Un voyage au retour aux sources [Hector/Cyrielle/Anton]

Elle avait eu le temps de faire un tour sommaire des habitations, ne prenant pas garde à la suite de la discussion qui avait certainement lieu dans la taverne. Ils n’étaient pas là pour visiter les environs, mais bien pour escorter ces pauvres paysans vers un endroit sûr. Elle échangea quelques regards méfiants avec d’autres gardes qui avaient eu la même idée qu’elle avant de revenir vers la porte de la taverne. Apparemment, elle revenait à point nommée puisque l’autre milicien la cherchait et était rapidement venu lui parler. Parler n’était peut-être pas le bon verbe, toujours est-il qu’il avait exprimé un besoin et une exigence de manière impérieuse et entendue. Évidemment, elle aurait pu accepter ainsi sans rien répliquer. Cyrielle aurait pu faire profil bas sur le ton employé, venant d’un milicien qu’elle ne connaissait pas, et qu’elle jugea donc n’avoir aucun ordre à lui donner.

✧ Qu’est-ce que j’y gagne moi ? C’est ta bestiole, démerde-toi avec.

Elle avait déjà oublié l’adresse à laquelle la bête devait être livrée, inutile d’insister. Elle espérait juste qu’il n’était pas un de ces commandants qui s’amusait à des jeux politiques entre De Sombrebois et De Haldonores, sinon, elle risquait bientôt d’entendre d’autres louanges. Il avait certes l’air d’âge mûr, mais ça ne lui donnait aucun droit particulier. Autre chose l’intriguait. Qui lui avait permis de partir en premiers lieux. N’attendait-il d’ordre de personne, ou était-il là uniquement par le biais d’une coïncidence et n’avait jamais été compté parmi cette expédition ? Elle le trouvait suspicieux.

✧ Pourquoi partir devant maintenant ? Il se passe un truc qu’on sait pas ?

Elle n’était pas très confiante, et doutait qu’il lui dise la vérité, ou même si un mauvais présage les attendait. Leur expédition était risquée. Elle ne le connaissait pas et n’avait aucune affection pour lui, mais si quelqu’un d’autre était là pour se prendre un coup de griffe à sa place, elle n’allait pas cracher dessus. Apparemment, elle ne pouvait rien dire, qui le ferait changer d’avis. La milicienne n’avait aucune influence sur lui. La seule chose qu’il lui restait à espérer était qu’il attirerait tous les fangeux qui les attendaient sur la route. Qu’il s’en débarrasse, les éloigne de leur sentier, ou meurt après une lutte ne changerait plus grand-chose à ce stade. Elle savait aussi bien que lui que personne ne viendrait les récupérer alors que l’obscurité était aussi présente. Ceci, que l’heure de couvre-feu soit proche ou non. Elle le regarda s’en aller, les sourcils encore froncés avant de rejoindre les deux nobles.

- En vous demandant de venir ici, je ne souhaitais pas vous envoyer à la mort. Aussi, n'hésitez pas à quitter le convoi quand bon vous semble. Sauvez votre vie dès que vous le voudrez...
✧ Je me suis engagée. Je tiendrais jusqu’à ce que la totalité du convoi soit perdue.

Elle était légèrement mal à l’aise de cette main qu’il avait posée sur son épaule. Très certainement qu’il voulait se montrer proche et compatissant. Pourtant, ce geste éveillait en elle une forte contradiction avec ses paroles. Il lui disait qu’elle ne devait pas hésiter à les laisser derrière pour sauver sa vie, mais l’empêchait de le faire par sa simple présence et cette poigne sur elle. Elle l’appréciait, mais le fait d’être tactile était une tout autre chose. Elle n’en montra rien, fière de s’en tenir à ses convictions et de respecter ses engagements. Elle aurait bien assez le temps de penser à sa fuite s’ils se faisaient encercler. Lorsqu’ils décidèrent enfin qu’il serait judicieux de se remettre en route, elle rejoignit l’arrière du convoi, jetant un coup d’œil aux chariots qui se mettaient paresseusement en branle.

