[convocation]Le soleil déclinant, la lune se levant

Le soleil déclinant, la lune se levant

Rosen feat Alaric, Victor Gudrun et Dame Corbeau

Voilà une réponse des plus singulières. Probablement un non silencieux qu’elle n’ose formuler clairement, ça cela tient plus d’une réponse à côté que d’un refus catégorique. Que pouvais-je espérer ? Qu’elle accepte de revenir parce que je lui laisse Sombrebois, alors qu’elle a tout le royaume à gérer à côté ? Roxanne s’assied à présent en face de moi, prenant mes mains dans les siennes, caressant encore mon visage, chassant presque totalement les angoisses par ces simples gestes.

Nous verrons bien ce que l’avenir nous réserve.

Rêvé-je encore, ou est-ce un sous entendu pour me dire que, peut-être si on survit et que les choses finissent par s’apaiser, les choses pourraient vraiment s’arranger ? Non, ce ne doit pas être ça. Pourquoi serait-ce ça ? Je l’écoute comme je peux, obnubilée par ses mains, par son regard.

Être forte… si je redevenais vraiment forte, comme elle dit, je crois qu’elle aurait du soucis à se faire. Ce genre de forces… personnes ne peut en profiter à part moi. Personne. Ces forces là ne sont pas contrôlables… c’est un peu comme un lâcher de fangeux à Marbrume.

Elle relève ma tête pour déposer encore un baiser sur mes lèvres, aussi léger qu’un papillon. Les gens qui m’aiment ? Qui ça ? Mes yeux se sont fermés au contact de sa bouche. Ses mots qui me paraissent toujours aussi confus se font lointains comme j’essaie d’éterniser le moment, de l’embrasser encore.

« D’accord… réponds-je alors en caressant ses cheveux. Je ferai de mon mieux. Mais... »

Mais quoi ? Je soupire en reposant ma tête dans le creux de son cou.

« mais… je t’aime, moi ! »

Grands Dieux… qu’est-ce que je viens de dire encore ?! Ça m’a complètement échappé… c’est sorti tout seul, sans que je ne puisse l’anticiper. Ça, c’était franchement stupide. Je reste effarée un instant, la bouche ouverte par la surprise. Je l’aime…

Oui, je l’ai bien sentie, cette vague qui m’enveloppait hier soir, pourtant. Mais j’ai voulu l’ignorer, la refouler encore. Cette fois, la vague est remontée pour m’éclabousser avec force. Que j’aimerais me faire toute petite et disparaître… passer par un trou de souris. Alors c’est ça… qu’importe ce qu’il se passer ou m’arriver, je veux juste être avec elle.

Je me crispe, comme parcourue de légers spasmes. De l’amusement, du désespoir ? Je ne saurais pas le dire moi même, mais mes yeux restent secs. Sans doute les deux, comme bien souvent. Si seulement elle pouvait ressentir quelque chose pour moi elle aussi. Hélas… je vais devoir me faire une raison.

« Oui, tu as raison, nous verrons bien ce que l’avenir nous réserve... J’aurais dû partir quand tu me l’as proposé, hein ? changé-je rapidement de sujet. Mon fils ne serait pas en danger aujourd’hui. »

Oui, je regrette. A quoi bon être restée quand on voit comment cela a fini ?

« Est-ce qu’il y a quelque chose à faire pour lui ? Tu sais… quand je suis revenue à Sombrebois après cette entrevue avec la Couronne… la première chose que j’ai voulu faire, c’est organiser sa disparition. J’ai voulu le faire passer pour mort-né… l’échanger avec un autre bébé, que sais-je… n’importe quoi qui m’aurait permis de le mettre à l’abri. Pour qu’il ne soit pas l’objet que j’ai pu être lui aussi. Mais on m’en a dissuadé. N’aurais-je pas dû ? »

Mon idée ou la sienne, les deux auraient toujours été mieux qu’en être arrivée là. Assurément.

« Moi, je peux bien rester me battre. Mais lui… est-ce trop tard pour l’éloigner ? »

Je prends une autre inspiration, parcourant son épaule avec mon index.

« Le mettre à l’abri loin de Sombrebois… »

Nouveau soupir.

« Dis moi… si je mourrais, il reviendrait bien à la Couronne, non ? Alors ceux qui voudraient le tuer... qui est-ce ? »

Tout est tellement flou.

