Marbrume


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 Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]

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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyMer 20 Juil 2016 - 20:54
De toute évidence, les propos d’Ambre avaient perturbé Morion, un peu, lorsqu’elle avait parlé de mourir pour parvenir à atteindre Sigfroi. Ambre elle-même, lorsqu’elle repensait à cette époque, se faisait frissonner elle-même. Elle était tombée dans une torpeur particulièrement profonde, en septembre, et un état d’indifférence rarement atteint. Sans aller jusqu’à se mettre en danger – elle n’avait jamais, au grand jamais, pensé au suicide –, elle s’était tenue prête, dans ses projets de vengeance, à devoir y laisser la vie. Mais de façon réfléchie et travaillée. Un adversaire qui était prêt à mourir était particulièrement dangereux, c’était un fait, l’on ne pouvait pas trouver plus grand sacrifice. Et par conséquent, contrer un tel ennemi alors que l’autre parti, lui, était loin de céder aux mêmes concessions, s’avérait compliqué.

Ambre était sortie de ces pensées depuis Morion, néanmoins. S’ils voulaient fonder une famille, honorer les dieux et assurer leur honneur, elle ne pouvait pas disparaître. Oh, bien entendu, il y avait des chances qu’elle y passe tout de même. Cependant il y avait une subtile différence entre prendre le risque de se faire prendre en faisant tout pour réussir, et considérer que sa mort serait nécessaire à son action. En la pointant du doigt, Morion soulignait bien que c’était un scénario inenvisageable, et que s’avérer fataliste ne seyait pas à la situation. Ambre sourit doucement à ses paroles.

- Jolie citation que voilà. Tu vois, j’en perds des choses à ne pas pouvoir encore lire l’héritage de tes ancêtres. Si les Ventfroid le disent… loin de moi l’idée de trahir les traditions les plus primordiales. Elle avait repris un ton un peu taquin malgré le sérieux du sujet, essayant d’avorter un peu leurs airs sombres. Après son œillade amusée cependant, son visage recouvrit son sérieux. Que Marbrume chute ou tienne, j’escompte bien vivre le plus longtemps possible, Morion.

Mais si leurs projets rendaient la chose impossible ? Si, un jour, la volonté de briser Sigfroi entrait en contradiction avec leur propre survie ? Que choisirait Morion ? La vie ou l’honneur ? Ambre prierait pour qu’ils n’aient jamais à faire ce choix-là. Peut-être pourrait-elle se sacrifier, un jour. Pour lui, pour leurs enfants. Elle était encore loin d’un tel état d’esprit néanmoins, et ferait tout pour qu’une telle situation ne se présente pas. Mourir pour quelqu’un… Il fallait étouffer son égoïsme, sa vitalité, l’envie de voir ses projets se réaliser, mais surtout, posséder un dévouement et un amour profonds pour la personne concernée. Ambre était encore dans le flou à propos de ses sentiments pour Morion. Elle tenait à lui, le désirait, mais pouvait-on déjà parler d’amour ? La comtesse elle-même l’ignorait ; ce qu’elle ressentait pour lui était tellement différent de ce qu’elle avait pu connaître par le passé. Elle ne savait pas encore déterminer si l’on pouvait aimer de plusieurs manières, ou si ses émotions envers Morion n’étaient pas encore développées. Alors que pourtant, la simple idée qu’il parte bientôt la mettait dans un état d’angoisse rarement égalé. C’était perturbant, de se sentir ainsi dans le flou et l’indécision. Comme si elle avait peur, en fait, d’admettre devant les dieux qu’elle oubliait Armand.

Sur ces paroles qui prenaient la forme d’une promesse, elle suivit donc Morion jusqu’au cloître, se blottissant contre son bras, épaules un peu recroquevillées sous sa cape de fourrure dans le but d’échapper au froid hivernal. L’hiver était pratique pour ça : une excuse toute donnée pour rechercher une proximité physique et la chaleur d’un câlin.

Ambre respira la fraîcheur de l’air, se laissant mener jusqu’à la bulle. Un terme assez mignon, mais bien représentatif du lieu qu’il lui présenta. Un petit havre de paix, au sein du cloître qui était déjà un petit paradis au milieu du manoir. Ambre leva les yeux au-dessus d’elle pour observer le dôme de bois, les grilles, les plantes. L’endroit devait être très agréable en été. Pour l’instant, des plantes grimpantes s’insinuaient dans le bois, montant autour d’eux, sans offrir à leurs yeux les couleurs de leurs fleurs. Ambre reviendrait lorsque le printemps se présenterait. Ses yeux d’artiste notèrent chaque détail, s’imprégnant de l’atmosphère. Ambre était déjà inspirée pour quelques touches de couleur sur une toile.

- Je l’aime déjà, souffla Ambre doucement, s’installant avec Morion sur un banc, mettant quelques secondes à se reconcentrer sur son époux.

Ambre resta silencieuse un petit moment après ça. Elle écoutait Morion, et laissa couler un silence même après qu’il eut fini sa nouvelle réplique. La question des enfants. Son époux éluda, un peu. Enfin, il décrétait qu’il préférait qu’ils soient élevés loin plutôt qu’ils ne meurent pour leur cause, elle avait entendu bien évidemment. Heureusement qu’il préférait cela, elle aurait commencé à se poser des questions s’il avait affirmé sans ambages qu’il les tuerait, scrupules ou non. Cependant le sujet était délicat, elle l’avait senti. Le comte ne savait pas lui-même ce que la situation les pousserait à faire. Ambre frissonnait un peu contre lui sur le banc, sa main dans la sienne, et ce n’était pas uniquement à cause du froid. Dans quelle situation Ambre pourrait-elle tuer ses enfants ? Les sacrifier pour Sigfroi, elle n’était pas certaine d’être capable d’aller jusque-là. Envisager sa propre mort était moins difficile, étrangement. En revanche, si un jour leur famille venait à être quasi condamnée, et acculée… La comtesse pensait qu’elle serait capable d’emporter sa progéniture avec elle, plutôt que la laisser entre les mains de Sigfroi. Tout dépendrait leur âge, mais laisser derrière elle des enfants qui ne se souviendraient même pas de leurs parents, incapables d’assimiler le nom qui était le leur, transformés en pantins du Duc… Autant les tuer avant, même si cette pensée l’horrifiait. Alors elle chassa ces sombres idées de son esprit elle aussi, s’appuyant à moitié contre le mur quadrillé de bois derrière elle et contre l’épaule de Morion. Sa tête se pencha doucement sur son époux, et elle resta ainsi immobile.

- Repoussons le sujet, oui, ajouta-t-elle. Nous n’aurons peut-être jamais à nous poser la question. Cela serait mieux ainsi. La mort de leurs enfants donnerait un gros coup à leur mariage, voire le briserait potentiellement, en effet, selon les circonstances de décès. De toute façon, à l’heure actuelle, attenter contre Sigfroi est trop tôt. Nous devons préparer notre terrain, asseoir notre influence et notre marge d’action… Mais le Duc reste utile à notre survie face au Fléau pour l’instant, c’est malheureux à dire, il est un mal nécessaire. Je vois mal qui pourrait gouverner d’une main de fer cette cité alors que la mort est à nos trousses, et que tous les autres nobles résidents actuels sont pour la plupart soit des étrangers, soit des femmes, soit des fous. J’aimerais à ce que les Rivain, dans le futur, remplacent la lignée que nous ferons tomber… même s’ils soutiennent un despote, ils sont droits, intelligents, et justes. Et beaucoup plus humains que Sigfroi. Ils feraient de bons ducs je pense… L’ennui c’est que nous risquons de devoir les écarter, voire les éliminer, pour atteindre Sigfroi… Même si trouver un moyen de contourner ce problème serait fort habile. Ambre fit une pause. Qui verrais-tu sur le trône, toi ?

C’était stupide, mais Ambre ne lui avait encore jamais posé cette question, alors qu’ils voulaient pourtant faire tomber leur suzerain, et que par extension, il en faudrait bien un autre pour prendre sa suite. Elle écarquilla un peu les yeux, silencieusement, alors qu’elle prenait conscience que, peut-être, Morion lui-même lorgnait sur ce pouvoir. Elle laissa la question en suspens sans rien rajouter cependant, et attendit tranquillement une réponse, tête toujours appuyée contre son épaule, main dans la sienne.

- Oh, je ne pensais pas à une démission ou à une mise à l’écart. Tu es le seigneur de Ventfroid. Tu as toute légitimité sur tes terres. Tu es vassal de Sigfroi, certes, et tu lui dois obéissance, mais il y a aussi des choses qu’un suzerain doit respecter chez ses vassaux. Il a déjà pris un gros risque avec l’affaire Sarosse – il en a fait des martyres. Continuer sur cette lancée cruelle et égoïste ne servira pas ses intérêts. Il ne pourra pas, comme ça, décréter que tes terres sont désormais siennes, et t’en retirer le commandement. Cela ne serait définitivement pas convenable avec nos lois, même s’il en a le pouvoir bien entendu. Même la fin du monde ne peut justifier des décisions qui vont à l’encontre de nos traditions. Elle reprit un peu son souffle. Non, je pense surtout qu’il fera investir ton domaine de ses propres forces miliciennes – pour, officiellement, t’aider. Ses hommes viendront défendre et consolider tes frontières, ils seront même sous le commandement d’Edric sur le terrain, peut-être. Mais il aura des yeux sur place. Et une influence assurée. Car, potentiellement, la survie de ton domaine deviendra alors dépendante de ses hommes. Quant à refuser son aide et sa présence, cela serait suspect de ta part. Je crains que tu n’y sois un jour contraint – autant pour sauver tes gens qui se meurent à petit feu que pour donner l’impression au Duc qu’il contrôle.

C’était le truc. Il faudrait peut-être laisser du terrain au Duc, lui donner une parcelle d’influence supplémentaire, que pour mieux le leurrer et le manipuler à leur guise. Cela serait difficile, mais possible.

Morion souligna ensuite avec pertinence que leur solitude dans leur entreprise était étonnante. Ça l’était, oui. Ambre aussi trouvait ça difficile à croire. Peut-être les rebelles savaient-ils bien se cacher. Ou peut-être le couple Ventfroid était-il le seul à s’arrêter à ce genre de considérations, et à voir au-delà de la Fange qui les assiégeait. Il fallait dire que les fangeux étaient une diversion tout à fait efficace. Ambre soupira.

- Considérons-nous seuls pour l’instant. C’est après tout le scénario le plus pessimiste. Si nous nous en sortons avec ça, le jour où un allié se met en lumière, nous ne serons que plus influents. Voire imbattables, un peu d’assurance ne fait pas de mal.

Elle sourit doucement sous cette touche d’humour. Elle ne montrait pas une confiance excessive ; cela serait une erreur, mais fermer les yeux sur la puissance de leur famille serait faire preuve de mauvaise foi.

Ambre fonça légèrement les sourcils à l’évocation du Labret, et sur le fait que Morion y resterait possiblement plus longtemps que nécessaire pour nouer des liens. Diantre, c’est qu’elle regrettait presque d’avoir évoqué la milice, désormais. Ses doigts se resserrèrent subrepticement sur la main de son mari, et elle se blottit plus encore contre lui, se pressant sur son corps, inspirant calmement.

- Très bien, je verrai avec Talen, s’il permet de nouer avec la milice. C’est un homme d’armes, il évoluera aisément dans ce genre de contact. De mon côté j’ai peut-être gagné une petite influence avec cette histoire de sel mais… Ambre repensa un peu à Anton Gunof. Certains n’ont pas trop apprécié qu’une femme se mette dans leurs affaires, justement. Je pense qu’il sera plus prudent que je me cantonne à mes relations avec Labriolle, et peut-être certains nobles gradés là-bas. Pour le reste, je préfère faire appel à des intermédiaires.

Ambre prit une grande inspiration, enfin, alors que leur conversation sur tous ces sujets sérieux prenait progressivement fin.

- Qui sait. Nous réfléchissons trop, peut-être. Qui nous dit que Sigfroi ne mourra pas lui-même de surmenage, de maladie, ou tout simplement par l’une de ces créatures qui le happera un jour ? Cela serait diablement plus simple. Son héritier est encore adolescent, il y a encore des chances qu’il ne soit pas gangrené comme son père. Même si j’ai des doutes, je le concède, je préfèrerais parier sur les plus jeunes, plus influençables.

Dans le cas d’une mort naturelle ou accidentelle, la descendance de Sigfroi ne serait pas forcément un danger, ou un mal pour le Royaume. Ils pouvaient même s’arranger pour que le précepteur du futur gouverneur le modèle comme ils le voulaient. Les descendants devraient, si tout se déroulait bien, n’avoir de griefs contre aucune maison, si ce n’est la Fange. En revanche, si leurs projets à eux devaient aller jusqu’au bout, il ne faudrait pas laisser de traces, ni de possibilités de vengeance. Toute la famille devrait y passer. Et si les morts devaient être inversées – le reste de la fratrie avant Sigfroi lui-même –, cela apporterait une sombre satisfaction à la comtesse, dans les profondeurs de son esprit. Qu’il connaisse, lui aussi, le sentiment de perdre ses proches.

Ambre resta un temps silencieuse après toutes ces tirades, profitant de la quiétude de la bulle, de cet endroit coupé du monde. Elle termina ensuite par relever le visage vers son mari, joue contre son épaule, pour soulever doucement le menton et venir l’embrasser.

- J’ai l’impression que j’ai encore détourné mon époux un moment de son travail bureaucratique ? Je devrais réclamer récompense à chaque fois, je trouve que je gagne souvent.