La jeune femme décida de ne pas insister concernant sa roue. Elle avait désormais la conviction qu'Anton ne lui serait plus d'aucune nécessité. Intérieurement, elle ronger son frein, et mourrait d'envie de lui planter une pique bien tranchante dans son crâne flasque et gras. Mais en tant que Baronne bien élevée, elle décida plutôt d'aller demander l'aide de son capitaine et de deux soldats qui vinrent l'aider à remettre la roue en place.
Puis, peu à peu ses gens se préparèrent à repartir. La jeune dame donna congé à ses soldats pour qu'ils se préparent tranquillement à repartir. Elle décida d'observer le convois, et constata qu'il était malheureusement trop long, trop chargé, et qu'ils risquaient de ne pas arriver à temps à Marbrume. Le Baron de Sombrebois arriva près de Kira et mit en mots ce que la jeune femme pensait tout bas, ou plutôt ce qu'elle hurlait silencieusement. Ce voyage était véritablement une expédition suicide, qu'elle avait donc été ses espoirs pour se lancer dans une tel galère? Ou alors était-elle assez folle pour croire qu'elle pouvait y arriver?! La Baronne avait envie de se mettre des gifles au visage. Mais elle se retint, continuant d'observer les carrioles et les personnes qui allaient bientôt s'y installer. Voyant qu'elle ne répondrait pas, le Baron s'éloigna. Il alla inspecter lui même les chariots et les chevaux, passant à côté de la milicienne avec qui il semblait assez proche... Au vue de ses gestes et de l'expression de son visage. Kira jugea qu'il l'appréciait. Elle ne pouvait rien dire, ne la connaissant que trop peu. Mais elle se dit qu'elle pourrait peut-être lui accorder plus de confiance qu'au couard Gunof qui leur faisait faux bond.

Puis, la Baronne reconnu une étincelle, une idée dans le regard du Baron de Sombrebois. Il revint vers elle, et lui proposa d'abandonné ici les biens, les chariots et le reste des vivres, préférant continuer à pieds. Kira s'avoua à elle même qu'elle y pensait très fort depuis quelques minutes. Elle hocha donc la tête et regarda le Baron:

"Vous êtes de précieux conseil, Seigneur Sombrebois. Faites suivre mes ordres aux gens du fond de cortège. Je veux que chacun continue à pieds. Que les bêtes soient libérées, elles se débrouilleront. Si certaines tiennent tête, qu'ils viennent me voir."

Dés que les ordres furent transmis, Kira entendit déjà les protestations et les rechignements de la part des cuisiniers et d'autres. Les blessées et les malades furent presque les seul à ne pas se faire entendre, sûrement trop exténué pour prononcer dire quoi que ce soit. La Baronne dû faire donc face à plusieurs protagonistes très perspicaces. Après moult négociations avec ces mules, la Baronne accepta que les hommes prennent un petit sac et mette des biens qu'ils pouvaient porter sans se fatiguer. Elle permis à certains malades trop mal au point de prendre un cheval, ou de monter derrière un soldat s'ils ne se sentaient pas capable de tenir sur la selle tout seul. Enfin, les derniers qui rechignèrent à lui obéir eurent comme seule réponse:

"Soit vous faites ce que je vous ai dis de faire, soit nous brûlons ce qu'il reste!"

A ces mots, la Baronne n'eut plus de plaignants. Malgré que tous étaient près au départ, Kira ne put résister à laisser son cheval à deux enfants et leur mère lorsqu'elle les vit patauger dans la boue. Les enfants étaient maigre, et la mère d'autant plus. Elle devait sûrement laisser la moitié de sa pitance à ses enfants, et cela devait durer depuis plusieurs mois. La jeune femme ne reconnu pas la jeune femme, mais au vue de l'usure de ses mains, Kira se dit qu'elle devait être l'une de ses lingères. Elle plaignit intérieurement la pauvre femme, puis, rejoignit la tête du cortège, et le Baron.

"Nous sommes près à partir. Ne perdons pas de temps, le jour est bien avancé. Si la nuit tombe, nous sommes foutu. Que les Trois soient miséricordieux." dit-elle au Baron, tant en essayant d'attacher ses cheveux humides avec un petit lassé.

