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 Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]

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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyDim 2 Oct 2016 - 13:42
Effectivement, Morion avait moins d’informations que sa femme, à propos de la vicomtesse. Et l’on pouvait aisément l’entendre; Cassandre n’aurait jamais commis l’erreur d’avouer le réel but de ses visites durant l’opération de conquête à son maître et ami, elle se serait faite démolir sur place par Morion, clairement. Il avait peut-être du mal à lui accorder toute la négativité qu’Ambre lui offrait volontiers, mais s’il avait eu vent de ses agissements, sa réaction vis à vis d’elle aurait été nettement différente, de même que celle vis à vis de sa propre épouse. Là, il ne comprenait pas. Tout d’abord, il pensait que sa femme lui accordait suffisamment de confiance pour savoir ce qu’il faisait. Il avait prononcé ses voeux, des voeux sacrés et éternels. Si l’homme pouvait avoir ses faiblesses, les serments, eux, non. Et Morion avait toujours démontré un zèle formidable à respecter les paroles qu’il prononçait au regard des Dieux. Ambre savait qu’elle était des millions de fois plus importante que Cassandre. Et que s’il avait à choisir un jour entre les deux, il n’hésiterait même pas une seconde. Néanmoins, depuis leur mariage, les choses n’allaient qu’en s’empirant à ce niveau. Peut-être sa grossesse rendaient ses émotions plus explosives, il n’en savait rien. Mais une chose était certaine, la Comtesse de Ventfroid se nommait Ambre, pas Cassandre. Et cela l’énervait au plus haut point de voir que finalement, elle n’avait pas encore intégré cela. Pas plus qu’elle n’avait intégré le fait que sans Cassandre, il serait probablement déjà mort pendu ou pire. Et que par voie de conséquence, ironiquement sans doute, cette dispute n’aurait même pas eu lieu d’être.

Un rictus irrité déforma la ligne lisse et pâle de ses lèvres lorsqu’il lui répondit.

«Elle n’a pas accès à notre vie privée, et je tiens à préciser que par défaut, à cause de ce qu’abrite ce manoir, les portes doivent être verrouillées. Peu importe quand, comment, il serait extrêmement imprudent de les laisser ouvertes à toute curiosité mal placée. Je connais mes gens, je leur fais confiance, mais je ne sous estime pas moins leur nature, une nature humaine, donc curieuse, parfois au delà de ce que le devoir restreint. Tu devrais en faire de même. Un éclat sardonique brisa la continuité acerbe de son regard. Nous ne savons même pas combien de temps elle a passé ici. Dix, vingt, trente minutes ? Il est facile d’asseoir des soupçons pareils lorsque les données sont manquantes. Surtout quand les faits, à savoir les portes closes de tous les endroits sensibles de la demeure, démontrent qu’elle n’a finalement eu accès à rien.»

Cassandre avait en sus de cela beaucoup plus de mal à venir lorsque les deux époux étaient présents. Non pas qu’elle rechigne sur une quelconque manière de venir titiller les nerfs d’Ambre, mais voir Morion et Ambre ensemble sous le même toit, dans l’intimité de leur foyer, lui était insupportable. La superbe qu’elle pouvait afficher durant ce genre de visites, somme toute protocolaire, en vérité - elle n’était pas de celles qui s’adonnaient aux visites de courtoisie - n’était qu’une façade, nécessaire au demeurant. Si les conséquences de ses actes avaient été négligeables, elle aurait probablement écharpé Ambre sur place sans plus de cérémonie. Morion étant assez peu absent ces derniers temps, forcé au repos et à l’économie d’énergie, il partageait plus de temps avec Ambre, et cela limitait fortement les créneaux auxquels Cassandre pouvait justement faire sa fouine. Mais ça, forcément, ni l’un ni l’autre ne le savaient.

«Au contraire. Céline ne portait pas que leur nom, elle porte également leur sang. Et ce lien là est tout aussi éternel que celui que nous avons noué tous les deux devant l’autel. Alors si, tu leur dois un minimum. Et tu n’y peux rien, leur sang coule aussi dans tes veines.»


Et ce n’était à ses yeux pas quelque chose contre lequel l’on pouvait lutter. Elle était une personne indépendante, qui tout comme Céline n’avait peut-être plus rien à voir avec les Rochelaire, mais sans eux ni l’une ni l’autre ne seraient là. Et elle ne pourrait pas cracher avec autant d’aisance au visage de leur descendante.

«Je ne peux rien faire contre un danger qui n’est pas avéré, sans preuves concrètes des soupçons, nombreux qui plus est, que tu sembles avoir. Ce n’est pas dans mes façons de faire, et cela ne le sera jamais. Elle ne t’aime pas, c’est un fait. Et c’est réciproque. A-t-elle depuis que je suis marié avec toi tenté quelque chose de réel contre toi, contre nous ? Non, parce qu’elle en connaît les implications. Il avait de plus en plus de mal à contenir le venin qui suintait dans sa voix. Contrairement à toi, elle sait que je ne laisserai jamais le moindre mal à notre famille. A l’inverse tu sembles penser que je suis trop aveuglé par le temps et par l’ancienneté de ma relation avec elle. Il fronça les sourcils, si fort qu’ils se rejoignaient presque entre ses yeux. Je lui ai explicitement signifié, puisque visiblement la confiance vient toujours à manquer, que si elle te faisait du mal, je n’aurais aucun scrupule à l’exécuter. Au sens le plus littéral du terme, je n’en serais pas à mon coup d’essai.»

Il ne releva pas la dernière remarque d’Ambre. Le menacer, elle venait de le faire. Il ne commenta pas son départ, se contentant de jeter un oeil sombre à son dos quand il disparut dans les étages. Il ne savait que penser de tout cela, pour le moment. Il était en colère, ça c’était un fait. Mais une boule s’était contractée au rythme de la dispute, un noeud dont il n’arrivait pas à se défaire. Il découvrait une sensation. Celle de la culpabilité d’avoir blessé quelqu’un, et la tristesse d’avoir eu des maux avec la personne à laquelle il tenait le plus aujourd’hui. C’était encore plus désagréable que la colère elle-même. Dans ces moments là, on ne savait même plus trop comment on en était arrivé à ce point, tout ce que l’on pouvait constater, c’était l’atmosphère amère, abrasive, qui en résultait. C’était une découverte, et le constat fut rapide : il détestait ça. S’il restait pour l’heure campé sur ses positions, il n’avait clairement pas envie de remettre ça.

Il resta plusieurs longues minutes planté dans le hall, à méditer sur cette discussion, puis traversa l’aile du manoir pour aller s’installer dans le cloître. L’air était relativement frais, et celui du hall avait eu tôt fait de l’insupporter. Il avait souvent été confronté à ce problème : des choses qu’il considérait comme logiques, dépendantes uniquement du bon sens et d’un pragmatisme nécessaire, d’autant plus à cette époque, qui étaient soient mal interprétées, soit mal comprises. Oui, Cassandre n’était peut-être qu’une vassale, qu’une espionne. Mais elle avait une valeur aux yeux de Morion qui faisait qu’il ne pouvait s’en séparer sans avoir solidement couvert ses arrières. L’avantage de la tenir en tant qu’espionne était que si elle mouftait à quiconque, il ne serait pas difficile pour le comte de démontrer, par des preuves écrites, orales, des témoignages oculaires ou autres, la culpabilité de Cassandre dans tous les méfaits qu’elle pourrait signaler. Aussi, là dessus, ils étaient en sécurité. Mais cette même intrication de leurs interactions rendait sa présence indispensable. Elle savait tellement de chose, était tellement rodée au fonctionnement des Ventfroid, et d’autant plus à celui de Morion, qu’il était stupide de vouloir s’en séparer et gâcher pratiquement quinze ans de service. Oui, leur relation avait connu des dérapages. Morion s’en voulait cruellement pour cela. Il se moquait bien qu’il existe des enfants moitié Ventfroid, moitié Rocheclaire. Il ne pouvait encore les faire mettre à mort, mais cela viendrait. Il ne les aimait pas. Mais tout ceci était derrière lui, aujourd’hui c’était sa véritable famille qu’il avait décidé de construire, et sa propension à oblitérer les obstacles qui se mettaient en travers de sa route n’était pas à prouver. Alors pourquoi diable Ambre ne le comprenait pas ? Si elle était compromise d’une quelconque façon par Cassandre, Morion prendrait immédiatement des mesures sanglantes contre sa vassale. Elle le savait. Et pourtant…

Il soupira. Il détestait l’incompréhension. Il n’y avait rien de pire, pour un homme intelligent, de se retrouver à un problème très simple, mais insoluble car son appréhension en était impossible. C’était frustrant, et cela finissait même par devenir énervant. Il était le chef de cette demeure, il la faisait tenir debout depuis des mois, son domaine également, et voilà qu’il se retrouvait confronté à… ça. Qui plus est, cela venait jeter la première ombre au tableau depuis six mois qu’ils se fréquentaient. Encore une chose qui l’énervait. Il n’avait pas cru voir ça arriver si tôt. Ni même arriver tout court. La connivence entre sa femme et lui était formidable sur tous les points. C’était une chose rare, et de fait précieuse. Mais apparemment, ils n’échappaient pas à leur nature.

Morion resta là un moment à cogiter. Trouver un compromis pour conserver l’efficacité professionnelle de Cassandre, à laquelle il tenait, efficacité qui était nécessaire, il n’y avait pas à tergiverser là dessus, et épargner à sa femme l’inquiétude de la voir les trahir. Et forcément, éviter à leur couple d’avoir à subir les affres de l’influence visiblement néfaste de la blonde. Si elle avait été là, nul doute qu’elle se serait régalé de les voir se tirer dans les pattes. Elle venait voir Ambre pour l’énerver et lui pourrir la vie, mais finalement, elle n’avait même pas besoin d’être là pour qu’ils commencent à se déchirer à son sujet. C’était ridicule, se dit Morion.

La lumière et les ombres du cloître s’étaient mues légèrement quand il s’en alla. Il avait d’autres problèmes à traiter. La colère commençait doucement à retomber, de même que la violence qui l’avait animé une ou deux heures plus tôt. Ce mélange infect de tristesse diffuse et de culpabilité en revanche, il persistait.

Il ne croisa personne quand il remonta dans les étages. Comme si les domestiques fuyaient les couloirs que prenaient le plus régulièrement les époux Ventfroid, comme s’ils avaient été contaminés par quelque sombre mal auquel il ne voulaient pas être confrontés.

Il s’apprêtait à retourner dans son bureau, puis se ravisa. Il hésita quelques instants, puis prit la route de l’atelier. Tout comme son bureau était le sien, l’atelier était le repaire d’Ambre, et il doutait qu’elle soit sagement à l’attendre dans la chambre après la scène dans le hall. Il toqua deux brèves fois une fois arrivé devant, puis ouvrit, ou du moins tenta, d’ouvrir la porte. Il dut réfréner à cet instant un nouvel accès de colère. Non contente de l’avoir menacé, elle s’autorisait maintenant à lui refuser l’accès à des pièces de SA maison ? Il poussa un long soupir, à mi-chemin entre le dépit et l’exaspération, et après quelques secondes à attendre que les battements de son coeur ralentissent, il éleva. Sa voix était neutre, l’on ne percevait strictement rien dedans, surtout pas de colère, mais pas la douceur et les harmoniques enjouées qui ponctuaient d’ordinaire ses phrases.

«Comptes-tu rester enfermée là-dedans toute la soirée, ou ai-je l’autorisation d’entrer ?»
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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyDim 2 Oct 2016 - 18:32
- Bien sûr que non qu’elle n’a encore rien tenté contre moi. Le jour où elle le fera, je ne serai plus là pour te dire que je t’avais prévenu.

Le danger ne pouvait être avéré pour l’instant, Ambre n’avait en effet aucune preuve. Cela ne voulait pas dire que le danger n’était pas réel. Morion voulait attendre qu’elle frappe pour être fixé ? Cassandre était une femme intelligente. Le jour où elle frapperait, la probabilité qu’elle rate ses actions était faible si le couple n’anticipait pas. Raison pour laquelle Ambre avait envoyé des espions à ses trousses ; elle espérait que les recherches seraient fructueuses. Morion voulait des preuves, mais la comtesse était persuadée que si elle lui parlait des moyens qu’elle avait déjà mis en œuvre pour en obtenir, elle se prendrait un sale retour de bâton. Cassandre restait indispensable seulement parce qu’il le désirait. Des espions loyaux l’on pouvait s’en construire pleins ; Ambre avait même quelques têtes chez les Mirail qui seraient heureuses de servir pour le comte de Ventfroid.

Cassandre était une amie d’enfance du comte, Ambre le comprenait bien. Outre l’avantage professionnel, il ne désirait pas la perdre, comme Ambre n’aimerait pas avoir à se séparer de la domestique avec laquelle elle avait grandi, ou les amis de sa famille. Si la vicomtesse se montrait souvent intrusive, partageant de nombreux souvenirs avec son mari qu’Ambre ne connaitrait jamais, c’était quelque chose que la jeune femme comprenait. Elle aurait été parfois légèrement agacée, ou peinée, de ne pas pouvoir partager avec lui tout ce qu’il pouvait partager avec son amie, mais être marié ne signifiait pas se fermer à tout le reste et toutes les autres personnes de notre vie. Qui sait, si Cassandre n’avait pas été amoureuse de lui, peut-être les deux jeunes femmes se seraient entendues à merveille, même. Mais Ambre de Mirail avait été détestée dès le premier soir où elle avait franchi les portes de ce manoir. Qu’importe son nom, son talent, qu’importe l’avantage qu’elle pouvait apporter aux Ventfroid : elle était un obstacle pour les désirs de la Rocheclaire. Là encore, cela aurait pu s’arrêter là. Soit par confiance suffisante envers son mari, soit par indifférence totale des attaques de la blonde. Cependant, Ambre n’avait jamais réussi, passé un certain seuil, à conserver cette différence. Les menaces de mort, c’était définitivement pas quelque chose qu’elle pouvait oublier comme si elles n’avaient jamais été proférées. Ambre était devenue une épouse et bientôt une mère : niveau instinct de survie, on ne pouvait pas trouver de stimulateur plus puissant. Et ce danger qui s’imposait à elle de façon instinctive, comme une ombre tapie en attendant son heure, elle ne parvenait pas à le faire disparaître. Et plus Morion s’accrochait à cette femme, plus il refusait d’entendre ses inquiétudes, plus le doute de la comtesse se durcissait. Cassandre possédait une telle confiance de la part de Morion qu’elle en était encore plus dangereuse que supposée. Et voilà désormais qu’elle avait le pouvoir de faire voler en éclats la bonne humeur du couple sans même être présente.

Ambre fronça légèrement les sourcils à l’évocation des avertissements laissés à la Rocheclaire.

- Le simple fait que tu aies dû la menacer toi-même aurait dû t’alerter et te faire prendre des mesures drastiques. J’ai confiance en toi, n’en doute jamais. Ne le remets jamais en cause. Jamais, répéta-t-elle encore. Son regard s’était fait brûlant, acerbe. S’il y avait bien une chose dont elle pouvait être fière dans ce mariage pour l’instant, c’était bien ça. Il n’avait pas le droit de le lui retirer. C’est en elle que la confiance vient à manquer. Et tu as beau être le comte de Ventfroid, faire des erreurs ou des négligences ne t’est pas impossible.

--

Elle était partie, mettant un terme à l’échange. La pénombre dominait les lieux désormais que la nuit était tombée, mais la comtesse n’alluma pas tout de suite les bougies de son atelier. Connaissant la salle par cœur, elle put se déplacer sans se cogner et terminer par s’asseoir dans un fauteuil matelassé dans le coin gauche de l’entrée.

Elle prit une longue inspiration pour se calmer, la rage courant encore dans son corps. Elle tournait machinalement son alliance autour de son doigt, les mains fébriles, encore terriblement mécontente d’apprendre de cette manière qu’une tierce personne possédait les clés de leur bâtisse. L’idée que cette femme ait pu, durant l’absence de Morion, pénétrer au manoir pendant que la comtesse dormait lui soulevait des frissons de dégoût dans la nuque. Il lui faudrait quelques temps pour digérer ça.

Ambre resta longtemps assise dans le petit fauteuil, silencieuse, parfois complètement immobile et hébétée, parfois levant une main rageuse pour se la passer sur le visage ou dans les cheveux. Elle était partie, et se demandait désormais si cela était une bonne chose. Terminer sur une forte colère, sans conclusion ni excuses, laisser traîner l’abcès indéfiniment… Elle ne savait pas si c’était quelque chose à faire avec Morion, ou même si cela allait l’aider elle. La solitude allait pouvoir la calmer, certainement, mais après ce genre de scène venait toujours l’instant désagréable où l’esprit faisait tout pour montrer ce qui aurait été plus intelligent à répliquer, plus pertinent à faire. Sa réaction avait-elle été excessive ? Aurait-elle dû avouer à Morion les menaces qu’elle avait reçues de la part de la vicomtesse ? Aurait-elle dû éluder cette histoire de clés, faisant comme si cela ne l’affectait pas, et rester sur le cas de Saurell ? Cela aurait été le plus productif, certainement, après le résultat de cet échange. Morion ne demanderait pas le retour des clés, Ambre venait de se ridiculiser, et l’affaire Saurell restait en statut quo pour plusieurs heures. Bravo, Ambre de Ventfroid. Une totale réussite.

Petit à petit, la colère s’apaisa, pour ne laisser que des regrets et une amertume acide. La pénombre était devenue noire, et la comtesse ne distinguait plus grand-chose dans son atelier. Avec des gestes lents, elle se leva pour allumer les torches et les bougies. Elle ferma les rideaux des fenêtres, notant avec un petit geste interrompu que Morion se trouvait seul dans le cloître, autant dans ses pensées qu’elle. Le chagrin lui prit la gorge, et elle termina de fermer les rideaux. Lorsqu’elle se retourna, désormais que la lumière des flammes éclairait les détails de la pièce, son regard fut aussitôt attiré par le tableau qui ornait le mur d’en face. Ambre eut l’impression de le redécouvrir. Elle en connaissait chaque coup de pinceau, et pourtant, ce soir, il lui parut être un intrus. Tous les maux de ce soir venaient de lui. Saurell avait parlé de son existence : elle avait pu en parler à d’autres, d’autres qui sauteraient sur l’occasion pour faire tomber une famille importante de la ville. Contrairement à Morion, elle n’attendrait pas d’avoir des preuves du danger pour prendre des mesures. Il suffisait de mettre le tableau hors d’état de nuire, et quand bien même un arrêté de la milice venait faire une perquisition dans leur manoir, plus rien de compromettant ne pourrait être trouvé à ce sujet. Ambre s’en faisait le serment. Elle ne pouvait pas conserver l’œuvre telle qu’elle.
Ce nouvel objectif sortit Ambre de la torpeur dans laquelle elle s’était plongée depuis quelques heures. Difficilement, elle décrocha le tableau du mur, croulant légèrement sous son poids. Avec d’infinies précautions, elle le posa au sol, et entreprit d’ouvrir le cadre pour en sortir la toile. Le tissu crissa doucement dans un souffle, et Ambre l’étala d’un geste sur la grande table de la pièce. Elle toisa la peinture d’un œil à la fois agacé et peiné. Mais elle savait ce qu’il était nécessaire de faire. Alors, sans plus tergiverser, elle prit ses propres pinceaux, ses propres pigments, et commença à dénaturer la toile. Une larme coula lorsqu’elle posa la première couleur. Toutes ses fibres d’artiste hurlaient de douleur à agir ainsi, à gâcher une telle œuvre, et après la première larme de nombreuses autres suivirent, silencieuses. Ambre ne prit pas même le temps de les essuyer et se concentra sur sa tâche. D’autres étendards que celui du Duc commencèrent à fleurir sur l’œuvre. Celui des Ventfroid, transpercé par les crochets d’un des serpents de Rikni. Celui des Mirail, par le trident d’Anür. Celui des Sombrebois, des Rivain, des Clairmont, des Brasey, même celui des Sarosse. Parfois l’on voyait parfaitement les blasons, parfois ne subsistait que des morceaux de couleur dont il fallait deviner l’origine avec force déduction.

Lorsque Morion frappa, la jeune femme sursauta. Son poignet eut un mouvement aléatoire et involontaire, faisant légèrement déborder son geste. La présence de son mari la fit légèrement paniquer. Alors que la poignée de la porte s’inclinait et que l’homme comprenait derrière le battant qu’elle s’était enfermée, Ambre se relevait, effaçant rapidement les larmes qui n’avaient cessé de couler pendant qu’elle peignait, et rabattit rapidement un drap blanc sur la surface de la table, pour cacher ce qu’elle avait commencé à faire.

Toute sa tristesse et sa honte de leur dispute revint d’un coup désormais que son esprit n’était plus occupé, et elle craignait de nouveau la confrontation. Elle passa rapidement devant son miroir, essayant de se rendre présentable mais il était difficile d’effacer les marques de ses pleurs. Puis le comte put entendre le cliquetis dans la serrure, et voir le visage clair de sa femme se relever vers lui dans l’encadrement de la porte.

