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| Malins & Caprins - Guillemette | |
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Mederich de CorburgComte
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Mer 2 Mar 2022 - 8:30 | | |
Des arbres, des fourrées et de la boue.
Voila l’unique horizon que Mederich mirait depuis des heures maintenant. Il ne marchait pas en tête de colonne mais évoluait au milieux, se gardant bien de la vanité du monde d’avant ou, en cas d’attaque inopiné, il aurait été en première ligne contre la mort. Lesté de ses trois cabots qui lui battaient les flancs, le Comte mettait péniblement une jambe devant l’autre. C’était un habitué de la marche forestière, mais les conditions étaient du genre à vous faire flancher, habitué ou non. Il glissa de nombreuses fois, s’étalant presque de tout son long, ne conservant sa superbe que par la présence de quelques grosses branches sur lesquels il put s’agripper. D’autres chutèrent lourdement et ralentir le rythme de la colonne, ce qui ne manqua pas de le faire pester à haute voix, distribuant rabrouerie et colibet gratuitement et avec force. Les plus frêles et moins expérimentés de l’extérieur était à peine plus vivace que des nourrissons dans ces conditions. Mederich priait intérieurement pour qu’aucuns fangeux ne croisent leur chemin, ou le massacre serait bien plus sanglant que dans la grange de la nuit précédente.
La progression ne connut pas d’aube nouvelle, elle se contentait d’être, éprouvante au possible, mais nécéssaire. Mederich s’enferma comme à son habitude dans une bulle de bougonnerie ; personnes n’étaient assez fou pour venir l’y déranger sous peine de bonne torgnole derrière les esgourdes. Dans ces moments, il était au moins aussi amical que son plus vieux dog qui possédait la fâcheuse tendance de becqueter tout ce qui s’approchait un peu trop prêt de son gueuloir malodorant. Diantre ressemblait-il autant à son vieux compagnon ? Non, non, lui possédait un poil plus brillant.
Sur ces quelques divagations de l’esprit, les ténèbres commencèrent à recouvrir le monde une nouvelle fois, promesse d’une nuit aussi dangereuse que la suivante. A bonne réflexion, sûrement bien plus, car la colonne n’était pas loin des frontières occidentales du Labret. Autant dire que la Fange était aussi palpable que la grosse cuisse d’une rombière à la vulve purulente : on la connaissait, on savait ou elle se trouvait, on pouvait être tenté de l’observer, mais pour rien au monde on aurait apprécié sa présence inopiné.
Ce fut la voix fluette de la bergère et le bêlement des chèvres qui le tirèrent de sa morgue.
« Peste. Nous continuons Je ne crains pas le déluge. Roukiers, les torches de poix ! Si tu as connaissances d’une place plus profonde dans ces bois, nous nous y rendrons, cela sera toujours gagné sur la journée de demain et nous pouvons encore avancer une heure. Nous nous reposerons quand nous serons mort la Mouette. »
Des paroles qu’il n’espérait pas prophétique. Peut être le Comte s’entêtait-il un brin trop concernant sa cargaison de minerai, mais il était le Comte, que pouvait-on dire d’autre ? Allant contre toute prudence, Mederich savait intérieurement qu’avancer dans le presque noir, tiraillé par la fatigue et la pluie, serait une nouvelle épreuve, mais il n’était pas venu dans ces bois pour enfiler des rondins. Attendant qu’on lui fournisse une torche, les lueurs rougeâtres se dispersèrent bientôt entre les troncs, projetant une myriades d’ombres fantastiques. Il ne faisait plus nuit, mais plus jours non plus. Et qui pouvait savoir ce que cachait les futaies ?
Peut être les hommes auraient-ils dut une nouvelle fois faire attention aux détails. Mais dans leurs coins, les limiers se remirent à dresser de l’oreilles. Auraient-ils entendus quelque chose à l’avant ?
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| | | GuillemettePaysanne
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Ven 4 Mar 2022 - 1:51 | | | L'irritation flambe quand je l'entends aboyer sa mauvaise humeur et je reste un moment sans voix. Les torches s'allument et leurs cheveux dorés, ronds de ventre et à tête folle, m'éblouissent presque. Pourquoi. Par les cieux pourquoi. Je fulmine. Ah, tu veux jouer le malin, le héros, le tyran. Allons-y, tu riras mieux tout à l'heure. Démerdez-vous avec vos chevaux, c'est pas mes chèvres et mes brebis qui auront du mal à continuer ici.
Je tourne les talons et me glisse alors vivement sous mon mélèze pour me couler ensuite, sur les coudes et les cuisses, sous de gros ronciers par un tunnel de renard. Démerdez-vous. Par où tu crois que vous allez passer là hm ? Plus avant dans le bois ? Imbécile ! On en aurait fait le tour, demain ! Je m'entends suer et ahaner quand le grondement de ses chiens me tire l'oreille vers la gauche. Je me fige une seconde, mais mon ventre ne s'est tendu que de fatigue et de colère. Quoi qu'il y ait, là, ne me concerne pas. Je reprends ma lourde progression et émerge derrière le taillis épais. Je me retourne. Ses chiens grognent encore, un peu plus long et hargneux que tout à l'heure. Il y aurait quelque chose là, quand même ?
