Nuances de bleu [PV Victor de Rougelac]

Précédemment

ll en fut précisément comme la baronne l’avait annoncé.

Après avoir traversé l’Esplanade dans une tenue des plus modestes, elle arrive enfin devant la porte d’entrée immense qui ferme l’accès à la demeure de Victor. Elle a tout observé, bien entendu. L’allée entretenue, la façade, tout ce décorum qui annoncé l’opulence et la richesse. Elle annonce sa présence en heurtant la porte grâce au marteau qui y est accroché et attend qu’on veuille bien lui ouvrir, toute droite sous sa cape doublée, la capuche abattue sur la tête.

Elle n’avait pas perdu de temps à choisir sa tenue, c’est celle qu’elle porte habituellement pour se rendre au Temple et apporter le réconfort de sa présence à ceux qui la réclament. La baronne a donc laissé le beau velours rouge dans un placard pour porter une longue chemise de lin beige, propre. Les manches sont longues et nouées aux poignets par de petites cordelettes de chanvre et le col est orné de quelques petites broderies peu élaborées, apportant une touche de simplicité et de modestie à son port plein de grâce. Par-dessus cette chemise, elle porte une robe de lin bleuté tombant jusqu’à ses pieds et lacée dans le dos. Une coupe simple dans un tissu simple mais qui a le mérite de mettre en valeur toute la beauté de la baronne, sans artifice.

Ses cheveux sont quant à eux retenus dans l’habituel filet de perles de métal dégageant sa nuque et sa gorge, dans une coiffure pleine d’élégance. Ainsi parée, elle se rend au Temple presque quotidiennement.
Comment va donc réagir le comte en la voyant si pauvrement vêtue, lui qui aime les jolies étoffes ? Elle l’ignore. Quoiqu’il en soit, la journée promet d’être passionnante. Et elle a hâte de la vivre en compagnie de Victor, pour qui, elle l’espère, cela sera aussi instructif que moralement enrichissant.

Lorsqu’un serviteur ouvrira la porte, elle annoncera poliment son nom :

- Esméra de Sibran. Pouvez-vous me mener au Comte, je vous prie ? Je suis attendue.

Pénétrant alors dans l’imposante demeure de Rougelac, la baronne abaisse sa capuche et suit le serviteur tout au long des couloirs, sans dire un seul mot. Elle se contente d’observer, avec curiosité. Le Comte vit dans une très belle demeure. Tout y est propre, recherché et disposé de manière à ce que chaque meuble, chaque objet de décoration soit à la bonne place et mis en valeur. Une démonstration silencieuse de toute la puissance financière des Rougelac. Cela dit, cette résidence est immense, le trajet lui semble d’ailleurs interminable. Où donc l’emmène ce serviteur ?

Le Manoir de Rougelac n'avait en effet pas son pareil. Immense, richement décoré, tout en ses murs transpirait l'opulence jusque dans les jardins entretenus par la domesticité dont le Comte exigeait l'exemplarité. À l'annonce de la présence de la Baronne de Sibran, la Gouvernante ne semblait ni surprise par son arrivée ni même par la tenue des plus modeste. Tout portait à croire que le maître des lieux avait préparé jusque dans les moindre détails cette troisième rencontre avec la sang-bleu. Certes vêtue sans artifice, Esméra reçue un accueil digne de son rang. La domestique d'un certain âge proposa alors à la dame d'Hagerth d'être débarrassé de toute étoffe superflue avant d'un geste de la main la prier de la suivre dans ce vaste hall et rapidement remonter l'imposant escalier.

- Sa Grandeur vous attend ma Dame.

En remontant l'escalier aussi large que la largeur de trois couloir, la Baronne pouvait attarder son regard sur quelques tapisseries, tableaux et statues en bronzes. Le sol quand à lui était jonché de tapis aux motifs détaillés. L'endroit était accueillant, sans doute les vestiges de la précédente présence d'une femme en ce lieu, la défunte Dame de Rougesoleil qui avait su imposer ses goûts et aguayé une atmosphère qui jusque là s'en était retrouvé rustique dans sa décoration.

À l'étage, Esméra put croiser le chemin de deux autres domestiques dont la Dame de compagnie de feu la Comtesse qui n'avait eut d'autre choix que de rester après les tragiques événements qui avaient endeuillé la demeure. Comme dans une fourmilière, les serviteurs du Comte s'activaient presque mécaniquement à leurs tâches quotidiennes, tous s'employaient à faire la révérences lorsqu'ils croisaient le chemin de la Baronne malgré sa tenue qui tranchait avec son rang, gage que le Gouverneur tenait d'une main de fer dans un gant de velours ses employés.

La Dame d'Hagerth put également entrevoir la silhouette de la Muraille, ce chevalier dont s'était attaché les services le Comte de Rougelac. Un homme aux normes démesurées. Qui venait de quitter les appartements du mondain en livret de plate, tenant un parchemin scellé du sceau de la Maison Rougelac. La Gouvernante, peut bavarde, installa alors la veuve de Sibran dans un boudoir attenant aux appartements du Comte qui se plaisait souvent à recevoir ses invités... féminins... et potentielles conquête dans ce lieu avant que la débauche ne l'entraîne quelques mètres plus loin dans son lit.

- Si vous avez besoin d'un rafraîchissement ma Dame ? Sinon, suis-je disposer ? Mon seigneur ne va pas tarder à vous rejoindre.

Apres que lui ait répondu la jeune femme, la Gouvernante disparue, laissant à Esmera tout le loisir de ressentir l'atmosphère particulière de ce que l'on pouvait appeler une anti-chambre tour aussi finalement et richement décoré jusqu'aux tentures dans les tons aubergines. Ce ne fut que plusieurs minutes après qu'elle fût laissée seule que le Comte apparut dans une robe de chambre longue et épaisse, tapissant le sol telle une traine de mariée aux coutures d'argent.

A la vision de simplicité que lui offrait la Baronne, il eut un sourire non pas surprit mais tout l'inverse. Serein, satisfait, il la lorgnait quelques secondes durant, appréciant sa simplicité qui révélait sa beauté sans le moindre artifice.

- Esmera, vous voilà ! Soyez la bienvenue dans mon humble demeure. Quelle joie de vous revoir!

Il ne dit mot sur sa tenue, certes il lui préférait de Roche étoffe à palper, seulement il n'était pas de circonstances de penser à ce genre de jeu d'effeuillage de la donzelle. En tout cas pas pour l'heure... mais d'ailleurs, que réservait il lui-même sous sa robe de chambre ? Nous y reviendrons plus tard. Se faisant donc, il s'approcha alors de la jeune femme avant de lui prendre d'attraper son bras pour procéder à un baise main d'usage.

- Vous êtes d'une beauté naturelle ce jour. C'est bien parceque notre affaire du jour l'exige mais je puis espérer que je retrouverais un jour la sensuelle vision de vos riches étoffes.

Il lui adressa un sourire mutin avant de la prendre par l'avant bras et l'entraîner séance tenante dans sa chambre dont le lit etait jonché de tissus de modeste facture.

- Voila tout ce que j'ai pu trouver pour me vêtir convenablement. Seulement je n'arrive point à me décider.

Il referma la pièce derrière lui avant de laisser la Baronne s'imprégner de ces appartements, temple de la luxure.

Cette demeure n’est pas sans lui rappeler les fastes du château de Sibran. Tous les tapis, sculptures et peintures, cet escalier gigantesque…La baronne n’est pas spécialement impressionnée. Elle a elle-même vécu dans semblable demeure autrefois et se rappelle surtout toute l’énergie que cela demande de gérer tout cela. Les domestiques, leurs soldes, les fournitures, les fastes des réceptions…Maintenant qu’elle vit dans une maison de taille raisonnable et parfaitement adaptée à ses besoins, elle savoure le plaisir de se promener en tant que qu’invitée dans ce palais élevé à la gloire des de Rougelac et ne boude pas sa joie d’observer le tout d’un œil expert. Elle note toutefois une certaine touche féminine ici et là, alors que l’actuel propriétaire des lieux est veuf. Nul doute qu’il s’agit là de la signature de feu la comtesse, une femme au goût indéniable, de ce que peut en juger la baronne.