« La reine qui m’a fait signer ce document… c’est bien dans l’espoir de se débarrasser de moi pour avoir mon fils. Serait-il dans son intérêt de l’avoir mort ? Pour hériter de Sombrebois tout simplement ? Ou elle le veut vivant ? »

Et si c’était… Non, je ne peux pas croire que Roxanne et son clan pourraient lui faire du mal alors qu’elle a dit être là pour nous protéger tous les deux. Pourrait-elle me mentir délibérément de la sorte ? Tout est possible, bien sûr. Elle le ferait si ça arrangeait ses intérêts, mais est-ce le cas actuellement ? Avoir Athanase mort ou vif… je crois pourtant que ça arrangerait la reine.

« Et sinon… je me demandais. Toi qui traque le cloaque… tu n’as jamais pensé à les faire infiltrer pour pouvoir les arrêter plus facilement ? Peut-être que vous l’avez déjà fait avec les Victorieux… mais je me posais la question. »

Je ris quand elle me demande confirmation du nom de la milicienne.

« Si tu ne le sais pas toi après avoir passé plusieurs jours avec elle… comment moi même le saurais-je ? »

Après tout, je ne l’ai jamais vraiment côtoyée.

Un éclair de surprise traversa les prunelles émeraudes, et Alaric crut avoir marqué un point. Hélas, cet espoir fut aussi éphémère que l'étonnement que la châtelaine avait laissé transparaître. Ses paroles demeuraient fermes alors que son sourire semblait sincèrement désolé. Malgré tous ses efforts, il sut qu'il avait perdu. Roxanne ne lui révélerait jamais rien, tout simplement parce qu'il ne ferait jamais partie de ses plans. Jamais elle ne le mettrait dans la confidence, parce que, comme elle l'avait si bien détrompé, elle n'avait pas besoin de lui. Finalement, Capitaine de Sombrebois c'était pas aussi important. Ça ne l'était pas assez.

Le soldat voulut se retourner, suivre le point que la rouquine avait repéré derrière lui, mais cette dernière se colla presque contre lui de telle sorte qu'il fut incapable de bouger d'un pouce. Malgré son dépit, il ne pouvait perdre la moindre information qu'elle se décidait à lui transmettre. Protéger le royaume était donc la fameuse mission de la châtelaine du Val d'Asmanthe. Il trouva étrange qu'elle affirmât servir le royaume, plutôt que de servir le roi. Mais tout n'était-il pas mystérieux avec la rousse ? Une lueur de compréhension brilla dans ses yeux bleus, lorsqu'il crut avoir assemblé les pièces d'un puzzle longuement réfléchi. Une noble au passé obscur, à la langue aussi tranchante que son épée dissimulée, se préoccupant plus du royaume que de son monarque, comme si elle servait le territoire avant l'arrivée de son dirigeant. C’est un groupe. Des hommes et des femmes, de toutes classes. Ils servent Marbrume depuis… je ne sais pas depuis quand à vrai dire, avant l’arrivée de la famille de mon oncle au pouvoir. Tout portait à croire que Roxanne faisait bel et bien partie des Victorieux, finalement. Si le capitaine ne pouvait en être certain, cette appartenance au groupe avait le mérite d'éclaircir son comportement obscur, de même que tous les secrets qu'elle se plaisait à lui cacher.

Malheureusement parfois, pour combattre une infection, il faut d’abord la laisser se propager pour en comprendre la nature. Quitte à sacrifier le membre infecté. Alaric lui répondit par un regard noir. Il ne parvenait plus à desserrer les dents ; son cœur battait trop fort, il sentait son sang-froid s'étioler à mesure que la châtelaine s'exprimait. Il déglutit, s'empêcha de lui rétorquer sa façon de penser. Roxanne était bien prétentieuse de croire qu'elle était l'un des remèdes au royaume. Vous êtes l'une de ces infections, aurait-il voulu lui cracher à la figure. Il n'en avait pas le droit ; il avait besoin d'elle et cette seule vérité le rendait malade. N'était-ce pourtant pas lui qui avait exhorté Rosen à lui faire confiance, en sachant pertinemment que l'aide de la couronne était hypocrite ? Depuis le début, il savait que ce secours opportun était à prendre avec des pincettes. Néanmoins, il avait cru – espéré – que ces relatifs alliés seraient un peu plus affables et bavards le moment venu. Idiot. Au moins le capitaine avait-il obtenu une information capitale. Plus qu'une tempête, elle lui confirmait qu'un véritable assaut se préparait : on ne distribuait pas les dernières armes disponibles aux volontaires pour combattre le vent et la pluie.