Elle rit contre ses lèvres, ramenant une ambiance légère après toutes ces considérations morbides. C’était fascinant comme les deux époux pouvaient profiter d’une vie de couple pour l’instant heureuse tout en promettant une mort atroce à certaines têtes de la cité.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyJeu 21 Juil 2016 - 0:27
A la mention de ses archives familiales, Morion avait esquissé un petit sourire amusé. Perdre des choses… Oui, effectivement. Il y avait tout un tas de choses terriblement croustillantes à lire là dedans. Et malheureusement pour lui, le concept de prescription juridique n’existait pas. Si cela tombait entre de mauvaises mains, il paierait le prix fort pour les divers crimes de ses ancêtres. Et ils étaient nombreux. De fait, il préférait tout de même attendre avant de la plonger là dedans. Ils avaient beaucoup de choses à faire, à planifier, et Morion préférait qu’ils se connaissent un peu mieux, aient chacun découvert un peu plus de facettes de l’autre, avant de laisser ces livres en libre accès à son épouse. Mais nul doute que cela se ferait un jour.

«Tu n’y perds pas tant, dit-il, le ton espiègle. Après tout, n’est-ce pas tout aussi bien que je t’en narre les lignes ?»

L’atmosphère de fraîcheur et de pénombre qui régnait dans la bulle avait tout pour plaire à Morion, d’autant plus en l’agréable compagnie de sa femme. Sa main s’était glissée autour de sa taille, les rapprochant l’un de l’autre. Bien qu’écoutant attentivement les réponses, questions, points de vue d’Ambre, il laissait ses idées vagabonder un peu. Cela lui arrivait assez rarement, à dire vrai. Il n’en avait pas souvent l’occasion, ces instants étaient ainsi précieux. Mais par vagabonder, il ne fallait pas imaginer qu’il laissait simplement ses pensées faire n’importe quoi, sans contrôle, sans leur donner un petit but, même minime. Il saisissait ces instants reposants pour anticiper certains scénarii, imaginer des plans, diverses situations. Plus tard, dans une atmosphère plus propice au travail, il éprouvait ses théories, calculait sur base d’ouvrages, de rapport, et les rejetait dès qu’elles ne lui allaient plus. C’était un exercice passif qui maintenait l’esprit actif du comte en alerte. Comme Ambre pouvait, par exemple, saisir un paysage du regard, une figure, des teintes, et imaginer des scènes ou des représentations personnelles à coucher sur une toile, ou imaginer une partition, par exemple. Morion était impotent à l’extrême dans ces deux domaines, qu’il laissait volontiers à son épouse, se contentant d’admirer ou d’écouter, au besoin. Réflexion faite, il y avait bien un moment où il perdait le contrôle, avec plaisir, sur chacune de ses pensées ou presque, mais il n’était pas encore venu. Il attendrait probablement le soir.

«Les Rivain… Oui, éventuellement. Le problème comme tu le dis, c’est s’ils se mettent en travers de notre route. Je n’aurai ni pitié ni hésitation envers eux s’ils poussent la défense de leur suzerain trop loin. Et il va être difficile de trouver un moyen d’agir contre la famille ducale sans qu’ils ne s’interposent. Il prit un moment pour réfléchir à la suite de sa phrase. Il ne parlait que rarement des détails purement techniques de ses plans, mais pour une fois, se laissa aller dessus. La succession est un problème hautement épineux. Tout d’abord, aucun d’entre nous ici n’a le pouvoir de nommer quelqu’un à un rang supérieur à celui qu’il possède. Et les faveurs royales dont les Ventfroid disposent ne sont d’aucune utilité si le Roi manque à l’appel. Il fronça les sourcils. Cette pensée l’inquiétait terriblement. S’il y avait un après fange… Il risquait fort d’y avoir une révolution. Si le Duc tombe, et il tombera, n’importe qui pourra prétendre au trône de la ville. Nous assisterons probablement à une union entre les natifs du Duché, et ceux qui sont arrivés avec le Fléau. Ces derniers, je crains qu’ils ne reçoivent un important soutien de la part du peuple. Nous, natif sommes là haut depuis bien longtemps, et certains peuvent ne pas être d’accord… Bien qu’à ce niveau, je pense aussi que si le peuple est un peu reconnaissant, il n’oubliera pas qui l’a défendu des années durant. Mais ce n’est pas tout. Les Rivain sont justement de proches alliés du Duc. Donc en admettant qu’ils survivent à une quelconque forme de rébellion, il va être difficile de contenir les contrevenants au pouvoir, qui voudront probablement la mort de tous les alliés du Duc, qui auront supporté chacune de ses actions, bonnes, comme cruelles. Deux possibilités donc. Une guerre intestine pour déterminer le successeur, qui aura une légitimité douteuse, en raison de son rang, ou les Rivain, qui seront autant sinon plus en danger que Sigfroi ne l’était. Un conflit interne serait à mon sens le plus souhaitable. Sigfroi tombe, et nous restons en retrait pendant qu’ils s’entre-déchirent. Si d’ici là je possède une certaine influence sur le Labret… Nous pourrons orienter les jeux de pouvoir à notre manière. Il fit une brève pause, et finit par hausser les épaules. Je ne sais qui mettre à la place de Sigfroi, honnêtement. Il est trop tôt pour le dire. En tout cas, ça ne sera pas moi. Je veux bien déroger à certains de mes principes dans un but pragmatique, à savoir celui de nous préserver tous deux de la dévastation, mais il est hors de question que je m’octroie le droit de diriger plus que ce que je possède déjà. Je détesterais cette responsabilité. Bien que l’idée de t’offrir un duché entier et ses sujets soit, je l’avoue tentante, je refuse d’assumer ce rôle. Je resterai en retrait, comme nous l’avons toujours fait. Néanmoins, je sais qu’Yseult de Traquemont ne refuserait pas le trône s’il se mettait à sa portée. C’est peut-être une piste. Après tout, elle est parfaitement incompétente sur le plan politique. Et jeune. Elle sera forcément malléable, et aurait une naturelle tendance à se tourner vers celui ou ceux qui lui auraient permis d’accéder à un pareil pouvoir. En dehors de ça… Les autres nobles sont, pour l’instant, trop centrés sur leurs affaires personnelles. Ou carrément indigne de recevoir des responsabilités. Gérer un domaine, ou un groupe d’alliés, une troupe de soldats… c’est facile. Une population entière… C’est autre chose. C’est en revanche une question sur laquelle je me penche très activement.»

Il laissa un petit soupir lui échapper. Evidemment, vouloir tuer le duc était une chose, mais anticiper les conséquences d’un tel acte, et pouvoir les assumer ensuite selon leur gravité, c’était tout à fait autre chose. Beaucoup de rebelles pensaient qu’il suffisait d’abattre un suzerain pour être libre, avant de constater la grossièreté burlesque d’un plan basé sur le court terme, et ne mettant en aucune façon l’accent sur les moyens à mettre en oeuvre pour pérenniser et stabiliser une situation post rébellion. Donc dans la plupart des cas, révolution, et ensuite, une horrible guerre interne à un domaine ou plusieurs, dans le simple but de définir une succession. A l’échelle de Marbrume, cela reviendrait potentiellement à faire entrer une centaine de fangeux dans la cité. Morion avait cependant pour projet, si une telle situation devait se présenter, de les regarder s’entre déchirer. Ainsi, une fois quelques têtes gagnantes commençant à sortir du lot, il pourrait éventuellement apporter un soutien à celle qu’il estimait la plus méritante. Mais non, comme il l’avait dit, il se refusait la place de Duc. S’il y avait besoin d’assurer une sorte de régence, en attendant qu’un nouveau suzerain soit désigné, pourquoi pas. Aidé par quelques hommes de valeur et compétents, il pensait avoir les épaules assez larges, d’autant que cela faciliterait grandement la gestion de son propre comté. Mais en dehors de ça, il ne pensait pas les responsabilités équivalentes à celles d’un souverain comme étant faites pour lui.

A la mention de la participation de Sigfroi à la défense de son domaine, il haussa les épaules.

«Les réfugiés qui sont là bas commencent à s’auto-réguler. C’est souvent ce qu’il se passe quand des gens sont isolés ainsi, et ne dépendent que de leur entraide pour survivre. Qu’il vienne donc, j’aurais moins de scrupules à voir des miliciens dévorés par la fange que des gens que j’ai juré de protéger. Néanmoins, si le duc venait effectivement à prendre part active dans la gestion du comté… Qu’il le fasse donc. Cela nous servira également quoi qu’il arrive, et ne changera rien à nos plans. Ce sont surtout Estrée et Marianne qui risquent de mal prendre son intrusion.»

Talen, quant à lui, connaissait bien ces chevaliers devenus soldats, ou simplement hommes d’armes, dont certains échappés du comté. Comme Ambre le disait, il était un homme d’armes, et le milieu guerrier lui était très familier. A dire vrai, il était même étonnant, parfois même pour Morion, de constater avec quelle aisance le domestique pouvait évoluer dans les parties crasseuses de la ville, comme s’il y avait toujours vécu.

La poigne de Morion se resserra autour de sa taille, et sa main caressait celle de son épouse, tentant de la rassurer. Ses responsabilités étaient une réelle source d’inquiétude pour Ambre, mais il ne pouvait guère y échapper. Quand bien même cela aurait été possible, il ne l’aurait pas voulu. Il profiterait simplement avec un plaisir plus grand encore de son retour en ville.

«Cette question… Oui, nous pouvons effectivement aussi partir du principe qu’une mort brutale mais naturelle est possible… Cela ne change à vrai dire pas grand chose. Pour toi peut-être. C’est Sigfroi que tu vises. En revanche, c’est les Sylvrur au complet qu’il me faut éliminer. Cela inclut également sa progéniture. Bien que ce soit Sigfroi qui soit à l’origine des différents… C’est son propre nom qui a attiré les foudres des Ventfroid sur lui. Tous ceux qui le portent se verront ainsi supprimés. J’obéis là à un ordre bien plus incontournable que mes préceptes ou toute autre forme de code.»

A vrai dire “prendre les mesures qui s’imposent” était le seul réel ordre reçu, mais il n’aurait jamais été adressé à la Maison Ventfroid s’il ne requerrait pas une sanction brutale. On ne les contactait d’ailleurs que pour ça, normalement. Ce qui avait grandement contribué à la sombre réputation de la famille, d’ailleurs. Où qu’ils étaient finissaient par fleurir le sang et la mort.

Chassant les quelques pensées néfastes et parasites qui occupaient encore son esprit, il s’abandonna un temps au doux baiser de sa femme, lui répondant par un sourire à la taquinerie qu’elle lui envoya. Il la serra un peu plus contre lui, et après un second baiser, répondit simplement :

«La bureaucratie peut attendre pour l’instant. J’y consacre bien assez de temps. Quant à la récompense, je te trouve bien aveugle. Il haussa légèrement les sourcils, feignant (très mal d’ailleurs) un air innocent. Ne vois tu pas que tu es dans les bras de celle-ci ?»
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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyJeu 21 Juil 2016 - 17:37
La chute du Duc… Ambre resta songeuse alors que Morion parlait, écoutant et réfléchissant en même temps. Verrait-on vraiment les nobles se déchirer pour le pouvoir après la mort de Sigfroi ? La Fange ne permettrait-elle pas des comportements plus raisonnables, une famille spontanément désignée et approuvée par les autres ? Une guerre intestine dans le dernier bastion de l’humanité serait grave. Ambre n’aurait aucun scrupule à rester en retrait avec son époux si tel était le cas, bien au contraire. Et qu’il lui affirme que le pouvoir ducal ne l’intéressait pas constituait une forme de soulagement. Elle ne se voyait pas duchesse de Marbrume. Jamais. La comtesse possédait peut-être de l’ambition, mais pas sur ce point. Au moins était-elle sur la même longueur d’onde avec Morion là-dessus. En fait, plus ils passaient des jours ensembles, et plus elle se rendait compte qu’ils se ressemblaient beaucoup sur certaines facettes, même s’ils étaient différents dans leur façon d’être. S’accorder sur leurs plans était déjà une épine de moins – cela aurait été particulièrement contre-productif s’ils ne se rejoignaient pas sur la marche à suivre.

- M’offrir un duché… Ambre secoua doucement la tête. Ton comté n’a déjà rien à envier à personne ; je n’aurais jamais ressenti le besoin de recevoir plus même si tu en avais ressenti l’envie. Même si Morion avait perdu ses terres, ou avait possédé un rang inférieur à celui d’un comte, Ambre pensait qu’elle aurait été tout autant épanouie avec lui. Aaron n’aurait peut-être pas cédé sa main à Morion dans un tel contexte, certes, mais cela n’aurait pas changé grand-chose pour Ambre dans tous les cas. Elle estimait le Ventfroid pour autre chose que son domaine et sa fortune, même si ces éléments avaient bien évidemment été pris en compte pour une union. Quant à Yseult de Traquemont… Ambre eut un silence un peu dubitatif. Une châtelaine propulsée au rang de duchesse… Beaucoup s’y opposeraient. Ambre elle-même n’était pas sûre d’apprécier un tel changement, selon la situation politique de la ville. Elle possède les faveurs du Duc, mais le jour où celui-ci vient à disparaître, je me demande si les vipères qui restent seront aptes à laisser une femme les gouverner. Il y a eu des guerres pour moins que ça.

La comtesse resta silencieuse un temps après coup, notamment après certaines paroles de Morion. « C’est Sigfroi que tu vises. » Prenait-il toute la mesure de cette phrase ? Qu’avait-il voulu signifier par-là ? La pensait-il animée d’une vengeance purement égoïste, pour un homme qui n’était pas lui ? Ambre fut tentée de réagir, de lui demander ce qu’il croyait concrètement. Elle s’abstint pourtant. Ça n’était pas un sujet qu’elle pensait sain d’évoquer avec son époux.

- Un ordre ? La comtesse eut une pause, curieuse. Un ordre de ton père tu veux dire ? Mais si tu veux effacer le nom des Sylvrur définitivement... Ambre haussa les épaules. Ça n’est pas quelque chose qui me laissera des scrupules. Au moins pourrons-nous dormir sur nos deux oreilles, sans craindre une vengeance.

Ambre mordilla ensuite doucement les lèvres de son mari quand il assura que la récompense était lui-même. Elle rit tranquillement, appréciant la réplique.

- Très belle récompense que voilà, alors. Je vais continuer à en profiter un peu.