Je suis à une petite quinzaine de pas des hommes, ne voyant d'eux que l'éclat de leurs torches à travers les grosses branches et les longues langues noires du roncier. Mon troupeau est passé avec nonchalance après et avant moi par le chemin de bêtes sauvages dans lequel je me suis faufilée, et Capscha halète en retrait sur ma droite. Les grognements s'appuient encore, et dès qu'un des corniauds se met à gueuler, un concert furieux nous choque oreilles et poitrines. Leurs chaînes battent et crient, et malgré moi, l'angoisse vide un peu de leurs muscles mes bras et mes épaules. C'est à leur gauche, et le ventre du taillis qui nous sépare me fait un mur un peu long à contourner. J'entends, dans le grand bruit, aboyer le Comte sans comprendre ce qu'il ordonne. Je me serre un peu les abdominaux et décide de suivre la barrière végétale par le flanc, pour aller trouver ce qui fait tant gueuler les chiens. Capscha se noue à ma cuisse. J'avance avec autant de souplesse que j'ai su l'apprendre, et tends yeux et oreilles aux quatre angles du bois.
Un grondement, très grave, très bas, presque faible, retentit. Ah, c'est une bête. Je me rassure tout de suite. Une bête sauvage. Si elle gronde, c'est qu'elle est en mauvais état ou qu'elle protège quelque chose, sinon, elle aurait décampé. Et derrière un tronc mince comme une demoiselle, je le vois. Je me redresse et hurle comme si je voulais les faire tous coucher truffe au sol :
" Un lynx ! Monseigneur ! Tenez vos chiens ! Je le fais décamper ! "
Je répète chaque mot, au hasard, dans la cacophonie des jurons, des ordres, des clébards furieux. Mal en point oui : dans le noir qui s'alourdit sur mes yeux, je distingue sa patte avant piégée dans du fer. Un salaud a posé un piège à loup. Et je viens de mener le troupeau là-dedans. Je maudis l'ordure, jure et siffle, et profite de cette hargne pour gifler de ma colère d'âme le gros fauve qui feule très bas. Peu de chance qu'il en réchappe. Libérer un monstre pareil sans le tuer avant n'est même pas envisageable. Je sors ma fronde de ma sacoche. Les hommes et les chiens ne se sont pas tus, et je crois les entendre approcher parce que les branches craquent, font comme de grosses vagues qui se déchirent, et des bruits de fer cliquètent à tout va. Mon irritation grimpe plus haut encore et je vais pour gueuler à tout le monde de fermer son clapet quand un brusque bond du lynx au coin de l'oeil me remet à l'affut : il s'est jeté sur moi et s'est écrasé au sol, très brièvement, retenu à l'os par les dents rouillées.
Je crois que le Comte m'appelle. Dans le doute, je gueule encore :
" Un lynx dans un piège à loup ! Je m'en charge ! "
Je n'ai que le temps de charger un petit roc trouvé sous les feuilles dans la poche de ma fronde que la stature large surmontée d'un globe échevelé et auréolé de lumière instable émerge du taillis. A contre-jour, je ne distingue pas son visage, mais je devine que son humeur est toujours aussi méchante que tantôt. L'espace d'une seconde, ma main redescend : m'est avis que maintenant qu'il est là, il va me falloir attendre qu'il me donne l'ordre avant que de pouvoir faire à ma façon... |
| | | Mederich de CorburgComte
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Mer 9 Mar 2022 - 8:25 | | |
Avoir la caboche solide était généralement une bonne chose. L’avoir aussi dur qu’un moellon de granit ce révélait plutôt contraignant.
Mederich ne l’aurait avoué pour rien au monde mais la lente progression qui suivit fut surement la plus pénible de toute cette foutue journée. Il eut tout simplement l’impression de mettre une demi heure à parcourir une jetée de cailloux. A dire vrai, quand il avait jeté quelques pierres pour s’en rendre compte, le résultat fut encore pire que ses estimations. Choisissant soigneusement de ne croiser le regard embrumé d’aucuns de ses suivants, il fit comme tout bon capitaine se devait de faire dans la mêlée : toujours faire croire qu’on l’avait fait exprès. Ne pas perdre la face était sûrement, un des jeux les plus anciens que pratiquaient la noblesse depuis qu’elle existait. Pour sur qu’il n’était qu’un petit lanceur de dés à cette grande partie qu’était la vie, mais il se devait de faire au moins le minimum. Question de principes.
Les chevaux hennirent, les flammes des torches lançaient de trop curieuses ombres sur les troncs entrelacés et ces visions faisaient naître la peur chez les équidés. Ces morceaux étaient des canassons de guerre, pas des cabris habitué à avancer une fois la nuit venue. Eux savaient tuer, piétiner, foncer droit devant quand la situation l’exigeait, mais croiser une ombre suspecte dans un lieu tout aussi suspect ce révélait bien trop contraignant pour eux. Autrement dit, l’ambiance était aussi lourde d’une margelle de puit.
A nouveau, ce fut les aboiements furieux des limiers qui sortirent le Vieux Rab de sa torpeur. Tout sens en alerte, les premières questions lui remontèrent à la face avec la violence d’un orage. Dans le groupe, on tira les lames plus rapidement que les queues pour aller pisser ; tous avaient encore en tête la Fange et d’ailleurs, comment l’oublier ? Mais ce fut la voix frêle de la jeune bergère qui s’éleva parmi les ombres, la Mouette avait débusqué un gros chat. Mederich lui lança quelques verbes qui se perdirent dans la pluie et le vent. Il commença à essayer de la rejoindre, tentant de se concentrer avec toute cette pagaille.