— Vous aussi, vous avez échoué, asséna-t-il.

Il ouvrit les bras, embrassant le bourg.

— Protégez le royaume, vous dites ? Il n'en reste déjà plus rien.

Alaric avait essayé de reprendre à la fange les terres qui appartenaient aux hommes. Les fangeux, la véritable gangrène qu'il fallait combattre selon lui. Hélas, l'Homme préférait faire la guerre contre ses semblables plutôt que d'éradiquer les abominations qui peuplaient désormais leurs terres. Il lui était impensable que l'on sacrifiât une forteresse à peine reconstruite pour le bien du royaume. D'ailleurs, quel royaume ? Ne se résumait-il pas à Marbrume désormais ? Marbrume et ses venelles tortueuses et dégoûtantes, Marbrume et ses coupes-jarrets cruels et corrompus, Marbrume et ses enfants mendiants et décharnés. Sans doute voyait-elle plus loin. Une ligne d'horizon que le capitaine de Sombrebois était incapable de discerner, simplement parce qu'on ne lui ne donnait pas les moyens.

— J'ai tout fait pour récupérer ces terres. Ce n'est pas pour qu'elles soient sacrifiées à la première occasion. Moi aussi, je protège le royaume.

Il ne devait pas avoir la même définition que la châtelaine. Aux dernières nouvelles, Sombrebois faisait partie du royaume, ce corps plus si immense que ça. Alors, défendre Sombrebois, c'était défendre le royaume, non ?

— Parfois, Ma Dame... On obtient de l'aide, là où ne pensait pas en trouver.

Les pierres sur les allées du quartier résidentiel avaient deux qualités qu'il fallait souligner. La première était le charme indéniable qu'elles apportaient aux chemins du bourg, leur conférant une beauté neuve que certaines artères de Marbrume auraient jalousé. La seconde était plus subtile, imprévue, mais pas moins pragmatique : si l'on marchait un peu trop vivement sur ces dernières, elles alertaient quiconque se trouvait dans un rayon de plusieurs mètres. D'un mouvement sec, Alaric se retourna, aperçut un tissu grisâtre disparaître derrière l'une des habitations. Il voulut s'élancer à sa poursuite, mais comprit qu'il ne pourrait le rattraper ; la personne s'était tenue assez loin du duo, il ne lui faudrait guère de temps pour se dissimuler dans la foule quelques rues plus loin. Il comprenait mieux ce que Roxanne avait remarqué un peu plus tôt – pourquoi n'avait-elle rien dit ? – et pourquoi elle s'était rapprochée du capitaine. Au moins était-il certain que leur espion n'avait pu entendre la fin de leur conversation. Le reste, il n'en savait trop rien.

— On dirait que je ne suis pas le seul à vouloir savoir ce que vous manigancez, Ma Dame, railla-t-il.

Alaric se pinça l'arête du nez, inspira profondément. Il avait pleinement conscience qu'il avait dépassé les bornes. Cela ne lui ressemblait pas... Jusqu'à présent, seule Rosen était parvenue à le faire sortir de ses gonds, et entre eux, ils n'avaient jamais utilisé d'étiquettes ridicules. Avec la châtelaine, c'était différent. Trop différent. Un peu plus, il ressentit le fossé qui séparait leur rang respectif. Il soupira.

— Mes amis m'ont dit que vous aviez l'avenir du peuple à cœur. Ne l'oubliez pas dans les bourrasques.

Est-ce qu'il lui dévoilait à demi mots qu'il s'était renseigné à son sujet ? Peut-être bien. Était-ce dangereux ? Sans aucun doute. Mais à l'entendre, la véritable menace ne tarderait plus à leur tomber sur la tête. Lui avouer ses quelques recherches lui permettait surtout de lui prouver qu'il n'était pas qu'un simple soldat. Qu'il était utile. Et qu'elle aurait dû s'y fier. C'était idiot, puéril aussi. Mais c'était tout ce qui lui restait pour contrecarrer son sourire désolé et ses prunelles cinglantes qui le hanteraient le reste de la journée.

Il inclina poliment la tête – il fallait bien se rattraper un peu.

— Je vous laisse profiter de votre journée, Ma Dame. Avant que la pluie ne tombe.

