoi, pour la mettre sur une piste. Une carte, une date ? Quelqu’un qui n’avait pas cet étrange regard ? L’état de l’équipage était également préoccupant. C’était comme si personne n’était épargné par la maladie et elle aimerait autant mettre de la distance entre elle et ces gens. Un doute lui retourna alors l’estomac et elle observa ses mains, seule partie de son corps qu’elle pouvait aisément voir, puis elle remonta frénétiquement ses manches, autant que ses épaisses robes le lui permettaient.

Un terrible rugissement retentit alors, l’amenant à se plaquer dos contre une paroi en bois. L’horrible et étrange bruit lui avait retourné les entrailles, les jambes maintenant flageolantes, et conjura d’affreuses images dans son esprit, allant du bateau se déchirant en deux par le milieu au monstre marin des contes d’horreur surgissant des eaux déchainées. Ses mains cherchaient maintenant désespérément une poignée de porte alors que la houle manque de la faire chuter. Mais que se passait-il ?

Aloys

Le corps du vieux médecin s'était effondré devant la porte tel une poupée de chiffon. Le corps ratatiné dans ses frusques sanguinolentes obstruait timidement la sortie, rien qu'une grande enjambée n'aurait pu outrepasser.

Le baron se dirigea vers le bureau, cherchant des réponses aux mille questions qui semblaient l'assaillir. Les carnets reliés de cuir s'empilaient dans un fatras où seul le propriétaire pouvait s'y retrouver. D'une main légèrement fébrile, il se saisit d'un premier carnet et l'ouvrit.

Citation :

eeee eeee eeee eeee
eeee eeee eeee eeee
eeee eeee eeee eeee
eeee eeee eeee eeee

Il en prit un autre.

Citation :

eeee eeee eeee eeee
eeee eeee eeee eeee
eeee eeee eeee eeee
eeee eeee eeee eeee

Dans chaque carnet, sur chaque page, la même chose était visible. Une même lettre, répétée à l'infini. Les tiroirs étaient remplis de carnets au contenu identique. Alors que le jeune noble se décidait à quitter la cabine pour partir explorer le navire qui continuait de tanguer, un grondement sourd fit vibrer l'air, le bois et jusqu'à ses propres entrailles. En réponse, un cliquetis ressemblant presque aux bruissements des ailes d'un criquet s'éleva depuis l'embrasure de la porte.

Une forme se redressa devant le couloir de bois qui s'étirait au-delà de la porte. Les loques glissèrent sur les écailles grises qui couvraient le corps de ce qui fut auparavant le vieux médecin. Le visage n'avait plus rien d'humain. Des yeux noirs et disproportionnés s'étiraient sur le côté d'une tête oblongue. Des mandibules s'agitaient devant une bouche verticale. La créature poussa un cri suraigu en observant le baron.

S'il voulait franchir la porte, il devrait passer outre ce ... gardien ?

Louisa

Cramponnée au bastingage, la religieuse comtemplait les flots qui s'agitaient de plus en plus. L'équipage continuait sa besogne sans sembler dérangé par le roulis qui s'accentuait de seconde en seconde. Les nuages approchaient du navire ... Contre le vent ...

Rien ne parassait naturel dans cette tempête. Un nouveau grondement retentit, faisant geindre le bois de la coque et des mâts.

Quelque chose tomba du grand mât et heurta le pont dans un bruit sec. Il n'était compliqué de comprendre que c'était un corps. Probablement un des acrobates qui attachaient les voiles à l'armature pouvait-on en déduire. Ce qui aurait du créer l'émoi des autres marins fut pourtant accueilli dans l'indifférence générale. Chacun continuait à oeuvrer en silence.

Le corps se redressa, révélant un visage couvert d'écailles aux yeux noirs et globuleux qui se tournèrent vers la soeur. Les mandibules qui grouillaient à l'avant de ce visage repoussant s'agitèrent dans sa direction. Après un instant qui sembla estomper tout autour de la femme et de la créature, cette dernière se rua en avant en sifflant.

D'autres marins s'effondrèrent au même instant autour du cabestan ...

Au-dessus de la pile de carnets reliés de cuir, le Baron de Tourbière se tenait perpexle, incapable de saisir la signification de ce qui demeurait encré sur le papier. « eeee eeee eeee eeee… ? » s’interrogea-t-il à voix basse. Les mots semblaient flotter dans l’air, comme des papillons éphémères, indiscernables et insaisissables. Il feuilleta plusieurs pages du carnet, en saisit un autre. Le jeune noble avait l’impression que son cerveau était en train de tourner en rond, cherchant désespérément à trouver un sens à ce qui lui était présenté. Il retournait les petits cahiers de poche dans tous les sens, espérant trouver un pattern dans la suite de lettres. Or, plus il réfléchissait, plus il se sentait confus, comme s’il fut en train de se noyer dans un océan de pensées contradictoires.