- Tu peux entrer, bien sûr.

Elle eut une hésitation, restant quelques secondes sur le pas de la porte, puis s’écarta pour qu’il puisse passer. Elle sembla vouloir dire quelque chose, mais resta muette, craignant de démarrer à nouveau une colère si elle disait quelque chose de déplacé, ou s’il venait à noter l’état de son cadeau de mariage.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyDim 2 Oct 2016 - 20:45
Lorsque la porte s’ouvrit, il l’observa un moment. Elle s’était “refait une beauté”, si l’on pouvait dire, mais l’on pouvait encore noter certains traits étirés, les yeux encore légèrement rougis, le coin des paupières plissé. Le noeud qui avait commencé à se défaire au creux de son ventre gagna une nouvelle fois en dureté. Les marques étaient chez lui peut-être moins flagrantes, mais tout comme sa parfaite connaissance du visage de son aimée lui permettait d’en déceler le moindre détail inhabituel, il en allait de même pour elle. Les lèvres légèrement plus pincées que d’ordinaire, les dents un peu serrée, la stature raide. Toute vindicte avait quitté ses yeux, mais une sorte de lassitude l’avait remplacée. Il la détailla un moment sans prononcer un mot. Pas qu’il n’avait pas envie de parler, mais après leur dispute, il était difficile de trouver une phrase par laquelle commencer sans relancer de l’huile sur le feu, ou passer pour un sombre idiot. L’une comme l’autre des options ne lui seyaient guère. Il finit cependant par s’aventurer dans l’atelier, dans le silence le plus complet, observant, un peu distraitement il fallait le dire, les chevalets, les meubles. Pourquoi était-il venu, d’ailleurs ? Quoi dire ? S’excuser ? Sûrement pas, en tout cas, chacun de ses mots était pensé, il n’avait pour l’heure pas l’intention de revenir sur ses positions. Désamorcer un conflit illégitime ? Oui, d’accord. Effectivement, c’était pour ça. Et parce qu’il n’avait pas du tout apprécié la tournure de la conversation. S’il en était ressorti blessé, sans être empathe, il pouvait aisément gager qu’Ambre avait également du prendre sa part de douleur. Et c’était sûrement le détail qui lui déplaisait le plus dans cette histoire.

Il s’approcha tout d’abord des rideaux d’une fenêtre qu’il étira. L’on ne voyait plus grand chose à l’extérieur, mais c’était autant pour s’occuper les mains que pour jeter un oeil aux quelques lueurs orangées qui brillaient aux étages inférieurs, là où s’affairaient les domestiques. Et il réfléchissait toujours. Avoir une vue, même diffuse, sur le cloître, l’aidait toujours. Il fixa un moment l’endroit où il s’était assis, plus tôt, et finit par ouvrir la fenêtre. Un courant d’air frais s’engouffra dans la pièce, faisant frémir tentures et tissus présent dans l’atelier spacieux. Oui, il avait ouvertement menacé Cassandre de mort. Voire de pire que cela, même. Et n’hésiterait pas à appliquer ces mesures, le jour où elles deviendraient nécessaires. Mais si possible, il aimerait éviter d’en arriver là. Il en était venu, parce que les arguments de sa femme étaient pertinents, à se questionner sur l’attachement qu’il éprouvait envers la vicomtesse. Il ne l’aimait plus, c’était un fait qu’il n’avait nullement besoin d’éprouver pour en connaître la véracité et la sûreté. Le simple fait de l’imaginer trop proche de lui, dans un contexte intime, le révulsait de dégoût. Quant aux sentiments plus profonds, il en allait de même. Il aimait et tenait déjà plus à Ambre qu’il n’avait aimé Cassandre durant les quelques courtes années qu’avaient duré leur “relation”, si le terme pouvait être employé ainsi. Lui-même ne s’était d’ailleurs même pas posé la question. Il ne pensait plus à Cassandre qu’en des termes amicaux - quand elle n’était pas trop insupportable - et professionnels. Et de ce point de vue là, il s’était dit que finalement, malgré son détachement absolu de nombre de choses, il avait du mal à tourner la page sur elle, car elle représentait un pan non négligeable de son existence. Il avait plus vu dans son enfance Cassandre que ses propres soeurs, grâce à son père, et de fait, une grande partie des souvenirs liés à cette époque sereine, avant que l’existence des trois membres de sa famille ne lui soit arrachée, étaient liés à elle. Elle tenait une grande partie de sa valeur de là. Une sorte de nostalgie nébuleuse, dont il était difficile de se défaire. Il ne pensait pas que cela lui ressemblait, mais les faits étaient là. Ce sentiment n’entraverait jamais sa volonté à offrir à sa femme et ses enfants une vie digne et le plus prospère possible, leur donner l’opportunité de porter un nom dont ils seraient fiers, c’était certain. Mais les choses allaient très vite, ces derniers temps, et il lui était difficile de faire le tri aussi rapidement que requis. Quant aux compétences purement administratives et professionnelles de la vicomtesse, il les avait déjà évoquées.

Un petit soupir las, silencieux, quitta ses lèvres, puis il se détourna du paysage nocturne et froid, refermant la fenêtre puis les rideaux. Son regard accrocha un détail, pendant qu’il se retournait. Un cadre vide. Un cadre qu’il connaissait très bien, car c’était lui qui en avait ordonné la sculpture. De même, il avait ordonné la peinture d’une toile, avec un nombre d’instructions tellement précis qu’il aurait presque pu le faire lui-même, tant il avait laissé peu de place à la création pure, une toile qui ne se trouvait plus à son emplacement d’origine. Ses sourcils se froncèrent légèrement, et il observa une fraction de secondes sa femme, avant de se diriger d’un pas vif vers la table qui le jouxtait de peu. Il observa le cadre encore quelques secondes, puis releva le drap qui couvrait la table, tombant nez à nez avec la cause du vide dans le tableau. Son cerveau sembla cesser de fonctionner pendant quelques secondes. Sans même parler de quoi dire, il ne savait même pas quoi penser. De la colère ? C’eût été justifié. Et il sentit les prémices de cette dernière lui réchauffer la poitrine et accélérer ses battements cardiaques, alors qu’une nouvelle vague le saisit. De tristesse. Ce cadeau était important, très important. Il n’avait peut-être pas la même valeur que leurs alliances, ou que le collier qu’il avait fait fabriquer pour elle, mais symboliquement… il représentait, picturalement, ce pourquoi qu’ils avaient décidé de s’unir, à la base. Et le clin d’oeil avait été bien planifié par Morion; c’était par un tableau qu’il l’avait rencontrée, et par un tableau qu’il scellait leur union. Le talent d’Ambre en peinture n’était plus à démontrer, aussi il n’avait aucun moyen de dire que ce qu’il voyait était laid. Mais cela restait tout de même une forme de destruction.

Le maelström émotionnel qu’il ressentait, plus diffus qu’explosif, finit par s’évanouir pour laisser place à une intense et amère déception. Nécessaire ou non, ce n’est pas le genre de chose qu’il avait pensé voir. Et pis encore, elle ne l’avait même pas mis au courant. Elle aurait pu le convaincre, mais elle avait préféré faire ça seule, sans en dire mot à quiconque. Ce n’était même pas énervant. Juste un incroyable gâchis. Avec précautions, il laissa retomber le drap sur la toile, et observa un moment le tissu immaculé, toujours hésitant sur la conduite à adopter.

«Il aurait fallu en arriver là un jour où l’autre, je gage.»

Sa voix était… blanche de toute variation. Aucune émotion ne semblait en filtrer, et à dire vrai, en lui, pas grand chose ne filtrait non plus. La journée avait été un peu trop difficile, même pour lui. Entre la soirée, puis la réception diurne chez le Canin, son retour, la révélation au sujet de Saurell, leur dispute, ça… Il n’ajoutait même pas au compteur chargé les affaires du domaine, sa soeur en premier plan. Il se sentait juste fatigué.

Il passa une main dans ses cheveux, et leva les yeux vers sa femme. Ses dents s’étaient, à la découverte du carnage, un peu plus serrées, mais son faciès conservait malgré tout cet aspect lisse et impassible.

«Je ne préfère pas évoquer ce que je viens de voir. Je comptais aller travailler encore un peu mais…
Son regard coula une nouvelle fois vers le cadre vide. Peu importe. Il est important que tu manges, mais je ferai demander à ce que la nourriture nous soit apportée dans la chambre. Les domestiques sont un peu… tendus. Et j’ai trop marché aujourd’hui. Si cela te convient, bien évidemment.»
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Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyMer 5 Oct 2016 - 16:48
Morion l’observa un temps avant d’entrer dans son atelier, sans mot dire. Ambre vit et sentit son regard descendre sur les traces de ses larmes, sur les cils encore humides à quelques endroits. Cela mit la comtesse mal à l’aise, d’autant plus que, malgré la situation, l’ironie faisait qu’il n’était pas la cause de ses pleurs. Leur dispute l’avait rendue triste après quelques heures durant lesquelles la colère avait progressivement baissé, oui. Pourtant, c’était le sort inévitable qu’elle avait fait subir à leur tableau de mariage qui l’avait rendue malheureuse à ce point. Cela lui coûtait, énormément. Désormais que le comte était dans la pièce, proche de découvrir le sort de l’œuvre, Ambre craignait que cela ne l’affecte autant si ce n’est plus qu’elle. C’était l’un des premiers présents qu’il lui avait offert, et peut-être jusqu’à présent le plus symbolique. La comtesse était un peu honteuse sans savoir pourquoi. Elle savait que c’était un acte inévitable pour protéger sa famille, pour protéger l’homme dont elle était tombée amoureuse. Elle le savait, elle n’aurait pas reculé pour le faire, mais se sentait malgré tout peu à son aise dans ce choix.

La comtesse regarda Morion entrer, toujours silencieux, et se placer devant la fenêtre. Elle détailla le visage de son mari, restant un peu en retrait, aussi silencieuse que lui. C’était la première fois qu’elle ne savait pas quoi dire en sa présence. Les mots ne lui avaient jamais manqué pour lui, et lorsqu’ils n’avaient rien à dire, leurs silences n’étaient jamais gênants. Cette fois, c’était différent. Ils voulaient tous les deux désamorcer la situation dans laquelle ils s’étaient mis tous deux, mais sans savoir comment faire. Comme des enfants. Ajouté chez Ambre à son appréhension à propos du tableau…
La comtesse avait froid, et frictionna doucement ses bras tandis que Morion profitait de la brise vespérale après avoir ouvert la fenêtre. Elle ne commenta rien, attendant juste qu’il referme, hésitant à le rejoindre. Pourquoi était-il venu, s’il restait planté dans son atelier sans même la regarder ? L’homme ne reviendrait probablement pas sur sa décision, et Ambre devrait vivre avec le fait que Cassandre possédait les clés de sa maison. La comtesse n’avait pas l’impression de saisir tout ce que cela impliquait. Des éléments semblaient lui échapper et couler entre ses doigts comme de l’eau. Morion comprendrait-il si elle donnait les clés à Joscelin de Puylmont, si ce dernier avait été un allié des Mirail malgré son caractère exécrable ? Ambre en doutait fort. Le simple fait qu’il ait été un homme qui reluquait sa femme lui soulevait d’énormes réticences. C’était pareil pour Ambre, mais Morion n’en avait que faire. La comtesse n’avait donc plus la force d’insister.

Ambre se massait la nuque d’une main machinalement, inconsciemment, comme pour s’occuper. Le comte termina par se retourner, et inévitablement, il nota le vide laissé par le cadre.
La jeune rousse se figea en même temps que Morion. Ses sourcils se crispèrent légèrement d’inquiétude, sa main dans son cou arrêta son geste également. Le visage du comte se lissa. Beaucoup trop. Tout sentiment semblait l’avoir quitté, tout à coup, et ce fut d’une certaine manière pire qu’une subite explosion de colère. Ambre eut l’impression de le décevoir profondément. Son ventre se serra alors qu’elle en prenait conscience. Quand il eut terminé de parler avec cette voix si blanche, si indifférente, Ambre abandonna ses réticences pour venir se mettre face à lui et prendre son visage entre ses mains. Elle le bloqua ainsi, pour le forcer à la regarder.

- Si, nous allons l’évoquer. C’était inévitable, tu le conçois ? Maintenant que cela a fuité, maintenant que des personnes dehors savent qu’un tel tableau existe, nous ne sommes plus en sécurité. N’importe quelle perquisition ducale nous mettrait dans l’embarras – et je ne parle pas même forcément des perquisitions contre nous. La simple recherche d’un noble en fuite, ou ce genre de cas similaire, pouvait faire passer la milice dans tout établissement susceptible de cacher un homme. Il faut soit le détruire, soit l’adapter pour le rendre licite. J’ai préféré la solution la moins douloureuse, mais cela ne veut pas dire que j’y suis insensible. C’est un cadeau magnifique que tu m’as fait là, Morion. Mais quand bien même ce présent m’est précieux, je ne risquerai pas ta vie ni celle de l’être qui grandit en moi pour quelque chose qui reste matériel. Alors… ne m’en veux pas, s’il te plait.

Elle garda ses mains autour des joues du comte quelques secondes encore, avant d’abaisser ses poignets doucement, effleurant sa chemise au passage.

- Je n’ai pas très faim, et je suis fatiguée. Je terminerai les ajustements du tableau dans les jours qui suivent, en attendant j’ai surtout besoin de sommeil.

Elle tira doucement sur sa manche pour lui montrer qu’il pouvait monter se coucher aussi s’il le souhaitait, sans trop insister. Une certaine distance courrait encore entre eux après leur dispute, inévitable, mais Ambre ne lui fermait pas la porte.
Et si cette nuit ils se couchèrent encore imprégnés de cette amertume, l’effleurement d’un pied ou d’une main égarée dans leur couche suffit à les faire se rapprocher et s’enlacer en silence, comme une cérémonie nécessaire à l’endormissement.

--

Ambre dormit très mal cette nuit-là. Extrêmement mal. Des cauchemars la réveillèrent en sueur à plusieurs reprises, son cœur battant contre ses côtes. Ils concernaient Saurell, le Duc, leurs vies en danger, tout était mélangé, avec parfois des apparitions sombres de Cassandre de Rocheclaire et de Rikni. Aussi, au matin, la comtesse n’avait envie que d’une chose : régler au plus vite ce problème. Laisser tout ceci en suspens trop longtemps ne serait pas bon du tout pour son esprit.
Ce fut Talen qui les réveilla, plus tôt que d’habitude, pour annoncer que la « Cage » était prête. Au vu de son visage tiré, il avait dû y passer la nuit, consciencieux, ayant visiblement compris que la demande était… urgente. Ambre ignorait l’existence de cette pièce, mais au vu du nom, elle supposait qu’il s’agissait d’une sorte de geôle disponible dans le manoir.

Se redressant dans le lit après le départ de Talen, toujours nue, Ambre soupira légèrement. La semaine qui allait suivre n’allait pas être une partie de plaisir du tout. Saurell mourrait dans quoi, sept jours ?

- Nous ne pouvons pas toucher la dame de Saurell dès aujourd’hui, sa disparition après sa rencontre avec Grâce et moi paraitrait bien trop suspecte. Il faut laisser passer quelques jours, que la rumeur de son affliction ou sa maladie étrange ait fait le tour de l’Esplanade.

Ambre fronça les sourcils.

- J’ignore comment tu comptes t’y prendre avec la… « cage »… Mais il faudrait que son cadavre soit intact. Ambre se massa doucement le visage, appuyant la pulpe de ses doigts contre ses paupières fermées. Je ne sais pas ce qui est le mieux, à dire vrai. L’enlever et faire disparaître son corps, ou l’empoisonner et la remettre dans sa propre chambre en faisant passer ça pour un suicide. La seconde solution soulèverait moins de questions, moins d’enquête, je gage. Comment envisageais-tu les choses ? Et que dois-je dire à Grâce, surtout ? Quand penses-tu que nous devons la convoquer pour agir ? Actuellement ses espions surveillent les entrées et sorties de la demeure de la veuve, elle nous contactera si elle remarque toute visite suspecte.

La jeune femme quitta le lit en se dirigeant vers son armoire.

- Quant à Cassandre… Je ne veux pas la voir, tu pourras l’interroger seul.


Son ton avait été très neutre à l’évocation de cette dernière phrase. Morion pouvait sentir que les griefs contre la blonde n’étaient pas prêts de s’atténuer, mais au moins la comtesse ne revenait pas sur le sujet de la veille.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyMer 5 Oct 2016 - 22:00
Evidemment, qu’il fallait l’évoquer. Mais en avait-il seulement envie ? Pas vraiment. Il avait parfaitement conscience que cette pièce était devenue un danger, pour tous les deux, et par extension pour leur enfant. Néanmoins, ce présent ne perdait pas moins son importance, à ses yeux. Cela étant… C’était désagréable, au delà de toutes les raisons logiques que l’on voudrait bien invoquer à ce propos. Certes, il fallait le modifier, le détruire, peu importe, réduire à néant les risques d’être incriminés, tôt ou tard, pour trahison, ou même suspicion de trahison, ce qui serait finalement exactement pareil, vu la situation. Simplement, ce tableau avait pris du temps - et Morion n’accordait aucune importance au prix - Morion s’était beaucoup creusé la tête pour qu’il ressemble à ce qu’il voyait en esprit, et avait mis un point d’honneur à rendre justice à leurs idéaux, idéaux qui avaient fini par les rassembler tous les deux au Temple, puis sous ce toit. On ne pouvait, tout pragmatique et rationnel que l’on était, rester indifférent face à une telle oeuvre de destruction. Même si son choix avait été de prendre le moindre mal, il restait terrible. Donc non, il ne voulait pas l’évoquer. C’était déjà assez difficile comme cela, et peu importe la justesse des arguments, la pertinence des raisons qui avaient poussé Ambre à le faire, eh bien cela lui déplaisait, et creusait un trou désagréable au niveau de son abdomen. Il était très amer. Et mieux valait l’ignorer, faire comme si ça n’était pas arrivé, accepter sans rien dire ce fait sur lequel, de toute façon, ils ne pouvaient plus revenir, plutôt que continuer à en parler et en parler, au risque de déclencher un nouveau conflit. Ils en avaient eu assez.

Sans ciller, il l’observa, son expression ne bougeant pas d’un iota. Oui, il comprenait. Non, lui non plus ne voulait pas que sa famille soit mise en danger par son existence, oui, les révélations de madame de Saurell avaient rendu sa dégradation urgente, oui, il le savait. Il avait déjà réfléchi à tout ça, et à contrecoeur, avec amertume même, en était arrivé aux mêmes conclusions. Simplement, ils auraient pu emporter le tableau au domaine par exemple, dissimulé sous un chargement plus lourd. La hausse du trafic au Labret permettait largement ce genre de choses. En s’y prenant correctement, en avance, en limitant les risques, il y avait toujours un moyen. Mais désormais, tout ceci n’avait plus guère d’importance. Le devoir avant tout, voilà un adage qu’il appréciait et qu’il suivait toujours, mais cette fois… ça passait beaucoup moins bien.

Un petit soupir s’échappa de ses lèvres. Malgré tout son ressenti, elle avait raison, il serait - même si c’était tentant après cette journée - injuste de lui en tenir rigueur. Il déplorait la perte du tableau, certes, mais ne pouvait en vouloir à son épouse de vouloir préserver la sécurité de leur foyer. Ça, c’était certain. Sa main vint s’égarer quelques secondes contre la sienne. Son regard prit la fuite quelques secondes, s’abîmant distraitement, avec une certaine lassitude, sur son épaule, celle dont le bras était relié à sa joue, puis à sa propre main. Il n’avait pas faim non plus, et perdu, pour l’instant, l’envie de travailler. Après cette dispute, la proximité de sa femme, sans qu’ils aient forcément besoin de dire quoi que ce soit, leur ferait du bien à tous les deux. En tout cas il l’espérait. Il n’était pas dans leurs habitudes d’en venir à des joutes verbales d’une telle acidité, et n’avait aucune envie que cela recommence. Encore moins avec un petit à venir, petit qui aurait besoin d’avoir des parents solidement liés, afin de bénéficier d’une éducation d’une égale robustesse. Et de manière générale, Morion comme Ambre n’étaient pas friands des conflits, quels qu’ils soient. Il avait beau être un intrigant de premier ordre, cette caractéristique se volatilisait dès qu’il retrouvait l’intimité de son foyer.

«Je comprends et sais déjà tout cela. Sa voix avait tenté un adoucissement, vaguement réussi. L’intention primait plus que le résultat néanmoins. C’est… Oui, il le faut. C’est juste que… Il haussa les épaules. Nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons.»

Toutes les raisons évoquées, nul besoin d’en parler plus longtemps. Le mal était de toute façon fait, maintenant, en parler ne changerait rien, et n’amoindrirait en aucune manière la nécessité d’en dissimuler la subversivité.