--

24 février 1165

Les deux époux s’étaient quittés la veille, après leur longue discussion très instructive sur les contacts à renforcer, les projets à mener. Ils étaient tous deux retournés à leurs occupations quotidiennes, mais la routine suspendue en attendant le Labret fut ébranlée le lendemain soir. Cela avait été une journée comme les autres, jusqu’au moment du repas.

Morion et Ambre avaient à peine commencé à dîner lorsque Talen se présenta, accompagné d’une femme à l’âge avancé, dont les rides de bienveillance éclairaient le visage. Mais ce soir-là, ses rides prenaient un air affligé, pressant. Il ne pouvait que se passer quelque chose d’important et grave pour que Talen ne les dérange en plein repas, et Ambre reconnut immédiatement la vieille dame, qui était une des domestiques des Mirail. Autrement dit, sa propre famille. Le couple Ventfroid s’était levé à cette interruption singulière, délaissant leurs assiettes, et Ambre fronça les sourcils d’inquiétude.

- Dame Ambre… Comte Morion… La domestique s’était visiblement pressée pour se présenter au manoir Ventfroid, car elle portait encore les signes d’un certain essoufflement, mais elle les salua prestement. Je suis navrée de vous interrompre à une heure si impromptue, mais monsieur votre Père se porte mal, comtesse. Le… Elle eut une hésitation. Les guérisseurs affirment qu’il ne passera pas la nuit, souffla-t-elle, tête baissée, horrifiée d’avoir à porter une telle nouvelle.

Les yeux d’Ambre s’écarquillèrent silencieusement alors qu’elle était soufflée par l’annonce. Son estomac eut cette sensation si particulière, comme s’il voulait quitter son corps. Les doigts de ses mains se refermèrent subrepticement.

Cela n’était pas une surprise. Son père était malade depuis deux ans désormais, et l’on n’avait pas réussi à diminuer le mal qui lui avait pris les poumons. Guérisseurs, prêtres, tous étaient passés à son chevet lorsqu’il présentait des exacerbations l’empêchaient de tenir debout. C’était d’ailleurs un miracle qu’il eût été en état de conduire sa fille à l’autel deux semaines plus tôt, et de pouvoir être présent au vin d’honneur presque comme un homme neuf. Un effort qu’il avait fait pour elle, et qui, en contrepartie, l’avait extrêmement fatigué après la fin des festivités. La famille Mirail était préparée depuis bien longtemps à perdre leur père qui petit à petit s’éteignait.

Malgré tout, l’annonce bouscula la comtesse. Son père allait mourir. C’était bien trop tôt. Elle adressa une prière mentale à Anür, de ne pas le ramener à elle si vite. Pourquoi fallait-il que cela soit maintenant ? Ne verrait-il réellement jamais ses petits-enfants ?

- Je viens tout de suite, répondit Ambre, l’air soucieux mais déterminé. Si son père devait mourir ce soir, hors de question qu’elle ne soit pas là pour l’accompagner.

Et Ambre était donc partie veiller au chevet de son père, refusant que Morion l’accompagne. Une partie d’elle aurait voulu pouvoir s’appuyer sur lui durant les derniers instants de son paternel, mais une autre désirait rester en famille Mirail. Morion n’avait pas besoin de s’infliger une veillée mortuaire et garder une vision ignoble de son beau-père, alors qu’il essuierait déjà les funérailles. Mais au-delà de ces considérations altruistes envers son époux, Ambre avait aussi juste le besoin de traverser l’instant seule, uniquement avec son frère, sa sœur et sa mère.
Ambre resta absente de nombreuses heures – ce qu’elle fait étant décrit dans le rp linké ci-dessus, la narratrice passera la description de ses activités en parallèle. Partie durant le repas, elle ne fut pas rentrée avant deux ou trois heures du matin. Pendant ce laps de temps, la domestique Anne était revenue au manoir, prévenant Morion de ne pas s’inquiéter. Aaron de Mirail était bien décédé, et sa femme avait pris le chemin du temple pour quémander une faveur pour sa dépouille – elle ignorait quand elle serait de retour.

A son retour, la comtesse était… hébétée. Anne se présenta aussitôt dans le hall, comme si elle avait guetté son arrivée, l’air sombre et peiné. La domestique avait vécu des années au manoir Mirail, elle était autant bouleversé que la famille par l’évènement, et elle assisterait aux funérailles, c’était certain. Ambre nota bien que la jeune femme était malheureuse elle aussi, mais elle évita sa compagnie, et écourta la rencontre. D’un air un peu absent, fatiguée, Ambre demanda en quittant son manteau :

- Morion dort ?

- Il patiente en lisant dans le cloître. Ou le salon, s’il est rentré depuis.

Morion s’était levé à l’arrivée de sa femme. Ambre était restée immobile un instant, debout devant lui, observant ses prunelles une à une, cherchant visiblement ses mots. Ses sourcils tremblèrent, et toute la tension, toute la responsabilité et le masque de sérieux qu’elle avait réussi à arborer devant les Trois Dignitaires pour être digne de sa demande disparaissaient, se brisaient d’un coup. Ses épaules s’affaissèrent légèrement, et elle se laissa tomber dans les bras de son mari, sans rien dire le premier temps. La comtesse avait toujours voulu paraître forte devant Morion, ne jamais montrer ne serait-ce qu’une inclinaison de faiblesse. Ce soir-là, en rentrant, cela avait été impossible ; et elle abandonna à l’inverse toute l’apparence d’étiquette qu’elle avait dû arborer en présence de Zelvajra, et des prêtres. Doucement, elle se mit à pleurer silencieusement contre le torse de son mari.

Les jours et les nuits suivant le décès du comte Mirail furent très difficiles. Les funérailles eurent lieu à l’aube du premier jour après la mort. Les cérémonies étaient très rapides depuis le Fléau, l’on ne laissait plus un corps plusieurs jours dans une couche mortuaire pour laisser tous les proches et tous les amis honorer la dépouille. Une fois n’est pas coutume, les Mirail furent extrêmement discrets. Pas de cérémonie en grandes pompes, pas de discours interminables. Les funérailles eurent lieu en comité restreint. Famille, quelques nobles entretenant des liens étroits avec Aaron – le Duc lui-même passa honorer le défunt comte –, mais c’était tout.

Ambre était tombée dans une torpeur étrange. Le deuil avait réussi, d’un côté, à écarter brutalement ses attentions du Labret à venir, et ses angoisses s’étaient trouvées un temps atténué. Mais en contrepartie, elle était devenue légèrement apathique et amorphe. Souvent pouvait-on la voir, regard bloqué dans le vide, concentrée sur des pensées qui tournaient en boucle dans sa tête – Aaron de Mirail était mort. Le jour, la jeune femme était beaucoup au manoir Mirail, soutenant ses proches – bizarrement, cela l’aidait, car cela la forçait à bien présenter devant sa petite sœur, et lui montrer un modèle de force. Le soir et la nuit, elle était avec Morion, et son deuil redevenait plus personnel, moins contrôlé. Ses entraînements à la dague lui servaient de défouloir, autant contre le monde que contre Morion lui-même qui l’exhortait à faire des chorégraphies dont elle n’avait vraiment rien à faire sur le moment. Même si elle trouvait son apprentissage aux armes particulièrement mal placé, cela l’aidait, en fait. Le soir, elle était exténuée, du coup, et réussissait à s’endormir malgré tout. Plusieurs fois elle mouilla la chemise de son époux, qui la serrait contre elle dans leur couche, caressant ses cheveux. Ils avaient beaucoup parlé les premiers jours. Ambre s’était confié sur le sujet, avait parlé de son père, avait évoqué quelques souvenirs, et libéré tout ce dont elle avait besoin de se détacher. Morion aussi, pour l’accompagner, pour l’écouter et l’aider, s’était confié sur sa propre famille, sur ce qu’il avait pu ressentir au moment de leur perte. Les jours suivants, Ambre eut surtout besoin de sa présence, sans qu’il n’ait à la consoler continuellement avec des mots bien choisis. Elle se laissait aller contre lui, tout simplement, parfois pleurait-elle jusqu’à s’endormir, parfois réussissait-elle à s’endormir presque aussitôt, un vide dans son esprit particulièrement bienvenu après une séance d’entraînement fatigante.

Cette épreuve, malgré le malheur qu’elle avait amené chez les Mirail – et un peu tous les gens qui avaient apprécié le comte, et ils étaient nombreux, même parmi le peuple –, rapprocha un peu les jeunes mariés. Cependant… Ambre n’eut pas beaucoup de temps à consacrer à son deuil. Une semaine était passée que, déjà, le Labret s’imposait.

--

2 mars 1165

Vingt-deux heures. L’angoisse se faisait vive, puissante, vibrante. Assise à la table de la salle à manger, la comtesse dégustait un verre de vin, presque vidé. Un moment qu’elle attendait déjà, mais Morion n’était pas encore rentré. Derniers préparatifs avec le Duc et les autres nobles, dernière réunion au château pour que tout soit prêt à l’aube. Le comte avait raté l’heure du repas, et sûrement ne dormirait-il que très peu d’heures cette nuit, si cela s’éternisait encore. Grands dieux, voulaient-ils tous mourir en se lançant morts de fatigue au-dehors de la cité ? Ambre fit tourner la boisson bordeaux dans le fond de son verre, avant de vider définitivement le verre. La table avait été dressée, mais Talen était venu débarrasser lorsqu’ils avaient compris que Morion rentrerait trop tard. Seul subsistait le verre de la comtesse, pas même la bouteille, que Talen s’était empressé de retirer également quand la jeune femme avait dépassé le troisième verre. Il n’appréciait pas qu’elle boive ainsi seule, surtout dans un tel contexte – deuil et peur combinés. Ambre n’avait pas protesté, ni même réagi. Peu de choses la faisaient réagir depuis la mort de son père, mais depuis deux ou trois jours, lorsque le Labret était devenu inévitable et omniprésent, la comtesse s’était comme réveillée brusquement. Son angoisse était revenue, puissance double. Morion allait partir. Anür serait-elle cruelle de lui retirer son époux en plus de son père ? Combien d’autres pertes devrait-elle subir avant de pouvoir vivre sereine ?

Un maelstrom d’émotions se bousculait dans l’esprit de la jeune femme alors qu’elle attendait Morion. Peut-être fut-ce la fatigue générale qu’elle avait emmagasinée depuis le décès de son père, peut-être fut-ce le vin. Mais elle termina par s’endormir, appuyée sur la table. Ce fut presque une quiétude bienvenue, car le sommeil étoufferait pour un temps son angoisse profonde. Quand Talen repassa, il hésita à la réveiller pour qu’elle monte dans la chambre conjugale, mais il n’en fit rien. Il savait qu’elle ne bougerait pas tant que Morion ne serait pas rentré, et se prendrait d’ailleurs sûrement une réplique acerbe s’il essayait de la raisonner. Au lieu de quoi déposa-t-il donc juste une petite étoffe sur ses épaules, et la laissa se reposer dans la salle à manger. Le comte de Ventfroid se faisait désirer, décidemment.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyJeu 21 Juil 2016 - 20:20
Vis à vis de Traquemont, Morion se faisait moins de souci qu’Ambre vis à vis de sa popularité. En ce qui concernait la dirigeante du fortin, selon comment les choses évoluaient, notamment avec la future opération… Elle possédait en effet les faveurs du Duc, mais allait probablement s’attirer celles du peuple. La réputation cent fois exagérée des chasseurs de fangeux, selon leur propre terme, était déjà bien ancrée, des actions qui auraient des airs héroïques ne feraient que renforcer cette impression. Cela serait sûrement utile, et en même temps dérangeant, car difficile à contrôler. Ils pourraient s’arroger nombre de privilèges jusqu’en ville, ce qui déplaisait fortement au comte. Néanmoins, le temps que cela se produise, il avait largement le temps de le voir venir, et de planifier ses réactions en conséquences. Le plus difficile serait de faire ce qu’il avait en tête, à savoir freiner et mettre des bâtons légers dans leurs roues, sans avoir l’air de les attaquer. Et si cela s’avérait inefficace… Eh bien il trouverait un moyen de les faire tomber en disgrâce, soit auprès du peuple, soit auprès de la noblesse. Dans un cas comme dans l’autre, cela les forcerait à se retrancher une nouvelle fois dans leur forteresse, et à n’en sortir que lorsque cela serait nécessaire.

Morion haussa un sourcil, légèrement, à la suite de ses propos. Il ne s’étendit pas vraiment, laissant la question qu’elle posa en suspens, peu enclin à s’étendre sur des sujets dont la pertinence était, disons, remise en question aujourd’hui.

«Non. D’autorités bien plus haut placées que mon père, qui n’a d’ailleurs plus aucun pouvoir décisionnel aujourd’hui… Enfin. Ce n’est de toute façon pas un ordre contre lequel je peux aller. Une chance que je n’en aie pas envie.»

Ces discussions, fort constructives et instructives pour les deux époux, qui avaient maintenant une idée bien plus claire de ce que l’autre pensait, et comment il voyait l’avenir, finirent cependant par cesser. Il y avait un temps pour tout, il était vrai. Cela leur avait pris du temps, un temps certes nécessaire et pas désagréable pour autant, mais ils auraient du mal à planifier ou réfléchir plus avant maintenant que les choses sérieuses avaient été mises à plat. Nul doute que cela arriverait néanmoins relativement souvent. C’était important qu’ils partagent ce genre de choses, et les rapports des espions des Ventfroid et des Mirail arrivaient peu importe l’heure ou le jour. Laisser des informations en suspens ne serait bon ni pour l’un ni pour l’autre. Mais nul doute que les amants prendraient un plaisir sérieux à se réunir autour de sujets plus ou moins sombres ou portant la marque de la traîtrise.

En attendant ces prochains instants, Morion se laissa aller contre sa femme, répliquant à ses caresses mutines, et profitant, tant qu’il le pouvait, de ses étreintes et de la douce atmosphère de pénombre et de fraîcheur de la bulle. La guerre approchait à pas de géant, après tout.