« Ou-da ! Assez ! Ferme ! Assez, silence ! » Beugla t-il a l’attention de ses limiers qui se calmèrent à contrecoeur, baissant la truffe, continuant de grommeler entre leurs babines. « Rangez vos épées, mais gardez une pogne dessus, qui sait.» Les hommes confirmèrent dans signe bas du crâne et se murèrent dans une face aussi sombre que la nuit. Mederich accompagné de Côme se mit à cheminer en direction des feulements et de la voix de femme. Arrivant sur place après s’être prit les armions dans une multitude de ronces et d’épines, les deux hommes bougons débouchèrent sur une scène peu banal. L’animal coincé dans un piège à loup était sans douter à l’agonie et s’il continuait ainsi son vacarme, la forêt entière serait au courant de sa présence ; qui sait ce que ces bruits pouvaient réveiller dans les ombres.
La colère monta en Mederich, mais elle prit une forme inattendue en ce matérialisant dans son compagnon de Broque. Le taciturne chevalier ne fit qu’une enjambée leste, lame au clair et plongea son dard d’acier dans le cou contorsionné du lynx, mettant net fin à ses supplices. En presque professionnel, il n’avait fait qu’une entaille légère, de quoi éviter d’abîmer la peau qu’il comptait sans doute garder pour lui.
« Par les dieux, tu aurais du t’en occuper plus rapidement que cela, gamine. » Pesta de Broque en essuyant sa lame sur le revers de son linge déjà souillée. « Souhaites tu donc devenir une bouchée à fangard se soir ? La nuit dernière ne t’a point suffit ? S’ils viennent, je te jetterais moi même à… » « Silence. » Ordonna le Comte d’une voix ferme. « Plus de braillement pour cette nuit. Nous ferons halte maintenant et continuerions au lendemain. Sire de Broque à raison, tu aurais du mettre fin à ces cris rapidement Mouette, si la Fange arrive, nous ne serons pas en bonne position dans ces bois. Aussi, tu prendras le premier tour de garde avec deux de mes hommes. Nous n’allumerons pas de feu outre celui des torches et nous ne mangerons qu’une fois l’aube venue. Nous repartions au plus vite. Maintenant prions, prions pour que nous passions entre les mailles du filet cette nuit. »
Mederich le savait, encore une fois, il ne fermerait pas un seul oeil.
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| | | GuillemettePaysanne
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Jeu 10 Mar 2022 - 20:14 | | | La lame transperce avec un bruit mou la chair rouge et le sang gicle à son extraction. Le félin s'effondre, accrochant mon regard, sa patte rongée à l'os toujours enferrée dans le piège. Le chevalier rengainant commence à me siffler au visage comme un serpent, mais est interrompu par le Comte.
« Silence. Plus de braillement pour cette nuit. Nous ferons halte maintenant et continuerions au lendemain. Sire de Broque à raison, tu aurais du mettre fin à ces cris rapidement Mouette, si la Fange arrive, nous ne serons pas en bonne position dans ces bois. Aussi, tu prendras le premier tour de garde avec deux de mes hommes. Nous n’allumerons pas de feu outre celui des torches et nous ne mangerons qu’une fois l’aube venue. Nous repartions au plus vite. Maintenant prions, prions pour que nous passions entre les mailles du filet cette nuit. »
Je me crispe de toutes mes dents, mais compte bien sur l'ombre creuse pour ravaler mon visage. Quand je vais pour me détourner, je saisis un coup d’œil aussi luisant qu'une torche qui s'est fiché sur moi : le chevalier. Je me dis brièvement que c'est déjà la seconde fois qu'il me gicle au visage et que son chef l'interrompt. Je réalise soudain que malgré sa vulgarité, le seigneur est resté droit, probe, honnête avec moi. Que je les exècre jusqu'aux ongles ne fait que distordre mon appréciation. Tandis que je lui tourne le dos, je m'interroge à reformer un peu l'image que je me suis construite, constatant que malgré tout, le Comte avait veillé à ma sécurité depuis notre rencontre... Je comprends que j'aurais pu mourir deux fois au moins. L'image de cet homme aux traits coulés de bronze me surplombant tout poisseux de sang bleuâtre, son marteau au gluant gouttant une flaque sur le sol, le cadavre difforme du fangeux disloqué à ses pieds... Un violent frisson me secoue.
Je dois sortir mon troupeau de là. Un piège, c'est toujours une maille, la chaîne est disséminée ailleurs. Je siffle Capscha, et me retourne vers le Comte.
" Monseigneur, faites attention à vos chevaux et vos chiens. S'il y avait un piège, il y en aura sûrement d'autres... Je vais ramener mes bêtes au dehors, j'irai coucher à la lisière. "
Je m'interromps tout net. Le froid est revenu, très fort. Je vacille. Il disparaît. Je suis hébétée. Jamais encore ne s'était-il manifesté ainsi. Toujours croissant, progressif, rampant comme un crapaud sur l'humus gras, et autant opiniâtre. Là, il m'a frappée d'un coup de phalanges dans le sternum, a appuyé de tout son poids juste le temps de me faire perdre deux ou trois respirations, puis s'est effacé. Quelque chose. Mais quoi...
Je cherche d'instinct dans toutes les directions, les yeux agrandis pour percer l'ombre, mais éblouis par les éclats agressifs des torches. J'hume l'air, mais ne sens que la fumée âcre et pesante de la poix carbonisée. Je tends l'oreille, mais suis assourdie par les cliquetis de ferrailleries et les gros clapots de voix des hommes armés. Et ce froid qui ne revient pas. Je suis plus affolée que s'il s'était installé. Pourquoi ce... Le revoilà ! Le froid, là. Il bat, pulse avec mes contractions de coeur. Un, deux, trois, quatre... Au cinquième battement, il me lâche à nouveau.
Je me retourne d'un bloc.