Il la suivit, montrant un assentiment muet à son invitation tout aussi silencieuse, et s’arrêta simplement à l’entrée de leur chambre pour aller dire à Talen que le repas ne serait point pris par les deux nobles, et que les domestiques n’auraient qu’à en profiter à leur guise. Il rejoint ensuite sa femme. Beaucoup de choses avaient été dites ce soir, aujourd’hui de manière générale, que ce fut au manoir, ou même à l’extérieur. La soirée se passerait donc, tout comme la nuit, avec le silence comme compagnon. Les vestiges de leur dispute et de la tristesse et déception engendrées par la dégradation et la découverte du tableau étaient toujours là. Plus ténus, certes, ils commençaient déjà à ne ressembler qu’à un simple mauvais souvenir, mais les relents amers étaient toujours présents, comme de petites traces d’ombres sur un portrait lumineux, qui refusaient de se laisser nettoyer. La nuit ferait cependant son office, les deux époux en étaient conscients. Et afin de rendre le processus plus doux, plus léger et plus rapide, il l’accueillit contre lui, chassant les dernières mauvaises pensées de la journée. Ils avaient du travail, du travail de première urgence, il n’était pas bon pour eux, déjà soumis à pas mal de pression, de laisser la tension atteindre leur intimité.

---

Le sommeil de Morion fut sûrement moins agité que celui de son épouse, peu prédisposé aux rêves qu’il était, mais cela étant, il ne fut pas sans accrocs. De nombreuses fois la tension de la journée précédente avait perturbé son sommeil, allant jusqu’à le réveiller. Le sommeil d’Ambre n’était pas forcément d’un calme plat non plus.

Ainsi, les idées légèrement brumeuses au réveil, il accueillit sans mot l’arrivée de Talen, et lui répondant qu’il ne tarderait pas à descendre prendre son déjeuner avec Ambre. Cette fois ils n’y couperaient pas, une fois ne le dérangeait pas, mais il aimait à éviter que la grossesse de son épouse souffre d’une quelconque avarie à cause de petites erreurs. De même qu’une partie du regret qu’il avait ressenti après leur dispute venait du fait que ce genre de tensions devaient lui être évitées. Il n’avait pas assez de connaissances dans ce domaine pour être sûr de ce qu’il pensait, et peut-être s’inquiétait-il trop. Néanmoins, elle portait son enfant, un enfant légitime, qu’il avait envie d’éduquer, et d’aimer tout comme il aimait sa femme. Et si son inquiétude pouvait, éventuellement, tourner à la surprotection, c’est surtout parce qu’il refusait que le moindre obstacle se mette en travers de son mariage, ou de la sécurité de sa famille au sens le plus large.

Ses yeux glissèrent sur elle lorsqu’elle se redressa, lascivement, et un peu distraitement. A part lors de sa convalescence, il s’était rarement senti aussi étourdi au sortir du lit. Fort heureusement, la vue était bien plus agréable ici que dans son château, où il n’avait généralement le visu que sur l’oeil inquiet de l’une de ses soeurs, et les vestiges bruns de ses saignements nocturnes. Quand il ne faisait que saigner, qu’on se le dise. Un faible sourire naquit brièvement sur ses lèvres. Sa main, innocente, ou en tout cas, seulement animée de tendresse, vint passer sur la surface lisse de son dos, pendant qu’il l’écoutait. Il finit par se redresser, songeur, mais avec quelques plans d’actions en tête, tout de même. Même s’il avait besoin de détails.

«Lorsqu’elle commencera à se remettre des effets du produit qu’elle prend, il faudra agir rapidement. Je ne peux exclure l’hypothèse d’une véritable messagère de Rikni. Ce genre de cas est rare, et peu peuvent témoigner d’une telle apparition de leur vivant mais… si tel est le cas...»

Il lâcha un soupir de dépit. Elle devait mourir, c’était certain. Mais il devait aussi s’assurer que ces renseignements ne lui vinssent pas d’une tierce personne, et pis encore, il devait la faire taire. C’était une responsabilité hypothétiquement d’un poids sans précédent.

«Si tel est le cas je t’interdis de poser un seul doigt sur elle. Je m’occuperai de l’interrogatoire, ainsi que de sa mise à mort. Car elle mourra, et cela se fera ici.Talen pourra s’occuper de son cas, à son manoir. A la faveur de la nuit, il sera discret, beaucoup plus que si je sortais. Et la pratique du rapt ne lui est pas totalement inconnue. Une fois ici, elle n’en sortira pas.»

Le ton monocorde du Comte ne mentait en rien sur ses intentions. Ambre s’était nécessairement fait la réflexion également : elle devait mourir. Martres également, et ils seraient probablement exécutés avec un intervalle assez rapproché - Morion ne voudrait pas perdre de temps suite à l’annihilation de la dame de Saurell. Généralement, ôter la vie ne lui posait pas de problème. Comme il aimait à le dire parfois, avec le sourire sardonique qui annonçait ses pensées noires, ce que les gens savaient faire de mieux, c’était mourir, et tout le monde y arrivait tôt ou tard. Cette fois-ci en revanche… Il ne redoutait pas Saurell. Ses secrets un peu. Rikni en revanche, c’était une toute autre affaire. Il n’y avait rien que Morion ne redoutait plus que le courroux des dieux, et surtout celui de Rikni. Il considérait faire son devoir avec honneur, mais en dehors de cela, il doutait qu’Anür le juge digne de rejoindre son domaine. Il avait fait couler beaucoup de sang, parfois avec brutalité. Mais peu lui en chalait. La ferveur avec laquelle il servait la déesse des nuits était toute autre, et la mettre en colère était la dernière chose qu’il voulait.

«En ce qui concerne Grâce… A moins qu’elle ne puisse être utile dans son enlèvement, à savoir s’impliquer assez pour pouvoir nous dédouaner totalement de toute responsabilité si jamais la chose venait à échouer ou pire, à se savoir, il ne faudra la contacter que lorsque la dame Saurell sera enfermée ici.»

Il haussa doucement les épaules, sa main s’arrêtant sur l’épaule de sa femme, la caresse qui lui prodiguait suspendue par ses réflexions. C’était dommage, car il appréciait Grâce, pour ce qu’il avait pu échanger avec elle, mais à choisir entre elle et lui… Ce n’est pas sa propre tête ou celle d’Ambre qu’il voulait voir sur le billot, ça c’était clair et net. Il finit par hausser les épaules.

«Nous devrions lui envoyer une missive pour prendre connaissance de ses idées, et de ses suggestions. Dans tous les cas, c’est ici que le problème sera réglé. Etant donné que vous étiez ensemble, il est logique que tu le fasses. Je m’occuperai de prendre contact avec elle par la suite selon sa réponse.»

Morion hocha la tête, quand à Cassandre. Après s’être, presque par réflexe à dire vrai, rincé l’oeil sur le corps délicat d’Ambre, guettant une petite modification de ses formes, peut-être, ou admirant simplement ces dernières, il se leva à son tour pour s’habiller, sans répondre un mot de plus quant à ce dernier sujet, encore très épineux. Il préférait, pour cette fois, voir directement avec l’intéressée. Quant à l’absence de sa femme à cette entrevue, elle n’en serait pas pour autant dommageable, cela aurait au moins le mérite de diminuer le risque d’un esclandre.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyDim 9 Oct 2016 - 16:09
La comtesse se tourna vers son mari, remontant la robe tout juste attrapée de l’armoire contre sa poitrine, appréciant peu le contact frais de l’air qui venait soulever une chair de poule désagréable après la chaleur du lit. Ils avaient engagé quelques mots avant de se lever définitivement, ce qui avait déjà commencé à donner froid à la jeune femme. L’été serait bientôt là, mais en attendant, les matins étaient frais, et le feu de cheminée toujours éteint depuis plusieurs heures, rendant l’atmosphère de la chambrée frileuse. Mais ce n’était pas le regard de son mari sur ses formes qui l’avait faite se retourner. C’était cette hypothèse que Saurell était une réelle élue des dieux. Pourquoi Morion accordait-il autant d’importance à cette possibilité alors qu’il n’avait pas même été témoin de ses paroles, n’avait pas pu être saisi de ce doute étrange ? Pour un homme aussi pragmatique et stoïque, cela étonnait la jeune femme. Tous deux étaient très pieux, mais ils ne croyaient que ce qu’ils voyaient. L’incompréhension d’Ambre était logique, au vu des détails apportés par la voyante, mais Morion… ? Il ne l’avait pas encore rencontrée, n’avait pas pu saisir l’atmosphère qui flottait autour de la blonde.

- As-tu déjà rencontré un réel envoyé des dieux pour accorder autant de présomption à son égard ? Le plus probable pour l’instant reste une fuite, une négligence de notre part. Nous avons des ennemis dans l’ombre, et si même ces… espions… - elle faisait référence à ceux qui envoyaient des missives de menaces – t’ont communiqué une lettre évoquant des éléments similaires, l’hypothèse de la négligence n’en devient que plus probable.

Ambre serra la robe davantage contre sa poitrine, renforçant les plis sur le tissu.

- Je ne veux pas que cette femme soit une envoyée des dieux. Je préfèrerais encore que quelqu’un nous ait trahis – en ce cas nous pourrons limiter la casse, agir. Mais si elle dit vrai, cela veut dire que le rêve que j’ai fait est tout aussi vrai, puisqu’elle l’a évoqué. Rêve dans lequel Rikni m’affirmait que notre couple courait à sa perte si nous continuions nos projets contre Sigfroi.

La comtesse frissonna instinctivement. Elle n’avait pas conté ce rêve à son époux et n’avait pas compté le faire à dire vrai. C’était sorti tout seul. Certaines choses resteraient définitivement secrètes cela étant. L’apparition d’Armand, et l’affirmation par la déesse de son rêve que Cassandre parviendrait à ses fins, puis que Morion lui tournerait le dos. Si Morion et elle finissaient convaincus que Saurell était une vraie voyante, la confiance d’Ambre allait en prendre un sacré coup. L’on ne jouait pas avec les paroles des dieux, jamais.

Ambre sourit doucement à la suite des paroles de son époux.

- Tu crois vraiment que les dieux feront la différence, que je la touche ou non ? C’est moi qui l’aurai menée à toi pour qu’elle en meure ; je serai autant fautive et complice que toi dans cette affaire. Cela dit je ne me sens pas d’être celle qui attentera à sa vie, sans qu’il soit question de courroux des dieux.

La comtesse n’avait juste pas les épaules pour ça. Prononcer une sentence, demander à ses hommes de main de faire tuer quelqu’un, ça, elle pouvait. Etre celle qui tenait la dague à planter dans le cœur, en revanche ? Elle n’avait pas été élevée pour cela sauf cas de force majeure, même si agir de la sorte pourrait… comment dire… prouver sa bonne foi en tant que nouvelle Ventfroid ? Montrer qu’elle était apte à se salir les mains, et très profondément, pour sa famille.

La jeune rousse soupira un instant après avoir retenu sa respiration en réfléchissant.

- La faire disparaître… Je ne sais pas. Une disparition en plein cœur de l’Esplanade… Ne crois-tu pas que cela fera grand bruit, beaucoup trop pour ne pas se mettre en danger ? Saurell vit seule avec sa domestique, certes, mais tout de même. Un enlèvement en plein cœur du quartier le mieux gardé de la ville… Le Duc ne va pas ignorer ça.

Ambre en venait à se demander s’il ne serait pas moins risqué de la faire tuer devant témoins par des petites frappes dans la basse-ville, faire passer ça pour un simple coup de malchance, un vol qui avait mal tourné, ou autre. L’idée du suicide aussi était pratique, l’on retrouvait son corps froid et tablerait sur une mort volontaire par la concernée. Dans les deux cas, cela se préparait, et demandait une meilleure logistique qu’un simple assassinat sans autre forme de procès.

- J’enverrai une missive à Grâce, oui. Je la tiendrai au courant du moment où nous comptons agir, et du moment où elle pourra rejoindre le manoir pour participer à un interrogatoire plus corsé. J’ignore si elle voudra se montrer utile, je te tiendrai au courant.

La comtesse termina par enfiler la robe plutôt que terminer frigorifiée sur place.

- En attendant… m’expliqueras-tu ce qu’est cette « Cage » ?
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyDim 9 Oct 2016 - 17:53
Lui traitait les deux probabilités avec une égale importance, tout simplement. Pas que dans les faits, ce soit réellement le cas (ils n’avaient aucun moyen de le vérifier par des faits), mais l’une des deux possibilités impliquait directement une intervention divine. Et ça, c’était suffisamment sérieux, les conséquences éventuelles suffisamment lourdes, pour qu’il prenne la peine de s’arrêter dessus. Oui, il était d’un pragmatisme et d’un stoïcisme que peu pouvaient se vanter de posséder. Mais il était aussi extraordinairement pieux. S’il mettait un point d’honneur à se fier aux faits pour tirer des conclusions d’un événement X, il n’avait en revanche pas l’insolence, l’imprudence, de renier le mysticisme auréolant les Dieux et les phénomènes qu’ils pouvaient provoquer dans ce bas monde. Son affinité avec Rikni avait de fait tôt fait de lui faire reconsidérer l’idée d’une réelle medium. C’était ainsi. S’il avait été moins croyant, moins respectueux des dogmes et préceptes trinitaires, il aurait peut-être balayé cette éventualité d’un geste de main sceptique. Néanmoins, trop de fois les Dieux, Rikni surtout avaient joué avec sa famille, son nom, ou même lui, pour qu’il la nargue en ignorant une potentielle intervention de la part de la déité. Peu importe que cela le fasse passer pour un adepte de l’ésotérisme.

«Nos ennemis n’ont pas accès à notre manoir, comment cela aurait-il pu fuir ?
Il fronça les sourcils, réfléchissant cependant sérieusement à la question. Et le peintre est hors de cause, même si je me vois dans l’obligation de me charger de lui. Il ne connaît personne, ici, c’est un exilé, comme presque tous ceux qui vivent sur mes terres. Nous trahir n’aurait aucun intérêt… même si pour lui, de fait, c’est comme s’il l’avait fait. Un soupir de dépit quitta ses lèvres. Il détestait agir ainsi, ôter la vie par précaution. Il avait déjà été obligé de le faire et ça n’avait jamais été une partie de plaisir.»

Il haussa les épaules.

«Tant pis. Je considère évidemment comme plus probable la possibilité d’une négligence de notre part ou d’un éclair d’ingéniosité de nos ennemis. Néanmoins les risques sont trop grands, pour tout le monde.»

Ses sourcils se froncèrent un peu plus, lorsqu’il entendit parler du rêve d’Ambre. Elle ne lui avait rien dit. Pourtant ce genre de songe, les dieux savaient s’ils pouvaient se montrer pertinents. Morion, sans en faire une priorité de vie, avait toujours pris ses rêves en considération, ou ses cauchemars, les rares fois où il pouvait en faire. Essayer de démêler les méandres oniriques, mêlant les fantasmagories insensées, purement induites par l’esprit humain, naturellement fantasque, aux avertissement parfois importants, glissés là comme de minuscules indices par des puissances qu’ils ne pouvaient qu’en partie concevoir. Il fallait faire le tri entre la folie et la raison, et en tirer le meilleur parti. Un travail fort divertissant, mais aux implications parfois capitales. Combien de fois un général avait sorti une tactique militaire de ses rêves, lui assurant ainsi une victoire écrasante lors d’une bataille qui pourtant semblait perdue ? Combien avaient sauvé leur vie en rêvant d’un empoisonnement futur, ne buvant pas le breuvage mentionné en songe le jour venu ? Impossible à dire. Et pourtant les livres étaient nombreux, ouvrages tout à fait officiels ou non, comme ceux des archives familiales, par exemple, où l’on pouvait se voir relaté ce genre de fait incongru, mais pas moins réel pour autant.

«C’est une chose dont tu aurais du me parler avant…
Il souffla par les narines, et entrouvrit la bouche pour répliquer quelque chose. Il se ravisa néanmoins, gardant ses paroles pour un moment plus propice. Peut-être est-ce là l’annonce d’une nouvelle épreuve. Comme si nous n’en avions pas déjà assez à traverser… Couche le sur papier, dès que tu en as le temps. Les rêves ne sont pas à négliger, mon amour. Parfois de fausses alertes, ils peuvent s’avérer extrêmement précieux.»

Il leva un regard hésitant vers elle, à sa question. Il n’en savait rien, non, n’ayant jamais cherché à provoquer délibérément la colère des Dieux. Encore moins celle de Rikni. De fait, il ne savait où allait sa clémence, ou bien jusqu’à quel point la déité reptilienne pouvait se montrer sévère. Tout ceci, des considérations obscures, des suppositions qu’ils ne pouvaient faire qu’au coin d’un feu, tourner et retourner des jours entiers sans avoir la réponse, révélation qui ne pouvait être faite par de simples humains. C’était ainsi. Un certain nombre de choses en ce monde et au delà les dépassaient, il fallait savoir où était sa place.

«Je préfère minimiser les risques. Peut-être est-ce futile, qu’en savons nous. Mais autant prendre le maximum de précautions en amont, ainsi nous ne pourrons nous en prendre qu’à nous-mêmes lorsque les sentences tomberont.»

Il finit de s’habiller, songeur. Il avait passé ses tenues de confort habituelles, des braies amples de couleur terne, indéfinissable, entre le bleu roi délavé et le gris acier, et une chemise de lin blanc cassé, qu’il laça à moitié au niveau du col. Il rassembla ses cheveux légèrement ébouriffés derrière sa nuque, les mèches les plus rebelles refusant de se laisser amadouer par les doigts fins de Morion, et les noua entre eux d’un ruban de satin noir. Une fois cela fait, il prit le temps de répondre à Ambre.

«Malheureusement, si je veux pouvoir être certain d’avoir des renseignements véridiques, nullement masqués par une quelconque perfidie, je me dois de la pousser dans ses extrêmes retranchement. Briser son esprit ne sera pas suffisant, je gage. Un nouveau soupir franchit ses lèvres minces. Je doute de pouvoir laisser son corps intact. Le ramener chez elle serait donc bien trop dangereux.»

Mieux valait effectivement qu’une femme, surtout réputée à moitié folle, disparaisse totalement, sans laisser de traces, plutôt qu’on la retrouve chez elle massacrée comme jamais. Cela ferait sûrement jaser un moment, oui. Mais après tout, les fous étaient capables de tout, personne n’irait monopoliser des jours et des jours les effectifs d’enquête pour la retrouver, ou définir quelles furent les causes de sa disparition. L’on finirait justement par supposer que sa folie ayant atteint un stade trop avancé pour être contrôlée par sa seule personne et l’aide vague de sa domestique, elle aura fini par détaler dans quelque recoin obscur, où elle se sera faite dépouiller, et peut-être effectivement tuer, par quelque malandrin des bas-fonds ayant eu vue sur sa mise et sa potentielle richesse. Point, final, potin suivant. En tout cas Morion misait là dessus, et s’il fallait créer de faux indices pour mener d’éventuels fouineurs à ces conclusions citées plus haut, il le ferait sans rechigner.


Une fois sa femme prête, il lui tendit son bras, pour l’accompagner hors de la chambre.

«Suis-moi, la voir sera mieux que de t’expliquer.»


---

Quelques minutes plus tard, sous l’aile nord, dans les sous-sols.

Cette aile-ci, en sous-sol, était très peu éclairée, et très peu usitée. Cela se sentait, même si le corridor, dans une poussée de zèle de Talen, avait été récuré de fond en comble, on y percevait encore des odeurs de poussière mêlée d’humidité. Et peut-être, pour les nez les plus fins, un spectre olfactif, moins frais, plus métallique. Il n’y avait qu’une porte, dans ce couloir, et il finissait d’ailleurs en cul-de-sac, relié au reste du manoir par l’escalier qu’ils venaient de prendre uniquement.

Il fouilla dans la petite poche latérale de ses braies et en sortit une vieille clé à moitié rouillée, qui devait facilement dater de la création du manoir, et n’avait jamais été reforgée depuis.

«Pour des juges, ou des bourreaux,
dit Morion en glissant la clé dans la serrure, forçant un peu pour déverrouiller la lourde porte, il faut un lieu où effectuer son office, aussi sinistre soit-elle. Il poussa le lourd battant, et entra dans la pièce exiguë, entraînant sa femme avec lui.»

La pièce était effectivement toute petite. Les pierres noircies par le temps étaient glaciales, et il faisait de toute façon très froid dans la pièce. Un brasero éteint reposait à la droite de l’entrée, un tison posé dessus. Face à eux, juste sous un -et le seul en fait- soupirail qui permettait à l’étroite “Cage” d’être alimentée en oxygène, une roue de bois était fixée au mur. Une croix était fixée à celle-ci, en forme de X, avec des attaches de cuir dédiées au cou, aux poignets et aux chevilles. Sur la gauche de celle-ci l’on pouvait apercevoir une panoplie d’outils très inquiétants, nettoyés récemment. Couteaux, tenailles, pinces, et d’autres objets dont il ne valait mieux pas connaître le but final. A droite de la roue, il y avait une barrique d’eau, remplie il y a peu également, ainsi que plusieurs linges secs accrochés dessus, accompagnés par un petit s’eau, d’un litre environ de contenance. Et enfin, tout à droite de la pièce (la porte étant excentrée sur la gauche), une paillasse était posée au sol. C’était un atelier de tortionnaire, ainsi qu’une geôle, tout en même temps, rien de plus, mais rien de moins. Certains murs, à leur jonction avec le sol mi pierreux, mi terreux, étaient tâchés de sombre, probablement d’anciens vestiges sanguins.