Tout le monde est d’une politesse rare, les serviteurs s’abimant dans de profondes révérences, auxquelles elle répond toujours d’un sourire gracieux. Même cet homme imposant sur son chemin recevra le salut discret de la baronne. Fidèle à elle-même, elle est aimable avec tout le monde, petit comme grand, sans pour autant tomber dans la familiarité. Quoique, en ce qui concerne le Comte de Rougelac, elle a peut-être, en effet, franchi quelques petites barrières. Installée dans une antichambre aux élégantes notes aubergines, elle décline poliment l’offre de la gouvernante :

- Je vous remercie, je n’ai besoin de rien. Vous pouvez disposer.

Seule, la baronne observe les lieux avec distraction, portant son attention sur la fenêtre. Elle semble beaucoup apprécier la vue, assez en tout cas pour ne pas remarquer de suite l’entrée du maître des lieux. Au bruit de l’étoffe frottant le sol, elle se retourne enfin vers le Comte et le gratifie d’un heureux sourire avant de s’incliner légèrement, dans une petite révérence pleine de respect pour lui.

La tenue du comte est à la hauteur de sa demeure, évidemment, une demeure qui est tout sauf humble. Elle en a un petit sourire en coin, amusée par le contraste d’une si élégante robe de chambre face à sa tenue d’une simplicité extrême.

- Bonjour mon ami ! Je suis heureuse de vous revoir, moi aussi.

La baronne lui tend la main afin qu’il y dépose un baiser, rosissant légèrement à son petit compliment.

- Je vous remercie. Je garde les brocarts et les velours pour les occasions qui méritent que je me pare de tels atours, Victor. Nul doute que la prochaine fois que je vous recevrai, vous aurez le droit d’admirer ces jolies étoffes qui vous plaisent tant.

La baronne ne pouvait évidemment descendre dans les bas quartiers vêtue de tout son prestige. Cela aurait été le meilleur moyen d’être attaquée. De plus, dans l’optique même où elle serait arrivée à destination sans encombre, les personnes qu’ils vont visiter aujourd’hui en auraient été tellement impressionnés qu’elles s’en seraient senti extrêmement mal à l’aise et ce n’était pas le but de ce petit projet commun.

Elle allait ajouter quelque chose sur l’élégance de son hôte mais n’en eut pas vraiment le temps. Victor vient de l’entraîner dans ce qui se révèle être sa chambre. Voilà qui sort totalement des codes de la bienséance, d’autant plus que le Comte vient de fermer la porte. Soit. Elle fait comme de rien n’était et prend le temps d’observer l’antre de celui qu’on dépeint comme le pire prédateur de toute la cité. Le luxe y est omniprésent, évidemment. Des tapis partout, un lit immense, une ambiance feutrée…Tellement loin de son sanctuaire à elle. Là où elle évolue sur un parquet propre mais dénué de toute ornement, le comte foule au lever et au coucher de moelleux tapis aux couleurs chatoyantes. Là où elle dort dans un lit de bois brut et dans des draps simples, Victor se repose dans un meuble immense décoré de toutes parts. Oui…Il s’agit d’une pièce à l’image du Comte : complexe, raffinée, une réelle invitation à l’abandon de tous les sens. Inspirant profondément, elle se retourne enfin pour regarder le comte d'un air complice et se dirige donc vers le lit.

- Voyons un peu ce que nous avons là…

Il y a en effet des tas de vêtements différents, de quoi vêtir une dizaine d’hommes de la tête aux pieds. Elle soulève les pièces une à une, tournant le dos au comte, tout en commentant chaque tissu, évitant ainsi de songer à son hôte allongé sur ce lit et à toutes les pensées qui abondent inévitablement en son esprit.

- Je vois que vous avez décidé de me compliquer la tâche en me donnant beaucoup de choix, mon ami. Les couleurs vives sont à proscrire. Toute chose étant incertaine, si jamais nous devions fuir, il est préférable de choisir des tons neutres et discrets afin de pouvoir vous fondre dans la masse. Pas de rouge, donc.

Elle a un sourire en plaçant de côté de fort jolies chemises à la texture délicate. Même en essayant de trouver des tenues simples, le Comte ne peut s’empêcher de choisir des tissus hors de prix.

- Il vous faut également quelque chose de fort simple, de pratique et de commun, afin que vous puissiez vous déplacer sans effort. Mhhh voyons voir…

La baronne s’amuse beaucoup et visualise le comte dans chacune des tenues ici présente avant d’enfin arrêter son choix sur une ample chemise de lin beige et un pantalon de chanvre bleuté, rappelant sa propre tenue. Elle soulève les deux habits et se tourne vers le Comte, un large sourire fendant son visage de poupée.

- Ceci. Avec une paire de bottes usées et une cape longue. Vous aurez l’air d’un homme du peuple. Cela vous convient-il ?

Il allait en effet s'en dire que l'accueil de la baronne de Sibran était à la hauteur de son rang malgré l'apparence commune dont la jeune femme faisait état en ce jour un peu particulier. Le Manoir Rougelac était tenu d'une main de maître et il était certain que ce cadre aussi riche soit-il avait un coût. Seulement, Victor pouvait encore se permettre ce luxe en ces temps de disette grâce à ses affaires encore fructueuses mais c'était aussi sans compter sur la dote qu'il avait obtenu de son précédent mariage.

La Dame d'Hagerth avait donc tout le loisir de s'imprégner de l'univers dans lequel se lovait volontier ce propriétaire aux multiples facettes et à l'influence qui ne cessait d'osciller. Dernière déconvenue en date était son erreur d'avoir hébergé la Baronne de Sombrebois, ce qui lui avait valut les critiques de la noblesse marbrumienne. A présent, Rosen de Sombrebois n'était plus la bienvenue en ces lieux durant ces visites à la capitale pour s'assurer que ces intérêts étaient prospères. D'ailleurs l'étaient ils ? On disait que la Bonne Fortune était loin d'être rentable ce qui faisait grincer des dents le Comte qui avait avancé sur ce projet une forte somme.

Mais en ce jour, le mondain préférait ne pas y penser, toutes ses pensées étaient portées à l'endroit de la veuve de Sibran avec laquelle il allait œuvrer auprès des plus démunis. Sa cote de popularité avait d'ailleurs prit une certaine ampleur à travers cette strate sociale, ce terreau qui permettait la survie de la seule communauté encore organisée et pérenne. Les compliments s'enchaînèrent et déjà dans son esprit lubrique, Victor se voyait dévorer la jeune femme qui lui promettait de troquer ses haillons pour de riches étoffes. Rompu à l'exercice de la séduction comme il l'était dans le domaine de la manigance, Victor amena la donzelle dans son antre la plus intime et Esméra s'y laissa tenter sans la moindre réticence.

Lui ayant alors volontairement compliqué la tâche, le mondain écoutait d'une oreille distraite la jeune femme qui réussit malgré l'épreuve à sélectionner une tenue adéquate à leur prochaine virée dans les quartiers populaire. Se fendant d'un sourire lorsqu'elle se retourna face à son hôte, armée de braies communes aux couleurs fades mais de circonstance et de nécessité pour parer à toute mésaventure, il avisa à peine d'un regard les trouvailles de sa comparse avant de lui donner la réplique tout en défaisant les ficelles qui maintenait en place sa robe de chambre.

- Cela me sied mon amie...

Et soudain, l'épaisse étoffe que portait le Comte chuta au sol, offrant au regard de la Baronne sa totale nudité. Dans son plus simple apparat, il avait conscience de certainement choquer son invitée, mais cela faisait parti de son jeu, un jeu qu'il n'avait jamais cessé d'entretenir depuis leur rencontre dans ce bordel qui lui avait valu un œil au beurre noir. L'homme de la quarantaine semblait indéniablement fort bien conserver, le temps, les années ne l'avaient pas laidit loin sans faux. Il avait conservé un physique agréable là où nombre de ses congénères s'en saurait laissé volontier pousser la bedaine.