Derrière le bureau, il regardait le corps du vieux médecin qui s’était effondré devant la porte tel une poupée de chiffon, comme s’il attendait toujours une réponse de sa part à ses questions muettes. Les yeux de l’ancien demeuraient vides, ses expressions énigmatiques. Aloys se sentait seul, abandonné dans un monde étrange où tout était incompréhensible. « Par les Trois ! », s’exclama-t-il, envahi de colère, saisissant la pile de carnet pour la balancer plus loin au sol. Les secondes s’étiraient en minutes, et les minutes en heures. Il se sentait de plus en plus isolé, comme s’il était la seule personne au monde à ne pas comprendre.

La frustration grandissait en lui, mêlée à une tristesse profonde. Pourquoi était-ce si compliqué ? Pourquoi ne pouvait-il pas simplement comprendre ? Pour trouver les réponses aux mille questions qui l’assaillaient, devait-il quitter la cabine pour partir explorer le navire ? Vraisemblablement. Alors qu’il se résigna à accepter l’incompréhensible et l’inexplicable, le Baron de Tourbière fut tiré de ses pensées par un grondement sourd, suivi d’un cliquetis ressemblant presque aux bruissements des ailes d’un criquet.

Devant le couloir de bois qui s’étirait au-delà de la porte, une indescriptible forme s’était redressée pour venir s’approprier le corps du vieux médecin, recouvrant totalement ses écailles grises. Le cœur du Tourbien se mit à battre intensément, sa respiration se faisait haletante et ses mains tremblaient. Que se passait-il ? Il était tétanisé, figé sur place, incapable de bouger. Devant lui, une scène d’horreur se déroulait lentement, comme au ralenti. Le visage du vieil homme n’avait plus rien d’humain et ses yeux précédemment vides étaient devenus d’un noir profond. Disproportionnés, ils s’étiraient sur le côté d’une tête oblongue. Un Fangeux ? Les mandibules s’agitaient devant la verticale gueule. Négatif, il n’avait rien vu de tel auparavant… Le fléau, avait-il muté ? Le cri suraigu de la créature qui l’observait, les battements de son propre cœur, tout se mélangeait dans un chaos effrayant.

Finalement, le Baron de Tourbière parvint à surmonter l’effroi, car s’il voulait franchir la porte, il allait devoir passer outre l’abomination, qui visiblement ne lui voulait pas que du bien... Il saisit fermement la chaise de bureau pour la jeter en direction du monstre, espérant l’étourdir brièvement pour se faufiler dans le couloir. Était-ce assez ? Le cas échéant, il se précipiterait sur l’une des lanternes pour la lancer sur la créature, dans l’espoir de créer une nouvelle opportunité d’échappatoire.

Toujours adossée à une paroi, ses mains cherchant frénétiquement une échappatoire derrière elle, Louisa s’interrompit en voyant un corps tomber du mat. Le bruit produit par l’être s’écrasant sur le sol était probablement l’un des plus horribles qu’elle ait jamais entendu et elle resta paralysée quelques instants, son souffle coincé dans sa gorge. Autour d’elle, personne ne semblait avoir remarqué la chute alors qu’elle cherchait vainement du regard une réaction qui aurait pu paraître logique. Au lieu de ça, les marins s’afféraient toujours sous la menace grandissante de la tempête. En parlant de tempête… Est-ce que les nuages avançaient contre le vent ?

La prêtresse n’eut pas le temps de vérifier son observation que le corps qui s’était abattu au sol commença à bouger pour finalement se relever dans une forme grotesque et cauchemardesque : celle d’une sorte d’insecte à la peau écaillée, aux yeux exorbités et aux mandibules répugnantes. Elle détestait tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un insecte… Un frisson de dégoût et de peur la traversa alors tout entière. Était-ce l'un des marins qui déambulaient sur les cordes qui s’était transformé en cette horreur ? Était-ce ce qui attendait tous ces malheurs donc la peau arborait ces fameuses écailles grisâtres ? Était-elle affectée elle aussi ?

La créature la regardait, agitant ses mandibules et ses membres dans sa direction et Lou’ sut qu’elle n’échapperait pas à l’horreur. Elle était acculée et devait prendre une décision, rapidement. S’il y avait d’autres monstres dans les cabines, elle perdrait toute marge de manœuvre en s’y rendant. Elle n’était pas une combattante et se trouverait coincée dans un espace réduit… Redescendre dans la cale remplie de malades reviendrait au même. Oh, et bien sûr, elle ne savait pas nager.

La bête se jeta alors vers elle et Louisa laissa échapper un cri de terreur alors que ses réflexes s’enclenchaient. Évitant de justesse la chose qui alla percuter la paroi de bois, la jeune prêtresse se précipita vers le cordage du navire et commença à grimper comme elle le pouvait pour mettre autant de distance que possible entre elle et la créature. Elle ne savait peut-être pas se battre mais elle était plutôt agile. Dès qu’elle eut pris un peu de hauteur toutefois, elle les vit eux aussi : tous ceux qui s’étaient effondrés au sol comme des poupées de chiffon. Une litanie de prières passa ses lèvres. Que les Trois la protègent, par pitié… Était-ce là sa punition ? Mais pour quoi ? Qu’avait-elle fait pour mériter cela ?