«Voilà ce qu’il en est pour la Cage. Elle fut construite il y a un moment de ça, pour étancher les… élans pervers de certains membres de notre famille. Mon grand-père l’a réaménagée dans un but moins turpide, et elle n’a pas bougé depuis.»
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyLun 10 Oct 2016 - 21:42
« Nos ennemis n’ont pas accès à notre manoir, comment cela aurait-il pu fuir ? » Toute la naïveté de cette question laissa Ambre coite un instant. Ne voyait-il pas que leur manoir n’était plus – et n’avait jamais été, de fait, mais Ambre l’ignorait jusqu’à la veille – sûr ni confidentiel depuis que Cassandre en possédait les clefs ? Admettons même que l’espionne n’y soit pour rien, qu’Ambre se trompe et qu’elle ne soit en rien une ennemie. Il restait toujours la possibilité que quelqu’un ait subtilisé la clef si précieuse à l’espionne, ou en ait fait un double, à son insu. A partir de là, n’importe qui pouvait pénétrer chez eux. N’importe qui.
Ambre considéra un instant son mari, mais garda les lèvres pincées, se retenant beaucoup. Toute allusion à Cassandre en de si mauvais soupçons était toujours très mal accueillie par Morion, la preuve en était avec leur altercation de la veille.

Ambre tourna le dos à son époux, faisant face au miroir de sa coiffeuse. Continuant à écouter son mari en échangeant parfois un regard avec lui au-travers du miroir, elle entreprit de glisser la robe sur ses épaules, sa taille, puis enfin ses hanches. Elle lissa doucement le tissu pour qu’il termine par épouser parfaitement son corps, sans accrocs. Inconsciemment, elle passa plusieurs fois la paume sur son ventre, comme pour venir détecter des aspérités ou un volume qui n’y étaient pas avant, mais c’était plus psychologique qu’autre chose. Le ventre de la comtesse n’avait pas encore augmenté d’un centimètre, même si cela ne tarderait point. Continuant sa mise en beauté, accrochant ses bijoux, Ambre répondit :

- Je ne mettrai pas messire Martres hors d’état de cause tout de suite. Il faut l’interroger d’abord, lui aussi. Son isolement n’est pas suffisant à assurer son innocence. Faire tomber des traîtres est une opportunité juteuse pour s’attirer les faveurs du plus puissant homme de cette cité. Elle n’en est que plus juteuse pour les petites gens comme lui sans aucun avantage social, qui ont surtout à gagner qu’à y perdre.

Penchant doucement la tête pour accrocher une boucle d’oreille mordorée, Ambre inspira puis soupira. Tout cela était un tel gâchis. Leur tableau de mariage qui allait être modifié, dénaturé. Puis deux vies qui allaient être prises. S’ils devaient en arriver là pour un tableau, à quels autres retranchements devraient-ils avoir recours pour atteindre le Duc ? Les rouages de leurs projets s’enclenchaient à peine, et ils étaient déjà menacés pour des détails ridicules. Les Ventfroid ne pouvaient décemment pas laisser passer de telles bourdes. Ambre elle-même aurait honte de se faire attraper pour une peinture. Cela serait digne de débutants, et les dieux auraient presque raison de les faire tuer pour ça. Sauf qu’Ambre de Ventfroid était déterminée à vivre, et à donner naissance à cet enfant lové dans ses entrailles.

La comtesse releva les yeux dans le miroir pour croiser le regard de son époux.

- Je n’ai pas pu t’en parler avant. Ce rêve ne date que de la nuit d’hier, et au matin, tu étais déjà parti rejoindre l’argentier, tandis que le soir, je suis rentrée en catastrophe de chez la dame de Saurell. Nous n’avons pas eu grandes occasions de s’attarder sur ce détail.

Même si, pour être tout à fait honnête avec elle-même, sans tout cela, Ambre n’aurait jamais parlé de ce rêve à Morion. S’il était véridique et réellement envoyé par Rikni, alors c’était annonce de grands malheurs pour leur famille, et il leur faudrait soit continuer dans cette voie, sacrifiant leur famille, voire leur vie, à ce qu’ils pensaient devoir faire ; soit tout avorter, laisser de façon amère un despote au pouvoir, pour préserver leur propre existence et leurs enfants à venir. C’était un choix difficile. Et si le rêve n’était que le fruit des peurs de la comtesse, sans lien réel avec des mises en garde de Rikni, alors il ne serait que le reflet de son manque d’assurance. Comment Morion pouvait être certain de la fermeté de ses choix si elle lui contait des rêves qui la bouleversaient sur les décisions prises ? Ne serait-il pas déçu si elle finissait par tourner le dos à ce pour quoi ils s’étaient mariés, même si c’était pour leurs enfants ?

Ainsi, tout empêchait la comtesse d’être tout à fait honnête dans le conte de ce rêve.

- Je noterai tous les détails dont je me souviens, termina-t-elle par répondre, et tenterai de démêler les messages.

Elle le ferait dans son journal personnel cela étant, et éviterai d’en reparler à Morion. S’il pouvait oublier pour qu’elle n’ait pas à lui conter ce rêve gênant, cela lui plaisait tout autant.
Songeuse, la comtesse de Ventfroid revit le visage de la dame de Saurell en pensées lorsque Morion évoqua la nécessité irrévocable de sa torture. Ce bout de femme si fragile, dévastée par la mort de son mari depuis des années. Ambre, contrairement à Morion, pensait que la voyante blonde craquerait très vite, sans qu’ils aient besoin d’aller très loin dans les dégâts physiques. Mais ça n’était qu’une supposition faite à chaud.

Une fois prête à sortir de l’intimité de leurs chambres – apprêtée d’une robe aux tons écrus et de son éternel collier de noces –, Ambre accompagna Morion vers la Cage.
Ce fut la première fois qu’Ambre descendait dans les sous-sols du manoir. Elle vivait depuis deux mois ici, désormais, et pourtant, elle avait parfois l’impression d’être une étrangère lorsqu’on lui faisait découvrir des pièces inconnues au fil du temps. C’était à la fois désagréable comme agréable. Désagréable et dérangeant car elle ne se sentait pas encore tout à fait chez elle, ainsi, en ignorant encore certaines ailes du manoir. Mais agréable, car chaque fois que Morion lui en faisait découvrir une autre, c’était signe de sa confiance toujours croissante en sa femme et en celle qui partageait son toit depuis peu – comme il n’avait pas manqué de le rappeler la veille.

Ambre fronça légèrement le nez en descendant dans les entrailles de la bâtisse. Cela sentait le vieux, le renfermé, la poussière. Les lieux étaient froids, lugubres, peu entretenus, témoin des très rares passages effectués ici. Quand, enfin, Morion ouvrit la porte grinçante, la comtesse s’arrêta sur le perron, observant ce qui s’offrait à elle. Ses yeux se posèrent sur la roue de bois presque aussitôt. Cet élément de torture lui rappela quelques souvenirs. Les condamnés à mort étaient parfois traités de bien des manières en place publique. Elle avait déjà assisté à quelques-unes de ces scènes, et ne manquait pas d’imagination en ce qui concernait l’usage des pinces et ustensiles qui traînaient sur la table.
Cela ne la choquait pas réellement, de retrouver une telle pièce ici. Les Mirail avaient aussi la leur, à cela près qu’Aaron de Mirail avait toujours interdit aux filles de la famille d’y faire passer ne serait-ce qu’un orteil. Il avait toujours préservé les femmes de sa famille de la violence et des corrections perpétuées envers les concernés. Ambre se demandait si cette protection avait été utile. Leur société affichait et assumait la violence. Les exécutions, les tournois à mort – même les dames étaient accoutumées à voir le sang couler.

La comtesse avança finalement dans la petite cage, faisant le tour de la pièce – ce fut peu long, l’endroit étant assez exigu. La jeune femme passa une main sur le bois de la roue, laissa couler son regard sur d’anciennes marques de sang trop profondément incrustées pour disparaître totalement, malgré les lavages incessants. D’un ton très neutre, elle demanda :

- Qui ont été ceux que tu as molestés dans cette pièce ?

Elle évoquait bien ceux dont il s’était occupé en personne, non pas ceux que sa famille avaient pu faire admettre il y avait des années de cela.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyMar 11 Oct 2016 - 17:44
Morion réfléchissait tout en s’habillant. Il ne comptait de toute façon pas faire exécuter le peintre par un tiers. Peu importe le temps qu’il devait rester enfermé, Morion s’occuperait de lui personnellement. Hors de question qu’il charge Edric ou ses soeurs d’une si basse besogne. Ils étaient, en cas de dénonciation, ou de trahison, gravement impliqués quoi qu’il arrive, étant à eux trois le triumvirat - si l’on pouvait dire - à la tête du comté, mais autant, comme il le faisait pour son épouse, limiter la casse en ne perpétrant des crimes que de sa seule main. C’était peut-être un détail, qui serait d’ailleurs sûrement négligeable dans la balance de la justice ducale, mais l’on ne savait jamais. Tout ceci ne l’enchantait guère, cela tant dit. D’autant plus qu’il était personnellement et au moins partiellement responsable de cette nouvelle vague d’ennuis et d’inquiétudes pour le couple Ventfroid. S’il n’avait pas commandé la création de cette peinture, Saurell aurait eu au moins un renseignement de moins à dévoiler, et un renseignement sensible qui plus est. Tout au plus aurait-elle confié ses rêves, aurait pu parler de suspicion de trahison de la part d’Ambre et Morion, mais jamais elle n’aurait pu qualifier directement l’objet qui représentait les sombres desseins des deux époux. Les choses étaient ce qu’elles étaient, tant pis. Que Morion apprécie ou non ce qu’il s’apprêtait à faire n’avait que peu d’importance. Confronté à l’urgence et à la nécessité d’une telle chose, il pouvait faire montre d’une étonnante flexibilité quant à ses scrupules, déjà assez ténus à la base. “Tant pis”, fût probablement la seule remarque qui lui viendrait à l’esprit. Reculer devant l’inévitable n’était pas son genre.

«C’est évident
, glissa-t-il, ajustant le col de sa chemise, pensif. Je ne comptais pas ne pas assister à sa mise à mort, c’est moi qui ai prononcé la sentence, c’est également moi qui l’appliquerai. D’ici là, il faudra bien que je l’interroge.»

Des quelques détails jetés par son épouse, il trouvait ce rêve assez... logique. Le qualificatif pouvait difficilement être employé pour les manifestations oniriques, néanmoins… Ils s’étaient engagés sur une voie semée d’embûches, et très dangereuse. Leur réussite signifierait probablement un nouveau chaos à gérer, leur échec, leur mort, et celle de pratiquement toutes les personnes qui avaient noué une quelconque forme de contact, intime ou non, avec eux. Exit les Mirail, exit les Ventfroid, exit les Rocheclaire. Autant dire que les risques qu’ils prenaient, et qu’ils faisaient prendre aux autres, même s’ils n’en avaient guère connaissance, pour certains d’entre eux, étaient dantesques. Il y avait largement de quoi faire cauchemarder l’homme ou la femme le plus hardi. Ce qu’il fallait deviner, c’était si le message était bel et bien issu de simples angoisses, ou si la déesse messagère des cauchemar y avait glissé un venin peut-être prémonitoire. Morion ne savait pas ce qu’il ferait, si jamais ces prévisions s’avéraient en être de véritables, et si les funestes prédictions venaient avec leur lourd sac de conséquences morbides.

Il chassa immédiatement cette pensée de son esprit. Il ne fallait pas penser aux risques, se dit-il, et uniquement se concentrer sur la réalisation de leurs objectifs. Sans ça la peur finirait par leur faire faire des erreurs. Et à ce genre de jeu ils ne pouvaient pas en faire. Là, ils avaient la chance de pouvoir rectifier le tir avant que les événements ne se transforment en une avalanche incontrôlable. Le prix s’élevait à deux vies, et au sacrifice du présent de Morion. Il n’aimait pas cela du tout, mais cela dit, s’il se forçait à être objectif, en faisant fi des sentiments et de la fierté qu’il avait mis dans ce présent… C’était un prix qui à ses yeux, restait raisonnable.


«Je note tous les miens, lui répondit-il. Tous ceux dont j’arrive suffisamment à me souvenir pour pouvoir produire un écrit décent et cohérent. Tous ne s’avèrent évidemment pas pertinents, les fantasmagories spirituelles ne sont parfois que ce qu’elles sont; des errances. Néanmoins… Certains valent le coup. Cela pourra, je gage, t’aider.»

---

Pendant qu’Ambre découvrait l’endroit, qui n’avait finalement de sordide que ça fonction primaire, qui de fait entraînait un décor et une ambiance assez sombre et froide, Morion passait en revue l’état de ses outils, surtout les dagues. Elles avaient été dentées, volontairement, afin de ne point tailler, mais de déchirer. Ce genre de subterfuge était connu, et la simple vue de l’instrument suffisait à mettre la pression adéquate pour ne pas avoir à s’en servir. Cela ne fonctionnait malheureusement pas à tous les coups, mais en ce cas, la douleur provoquée par les chairs déchirées, souvent avec une lenteur parfaitement mesurée avait à son tour un effet coercitif assez impressionnant. Sans compter toutes les autres méthodes. Morion n’aimait pas particulièrement la torture. Soyons plus précis, il s’en moquait. Détruire à petit feu un corps ne lui posait pas de problèmes, sans faire monter en lui le moindre élan de satisfaction. Tout du moins jusqu’à obtenir le renseignement ou l’aveu convoité. Un corps n’était qu’un tas de chair, rien d’autre. Voilà son raisonnement, d’une horrible simplicité, mais qui s’avérait terriblement utile lorsque venait le temps de faire parler le feu et le fer. La torture était juste un moyen. Ni un sport, ni un art, ni même un plaisir. Son efficacité d’exécution était simplement nécessaire pour obtenir rapidement des aveux - ainsi l’on épargnait la victime un maximum - et si possible, avant la mort de cette dernière.

Occupé à vérifier le tranchant d’une des lames citées sur le bois, puis sur sa propre chair, il fronça doucement les sourcils à cette question. Quelle valeur sa réponse pouvait-elle bien avoir ? Morion ne laissait que rarement des personnes s’échapper d’ici en un seul morceau. Jamais, tout compte fait. Que des personnes y soient mortes, cela pouvait peut-être l’intéresser, par le biais ou l’influence d’une curiosité morbide tout à fait humaine, il y était habitué, et également soumis - sa propre curiosité étant dévorante. Mais qui ? Voilà une demande à laquelle il ne s’attendait pas vraiment.

«Eh bien… Il reposa le coutelas denté, puis se retourna vers son épouse. Un certain nombre de personnes, et jusqu’à présent, aucune de très haute naissance. Des informateurs du Duc, principalement, qui traquaient d’éventuels rebelles. Il est difficile de coincer un espion lorsque celui-ci fait honneur à sa profession, et lorsque c’est le cas, il faut impérativement le faire taire avant qu’il ne conte ses mésaventures à qui de droit. Il y eut également un herboriste de Bourg Levant, dont les capacités d’apothicaire et de médecins étonnantes ont fait de lui un homme ayant un succès certain auprès de certains mâles de la cour. Et de femmes, aussi. Son regard dériva vers la roue, où les attaches semblaient appeler leur prochaine étreinte funèbre. Un mince sourire cruel déforma ses traits l’espace d’une seconde. Il écoutait chaleureusement et attentivement patients et commanditaires, et profitait de chaque entrée à l’Esplanade pour faire quelques menus comptes rendus au Duc sur l’état d’esprit de ses clients. J’avais besoin de cette liste, et de le faire taire.»

En réalité, lui-même n’était pas un homme qui se plaisait à “faire taire” les gens. Son père en revanche, avait fait fonctionner la Cage comme jamais depuis sa création. Il était capable de ramener des personnes extirpées de territoires plutôt lointain, après les avoir invitées au domaine, dans le seul but de leur tendre un piège. Tout du moins, c’est ce qu’il lui avait dit. Et le jeune comte, à cette époque, en sus de partager l’’état d’esprit de son père vis à vis de son oncle et de ses cousins, avait toujours soupçonné qu’Isidore estimerait que la Cage aurait fonctionné de manière optimale s’il avait pu y faire entrer Anatole, et pourquoi pas, toutes les personnes qui y étaient liées de près ou de loin. Ce qui ne fut jamais le cas, l’empoisonnement et la crémation furent le sort de ces derniers, pour le plus grand bien de la famille Ventfroid.

«Pourquoi une telle question ? Je ne trouve pas cela très important, et tu sais déjà parfaitement quel genre d’ennemis je me plais à traquer et débusquer. Il est donc assez logique qu’un certain nombre d’entre eux ait fait un petit séjour dans cette pièce.»
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyMar 11 Oct 2016 - 20:46
- Et pourquoi pas ?

Ambre avait tourné son visage vers Morion, quittant la roue de supplice des yeux un instant. Sa réplique n’était en rien insolente, juste empreinte d’une curiosité réelle.

- Quand bien même nous nous connaissons depuis une demi-année à présent, depuis que nous sommes mariés je découvre des facettes de toi régulièrement. Tu es très secret, et ce genre… d’activités… Elle engloba la pièce d’un vaste geste de la main. Tu donnes rarement les détails. Il est normal que je m’intéresse aux actions de mon époux, non pas ? Je trouve cela important, moi, de savoir quelles sont les morts liées à mon mari, et pour quelles raisons elles ont été entraînées.

Morion n’avait donné aucun nom. Juste cité des espions, des informateurs gênants, le tout dans une mélasse sans réel signe distinctif. C’était là le témoin du peu de renommée de chacune des victimes, rien de friand à se mettre sous la dent, ainsi. Elle ne devait en connaître aucun. C’était dommage en soi, réussir à faire le lien entre une affaire à ce jour officiellement inexpliquée par les autorités et les sous-sols de ce manoir aurait pu posséder une certaine forme d’ironie. Les dieux soient loués cependant, les Ventfroid n’étaient pas à l’origine de toutes les disparitions de ces dernières années, cela remettrait sincèrement en question la santé mentale de cette famille.

Ambre attrapa du bout d’un doigt une trace de poussière négligée par Talen, sur un coin de la roue.

- Ce lieu ne semble pas être usité régulièrement. Je gage que tu y réfléchis à deux fois avant d’ouvrir cette porte.

Ce qui convenait à la comtesse, notons. Si un jour Morion tombait dans l’excès à ce niveau, elle serait là pour le recadrer. Cela étant, il n’était à l’heure actuelle pas homme à semer la mort gratuitement. Une bonne chose.

Après être restée quelques minutes supplémentaires dans ce lieu de mort, Ambre termina par déclarer :

- Nous devrions mettre Talen au courant de tout cela, désormais. Il doit s’impatienter depuis l’interrogatoire des domestiques de la veille.

--

C’est ce qu’ils firent. Talen fut rapidement informé qu’il avait une nouvelle cible. Une petite dame blonde à enlever, rien qui ne lui parut inaccessible, mais de tels recours nécessitaient préparation, surtout en pleine Esplanade. L’homme recueillit tout ce qu’il était nécessaire de savoir auprès du comte et de la comtesse : lieu et conditions de vie, connaissances de la cible, et tout ce qu’il ne put pas retirer de ses supérieurs, il entreprit de l’obtenir par des moyens personnels durant ces jours de préparation qu’il s’était donnés.

Grâce tenait Ambre régulièrement informée des passages au manoir Saurell. Aucune visite ni personne suspecte se présenta au chevet de la veuve, et seule sa domestique, de temps en temps, quittait la chaleur des murs pour aller faire des emplettes.
Les échanges entre Morion et Ambre étaient redevenus normaux. Si leur première dispute n’avait été oubliée d’aucun d’eux, ils avaient réussi à passer outre. La comtesse évitait désormais d’évoquer Cassandre quelle que soit la raison, sous peine de réveiller en son ventre son ego blessé. Avec la préparation du meurtre qu’ils comptaient commettre, il n’y avait de toute façon pas la place à continuer de se crêper le chignon. Parfois leurs repas étaient froids et silencieux, mais c’était surtout lié à leur situation actuelle et cette attente jusqu’au dénouement de cette affaire, qui rendaient leurs moments de libre tendus. Les risques tenaient Ambre en éveil la journée, repoussant cette fatigue liée à la grossesse qui lui avait donné l’habitude de faire des siestes ces dernières semaines. Le soir néanmoins, le sommeil la fauchait presque immédiatement.