La jeune femme regarda le ciel, dans l'espoir de voir un rayon de soleil. Il y avait bien une éclaircit, mais celle-ci ne semblait pas être là pour durée. Pourtant, Kira se mit à espérer. En tous les cas, ils ne pleuvait plus depuis bien une demi heure, mais les nuages persistaient.

Tandis qu'Anton, brave Reiter de son état, donnait ses ordres à Cyrielle, une jeune soldate des milices d'excursion, et ce avec le ton d'un patron pressé, la subalterne, alors qu'il précisait l'adresse où elle devrait livrer la mule du bon Anton, lui coupa la parole. Oui ! Lui coupa la parole ! L'impertinente ne se sentait pas de s'occuper des sales besognes de l'officier sourire, et demandait ce qu'elle y gagnait. C'était donc un Gunof agacé qui, tout de go, lui rétorqua :

« T'y gagnes de pas te faire rosser le culot devant tous les pécores des Haldonores, voilà quoi t'y gagnes, la bougresse !... » Ce petit cri du cœur eut le don d'apaiser son courroux, et une longue inspiration après, il reprit la parole, visiblement plus calme. « T'y gagnes une belle récompense, une belle bourse bien grasse, promesse de myssègue ! » Il pouvait bien promettre ce qu'il voulait, se dit-il, car il ferait beau voir qu'Anton, la fille et l'âne arrivassent tous sains et saufs à Marbrume. Alors si la satisfaction du devoir bien fait ne suffisait pas à cette ribaude de soldat, il pouvait bien faire appel à sa soif de lucre, et ce sans trop se mouiller.

Il allait redonner l'adresse où rendre la carne quand l'effrontée rajouta une nouvelle couche de questions. Et où qu'il allait ? Et pourquoi, qu'est-ce qui se passait ? S'il supportait mal qu'on l'interroge sur ses agissements, surtout par un subalterne, et surtout par une femme, la volée de question le fit ricaner. Il décocha un coup de menton gouailleur côté de la jeune baronne d'Haldonores, comme si ce simple geste suffisait à expliquer sa décision. Il ne s'en contenta finalement pas, et quand il revint du côté de l'interrogante, lui dit, un brin rigolard : « T'as qu'à te dire que je pars en éclaireur, comme en sacrifice pour tous ces braves gens. Alors, on a accord ? Tu topes ? »

Apparemment, son humeur de chien était une constante chez lui, et ce ton impérieux et supérieur aussi. Lorsqu’il lui parlait de se faire « rosser le culot devant tous les pécores », elle aurait tant voulu lui répondre sur un ton de défi, chercher à voir s’il pouvait effectivement se permettre une telle menace à son encontre et engager le combat. Pourtant, sa place lui revint bien rapidement à l’esprit. Inutile de se fatiguer et de risquer de se blesser alors qu’il leur restait encore tant de chemin à faire et tant de risque de devoir se battre par la suite. Ça n’en valait pas le coup et elle portait son armure, elle ferait mieux de se faire discrète. Pourtant, l’autre milicien semblait s’être calmé à force de s’égosiller sur elle. Au lieu de menaces, il lui proposait une bourse bien garnie en échange de cette faveur. C’était déjà un pas considérable en avant. Elle n’en croyait pourtant qu’un mot sur deux.

Elle se demandait quel genre de personne pouvait payer aussi cher l’arrivée d’un pauvre bestial, même venu de si loin. La bourse ne serait peut-être même pas à moitié remplie. Pourtant, il l’avait dissuadé de continuer à argumenter avec lui. Elle avait bien compris qu’il ne lâcherait pas l’affaire, qu’elle était désormais en charge de l’âne et que plus tôt elle baisserait la tête, plus tôt ils seraient chacun libérés de la présence de l’autre. Pas qu’il était particulièrement désagréable, mais éviter les postillons n’était pas son activité favorite. Cyrielle ne se passait pas de son air intrigué et méfiant, surtout lorsqu’il pensait lui mettre dans la tête qu’il se sacrifiait pour les « braves gens ». Dans d’autres circonstances, elle en aurait ri, mais encore une fois, ce n’était pas le moment. Elle hocha la tête, soupirant et acquiesçant à l’accord pour lequel il lui demandait confirmation. Il ne lui restait qu’à le regarder partir et se mettre elle-même en route.