Il n'était absolument pas certain d'avoir le droit de la laisser là : n'était-il pas obligé de la raccompagner ? Alaric essayait de s'insinuer dans les intrigues, de jouer à la politique. Mais il ne pouvait pas être aussi faux. C'était plus fort que lui. Alors, après un dernier regard envers la châtelaine, il lui tourna le dos – un acte à ne pas commettre sur le champ de bataille – et disparut à son tour au premier croisement, derrière l'une des bâtisses. Il devait parler à Eïlyn. Informer Rosen. Plus que tout, il voulait serrer Eve dans ses bras. Mais d'abord, il avait besoin de souffler. Ses pas le guidèrent vers le temple du bourg.

24 Mai 1167.

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Roxanne se montra honnête avec Rosen. Elle prit cependant le temps de réfléchir, choisissant ses mots avec un soin infini.

- Crois-tu qu’il y a un endroit à moins d’une journée de cheval d’ici qui soit plus sûr que le bourg ? Même sous le joug d’une attaque ? Que personne ne s’apercevra qu’il a disparu ? Penses-tu que sur la route il sera plus à l’abri ? ou Balazuc ? au milieu du chantier ? Non, Rosen… dit-elle en secouant la tête doucement.

- Le temps de la fuite qui t’assurait un avenir à toi ou à lui est révolu. Tu peux le regretter si tu le souhaites, mais plus y rêver.

Elle réfléchit quelques instants supplémentaires, comme si elle allait pouvoir trouver à cet instant une réponse qui lui aurait échappé ces derniers mois. Bien sûr, elle ne vint aucunement. Elle se releva et servit un verre d’eau à la noble trop pâle à son gout. Ramenant le verre entre ses mains fébrile, elle ne la libéra qu’après qu’elle en eut bu deux longues gorgées. Et reprit.

- Oui la couronne sera tutrice de l’enfant et comme tu l’as dit, la reine ne gagnerait rien à vous voir morts tous les deux. Toi, oui, sans doute, mais ton fils, elle ne ferait que reculer à l’étape de la prise de force. Non, si ses alliés en veulent à sa vie, c’est soit parce qu’ils sont trop zélé, soit parce qu’ils ont des objectifs différents de siens. Mais dans tous les cas, essayons de protéger la tienne autant que la sienne. Je te connais, si tu meurs tu vas me l’avoir confié sur un testament et je suis bien trop jolie et occupée pour prendre en charge un enfant !

Elle claqua de la langue contre son palais pour appuyer son point de vue comme si elle ne doutait pas une seconde que Rosen pourrait lui réserver une surprise du genre. Mais cela eu plus l’air de l’amuser que de vraiment lui faire peur. Elle vint s’installer sur le canapé, posant ses pieds en travers de jambes de Rosen et joua avec l’une de ses mèches cheveux roux, la regardant avec un éclat pétillant dans les yeux.

- Et qu’est-ce qui te fait croire que ce n’est pas déjà le cas ? Tu penses que les arrestations de sectaires se font selon une révélation des trois ? Que nous priions très fort et que leur cachette s’illumine ? Infiltrer le Cloaque n’est pas dur en soit. Mais c’est un groupe aussi disparate que dangereux. Une cellule peut ne pas en croiser une autre pendant des mois, si ce n’est des années. Et la voix donnée surveille étroitement ceux qui s’approchent des cercles intérieurs. Sa main… les agents qui travaillent directement pour elle, n’hésite pas à faire des massacres à la moindre suspicion. De plus, tout comme nous avons des espions dans son camp, elle en possède sans aucun doute dans le nôtre. C’est un jeu de patience autant que d’intelligence.

Elle n’avait pas besoin de lui confier tout cela, mais au fond qui doutait de cet état de fait ? Confirmer ce que presque tous les joueurs de cette immonde partie devaient savoir à une tierce personne n’avait pas de graves conséquences. Et en tant que pion, Rosen pourrait faire bon usage de cette connaissance si elle se montrait plus perspicace dans ses fréquentations à l’avenir.

La Châtelaine tiqua légèrement au fait que la Baronne ne connaisse pas le nom d’une personne essentielle de son système de défense. Par moment, Rosen n’était pas si différente que cela d’une noble comme les autres. Mais après tout, à part son fils et elle, elle n’avait pas vraiment eu à réfléchir à d’autres personnes. Serait-elle un jour tout ce qu’elle pourrait être ?
Après un instant, Roxanne se leva.

- Bon, il est temps de se préparer !

Elle se dirigea droit vers sa chambre mais s’arrêta dans le cadre de la porte. Sans se retourner, elle ajouta :

- Oh fait, pour ce que tu as dit tout à l’heure… Si tu le penses encore dans quelques temps. On en rediscutera.