Ambre s’occupa de terminer le travestissement du tableau durant les jours qui suivirent. Elle y passa des heures et des heures, minutieuses, mais le cœur lourd. Bientôt, l’œuvre se transforma en un simple regard défaitiste sur la fange, sans attaque aucune contre les couleurs du Morguestanc. Quelque chose que le Duc lui-même pourrait accrocher dans son château s’il appréciait les scènes sombres. Les couleurs avaient été bien mises, mais Ambre ne supportait pas de voir la toile ainsi modifiée. Même si l’œuvre fut raccrochée à sa place, le regard de la comtesse l’évitait. Il lui faudrait du temps, pour cela aussi.

Enfin, tout juste une semaine après, Talen leur informa qu’il était prêt à agir. A partir de là, Ambre envoya une missive à Grâce. Une missive en apparence tout à fait innocente pour des regards extérieurs, si la lettre devait être interceptée. Une simple invitation à dîner, mais avec les évènements récents, Grâce n’avait pas besoin d’autre chose pour se douter des raisons qui se cachaient derrière l’encre. Il était temps.




Dernière édition par Ambre de Ventfroid le Dim 16 Oct 2016 - 23:22, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptySam 15 Oct 2016 - 4:24
10 Avril 1165. Vingt-trois heures. Manoir Rocheclaire.

Le manoir, en cette heure, était très, très silencieux. En de nombreux endroits, quelques lueurs vivaient encore, néanmoins. Derniers vestiges de l’activité diurnes, les membres de la famille Rocheclaire s’étaient chacun retirés dans leur intimité, laissant, çà et là, vivre quelques âtres, mourants pour certains, encore vivaces pour d’autres. L’intérieur de la demeure était… un mélange subtil d’opulence manifeste, la famille vicomtale ayant toujours eu d’excellents moyens — sur le déclin, néanmoins, et de sobriété. Car les murs de la demeure, à défaut d’être affublés de tentures onéreuses et diaprées, ou au moins possédant les couleurs familiales, ou de somptueux tableaux, rendant grâce aux Trois, ou à toute autre personnalité ayant marqué, d’une manière ou d’une autre, l’histoire de la Maison, étaient parés de cadres, certes, mais contenant la plupart du temps des herbiers. Sur toile recouvertes de parchemins, entourées et scellées par un cadre sans ornement, où au mieux, griffés de la date de conception, ils étaient partout dans les parties publiques de la demeure. Les Rocheclaire s’étaient toujours intéressés aux plantes, cétait un fait connu. Avant de s’installer à Marbrume, comme après d’ailleurs, ils avaient toujours mis un point d’honneur à investir dans les commerces et affaires botaniques, certains de leurs descendants étant même devenus des hommes de savoir, des érudits, entre le nobliau et l’herboriste, sorte de chercheur alternatif souhaitant découvrir toutes les propriétés des végétaux qui les entouraient. Une tâche somme toute impossible, mais à la quête du savoir seuls résistent les imbéciles, et rares furent ceux ayant figuré dans cette catégorie de personnes. Beaucoup de Rocheclaire intégrèrent les ordres, au fil de l’histoire de cette ancienne famille. Y compris chez les femmes, qui ne scellaient presque jamais d’alliance politique par union maritale. Pourquoi les ordres ? Parce que ceux-ci sont, entre autres choses, un excellent moyen de se nourrir de connaissances. Nombreux sont les ouvrages présents dans les temples, et si la médecine est une discipline aujourd’hui entre le mysticisme, la religion, et la science balbutiante de notre époque, il n’en demeure pas moins que c’est là un excellent moyen de se former aux savoir botaniques. La position occupée en tant que prêtre, haut prêtre, voire carrément les postes religieux suprêmes des grandes villes, offrant de toute évidence une position plus enviable et influente que l’aléatoire quidam vendeur de bien-être ou de fioles aux effets enjolivés par les mots.

Des ronflements discrets se faisaient entendre, dans une petite pièce, une chambrée de toute évidence, disposant d’un large lit. Deux enfants, aux chevelure blondes comme les blés, dormaient paisiblement depuis un certain nombre d’heures. Le temps étant encore frais, deux braseros avaient été disposés de chaque côté du lit, à défaut d’une cheminée flambante, afin de ne point laisser les deux jeunes victimes du froid, conservé par les pierres épaisses qui marquaient les parois de la chambre.

Dans la pièce mitoyenne, une main diaphane tenait entre ses mains une missive, à l’écriture concise, quoique ne manquant pas d’une certaine élégance. Peu de mots y étaient tracés, néanmoins, chacun d’eux avaient sonné comme une gifle. D’ailleurs, la main tenant la lettre froissée tremblait légèrement. Colère, frustration, tristesse, et peut-être la conséquence d’une trop grande consommation de spiritueux, comme le démontrait la cruche, vide, et l’unique verre qui l’accompagnait. Vide également. Ses yeux d’un bleu clair, rendus vitreux par la fatigue et l’ébriété, fixaient d’un regard aux airs d’atrabile les flammes dansant dans la cheminée. Elle n’en revenait toujours pas. Ou plutôt, elle était inquiète. Et furieuse, blessée. Bref, elle surnageait dans un magma émotionnel intense, et les effluves enivrantes du spiritueux ne suffisaient en aucune manière à détendre son corps, ou son esprit. Au mieux le vin pervertissaient ses ressentis, dénaturant les émotions positives, exacerbant les mauvaises; elle avait l’alcool mauvais. Elle jeta un oeil torve aux arabesques, puis au sceau de cire, brisé, qui ornait le parchemin. Les armoiries des Ventfroid. Le simple fait de voir ce symbole, aussi immuable et insensible à sa colère que celui qui l’avait apposé sur le papier lui imprima une forte pulsion de rage. Elle se leva, observant ce petit morceau bilieux comme si ses prunelles pouvaient y mettre le feu. Et à défaut d’y arriver, elle s’avança vers la cheminée, et l’y jeta avec hargne. A l’instant même où sa domestique attitrée entra dans la pièce, pour récupérer la cruche vide et le verre. gée d’une quarantaine d’année, elle se recroquevilla légèrement quand le regard venimeux de Cassandre se posa sur elle.

«Je… Pardonnez-moi dame Cassandre, j’aurais dû m’annoncer, je vous prie de bien vouloir m’exc-

Suffit. Ce n’est rien, dépêche toi de débarrasser, coupa-t-elle sèchement, la voix légèrement emportée par l’ivresse.

Voulez-vous que je fasse monter une deuxième cruche de vin, Madame ?

Non.»

Peu encline à rester ici en compagnie d’une maîtresse aussi aigre, elle s’empressa de récupérer les vestiges de la débauche de Cassandre, et s’en fut silencieusement. Le courroux de Cassandre pouvait s’avérer brutal, et elle ne voulait en aucun cas y être confrontée.

La vicomtesse, une fois la quadragénaire partie, s’engonça dans son fauteuil, la tête légèrement flottante, ruminant une fois de plus. La missive était parvenue de la part de Morion durant l’après-midi, et son contenu l’avait mise en rage, puis inquiétée. Tout cela ne datait certes pas de la veille mais… elle mit un coup de main rageur sur l’accoudoir molletonné, les dents serrées. Depuis les fiançailles des Ventfroid, elle avait grandement perdu en influence, en présence. Si le comte faisait bien évidemment toujours appel à elle - le contraire serait étonnant, tiens ! - et se montrait toujours courtois et gentil vis à vis d’elle… cette femme avait sapé son pouvoir. Littéralement. L’annonce des fiançailles, puis des épousailles… Elle n’avait même pas compris. Elle connaissait le comte de Ventfroid, et ce mieux que quiconque. Malgré l’attrait politique comme financier des Mirail, comment avait-il pu s’enticher de cette gourdasse à peine pubère, qui n’avait eu de cesse de manier le pinceau toute sa vie durant, voletant comme un rossignol entre les rêveries d’artistes qui leur seyaient bien ? Le contraste avec l’univers sombre, froid, délétère même, des Ventfroid rendaient cette union parfaitement absurde. Et tout avait été si soudain ! Il ne lui avait rien dit. Oh, elle savait qu’il avait noué contact avec une des filles Mirail dans le but d’acquérir une oeuvre, il lui en avait parlé comme l’on aurait pu évoquer la teneur du menu de la veille, à dire vrai. Mais rien n’avait filtré sur les régulières visites d’Ambre, ni même sur ses projets d’alliance. Quand les fiançailles avaient été officialisées, elle s’était sentie… trahie. Plus de quinze ans qu’elle le connaissait, le fréquentait, l’aimait, et il ne jugeait même pas nécessaire de lui annoncer pareille chose. Il avait toujours agi ainsi, électron libre qui ne faisait que ce qui semblait lui plaire, mais tout de même, elle méritait plus de considération !

Et cette femme… A peine mariée qu’elle se pavanait dans le manoir comme si elle avait toujours vécu là, faisant la fière de son nouveau nom, suivant, touchant, caressant Morion… Rien que l’idée lui soulevait l’estomac. L’étiquette lui commandait de faire montre d’un égal respect envers Morion et envers Ambre, mais elle ne pouvait s’y résoudre. Cette… gamine ne méritait ni son respect ni sa considération, débarquée du néant qu’elle était.

Elle la briserait. Oui.

Mais toutes ces émotions, cette haine qui couvaient s’étaient retrouvées concentrées à l’arrivée de la missive signée par Morion.

Car en sus de la pousser à délayer ses visites un temps, visiblement occupé avec Ambre à d’épineux problèmes qui “nécessitaient sa pleine attention”, il la convoquait plus tard pour une entrevue, vis à vis, justement, de ces visites. Et évidemment, comme à son habitude, il refusait de mettre dans ses missives plus que le strict nécessaire. Habituée ou non, elle trouvait cela parfaitement insupportable. Puis, au bout de quelques minutes, elle se posa la question. Durant l’absence du comte, elle avait été fort affairée à se faire nuisance pour la comtesse de Ventfroid - la simple évocation de ce titre déformait ses traits délicats en un rictus aigre de dégoût profond - en misant sur la fierté de cette jouvencelle, pariant sur le fait qu’elle ne parlerait pas à Morion de sa présence abusive, et toxique. Pleurer dans les braies de son époux pour une simple vassale, elle aurait perdu tout crédit. Mais cette lettre avait instillé un doute certain en elle. Si jamais - admettons - elle avait parlé… Elle connaissait Morion, et les mots qu’il avait prononcé à son mariage, en prévention d’éventuelles menaces contre son épouse n’avaient pas quitté son esprit. Et cela l’attristait un peu de l’admettre, mais elle savait pertinemment qu’il les mettrait à exécution sans même se poser de question.

Elle attrapa quelques rouleaux de parchemins, et d’une main fébrile, griffonna quelques mots hâtifs. Femme de Morion ou pas, elle ne laisserait pas les choses se faire si facilement.

---

Ailleurs. Date exacte inconnue, de nuit.

«Alors, qu’a-t-il dit ? s’éleva une voix, légèrement éraillée, probablement par l’âge.

Aucune idée Père. Il n’a montré signe de vie. Néanmoins, il semble avoir reçu notre dernier présent. En tout cas c’est ce qu’il nous a dit.»

Le vieil homme était assis dans un fauteuil miteux. Enfin, vieux. Disons que sa cinquantaine était entamée, et qu’il ne semblait pas bien la vivre. L’atmosphère de la pièce était sombre, quasiment sans lueur. Le feu était mort quelques heures plus tôt dans la cheminée, et personne n’avait pris la peine de le raviver. Un petit soupir s’échappa des lèvres, dissimulées par une barbe foisonnante. Il avait un peu froid.

«Et la vicomtesse ?

Eh bien… Elle est tellement accaparée par ses problèmes personnels qu’elle a, je vous l’avoue, un peu perdu de son intérêt. Et de toute façon… Le jeune homme haussa les épaules en se frottant les mains. Effectivement, il faisait froid, ici. Elle ne fera jamais rien, vous le savez.

C’est exact. Continuez donc comme à votre habitude fils, et faites envoyer une missive à nos amis. Voilà longtemps qu’ils n’ont point dîné avec nous.»

Après une révérence, le jeune homme s’en fut. Les yeux clairs du vieil homme le suivirent, et ses oreilles à l’ouïe défaillante restèrent concentrés sur ses pas, jusqu’à ce qu’il quitte la demeure. Ses doigts tripotaient la broche qui nouait sa cape, protection bienvenue entre ces murs mal isolés. Il en caressait les arêtes, les pointes, en soupirant régulièrement. Ses espions étaient excellents, et parmi les mieux infiltrés de la ville, mais il avait l’impression qu’il manquerait de temps. Peut-être son fils… N’était-il pas un incapable ? Quoi qu’il en soit, Morion et Ambre devaient voir leur sort scellé rapidement. Il refusait de mourir avant que ce ne soit le cas.
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Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 Empty
MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyDim 16 Oct 2016 - 16:36
Elle appréhendait. Beaucoup. Le jour annoncé par Morion comme date de leur entrevue était finalement arrivé, et l’heure de le voir approchait bientôt. Il lui avait spécifié dans sa lettre qu’ils ne seraient que tous les deux. Elle en avait tiré, au début, une satisfaction malsaine. Pour une fois que cela n’avait, a priori, aucun rapport avec le travail, la rouquine ne serait pas là pour les importuner. Cette jovialité cruelle avait cependant très vite laissé part à un doute insidieux. Si, effectivement, cela ne concernait pas leurs affaires en cours, Morion n’était pas du genre à congédier sa femme. Et Cassandre pensait Ambre assez haineuse envers sa personne pour ne pas rater une seule occasion de se retrouver en sa présence, proche de son mari afin de lui rappeler sans mot quelle était sa position à elle, vassale. Elle n’était bien évidemment pas au courant de la dispute qu’il y avait eu entre Morion et son épouse, et de fait, le doute était encore plus présent. Avait-elle parlé ? Morion se doutait-il de quelque chose ? Ou pire, dans les théories, et éventuels complots qu’elle avait pu monter, après le mariage, pour évincer Ambre, avait-elle fait une erreur ? Laissé filtrer une information ? Non. C’était impossible, elle n’avait parlé de rien à personne. Et même si, faisant honneur aux Ventfroid, Morion donnait toujours l’impression de tout savoir pratiquement avant que cela n’arrive, il était encore aveuglé par l’étroitesse et l’ancienneté de sa relation avec la vicomtesse. Son manque de détachement à ce niveau était du pain béni. La rouquine devait se méfier, elle, mais… Elle n’avait entamé aucune action sérieuse. Elle détestait se retrouver dans cette position d’incertitude.

Elle était assise devant sa toilette, pendant que sa domestique lui brossait les cheveux. Bien que la perspective de se rendre dans l’antre de Morion ne lui inspirât pas, cette fois, une immense joie, cela n’était pas une raison pour ne point se parer. Elle portait une robe de brocart aux couleurs de sous-bois, savamment ornée d’argent. Ses oreilles étaient parées de deux discrets bijoux aux couleurs azurées. Une main distraite passa le long d’un collier en or, simple et sans fioritures. Tandis que sa domestique finissait de nouer la natte qu’elle venait de terminer, le regard céruléen de Cassandre se posa près du miroir qui ornait la toilette, sur un petit objet qui lui arracha un petit air mesquin. Elle leva le bras, évitant de perturber le travail capillaire en cours, et passa un doigt sur la surface de l’objet qui retenait son attention. Cette statuette lui avait coûté assez cher. A dire vrai l’histoire avait été amusante. Sa haine dirigée sur Ambre, son opiniâtreté à trouver la moindre petite faille, qui pourrait la discréditer auprès de son mari, l’avaient poussé à surveiller, de façon régulière, les allées et venues de la jeune femme. Et quelle ne fut sa surprise, quel ne fut son espoir, lorsqu’elle vit Ambre en compagnie du très réputé bon vivant Hector de Sombrebois. Elle avait rapidement dépêché quelques uns de ses espions. Et quelques minutes plus tard, elle-même était descendue en ville. La perspective d’une simple vente aux enchères l’avait déçue, finalement. Aucun ragot croustillant à se mettre sous la dent. Et si elle aurait probablement dû justifier au comte de Ventfroid l’acquisition de renseignements concernant sa femme, cela aurait eu nettement moins d’impact que de lui révéler une fréquentation peut-être trop amicale avec le baron de Sombrebois. Un échec à ce niveau, mais elle refusa d’abandonner. Son allié dans cette combine se nommait Albert Merland. Alibert Gonjean était un nom d’emprunt, qui lui permettait de justifier, par un métier aussi faux que l’identité présentée au notable, ses grands moyens, directement fournis dans les faits par la vicomtesse. Et sa mission était très simple: si Ambre tentait d’acquérir quoi que ce soit, il fallait lutter.

Et le résultat, bien qu’onéreux, était sous ses yeux, désormais. Une consolation bien maigre, mais c’était un trophée comme un autre. Une victoire contre cette enfant qui avait cru bon de s’immiscer dans son monde.

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17 Avril 1165. Bureau de Morion. 13H45.


Très affairé depuis les derniers événements, Morion s’était plongé tôt le matin dans les documents qu’il possédait, et quand il ne lisait pas ou ne prenait pas de notes, réfléchissait intensément, le regard perdu dans le vague, ou à sa fenêtre, par laquelle il observait le jardin en contrebas, et la bulle dont la verdure ne cessait de se densifier à mesure que les beaux jours revenaient. Actuellement recouverte d’une myriade de petites fleurs blanches, à l’extérieur, une fois dedans l’on pouvait sentir, quelle que soit l’orientation du vent, les délicates effluves florales qui s’échappaient d’entre les pétales diaphanes, et qui apaisaient ceux qui supportaient sans trop de mal cette odeur. Il avait même fini par en oublier la venue imminente de Cassandre. La torture de la vieille femme n’avait pas été aussi concluante qu’il ne l’avait espéré. Et par voie de conséquence, soit la source de ses renseignements était un mystère extraordinairement épais, soit, et là, c’était bien plus alarmant, son hypothèse était juste et elle avait bien été touchée par les murmures oniriques de Rikni, auquel cas il avait tout à craindre. De quoi chasser la vicomtesse de son esprit. Et malgré tout, elle figurait sur la liste des suspects potentiels. Il ne pensait sincèrement pas que, peu importe sa rancoeur ou son aigreur, elle soit stupide au point de risquer l’estime de Morion, et par là même sa vie, dans le seul but d’une vengeance dont le motif lui échappait encore. Aucune piste ne pouvait être écartée, néanmoins.

Il fut sorti de ses rêveries par Talen, qui toqua discrètement à la porte. S’arrachant, presque à regret, aux constellations lactescentes sur la bulle, il fit entrer le domestique, qui ne resta pas très longtemps; Cassandre le suivait de près. Le retour à la réalité fut, pour le coup, immédiat. Ils s’observèrent, un moment, immobiles l’un comme l’autre. Talen se retira, si discrètement qu’aucun des deux ne le remarqua. Morion avait les mains croisées dans son dos, comme souvent lorsqu’il était inactif, et baissa les yeux vers l’un des sièges qui faisaient face au meuble de bois massif.

«Assieds-toi.»

Ils avaient depuis longtemps abandonné le vouvoiement, quand ils étaient tous les deux. Lui-même resta debout, cherchant sûrement à aborder l’un des nombreux sujets qu’il avait à évoquer avec elle. Le plus important était évidemment celui qui concernait la fuite du tableau, mais… Il jeta un dernier regard par la fenêtre, et vint finalement s’asseoir. Il parcourut des yeux la surface sombre, quoique masquée par les parchemins, de son bureau, et se saisit d’une fine liasse de papier, couverte de notes inintelligibles pour qui n’avait pas les clés qui avaient permis de les inscrire. Sa manie d’encoder tout ce qu’il écrivait était plus tenace qu’une blatte.

Cassandre, quant à elle, jeta quelques coups d’oeil furtifs sur le bureau, également, mais savait qu’elle n’en tirerait rien. Lorsque Morion lui adressait des instructions, elles étaient souvent mystifiées par un procédé d’encodage, mais il était établi depuis longtemps, et commun à eux deux. Le comte en avait plus d’une douzaine différents sous le coude, elle n’avait que peu de chance de réussir à les décrypter d’un coup d’oeil. Les mains jointes sur ses jambes, elle attendait, avec une patience toute relative. Etonnamment, elle n’avait pas croisé Ambre. Morion l’avait prévenue, mais, elle aurait pensé sentir sa présence insupportable. Il n’en fut rien.

«Il y a un peu plus d’une semaine, finit par lâcher Morion d’une voix neutre, après une relecture rapide de ses notes, nous avons eu de très désagréables surprises. Il posa les notes sur le bureau, et consentit finalement à lever ses prunelles incisives vers sa vassale.Outre certains… problèmes d’ordre mineur — il faisait référence aux espions anonymes qui le pistaient — il semblerait que certaines informations sur nous, certaines de nos possessions, qui impliquent lourdement nos projets anti-ducaux aient fuité.»

Le regard de Cassandre s’agrandit. Elle le sentait venir, et n’aimait pas vraiment ça. D’autant plus que pour le coup, c’était une réelle surprise, et une mauvaise. Si Morion se retrouvait impliqué dans une histoire de trahison, elle le serait aussi. Elle le laissa poursuivre, cependant.