La milicienne n’était pas la seule à avoir pris une décision raisonnable. C’est soulagé qu’elle eût constaté qu’ils laisseraient tous ces chariots sur place. Il n’était plus question d’avancer avec ces charrettes et d’emporter la maison de tout un chacun. Pourtant, elle déchanta rapidement lorsqu’elle comprit qu’il en serait de même pour les ruminants ne servant pas de monture. Maintenant qu’elle avait tiré un avantage financier du boulet, si on pouvait se permettre de le formuler ainsi, il fallait encore que la baronne vienne changer les règles du jeu. Cyrielle aurait vraiment aimé aller voir De Haldonores pour lui expliquer la situation, mais la file d’attente était déjà bien trop longue pour la patience de cette dernière. Elle s’était rapidement retrouvée à élever la voix pour se faire respecter de ses petits protégés. Ils avaient enfin compris que cette traversée n’était pas une promenade de plaisance, malgré le calme relatif qui les avait accompagnés jusqu’ici.

Toujours en toute fin de cortège, la nouvelle disposition des troupes avait au moins l’avantage de condenser et compresser la foule de paysans à protéger. Elle avait enfin une vue globale de la foule, facilitant l’organisation de la protection. Ce qui leur serait utile, surtout si ce n’était pas des fangeux qui venaient les encercler, même si elle doutait que des bannis prennent ce risque au vu du temps. Même eux n’étaient certainement pas assez inconscients pour se montrer. Elle se résolut finalement à relâcher l’âne, malgré la récompense promise, et tout le monde se remit en route. Les pas étaient beaucoup plus sonores, puisque plus nombreux, même si le sol était encore majoritairement boueux. Au moins, la pluie avait décidé de leur laisser un peu de répit. Elle espérait juste que les éternuements attendraient qu’ils soient en ville pour se manifester. C’est l’œil vif et très concentré sur leurs environs qu’elle fermait la marche. La milicienne veillait à ce que ses plus proches alliées ne s’éloignent pas trop, et à ce que rien ne se fasse voir à l’horizon.

Les pas se faisaient plus rapides et le rythme plus soutenu. La tension et la peur de se trouver sur un chemin boueux isolé étaient revenues depuis qu’ils avaient terminé leur repas. Ils se sentaient vulnérables, de plus en plus affaiblis par la marche qui leur était imposée et à laquelle peu étaient habitués. Heureusement, ou non, le baron De Sombrebois avait semblé s’en rendre compte. Il avait mis en place un manège dans le but de remplacer les carrioles laissées derrière eux. Il faisait monter des enfants sur son cheval, soulageant les parents qui les portaient et permettant doucement de réduire l’écart qui se creusait entre les bons marcheurs et la fin de peloton. Il n’avait pas fallu bien longtemps avant que les autres cavaliers soient incités à en faire de même. C’était dans l’intérêt de tous, et surtout de ceux qui voulaient rester en vie jusqu’à Marbrume.

C’est donc lorsque tous les cavaliers étaient le plus éparpillé, et leur défense la plus faible, que des cris gutturaux se firent entendre. Le genre de cri qu’elle commençait à connaitre et reconnaitre entre tous. Elle avait arrêté de compter le nombre de batailles qu’elle avait engagées avec ces créatures. Peu importe le nombre, elle en éprouvait toujours un frisson d’horreur lorsqu’elle les voyait arriver vers elle. La milicienne espérait bien ne jamais s’habituer à cette menace. Elle dégaina son épée, regardant avec effrois les premières atrocités se jeter vers eux et vers les villageois. Les ordres avaient rapidement fusé alors que les paysans prenaient leurs jambes à leur cou. Il fallait les arrêter, empêcher leur progression. Un autre frisson la parcourut lorsqu’elle se rendit compte qu’ils n’étaient que quatre en attendant les cavaliers, elle était en très mauvaise posture.