Sans un mot de plus elle s’avança dans la pièce pour se changer.

***

Elle ne le contredit sur aucun point, pas même une remarque pour tenter d’équilibrer ses accusations, pour lui faire comprendre, pour qu’il lui pardonne. Non, elle resta coite et encaissa son ressentiment et sa colère, car elle les méritait amplement. C’était l’un des poids qu’elle portait, qu’elle devait porter. Pas la culpabilité, non, elle savait le pourquoi, mais cela ne devait pas l’exempter du cout. C’était là une question de justice. Peut-être pas celle de siens, mais la sienne.

- Je m’inquièterais plutôt que personne ne s’intéresse à nos dire. Si l’on met un coup de pieds dans la fourmilière, c’est pour les voir s’agiter. Dit-elle d’un ton à l’amusement factice mais qu’Alaric ne put surement pas différencier de son habituel.

Ment aussi bien que tu dis la vérité et peut-être qu’un jour les deux ne feront plus qu’un. Elle avait souri en tuant le jeune garçon, elle avait fait durer la chose de très longues secondes, enfonçant sa lame assez profondément pour qu’il en meurt, mais juste assez peu pour que le sang de sa plaie s’infiltre dans sa gorge et le fasse se noyer plus vite que la vie ne le quittait. Il s’était agité, son corps parcouru de soubresaut bloqué par le genou qu’elle enfonçait dans son torse. Elle avait gardé ses yeux enfoncés dans les siens jusqu’à ce que la moindre lueur ait disparu de son regard, elle s’était alors redressée en frissonnant de plaisir, un air presque orgasmique sur le visage. Comme prévu, il l’avait vu et cela lui avait plu. Elle était rentrée dans sa garde, elle l’avait suivi partout pendant près d’un an, tuant pour lui, baisant pour lui, vivant pour lui.

Ce n’est qu’après l’avoir étranglé entre ses cuisses et empêché les tribus de s’unir que son masque s’était fendillé comme un vernis exposé à trop de chaleur. Elle n’avait réussi qu’à parcourir quelques mètres, passant le pan de toile qui faisait office d’entrée à la tente de commandement pour s’effondrer à genoux et voir le contenu de son estomac se répandre sur le sol. Oui, mentir, pour agir là où personne d’autre ne le pouvait, là où personne d’autre n’était prêt à aller. Parce que pour que des gens comme Alaric existe, il fallait des gens comme elle pour se salir les mains.
Alors qu’il se détournait elle se contenta de lui dire :

- J’espère un jour redevenir digne de votre estime, Alaric.

Et quand il eut disparu à un détour, elle put ajouter plus bas du bout des lèvres :

- Et que jamais nos places n’auront à s’inverser.

Les secondes passèrent en silence, puis elle retrouva son sourire amusé et se mit en route. La journée allait être longue.

Le soleil déclinant, la lune se levant

Rosen feat Alaric, Victor Gudrun et Dame Corbeau

Trop tard… bien trop tard. Bien sûr que c’est trop tard pour aujourd’hui ! Mais si d’aventure nous survivions… il ne sera pas trop tard pour le mettre à l’abri quelque part. Ces visions cauchemardesques de mon Athanase en train de se faire poignarder par moi même reviennent en force. Et le temps que je réussisse à les chasser, je me retrouve avec un verre d’eau entre les mains.

Je lève les yeux vers Roxanne, tirée de mes errements, un peu désarçonnée. Comme si je ne comprenais même pas ce qu’elle voulait que je fasse de ce verre. J’essaie de faire un bref signe de de refus, mais elle n’est pas décidée à me lâcher tant que je n’ai pas bu, alors je m’exécute. Après tout, il faut bien que j’arrive à faire du lait. Elle me laisse ensuite enfin reposer ce verre. Au moins n’a-t-elle rien répondu de désobligeant lorsque il m’a subitement échappé le fait que je l’aimais… Je ris légèrement à sa blague de façon détachée. Plus un bref amusement qu’un rire.