«Nous avons investigué un maximum. Dressé des listes de suspects, qui auraient pu participer à cette éventuelle fuite. Certains ont vite été éliminés, mais par ta présence régulière au manoir, et la liberté que je te laisse… tu figures sur cette liste.»

Blême, vexée et outrée, Cassandre se leva, incapable de rester assise plus longtemps. Ses lèvres entrouvertes peinaient à se mouvoir pour exprimer ce qu’elle pensait sur l’instant, et il lui fallut quelques instants pour reprendre contenance, encaissant la remarque de Morion comme s’il s’était agi d’un coup de poing dans l’estomac. Elle prit une inspiration et expira longuement, mais néanmoins, sa voix restait instable. Elle n’arrivait pas à croire que de tels soupçons finissent par lui retomber dessus.

Ce devait forcément être un coup d'Ambre, il n'y avait guère d'autres solutions. Toutes ces années de service et de dévouement entièrement dédiées à Morion et aux Ventfroid ! Elle ne pouvait gager sérieusement que la pensée ait naturellement effleuré l'esprit du comte. En d'autres circonstances, pourquoi pas, si elle avait vraiment un intérêt à semer la discorde, mais là, c'était différent. Il n'y avait que son épouse, pour lui instiller pareilles idées en tête. C'était sûr. Et en même temps que la colère, qu'elle avait jusqu'à lors réussi à contenir, remontait doucement en elle, lui tenaillant les entrailles comme des cordes rêches, elle ressentit également une amère pointe de déception. Elle n'aurait pas pensé que son ami, son ancien amant, son maître, puisse se montrer si influençable quelques mois seulement après avoir rencontré cette femme. Ils s'étaient certes mariés, vivaient ensemble, mais elle n'était sa femme que depuis très peu de temps. Là où elle avait toujours été là, depuis son enfance, connu ses périodes sombres, où la douleur physique imposée par son père le terrassait, où son fanatisme le poussait presque à la haine incontrôlable de tout ce qui ne respectait pas scrupuleusement chacun des préceptes divins, là où la simple vue d'un être humain lui inspirait le mépris. Tout ceci elle s'en souvenait comme si cela s'était déroulé la veille, et jamais Ambre ne pourrait connaître toutes ces choses. Car Morion, et à ce moment, une pointe de fierté ô combien mal placée lui souleva légèrement le coeur, avait changé, en bien, en bien mieux oui, et elle avait contribué à ce que ce soit le cas. Plus que ses propres soeurs, même.

«Je... Morion, c'est totalement insensé. Elle n'avait pas repris de couleurs, et fixait son maître comme s'il venait de lui annoncer qu'elle allait mourir. Je ne connaissais aucun détail de cette affaire avant que tu ne m'en parles, et quel intérêt aurais-je eu, de toute façon, à vouloir vous nuire ? Me penses-tu donc si stupide que cela, après quinze ans, plus même, de relations ? Ne serait-ce pas plutôt ta femme, débordante de haine et de jalousie, qui aurait pensé à moi comme suspecte de ce que tu m'accuses ?»

Morion ne répondit pas immédiatement. Il se leva, en tout premier lieu, sans quitter sa vassale des yeux. Oui, Ambre avait évidemment contribué à ce que Cassandre se retrouvât dans son viseur. Simplement, c'était logique. Et sans en avoir conscience, son propre aveuglement l'aurait probablement poussé à écarter la vicomtesse d'office des suspects, tant sa confiance en elle était solide. Et ce malgré tout ce qu'il pouvait lui reprocher. Reproches qu'il ne faisait même plus, d'ailleurs; il était partiellement responsable de son comportement actuel. Il retourna à la fenêtre, observant une nouvelle vois la voûte sinople et ses étoiles liliales, l'air pensif. Cette situation ne lui plaisait guère, c'était évident. Si son visage affichait un masque serein de tranquillité et de calme apparent, cela n'en demeurait pas moins une entrevue qu'il aurait aimé ne jamais avoir à programmer. Avant son mariage, les choses étaient tellement plus simples, quand il y repensait. Il ne devait rien à personne, si ce n'étaient les obligations qu'il avait en tant que vassal forcé du Duc Sigfroi, et le reste du temps, pouvait décider de faire ce qui lui chantait, comme il le voulait. Désormais, il avait une épouse, un enfant à naître, et ne pouvait se permettre une telle volubilité.

Une mésange se posa sur les branchages, tout en bas. Ses petites ailes frêles battirent l'air quelques instants pour se stabiliser, puis son bec s'aventura au coeur des petites fleurs, à la recherche probable d'un insecte ou deux à picorer. Un bruissement passa dans la pièce, que Morion n'entendit pas. L'oiseau semblait fort déçu, les insectes étaient bien trop petits. Il resta là un moment, à observer les alentours calmes du jardin, puis après avoir secouer son plumage, s'envola, à la recherche d'un terrain de chasse plus propice. Cassandre se rapprocha de lui, cherchant l'objet de sa distraction. Elle arriva trop tard, évidemment. Néanmoins son but premier n'était pas celui-ci. Elle posa la main sur le bras du comte, qui avait une nouvelle fois lié ses mains dans son dos, et soupira doucement.

«Je peux te jurer que je n'ai rien fait, que ce soit à l'encontre d'Ambre, ou de toi. Vous portez le même nom désormais, toute attaque attentée contre l'un de vous me retomberait immédiatement dessus, en vertu des liens qui nous unissent, Ventfroid et Rocheclaire. Ses doigts s'agrippèrent légèrement au tissu du surcot de Morion, et elle s'approcha encore.»

Morion se dégagea doucement, mais fermement de l'étreinte qu'il anticipait. Ses yeux lançaient des éclairs sombres, des avertissements adressés à Cassandre. Cette proximité le dérangeait. Et elle le sentit, immédiatement, et fit un pas en arrière, un rictus exprimant au choix la déception ou la douleur gravé sur ses traits.

«Talen et Herbert m'ont dit que tu étais passée, une fois, pendant un certain moment. Cela n'aurait pas dû m'étonner, c'est de ma faute. Je t'ai toujours laissé libre accès à ma demeure afin que tu puisses travailler sans forcément devoir t'adapter à mes horaires d'allées et venues, complexes eu égard à mes déplacements réguliers au comté. Néanmoins, cela tombe un peu trop bien. Et, comble du comble, tu n'es passée voir Talen que bien après t'être rendue compte de mon absence. Navré de te l'annoncer mais le doute est permis.»

Le regard de Cassandre se fit fuyant, quelques secondes. Elle n'était venue que pour voir Morion, et au passage, infliger à Ambre sa présence. Rien de plus. Elle était passée au bureau, et faute de présence, était allée voir à l'atelier, si quelqu'un y était. Elle n'était même pas entrée dedans, quelques coups discrets à la porte avaient suffi à lui révéler l'absence de l'épouse Ventfroid. Puis, animée par une curiosité aussi malsaine que masochiste, s'était rendue à l'entrée de leur chambre, et avait passé quelques minutes, l'oreille collée à la porte, essayant de déceler des bruits qui pourraient lui indiquer la présence des deux amants. Aussi soulagée que déçue, elle était finalement descendue voir Talen, pour lui annoncer à la fois son arrivée et son départ en l'absence de Morion. Cette curiosité malsaine était dévorante, chez elle. S'il s'était entichée d'elle, c'est qu'elle devait bien avoir des qualités, non ? Oh, elle faisait une excellente décoration auprès de son mari, c'était certain. Fière, le port stable et royal, les yeux clairs faisant écho à ceux de Morion, l'on eût dit qu'elle voulait à tout prix s'inspirer de lui dans son attitude. Cassandre trouvait cela ridicule. Mais elle devait avoir d'autres qualités, nécessairement. Dans ses glauques réflexions, où elle broyait du noir, elle se posait alors des questions. Morion aimait l'art sans forcément s'y intéresser, les talents d'Ambre dans le domaine ne devaient probablement pas être un critère décisif, même si c'est cet intérêt soudain qui avait fini par les unir — la peste soit de cette famille ! Donc... cette gamine devait lui apporter une certaine satisfaction. Amère, elle doutait très fortement que cette gamine soit aussi compétente qu'elle à satisfaire le comte. Elle-même disposait de deux preuves accablantes de la soif qu'elle avait su inspirer à Morion. Malgré la première erreur qu'il avait commise, il en avait redemandé. Alors oui, elle se demandait. Et méprisait.

«Je ne suis pas restée longtemps, répondit-elle, la voix sèche. Je suis directement monté dans ton bureau, suis allée voir si tu n'étais pas à la Bibliothèque, et devant ton absence manifeste, je suis redescendue au bureau de Talen pour prendre des nouvelles, puis suis partie. Rien de plus. Elle leva un sourcil ironique, et un petit sourire mesquin fleurit sur ses lèvres. Tu verrouilles pratiquement toutes les portes de ta maison, comment de toute façon pourrais-je m'y introduire ?

Et tu as les clés de certaines d'entre elles.»

Il s'éloigna un moment, et finit par se rasseoir dans son fauteuil.

«Bien. Pour cette fois, en vertu de la confiance que j'ai en toi, et en vertu de celle que j'ai en mes gens, qui n'auraient jamais couvert qui que ce soit en une aussi désastreuse situation, je vais faire l'impasse, et considérer que tu es innocente. Je-

Je suis innocente, Morion. Tu le sais, au fond de toi. Jamais je ne pourrai te faire du mal. Je tiens à toi. Souviens-t-en, nul ne t'est plus fidèle que moi.

Je pourrais citer un certain nombre de personnes qui cèderaient leur vie pour la mienne, à commencer par ma femme, qui n'a jamais fait un seul écart depuis que je la connais. Jamais. Tu n'as pas toujours été dans ce cas, je crois.

Et toi non plus, j'ai deux écarts d'une taille tout à fait respectable en ma demeure, qui nécessitent que je m'en occupe chaque jour qui passe, et dont l'existence pèsera sur ma vie à tout jamais. Et malgré tout, je suis toujours là. Peux-tu en dire autant ?»

Morion fronça brutalement les sourcils. Elle recommençait, et sa voix avait tout pris des remugles d'une menace pernicieuse, à peine dissimulée sous des questions réthoriques insultantes, lui rappelant ses effectives erreurs, erreurs irréparables, mais qu'il avait fait en sorte d'éloigner définitivement de son quotidien. Qu'un quidam l'insulte pour une quelconque raison pouvait passer, il était du genre que la vindicte verbale n'atteignait pas. Mais là, sous son propre toit, alors qu'il est justement en train de lui annoncer sa perte de responsabilités vis à vis des événements avec la femme Saurell... Il manqua de cracher au sol tant le mépris était intense en lui.

«Ecoute-moi, car je ne me répèterai pas une seconde fois, Cassandre de Rocheclaire. Remets une seule fois ce sujet sur le tapis, ici ou ailleurs, et je te jure que ces deux erreurs qui pèsent sur ton existence ne pèseront plus du tout. Malgré leur âge, s'ils sont des problèmes, je pourrai me mettre en tête de les corriger. Souviens-toi d'où est ta place, Vicomtesse.

Il fit une brève pause, s'assurant qu'elle ait bien compris ce qu'il voulait dire. Puis il reprit.

«A propos de la liberté que tu as, il va falloir que les choses changent.

C'est à dire, demanda Cassandre, d'une voix acide, visiblement encore atteinte par la tirade de Morion.

Tu ne peux pas continuer à venir ici comme bon te semble.»

Incapable, visiblement, de tenir en place, Morion se leva, commençant des allées et venues, comme un fauve enfermé dans un espace clos. En fait, les événements récents avaient eu un impact plus important que ce qu'il imaginait. Auparavant, que ce soit avant son mariage ou après, après son retour du Labret, les choses étaient... Assez simples. Certes ces espions semblaient le menacer, quoique leurs manières fussent assez originales, mais ils n'avaient pas grand chose à craindre. Les sorties de Morion étaient certes systématiquement notifiées, de même que celles d'Ambre, visiblement, mais dans l'absolu, leur vie n'était pas directement menacée. Cette fois-ci, pour la première fois, il avait vu ses secrets se glisser doucement à la lumière du jour, prenant ainsi le risque qu'ils soient révélés. Une sensation assez infecte. En sus de cela, il n'était pas le seul menacé. Un an ou deux auparavant, cela aurait fait partie des risques, et il se serait probablement exilé ailleurs. Quant à sa famille, leur nom parlait pour eux. Ils savaient à quoi s'attendre et y avaient été préparés. Aujourd'hui, il allait bientôt être père. Il était également un époux, pour une femme qui n'avait pas demandé à ce que son mari suicidaire, et qui tout comme lui, souhaitait que leur descendance vive dans un environnement pérenne, même si rendu difficile par ce cataclysme qu'était le Fléau. De tels risques, et surtout, leur imminence, l'avaient... bousculé.

«Pour faire simple, Ambre voit d'un très mauvais oeil l'accessibilité aléatoire du Manoir à quelqu'un d'autre que nous. Sans que cela altère ma confiance, je peux la comprendre. Il lorgna sur sa vassale, qui s'était rassise, et s'affaissait un peu sous les sentences qui tombaient comme une grêle de gifles. Comme tu le dis si bien, elle ne me connaît pas depuis aussi longtemps que toi, et il en va même pour toi. Vous avez également commencé vos rapports sur les pires bases qui soient. Et il est absolument hors de question que ma femme ne se sente pas en sécurité dans sa demeure, alors même que les endroits sûrs se font gouttelettes rarissimes au milieu d'un océan presque entièrement sec. Je t'accueillerai toujours ici, mais il faudra que tu t'annonces. Nous organiserons nos rencontres, comme le font un seigneur et son vassal. Je t'accueillerai toujours avec les honneurs entre ces murs, mais cela devra être fait en ma présence.

... Soit. La mine de Cassandre s'était durcie comme de la pierre. Elle remonta légèrement la robe de sa manche pour dévoiler un bracelet, autour duquel deux clés étaient attachées. Arrachant presque le bijou, de nerfs, elle le posa sans ménagement sur le bureau, affrontant le regard impassible du comte du sien, venimeux. Si tu préfères le confort de ta femme à l'efficience de nos travaux, je n'ai rien à y redire, tu es le seigneur, les droits t'incombent, et moi le devoir de suivre ta volonté. Je suis déçue, Morion.

Peu me chaut. Je t'ai prévenue une fois, répondit Morion, le ton aussi sec que glacial, sur les risques que tu prenais à intervenir comme tu le voulais dans ma vie. J'aime mon épouse, et si le choix doit être fait entre ma famille et les états d'âmes d'un serviteur, alors il n'y a pas matière pour moi à se poser de question.»

L'inexorabilité des paroles de Morion laissa Cassandre sans voix. Elle se leva et s'inclina poliment, et après avoir précisé qu'elle se retirait donc, l'affaire étant donc entendue des deux parties, elle sortit, non sans fermer la porte un peu brutalement. De son côté, Morion se contenta d'un soupir de dépit. Il n'avait plus envie de repenser à tout cela, trop de choses étaient à traiter, des choses bien plus prioritaires. Néanmoins, il pensait avoir été juste. Le fait que Cassandre ne vienne plus ici n'importe quand n'était pas une fatalité ni une catastrophe, après tout. Elle disposait de beaucoup plus de privilèges que n'importe lequel de ses vassaux. Retournant à la contemplation végétale de son jardin, il eut un rictus mi-amusé, mi-désabusé, se disant qu'il n'avait jamais autant écouté quelqu'un d'autre que lui de toute sa vie. Je me ramollis, se dit-il, avant de se perdre dans le comptage impossible des éclats ivoiriens sur la Bulle.

---

C'était inadmissible. Proprement inadmissible. Voilà les réflexions que se faisaient Cassandre. Le comportement de Morion mais une émotion parmi tout le reste dominait : la colère. Pas dirigée contre son seigneur, mais contre cette ribaude qui s'était installée là et depuis, parasitait son existence. Elle n'avait jamais lâché l'affaire concernant son seigneur et les sentiments qu'elle lui vouait. Elle était prête à tout, et cette entrevue n'avait fait que renforcer chacune de ses convictions. Elle ne se contenterait pas de l'évincer, elle la briserait. Brutalement, lentement.

«Tu verras, catin, toi et les engeances que tu produiras regretterez de ne pas avoir connu les crocs de la fange lorsque je m'occuperai sérieusement de vous, marmonna-t-elle sur le retour, le teint blafard et les dents serrées à s'en briser les mâchoires.»




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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptyVen 28 Oct 2016 - 21:29
Concernant l'Espionnage


Durée de l’espionnage : 6 Avril - 17 Avril. Onze jours.


Nombre d’excursions de Cassandre : 4.
Nombre de visites chez les Rocheclaire : 2.


Première Excursion de Cassandre : 8 Avril - Neuf heures environ au matin.

Citation :
Test : Filature

Jet : 5. Réussi.

Rapport d’espionnage du jour de mission deux. La Vicomtesse s’est aventurée, quelques heures après l’aurore, dans la basse-ville. Avons pu sans trop de peine suivre la cible jusqu’à sa destination : herboristerie Fourrier, une petite entreprise familiale de récolte et de vente d’herbes fraîches et séchées.

Citation :
Test : Renseignement

Jet : 1. Réussite Critique.

Nous avons réussi à nous procurer, moyennant écus et menaces, de très nombreuses informations quant à l’entreprise en question. Trente ans plus tôt, cette entreprise dirigée par feu le père de la famille Fourrier s’est retrouvé endetté de très grosses sommes d’argent pour avoir employé de nombreuses personnes à la récolte, sans les payer. Ses dettes ont toutes sans exceptions été rachetées par la maison Rocheclaire, qui s’appropria également l’herboristerie au passage, conservant cependant le père Fourrier au poste de tenancier. Néanmoins, bien que peu réputée et assez classique dans son fonctionnement, elle s’est mise à fournir de nombreuses herbes délétères et nauséabondes aux Rocheclaire à épisodes réguliers. Livres de comptes vérifiés : quasiment les seuls acheteurs furent les Rocheclaire, et quelques anonymes dont le nom correspond pour beaucoup à celui de quelques pendus pour crimes divers. Cette herboristerie est après concertation plus un entrepôt et un fournisseur de poisons divers qu’un véritable et honorable marchand d’herbes.

Citation :
Test : Renseignement

Renseignement sur Cassandre : 3. Réussi.

Suite du rapport : La Vicomtesse de Rocheclaire a acheté, après enquête - plus quelques dépenses au frais des Mirail, de fait - une botte de belladone. Plante réputée mortelle, poison terriblement violent. Nous cherchons une cible éventuelle, nous avons donc continué à la suivre.

Citation :
Test : Filature

Jet : 2. Réussi.

Cassandre est directement rentrée chez elle après avoir fait ces achats. N’ayant aucun contact avec la demeure, la mission s’arrête ici. Notons simplement qu’elle est entrée en possession d’une grande quantité de poison mortel, même si rien pour l’instant ne semble indiquer contre qui elle compte s’en servir ou si elle compte le faire.


Deuxième Excursion de Cassandre : 10 Avril - Peu après le Crépuscule.

Citation :
Test : Efficacité des Espions Rocheclaire

Jet : 17. Nul.

Les espions voués à surveiller Cassandre pour sa propre sécurité, notamment doués en contre espionnage, n’ont pas réussi à détecter la présence des espions des Mirail. Elle effectuera sa promenade sans méfiance.

Citation :
Test : Filature

Jet : 12. Réussite Moyenne.

Rapport d’espionnage du jour de mission quatre. Cassandre s’est aventurée, à la nuit tombée, à l’extérieur des murs de l’Esplanade. Nous avons suivi sa trace tout au long de sa promenade, cherchant à définir l’endroit exact où elle se rendait. Malheureusement, la faveur de l’obscurité et la présence de nombreuses personnes dans les rues ce soir là nous a fait perdre plusieurs fois sa trace. Nous avons pu localiser une dernière fois sa présence proche du Temple, sans plus de détails. Nous allons tenter de la retrouver.

Citation :
Test : Recherche des espions.

Jet : 19. Raté.

Impossible de la retrouver. Nous avons écumé la moitié nord du Labourg ainsi que les alentours du temple sans trouver trace de sa présence. Nul ne semble avoir aperçu un seul pan de tissu travaillé, ce qui est pourtant étonnant au vu de la qualité de la personne. Nous allons mettre des agents en poste près de la porte des Anges, en espérant la voir.

Citation :
Test : Surveillance des espions.

Jet : 20. Echec Critique.

Suite à une rixe de taverne entre des buveurs visiblement énervés et une patrouille de miliciens, nos agents ont été délogés. L’un d’entre eux est blessé sans gravité, sire Evan, il sera remis d’ici quelques jours. Néanmoins cela nous fait une paire d’yeux en moins, les recherches devront être resserrées au strict nécessaire, j’en suis navré. Nous avortons la mission pour ce soir, il est fort probable que la Vicomtesse ait profité de l’agitation pour se réfugier en sécurité derrière les murs, nous n’avons pas les moyens d’en être certains. Peut-être n’est-elle même pas revenue.

Première Visite chez les Rocheclaire : 11 Avril - A la mi-journée environ.

Citation :
Test : Surveillance des espions des Rocheclaire.