Elle ne pouvait pas se permettre de surveiller ses arrières, mais elle espérant bien que quelqu’un le ferait, rapidement. Ce n’était pas le moment de paniquer. Elle prit une aussi grande inspiration que le lui permit le premier fangeux qui se présentait à elle. La milicienne brandit son épée avant de se lancer à corps perdu dans cette bataille. Cyrielle se planta aussi solidement que possible sur ses jambes et évita le premier coup de griffe qui visait directement son visage. Elle profita de ce moment pour trancher d’un geste vif et assuré la jambe de son adversaire. Même déséquilibré il ne faisait pas état de la moindre gêne et tenta aussitôt de la mordre. Heureusement pour elle, son épée fut sur le chemin. Un sourire fleurit sur son visage pendant une fraction de seconde. Un pied derrière, elle n’hésita pas un instant et d’un geste circulaire violent lui trancha la gorge. La tête arrachée, le reste du corps s’écroula dans la boue.

Son premier adversaire à terre elle se rendit compte qu’elle était tout de même blessée. Un autre monstre vint l’interrompre, l’envoyant directement au sol. La tête la première dans la boue, elle mit quelques instants à se retourner et à s’essuyer. La créature n’en attendit pas plus pour fondre sur elle. Un cri lui échappa en sentant la pression de sa gueule sur sa jambe, malgré l’armure. La douleur était fulgurante et son cri se termina en un grognement. Sa vision était floutée, mais elle reprit son épée. Avec autant d’élan que possible, l’arme fusa vers le fangeux. Il lâcha sa prise et un réflexe permit à la milicienne de se dégager avec un coup de pied. Tout s’était passé très vite et elle fut soulagée de voir une flèche transpercer la tête de son adversaire. Apparemment, les archers étaient enfin à leur place. Elle cracha au sol, entendant les ordres de la châtelaine au loin.

Ils avaient à peine marché depuis qu’ils étaient partit de la taverne abandonnée, malgré leur rythme il lui semblait totalement impossible qu’ils soient si proches de Marbrume, aussi tôt. De plus, elle n’avait certainement jamais dû se faire courser par un fangeux. Ils étaient agiles, forts et certainement plus rapides que les personnes qu’ils étaient censés protéger. S’ils reculaient alors que la bataille était engagée, alors que leur armure les ralentissait, ils se feraient tous dévorer. Elle n’avait aucun doute là-dessus. Cette baronne commençait vraiment à s’attirer son antipathie. Qu’elle commence à fuir à cheval, elle lui ferait de l’air. Elle avait déjà eu de la chance de pouvoir se relever, la plupart de ceux qui atterrissaient au sol ne pouvaient pas en dire autant. Elle recula légèrement derrière les autres combattants, tentant d’évaluer les dégâts sur sa jambe. S’ils se mettaient à courir et la laissaient derrière, elle ne donnerait pas cher de sa peau. Elle aurait vraiment dû insister pour garder l’âne, il l’aurait peut-être sauvé, lui.

Ne disait-on pas que la peur de mourir donnait des ailes ? Elle n’en était pas à boiter, pas encore. Elle avait mal, mais rien qu’un peu d’adrénaline ne pouvait faire oublier. Elle devait retourner soutenir les autres mercenaires. Elle jeta un dernier regard à la masse, cherchant en vain Hector pour attendre ses ordres et voir la réaction des autres combattants.

Personne n'avait reculé, personne ne s'était désengagé du combat. Malgré la suggestion plus que stupide de la baronne, De Sombrebois avait réussi à prendre la situation en main pour éviter le pire. Heureusement, le groupe de fangeux qu'ils affrontaient n'était plus si nombreux, ce qui lui redonna un peu de courage alors qu'elle approchait à nouveau, assénant coup d'épée après coup d'épée. Il était de plus en plus dangereux de rester au combat rapproché quand le nombre d'ennemis diminuait, mais que les archers étaient toujours en action. Les flèches pleuvaient devant eux, ajoutant encore à cette ambiance lugubre qui les entourait. Elle aida les miliciens à achever encore deux fangeux supplémentaires avant qu'un moment de silence ne s'abatte sur eux. C'était avant que chacun ne soit à nouveau capable d'entendre les respirations haletantes de ses voisins, les derniers râles de monstres agonisants. Le combat était bien terminé. C'est avec un soupir de soulagement, la respiration lourde et difficile, qu'elle arriva à ce constat.