" Monseigneur... "
Je pose ma main sur son bras, pour le faire tourner à nouveau vers moi.
" Monseigneur... Quelque chose... "
Il faut qu'il m'écoute, il faut que je lui explique. Je ne comprends pas, mais je sais qu'il y a quelque chose ! Et ce quelque chose, c'est un quelque chose de fangeux... |
| | | Mederich de CorburgComte
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Ven 11 Mar 2022 - 8:09 | | |
Manifestement, de Broque avait encore en tête l’idée simple qui consistait à ce débarrasser du seul guide connaissant les lieux.
Si Mederich pouvait comprendre le pourquoi du comment, il refusait toujours à recourir à cette option. Notamment car la Mouette était surement la seule à pouvoir les conduire hors de ces bois sans qu’ils ne perdent trois jours à faire quelques hasardeux détours ; mais surtout, car la jeune femme faisait toujours preuve d’un courage qu’il aurait apprécié voir chez certains de ses hommes. Ainsi, bien qu’elle soit d’un rang qu’il n’apprécierait jamais, il pouvait reconnaitre quelques qualités essentielles pour affronter l’existence qui était celle de l’humanité aujourd’hui. Le Vieux Rab respecterait ses engagements quoi qu’il dusse en couter et les Hardis n’avaient qu’à bien se tenir ; dans le cas contraire il utiliserait lui même son marteau pour régler les différents contestataires.
Mederich aurait put se lancer dans une veine tirade servant à rabrouer de Broque, mais cette option n’avait point sens. Le Chevalier se sentirait humilié et n’en serait que plus retord. De plus, cet homme, bien que salopard notoire, lui avait sauvé la vie et faisait preuve de qualité appréciable. Cela aussi, le Grand Mestre de l’Ordre ce devait de le respecter, sans quoi, il perdrait la face vis à vis des autres membres de sa bien pathétique compagnie. Intérieurement, il regretta une nouvelle fois de n’avoir plus aucuns Corbiens dans ses rangs. Ces hommes étaient des limiers sans foi ni loi, mais tous partageaient des valeurs communes et connaissaient les rouages de la société Corbienne. Avec eux, très peu d’impairs, très peu de faux semblants, aucunes craintes de finir avec une dague dans le coffre une fois les ténèbres recouvrant le monde. Voilà à quoi le Comte en était réduit aujourd’hui, hors le Rouge, il ne faisait plus confiance à personne. Triste réalité quand on se devait d’affronter le fléau des hommes jours après jours.
C’est alors qu’une main calleuse mais à la poigne douce effleura son avant bras pour le retenir. Par instinct, fatigue, harassement et caractère naturel, Mederich s’apprêta à lâcher remontrance digne d’une fosse à purin contre l’importune qui venait de le toucher. Mais quand il posa ses mires fatiguées sur les traits cave de la jeune femme, le Vieux Rab ravala sa bile.
Elle ne ressemblait plus à la courageuse femme qui leur ouvrait la route mais à une bête sauvage effrayée qui se sentait traquer.
« La Fange… » Pesta Mederich en comprenant sans que mots ne soient échangé.
La Mouette avait déjà fait preuve d’un sens aiguisée quand il s’agissait du danger. Cette donze semblait parler avec le vent, voir au delà du réel et du voile qui recouvrait le monde. Il l’avait d’abord prit pour une simple folle, mais elle avait prouvé le contraire durant la terrible dernière nuit, aussi avait-il décidé de faire confiance à son instinct paysan.
Côme de Broque avait dégainé son acier et les hommes qui s’ébrouaient encore à quelques tâches différentes avaient stoppé eux aussi pour tirer lames à clair.
Ils n’étaient pas en bonne posture, quoiqu’il arriva par l’avant, l’arrière ou les flancs, si une horde venait à se présenter, Mederich ne posait que bien peu d’espoir sur leurs survies à tous. Mais la Mouette, toujours figé, semblait scruter un point invisible à tous en avant. Le Comte trouva bizarre ce comportement, sachant qu’elle aurait très bien put monter aux cimes pour se protéger, quelques choses semblaient clocher. Faisant un signe à ses hommes afin qu’ils se regroupent, tenant son marteau dans une main, la torche dans l’autre, il fut bientôt accompagné de ses molosses toujours retenus par leurs chaînes.
« Au milieu la Mouette. Faites attentions aux arpions, couvrez flancs, en avant Roukiers. »
Ordre simple, chuchoté mais appliqué. Choississant la tête, Mederich se déplaça lentement, tentant de faire le moins de bruit possible dans les halliers. Autrement dit, on pouvait l’entendre à des lieux. Mais quoi qu’il en couta, il prit la tête, prêt à affronter le destin. La marche sembla durer une éternité et la terreur commença à s’insinuer dans les failles des esprits les plus faibles. Mais le Vieux Rab la chassa comme une vieille amie, véritable phare face aux ténèbres. C’est alors qu’ils débouchèrent dans un piteux sous bois clairsemé et c’est la qu’ils le virent.
« Crèvent mais ne meurent pas. » Annonça la voix morne du Comte qui cracha au sol devant la terrible vision.