Son agissement allait sans doute choquer mais après tout, n'était il pas légitime à cet acte de peu de convenance et de vertue ? N'avait il pas sollicité la Baronne pour l'aider à se vêtir ? Il lui décocha un sourire à la commissure de ses lèvres avant de quitter sa position, ses nobles joyaux de chair a la vue de la Dame d'Hagerth. Il s'en approcha pour se saisir des vêtements qu'elle tenait alors dans ses mains, forçant la proximité de son corps nue contre celui modestement vêtu de la Baronne.

- De quoi ai-je l'air en cet instant mon amie ?

Lui murmura-t-il au creux de l'oreille avant de jouer au sinistre charmeur en laissant son corps flirter avec les tissus que portait la sang-bleu. Se décidant finalement à cesser de tourmenter la donzelle, il la contourna pour offrir à la vue de cette dernier son fessier ferme et agréable pour finalement commencer à enfiler ses braies.

- Nous ferons un parfait couple du peuple en ces circonstances particulières. J'espere de tout cœur que notre journée sera fructueuse et que vous en garderez un souvenir indélébile.

L'exercice du sous-entendu ? Fallait il y voir un double sens ? Peut-être et après tout, Victor avait promis d'être un précepteur dans l'art du verbiage aux significations multiples. Qu'allait donc faire Esmera ? S'empourper de rosé comme lorsqu'il s'était exécuté à un parfait baise main ? Ou serait-elle en capacité de lui tenir la dragée hauteur après une telle insolence qui n'avait pour objectif que de la mettre une fois de plus à l'épreuve du personnage qu'il avait façonné.

La baronne a un regard pour le comte puis pour ses doigts présentement occupés à défaire les liens qui maintiennent la robe de chambre magnifique sur les épaules de son propriétaire. Esméra hausse un sourcil puis le deuxième alors que Victor laisse choir sur le sol l’unique rempart de sa dignité. Le Comte est nu devant elle et pour la première fois de son existence, la baronne fait face à un noble seigneur totalement dévêtu. Et qui n’est pas son époux.

La bienséance et la vertu voudraient sans doute qu’elle lui jette ses oripeaux à la figure avant de fuir la pièce afin de se ménager. Qu’elle le bannisse de toute réception et que son nom soit proscrit de tout futur échange. Cela étant, la baronne, même si elle a des principes, n’en possède pas moins un solide sens de l’humour et une tendance prononcée pour la grivoiserie dissimulée sous des paroles douces.

Là où elle aurait du se détourner pour ne plus voir cette nudité affichée, elle ne bouge pas, elle reste là sur place à l’observer, tout en prenant son temps, n’omettant aucun détail. Puisqu’il s’affiche, autant jouer son jeu et ne pas bouder son plaisir. Pour un quarantenaire, le comte de Rougelac est plutôt avenant. Très avenant et particulièrement bien conservé. Elle penche la tête sur le côté, pensive, et suit des yeux toutes les courbes qui se présentent à elle, avec un fin sourire aux lèvres. Elle replongera son regard de tempête dans le sien, alors qu’il est si près, gardant un instant à la mains les habits qu’elle a choisi pour lui.
Le sourire qu’elle lui décoche vaut probablement tous les mots du monde, même si elle ne peut s’empêcher de dire, amusée :

- C’est très aimable à vous d’avoir voulu équilibrer la balance qui était à mon désavantage. Voilà que nous n’avons presque plus de secrets l’un pour l’autre, Victor.

Après tout…La première vision rapprochée qu’il a eue d’elle se limitait à une paire de fesses blanches et douces. Sur le même ton de la taquinerie que le Comte, elle glisse ensuite à son oreille, alors qu’il est si proche d’elle :

- En cet instant, mon ami…Vous avez l’air d’avoir froid, je me trompe ?

Une singulière lueur joueuse et mutine illumine son regard alors qu’elle penche la tête vers ses attributs pour ensuite le regarder lui et lui rendre chemise et braie, d’un geste doux.

- Habillez-vous.

La baronne inspire profondément et s’éloigne de ce lit, pour se rendre à une fenêtre, le temps que le Comte s’habille. Elle ne peut s’empêcher d’étouffer un rire derrière sa main, tandis que derrière elle Victor enfile les braies. Par les Trois, quel homme insensé que ce comte. Insensé et pourvu d’un corps harmonieux, ce qu’elle n’a pas manqué de souligner. Visiblement, le comte fait tout pour la mettre en défaut ou pour distiller le désir, par des paroles crues, des gestes forts, des tentatives sulfureuses. Esméra adore jouer ce genre de jeu avec lui, mais une singulière chaleur s‘est emparée d’elle, cette fois. Il serait souhaitable que Victor cesse ces tentatives intempestives, ne serait-ce que pour que la baronne puisse conserver un semblant de dignité. Et il n’est pas dit qu’elle la gardera encore longtemps s’il continue ce petit jeu-là.

Une pensée fugace lui vrilla un instant l'esprit. Être réduite au rang de nouvelle conquête ne lui plairait pas particulièrement. Elle ne serait qu’un nom de plus sur une liste de galanterie qu’elle devine assez longue. Un voile assombrit quelque peu son front. Elle n’a jamais été que cela tout au long de sa vie, finalement. Une conquête. Une jolie femme qu’il est plaisant d’afficher à son bras. Pas une femme qu’on peut aimer pour ce qu’elle est. Elle baisse un instant la tête en soupirant imperceptiblement avant de reprendre une attitude désinvolte et maîtresse d’elle-même, constatant que Victor avait au moins réussi à enfiler ses braies.

- Quoiqu’il arrive aujourd’hui, soyez certain que cette journée sera désormais inoubliable mon ami.

Elle est tout près de lui et le regarde enfiler sa chemise, tout sourire, avant de pencher la tête, circonspecte. Quelque chose cloche. Mais quoi ? Un grand sourire illumine alors son visage tandis qu’elle s’approche de lui et tend la main vers les cheveux du comte.

- Laissez-moi faire, voulez-vous ? N’ayez aucune inquiétude.

Elle passe alors ses doigts dans les mèches de cheveux du comte, douce et délicate, lui arrachant probablement des frissons au passage, de manière à en troubler la belle ordonnance et à lui donner l’apparence d’un homme qui n’a plus vu de peigne depuis quelques jours.

- Voilà. Vous êtes parfait, ainsi. Qu’avez-vous prévu de porter à cette famille que nous allons visiter aujourd’hui ?, dit-elle en continuant de s’occuper distraitement de l’apparence de Victor.

Il s'agissait sans nul doute d'une journée à marquer d'une pierre blanche dans la relation naissante entre les deux veufs. Devant l'insolence du Comte de Rougelac, Esméra ne se laissa aucunement démonter, enfin... déstabilisé serait un terme plus approprié. Si elle ne boudait point son plaisir visuel, la Dame d'Hagerth savait également user de mots avec justesse, agrémentant un jeu qui semblait irrémédiablement plaisant pour chacune des deux parties.

Les soupçons du Gouverneur de Sombrebois se confirmaient plus encore à mesure qu'il cotoyait la jeune femme. La baronne ne semblait pas insensible au parti qu'il représentait, certes, pas forcemebt pour des raisons conventionnelles mais cela, Victor n'en avait cure. Pour lui, la baronne de Sibran déployait une pléthore de qualités et plus le temps passait, plus il trouvait la dame lui être complémentaire. Souvent, l'on associait deux individus à des similitudes, des intérêts communs, mais ce qui faisait la complexité et le charme de ce duo résidait en le fait qu'ils étaient différents et pourtant ces différences offraient un cocktail détonnant.

Satisfait que ce huit-clos éphémère ne tourne pas au vinaigre, Rougelac laissa finalement volontiers la donzelle ébouriffer sa chevelure, gagnant en assurance à chacun de ces contact avec ce personnage que les apparences se révélaient ô combien trompeuses. Se retournant finalement alors qu'elle continuait à violer de ses doigts sa tignasse, lui provoquant nombreux et non moins agréable frissons, il désigna un peu plus loin dans la chambre deux baluchons entreposés avec soin.

- Il y a là des chemises, des chaussons de cuir et toute sorte de petits linges de maison qui saurons être utilisé en bien des manières. Certaines domestiques m'ont également céder quelques vieilles robes soigneusement rapiécées ce matin même.