Aloys

La créature su rua en avant pour se faire accueillir par une chaise qui l'envoya valser contre les parois de bois de la cabine. Dans un fracas qui mélait les crissements de l'étrange bête et la plainte du bois qui avait rencontré sa cible, le chemin vers le couloir qui tanguait au rythme de la houle se dégagea. Visiblement étourdi, l'hybride qui fut le médecin agitait mollement les bras dans l'air dans un effort pathétique pour attraper celui qui était devenu sa cible.

La voie était libre ... Le couloir de bois semblait vide. Quelques portes fermées apparaissaient de part et d'autre et tandis que le jeune homme avançait, il entendit que son prédateur s'était redressé dans son dos. Le sifflement de la Bête se fit plus mauvais encore que précédemment, la chasse reprenait, mais la proie avait pris de l'avance.

Les portes étaient fermées et le couloir ne semblait pas connaître de fin. Mais quelle taille pouvait bien faire ce maudit bateau ?

Louisa

Intrépide et agile religieuse ... La voilà, escaladant le bastingage avant de grimper sur les filets qui montait de part et d'autres du grand mât vers les huniers et les perroquets. Sur le pont, après l'effondrement des hommes qui faisaient tourner le cabestan, d'autres s'affaissèrent un peu partout. Les fossoyeurs de fortune qui balançaient les corps par-dessus bord basculèrent en arrière en tentant d'amener un nouveau corps sans vie en haut des marches qui venaient de la cale.

Les corps s'ffondraient comme des paquets de linge sale avant de se redresser en arborant ce visage insectoïde et ces écailles argentés que la religieuse avait aperçu sur les malades qui étaient à fond de cale, ainsi que sur la créature qui s'était précipité vers elle. Parlant de ce poursuivant, après avoir heurté violemment le bord du navire, il commençait son ascencion à la poursuite de la nonne audacieuse. Le tonnerre roula quelques secondes après que le ciel eut flashé de blanc. Un orage sans pluie ?

Pas le temps à perdre avec la météo, au sommet des cordages -au-delà du cacatois- que la soeur avait décidé d'emprunter, une tête apparue. Une tête avec des yeux noirs et globuleux et des mandibules qui dansaient frénétiquement. Elle avait grimpé jusqu'au niveau de la vergue du perroquet, visiblement vide de tout occupants, mais il fallait choisir quoi faire ...

La chaise, projetée par le Seigneur, vint voler à travers les airs, fendant l’obscurité et tournoyant comme un boomerang avant de s’abattre sur la créature. Cette dernière, qui se ruait précédemment vers sa proie, la gueule béante et dévoilant des mandibules acérées, poussa un cri strident lorsque l’objet l’atteint de plein fouet. Le choc fut si violent que l’ennemi vacilla sur ses jambes, visiblement étourdi. Le chemin vers le couloir tanguant au rythme de la houle s’était dégagé, et profitant de ce moment opportun, le jeune noble s’y faufila, lanterne en main, décidé à rentabiliser le temps gagné.

Aloys n’ayant aucun moyen de se défendre, et seulement vêtu que d’une simple tunique, décida de fuir les lieux. Où se situait donc sa cabine ? Il espérait récupérer ses affaires, ou mettre la main sur une arme le plus tôt possible. Devant sa première porte, la main serrée sur la poignée métallique, l’autre tenant toujours la lanterne, il tira une première fois, puis une seconde, mais rien ne se passa. La porte refusait de s’ouvrir ! Jetant un coup d’œil tout autour de lui, il commença à tirer sur d’autres poignées, y mettant cette fois-ci toute sa force, mais elles ne bougèrent pas d’un millimètre. « Saperlotte ! », s’exclama-t-il, paniqué. Aucune des portes ne cédaient, alors il décida de prendre les jambes à son cou, s’enfonçant dans le couloir sans fin.

Derrière lui, l’hybride s’était débarrassé de la chaise, fouillant frénétiquement autour de lui pour chercher du regard sa proie. Aloys, qui avait pris de l’avance sur son agresseur en empruntant la voie libre, entendit résonner le sifflement de pure rage. Celui-ci n’était donc pas dénué de sentiments, à l’instar du Fangeux… ? La chasse reprenait. Il courait, sans même se retourner, transpirant, haletant, ses muscles se tendant sous l’effort, mais le couloir demeurait obstinément sans fin. Le bras en avant, celui soulevant la lanterne, commençait à lui faire mal. Toutefois il restait attentif aux portes, les éclairant, afin de repérer si certaines d’entre elles se démarquaient du lot. Il espérait y trouver un symbole, un signe, ou juste même la fin du passage étroit.