Devant leurs yeux médusés, se trouvait un non mort. Ils durent le reconnaitre à l’accoutrement qu’il partageait tantôt avec les gens de sa troupe. Par le passé, c’est à dire la nuit dernière, il fut de ceux qui faillirent les rapiners dans la vieille grange. Un coquin des chemins à qui ses hommes avaient omis de trancher la caboche. Un récemment transformer sur lequel les traits de l’humanité était toujours bien visible outre ses mires. Car dans ses deux globes oculaires laiteux et opaque, on ne lisait plus aucunes étincelles de vie. Sa bouche béante s’ouvrait et se refermait à la vitesse de celle d’une bête blessée et affamée. Et c’était exactement ce qu’il était en cet instant. La jambe solidement emprisonné dans un des pièges à loup, il trébuchait en permanence, s’affalait dans les feuilles mortes et la boue, mais cherchait en vint à se relever et aller de l’avant, souhaitant par dessus tout becqueter de la bonne chaire humaine.
« Regardez et n’en perdez pas une miette car c’est la rare occasion. Voici la macabre réalité, celle qui nous attends tous si nous ne restons pas sur nos gardes. Cet homme en était un la veille et le voici réduit à errer sans fin à la recherche de sang en semant la mort. Peut être avait-il femme et enfants. Peut être l’attendent-ils tous encore au village. Jamais plus il ne s’y rendra avec bonnes intentions et si par malheur il en retrouverait un jour le chemin, ce père, ce frère, cet enfant, n’hésiterait pas à lacérer les chaires de ceux qui lui étaient proches sans aucuns remords. Admirez donc, admirez la Fange dans toute sa splendeur. »
La voix de Mederich avait résonné d’une tonalité presque sacro sainte, on pouvait entendre dans son timbre la réalité sa propre expérience et existence. Tous s’étaient placé en demi cercle autour du fangard qui semblait presque heureux de trouver ainsi tel buffet. Les hommes n’arrivaient pas à en détourner le regard, les chiens grognaient, jappaient, mordaient, prêt à s’élancer en avant. Et que faisait donc la Mouette ?
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| | | GuillemettePaysanne
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Ven 11 Mar 2022 - 20:47 | | | Il a dit " la Fange ", comme on regimbe sur un morceau de viande trop dure : avec le fond de la gorge obstrué. Je sens courir sur tout mon dos, sur mes reins, derrière mes mollets, une houle de poils qui se hérissent. Le mot a condamné mon ventre. Le froid est revenu, hurlant cette fois, tourbillonnant, dense comme un ulcère ou discret comme une brûlure. Il ne s'éteint plus. C'est quelque part devant, et je voudrais me terrer, mais je suis de bois, Capscha au flanc. Je suis entourée d'hommes de fer avant même d'être revenue à moi. Je les regarde hébétée, puis poussée du dos, suis leur marche. Leur bruit m'assourdit toujours et mes alarmes internes s'en irritent. J'entends bêler et je voudrais bondir, mais on me presse encore de l'avant sans y faire garde, alors je continue, dans ce cube de froid gris et qui clinque, et qui voudrait nous mettre à l'abri. Quelque chose en moi ricane très bas : c'est juste là, c'est juste là. Je retiens mes gémissements, me presse la paume sur la bouche, sens monter les larmes : aller droit vers le danger, c'est tout le contraire de mon cœur depuis les débuts de l'abomination...
Je le vois tard, après que tout le monde se soit arrêté, que le métal ait fini de grincer contre les dents et les oreilles : la silhouette vague et noire d'un homme, une jambe tendue vers l'arrière, un dos qui semble saillir, des bras qui paraissent trop longs, un cou qui tord la tête dont le haut est trop pointu... Je frémis, la panique veut me désarçonner complètement mais je tiens bon, et je me surprends. D'un pas glissé entre les armures, je m'extrais des hommes, devant eux, fascinée. Quelque chose en moi s'est tendu, ouvert, et aspire l'espace juste devant mon ventre, juste devant cette ombre encore humaine. Capscha s'est soudée à mes mouvements, lente et souple comme un lynx, comme prête à lever à gibier, à jaillir, à saillir. J'allonge mes enjambées, tournant vers ma gauche, à une dizaine de pas du monstre. Les hommes sont en arc de cercle, à distance légèrement plus grande de lui que moi. Les torches font luire ses traits qui se déforment. Je ne le regarde même plus vraiment, je le sens. Je sens son dos courbé et déjà amaigri. Je sens son attitude, ses deux billes qui regardent, puis perdent, puis reprennent cet éclat inquiétant. Je me sens comme face à un fauve. Un fauve monstrueux, plus puissant que jamais humain ne sera. Plus puissant que l'ours, dont il partage un air. Plus violent que le lynx. Plus vicieux que le loup.
Je tourne autour, lentement. M'arrête. Repars dans l'autre sens. Toujours un peu plus près. Et quand je sens s'épaissir l'espace entre nous, je sens comme deux mains chaudes se glisser hors de moi, et s'ouvrir en mâchoire autour de ce qui reste de l'homme. Quand je serre un peu mon ventre, que ma gorge se ferme un peu, que mes mâchoires saillent légèrement, je sens plus que ne le vois, le dos du monstre s'abaisser. Je recule d'un ou deux pas, sans perdre le rythme, toujours avec cette souple lenteur, et je le vois redresser sa tête. Quand je plante mes yeux sur sa face, je la vois se détourner légèrement, et me surveiller en coin comme un chien. Je me mène vers son dos, il pivote légèrement. Je m'immobilise et me redresse brusquement : il tique, il a frémi. Je l'ai.