Menti-il, mais il fallait bien donner du corps à cette intrigue un peu hors norme.

- Je pense que nous avons le nécessaire pour exécuter notre œuvre du jour. Mais, laissez moi porter ces sacs je vous prie. Je ne voudrais ni vous faire souffrir du dos ni même vous voir vous pencher pour vérifier ce qui s'y trouve sinon quelques vieux démons ressurgirait à l'esquisse du contour de votre noble séant.

Il acheva sa réplique en lui baisant une seconde fois la main avant de s'assoir en bout de lit et enfiler des bottes usées. Frappant ses paumes contre ses cuisses il se redressa avant de s'exclamer.

- Il est temps mon amie. Allons découvrir une partie de votre univers. Cette journée risque d'être riche d'enseignement et cela me sied de quitter ma zone de confort, comme à put le faire feu votre fiancé et mon beau-frère en m'entraînant vers cette expédition à Ventfroid. Après les mers déchaînées, les terres hostiles, je vais braver la populace !!

La baronne a un regard pour les deux baluchons dans lesquels elle ne peut jeter un œil. Soit. Elle verra donc ce qu’ils contiennent en même temps que la petite famille qu’ils vont visiter ce jour. Etienne les a prévenus en se rendant en personne là-bas et en leur demandant la plus totale discrétion sur ce point. Il avait raconté à la baronne la joie du petit François à l’idée de revoir celle qui l’a soigné avec attention pendant quelques jours dans sa jolie maison. Avisant les sacs, elle ne doute pas que Victor a fait de son mieux pour y placer le plus essentiel, ce qu’il lui confirme en partie. Elle espère aussi qu’il aura pensé à y placer un peu de nourriture.

- Allons-y. Je vous ferai un petit portrait de ces personnes que vous allez rencontrer, en chemin.

La baronne le laisse prendre le temps de terminer de s’équiper et s’enveloppera à son tour dans sa cape, suivant le comte qui porte lui-même les deux sacs. Esméra ne peut s’empêcher de sourire en voyant le singulier tableau que fait le comte, ainsi vêtu, l’œil cerclé de pourpre, les cheveux en bataille et portant deux baluchons. S’il n’y avait cette prestance et ce regard intense qui ne le quittent jamais, il pourrait presque passer pour un homme ordinaire. Et la baronne en est attendrie. Quel homme étonnant que ce Comte. Elle se surprend à le regarder avec une certaine affection, soudain...

Aucun domestique de la maison de Rougelac ne fera le moindre commentaire pas plus qu’ils n’auront de regards surpris. Ils s’inclinent et agissent comme si la situation était parfaitement normale. La réaction de leurs pairs au sang bleu sur l’esplanade sera totalement différente. On s’étonne, on chuchote, on se regarde d’un air totalement ahuri en voyant l’étrange couple avancer côte à côte le long des jolies rues. Si l’exercice est habituel pour Victor, il est encore relativement nouveau pour Esméra qui n’a pas vraiment eu l’occasion d’évoluer sous l’œil attentif des nobles sangs de Marbrume. Quoique, à la réflexion, cela doit être particulièrement étrange pour Victor d’être ainsi dévisagé. Esméra en ressent un petit malaise pour le comte. Elle se rapproche et dit à voix basse, de manière à n’être entendue que de lui seul :

- Je suis désolée, mon ami, j’aurais du penser au fait que l’esplanade n’est jamais vide…Nous aurions du partir de ma demeure, et non de la vôtre. Tout le monde vous regarde…J’espère que cela ne vous incommode point…

Toutefois, les regards inquisiteurs se détournent assez rapidement. La baronne en profite pour dresser un petit portrait de ceux qui les attendent, elle le sait, avec une réelle impatience et une grande curiosité.

- Nous nous rendons chez une dame qui vit seule avec ses deux petits garçons. Elle s’appelle Rosalie. Ses deux petits garçons s’appellent François, qui est l’aîné, et Jean. Rosalie a perdu son époux lors de la dernière attaque de la fange et depuis…elle est obligée de recourir à des expédients que la morale réprouve afin de nourrir ses enfants. Et malgré cela, ce n’est pas suffisant. Les petits sont chétifs, j’ai emporté François en ma demeure, il n’y a pas si longtemps, afin qu’il puisse se rétablir d’une forte fièvre.

La baronne pensa avec tristesse à ce petit garçon logé dans un lit propre, le visage débarrassé de toute saleté, habillé d’une chemise trop grande pour lui. Elle l’avait veillé, Sophie avait pris le relais, il avait pris du bouillon, mangé une grande part de ce qui était prévu pour la baronne, afin qu’il puisse reprendre des forces et les efforts avaient payés. Le petit François avait survécu et avait du retrouver sa vie d’avant, non sans regretter le confort de la maison de la baronne.

- Je n’ai pas donné votre nom, Victor. J’ai juste précisé que je serai accompagnée d’un ami. Libre à vous de vous présenter sous votre vraie identité ou de faire la charité en toute discrétion.

Elle esquisse un sourire en le regardant porter les sacs.

- Quoiqu’il en soit…les enfants sont deux petits garçons espiègles et gentils. J’espère que cela ne vous dérangera pas s’ils vous posent des questions, mon ami, les enfants sont ainsi faits qu’ils parlent sans songer à mal. D’autant que je me présente à eux seule, à chaque fois. C’est la première fois que je me rends chez eux en compagnie d’un homme.

Quittant le Manoir dans un accoutrement qui ne lui ressemblait nullement, Rougelac n'était pas si gêné de se montrer devant ses semblables dans une telle tenue commune. Cela créerait tout au mieux scandal et alimenterait volontiers sa réputation controversée. L'Esplanade s'interrogerait très certainement et les rumeurs de toutes sortes iraient bon train. Qu'a cela ne tienne, cela faisait en quelque sorte ses affaires. Les bras chargés de ses deux baluchons, il avisa alors la baronne d'un sourire espiègle à la commissure de ses lèvres.

- Soyez sans craintes. Cette étrange représentation de ma personne alimentera le mythe à mon endroit. Plus je saurais préserver le mystère au travers de mon personnage et plus je serais craint donc respecter.

Sur ces mot il redirigea son attention droit devant lui, bien décidé à mener jusqu'à son terme ce défi qui pouvait paraître anecdotique de prime abord. Sur le chemin, comme lui avait promis la dame d'Hagerth, cette dernière lui dressa le cadre de cette affaire qui les faisaient côtoyer la basse populace de Marbrume. S'il écoutait son récit tout du loin, à aucun moment il ne senti la moindre compassion pour cette famille, bien que, pour faire plaisir à la Baronne de Sibran, il prit par moment quelques airs affectés par cette histoire. Esméra ne serait certainement pas dupe mais pouvait toutefois applaudir l'effort de faux semblant de la part de son acolyte. Insensible au sort de cette femme, de ce petit garçon atteint d'une fièvre mortelle, sauvé par la veuve mondaine, Victor en fut bien autrement lorsqu'elle laissa volontier le soin de garder ou non son identité.

- Croyez bien que je ferais savoir à cette femme qui je suis. Cela me... servira indirectement. Que cela vous déplaise, vous choque peut-être, seulement, j'y voit quelques gains potentiels. Oh et soyez certains que je ne trousserai pas cette gueuse pendant que vous vous occuperez des enfants, naturellement... imaginez qu'elle hurle mon nom et mon titre à tue-tête! Ahah.

Victor était ce qu'il était. S'il concédait quelques efforts pour plaire à la dame d'Hagerth, il affirmait et conservait toutefois certains traits de sa personnalité scandaleuse et inconvenante mais Esmera saurait sans doute s'y habituer ? Auquel cas, elle ne serait alors un parti qui lui serait pleinement acceptable.

Il reprit alors un peu de son sérieux tandis que leurs pas les éloignaient de plus en plus du confort et de la sécurité des hauts quartiers, s'enfonçant irrémédiablement dans un univers plus hostile et crasseux.

- Je saurais m'accommoder de la curiosité de ces marmots. Après tout, nous étions tous les plus ou moins curieux et insouciant dans notre jeunesse ? Je saurais me faire en tout cas discret. Il s'agit de votre oeuvre et je ne suis que votre obligé, votre assistant durant cette œuvre de charité.