--- ### ---


Le 24 Février. Un jour terrible. Personne n’aurait pu prédire, alors même que les signes étaient relativement évidents, la mort du comte de Mirail. Le jour où la bombe éclate, tout paraît différent. C’est une sensation étrange, lorsque l’on a un peu de recul pour l’analyser. Comme si la vie, d’un coup, s’arrêtait. L’on reste en vie évidemment. Non, c’est plus subtil que cela. Comment ? Pourquoi ? Ce sont les premières questions qui viennent à l’esprit. On a du mal à savoir comment cela a pu arriver, alors même que les causes sont élémentaires. On va jusqu’à se faire une étrange réflexion; comment a-t-on pu vivre avec une telle insouciance, alors que “ça” allait arriver ? L’hébétement est total. L’esprit cesse parfois même de fonctionner. Quoi qu’il en soit, à l’annonce de la domestique, même Morion avait reçu un coup lorsque la nouvelle s’était abattue. Et il partageait les pensées d’Ambre : c’était trop tôt. Beaucoup trop. Il ressentit une brève pointe de regret. Ses enfants ne connaîtraient pas leurs grands pères. Deux hommes qui auraient mérité d’être connus de leur vivant. Pour le coup, la nouvelle sapa instantanément son appétit. Il la laissa partir. Il aurait probablement refusé sa présence aussi, si la situation avait été inversée. Il n’avait cependant pas connu pareille situation, et remercia silencieusement Rikni de ne pas lui avoir infligé pareille épreuve. Il avait vu, de ses propres yeux, sa mère mourir. En contrebas des remparts, dévorée vivante, réduite en charpie par le Fléau, grandement aidé par le refus net et catégorique de Sigfroi d’ouvrir aux Sarosse. Cette image le hantait presque toutes les nuits depuis des mois. Ce qui expliquait d’ailleurs la légèreté de son sommeil et le peu d’heures qu’il cumulait pendant ses nuits. Quant à son père, il était tout simplement disparu. Vivant ou non… les chances étaient minimes, et le comte ne voulait se faire de faux espoirs.

Ambre partie, il ordonna à Talen de débarrasser. Ni l’un ni l’autre ne mangeraient ce soir, quoi qu’il arrive. Il se rendit dans sa chambre, où sur la commode, reposaient des idoles représentant les Trois. Sa première prière alla à Anür, demandant à ce qu’elle ne rappelle pas le comte de Mirail tout de suite. La seconde alla à Rikni. Qu’elle donne à la famille d’Ambre la force de traverser cette épreuve, et à Aaron celle de revenir en forme. Prières auxquelles les dieux resteraient malheureusement sourds.

La soirée fut horriblement longue. Le manoir était parfaitement silencieux. Morion avait, au bout d’une heure, donné congé à tous ses domestiques, Talen et Anne exceptés. Ils s’étaient retirés dans les étages, certains restant pour jouer aux cartes ou à d’autres jeux silencieux entre eux, dans la salle inutile de réception, qui leur servait la plupart du temps de salle commune. Ils avaient tous été touchés par la nouvelle. Ils étaient discrets, parfois même invisibles. Mais ils oeuvraient désormais pour Morion et son épouse, et avaient accueilli avec une joie non dissimulée l’arrivée d’un peu de chaleur et de féminité dans la vie du comte. Helbert, le pigeonnier, avait même pleuré, et s’était retiré dans la volière, en compagnie de ses oiseaux. Il n’était pas bavard, mais d’un naturel très sensible. Talen s’était muré dans un silence lourd, inquiet, priant de toutes ses forces pour que les choses se terminent bien. Quant à Morion, il avait expressément demandé à son fidèle homme de main qu’il agisse comme il l’entendait, mais qu’il ne le dérange pas. Ce qu’il fit, bien évidemment. Les premières heures furent les plus dures. Il attendait des nouvelles, éventuellement, ou peu importe. Le fait que cela s’éternise commençait doucement à l’inquiéter. Il s’était en premier lieu installé dans le cloître, un livre en main. Le soir était tombé, le froid était vif. Peu lui importait. Il observait fixement, sans réellement les regarder, les reflets de l’eau du bassin, noire, à peine éclairée par les lueurs internes du manoir, parfois perturbée par un souffle de vent discret, ou une bourrasque un peu plus forte. Il resta là, passif. Talen ne vint qu’une seule fois le voir, tard, lui suggérant de monter dans sa chambre, qu’Ambre finirait par y monter. Il ne reçut pour toute réponse qu’un hochement de tête vif, négatif. Quoi qu’il se passe, il attendrait sa femme, jusqu’au matin s’il le fallait.

Il était dans le salon quand elle rentra. Le froid extérieur était devenu insupportable, et il s’était abandonné devant l’âtre craquant de la cheminée, observant simplement le mouvement des flammes. De temps en temps, il baissait les yeux sur son livre, lisant quelques lignes que son esprit accaparé par un million de choses refusait d’intégrer.

La situation qu’elle venait de vivre était écrite sur son visage. Il ne dit rien. Aucune parole n’aurait d’impact, de toute façon. Il se contenta d’accueillir sa tristesse. Gentiment, tendrement. La veille seulement, Morion lui avait explicitement signifié qu’il ne tolérait la faiblesse en aucune manière. Néanmoins, la femme qu’il avait, éplorée, entre ses bras, n’était pas faible pour autant. Elle venait de perdre l’homme qui l’avait élevée, un homme bon de surcroît, aimant tant envers sa femme qu’envers ses enfants. Et un homme qui, par bien des aspects, avait servi sa ville avec honneur, et contribué comme ses ancêtres avant lui à la grandeur de son nom. Il n’y avait rien de faible à être abattue par une perte de cette ampleur. Il laissa simplement les larmes couler, avant de l’entraîner avec lui jusqu’à leur chambre. Nulle étreinte torride ce soir, pas de tendresse charnelle, simplement se noyer sous les tissus recouvrant leur lit, sans un mot, si ce n’est quelques paroles tendres et rassurantes - du moins l’espérait-il - de la part de Morion. Toute autre action eût été horriblement déplacée.

Les jours qui suivirent… Morion se sentit, pour la première fois, un peu inutile. Il ne pouvait rien faire, c’était évident. Il avait été présent aux funérailles, avait honoré un homme qu’il avait assez peu connu - mais dont le nom, lui, était tout à fait familier de tous - de quelques paroles élogieuses, et sincères. Les jours qui s’enchaînèrent ensuite, il laissa à Ambre toute liberté sur ses actions. Elle se devait d’être auprès de sa famille et il ne lui serait jamais venu à l’idée de le lui reprocher. Néanmoins, son abattement eût tôt fait de l’agacer. Ce n’était pas tant la perte d’humeur de sa femme qui l’énervait. Si l’on pouvait raisonnablement parler “d’énervement”, quand il s’agissait surtout d’une pointe d’irritation devant son incapacité à la faire, ne serait-ce qu’un peu, changer d’état. Il se contenta de rester tel qu’il était. Il était peut-être plus généreux en attentions, innocentes et dénotant simplement tendresse et compassion. En revanche, lors de leurs entraînements, il était encore plus implacable. Réellement strict. Il savait que cela l’énerverait, et que vu son son état, elle ne progresserait pas beaucoup. Cela se comprenait tout à fait. Cependant il durcit les séances. Pas pour forcer un avancement qui ne viendrait de toute façon pas. Simplement pour pousser Ambre, l’espace d’un instant, à bout. Alors qu’ils se “battaient”, elle devenait plus acerbe, plus sèche dans ses mouvements. Elle se pliait aux entraînements mais n’en voulait pas, et ça se sentait. Mais au moins l’attitude agaçante de Morion, inflexible, avait le don de lui occuper l’esprit et de la pousser à évacuer, au moins quelques heures, les sombres pensées (ou l’absence de pensée, cela dépendait un peu), qui occupaient son esprit.

Le reste du temps, il la consolait quand elle en avait besoin, était un appui fixe qu’elle trouverait quel que soit le moment de la journée ou de la nuit. Il évitait juste de s’imposer, quand il n’était pas occupé à travailler - il se tenait néanmoins prêt à interrompre ses travaux si elle le demandait - et lui laissait le temps dont elle avait besoin. Une période assez sombre, qui effectivement rapprocha les deux nobles, malgré la tragédie des événements qui avaient conduit à ce rapprochement.

La guerre frappa à leur porte presque aussitôt.

--- ### ---


Une éternité. Le dernier conseil avant le départ prit une véritable éternité. De toute la journée Morion avait été indisponible. Il échangeait de façon frénétique des messages avec Estrée, et dans le même temps, allait au palais du Duc pour peaufiner les détails de l’opération. Les hommes que Morion aurait en charge seraient à l’avant-garde, et comprenaient un contingent d’éclaireurs. En parallèle de cela, il serait également le médiateur entre les hommes envoyés de son domaine jusqu’au Labret, et même après pour rejoindre le cortège principal, et ce même cortège. Les autres meneurs avaient été mis au courant, mais pour beaucoup de soldats et de paysans, tout ceci n’était qu’une expédition, forcée pour pas mal d’entre eux, et dans laquelle ils ne devraient que suivre les ordres. Morion avait passé des heures à retranscrire les notes d’Estrée en instructions claires pour des sergents de l’Extérieure, dont un gros morceau de leurs effectifs seraient affectés à l’escorte. Et dans le même temps, il fulminait en silence. Le nombre d’hommes armés était insuffisant à son goût. Bien trop même. Il y avait un milicien pour cinq civils. Et il ne préférait pas trier encore en prenant la compétence en tant que critère de tri. Car à ce compte là, l’on devait frôler un milicien pour dix civils.

Quand il rentra chez lui, Ambre dormait. Il ne le savait même pas. Talen l’attendait aux grilles. Lorsqu’il lui signifia l’état de son épouse, il promit de la rejoindre vite, mais en attendant, il lui demanda plusieurs rouleaux de parchemins, un encrier et une plume, et fonça à la volière. Herbert était encore en train de s’occuper des oiseaux. Le comte se demanda un fugace instant si ce petit dormait parfois, mais la pensée le quitta rapidement. Talen ne tarda pas à revenir avec le matériel d’écriture, et il écrivit pendant de longues minutes le compte rendu du conseil, les stratégies prévues, et le rôle que sa soeur et lui auraient pendant la journée. Il était presque tenté d’attendre avec une couverture et une outre de vin la réponse de sa soeur, mais sa femme, même si elle était pour l’heure endormie, avait du se faire un sang d’encre. C’était de pire en pire ces derniers jours. Et essayer de la rassurer fonctionnait, mais seulement durant les quelques minutes où le temps n’appartenait qu’à eux. Minutes qui s’étaient faites, en dehors des nuits, de plus en plus rares.

Il pénétra en silence dans le manoir, et renvoya Talen, lui laissant sa soirée et lui ordonnant même de se reposer. Lui aussi participait à l’opération, et il atteignait la cinquantaine d’années. Il avait besoin de son homme de main dans une forme optimale. Le perdre maintenant aurait été proprement catastrophique.

A pas de loups, il s’approcha d’elle, et passa des mains douces sur ses épaules, la réveillant doucement. Il prit un siège à côté d’elle, et s’assit face à sa femme. Sa main passa doucement sur son front, puis dans ses cheveux.

«Ma tendre, je suis rentré. Tu ne devrais pas t’endormir ici, ton dos va en souffrir,
murmura-t-il. Excuse moi, ce soir c’était comme si toutes les réunions préliminaires avant celles-ci avaient été inutiles… Mais nous sommes prêts. As-tu mangé au moins ?»
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyJeu 21 Juil 2016 - 21:42
Le sommeil d’Ambre, malgré la mauvaise position évidente, fut réparateur. Elle ne se réveilla pas une seule fois le temps que Morion ne rentre définitivement, alors qu’il mit plusieurs heures encore à se montrer. C’était bien là la preuve que la semaine avait été particulièrement éprouvante pour elle. Le temps n’était pas à dormir cependant. Lorsque, doucement, Morion termina par caresser doucement ses épaules et extirper son esprit des brumes du sommeil, elle bougea un peu, ouvrit les yeux après quelques clignements, se redressa. La cape qui avait été posée sur ses épaules glissa sur le dossier de la chaise, et elle mit quelques secondes à comprendre qu’elle s’était endormie dans la salle à manger. Lorsqu’elle vit son mari, cela la réveilla d’un coup.

- Tu es là, souffla-t-elle, quelques cernes encore présents sous les yeux.

Le retour de l’homme la rendit fébrile, et elle ne se satisfit pas de la distance qui les séparait, même si elle était minime. Elle glissa doucement de sa chaise pour venir sur les genoux de son époux, sur le côté, de manière à pouvoir lui faire face et l’enlacer derrière la nuque. Son pouce caressa la surface de la mâchoire et de la barbe. La proximité physique devenait urgente, désormais que leur séparation n’était plus comptée qu’en heures, et que cette foutue réunion ducale avait considérablement amoindri leurs derniers instants ensembles.

- Je ne l’ai pas fait exprès. Je ne pensais pas que tu rentrerais si tard et j’ai attendu… Je me suis à peine rendue compte que je m’endormais.

Ambre plongea ses prunelles dans les siennes, imprimant cette image dans sa mémoire. Maintenant qu’elle était réveillée, son inquiétude revenait en force, et cette fois-ci, elle la tiendrait éveillée toute la nuit durant, c’était certain. Ainsi que le lendemain, jusqu’à ce qu’elle reçoive les résultats du Labret. Et qu’elle reçoive, surtout, une missive de son propre mari, sa propre signature, ses propres lettres courbées sur un parchemin, qui lui prouveraient qu’il n’avait pas succombé, et qu’il lui reviendrait. La journée risquait d’être longue, très longue ; elle allait devenir folle d’angoisse. Mais pour l’instant Morion était toujours là, face à elle. Elle pouvait le toucher, lui parler, entendre sa voix et le voir respirer. Elle l’embrassa, d’un coup, dans une étreinte passionnée, presque urgente. La position de côté sur ses genoux la forçait à se courber de façon désagréable pour pouvoir l’enlacer ainsi, mais elle n’en avait que faire. Son dos le lui rappellerait plus tard.