Il n'avait fallu attendre que quelques instants de plus avant que miss bonnes-idées ne viennent s'inquiéter de son sort. Elle aurait aimé lui répondre qu'elle ne voulait pas son aide, qu'elle n'en avait pas besoin. Malheureusement, la force de la mâchoire de son ancien ennemi semblait avoir entamé sa cuisse plus qu'elle ne le pensait. Cyrielle pourrait tenter d'ignorer la douleur autant qu'elle le voulait, s'empêcher de boiter et continuer à ce rythme-là ne lui était pas envisageable. Elle soupira et lui répondit plus par obligation et convention sociale que par choix personnel. Elle ne savait pas exactement ce que cette dernière pourrait bien faire pour elle. La milicienne n'était pas capable de tenir seule sur un cheval, et il était certainement hors de question qu'elle partage celui d'un des deux nobles. Pourtant, avec un peu de clémence, elle pourrait éventuellement s'inviter sur celui de l'un de ces archers. Toutefois, ce n'était pas à elle d'en décider, elle lui répondait et aviserait avec sa réaction.

✧ J'ai été mordue à la cuisse. Rien de cassé, mais je n'arriverais pas à suivre le rythme à pied.

Après cette affirmation, Kira accorda son attention à Hector qui se trouvait non loin. Impossible pour elle de ne pas suivre l'échange. La noble était inquiète, pressée. Elle voulait qu'ils se mettent immédiatement en route, sous peine de ne pas arriver à atteindre les remparts avant la nuit et de se retrouver à essuyer d'autres assauts qui risquaient bien de leur faire la peau. Son premier réflexe aurait été d'encourager ses dires et d'être du même avis qu'elle, mais encore une fois, c'était la solution de facilité. C'était la première solution, la plus simple à court terme, qui finirait inlassablement par leur retomber dessus, par leur causer plus de tort encore dans le futur. Avant de prendre leurs jambes à leur cou, il fallait qu'ils s'occupent des morts, ceux qui ne l'avaient été qu'une fois jusqu'ici. S'ils ne les brûlaient pas maintenant, ces visages, qu'ils soient encore reconnaissables ou non, reviendraient les hanter et les tourmenter avant de les tuer. Le besoin d'intervenir était trop grand.

✧ Ce n'est pas une bonne idée de partir en laissant de futurs fangeux derrières nous. Si on ne s'occupe pas des morts pour avancer, et qu'on reste bloqué devant les remparts, on aura rien fait de plus que se planter une épée dans le ventre.

Ses mots étaient clairs. Le baron avait déjà tenté de lui soutirer une opinion un peu plus tôt pendant leur périple. À ce moment-là, elle n'avait eu aucun conseil à prodiguer, maintenant que c'était le cas elle s'exprimait. C'était son avis contre celui de la baronne, à lui de trancher. S’il estimait que le jeu en valait la chandelle, elle n'aurait aucune protestation supplémentaire à faire. Pourtant, elle n'était sincèrement enchantée par aucune des deux options qui s'offraient à eux. L'idéal serait de désigner des personnes à sacrifier. Quelques personnes qui resteraient derrière pour s'occuper des morts et laisser les autres avancer et sauver leur peau. Elle avait conscience d'être une parfaite candidate à ce poste et se préparait déjà à cette éventualité. Elle ne serait certainement pas la seule à arriver à cette conclusion.