Victor était tantôt sérieux, tantôt grossier, tantôt fourbe voir insensible. En sommes, il se voulait déroutant pour qu'il puisse être difficile de le cerner réellement meme si la donzelle qu'il côtoyait énonce jour avait pu percevoir quelques facettes peut communes et moins dévoilées au grand jour du sang bleu.

- On peut être respecté sans être craint, vous savez. Ce que vous appelez respect s’apparente plus à de la peur, à mon sens. Mais soit, je comprends votre opinion et la respecte.

Elle se drape dans sa longue cape et réfléchit quelques instants. Il cherche à consolider son statut et sa réputation en répandant la crainte. Esméra, elle, sait que la bonté et le don de soi peuvent également faire des miracles. Tout en racontant la vie et les malheurs de Rosalie, elle a bien vu que son récit ne suscitait que de très superficielles réactions chez son acolyte au sang bleu. Elle ne s’en formalise pas. Elle sait que le bien être des pauvres gens n’est pas une priorité pour le plus grand nombre des nobles de la cité. Cela ne change rien au fait que Victor de Rougelac est à ses côtés, en tenue paysanne, à porter des effets de première nécessité à des personnes qui en ont dépourvues. Et c’est bien là tout l’essentiel.

Esméra haussa un sourcil aux paroles de Victor. En quoi le fait de donner son identité complète pourrait-il servir ses intérêts ? Rosalie est une personne douce et gentille, certes, mais totalement obscure, inconnue de tous sauf de ces messieurs et contacts qui se passent son nom sous le manteau. Rosalie n’est qu’une dame parmi les autres. Une dame qui vend ses charmes pour nourrir ses enfants.

- J’espère en effet que vous aurez l’élégance de vous retenir. Ce n’est pas parce qu’on entre dans la boutique d’un cordonnier qu’il faut essayer toutes les chaussures, après tout…

Elle a un sourire en coin en disant ces paroles avant de lever les yeux au ciel, amusée.

- De plus, rien ne dit qu’elle crierait, vous présumez de vos talents. Votre manque de modestie sur ce point me fera toujours sourire, mon ami.

Ils s’éloignent désormais des beaux quartiers et avancent rapidement vers la demeure de Rosalie, située, elle, dans une rue très pauvre et sale, bien loin des belles rues joliment tracées de l’Esplanade. Esméra connait le chemin comme sa poche, pour l’avoir emprunté un grand nombre de fois, tantôt en habits d’homme, tantôt en tenue modeste, comme aujourd’hui. Les gens sur la rue semblent la reconnaître, certains ôtent même leur chapeau, avant de vaquer à leurs occupations. Esméra se rapproche de Victor afin de n’être entendue que de lui seul.

- J’ignore comment vous vous comportiez enfant. En ce qui me concerne, ma mère était sujette à de nombreuses crises de nerf. Elle détestait me voir revenir avec les poches pleines de cailloux, de limaces et autres vers que je voulais héberger dans ma chambre au château. Combien de fois ai-je été grondée pour cela…

Un petit rire s’échappe de sa gorge alors qu’elle continue, tout en approchant de la rue qui héberge la petite famille.

- Pour ça, pour mon insolence, pour tout un tas d’autres raisons. Mais…Je suis incapable de gronder les enfants, pour ma part. Je préfère la spontanéité au silence, surtout quand ils sont si petits. Ne soyez pas trop dur envers eux, vous voulez bien faire cela pour moi, en plus du reste ?

Ils pénètrent alors dans la rue et, après quelques pas, s’arrêtent devant une maison. Il ne s’agit pas d’une belle maison, non. La façade décrépite dévoilait des colombages à moitié pourris, maintenant avec peine de petites fenêtre obstruées par les moyens du bord, en l’occurrence de vieux morceaux de tissus. Esméra sourit à Victor et frappa trois coups à la porte. Un petit garçon blond aux boucles décoiffées ouvre timidement la porte et l’ouvre ensuite en grand pour venir se précipiter dans les jupes de la baronne qui a un éclat de rire.

- He bien François ! Moi aussi je suis contente de te revoir, en santé. Va prévenir ta maman.

Elle entre dans la maison et fait un petit signe à Victor, afin qu’il entre aussi. Elle fermera la porte tout simplement derrière lui avant d’abaisser sa capuche.

L’intérieur de la petite bâtisse n’est pas bien gai. Il y a un petit âtre dans lequel brille un tout petit feu. Une petite table et quatre chaises. Point de fauteuils, de tapis ou même de divan. Pourtant, ils pourront sentir que la propriétaire des lieux a fait un effort, le sol est propre, la pièce est aérée.

Rosalie se tient dans un coin, le petit jean accroché à sa jupe, regardant Victor avec inquiétude. La mère, elle, inspire et approche, avant d’esquisser une maladroite révérence.

- Bonjour Essie. Bonjour Monsieur.

François est toujours dans les jambes de la baronne et la couvre de baisers.

- Bonjour Rosalie. Vous voyez, nous sommes à l’heure…Laissez moi vous présenter mon ami…même si je sais qu’il voudra se présenter lui-même…

Elle se tourne vers Victor, élégante et courtoise, pour l’inviter à parler. Tout le monde l’écoute.

Pour Victor le respect passait par la peur et la crainte. Il n'avait rien du commun d'un noble mâle qui savait bretter et se faire respecter par quelques faits d'armes. Non, ses armes à lui étaient ces capacités à influencer, duper et manipuler. Bien qu'il s'évertuait depuis six mois à gommer ses faiblesses et lacunes à la lame il s'avait ne jamais pouvoir rivaliser avec ses semblables, que ce soit feu le Vicomte de Terresang ou le Comte de Beauharnais. Mais ce n'était ni le lieu ni le moment de deviser sur ce vaste sujet.

- Je suis certain que vous me dite cela par pure politesse. Nous deviserons ultérieurement sur ce sujet si cela vous sied.

Lui dit il avant que leur chemin ne s'enfonce plus encore dans les bas fond de la capitale. Les discussions prenaient à la fois un ton solennel et a la fois une certaine forme de légèreté, comme si entre le Comte et le Baronne s'était instaurer une relation de confiance et de complicité quelque peu particulière. Loin de se montrer une fois encore offusquer par les répliques de son acolyte, la Dame d'Hagerth l'invitait en effet à la retenue, s'offrant même le luxe de piquer son orgueil et sa fierté d'homme virile. Esmera n'avait pas tord, Victor manquait de modestie mais le bougre semblait toujours en mesure de trouver la parade.

- Allons dont, cela n'est point un excès de modestie mon amie. J'ai en certaines circonstances, une grande confiance en moi, voilà tout ! N'y a t il pas une grande différence ? Mais prenez garde, vous savez à présent ô combien j'affectionne les défis. Provoquez moi une fois de plus et par les Trois, je ferais hurler de plaisir cette catin au point que son orgasme ne fasse écho jusque sur l'Esplanade et pire ! Jusqu'au balcon du roi en personne!

S amusa t il a déclarer, fier et sournois à la fois. La baronne de Sibran se permit ensuite quelques anecdotes sur son enfance alors que le duo devisait sur le caractère des enfants qu'ils allaient tour prochainement côtoyer. Le mondain ne boudait pas son plaisir de découvrir la jeune femme, même si elle etair déjà veuve de son état. S'il ne s'osa à lui confesser quelques éléments de sa jeunesse, il acquiesça volontiers face à la demande de sa comparse.

- Je ferais bon usage de ma patiente. S'il ne vous faut que cela pour vous contenter alors je serais des plus adorable face à ces bambins des rues.

Le duo de noble arriva finalement à bon port. Et comme la dame s'y était préparé, l'un des enfants lui offrit le plus spontanée et touchant des accueil. Se cramponnant a ses jupons elle pénétra la bâtisse, talonné par le mondain qui observait l'endroit quelque peu délabré mais où l'on pouvait constater l'effort du propriétaire pour rendre le lieu accueillant et propre. Et comme cela n'était pas une surprise, la mère de famille se tenait dans un coin, portant un regard inquieter sur ce nouveau personnage qui accompagnait celle qu'on appelait familièrement Essie. La Baronne laissa alors à son partenaire l'occasion de se présenter et ainsi peut-être, atténuer l'anxiété de la catin.