Jet : 4. Réussi.

Les espions des Rocheclaire ont détecté la présence de rôdeurs non loin de la demeure de leurs maîtres. Cela coïncidant de près avec la visite de leurs amis ou collaborateurs, les Rocheclaire, prudents par nature, du fait de leur lien avec les Ventfroid, famille au passé adéquatement qualifiable de criminel, et leurs propres accointances, assez peu recommandables également, ont préféré délayer la visite à un autre jour.

Conséquence supplémentaire : Cassandre ayant nécessairement eu vent de cette découverte, acquiert en méfiance. Cela se répercutera sur les prochaines tentatives de filature et de renseignement.

Rapport du jour de mission cinq : Nous avons eu vent d’une visite prochaine des Rocheclaire. Malheureusement, leurs espions assignés à la surveillance de la demeure ont détecté la trace de nos agents, et les Rocheclaire ont instantanément annulé cette visite. Nous restons aux aguets, mais nous pensons qu’ils se méfient, désormais. Il nous faut être plus discrets, sans quoi nous risquerions de faire échouer la mission confiée, Comte de Mirail. Notre surveillance s’accentuera dans la basse ville. Un seul de nos agents restera sur l’esplanade, notre blessé n’étant toujours pas remis, nous ne pouvons nous égarer plus.


Troisième Excursion de Cassandre - 11 Avril - Nuit tombée.

Citation :
Test : Surveillance des Espions

Jet : 11.
Malus pour Méfiance Accrue (-1)
Malus pour manque d’effectif (-2)
Jet final : 14. Moyen.

Cassandre est une fois encore sortie de chez elle pour se rendre non pas en ville mais encore une fois sur l’esplanade. L’obscurité gênant, ainsi que la présence d’une escorte avec la Vicomtesse, veillant sur elle et autour d’elle, je n’ai guère pu suivre ses pas efficacement. Néanmoins, elle s’est rendue dans une modeste demeure - appartenant à un baron ou un vicomte aux abois, je gage - que je n’ai point réussi à identifier.


Citation :
Test d’observation
Intelligence de l’espion : 10.
Bonus pour Sens du détail (+1)
Jet : 10. Réussi.

L’espion mentionne également dans son rapport qu’il a pu observer Cassandre emporter avec elle ce qui semble être une outre ou peut-être une amphore, probablement remplie de vin en gage de présent, ainsi que de nombreux rouleaux de parchemins avec elle. Qui que soit le destinataire de ceux-ci, elle traite avec pour une affaire, c’est évident. Un détail insolite a également frappé l’espion. Sortie de chez elle drapée dans une robe aux tons sombres, il a clairement aperçu à quelques reprises des éclats clairs sous l’épais tissu du manteau qu’elle portait. Sa conclusion figure au bas du parchemin remis au comte Mirail ; l’on voyait ses chevilles.

Deuxième visite chez Cassandre - 13 Avril - Au petit matin.

Citation :
Conséquence de l’échec de discrétion précédent : la première visite remplace donc la deuxième, qui se déroulera après le délai du 17 avril.

Citation :
Test d'espionnage / contre-espionnage

Test de discrétion des espions Mirail : 4. Réussi.
Test d’efficacité des espions Rocheclaire : 12. Mirail wins.

Rapport de mission au jour sixième. Notre espion s’est remis de la rixe passée, et nous avons également été plus efficace en terme de discrétion, pouvant ainsi identifier les personnes qui cette fois se sont rendues chez les Rocheclaire, sans pour autant nous faire repérer nous-mêmes. Nous ne les connaissons pas. Trois personnes, de mise de qualité, soit au minimum des bourgeois, sont arrivés au petit matin. Un homme à la chevelure claire d’environ la vingtaine, le visage juvénile, sa femme, une brune svelte à la robe richement brodée, et ce qui semble être leur descendance, un enfant d’une dizaine d’années environ.

Citation :

A la fin du rapport se trouve une description et un croquis des personnes entrées chez les Rocheclaire.
Homme : Cheveux blond cendrés, taille moyenne, mise riche. Corpulence fine, démarche un peu précipitée, doté d’une canne au pommeau d’argent. Attitude arrogante. Longueur des cheveux : longs, nuque dépassée. Etait vêtu d’une cape de couleur anthracite.
Femme : Cheveux châtain clair, taille inférieure à celle de son mari. Mise riche. Corpulence chétive, néanmoins d’une attitude plus arrogante encore que celle de son mari. Voix nasillarde, très désagréable. Du mal à suivre la démarche de son époux.
Enfant : cheveux blonds clair, visage rond, jovial. Ressemble fort à son père, voix aussi désagréable que la mère. Mise riche également.


Test mystère E.M.M : 3. Ah ah ah.

Citation :
Test :Filature des invités après départ du manoir des Rocheclaire

Jet : 9. Réussi.

Test mystère E.M. : 2. Ah ah ah.

Le couple et sa progéniture n'ont rien fait de spécial durant leur retour. Ils se sont rendus dans une maison, visiblement onéreuse et bien bâtie, au dessus d'un commerce de bijouteries. Nous sommes restés en poste à tour de rôle pendant toute la journée, mais rien de significatif n'a été aperçu, si ce ne sont quelques ombres aux fenêtres et des bruits d'enfant jouant. Rien d'autre.

Quatrième Excursion de Cassandre - 14 Avril, à la mi-journée.

Citation :

Sortie de Cassandre et ses neveux en début d’après-midi. Sortie pour le moins inintéressante, bien que la description des neveux et de la jeune femme soit notifiée sur un autre rapport. Elle s’est contentée d’une promenade sur l’Esplanade avec les deux enfants, n’échangeant avec personne, si ce ne sont quelque politesses avec les quelques nobles ou soldat parcourant également la place. Au mieux l’espion aura noté la ressemblance familiale entre les deux Rocheclaire nains et leur tante, ressemblance renforcée par la similitude de leur apparât, visiblement fait de la même couturière. Et de la verve de Cassandre à les garder près d’elle, également.

---

Peu après l’entrevue avec Cassandre, Morion était resté un bon moment, dans son bureau. En premier lieu à ne rien faire, si ce n’est revivre mentalement l’entretien qui venait d’avoir lieu. Comme toujours après une réunion, il se posait la question de savoir s’il avait employé les bons mots, et en profitait pour graver actions et dialogues dans sa mémoire afin de ne rater aucun détail, dans le cas où ce souvenir viendrait à lui être utile. Méthodique jusqu’au bout, il préférait soigneusement enregistrer et étiqueter chaque chose qu’il vivait. D’une part car nombre d’entre elles finissaient consignées dans ses archives, et ensuite, car la mémoire était, tout comme le reste de son corps, un muscle, qui nécessitait entretien et exercice. En sus de cela, l’homme prenait également soin de noter les réactions et mots de ses interlocuteurs, pour pouvoir les analyser quand le temps ou l’heure s’y prêtait. L’on pouvait apprendre beaucoup d’un regard, d’un rictus, d’une moue ou d’une mimique, bien plus que par les mots qui, dans le milieu professionnel comme le milieu noble en général, étaient bien souvent des façades, un vélum dissimulant la pensée derrière leur bruissement mélodieux. Ou non. Il avait à quelques reprises anticipé une traîtrise ou démasqué une haine profonde dissimulée sous le tulle de l’affabilité.

Puis il s’était remis au travail. Très sérieusement, la dernière missive envoyée par les espions qui traquaient les Ventfroid était réellement préoccupante. Qu’ils sachent où ils aillent, encore… N’importe quel espion assez doué pour ne pas se faire repérer en était capable. Pour qu’ils sachent pourquoi ils se déplaçaient en revanche, c’était bien plus étonnant. Et le personnel de maison n’échappait pas à l’oeil inquisiteur de Morion. Pas plus qu’il n’avait échappé à l’interrogatoire de son épouse, qui si traître il y avait, aurait du mettre en exergue certains faits, certains indices a minima. Mais non, rien. Restait la possibilité que l’un d’entre eux soit si doué qu’il puisse à volonté déjouer la pression appliquée par ses maîtres, et feindre la soumission ou la contrition dans le seul but de ne point être démasqué. Ce dont Morion doutait fortement. Il avait, excepté pour le chef marmiton, été le seul juge des domestiques qu’il avait employé à son service. Il avait fait enquêter à leur sujet, afin de bien être certain que ces personnes ne possédaient pas quelque allégeance soustraite aux yeux du grand public. Et tout était très net les concernant, il n’y avait aucun problème. Alors comment diable en étaient-ils arrivé à un tel niveau de précision les concernant ? Et si leur but n’était pas de leur nuire sérieusement - la question se posait, mais si tel était leur objectif, leurs renseignements auraient suffi à les faire pendre depuis longtemps - alors quel était-il ? La peur ? Morion y était pratiquement insensible. Elle ne se manifestait que lorsque cela concernait un tiers membre de sa fratrie, ou lorsqu’il s’agissait d’Ambre - la découverte de ce sentiment avait d’ailleurs été une fort désagréable surprise. Faire pression sur lui était donc totalement inefficace, or les missives ne lui étaient données qu’à lui. Semer le doute ? Là au moins la réussite était certaine, mais pour quelle finalité ? La question était un épais mystère.

Après quelques heures supplémentaires à plancher sur cette insoluble énigme, il finit par rendre les armes. C’en était assez pour l’instant, et le temps ne manquerait pas pour s’y attarder. Il se remettait de mieux en mieux de ses anciennes blessures, mais était tout de même restreint à une certaine catégorie de mouvements. Aller au domaine lui était toujours impossible, par exemple, tout comme passer la journée dehors à marcher.

Il prit donc la direction de l’atelier. Sa femme n’avait voulu voir Cassandre, et eu égard à leurs derniers maux, il pouvait parfaitement comprendre cette volonté, mais il doutait qu’elle soit réticente à l’idée d’avoir quelque compte rendu de la situation. Elle avait fortement approuvé sa décision de la faire venir ici pour discuter de tout cela, le doute était permis quant à son envie de rester dans l’ignorance à ce sujet.

Il toqua deux fois à la porte du Manoir et s’annonça oralement avant d’entrer. Il tenait encore en main la clé que Cassandre lui avait laissé. Un peu rageusement. Il finit par entrer une fois la réponse de sa femme donnée, et comme à chaque fois qu’il pénétrait la pièce humant les pigments, la peinture, et encore quelques vestiges de bois, de vernis, ou encore le parfum de son épouse, avec un certain plaisir, il se tourna vers elle. Aucune expression particulière ne filtrait, il était simplement venu rendre compte des événements. L’entrevue l’avait laissé un peu perplexe au début, mais finalement il s’était convaincu lui-même de la justesse de ses choix et des propos qu’il avait tenu. Le fait que Cassandre lui remette elle-même les clés était en bonus, et lui faciliterait grandement la tâche à l’avenir.

«Cassandre est déjà partie il y a un moment, mais j’ai travaillé encore un peu. De toute façon, se dit-il, elle devait avoir entendu les portes claquer sur le passage de la vicomtesse. Nous nous sommes mis d’accord et… Il entrouvrit la main qui tenait la clé, révélant le petit objet et le tendant à son épouse. Elle m’a rendu ses clés. Nous étions tout d’abord supposés fixer des dates précises de rendez-vous et une annonciation obligatoire avant qu’elle ne vienne ici. Ainsi, même avec ces clés, tu aurais été avertie de toutes ses visites. Elle n’a pas jugé nécessaire de les garder.»

Il les posa sur une table de l’atelier, puis croisa les mains dans le dos, pensif, et tourna un regard neutre vers Ambre.

«Je ne sais que penser de tout ceci. Premièrement, sache qu’elle me semble franchement étrangère à toute cette histoire. Peu d’intérêt à faire ce genre de choses, si ce n’est te nuire personnellement, mais en ce cas elle serait elle aussi immédiatement sanctionnée par ricochet. Donc je trouve logique qu’elle n’ait rien tenté à ce sujet. Elle n’a guère évolué longtemps dans le manoir seule, semble-t-il. A moins que tu aies constaté une effraction, quelque chose de ce goût, je suis prêt à la croire. Le reste… Je lui ai fait entendre ton avis, et le résultat est posé sur la table. Avis qui me semblait juste, par ailleurs, que je n’ai donc pas cherché à nuancer.»

Une petite moue déforma brièvement ses lèvres, puis il soupira doucement.

«Je crains cependant que tu te sois faite une ennemie sérieuse, mon amour. Elle n’osera rien faire tant que je serai là mais… Les choses ne se déroulent vraiment pas bien, ces temps-ci.»

Il faisait à dire vrai référence à une période beaucoup plus large que cette simple esclandre. Entre Saurell, le Labret qui ne s’était pas déroulé aussi bien que les hérauts le contaient, puis les espions, puis Cassandre… les choses, les certitudes, elles se fragilisaient, c’était certain. Et la fracture de leur unité, pas aux Ventfroid, mais entre lui et les Rocheclaire, par les décisions qu’il prenait, voilà qui pouvait leur porter préjudice, également.

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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptySam 29 Oct 2016 - 3:06
Ambre se massa les yeux, longuement, avant de faire glisser ses doigts sur ses tempes et libérer sa vue. Penchée sur son bureau par-dessus la liasse de parchemins, elle réfléchissait. En ce début d’après-midi, elle était passée chez son frère Evan, qui lui avait remis les premiers fruits de l’espionnage qu’elle avait lancé contre Cassandre de Rocheclaire. L’entrevue avec Evan résonnait encore à ses oreilles.

- Je n’avais point eu l’occasion d’en reparler avec toi, ma sœur, depuis cette demande. Mais pourquoi une telle surveillance contre une espionne de ton propre mari ? avait demandé Evan en lui remettant les documents, qu’il avait déjà tous lus lui-même.

- Je ne lui fais pas confiance. Cette femme ne m’aime pas et lorgne sur mon époux, mon frère. Je préfère me prémunir des actions inconsidérées potentielles d’une femme jalouse à mon encontre.

Evan haussa un sourcil, trouvant la justification un peu faible.

- Vraiment, Ambre ? Une dizaine d’espions pour une simple affaire de jalousie ? Serais-tu devenue déraisonnablement possessive depuis ton mariage ?

Ambre avait froncé les sourcils, retenant un instant une réplique. Il y avait des choses qu’elle devait taire. C’était malheureux, elle qui avait depuis tout temps tout confié à son frère. Désormais, ses projets contre le Duc l’empêchaient de tout lui dire. Même si elle ne disait presque rien sur les dangers qui entouraient les Ventfroid à l’heure actuelle, Evan n’était pour autant pas dupe, et se laisserait difficilement berner par sa sœur soi-disant beaucoup trop précautionneuse pour une simple rivale amoureuse.

- Nous recevons des lettres étranges, Evan. Des menaces anonymes. Quant à Cassandre, elle s’est montrée menaçante envers moi, à de nombreuses reprises. Mais tu ne feras rien ni ne dira rien, rajouta Ambre avec un ton beaucoup plus prononcé alors qu’Evan avait voulu rajouter quelque chose, soudain un peu stupéfait des nouvelles. Je ne puis te donner tous les détails, et je préfère de toute manière voir avec Morion avant de mettre quelqu’un plus avant dans la confidence. J’ai simplement des doutes sur l’environnement proche de mon mari, et il est nécessaire pour moi de faire surveiller cette femme. Il l’estime beaucoup trop, il baisse sa garde avec elle. C’est pour cela qu’il ne doit jamais savoir que j’ai lancé mes espions contre elle. Tu entends ?

Evan s’était braqué à la simple mention de la réception de lettres de menaces. Ses lèvres s’étaient figées, ses yeux étaient sombres soudain.

- Des menaces ? Si le responsable des missives anonymes avait été présent là de suite, sûrement le comte de Mirail l’aurait tué sur place. Et ce n’est que maintenant que tu m’en parles ? Il attrapa le bras de sa sœur, l’empêchant de se dérober avec les documents. Je ne dirai rien pour cette Rocheclaire, mais enfin, ne t’enferme pas dans le secret ainsi, Ambre. Tu viens d’une famille puissante, sers-t’en, et ne t’isole pas sous prétexte qu’il ne faut pas ébruiter l’affaire. Des adversaires isolés sont toujours plus vulnérables, et vos maîtres-chanteurs, quels qu’ils soient, en seraient grandement avantagés.

Ambre secoua doucement la tête, silencieusement, son regard céruléen planté dans celui de son frère.

- Agir trop vite est le meilleur moyen de laisser passer notre chance. Tout cela doit rester dans l’ombre pour l’instant. Mais, vois : je ne suis point inactive. Je ne te demanderais pas la présence de nos espions si je ne considérais pas cela primordial.

Evan ne lâchait pas le bras de sa sœur, et dévisageait cette dernière d’un air très sérieux, avec une légère pointe de… déception ?

- Tu deviens secrète, Ambre. Nous n’avons jamais été si peu proches que depuis que tu as rencontré cet homme. Il est bon envers toi, tu es heureuse, je le sais, mais… Père aurait peut-être dû peser plus longtemps sa décision avant de te lier à cet homme et à sa famille.

Ambre aurait pu s’attendrir que son frère lui fasse comprendre indirectement qu’elle lui manquait. Lui expliquer que désormais sa vie n’était plus uniquement consacrée aux Mirail, mais aussi aux Ventfroid, et qu’un couple marié aurait toujours un jardin secret que même un frère de sang ignorerait. Mais elle ne fit rien de tout cela. Sur le coup, la remarque la blessa, et elle figea un regard froid sur Evan, toute compassion ou compréhension ayant disparu de son visage.

- Surtout, ne deviens pas égoïste, Evan, gronda-t-elle en retirant brusquement son bras de la poigne de son frère. Recevoir des menaces et avoir des ennemis n’est pas inhérent aux Ventfroid. Même si notre famille n’en a eu que peu, tu sembles l’oublier un peu trop facilement. Ne rejette pas la faute sur cet homme et sa famille, mais plutôt sur les fils de gaupe que j’essaye d’attraper. Et quand bien même cette famille serait un nid de vipères, c’est désormais la mienne.

Ambre eut un petit rictus sec sur les lèvres, mais après quelques inspirations, tenta de se calmer. Elle quitta son air agacé pour prendre le visage de son frère entre ses mains et forcer le regard entre eux.

- Je ne t’oublie pas, petit frère. S’il y a des choses que je tais, c’est aussi pour t’épargner, et te protéger. Je ne puis plus agir uniquement en tant que sœur, désormais. Je suis devenue une épouse et je serai bientôt mère. Laisse-moi gérer tant que je le peux.

Si la situation devenait trop dangereuse, oui, elle ferait appel à son frère. Mais pas pour l’instant. Elle avait peut-être fait une erreur en lui confiant tout cela : même sans aucun détail précis, c’était déjà trop pour Evan de Mirail et sa surprotection naturelle envers sa famille. Cela avait été inévitable cela dit. Ambre ne pouvait pas manier les espions des Mirail sans que le comte de la famille ne le remarque, cela serait sous-estimer son frère.


Désormais, Ambre était rentrée au manoir Ventfroid, dans son petit atelier. Les documents sensibles concernant l’espionnage étaient restés chez les Mirail pour plus de précaution – hors de question d’avoir la sottise de pouvoir se laisser prendre par son propre mari avec ça. Malgré tout, elle avait lu les rapports avec soin dans son ancienne demeure, à tel point que chaque lettre semblait être gravée dans sa rétine.

Cassandre bougeait beaucoup. Beaucoup trop. C’était l’inconvénient d’une espionne. Déterminer quels étaient ses déplacements pour le compte de Morion et quels étaient ceux qu’elle faisait à titre personnel était très, très difficile, étant donné que jamais Morion ne lui communiquait les détails sur les affaires en cours avec cette espionne. Ambre ignorait le contenu de chacun de leurs entrevus, ce qui était réellement problématique.
L’achat de belladone, à titre d’exemple. Comment savoir si elle devait s’en inquiéter ou si cette commande avait été demandée par Morion pour une cible délicate ? « Ah, j’y pense, mon chéri, tu n’aurais pas prévu d’assassiner quelqu’un par empoisonnement avec ta blonde, récemment ? » Cela n’était décemment pas le genre de question qu’elle pouvait poser, encore moins si elle voulait conserver son espionnage contre la Rocheclaire secret. En clair, cette histoire de belladone pouvait soit être tout à fait anodine, ou particulièrement alarmante. De nature prudente, Ambre opta pour la seconde option. Elle ne pouvait réellement rien faire contre ça, les cibles potentielles étaient innombrables, mais partant de l’hypothèse que la Rocheclaire possédait des envies de meurtre contre elle, la comtesse redoublerait d’attention sur ce qu’elle boirait.