- J’espère que cette réunion ultime vous aura bien préparés, ajouta-t-elle, sourcils froncés après avoir quitté ses lèvres. Ça n’est vraiment pas raisonnable, de rentrer à une heure pareille alors que vous vous lèverez tous avant l’aube. Comment vas-tu tenir la journée ? Ou même espérer avoir des réflexes corrects si tu ne tiens pas debout ?

Le ton d’un reproche couvait dans sa voix. Elle qui avait espéré échanger une dernière nuit intime avant son départ, surtout alors que le décès de son père les avait récemment repoussées, elle allait avoir des scrupules à retarder plus encore la nuit de sommeil de son époux désormais.

- J’ai mangé un bout dans la soirée oui. Pas beaucoup, j’ai l’estomac trop noué pour ça, mais j’ai mangé. Son appétit était mauvais ces derniers jours. Anne et Sarah avaient tenté de la réprimander, trouvant qu’elle avait perdu un peu de poids, mais dans le contexte de deuil dans lequel elle avait été mise, les domestiques eux-mêmes n’avaient pas le cœur à insister. Je te retourne la question cependant. Il te faut des forces pour demain. Je… Ambre prit une inspiration, se contrôlant pour ne pas perdre pied. Où seras-tu au sein de la procession, ainsi ?

Lueur inquiète dans les yeux, Ambre espérait qu’il ne serait pas dans une zone trop découverte.
Blottie contre son mari, Ambre termina enfin par s’écarter un peu, ouvrant la voie à sa robe. D’un repli du tissu, elle sortit d’une main une petite fiole, longue comme une paume de main. Le verre transparent laissait apercevoir un liquide tout aussi translucide. Doucement, Ambre referma les doigts de Morion autour du flacon.

- Emporte ça avec toi, demain, murmura-t-elle. C’est de l’eau d’Anür. Je l’ai concentrée en sel autant que possible. En effet, la comtesse avait rajouté elle-même du sel dans l’eau de mer déjà iodée, jusqu’au point de rupture. Dès que les premiers grains avaient commencé à ne plus être dissolubles, elle avait refermé le flacon, satisfaite. La fiole ne pouvait pas être plus concentrée en sel que ça. Je ne sais pas si cela te servira, il n’y a assez que pour quelques gerbes d’eau là-dedans. Mais si tu te trouves acculé, un coup dans les yeux de la bête peut-être… Ambre frissonna rien qu’à imaginer l’éventualité, car cela signifierait que la créature serait bien trop proche s’il pouvait la toucher avec cette eau. Prends.

Cela ne lui servirait sûrement jamais. Mais l’expérience menée de concert avec l’escouade XIII avait eu le mérite de lui donner la certitude qu’Anür et ses eaux n’acceptait pas la présence des fangeux. Alors, en tant qu’épouse, elle ne pouvait décemment pas laisser Morion partir sans ça. Même s’il ne débouchait jamais le flacon au cours de cette reconquête, peut-être la simple présence de cette fiole sur lui pourrait lui accorder les faveurs de la sirène. Ambre l’espérait de tout cœur.

Une fois ses mains libérées, Ambre laissa également glisser deux doigts en tenaille sur son majeur droit. D’un geste lent, elle retira la chevalière des Ventfroid que Morion lui avait offert des mois plus tôt.

- Je te donne ça aussi. Pardon, je corrige, reprit-elle rapidement. Je te la prête. Promets-moi que tu me la ramèneras bientôt. Je t’aurais bien laissé mon alliance pour plus de symbolisme mais je préfère la garder, celle-là. Retirer l’alliance d’argent de leur mariage, et elle se sentirait comme nue.

Bijou levé entre eux, elle regarda Morion dans les yeux, la main un peu tremblante. Ses yeux étaient tristes, et cette fois-ci cette tristesse était totalement différente de celle causée par la mort de son père. Leurs heures étaient comptées, et Ambre avait l’impression d’entendre les secondes s’écouler, sournoises, vicieuses, accélérées.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyJeu 21 Juil 2016 - 23:34
Morion soupira légèrement. Pas d’agacement, ni de fatigue. Cette soirée avait été éprouvante, mais il était difficile de ressentir la fatigue avec la proximité de la plus grosse opération entreprise depuis l’arrivée du Fléau. Qui ne datait certes que de quelques mois, mais jusqu’à ce jour, personne n’avait tenté quoi que ce soit impliquant un effectif plus important que quelques escouades de miliciens. Le but étant de préserver le maximum de vies, cela se comprenait largement. Il soupirait simplement en réaction à l’inquiétude fébrile de sa femme. Il n’avait même pas quitté sa cape, à vrai dire, mais l’accueillit tout de même contre lui et l’enlaça fermement. Il l’embrassa longuement, avant de lui répondre. Lui aussi était partiellement inquiet de son départ, il ne savait même pas quand il rentrerait. Après les autres, c’était certain, et encore, malgré toutes ses assurances, l’opération était terriblement risquée quoi qu’il arrive. Les fangeux étaient un facteur qu’ils pouvaient certes prendre en compte, mais dont ils ne pouvaient anticiper l’importance. En général, on basait des plans d’actions sur le pire scénario possible. Le problème dans leur cas c’est que le pire des scénarios, c’était leur extinction à tous, croulant sous un nombre incalculable de fangeux. Il avait fallu revoir les risques à la baisse. Donc ils avaient en fait planifiés des stratégies qui prenaient une partie seulement du facteur en compte. Ce qui signifiait finalement que le risque serait soit correspondant pile à leurs attentes, soit supérieur. Et en ce cas leurs plans seraient insuffisants. Une grande partie de l’irritation de Morion venait de là, dans la soirée. Il détestait les plans hasardeux, et même si les leurs avaient été bien ficelés, ils ignoraient volontairement une partie de la menace pour être réalisables. C’était une sensation particulièrement atroce que de ne pas savoir, de ne pouvoir prédire, et par conséquent, de se sentir incompétent. Alors qu’il ne l’était pas du tout, finalement.

«Ne t’en fais pas. Je pense que beaucoup d’entre nous ont été habitués à subir ce genre de traitements. Et les batailles n’attendent pas forcément le repos des guerriers, elles se prolongent parfois au delà du raisonnable. Les sièges sont d’excellents entraînements pour cela. Je serais de toute façon incapable de dormir même si je le voulais. Il passa une main douce sur la joue d’Ambre, et esquissa un sourire qui se voulait rassurant. Mes réflexes ne me trahiront pas, j’ai tes prières et tes pensées juste là, il pointa son coeur du plat de la main, je suis sous bonne garde, paraît-il.»

Il regarda la table pour y percevoir, éventuellement, des restes de repas, mais il n’y avait que la trace discrète et ronde d’un pied de coupe qui avait trôné là un petit moment, puis qu’on avait probablement débarrassé. Il fronça légèrement les sourcils, et reconcentra son attention entière sur son épouse.

«Le Duc a fait porter de quoi se restaurer quand il a compris que nous ne quitterions pas la réunion avant un certain temps.
Il l’embrassa une nouvelle fois. Se concerter c’était bien, mais peu productif quand, terrassée par la faim, la concentration se faisait la malle. En cela le Duc n’avait pas fait preuve de bonté mais simplement d’un élémentaire bon sens. Pour la procession, je serai en mouvement constant, ou presque. Etant donné que je dois coordonner les éclaireurs et centraliser les informations pour les autres meneurs, ma garnison sera à l’avant garde, et je devrai parcourir la surface du convoi pour récupérer des informations sur la présence éventuelle de fangeux, et de bannis ou bandits. Sur l’après midi, je devrai également prendre de l’avance pour guetter l’arrivée des renforts en provenance du domaine. Il haussa les épaules. Durant les pauses ou les lieux dénués de végétation, j’occuperai le centre convoi pour ne point être trop loin des cavaliers éclaireurs.»

Il serait donc côté marais, à assurer la transmission des communication, et au passage à suivre la bonne route de ceux qui restaient en arrière. Une position risquée mais nécessaire. Si des fangeux attaquaient l’arrière du convoi, tous devaient être avertis en un temps record. Et le passage mot à mot serait trop lent. Comme quoi, même à l’aube de la guerre, les Ventfroid poursuivaient le même genre de mission, collecte et transmission d’informations, puis des actions en conséquence. Morion serait épaulé de quelques escouades de miliciens provenant tous de l’Extérieure, sélectionnés pour leurs talents de cavaliers, et leur capacité à faire des rapports clairs et concis.

Il ouvrit un peu plus les yeux quand il reçut le présent de sa femme. Il ouvrit légèrement ses doigts, et observa la fiole sous toutes ses coutures. Quelques discrets grains de sel reposaient au fond, et s’élevèrent avec flegme quand l’eau s’agita entre ses mains. Il referma sa main, et vint appuyer, symboliquement, le verre froid contre sa poitrine. Un petit sourire étira ses lèvres.

«C’est… Il hésita un instant. Merci. J’espère ne pas avoir à m’en servir, mais si tel devrait être le cas, je gage que la force d’Anür saura donner aux monstres la leçon qu’ils méritent.»

Il l’embrassa pour tout remerciement supplémentaire, et l’étreint fermement. Il n’y avait pas grand chose à dire là dessus. Et en effet, si jamais il se retrouvait dans l’obligation d’utiliser la fiole… Ce serait peut-être sa dernière action. Ou peut-être pas. Les faveurs divines, transmises par les mains d’une épouse qui voulait ardemment le retour de son mari, voilà qui pouvait changer la donne. Morion l’espérait, en tout cas. Il n’avait aucune envie de partir et de ne plus jamais revenir.

Il récupéra sa bague, le sourcil haussé. Cela fit venir une autre pensée, un peu moins optimiste, mais tout de même. Il retira de son index sa propre chevalière. Celle qui n’avait jamais été égarée, et toujours transmise à l’héritier des Ventfroid. La valeur de ce bijou aurait, qui sait, peut-être suffi à racheter l’Esplanade entière. L’on ne pouvait savoir, et elle était surtout nantie d’une valeur symbolique. Elle représentait la totalité des biens et des pouvoirs de Morion. Il la passa à celui, un peu trop fin, d’Ambre, et fronça les sourcils, s’apprêtant à parler de choses qu’aucun des deux ne souhaitaient, mais qu’il était pourtant nécessaire d’évoquer.

«Je te ramènerai la tienne. Et tu me rendras la mienne. Cette bague est moi. Autant que tout le reste. Si je venais à ne pas revenir… Elle te sera d’une utilité immense. C’est tout mon héritage. Pendant mon absence, c’est toi qui sera à la tête du manoir.»

Il se détendit ensuite sensiblement, et aidant sa femme, il se releva. Il ne comptait pas passer sa soirée dans le salon, quoi qu’il arrive. Il avait été assis ou debout toute la journée, et un peu de confort ne lui ferait pas de mal. Qu’il dorme ou non n’avait que peu d’importance vu l’heure. Il partirait bientôt et entendait profiter au maximum des éventuels derniers instants qu’il passerait avec Ambre.

«Montons.»


Il l’entraîna avec lui, liant leurs mains, et monta dans les étages jusqu’à leur chambre. Après s’être débarrassé des couches de vêtements superflus, il s’assit sur leur couche, et l’attira à lui. Il posa le font contre son ventre, et laissa échapper un long soupir, profond. Il réfléchit quelques secondes, et leva le regard vers sa femme. Ses mains se posèrent de chaque côté de son nombril, dissimulé sous le tissu.

«Crois-tu qu’un enfant nous sera bientôt offert ?»
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyVen 22 Juil 2016 - 1:07
La comtesse glissa sa main par-dessus celle de son mari lorsqu’il passa sa paume sur son cœur. Tout geste esquissé, toute attention, elle l’attrapait et la prolongeait, en ces derniers instants qui étaient les leurs.

- Tu les auras, tous les jours, répondit-elle. Mes pensées, mes prières, mes lettres. Surtout, dès que l’opération est terminée, envoie-moi quelque chose, Morion. Un simple morceau de papier déchiré, une phrase rapide. Ne prends pas le temps de rédiger une lettre réfléchie et détaillée pour lever mon angoisse, s’il te plait. Sans quoi je vais perdre la tête, si les autorités reçoivent des nouvelles du déroulement des opérations, mais pas moi.

Ambre nota le regard de Morion qui coula sur la table lorsqu’elle assura avoir mangé. Un homme perspicace. Il ne commenta rien, alors fit-elle de même. Elle n’avait en effet rien mangé, en fait. Elle n’avait pas faim, et elle ne réussirait pas à avaler quoi que ce soit avant la conclusion du Labret dans tous les cas. Cela n’était pas la peine qu’il la force.

- L’avant-garde. Ambre commenta, sourcils froncés, et eut une pause. Sur le coup, son cœur rata un battement, mais elle reprit un peu raison quelques secondes après. L’avant-garde était la zone la plus exposée… dans une guerre humaine. Les fangeux risquaient peu de se tenir en rang serré et d’arriver par l’avant uniquement. C’était en fait sur le flanc côté marais que viendrait le danger. Morion eut la pertinence de ne pas préciser oralement qu’il serait justement de ce côté, sans quoi Ambre aurait blêmi. J’espère que ton cheval ne se fatiguera pas trop, que tu fasses tous ces aller-retours constants le long de la procession, murmura-t-elle.

La jeune femme écarquilla les yeux lorsque Morion lui céda sa chevalière, à lui aussi. Une chevalière presque identique à celle qu’elle possédait, mais avec de subtiles différences. Et une facture beaucoup, beaucoup plus ancienne, bien évidemment. Elle était sa femme, elle serait effectivement celle qui gèrerait les affaires Ventfroid en son absence – le manoir comme les relations publiques. Elle détiendrait un fort pouvoir de décision et d’action, mais elle prierait pour que l’homme revienne au plus vite reprendre les droits et les devoirs qui étaient les siens, à ses côtés. Elle glissa le bijou sur le doigt sur lequel il tenait, mains légèrement tremblantes.