- Victor, Victor de Rougelac. Votre si charmante Essie, ici présente, m'a convaincue de lui porter assistance... Rosalie... dont ce visage ne m'est pas ind...

Il se tut, réalisant qu'effectivement son visage lui disait quelque chose ou plutôt sa bouche... hum quelque peu pulpeuse qui... il y a de cela quelques années avaient gratifier les nobles attributs du Comte de Rougelac d'attentions quelques peux familiaire.

- Enfin ! Passons ! Suis-je ravi d'aider Essie dans ses œuvres. Nous ne sommes point arriver les mains vide.

Il désigna les sacs qu'il portait sur ses épaules avant d'aviser du regard la baronne, laissant la jeune femme reprendre les rennes de cette visite caritative.

Dans la maison, une ambiance un peu lourde vient de s’installer. Esméra n’a absolument rien perdu de l’échange entre le Comte et Rosalie. Cela étant, ce n’est pas tellement le Comte qu’elle observe mais la réaction de leur hôte qui pâlit lorsque Victor se présente enfin. Le regard de Rosalie vient de s’agrandir, elle ne quitte pas le Comte des yeux durant une longue seconde puis tend la main vers le petit François. Une très vive inquiétude s’affiche sur son visage alors qu’elle demande, d’une voix douce :

- François, viens ici mon petit chéri, laisse Essie en paix…

Le petit garçon se retourne vers sa mère et la regarde en faisant une moue boudeuse. Cela étant il obéit, prenant la main de sa mère, qui le place derrière sa jupe, en compagnie du petit Jean, dans un geste instinctif de protection. La mère a un regard absolument terrifié pour la baronne et n’approche pas un instant de leurs invités. Rosalie a tout simplement reconnu le Comte. Un Comte qu’elle a connu il y a maintenant six ou sept ans, elle ne se rappelle plus très bien mais elle se souvient parfaitement de lui. Elle serre la main du petit François et murmure :

- C’est…gentil.

La pauvre Rosalie semble être sur le point de faire un malaise mais elle reste digne face à ses nobles bienfaiteurs et avance enfin, les petits toujours accrochés à sa jupe. Elle a un regard pour les sacs et se tord les mains. De plus près, Victor pourra voir que la plus jolie tenue de Rosalie se limite à une vieille chemise recousue ici et là, sous un simple surcot de chanvre marron délavé. Ses longs cheveux blonds roulent sur ses reins…parce qu’elle n’a plus rien pour les attacher correctement. Elle est amaigrie aussi, ses joues sont creuses et ses mains sont si fines qu’il semble qu’on peut y voir à travers. Quoiqu’il en soit, elle reste une fort jolie femme au regard étincelant d’une lueur étrange. Restant à distance de Victor, elle approche de la baronne et lui prend une main, avant de dire, d’une voix peu assurée, comme si elle était soudain bien plus inquiète pour elle que pour ses enfants :

- Allez-vous bien, Essie ?
- Oui, Rosalie, je vais très bien. Asseyez-vous…Vous êtes toute pâle. Quand avez-vous mangé pour la dernière fois ?

Rosalie va prendre place sur une vieille chaise de bois et garde les petits près d’elle. Elle réfléchit :

- Les enfants ont mangé un peu de mauvais gruau hier matin. Moi je ne sais plus trop…

Essie a un sourire et enlève un sac des mains de Victor pour le déposer sur la table. Elle ouvre le tout et en extirpe alors tout ce que le Comte avait détaillé lors de son arrivée au manoir Rougelac. Il y a beaucoup de vêtements, du linge, des draps, de quoi refaire des chemises présentables et propres, de petits vêtements, à tout le monde. Dans l’autre, il y a à manger. De la bonne nourriture fraîche déposée avec soin sur la table par la baronne, sous les yeux ébahis des petits qui tendent le cou pour mieux voir. Rosalie, elle, serre François contre elle, n’osant croire ce qu’elle voit. Elle finit par baisser la tête et pose une main sur son visage, laissant échapper un sanglot.

- Merci Essie…Merci…Monsieur le Comte…

Les enfants ne peuvent y tenir et s’approchent de la table, avant de battre des mains, de joie. Jean a un rire en attrapant un morceau de tissu et le place sur sa tête avant de se mettre à courir dans la pièce. François, lui, saute dans les bras de la baronne, avant de serrer ses petits bras autour de son cou. Esméra sourit tendrement et le garde contre elle, pour une accolade de remerciement assez longue. Dans les bras de la baronne, l’azur du petit garçon viendra confronter celui de Victor. Il descendra des bras de la baronne pour se diriger vers lui, pas farouche une seule seconde et s’arrête devant le Comte pour lever la tête vers lui. Il tend la main vers la chemise du comte et l’attrape, tirant dessus pour lui donner deux ou trois petits coups secs. François lèvera alors les bras pour que le Comte lui donne, lui aussi, une accolade. Rosalie, depuis sa chaise, semble être sur le point de bondir pour récupérer son enfant, ce ne peut manquer de noter la baronne.

Rosalie est très inquiète pour son fils. Elle n’est pas du tout comme cela d’ordinaire, elle est plus familière, plus rieuse, plus enjouée. Ici…Elle a peur et tous les efforts de la baronne afin de lui rendre le sourire semblent vains. Esméra prend la main de la mère et serre ses doigts :

- Calmez-vous Rosalie…Je suis là, tout va bien…

Comment expliquer à la baronne ? Comment lui dire que de tous les nobles seigneurs qu’elle pouvait faire entrer ici elle avait précisément choisi le seul qu’elle ne voulait plus rencontrer ? La réputation du Comte n’est plus à faire dans le milieu et elle a beaucoup de mal à percevoir ce que peut bien signifier sa présence ici. Le Comte de Rougelac n’est pas connu pour sa prévenance envers les petites gens et Rosalie le craint.

La baronne a un regard pour Victor, mais reporte de suite son attention sur Rosalie, réussissant enfin à capter le regard de la mère de famille, avant de dire dans un murmure :

- Je sais…Rosalie…Laissez-lui le bénéfice du doute, voulez-vous ? Rien ne l’obligeait à venir, il est ici parce qu’il le veut bien. J’essaye de lui montrer tout le bonheur qu’on distribue et qu’on obtient en retour à faire de bonnes actions…
- Essie…Il est effrayant…Tout le monde sait qui il est…Ce qu’il fait…Surtout avec nous…

La baronne inspire profondément et serre la main de la mère de famille en douceur. Rosalie a alors un regard pour tout ce qui se trouve sur la table et touche les tissus, du bout des doigts.

- Merci pour les enfants…

Une fois de plus la mère de famille fond en larmes. La baronne sort un petit mouchoir de sa manche et le tend à Rosalie, avant de regarder Victor avec un sourire doux. Un sourire plein de gratitude et de joie.

Oh qu'il se souvenait fort bien de cette blonde ! Pour sûre ! Comment en être autrement lorsque la fille de joie pouvait se targuer d'avoir prit en bouche la lame de chaire et de sang du Comte jusqu'à sa garde ?! Mais ne nous éparpillons pas dans des souvenirs qui semblaient en effet déranger Rosalie lorsque l'identité du noble accompagnant Essie fut révélé. Instinctivement d'ailleurs, la mère de famille des bas quartiers semblait alors sur la défensive, craignant, redoutant un complot peut être à son endroit. Mais il n'en fut rien et la baronne de Sibran, forte d’initiative pour détendre l’atmosphère devenu étrangement pesante, réussit finalement à apaiser l'esprit de la jeune femme.

Les sacs furent alors déballés, dévoilant profusion de tissus et de victuailles, choisit par le Comte de Rougelac en tenant compte du fait qu'il était important que cela s'avère être des denrées périssable à moyen / long terme. Si jusqu'à cet instant, le Gouverneur de Sombrebois semblait plutôt insensible à la scène qui se déroulait devant ses yeux, cela n'allait pas durer et pour cause ! Voilà qu'un de ces marmot le prenait pour cible. Non pas pour lui chercher des noises, loin de là, mais tout portait à croire que le petit François était en quête d'attention, peut être même d'affection face à ce bienfaiteur que venait d'incarner à ses yeux Victor de Rougelac.