Évidemment, elle aurait dû s’en douter. Elle n’allait certainement pas se plaindre de l’attitude qu’avait le baron vis-à-vis du sacrifice de soi pour une « noble cause ». Que du chiqué si on lui demandait. Dès qu’il avait donné les ordres de partir devant elle avait voulu protester, mais au lieu de ça la milicienne serra les dents, les poings et fit demi-tour. Elle s’éloigna des deux beaux parleurs, la suite de leur discussion ne la concernait pas. Puisque le baron avait quelques cavaliers, elle aborda celui qui lui avait fait la meilleure impression pendant le voyage de l’aller et lui demanda aussi poliment qu’il lui était possible de la laisser monter derrière lui. Heureusement, la situation était trop grave et sérieuse pour qu’ils prennent le temps de se moquer d’elle ou d’avoir une réaction autre que « dépêche-toi de monter avant que je change d’avis. »

Le temps n’était plus à la délicatesse ou à la gêne. Elle grimpa comme elle le pouvait sur le dos du cheval, s’accrochant au ventre du « généreux » cavalier. Sa grimace ne passa pas inaperçue, mais aucun commentaire n’avait été émis et elle fit semblant de ne pas voir les sourires en coin qu’ils lui jetaient. Ils attendirent que les archers et le capitaine De Haldonores les rejoignent pour se remettre en route. Chacun surveillant ses arrières alors que la plupart des gens qui fuyaient à pied avaient pris une avance considérable pendant leur bataille. Pendant un petit moment, les chevaux avaient été lancés à plein régime pour les rattraper avant de ralentir à nouveau. D’autres voyageurs étaient montés sur les chevaux, la cadence était plus soutenue encore qu’avant, la peur y était pour beaucoup.

Le soleil n’était pas si bas que ça, du moins, du peu qu’elle pouvait en voir à travers les nuages. Son expérience lui était précieuse, surtout dans des moments où le temps qui passait devenait aussi flexible et aléatoire. La sensation du temps était souvent traitresse pour ceux qui voyageaient peu et peu souvent. Les combats donnaient toujours l’impression d’avoir duré des heures et la marche semblait ne jamais prendre fin. La vitesse à laquelle les gens marchaient n’était jamais suffisante. Cette appréciation trompeuse lui était familière depuis un moment, la rassurant grandement sur leurs chances d’arriver à Marbrume avant qu’ils n’en ferment l’entrée. Cyrielle avait arrêté de regarder derrière elle, sa plaie saignait toujours, frottant contre le flanc du cheval à chaque mouvement. Pourtant, son corps contractait ses muscles par réflexe pour avoir autant de stabilité sur l’animal que possible.

Une fois arrivée à Marbrume il faudrait qu’elle retourne voir Denea. Cette dernière ne serait certainement pas ravie de la voir revenir, même avec une plaie moins grave. Elle osait uniquement espérer que la douleur finirait par se calmer, et que c’était toujours moins grave que ça en avait l’air. Son historique était déjà composé d’une exception à ces égards, inutile d’en ajouter une. Ses yeux ne quittaient pas les villageois, s’assurant tout de même que personne ne trébuche. Elle voulait absolument éviter de reproduire le même schéma que plus tôt, même si elle aurait volontiers cédé sa place à un autre blessé de temps à autre. Pourtant, le fait de fuir et d’avancer ne les protégeait pas contre d’autres groupes de fangeux qui risquaient de les attaquer sur les côtés. La seule chose que la milicienne pouvait faire était de les encourager, en leur répétant qu’ils n’étaient plus si loin, qu’ils arriveraient à Marbrume, que tout irait bien.

Ces paroles encourageantes portèrent leurs fruits lorsque les remparts furent enfin en vue, après ce qui semblait une éternité plus tard. Le soleil avait réellement commencé à décliner dangereusement. Ils étaient enfin arrivés. Les gardes les virent arriver et appelèrent des renforts pour s’occuper de tous et principalement pour vérifier le bras gauche de chacun. L’accueil chaleureux serait pour une prochaine fois. Après un examen minutieux de chacun de leurs protégés, elle laissa le capitaine annoncer la venue future et théorique des deux nobles. Elle n’avait plus rien à faire ici. Après s’être assuré que la garde De Haldonores qui était avec eux prenait les choses en main, elle partit pour se diriger tout droit vers une petite maison qu’elle connaissait maintenant assez bien. Elle n’avait aucune crainte quant à la manière dont le paiement pour cette expédition lui parviendrait. Il en avait déjà été de même lors de la traque à Traquemont, après tout, le baron savait où la trouver, plus ou moins.

*