- Je veillerai dessus jusqu’à ton retour. Précieusement. Tu en as la promesse.

Entendre qu’elle serait l’héritière de son héritage s’il venait à trépasser l’avait troublée. Elle n’était pas stupide, c’était quelque chose qu’elle savait bien évidemment, mais l’entendre dire était toujours différent.

Ils montèrent dans leur chambre. Il faisait nuit noire dehors, le manoir était d’un calme absolu.
Ambre glissa ses doigts dans les cheveux son époux alors qu’il posait le front contre son ventre, assis sur la couche, elle debout entre ses genoux. Elle caressa l’arrière de son crâne alors qu’il inspirait contre elle. La comtesse apprécia ce geste, cette étreinte pleine de tendresse de la part de son époux. Il était particulièrement calme alors que la migration était pour dans quelques heures. Quand il releva le visage vers elle, elle entremêla ses mains derrière la nuque de son époux. Elle observa Morion de haut quelques instants, un sourire florissant sur ses lèvres.

- Je l’espère. Nous avons honoré les dieux comme il se doit, ils ne devraient pas nous faire trop attendre… Regarde. Ambre souleva sa manche droite, découvrant un bracelet ouvragé autour de son poignet, en bois fin. Du bois de cerf. Je le porte tous les jours pour nous aider. Ambre soupira ensuite. C’est dommage que je ne sois pas déjà enceinte, cela t’aurait donné une motivation de plus pour rentrer sain et sauf.

Elle arbora un sourire à mi-chemin entre la tristesse et l’amusement, voulant taquiner, en sachant pertinemment qu’il n’avait pas besoin de raison supplémentaire, mais ayant du mal à plaisanter sur le danger du Labret.

Les derniers saignements d’Ambre dataient de quelques jours avant leurs noces, les prochains seraient dans le courant du mois de mars, donc – s’ils se présentaient. Ambre pouvait être déjà enceinte comme pas du tout ; ils ne pouvaient pas le savoir. Seul le temps et la patience leur donneraient des certitudes. Même si, en toute franchise, seule au manoir alors que Morion serait loin tout ce mois de mars, risquant sa vie tous les jours ou presque, Ambre n’aurait sûrement que peu l’occasion de se demander si un enfant grandissait déjà en elle ou non. Ses pensées seraient tournées exclusivement vers Morion pour le coup. S’il ne revenait pas, cela serait terrible. Quel serait le pire ? Qu’il ne rentre pas et ne connaisse jamais l’enfant qui verrait le jour, ou qu’il ne rentre pas, sans qu’Ambre puisse assurer une descendance ? La comtesse se demandait sincèrement si elle serait capable d’élever un Ventfroid sans la présence de Morion. C’était une idée si terrible et ignoble qu’elle préférait, en fait, que la survie de Morion soit assurée avant que les dieux n’engagent quoi que ce soit dans son ventre. Les desseins des dieux étaient indéchiffrables cependant. Et penser ainsi… c’était déjà supposer que Morion ne rentrerait jamais, et elle se refusait à être si fataliste, même si l’angoisse roulait, douloureuse, dans son ventre.

Doucement, Ambre quitta la nuque de son mari pour relever doucement les pans de sa robe, jusqu’au-dessus des genoux, à mi-cuisse. Profitant de la nouvelle liberté de ses jambes, elle put s’agenouiller sur la couche, genoux entourant les hanches de Morion assis sur le lit. Elle délassa doucement le col de sa chemise, venant caresser les poils doux de son torse. La mort d’Aaron avait perturbé leurs nuits, et s’ils avaient été particulièrement zélés les deux premières semaines de leurs noces, leurs rapports de cette dernière semaine s’étaient raréfiés. Ambre regrettait soudain cela. Elle voulait s’oublier une dernière fois dans les bras de son époux. Oublier la mort de son père, oublier la vie un moment. Et puis, quelle femme laisserait partir son mari en guerre sans partager avec lui une nuit qui était potentiellement la dernière ? Pas elle en tout cas.

- Je crois cependant que plus nous essayons, plus nous avons de chances qu’un petit héritier pointe bientôt le bout de son nez, n’est-ce pas ? Elle l’embrassa rapidement. Je te veux, Morion, souffla-t-elle. Cette nuit, une dernière fois. Avant…

Elle fronça les sourcils, contenant son émotion difficilement. Elle ne termina pas sa phrase, inspirant profondément. Elle connaissait tellement d’histoires sur des soldats partis en guerre, laissant derrière eux femme et enfant à venir. Elle prierait pour que le schéma ne se répète pas chez eux.

- Aimons-nous, murmura-t-elle en dernier lieu.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyVen 22 Juil 2016 - 3:46
«Tu auras de mes nouvelles chaque fois que j’aurai le temps de faire décoller un pigeon. Tu as ma parole, certifia Morion. Il ne comptait pas forcément lui faire part des détails de toute l’opération, hormis si celle-ci se déroulait à la perfection, ce qu’il savait impossible. Néanmoins, il ne comptait pas la laisser dans le flou total. Herbert avait déjà reçu des instructions en ce sens.»

La logistique du convoi était complexe, mais à part si les montures se faisaient tuer, ce qui était peu probable en cas d’attaque de fangeux qui n’avaient que faire des animaux, il n’aurait pas de problème. Comme pour les mules et chevaux de trait qui traîneraient les divers véhicules remplis de matériel, de sacs de grains, il fallait toujours prévoir quelques montures en plus. Un cavalier devenait parfaitement inutile sans son cheval, et selon le déroulement des événements, la monture première n’aurait peut-être pas le temps de paître, ni le temps de se reposer. Il n’était pas rare, à l’époque des grandes guerres entre hommes, de voir des montures claquer sur le chemin, poussées à bout lors d’un combat, et à qui, durant une retraite précipitée, l’on avait pas laissé le temps de se reposer. Morion s’était justement assuré de faire mobiliser le maximum de montures afin qu’ils ne vivent pas cette situation. Dans le cas d’une attaque, une monture qui s’effondrait en retournant vers le convoi… Cela signifiait la mort.

«Je n’en aurai pas qu’un seul, résuma-t-il. L’heure n’était pas vraiment aux détails opérationnels.»

Une fois dans leur chambre, quand la réponse d’Ambre à sa question sur un enfant à venir résonna à ses oreilles, il passa un doigt le long du bois de cerf, espérant sincèrement que cela viendrait vite. Ils ne vivaient plus un temps où l’on pouvait se permettre de prendre des mois, parfois des années, avant de concevoir un héritier. Même s’ils arrivaient rapidement après le mariage, en général, encore plus dans les couples qui comme le leur, fonctionnaient plutôt bien, il pouvait arriver, à cause d’indispositions, de temps de guerres, de maladies, cela arrive plus tard. L’époque, et encore plus avec les diverses décisions ducales, avait tout rendu horriblement urgent. L’on ne se le représentait pas assez, mais le temps filait avec une célérité anormale. Les heures se changeaient presque en minutes, et une journée passait tellement vite, avec les travaux que chacun avait à accomplir, vers un avenir tellement incertain… Le temps était une ressource plus rare et plus précieuse encore que l’eau douce, la nourriture, le bois. L’acharnement au travail de Morion tenait une petite partie de son intensité de cet état de fait. Il n’avait en aucune manière le temps de s’arrêter, de prendre d’incessantes pauses, ou de remettre ce qu’il pouvait faire un jour au lendemain où la semaine qui suivait. Et il en allait de même avec son épouse. Il n’avait pas le temps de la laisser seule quand l’occasion se présentait d’être avec elle. Il saisissait chaque instant, aussi court fut-il, de passer un peu de temps en sa seule compagnie, sans charge de travail, à uniquement goûter sa présence à ses côtés. C’était amplement satisfaisant. Si la fatigue, bien souvent, surtout depuis la mort du père d’Ambre, qui avait jeté une ambiance assez morne autour d’eux, les abattait régulièrement, ou avait un peu réfréné la passion dont ils avaient fait preuve à l’aube de leurs noces célébrées, ils n’en restaient pas moins étroitement complices et liés.

Il la voulait, également. Terriblement. Dans combien d’heures partait-il ? Trois ? Quatre peut-être ? Il s’en fichait. Le plus important était contre lui, sur lui, il l’enlaçait, l’embrassait. Jusqu’au moment où il quitterait la couche pour un destin peut-être sombre, il ne voulait penser à rien d’autre. A rien d’autre que les boucles ambrées qui tombaient sur les épaules de sa femmes, qui venaient lui chatouiller le cou, quand il relevait la tête pour venir s’emparer, sans retenue de ses lèvres. La texture douce et tendre, légèrement humide, de ses lèvres, quand elles se pressaient contre les siennes, ou contre sa peau. Son regard, encore soucieux, mais reflétant une envie ô combien partagée. Ses traits fins, tendus depuis des jours, et portant toujours nantis d’une grâce certaine. La douceur de sa peau pâle, dont les frissons s’éveillaient peu à peu au rythme des caresses que lui offrait le comte. Son odeur, raffinée, travaillée, unique, qu’il aimait sentir, lorsqu’il partait, ou rentrait, signifiant que sa femme n’était pas loin. Une odeur qui commençait déjà à s’installer dans cette salle, non loin, qui avant sentait le bois et la poussière. La chaleur de ses mains sur son propre corps, dont l’hésitation s’était envolée au fil des jours et des nuits passés ensemble, remplacée par une assurance qui mêlait tantôt la tendresse, tantôt l’envie fiévreuse, tantôt, comme ce soir, un désir mêlé de fébrilité, et la douceur qu’une femme pouvait mettre dans un geste visant à prendre soin, par ses attentions, de son époux. Il la voulait terriblement. Se gaver de toutes ces sensations, les ancrer si fermement en tête que des griffes et des crocs maudits et dépéris ne suffiraient à les lui arracher. Ses propres doigts se recourbaient en une prise plus ferme, plus impérieuse, autour de ses hanches, tandis qu’il l’attirait contre lui. Qu’il délaçait sa robe. Il n’entendit même pas le bruit mou de tissu qui tomba au sol. Il n’entendait que ses cheveux et leur bruissement discret contre sa peau, contre la sienne. Il entendait juste son souffle, une articulation craquer, parfois. Il n’entendait qu’elle.

S’aimer…

«Jusqu’à la dernière nuit.»

Ils ne devaient plus parler, après cela. Leurs vêtements étaient partis. Morion couvait Ambre de sa présence, au dessus d’elle, et la comblait d’attentions fiévreuses, accueillant les siennes avec le même plaisir, la même envie, que ces tous premiers jours langoureux et passionnés. Peut-être, sûrement même, plus intensément encore. L’univers s’était refermé autour d’eux dans une bulle protectrice, éphémère, dans laquelle eux seuls existaient, l’espace des quelques heures qui leur restaient. Leurs souffles s’entremêlaient. Les doigts de Morion, dont la fébrilité laissa place au désir plus profond d’un homme qui connaissait le corps de sa femme, et savait où, quand, et comment le caresser, parcouraient la peau, s’arrêtaient s’emparer d’un sein, à l’instar de ses lèvres qui ne l’épargnaient en aucune façon. Une nuit forte, brûlante, durant laquelle il honora la demande, la prière d’Ambre, comme elle le lui avait demandé.

Et une nuit horriblement courte.

De celle-ci, même après leur étreinte, qui emporta avec elle une part significative de ce temps restant, il ne ferma pas l’oeil. Même l’acte accompli, ses attentions perduraient. Il la gardait contre lui, allongée contre son torse comme elle aimait à le faire, et la caressait, inlassablement. Il relevait parfois le buste, pour l’embrasser, encore, et encore. Il l’observait. Parfois elle lui rendait ses visées, parfois non. Il observait alors son corps, gravant plus fidèlement que jamais chaque courbe, chaque relief, chaque grain, qu’il pouvait apercevoir. Si Anür devait le rappeler à elle dans cette journée, alors il en aurait des choses à raconter. Et les pensées et visions qui l’enregistraient suffiraient, peut-être, à combler le temps qu’elle mettrait à le rejoindre, il l’espérait, le plus tard possible.

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En bas, des cloches sonnaient. En bas, en ville. L’appel aux troupes commençait, partout en ville. Même là haut, sur le noble perchoir sûr et luxueux qu’était l’Esplanade, les sons clairs, parfois rauques et un peu rouillés, des cloches et des cors, lourds de significations, étaient perceptible. Il passaient au travers du verre, de la pierre, des jardins, s’insinuait partout, jusqu’au palais, et répétaient tous la même chose. “C’est l’heure”, disaient-ils, de leur son résonnant, insupportable. Il faisait encore nuit, dehors, mais la ville fourmillait déjà d’activités. Tous se rassemblaient, récupéraient le matériel, et petit à petit, à l’entrée de la ville, dont les portes étaient encore closes, du monde se rassemblait. La Milice, tout d’abord, qui venait chercher les volontaires, et ceux qui ne l’étaient pas aussi. Les animaux parqués intra muros pour les besoins de chargements bêlaient, hennissaient, mugissaient. La cacophonie extérieure était grandement étouffée par la distance, le vent parfois contraire, ou même par l’épaisseur des murs des manoirs, mais on les entendait. Chaque son qu’il percevait énervait un peu plus le comte, dont la dernière envie était de quitter le lit, étroitement collé au corps de sa femme, qui n’avait pas plus dormi que lui. L’engourdissement qui avait saisi ses membres après leur nuit torride avait définitivement quitté ses muscles. Il s’autorisa quelques minutes, qui passèrent aussi vite que si elles n’avaient jamais existé, avec sa femme, dans leur lit. Elle voudrait essayer de le retenir, peut-être. Mais tout ceci se déroulerait en un éclair seulement.