« S’il m’arrive quelque chose… n’oublie jamais que tu es la nourrice attitrée par la Couronne. Et s’il doit leur revenir… Tu pourrais bien l’avoir sous ta responsabilité ! »

Bien sûr, il y a peu de chances. Il doit y avoir des tas d’autres nourrices potentielles, en plus afin de laisser Roxanne libre d’intervenir au sein des nombreuses intrigues actuelles. Mais une blague reste une blague. Elle revient ensuite sur le canapé, s’installe sans gêne en travers, plaçant ses belles jambes par dessus les miennes. Moi, je ne peux m’empêcher de glisser un œil sur son corps à peine caché par sa chainse. Partir des pieds pour remonter du regard le long de ses mollets jusqu’à ses cuisses, et ainsi jusqu’à son entrejambe puis sa poitrine. Je focalise mon attention sur ce que je peux, après tout. Si mon esprit s’égare un peu trop loin, il risque bien d’avoir du mal à revenir.

Trop jolie… oui, c’est le mot. Terriblement ensorcelante, même…

C’est sans grande surprise que je l’entends dire ensuite que bien évidemment, comme je m’en doutais, il y a déjà des infiltrés dans le cloaque.

« Comme dit... j’imaginais bien que ça avait pu être fait, lui fais-je remarquer en souriant. Mais j’aime bien les questions stupides. »

Puis elle se lève peu après en décrétant qu’il est temps de se préparer. Je me lève alors à sa suite, la regarde se diriger vers sa chambre avec un pincement au cœur. Elle s’arrête soudain sur l’encadrement de la porte et me sort alors une phrase pour le moins inattendue.

Je sens mon cœur bondir dans ma poitrine et s’accélérer. Ça veut dire quoi, ça… Roxanne… elle disparaît ensuite dans la pièce adjacente, me laissant plantée là dans la confusion la plus totale. Si je le pense toujours dans quelques temps… Je commence à la connaître assez bien pour décrypter les messages à demi mots. Et autant dire que je n’aime pas vraiment cette mise en garde.

Qu’est-ce qu’elle me réserve, hein ? J’ai bien compris depuis son retour que lui faire aveuglément confiance était une pure folie. Pourtant je n’ai pas le choix que de devoir lui faire confiance. Une situation des plus épineuses… Mais oui, je la connais bien maintenant ma Roxanne. Ce ne sont pas de potentiels mensonges qui m’inquiètent avec elle car ce n’est pas son genre. Ce sont les omissions.

Et après ? Si je le pense encore on en rediscutera ? Pourrait-elle seulement vouloir parler de ça ? Qu’en dire alors et dans quel but ? Tout n’a pas déjà été dit près tout ? Que pourrais-je bien en espérer... Elle ne veut même pas revenir vivre ici !

Mais si c’est pour m’éconduire purement et simplement là où je n’attendais pourtant plus rien de sa part après ma dernière tentative… y aurait-il seulement besoin d’en reparler plus tard ? C’est à devenir fou. Et pourquoi pas maintenant ! Un jour, je pourrais bien avoir l’envie de lui faire payer toute cette torture mentale. Hier, elle disait que nous n’en étions plus là. Et aujourd’hui… aujourd’hui… quoi, elle me laisser présager qu’il y a quelque chose entre nous ? Non, je ne peux pas le croire.

Je sais que je ne devrais pas m’enfoncer dans tout ça… mais… ça ne se contrôle pas, hein ? Tant que la horde de fangeux intérieure se tiendra endormie… je ne contrôlerais pas. Tout au mieux, je pourrais occulter. Et si elle se réveille… alors plus rien n’aura d’importance.

Roxanne… Y a t-il seulement quelque chose à espérer ?

J’essaie de lui poser la question, mais aucun mot ne parvient à sortir de ma bouche. Je suis tout bonnement incapable de parler.

[Tu es lâche Rosen]

…

[Lâche]

…

[Lâche]

Et je m’enfuis précipitamment dans ma chambre, prenant juste au passage les poèmes toujours posés sur la table basse qu’elle n’a pas voulu prendre avec elle. Je les relis rapidement en souriant tristement, assise sur mon lit.

C’est complètement… nul…

les rimes sont mal faites, la sonorité mal respectée, le sujet est stupide et la moitié des phrases ne veulent rien dire… je soupire en jetant le parchemin à côté. Nous avons passé tant de temps à travailler sur les lettres, pourtant. J’aurais pu faire quelque chose de meilleure qualité. Plus tard si j'en ai l'occasion, j'irais glisser l'ouvrage dans ses affaires. Un petit souvenir de moi...

Nouveau soupir. Bien sûr que non, il n’y a rien à espérer. Pas la peine de l’entendre le confirmer. Je ferais plutôt mieux de m'inquiéter pour savoir ce qu'elle manigance dans mon dos et de penser à la sécurité de mon fils. Je tourne la tête vers lui, un mauvais pressentiment me tenaille le ventre.