De prime abord, cette présence semblait déranger le mondain, puis cela se transforma en une certaine forme de curiosité et ensuite... l'appréhension de mal aborder cet événement le gagna. Hésitant, il fixa le bambin à ses pieds qui tirait sèchement sur sa chemise pour le faire réagir. Mais que voulait-il, bonté divine ? Une bonne gifle ? Non... cela ne se pouvait ! Victor n'avait que peu côtoyer d'enfant et de fait, il ne savait ni comment s'y prendre ni ne savait comprendre ces petits être encore couvé par leur mère sous les jupons.

Perplexe, il se frotta la barbe à hauteur de menton, plissant une paupière en quête d'élucidé l'énigme qu'incarnait François. Il avisa alors Esméra puis Rosalie, avant d'entendre la Dame d'Hagerth tenter de rassurer la catin. Finalement, il laissa parler ses instincts, s'accroupissant sans vraiment comprendre son geste avant de soulever le petit garçon et se redresser. Il se surprit alors à l'étreindre, comme s'il s'agissait de son propre fils, ce fils qu'il n'avait jamais eut. Il se souvint alors des deux fausses couche de feu la Dame de Rougesoleil, l'une survenu par sa faute, rejetant toute volonté d'élever un bâtard et l'autre que les événements du couronnement du Roi lui avait arraché malencontreusement.

Soudain... plus rien ne semblait exister tout autre de lui. Ni la baronne, ni Rosalie, ni ce taudis qu'il visitait. Non, il ne restait plus que lui et l'enfant. Cette sensation était nouvelle, perturbante et pourtant si attirante. Oubliant jusqu'au poids de l'enfant qu'il portait à bout de bras, Rougelac le serra dans ses bras. Confronté à l'une de ses Malédiction, le sang-bleu se lassa entraîner dans une forme de rêve inaccessible. Chérir un enfant... si seulement François était son enfant, le fruit de d'une relation avec une femme qu'il avait choisit par amour ou par intérêt, cela n'avait que peu d'importance après tout.

Ce n'est que lorsque Rosalie fondit en larme que le Comte de Rougelac reprit ses esprits et reposa finalement l'enfant au sol, regrettant que ce songe n'ai pas pu durer plus longtemps. Il crut alors, car il n'avait évidemment pas suivit le cours des échanges entre Essie et Rosalie, qu'il était la cause de la tristesse de la putain et s'en excusa.

- Veuillez m'excuser, je...

Mais il se tut soudainement en voyant Esméra lui servir un doux sourire, plein de joie et de gratitude. Semblant quelque peu perdu, il ne souhaitait guère passer pour un étourdit et décida alors de ne pas interagir avec la femme en pleure, plongeant les mains dans les poches de son veston en aillons pour en sortir deux petites statuettes en bois. Il fixa alors tour à tour les deux marmots.

- L'on m'a dit que vous souhaitez devenir de preux chevaliers ? Menti-il. Tenez? Je vous offre à chacun ces modestes figurines. Il ouvrit les paumes après s'être à nouveau accroupi et révéla deux soldats de bois en armures. Tout deux brandissant une épée et portant un haume. Victor espérait ainsi faire plaisir aux deux enfants et peut être même chercher à surprendre sa compagne d'aventure par ce geste dont elle ne s'attendait sans doute pas. Mais était-ce bien judicieux ?

Sans un regard pour les deux femmes, Victor attendit alors que les deux jeunes garçons ne s'approche de lui pour leur offrir ce petit présent en bois, soucieux de leur réaction, un sentiment bien étrange naissant dans son esprit pourtant d'ordinaire si fermé et calculateur.

La scène n’a échappé ni à Rosalie, ni à Esméra. Cette dernière serra la main de son hôte avec douceur, avant de murmurer :

- Regardez…

La baronne ne les quittait pas des yeux. Ce qu’elle avait soupçonné et à peine aperçu dans son salon à leur première rencontre éclate ici au grand jour, sous les yeux totalement éberlués de la mère de famille qui ne sait plus très bien quoi penser. Esméra, elle, ne peut s’empêcher de les regarder tous les deux, visiblement attendrie par ce qu’elle voit là-bas. Elle a le triomphe modeste, pourtant, se limitant à un petit sourire en coin, tout en reportant son attention sur les vêtements tout en parlant à voix basse, proposant une coupe ici ou là, pour tailler judicieusement les pièces afin d’en faire de petits habits. Elle ne voulait pas que Victor se sente épié ou jugé pour un élan du cœur qu’elle sait spontané et donc fort rare. En effet, les personnes telles que lui ne font jamais rien sans calcul, elle le sait fort bien. Sauf quand un enfant entre dans l’équation. Autant donc le laisser profiter de l’instant et se tenir en retrait, le temps qu’il faudra.

Le petit François ne sait pas de qui il s’agit. Il sait juste que ce monsieur vêtu aussi simplement que sa maman lui a apporté de quoi manger, de quoi se chausser et de quoi se vêtir, alors que dehors il commence à faire très froid. Il a vu sa maman pleurer et dire merci. Le petit garçon sait que tout ceci est possible grâce à Essie et à Victor. Alors, il remercie, à sa façon, avec ses gestes non calculés et sincères, des petits gestes d’enfants dépourvus de malice. C’est ce genre de geste, ce genre d’attention qui tireront Victor vers le haut. Il n’y est pas insensible, elle le voit très bien et cela la rend heureuse, même si elle ne l’affiche pas ici. Plus tard. Quand ils seront sortis de cette maison et qu’ils seront seuls, elle lui parlera de ce qu’il vient de se produire ici. En attendant :

- Tenez, regardez ! Il y a une robe à peine passée, Rosalie ! elle est un peu grande mais il suffira de reprendre un peu ici, à la taille, et de faire un ourlet en faufilage pour ne pas perdre le tissu et le tour est joué !

L’enthousiasme d’Esméra gagne Rosalie qui le laisse aller à palper les tissus avec un vrai sourire cette fois, rassurée. Les enfants quant à eux sont désormais près du Comte, François avec de grands yeux tous ronds et le petit Jean avec son morceau de tissu sur la tête, comme s’il voulait se cacher dessous. Victor vient de sortir de sa poche deux petits soldats de bois. Et la baronne capte à ce moment-là le regard du Comte. Une lueur intense dans les yeux, un sourire reconnaissant lui sont adressés en silence, avant qu’Esméra n’approuve, d’un discret hochement de la tête.

Le petit Jean approche de Victor et regarde le soldat avant de regarder François.

- Rogarde ! Ils ont une épée tous les deux ! On peut les prendre alors, c’est vré ?

Il s’en saisit avant de le serrer contre lui, en riant aux éclats, et de courir près de sa mère pour lui montrer. François, lui, prend le petit jouet avec prudence, parce qu’il n’en a jamais eu de semblable. Il le regarde, les joues toutes rouges de joie, avant de demander :

- Tu es un chevalier, toi, Monsieur ? Là où vit Essie, y a que des chevaliers avec des épées, je l’sais parce que j’ai dormi dans sa maison. Même Essie, elle en a une. Pas vré, Essie ?

Une quinte de toux coupera la discussion. Esméra vient de tousser si fort que Rosalie lui apporte un gobelet d’eau.

- Hem…Merci Rosalie. François, mon petit, viens essayer les chaussons…s’il te plaît.

La baronne garde un certain contrôle d’elle-même tout en se concentrant sur sa tâche du jour. Elle aurait du penser que ce genre de propos finirait par venir dans la conversation. Ce que ne peut savoir le petit garçon, c’est qu’il est extrêmement mal vu qu’une noble dame touche à une arme ou même en possède une, même si pour lui un stylet est une épée de chevalier, puisque ça coupe et que ça pique. Et elle ne voulait pas que sa couverture soit dévoilée si vite. Elle sourit donc au bambin avant de le soulever et de l’asseoir sur la table, avec un sourire, et de murmurer :

- Il n’y a que les Seigneurs comme Victor qui peuvent en porter une. La milice aussi. Que t’ai-je déjà enseigné à propos des secrets ?