Je gronde, très bas, et Capscha fait la résonance. J'avance de deux pas, grondant plus fort, mais toujours très fin. Il abaisse son dos. Je recule. Il gémit presque. Je reprends le tour, revenant vers les hommes, dos aux torches. J'ai entendu l'un d'eux s'exclamer, mais il a été mouché net. Je les sens en suspens avec moi, ces hommes de guerre et de combat. Il y a là une bête qui se découvre un maître. Je reprends à gronder, et reprends à marcher, vers la gauche, vers sa face. Et je m'y arrête, un peu ronde du dos, des bras. Je fais grincer une dent en feulant discrètement. Il darde ses yeux sales sur les miens, et mon front pousse vers lui en écarquillant mes pupilles. Il a un nouveau frisson. D'un mouvement soudain, je saute et hurle à toute poitrine. Le fangeux relève ses bras en pliant les genoux. Je vois son visage, là. Je vois se perdre l'humanité derrière des plis qui fondent comme de la cire, lentement, presque imperceptibles. Je vois son menton qui a déjà commencé de s'allonger, et ses yeux qui se sont enfoncés, arrondis, assombris. Je bondis en arrière : un de ces bras s'est soudain détendu et déchire l'air. Je vois un fauve qui claque des dents depuis le bout de sa chaîne. Le piège-à-loup qui lui mord la cheville gauche crie comme une vieille femme. Une pointe de fer se plante dans son crâne presque en silence. Comme ça.
Le demi-monstre s'écroule. D'une voix morne, le Comte demande qu'une lame coupe en deux ce qui reste au sol. Et pendant tout ce temps-là, ses yeux sont posés sur moi. |
| | | Mederich de CorburgComte
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Mar 15 Mar 2022 - 13:09 | | |
Les hommes restèrent un moment sans un mots, scrutant l’hideux spectacle qui s’offraient à eux.
Nombreux furent ceux qui avaient reçus une description de la fange, de sa méthode, et de la transformation précise qui affectaient chaque mort se relevant à la presque vie ; mais bien rare étaient ceux qui en avaient eu la preuve concrète, celle dut à une observation attentive et complexe. Dans ce petit bout de bois perdu à l’Ouest de Marbrume, se jouait peut être une des scènes les plus convoités par les mystiques depuis l’arrivé du Fléau. Pour sûr que les Hardis Roukiers n’en reflexionnaient point autant, mais ils étaient néanmoins poussé par une curiosité maladive et malsaine. Mederich ne faisait pas exception à la règle, ses yeux ne pouvaient se détacher de la silhouette piéger entrain de perdre lentement son humanité. À dire vrai, il espérait voir ce phénomène à l’oeil nu, cherchant à imprimer dans sa mémoire le moment précis ou les traits de l’homme seraient remplacer par les traits de la bête. En lui, nul peur, nul terreur, rien qu’un grande vide que ne comblait à cet instant, que l’image sans nom de mort pas encore totalement revenant.
Puis, ce déroula une autre curieuse scène. La Mouette entra dans la danse, faisant fit des convenances.
Elle se plaça devant le demi cercle formé par ses hommes et ses chiens ; le Vieux Rab crut la à une mise à l’épreuve personnel, cherchait-elle à se prouver quelque chose ? A repousser ses propres limites face à l’innommable ? Etait-elle tout simplement folle ? Ce trait n’était pas à écarté, mais tout de même. S’il avait nombres à dire, il n’en fit pourtant rien, se contentant d’observer le déroulé de la scène. La bergère était entrain d’attirer l’attention du monstre sur elle. Par quelques méthodes paysannes, dignes des dresseurs de capres et autres joyeux conducteurs de velus, elle effectua une série de mouvements et de pas propre à sa personne et qui trouvèrent leurs échos dans le résidu de vie accroché par le fer. Aucuns hommes ne souhaita prendre la parole, même le sire de Broque en resta muet.
A la lumière des torches, ce qui semblait une tentative improvisée de dressage, ressemblait bien plus à une chorégraphie ésotérique venu des profondeurs du monde. Mederich fut tenté de lui préciser que le fer des pièges n’était peut être point de première jeunesse, et que sous un soubresaut violent, le fangeux pourraient sans conteste la transformer en saucisse à tartiner pour bête des marais. Mais les gesticulations métrées de la Mouette l’en dissuadèrent, et au pire, sa mort ne serait qu’une effroyable mésentente. Puis il resterait toujours de la chèvre à manger.
Ce fut peut après cette réflexion pragmatique, que le monstre chercha la faille et que tout deux, s’élancèrent l’un après l’autre.
La bergère réussit à anticiper le tiraillement et la gène lié au piège et sans autre forme de procès, planta son ouvre-lettre dans la caboche du fangard. Les chiens stoppèrent net leurs hurlements et la forêt redevint silencieuse. Tout c’était passé très vite, trop vite.
Le Comte lança quelques ordres pour qu’on termine le travail et posa un nouveau regard sur la femme du peuple qui les accompagnaient. Elle était réellement bravarde, un peu trop pour sa bonne santé, mais tout de même. Surement était ce la le premier être à qui elle ôtait la vie, même si ce dernier n’en possédait plus vraiment. Une épreuve en soit, mais une épreuve qu’elle avait choisit. Tous la dévisagèrent avec un regard différent, mais dans la plupart, on pouvait lire le respect.
« Celui la, était déjà presque mort » Se contenta de pester de Broque.
Mederich lui lança une oeillade noir, mais ne dit rien de plus, car il n’avait rien à dire.
***
« Salers. »
Annonça le Comte alors qu’il relevait du chef en direction du Nord.