Son passage dans la demeure d’un noble de l’Esplanade à la tombée de la nuit était fort intéressant, plus intéressant que l’achat de poison pour l’instant. Cela dit, elle fut fort agacée à la lecture du rapport. « Appartenant à un baron ou un vicomte que je n’ai point réussi à identifier. » C’était une plaisanterie ? Comment ses espions pouvaient seulement ignorer l’identité des nobles vivant sur l’Esplanade ? Un quartier fermé, caractérisé par son faible nombre d’habitants, où les ragots explosaient dès qu’on mettait un orteil dehors, et où chaque famille connaissait chaque blason allié ou adverse ? Si au moins ils avaient eu la décence de préciser de quel manoir du quartier il s’agissait, Ambre elle-même aurait pu déterminer à qui appartenait les lieux, qu’il soit natif ou migrant depuis la Fange. Tout se savait, ici, tout particulièrement dans la noblesse. Ce manque d’information, bateau à obtenir mais pourtant essentiel, fit serrer les dents à la comtesse durant de longues minutes, prête à aller secouer ses propres espions pour incompétence. Mais elle finirait par le savoir, aussi, ce n’était que partie remise.
Le fait que Cassandre y soit allée avec une robe plus courte que la norme était un détail intéressant. Avait-elle un amant ? Cela ne serait pas étonnant ; c’était une très belle femme. Ambre espérait fort que cela était le cas. Son potentiel amant pourrait devenir une cible ou une source d’informations primordiale. Cependant, quelque chose faisait tiquer Ambre dans cette théorie. La comtesse connaissait parfaitement les inclinaisons de Cassandre pour Morion. Si elle le pouvait, cela serait dans la couche de Morion qu’elle écarterait les cuisses. Réussissait-elle réellement à pouvoir éprouver du désir pour un autre homme malgré ses sentiments pour le Ventfroid, ou était-ce une forme de manipulation pour se mettre le potentiel amant dans la poche ? De ce qu’elle connaissait de la vicomtesse, la dernière solution paraissait la plus probable. Mais là encore, il existait trop de zones d’ombre. Connaître l’identité de cette personne à qui elle avait apporté du vin ferait avancer les choses.

La filature ratée près du Temple, malgré son massage de tempes intensif, Ambre n’en retira rien du tout. Elle ne voyait pas ce que Cassandre aurait pu faire de suspect dans cette zone : une simple visite au Temple pour des offrandes et des prières était même probable, même une espionne faisait parfois autre chose de sa vie que de l’espionnage. Si ses activités avaient été autres, cela dit, eh bien… Ambre n’avait rien d’autre grâce à l’incompétence de ses hommes. Aucun moyen de déduire quoi que ce soit de cette sortie-là.

Enfin, la « famille » ayant été reçue chez les Rocheclaire, Ambre n’y aurait pas accordé grande attention, mais… Le fait était qu’après avoir senti être espionnés, ils avaient repoussé la visite. Sans forcément être suspect au point d’envoyer tous ses espions aux trousses de ces inconnus, c’était néanmoins un détail fort intéressant à noter. Là encore, cependant, ses espions la déçurent. Aucun nom. Etaient-ils si peu au fait de l’identité des nobles et des riches de la cité ? Canne au pommeau en argent, vêtures riches et brodées : ces personnes avaient une situation certaine à Marbrume, et pourtant ils n’avaient pas été reconnus. C’était rageant. Affaire à suivre, donc, même si la description de ces personnes était étrange. Un homme de la vingtaine dont le fils avait une dizaine d’années ? Elle savait que les mariages se faisaient tôt mais tout de même. Les informations de ses espions étaient étranges, au point de faire tiquer un peu la comtesse. Soit ça n’avait pas été leur semaine et ils s’étaient montré particulièrement peu intelligents, soit… Ambre pianota sur la surface de son bureau, agacée. Pouvait-elle vraiment avoir confiance dans tous les rapports ? Il faudrait rester prudent là-dessus également.


Citation :
Actions finales d’Ambre (sur la base d’une dizaine d’espions utilisés pour ton mjitage précédent) :

- Faire surveiller la maison bourgeoise des invités étant passés chez les Rocheclaire et trouver leur identité ainsi que leurs activités/leur métier dans la vie, l’état de leur famille, arbre généalogique si possible, etc – 2 hommes

- Faire surveiller le manoir dans lequel Cass s’est introduite avec une outre de vin et les chevilles à l’air pour déterminer qui y vit si les espions sont toujours aussi teubés concernant la connaissance des personnes vivant à l’Esplanade – 3 à 4 hommes si besoin. Si/lorsque l’identité aura été déterminée, abaissement à 2 hommes pour la surveillance de l’activité des lieux, les espions libérés iront surveiller le manoir Rocheclaire pour toute entrée/sortie/visite, quelle qu’elle soit, même sans Cassandre dans les parages.

- Continuer à surveiller les déplacements de Cassandre – 4 hommes

Surveillance constante, tous les jours, pour une période indéterminée.

Surveillance générale à propos de morts inexpliquées, insolites, qui surviendraient après l’achat de belladone, dans la sphère mondaine de la cité ou toute autre sphère assez importante pour être notée.

Eviction de l’espion mis en cause dans une rixe suite à l’échec critique, supposant que sa couverture a été mise en péril ou que son visage serait plus aisément reconnaissable : retiré de l’affaire et remplacé.

Rencontre une fois par semaine d’un des espions principaux de l’affaire et dont la fidélité est certaine, avec Evan de Mirail, pour vérification que chacun des rapports proviennent bien de ses hommes et pas de personnes extérieures qui auraient pu interférer et falsifier les documents – les espions Rocheclaire notamment.


Toute cette gestion avait rendu Ambre fébrile. Ses nombreuses réflexions et les décisions à prendre pour la marche à suivre lui avaient fait bouillir le cerveau, et un mal de crâne semblait couver, prêt à la faucher pour achever sa fatigue journalière. La jeune femme soupira, rabattant son dos contre le dossier de son fauteuil. Elle jeta un regard circulaire à son atelier. Il était dix-huit heures, et le soleil déclinait doucement dans le ciel, dehors. Ambre n’avait pas vu la journée passer, ni prit le temps de faire une sieste que son corps en gravidation réclamait pourtant à grand cris.

Cassandre était passée au manoir dans la journée, elle le savait, mais Ambre était enfermée dans son atelier depuis son retour du manoir Mirail. Pour le coup, elle avait complètement oublié l’entrevue avec son époux l’espace de quelques heures, trop affairée par ses rapports, mais désormais qu’elle se posait un peu, ses pensées y revenaient doucement. Mais elle n’attendait rien de cet entretien. Morion reviendrait en disant qu’elle n’avait rien à voir dans cette histoire, et cela s’arrêterait là. Pour une fois, le comte allait agréablement la détromper.

Lorsque Morion frappa à la porte de son atelier, la comtesse sursauta presque, rangeant subitement par réflexe les papiers présents sur son bureau, avant de se souvenir que c’était inutile. Il s’agissait là de documents aucunement secrets : les rapports de ses espions étaient restés au manoir Mirail. A force de réfléchir sur cet espionnage qui était fait dans le dos de son époux, elle avait réagi par réflexe, inutilement. Il n’y avait rien à ranger. Alors, elle lui permit d’entrer grâce à quelques paroles lancées à travers la porte.
Ambre eut un léger sourire pour son époux, un peu réticent ; elle n’aimait déjà pas le sujet qu’ils allaient aborder, car elle savait bien que Cassandre en serait l’élément principal. Cependant, lorsque le comte montra la petite clé dans sa main, elle fut quelque peu surprise. Les sourcils froncés, son esprit se bloqua pendant quelques instants. Elle était prise au dépourvu, et ne parvint pas à le cacher. Si Morion n’avait pas demandé le retour des clés, c’était tout de même parce qu’il avait demandé à ce qu’elle ne prenne plus la liberté de passer sans s’annoncer qu’elle les avait rendues. C’était quelque chose qu’il n’avait pourtant pas laissé paraître lors de leur dispute. Il n’avait rien laissé démordre. Ce qui, aujourd’hui, étonnait Ambre en contrecoup pour ce revirement de situation. Pourquoi avait-il changé d’avis ?

- C’est une bonne chose, termina-t-elle par répondre après avoir fixé longtemps le métal brillant des clés. Je dormirai mieux. Je ne saisis cependant pas pourquoi tu avais répliqué avec tant de… virulence… si c’est pour finalement accéder à ma requête. Tu es têtu, Morion de Ventfroid.

Mettant un peu d’ordre sur son bureau, la comtesse rangea quelques parchemins rebelles pour retrouver la surface du bois. Quand ce fut chose faite, elle se leva, faisant le tour du meuble pour se rapprocher du comte.

- Je n’ai pas constaté de trace d’effraction ; je t’en aurais parlé depuis bien longtemps dans le cas inverse. La rousse haussa un léger sourcil juste après. « Je lui ai fait entendre ton avis, et le résultat est posé sur la table », avait-il dit. Il éludait énormément les détails. Ambre n’avait pas besoin de les avoir pour deviner qu’elle avait mal pris la nouvelle cela dit. Si tu la penses innocente, alors, je m’en remets à ton jugement pour cette fois.

Ambre pinça les lèvres. Elle se retenait difficilement de poser des questions, de remettre en cause une version qui finalement ne possédait aucune preuve.

- Une ennemie sérieuse, répéta Ambre en écho aux paroles de son époux. Là, elle avait cligné des yeux, un peu hébétée, ne comprenant pas son époux. Une ennemie sérieuse ? rajouta-t-elle encore, dans un comique de répétition. Comment peux-tu arriver à cette conclusion en restant si… stoïque ? J’ignore ce que tu entends par « sérieuse », mais, de mon côté, cela évoque un danger de mort. Comment peux-tu envisager de laisser ce type de danger m’approcher de si près ? Comme il l’avait dit, les choses ne se déroulaient pas bien en ce moment. Ambre lâcha un petit rire nerveux, incontrôlable. Tu ne seras pas toujours là pour me protéger, Morion. Et quand bien même, tu ne fais que repousser le problème. La tolérer alors qu’elle tuerait pour être à ma place, je saisis difficilement l’idée… Il n’y avait aucune colère dans sa voix, juste… de l’incompréhension ? Un peu de peine, aussi, que son époux fasse si peu de cas d’une « ennemie sérieuse », comme s’il n’avait que faire de risquer la vie de son épouse. Elle t’aime, Morion. Tu le sais sûrement depuis bien plus longtemps que moi. Je ne saisis pas pourquoi tu lui laisses autant de libertés en sachant cela. C’en est malsain.

Ambre n’avait bien évidemment pas tous les éléments. Il lui manquait même un gros morceau pour faire le lien. Des doutes quant à une attirance réciproque, elle en avait déjà eus, mais elle était encore très loin de se douter que ça avait mené à la production d’une descendance. C’était surtout cette incompréhension, teintée de lassitude et d’une pointe de mélancolie qui transparaissait. Pas de colère pour ce soir, la comtesse était trop fatiguée. L’assassinat de Saurell d’il y a deux jours les avaient tous éprouvés : son interrogatoire n’avait strictement rien donné. Ambre n’avait pas la force de se fatiguer de façon supplémentaire avec une autre dispute. Elle était lasse.

Elle termina par prendre une main de son époux et la caresser doucement d’un pouce.

- Cela s’améliorera. Je ne sais pas encore quand, mais je prierai pour que les choses se déroulent mieux. Les dieux nous doivent bien cela, après tous ces évènements.

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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 9 EmptySam 29 Oct 2016 - 17:42
Ceux qui connaissent Morion vous le diront. C’est un homme très réfléchi. S’il est efficace de tout temps, la hâte n’est pas un sentiment qu’il se plaît à apprécier; il prend le temps de planifier les choses, exposer, lister et trier les faits avant d’y apposer ne serait-ce que l’ombre d’une réaction. Si parfois le temps peut manquer, il s’activera en conséquence, mais jamais de gaieté de coeur. Néanmoins ce que l’on vous dira moins, c’est qu’il est également sujet à de brutales lubies, dont le sens où la finalité peuvent rester parfois obscures. Sa toute première visite chez les Mirail en est un bon exemple. En temps normal, ou en se basant juste sur les aspects de la personnalité du comte les plus connus, l’on n’aurait jamais pensé qu’il puisse se livrer à pareille fantaisie; acheter un tableau onéreux sous prétexte que la décoration de son bureau l’empêchait de travailler sereinement. Et le résultat était pourtant là. D’une lubie, il en venait à obtenir un nouveau tableau, se lier éternellement à sa créatrice, et assurer sa descendance.

Néanmoins… Cela n’entravait en rien sa capacité à réfléchir, de façon efficace. Prompt à se débrouiller par lui-même, de nombreux et récents événements lui avaient appris à nuancer cette facette de sa psyché. Pas qu’elle ne lui apportât rien de bon, au contraire cela augmentait sa puissance et sa vitesse de travail. Mais il arrivait à des résultats souvent plus satisfaisants en se fiant, parfois, à l’avis d’autrui. Ou tout du moins en intégrant ce dernier à ses raisonnements. Ce qu’il s’était passé il y a peu.

«Etonnamment, il m’arrive de réfléchir, Ambre, répondit Morion d’un ton sarcastique. Si la virulence venait d’un discours porté sur des choses pour lesquelles les données te manquaient, et peut-être par l’incompréhension mêlée de la tension accumulée ces derniers mois, tes paroles ne manquaient en aucun cas de justesse. Et il s’avère, dit-il en prenant les mains de sa femme entre les siennes, que j’accorde, quoi qu’il arrive, plus d’importance au bien-être de mon épouse qu’à celui de mes vassaux. Peu importe ce que mes actes peuvent laisser penser, c’est un fait qui n’a aucune vocation à muer.»

Et en cela il était sincère. Qu’il aille dans le sens opposé des indications de sa femme, qu’il trouve scandaleux qu’elle trouve quelque chose à redire à ce qu’il trouvait juste ou non, les choses ne changeaient pas pour lui. Elle était sa femme, son associée complotiste, la mère de ses enfants. La dynastie Ventfroid se prolongerait avec et grâce à elle, il n’avait en aucun cas l’intention de la laisser pour compte. Il se jugeait cependant assez bon décisionnaire pour faire ce qui lui plaisait quand cela lui chantait, et ce peu importe les remontrances ensuite. Il avait toujours fait ainsi, même lorsque son père était encore de ce monde. A vrai dire, passé un certain moment, quand Morion avait atteint la maturité nécessaire pour gérer par lui-même les affaires familiales, le droit de regard d’Isidore, s’il était toujours présent, avait laissé place à une voix de conseiller distrait, de force de proposition aussi rare qu’aléatoire. Alors qu’Isidore s’occupait essentiellement de relations publiques, de la représentation physique et personnelle de la maison des anciens nordiques, Morion tirait les ficelles de son côté, au point d’en contraindre son père à certaines actions. Bref, Morion n’avait passé qu’une assez courte période de sa vie avec un chaperon, il avait presque toujours été seul juge et bourreau. Qu’une femme - même la sienne, qu’il aimait pourtant - vienne littéralement piétiner une habitude ancienne d’au moins une décennie et demie, voilà qui l’avait secoué, et mis son sang-froid légendaire en pâtée. Pour un temps, en tout cas, comme le prouverait la suite de la conversation, notamment au sujet de la vicomtesse.

Il relâcha la pression de ses mains, un rictus désabusé pointant sur ses lèvres. Son stoïcisme n’en faisait pas un homme de lui préoccupé. Mais peut-être était-il tout simplement rompu aux conflits divers et variés, et que son interprétation de la situation était différente. Elle méritait des explications en tout cas. Il fit quelques pas en direction de la fenêtre la plus proche, qu’il ouvrit en grand pour profiter de la vue sur le cloître, à la luminosité clairement déclinante. Un délicieux, ou en tout cas ravissant moment de la journée. Pour ses yeux, en tout cas. Nul doute que sa mère aurait trouvé quelque partition à interpréter ou composer pour rendre hommage à l’arrivée du sombre tulle de Rikni sur le monde. Lui n’y voyait qu’un beau spectacle.

«Comment gères-tu un ennemi déclaré, Ambre ? Il avait posé ses mains sur le cadre de la fenêtre, penché en avant, et légèrement tourné son visage pour conserver sa femme dans son champ de vision. C’est une question importante. Quand il fait partie d’une armée, c’est simple, il se trouve que généralement tu es dans le camp opposé et que vous êtes voués à vous entre découper. En revanche, quand cet ennemi est supposé être dans ton propre camp, comment fais-tu ? Il tourna la tête pour savourer l’espace d’une seconde un souffle d’air entrant discrètement dans la pièce, puis reprit. Moi je fais ainsi; je les conserve à mes côtés. Aussi proche qu’il est possible de l’être. Je suis d’autant plus vigilant, mais je ne les éloigne pas. Nous ne sommes pas censés savoir qu’ils sont nos ennemis. Ou en tout cas, pas censés deviner leurs intentions. Si nous les éloignons, nous trahissons notre méfiance. Cela peut alors donner lieu soit à un schisme, malheureux quand l’ennemi en question est aussi une arme, soit à une prise de décisions inconsidérées dont les conséquences sont impossibles à anticiper. Connaissant Cassandre, nous sommes dans les deux cas en même temps. Elle risque de hurler sa rage par un acte de fou si je m’ampute de ses services ou lui fais comprendre qu’elle n’aura plus aucun privilège, et de fait, ne sera plus utile.»

Il fit une petite, pause, se retournant totalement, dos au vide. C’était même plus grave que cela, en vérité. Il ne connaissait lui-même pas le nombre de relations que Cassandre pouvait avoir. Cela n’était pas dérangeant lorsqu’elle lui était entièrement dévouée, désormais qu’il était aussi épris que lié à une femme qu’elle haïssait profondément, cela pouvait devenir extraordinairement dangereux. Il constata, avec une très légère pointe de remords, que cette situation… l’excitait. A huis clos, étrangement, les manigances de ce genre étaient devenues plus rares dès lors que la nébuleuse de leur caste s’était faite plus nette, et bien moins ample que ce qu’elle pouvait être du temps de la grandeur de Langres. Il retrouvait son goût à l’intrigue. Et son goût au danger. C’était mauvais…

«Tant que je vivrai, Ambre, il ne t’arrivera rien. Tu t’es mise en danger de mort dès que tu as franchi les portes de cette demeure, lors de ta première visite. Tu t’es mise en danger de mort avant cela, lorsque tu as peint cette toile dans ton atelier. Je ne peux rien contre cela. Contre le reste en revanche, c’est différent. Il esquissa un sourire sardonique d’assez mauvais goût dans cette situation, il fallait le reconnaître. Nous allons jouer un peu mon amour. Juste un peu. Je suis tout à fait conscient que nous courons tous deux au devant de graves problèmes. Mais qui vainc sans péril triomphe sans gloire. Il fronça les sourcils, la remarque sur l’amour de Cassandre l’affectant visiblement. Bien. Je sais qu’elle est encore éprise. J’en use, j’en abuse même. Et en cela je reconnais que je prends sciemment la décision de te mettre en danger. Mais si l’arme qu’est Cassandre se retournait contre moi dès maintenant, je serais impuissant à nous protéger. Tout ce que nous avons besoin de faire pour l’heure, c’est de faire preuve d’habileté. Si elle te hait autant, c’est parce qu’elle sait que rien ne me fera changer d’avis, et parce que tu t’avères être une extraordinaire bonne épouse. En d’autres termes, elle n’a aucun espoir de figurer un jour dans le panthéon familial.»

Il se massa la tempe légèrement avant de finir par cracher ce qu’il avait sur le bout de la langue.

«Notre entreprise n’est pas qu’un énorme risque. Dès que nous avons tous deux pris la décision d’en finir avec la famille de Sigfroi et Sigfroi lui-même, nous sommes entrés en guerre. Et d’autres éléments, ces espions anonymes et étonnamment bien renseignés, nous poussent plus loin encore sur le chemin de cette guerre. Il faut que je me comporte non en tant que simple comte complotiste, mais aussi en tant que général, quoique mon armée est composée de peu d’hommes. Et même si ce n’est pas ta place, il faut que tu fasses de même. Et lors d’un conflit de l’ombre, les ennemis se trouvent aussi bien dans le camp d’en face que dans le nôtre. Aussi, il faut savoir user de ces armes comme ce qu’elles sont; des armes. C’est un jeu dangereux, mais nécessaire.»

Le terme “en guerre” était peut-être un peu fort, et pourtant tous les récents événements tendaient à le confirmer. Il ne s’agissait en aucune manière d’un conflit ouvert, où se présentaient, bannière au bras, les cavaliers et fantassins d’immenses armées venues régler leurs comptes ancestraux. Non, il s’agissait d’une guerre principalement morale. Et de toutes, c’étaient tout autant celles que Morion préférait que celles qu’il redoutait le plus. Elles pouvaient donner lieu, en cas de défaite, à des conséquences bien plus graves qu’un conflit armé classique. Et là où le nombre d’hommes, la qualité des armes et armures, la forme des montures étaient inutiles, il fallait composer avec l’habileté, la ruse, et parfois même la lâcheté et la folie.

«Cela finira un jour, oui. Mais en attendant, nous devons tout de même nous battre, et cela comporte un grand nombre de sacrifices à consentir. Quoi qu’il arrive, je ne laisserai rien t’arriver, Ambre. Et tu as toi-même suffisamment d’armes en ta possession pour m’aider dans cette tâche, ne penses-tu pas ?»
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