Le garçonnet regarda le plafond et souffla, un peu gêné :

- On ne doit pas raconter ce qu’on apprend sans le faire exprès. C’est ça ?
- C’est tout à fait ça. Regarde comme tu es beau maintenant…

Il regarde ses pieds couverts et saute sur le sol avant de se mettre à courir. Elle a distrait son esprit sans perdre de sa superbe. Elle a alors un regard pour le Comte en disant :

- Vos cadeaux font merveille, mon ami. Je ne pense pas avoir jamais vu ces deux petits aussi heureux…

Ils sont assis devant le maigre feu et jouent avec leurs petits soldats de bois, sans plus s’occuper des adultes. Rosalie, elle, se lève, approche du Comte, terriblement intimidée, et s’incline maladroitement avant de murmurer :

- Merci, Monseigneur…Merci pour eux. Vous leur sauvez la vie.

Un moment rare, même privilégier! Voir ainsi le Comte de Rougelac quitter son costume d'intrigant au cœur de pierre n'était pas donner à tout le monde. Il y avait bien eut peut-être Kristina de La Broye, son amante diabolique, mais mit à part feu la prêtresse, sans doute que la baronne de Sibran était, en compagnie de Rosalie, la seconde personne en ce monde à avoir vu ce qui pouvait se cacher derrière le personnage controversé du Comte de Rougelac. Par respect, pudeur et certainement affection, la Dame d'Hagerth se garda bien d'exprimer alors le fond de sa pensée, préférant laisser son compagnon de fortune profiter de l'instant présent, savourer cette proximité avec les deux jeunes garçons de la femme qui vendait son corps pour subvenir à leurs besoins.

Le sang-bleu n'avait nul honte à trahir ses sentiments et c'était une chose rare, conscient par la même que si la veuve de Sibran souhaitait lui nuire, il venait de lui offrir des arguments de poids dans ses desseins. Seulement, Victor ne croyait pas la sang-bleu capable de telles agissements. Mais après tout, aurait-il plutôt préférer qu'il se méfie ? Certes elle lui avait avoué bien des choses, mais il ne l'a connaissait après tout que depuis quelques jours à peine ? Victor ne prenait pas garde et ce malgré son expérience, sachant qu'une femme était bien plus dangereuse qu'un homme dans la Haute Société. Mais après tout, qu'avait-il à perdre? Au mieux sa réputation, au pire sa vie et sa fortune qui de toute façon à l'heure actuelle, terminerait dans les coffres du Roi.

Lorsque le petit Jean approcha, Victor ne put que sourire devant ce petit bout d'homme qui apprenait encore à parler, faisant quelque faute de prononciation, somme tout normal à son âge. Le Gouverneur de Sombrebois acquiesça et laissa l'enfant lui dérober le soldat de bois avant qu'il ne le questionne. S'il aurait été fort embarrasser de lui réponse soit en toute honnêteté soit en lui mentant, quelque chose l'immunisa de tout choix. Le piot venait de divulguer un secret concernant la baronne, cette dernière s'efforçant alors de couper court à toute autre erreur de la part du petit Jean. Mais, le mal était fait, enfin, était-ce vraiment un mal que de porter une arme ? Même pour une dame de bonne lignée ? Les codes l'interdisait certes seulement, nombre d'entre elles portaient à leur bas quelques discrètes lames... au cas où...

L'enfant quitta la proximité du mondain, allant volontiers essayer ses chaussons alors que la Dame d'Hagerth cherchait à reprendre le contrôle sur le cours des événements. Rougelac observa alors la veuve qui semblait tant se plaire en compagnie d'enfants, il n'en faisait aucun doute et l'instant en était presque poignant alors qu'elle devisait avec Jean comme le ferait une mère avec son fils. Le petite bonhomme finit par filer comme une flèche, testant le confort et la robustesse de ces nouveaux chaussons, Esméra profitant de cet instant pour gratifier son complice de remerciements sincères. S'il ne savait trop quoi lui répondre, il en fut bien plus encore le cas lorsque Rosalie s'approcha de lui pour la remercier à son tour. Il fuya alors son regard qu'il posa sur les deux enfants jouant au coin du feu puis répondit sobrement sans croiser le regard d'aucune des deux femmes ici présente.

- Ne me remerciez pas. Remerciez Essie. Tous les honneurs lui reviennent. Ce n'est pas grand chose après tout. Vos enfants sont adorables, prenez-en le plus grand soin.

Cherchant alors à rompre avec cette nouvelle personnalité qu'il affichait bien malgré lui, Victor releva le menton se racla la gorge, fuyant l'attention des enfants et le regard des deux femmes pour finalement alors récupérer les deux sacs en toile à présent vide. Sur le moment, il se trouvait si faible, comment avait il pu dévoiler une telle facette de sa personnalité, cela le rongeait et il avait bien peurs des conséquences de cela.

Esméra comprend que l’exercice n’a pas été simple pour le Comte. Cela n’a pas été simple parce qu’il n’en a tout simplement pas l’habitude. Dévoiler des sentiments, une certaine tendresse, une lueur d’humanité est à ses yeux une preuve de faiblesse. Elle en est consciente et elle ne compte pas faire durer les choses plus que de raison. La baronne a bien vu qu’un malaise venait de s’emparer de Victor et, soucieuse de ne pas l’éprouver davantage, elle se lève alors pour replacer la chaise correctement et approcher de Rosalie. Elle lui prend les mains et les serre doucement, avant de dire :

- Si j’en suis le moteur, jamais je n’aurais pu apporter tout ceci, car même pour moi les temps sont difficiles. Le Comte est la personne est à l’origine de tous ces présents, Rosalie. Lui et seulement lui.

Elle sourit avant de la prendre dans ses bras et murmure rapidement à son oreille :

- Ne l’oubliez pas, la prochaine fois que vous entendrez du mal à son propos. Rappelez-vous que rien ne l’obligeait à faire tout ce qu’il a fait.

Rosalie serre la baronne dans ses bras tout en jetant un regard à Victor qui tient les deux sacs vides dans ses bras. Esméra se défait de l’étreinte en douceur et a un regard pour les petits qui n’ont plus conscience de rien, tout occupés à jouer devant le petit feu brûlant dans l’âtre. Elle sourit à ce spectacle et ajoute :

- Ne vous dérangez pas, nous nous en allons. Portez-vous bien, je reviendrai dans quelques jours pour prendre de vos nouvelles.

Elle esquissa un ravissant sourire en direction de Victor et rabat sa capuche sur sa tête avant d’ouvrir la porte et de sortir sans bruit, pour laisser la petite famille profiter de tout cela, et probablement faire un premier vrai repas, le premier depuis des jours. Elle attendra que le Comte sorte et ferme la porte pour initier la marche, ne disant rien pendant quelques longues secondes. Puis, sans prévenir, sans demander et sans aucune brusquerie, elle vient familièrement placer son bras sous le sien, avant de murmurer :

- Vous avez été parfait.

La baronne est heureuse. Si elle modérait sa joie à l’intérieur de la misérable maison, il n’en est pas de même dans la rue. Esméra a un sourire merveilleux, un sourire dont elle gratifie le Comte.

- Vous avez offert à cette petite famille de quoi s’habiller et manger, vous êtes resté digne, vous avez agi en seigneur. En véritable seigneur, mon ami. Je suis heureuse d’avoir assisté à cela. Cela étant, soyez rassuré…Je ne dirai rien à personne. Tout ceci restera entre nous, je ne voudrais pas voir votre rempart et vos défenses s’effriter, parce que vous avez montré un sentiment…

Elle le taquine gentiment bien entendu. Dehors, dans la rue, les gens se font plus nombreux, on ne se retourne pas sur eux, ils sont des anonymes au milieu d’autres anonymes, et la baronne s’y sent bien. Un soupir d’aise s’échappe d’ailleurs de sa poitrine. La journée est belle. Probablement une des plus belles qu’elle ait vécu depuis des semaines, voire même des mois.

- Alors, dites moi. Qu’avez-vous pensé de tout ceci ? Cela vous donne-t-il envie d’en faire un peu plus pour les pauvres gens de cette ville ?