On pouvait observer au loin la fumée de quelques cheminées ronronnantes. Signe manifeste de civilisation et promesse de confort sommaire. Car c’était de cela que Mederich commençait à manquer. Tremper jusqu’aux os, n’ayant rien avalé de bien complet depuis trois jours, ankylosé par de récentes blessures, le Comte n’était pas au beau fixe. Ce crapahutage forestier eut de quoi lui remettre les pendules à l’heure et il se jura de ne plus jamais essayé de couper à travers champs. Les routes étaient bien la pour quelque chose non ? Pourtant, cette marche forcée leurs avaient fait gagné du temps, beaucoup de temps, et cela n’avait pas de prix, ou presque. Ils avaient repris la marche très tôt, alors que l’aube n’était presque pas encore là. Personne n’avait soulevé quoique ce soit au sujet des évènements de la nuit, car tout le monde pensé au futur, c’est à dire, à cet instant précis.
Avançant en tête de colonne, Mederich interpella la bergère qui vaquait toujours à leurs cotés, sans douter assez contente elle aussi de mettre un terme à ce voyage.
« Nous arrivons tôt. Tu nous as fais gagné assez de temps pour que cela soit appréciable la Mouette. Et je suis un homme de parole. »
Sans la regarder, il lui lança une bourse contenant l’équivalent du prix de son troupeau entier, un troupeau en forme et point semblable à ce ramassis de cornue à peine bonne à cuire et à mâcher. Il restait encore un peu de temps avant d’atteindre le village, aussi, pourrait-il discuter un instant.
« La vie d’éleveuse te satisfait-elle pleinement ? Tu as prouvé moult valeurs sais tu. Mon Ordre manque cruellement de bonne gens sachant l’extérieur. Tu pourrais gagner bien plus en en faisant bien moins si tu acceptais de commissionner sous ma bannière. »
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| | | GuillemettePaysanne
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Mar 15 Mar 2022 - 20:48 | | | Le coutelas poisseux s'est incrusté dans ma paume, et je ne sens plus les jointures de mes doigts. Je ne réussis pas à lâcher du regard la silhouette du comte. J'ai les genoux faibles, le menton lâche, la poitrine serrée. J'ai tué un homme. J'ai vu son visage d'homme. Son sang est encore rouge. J'ai senti le crâne craquer dans mon poignet, et le grincement du métal contre l'os quand j'ai retiré mon bras. Les hommes se sont tus.
Pendant que le Comte pivote et s'éloigne, mes regards restent accrochés à la masse de ses épaules. Son mutisme m'aspire toute pensée, et je reste en suspens comme une éponge trop pleine qui attend qu'on la presse. C'est un bêlement qui m'éveille. Je me tourne vers le son, encore étourdie, et arrache mes jambes molles à l'eau mouvante qui les emplit. Je dois ressortir mon troupeau de là. Les nuages ont continué de rouler jusqu'à nous comme de gros rochers en avalanche. La pluie sera là dans quelques minutes. Je jette un dernier regard sur la troupe coite, et frissonne, comme si, maudite, je devais m'écarter des autres hommes.
J'ai dormi par à-coups terribles. Capscha gémissait à mes réveils forcés. La pluie, comme je l'avais prévue, était aussi glacée et serrée que des cordes de flocons lisses. En lisière extrême du bois, plein est, j'étais très pauvrement abritée du vent qui sifflait entre les branches et faisait pleurer les bouleaux, mais j'avais réussi à mêler de grandes fougères, mortes et vives, en arche serrée au-dessus de moi. J'étais presque sèche. J'avais faim, ce matin, ma musette était vide. Tout le monde s'est mis en branle et le fer sanglotait quand j'ai rejoins les hommes d'armes. Concentrée au sol, je dis à Capscha de tenir le troupeau serré autour de mes jambes pour toute la durée de la traversée. Elles me font un petit bain de poils mouillés et de ventres ronds qui me bousculent aux mollets, mais la menace des pièges à loups me hérisse l'échine. Je n'ose contourner de trop loin le cadavre du demi-monstre, que certains soldats sont venus examiner. A mon arrivée, le branle-bas est lancé, et nous louvoyons aussi recta que possible jusqu'à l'autre bord du bois.
La pluie chante sur le plafond des feuilles, et s'insinue dans nos cols en fils de bave ou d'araignée. Quand nous émergeons au ciel, il est de charbon, droit devant. Le vent claque et vient nous boucher le nez de gros rouleaux d'air plein et blanc. Je relâche mes épaules et envoie mes ruminantes se jeter au ciel ouvert. Je dévie un peu sur ma gauche pour ramasser rapidement quelques fleurs, quelques feuilles à mâcher, pissenlit jeune, chénopode blanc, moutarde et roquette sauvage. C'est loin de suffire, mais ça vide un peu la salive et gonfle dans l'estomac. Au haut d'une pente bâtarde et grise, noyée de vagues des herbes que le vent écrase, des toits ont grimpé leurs toitures contre le mur des nuages. Le vent commence alors à se tourner autour, comme un chien qui perd sa piste. On le voit rouler jusqu'au bois, se heurter aux troncs, grincer des dents, se mordre le ventre. A grosses contorsions, il nous fouette de sa queue folle, nous griffe encore, puis s'écroule. La colonne marche plus librement. Après le vent, la pluie toute seule devient presque douce, allégée. Je les accompagne par le flanc, en retrait du Comte et de son fielleux bras droit.
« Nous arrivons tôt. Tu nous as fais gagné assez de temps pour que cela soit appréciable la Mouette. Et je suis un homme de parole. »
Je bée devant la bourse entière qui choit lourdement dans mes deux paumes empressées. L'oeil rond que je lève vers lui ne rencontre que ses épaules de fer et son dos voûté. Sans trop y réfléchir, je me hâte à remonter jusqu'à lui et l'entends alors dire, sans tourner plus son visage jusqu'à moi, dès que mon front arrive à niveau de son bras.