Il sortit de son armoire des chausses de cuir sombre, noirci par le temps, mais bien entretenu. Il ne mit qu’une chemise par dessus, et ceignit son épée à sa ceinture. Sa main gauche, une dague longue à la garde recourbée en direction de la lame, rejoint l’autre hanche. Il attendit que sa femme se soit également vêtue, avant de quitter la chambre. Il ne comptait pas partir en la laissant là comme une idiote.

Etonnamment, il était d’un calme absolu. Il s’apprêtait à rejoindre un milieu qui lui était très familier. Celui des missions, et éventuellement des combats. S’il n’avait aucune volonté vindicative, il faisait toujours le calme plat dans son esprit, chassant les pensées parasites. Son souffle était régulier, son expression sereine. Son regard, indéchiffrable. Un état de haute concentration dans lequel il se plongeait chaque fois qu’il avait mené des combats ou des missions pour le compte de sa famille ou de plus haut placé encore.

En bas, Talen avait déjà tout préparé. Un déjeuner, frugal mais consistant, ainsi que dans le hall, les mannequins portant leurs armures à tous les deux. En se dirigeant vers le salon, Morion posa un regard indifférent sur le plastron à la couleur argentée, sur les jambières, et sur le casque, dont le métal avait été gravé de ses armoiries. Il avait l’impression de voir cette armure pour la première fois. Cette armure jouxtait celle de Talen, moins impressionnante, au pied de laquelle était posée un bouclier, représentant une tour noire au sommet blanc, au dessus de laquelle un cristal discret, couleur d’azur, avait été peint. Un petit sourire étira les lèvres du comte.

Morion n’avait pas faim. Néanmoins… Il s’assura de se remplir l’estomac. Quelques provisions avaient été préparées, mais il fallait être rempli si l’on voulait assumer le début de la mission dans les meilleures conditions. Même si les départs étaient souvent assez peu prompts aux gros appétits, il fallait savoir se forcer.

Pas un instant Morion n’avait quitté Ambre. Il l’observa, alors qu’ils étaient tous deux assis, l’un à côté de l’autre, dans le petit salon. Talen s’affairait toujours, préparant des paquetages, et s’assurant que les armures portaient toutes leurs pièces, qu’elles avaient été graissées, que les épées étaient affûtées, son bouclier bien solide et pas ébréché…

«Mange, s’il te plaît. Son ton, malgré l’imminence de son départ, était parfaitement calme et serein. Je m’assurerai sinon que les domestiques te forcent à manger pendant mon absence. Un demi sourire étira un coin de lèvres. Et si l’ordre vient de moi, ils préféreront se risquer à te malmener qu’encourir ma colère.»
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyVen 22 Juil 2016 - 17:07
La nuit fut tendre, très tendre. Brûlante. Ils s’oublièrent dans les bras de l’autre, avec une douceur infinie, goûtant à chaque parcelle de peau dans une position qui permettait de profiter de caresses longues et lascives. Leur passion était teintée d’une certaine tristesse sous-jacente, témoin de la séparation prochaine, et leurs mains cherchaient l’autre comme s’il s’agissait de la dernière fois. Les gestes furent lents, les baisers tendres, presque amoureux au début... mais ensuite, l’urgence du moment, de dernier partage avant plusieurs semaines, rendirent leurs gestes fiévreux, leurs enlacements puissants. Ambre vivait intensément chaque seconde, gravant dans son esprit les traits de son mari, son odeur, sa façon d’être, ses gestes. La sensation de sa barbe qui caressait sa peau dès qu’il venait embrasser son corps, des traînées humides que sa langue laissait derrière elle, la vision de ce visage en plein plaisir, de ces lèvres entrouvertes qui échappaient un souffle rauque de désir. Ces mèches châtain, aussi, qui venaient chatouiller la comtesse lorsqu’elles s’échappaient du nœud, ou lorsqu’elle retirait complètement l’attache. Ces cicatrices dans le dos, même, qu’elle avait appris à aimer, non pas parce qu’elle acceptait la violence, mais parce qu’elles représentaient son mari. Pas un seul homme n’avait des marques identiques ; c’était Morion, et elle serait capable de le reconnaître à la simple caresse de son dos.

Si leurs précédents rapports avaient déjà été idylliques, celui-là était teinté d’une grande lucidité, d’une conscience accrue de chacune des attentions. Ils oublièrent le monde, longtemps. Le temps était grignoté, petit à petit, en même temps qu’ils se dégustaient tous deux. Non, vraiment, les dieux seraient cruels, si après tant d’attentions assidues elle ne donnait pas naissance. Le temps manquait, à tous – il n’avait jamais été plus précieux désormais que le lancement du Labret ne se comptait plus qu’en heures. Même un enfant ne pouvait plus se permettre de tarder ; plus dans un monde où ses parents pouvaient mourir d’un jour à l’autre, tuant dans l’œuf toute chance de se développer un jour dans le ventre de sa mère.

Ils ne parlaient plus, mais ils communiquaient avec ardeur. Des soupirs, des doigts recourbés, des gémissements, des regards, des mordillements. Même l’acte accompli, ils restèrent enlacés, jusqu’à la fin. La comtesse savoura l’odeur de l’homme, sa peau légèrement luisante de sueur, et caressa longtemps les poils de son torse, de son ventre. Elle se redressa à plusieurs reprises sur un coude, dévisageant ce visage qu’elle ne reverrait peut-être plus. Ses doigts fins passèrent sur ses joues, écartant des mèches rebelles, glissant sur les lèvres, la barbe, imprimant chaque relief. Elle ne dit rien. Maintenant que l’acte était clos, il était plus difficile de chasser de son esprit ses peurs et ses angoisses. Mais elle se tut, les heures qui restèrent, repoussant ces lugubres idées, même si parfois son regard parlait pour elle tandis qu’elle dévisageait Morion.

Le sommeil tenta de l’emporter à plusieurs reprises, toute engourdie qu’elle était par leur étreinte. Cela aurait pu l’aider, chasser ses peurs. Cependant elle lutta, à chaque fois. Elle profiterait de chaque seconde, de chaque respiration, de chaque caresse tendre de son époux. Ce dernier ne dormait pas non plus, il resta comme elle, yeux ouverts, silencieux. Leurs prunelles se croisaient souvent, lorsqu’ils se penchaient pour s’embrasser.

Ils continuèrent ainsi jusqu’au son des cloches.

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3 mars 1165

Ce terrible son des cloches. Elles résonnaient en ville, partout. Dans les rues, dans les murs, elles vibraient partout, et s’il avait existé une âme ignorant encore l’imminence du Labret, son ignorance aurait pris fin aussitôt. Ambre frissonna contre Morion dans la couche. Leurs rideaux étaient tirés, mais il faisait toujours nuit noire dehors. Nuit noire, et pourtant les cloches et les cors résonnaient. Le temps de la guerre était là. Ce bruit qui résonnait jusque dans leur lit rappela à la comtesse de nombreux souvenirs. Ces cloches avaient déjà résonné, pour plusieurs raisons. Souvent, la guerre. Une attaque contre la cité, une alerte sur un danger. Ces cloches réveillaient torpeur et inquiétude chez tous les habitants de la cité. La comtesse se souvenait aussi de choses heureuses cependant. Les cloches du Temple qui vibraient pour un mariage. Pour les fêtes religieuses. Pour fêter une naissance de la famille ducale. Ces sons pouvaient être porteurs d’un malheur terrible, mais aussi d’une joie intense. En ce jour, malheureusement, le glas du désespoir vibrait en même temps que les cloches de la cité. Ambre avait l’impression de sentir vibrer chaque son dans sa poitrine, comme si elle s’était trouvée à quelques mètres seulement des sonneurs.

Morion se leva, glissa sous son bras qui retomba, mou, sur leur couche. Une sensation aigue et fugace de panique traversa la comtesse en le voyant la quitter ainsi, la laisser seule dans ce lit qui deviendrait bientôt terriblement vide. Elle inspira, une fois, deux fois. Puis, Ambre se leva à son tour. Ses gestes étaient raides, son dos figé, son expression inquiète et lasse. Des cernes ornaient son visage après cette nuit blanche, mais elle n’avait jamais été autant concentrée et consciente de ce qui l’entourait qu’en cette matinée.

Ambre s’habilla d’une robe rouge sang, très sombre. A gestes lents, elle dénoua ses cheveux avec une brosse, assise devant sa petite coiffeuse. Elle remonta les cheveux, entortilla des pinces et des barrettes, se maquilla, comme elle faisait tous les matins. Elle avait moins envie que les autres jours, aussi fut-elle légèrement plus longue qu’en temps normal. Mais elle suivrait son mari dehors, jusqu’aux portes de la ville. Hors de question de rester enfermée au manoir. Ce jour, elle le vivrait intensément aussi, comme leur nuit. Elle voulait voir de ses propres yeux tous les hommes – pères, fils, époux, frères – qui partiraient pour le salut de l’humanité. Elle saluerait tous ces gens, faisant bonne mais grave figure, tandis que son propre mari la quittait, elle aussi. Les petites gens n’étaient pas les seuls à souffrir de cet exode. La noblesse saignait aussi.
Marbrume s’apprêtait à vivre un jour historique. Peut-être, un jour, conterait-on aux enfants la reconquête des terres fertiles face aux monstres de la fin de temps. La morale serait-elle heureuse ? Les Marbrumeux pourraient-ils dire un jour que les Hommes avaient vaincu la fange, grâce à leur courage, leur force, leur foi ? Ou n’auraient-ils qu’à transmettre à leurs descendants une histoire de mort et de désespoir ?
Ce jour resterait de l’Histoire de Marbrume, c’était certain. Et si Ambre serait impuissante dans la réussite ou l’échec de toute cette opération, elle vivrait ce jour dans son entier. Elle aurait pu rester recroquevillée dans leur couche, ingurgiter pleins de calmants pour se réveiller seulement après l’opération terminée, et ne pas devoir attendre avec une angoisse terrible le verdict concernant la vie de son mari. Mais elle ne le ferait pas. La comtesse se tiendrait prête, quoi que serait la situation.

Morion était particulièrement calme. Avant qu’ils ne descendent, elle se pressa contre lui, l’embrassa en silence. Elle redressa le col de sa chemise, plus par habitude qu’autre chose, car il n’était pas tordu. Elle guetta les expressions de son regard. L’homme était déterminé, et nulle trace de peur ne semblait jaillir. Droit, digne, sombre et solennel. Comme il l’avait toujours été.
Ils descendirent tous deux. Talen était déjà affairé. Ambre s’arrêta un instant dans le hall à la vision des deux armures en place, et frotta ses propres bras de ses mains, comme si elle avait froid. La vision de ces armures de guerre, du combat à venir, menaça de briser sa détermination. Grands dieux, elle aurait aimé ne jamais voir Morion s’en affubler. Brièvement, elle pria Rikni que les armes et les protections du comte soient efficaces. Que l’épée qu’elle lui avait offerte trancherait chaque assaillant. Morion était un homme de guerre, comme tout noble, mais c’est dans des tenues de confort, ou de ville, qu’elle l’avait connu jusqu’à présent. Jamais il ne s’était paré d’une armure rutilante en sa présence.

Ambre avait posé un regard neutre sur leur petit-déjeuner, dans l’ambiance sombre et feutrée du salon alors que l’aube ne pointait pas encore. L’estomac noué, elle n’avait pas faim du tout. Elle se força, pourtant, souriant difficilement à son mari.

- Ils s’en voudront de me rendre encore plus malade, répondit-elle, picorant malgré tout dans la coupe de fruits et se servant du lait. Si d’habitude elle appréciait beaucoup ce repas dans la journée, là elle dut vraiment prendre sur elle pour finir. Comment fais-tu pour être si calme ? Combien de guerres as-tu vécues pour partir le cœur serein ?
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyVen 22 Juil 2016 - 22:48
La peur n’était pas manquante à l’appel, bien au contraire. Il partait bientôt pour une mission dont l’issue ne dépendait même pas vraiment d’eux, mais particulièrement du temps, et du nombre d’ennemis qu’ils auraient à affronter. Le talent des chefs de guerre ne serait pas mis à l’épreuve vis à vis du nombre d’adversaires occis, mais vis à vis du nombre de vies sauvées et du peu de relevés. Ainsi que de la vitesse avec laquelle ils atteindraient le Labret. Et quoi qu’il arrive, il était important pour un guerrier de savoir ce qu’était la peur. Un homme sans peur était au mieux fou, au pire un danger pour les autres et lui-même. Il fallait juste être capable de la maîtriser, et ne pas agir qu’en fonction de celle-ci. C’était difficile, cela demandait du temps, et de l’entraînement. Et surtout, cela demandait aussi d’être confronté à des situations réelles, une salle d’armes était hautement insuffisante pour ce genre d’exercice. Certains étaient parfois plus aidés que d’autres, naturellement; un sang-froid ou un calme naturel, en dépit des circonstances, était déjà un bon point. L’on pardonnait plus facilement aux sous-fifres leur inconscience, en revanche. Tant qu’ils suivaient les ordres, si le danger ne leur importait pas, c’était même assez arrangeant. Les sacrifier était plus facile. En revanche ces traits chez un meneur… Cela pouvait mener à la mort de tous ses hommes.

Les grandes guerres étaient peu nombreuses. Complètement absentes depuis la fange, mais même avant cela, il était rare de voir toute la force de frappe offensive du duché partir plusieurs mois en campagne. Les guerres étaient horriblement coûteuses pour tous les camps, et les seigneurs étaient peu enclins à dilapider leurs fortunes dans des batailles incessantes. Qui plus est, le ralliement sous les bannières royales avait tout de même sensiblement diminué le nombre de conflits internes, même si les luttes pour le pouvoir et les guerres de territoire persistaient. Les menaces étaient souvent incarnées par les barbares étrangers. Néanmoins les Ventfroid, même basés à Marbrume, avaient toujours mis un point d’honneur à respecter tous leurs engagements envers leurs vassaux, notamment leur devoir de protection. De fait, ils avaient plusieurs fois été dans le nord ou des contrées plus ou moins éloignées afin de prêter main fortes à des maisons alliées en difficultés.