« La vie d’éleveuse te satisfait-elle pleinement ? Tu as prouvé moult valeurs sais tu. Mon Ordre manque cruellement de bonne gens sachant l’extérieur. Tu pourrais gagner bien plus en en faisant bien moins si tu acceptais de commissionner sous ma bannière. »
Je rabaisse le nez. Je manque de répondre sans y penser mais me noue les lèvres très vite. En faisant bien moins, qu'il dit ? Je regarde derrière, les ombres tordues du bois dont la lisière comme un tentacule s'étend en bas. Le poids des écus, mais le sang poisseux dans mes paumes. La paix des sous-bois, ou la terreur de l'attaque. La jubilation animale de la mort. L'angoisse oppressante de la proie... Savoir se battre... Et n'avoir plus peur de ne rien perdre hein ? Les bêtes... au fond... sans elles... Oui mais cette paix ? Cette paix, c'est celle de la biche qui craint le loup...
Il y a tant à peser.
" Seigneur, ça fait trop longtemps que je vis comme ça. Changer... peut-être... Mais j'pourrais pas répondre comme ça..." Et pourtant, à dire pour rien dire comme ça, l'occasion sera peut-être déjà passée. Vite, il faut ajouter. Un délai. Un délai ? Crois-tu qu'il te donnerait assez de valeur pour t'accorder de t'attendre ? Je me mords la lèvre brutalement. Mais le temps est trop bref, il faut ajouter.
" Je suis seule. J'ai que mes bêtes. Depuis... depuis toujours on peut dire... parce que l'avant... l'avant est mort n'est-ce pas monseigneur... Alors du temps... Si vous permettez... Du temps pour songer ? Aux premiers foins ? C'est dans une lune et demie... "
J'ai l'impression de bafouiller. J'ai peur de l'entendre tonner un rire, une offense, une injure, alors je garde la tête basse, et mes pas sont courts et butés à côté de ses grosses bottes cloutées. |
| | | Mederich de CorburgComte
| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette Mer 16 Mar 2022 - 8:33 | | |
« Soit. »
Annonça t-il d’une voix blanche, emplis de limaille de ferraille, en plantant des deux fers droit dans le sol.
De toute sa hauteur trapue, Mederich toisa alors la jeune femme pour la première fois de la journée. Posant son regard de vieux corbeaux sur sa carcasse frêle, il avait la mâchoire crispé et la lèvres baveuses, mais l’oeillade ferme. Le Comte la jugeait, ostentatoire ment, il cherchait à savoir de quelle bois elle était réellement faite. Même s’il possédait déjà de nombreuses réponses à ses questions, là, aux portes de l’objectif qu’il s’était fixé, il souhaitait une dernière fois être sur de son choix. Car Mederich se trompait rarement quand il s’agissait de jaugeait le courage d’un être, qu’il soit de noble stature ou qu’il émerge de la boue comme la Mouette. Bien qu’il plaça le sang bleu au dessus des autres, car tels étaient les traditions, il dut s’avouer que depuis l’arrivé de la Fange, les petites gens se révélaient, parfois, d’une utilité bien distincte qu’il était louable de respecter. Bien que l’on devait constamment placer la barre haute, sinon ces derniers se sentaient pousser quelques ailes sur le dos et pensaient alors être des cochons volants ; mets de choix pour n’importe quels dragons. Le Comte fouilla passa une main dans sa besace et en sortit un anneau de plomb simple, trop grand pour les doigts de la bergère, sur lequel était estampillé trois corbeaux croassants. Il tendit le simple objet à la paysanne, lui fourrant presque dans les paluches.
« L’avant est mort la Mouette, et l’avenir n’est pas bien plus vaillant. Mais il nous faudra plus d’âmes comme la tienne pour faire face au défis qui nous attendent. Des enjeux qui te dépassent sûrement, toi, l’éleveuse de chèvre, et pourtant, les dieux placent parfois leurs pions dans le plus simple des appareils. Tu auras le temps qu’il te faudra pour réfléchir à mon offre, dusse t-il dépasser les foins. Tu en as gagné le droit se soir, en allant au devant de la Fange avec courage. Mais n’oublis pas, que si nous ne la combattons pas, elle vaincra. Et il se peut que bientôt, plus aucunes plaines, plus aucunes forêts ni bosquets, ne soient sûr pour toi et tes cornues. Alors, quand le temps sera venue, présente toi à la Loge des Hardis Roukiers sur l’Esplanade de la Cité et montre cet anneau. »
Salers était maintenant en vue. Aussi accueillante qu’une fosse à purin mais pourtant si belle par rapport à la férocité que cachait les bois. Mederich ordonna à ce qu’on remonte en selle, le reste du trajet se ferait au galop et il ne serait pas dit qu’on l’observa arriver dans tel village comme un traîne misère. Quand la colonne de chevalier fut prête, quand les hommes commencèrent à flatter les chevaux et que les aboiements des chiens se firent plus puissant, Mederich vint se planter une seconde fois devant la Mouette.
« Tu auras ton utilité parmi les miens, il n’y aura plus de chèvres, mais de nombreux chiens, mon chenil sera bientôt célèbre dans tout le duché et il ne tient qu’à toi de prendre part à ce succès. Souvint t’en la Mouette. Tu as le choix, survivre, ou recommencer à vivre. Roukiers, hue, à l’avant hue ! »
Et dans un dernier regard appuyé, le Comte frappa les flancs de son moraux qui henni et s’élança en avant, projetant des giclées de boue dans les airs.
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| Sujet: Re: Malins & Caprins - Guillemette | | | |
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