«Pas tant que l’on se l’imagine. Nous combattons assez rarement à visage découvert… Mais je ne me serais pas estimé méritant de mon titre si je n’avais pas eu à déployer des forces, même sous le commandement de mon père. Il haussa légèrement les épaules. J’ai assez combattu pour avoir une bonne expérience des champs de bataille. Notre famille cherche rarement le conflit, et seuls nos bannerets comptent vraiment sur nous. Nous préférons le petit nombre et les escarmouches. Et je ne fais pas exception, je crois.»

C’était même certain. Il préférait clairement agir sans le côté honorable des champs de bataille et les récits héroïques qu’on en faisait. Il méprisait d’ailleurs totalement l’héroïsme dans son ensemble; il n’y croyait pas. Justement, peut-être, à cause de son expérience. Et il trouvait plus méprisable encore que l’on mente à ceux qui n’étaient pas sur le terrain. Certains stratèges et combattants montraient vraiment des performances ahurissantes, il était vrai. Mais c’était du talent, et souvent, une bonne dose de chance. Rien à voir avec une incarnation divine. Ils ne se mêlaient pas des conflits des hommes. Et attribuer des qualités divines à un homme ou un groupe d’hommes… Morion trouvait cela presque insultant. La guerre c’était laid, brutal, sanglant, les morts se comptaient par dizaines, voire centaines, les familles étaient déchirées, des dynasties s’éteignaient, et les guerriers les moins scrupuleux se laissaient aller aux pires exactions, sans même le moindre sens du respect de l’ennemi.

«J’ai peur, c’est un fait. Mais si je la laisse prendre le dessus, je vais perdre tous mes moyens et être incapable de réfléchir. La vie de plusieurs milliers de personnes dépendent de moi, de nous. Il soupira légèrement. Il faut juste être concentré. Ca s’apprend.»

La suite du petit déjeuner fut malheureusement assez rapide. Il était bien moins copieux que les précédents, et Talen eut tôt fait de débarrasser les plats qui restaient sur la table, avant de s’en aller dans les étages, sur les ordres de Morion. Le comte ne quitta pas encore la table, pendant ce temps. Ils avaient tout de même un peu de temps, et préférait rester dans le salon. Quand il mettrait son armure, ce serait uniquement pour s’en aller.

Talen redescendit quelques minutes plus tard avec un coffret verni, tout en longeur, qu’il confia au comte. Morion n’avait pas eu besoin de faire forger d’arme pour sa femme, il savait déjà laquelle elle aurait, et qui corresponde à sa manière de la porter. Il le posa entre Ambre et lui, et l’ouvrit. La dague à l’intérieur était en très bon état, de facture peut-être un peu surannée, mais tout à fait fonctionnelle. La lame était parfaitement aiguisée, et le métal n’avait aucun défaut. La lame était longue d’une vingtaine de centimètres, et le manche fait pour des mains fines, et non sans raison. La garde, quant à elle, était finement ouvragée. Elle se recourbait légèrement vers l’intérieur. Des branches de rosier et des roses avaient été gravées sur toutes la surface de celle-ci. Quant au cuir entourant le manche, il était souple, d’une couleur très sombre aux reflets pourpres. Un petit pommeau orné d’un minuscule rubis l’ornait. Cependant, ces discrètes décorations n’entravaient rien le pouvoir meurtrier de cette arme.

«Elle appartenait à ma mère. Il esquissa un petit sourire. Et elle ne venait pas de mon père. Elle lui appartenait, et je crois qu’à la base, c’était bien contre mon père qu’elle avait escompté s’en servir… Les Trois en ont décidé autrement. Heureusement pour moi. Comme quoi, quand frappe l’amour… Néanmoins elle est à toi désormais.»

Il la laissa dans le coffret et le poussa vers elle pour qu’elle puisse le voir, la toucher, s’habituer à son poids, sa prise en main. Elle n’avait encore jamais servi. Isidore partait du principe qu’il serait le seul à protéger son épouse, et que de toute façon, il ferait brûler le premier imbécile qui aurait l’audace ou la folie de s’attaquer aux Ventfroid. Morion ne pouvait se permettre une telle assurance, malheureusement. En bien des points, il était beaucoup plus prudent et calculateur que son père, et cela lui avait à maintes reprises sauvé la vie. Désormais ce talent devrait aussi être mis à contribution pour la protection et la vie d’Ambre.

Il allait sûrement dire quelque chose, ou se lever, pour aller enfiler, finalement, son armure, mais Talen revint à la charge. Il aurait pourtant dû se préparer aussi à cet instant. Son air contrit ne lui disait rien qui vaille, et il comprit bien rapidement pourquoi. Concentré qu’il était, et occupé à donner son présent à sa femme, il n’avait pas entendu la porte d’entrée du manoir s’ouvrir. Un éclat doré brilla derrière Talen, et Cassandre entra dans la pièce, la mine déconfite. La mine seulement. Son regard dénotait une certaine inquiétude, mais en dehors de ça, les bonnes intentions ne semblaient pas être de mise aujourd’hui. Et ce n’était pas sur Morion qu’elles étaient dirigées.

«Comte Morion, Dame de Ventfroid - ses mâchoires se crispèrent légèrement à ces mots - je suis navrée d’arriver à l’improviste, mais je ne pouvais vous laisser partir sans vous apporter mon soutien, et celui de toute la famille Rocheclaire, dans son entièreté. Léa et Jaden aussi. Les sourcils de la blonde se froncèrent légèrement.»

Morion n’attendait pas cette arrivée. Talen, eut la seule réaction logique et sensée dans cette situation : la fuite. Il retourna finir les préparatifs, laissant le comte seul avec Ambre et Cassandre. Tout ceci ne le concernait absolument pas. Morion l’observa partir, une faible lueur d’amusement dans le regard, qui disparut aussitôt à la mention du prénom des deux enfants de Cassandre. Qui étaient aussi, à son grand dam, les siens. Sa mâchoire se durcit, son regard se fit froid, mais il tenta de rester courtois. Ce n’était pas la première allusion de Cassandre.

«… Je connais tout à fait le nom des membres de votre famille, Cassandre. Et je vous remercie de vos voeux, je gage qu’ils m’aideront une fois que je serai parti. Etait-il cependant nécessaire de faire tout le trajet ? Surtout à une heure pareille. Je ne vais pas tarder à partir, vous vous êtes, je le crains, fatiguée par bien peu de choses.»
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptySam 23 Juil 2016 - 1:33
La comtesse écouta les propos de Morion, qui se voulaient rassurants. Ambre avait l’oreille distraite cependant. Elle serra fermement sa tasse de lait devant sa bouche, contrôlant par-là la fébrilité de ses doigts. Morion disait avoir peur, mais de réussir à ne pas laisser cette peur prendre le dessus. Ambre se demandait sincèrement comment il faisait. Ça aussi c’était quelque chose qu’il faudrait qu’il lui apprenne durant leurs entraînements. C’était tellement épuisant d’avoir peur. Cela faisait des semaines qu’elle craignait l’arrivée de ce jour, et maintenant qu’il était arrivé c’était pire encore.
Le petit-déjeuner se termina vite, à leur grand dam. A la fin de ce dernier, Talen revint, déposant un coffret dans les mains du comte. Ambre posa les yeux dessus, intriguée. Quand Morion ouvrit la boîte, elle entrouvrit les lèvres.

- Oh.

Elle avait oublié. Leurs entraînements quotidiens avaient porté leurs fruits, un peu, mais il faudrait les continuer au retour du comte, bien évidemment, car sa technique était toujours particulièrement mauvaise. Elle avait oublié que l’homme ne lui avait encore point donné de dague réellement efficace en-dehors de leurs séances. Elle fut touchée, et plus encore lorsqu’il affirma que l’arme lui venait de sa mère. C’était un immense honneur que de recevoir pareil présent…

- Contre ton père ? Ambre avait relevé un œil surpris alors qu’elle avait posé la main sur la garde de l’arme pour la soulever de son coffret. Pourquoi donc voulait-elle tuer ton père ? La pensée lui paraissait particulièrement incongrue. Ne voulait-elle point de leur union ?

Ambre fit tourner la lame entre ses doigts, en caressant le plat de la pulpe des doigts, penchant l’objet pour faire miroiter le rubis brillant sous les lueurs des torches. C’était magnifique. Elle espérait qu’elle saurait la manier convenablement si elle devait s’en servi un jour – autant pour faire honneur aux enseignements de Morion qu’à l’ancienne propriétaire de cette arme.

Après avoir terminé d’admirer ce présent, cette lame précieuse par sa facture mais surtout parce qu’elle avait appartenue à la défunte mère Ventfroid, Ambre souleva sa manche gauche. Le brassard de cuir se dévoila, fourreau vide. Depuis, Ambre avait eu le temps de glisser un ruban de satin sombre pour en constituer l’attache. De nombreuses broderies et fils argentés décoraient également le cuir, formant des motifs mélangeant des flocons de neige et quelques fioritures fleuries. L’argent brillant des fils ne miroitait que plus en contraste avec le cuir sombre qu’elle avait choisi dans ce petit atelier, deux semaines plus tôt désormais. Dieux que le temps passait vite.

La voix encore nouée par l’émotion, Ambre resta donc silencieuse tandis qu’elle glissait cette nouvelle lame dans son support. Quand tout fut en place, elle rabattit le tissu de sa robe, et releva les yeux vers son époux. Ambre rapprocha sa chaise de la sienne, glissant ses mains entre celles de Morion, venant l’embrasser, encore. Elle avait l’impression de n’avoir fait que ça ces dernières heures, le coller, l’embrasser. Elle n’arrivait pas à se défaire de lui, et plus l’échéance approchait, plus elle cherchait la proximité. Même si elle ne pourrait pas avoir meilleure proximité que la nuit qu’ils avaient passée. Entre deux baisers, elle reprit son souffle, posant son front contre le sien.

- Merci. Elle avait réussi à retrouver sa voix et contenir son émotion après le cadeau. Merci pour ça, pour cette nuit, pour… pour tout. Merci d’être toi. Ambre inspira doucement, puis eut un rire nerveux. L’on aurait dit qu’elle faisait des adieux définitifs, c’était exagéré. Le temps était venu pour Morion de partir cependant ; il était prêt à se lever pour aller mettre son armure. Elle le retint une minute de plus, grappillant de précieuses secondes, mais il serait impossible de pousser plus loin ; un retard du comte de Ventfroid était impossible. Je t’attendrai le temps qu’il faut, mais ne tarde pas trop, souffla-t-elle.

Ces mots paraissaient tellement maigres comparé à tout ce qu’elle avait envie de confier, tout ce qu’elle ressentait à cet instant. Ses phrases étaient fades, si peu le reflet de ses pensées. Son silence et son inquiétude parlaient d’eux-mêmes néanmoins. Morion n’avait, possiblement, jamais vu une telle expression sur le visage d’une femme. Du moins pas qui était pour lui.

Cette pensée, ironiquement, tomba pile à l’instant où une autre femme se présenta au manoir. Une autre femme qui, elle aussi, avait des raisons de s’inquiéter pour le comte de Ventfroid. Et qui l’avait poussée à se présenter à une heure fort incongrue au domicile de son supérieur, au fi de toutes les convenances acceptables.

Cassandre de Rocheclaire avait pénétré dans le salon à la suite de Talen. A sa vue, Ambre s’était figée, la main encore dans le cou de Morion, le visage désormais tourné vers l’intruse, mais encore proche de celui du comte. Tout dans leur posture témoignait encore de leur étreinte et de leurs baisers. Ambre resta immobile quelques instants, bloquée dans cette position, parfaitement stupéfaite. A l’image de Morion, elle n’attendait pas cette intrusion, et s’en agaça énormément. Surprise dans son intimité, c’était quelque chose qu’elle acceptait peu, de base. Alors quand cela venait de cette femme, qui avait la sale habitude de se dandiner dans un manoir qui n’était pas le sien, c’était pire. Ambre laissa couler sa main de son mari, s’arrachant à son corps, reprenant la distance correcte qu’on arborait face à un public. Elle se redressa sur sa chaise, raide, l’expression aussi lisse et terne qu’une porte de prison.

- Vicomtesse.

Plus aucune émotion ne courait dans son ton. C’était plat, indifférent, fade. Cette blonde avait poussé le vice jusqu’à venir saluer le comte chez lui, en présence de sa femme, comme une jeune jouvencelle incapable de retenir ses émotions. C’était déplacé. Tout était déplacé quand cela venait d’elle, de toute manière. Depuis le premier jour où Cassandre avait saisi qu’il se tramait plus que des visites de courtoisie entre Morion et Ambre, la vicomtesse s’était braquée, était devenue mielleuse, fourbe, amère. Dès que Morion avait le dos tourné, cela avait été sous-entendus à peine voilés, parfois des remarques totalement gratuites. Ambre avait aussitôt compris que la femme supportait mal qu’une autre noble se rapproche du comte. Entre femmes, l’on a bizarrement une sorte de sixième sens lorsqu’il s’agit de repérer une rivale. Cassandre en était devenue une, depuis les premiers jours, et par sa seule faute. Sans ce comportement, Ambre ne se serait probablement jamais doutée de quoi que ce soit. Mais l’inclinaison de Cassandre envers Morion était aussi évidente que le nez au milieu d’une figure. Et la façon dont le Ventfroid la gardait près d’elle, de façon régulière et assidue, ajouté aux années de relations avec les Rocheclaire, Ambre avait dû admettre qu’il estimait cette femme. Pire, la façon dont il fermait les yeux sur la possessivité de Cassandre avait souvent perturbé la comtesse, soulevant des doutes sur les relations passées et présentes entre ces deux-là. La tolérance de Morion envers les écarts de Cassandre était ahurissante, et ça n’était que plus étonnant lorsqu’on comparait ça à son comportement habituel – citons simplement son accrochage avec Hector de Sombrebois, et le contraste était effarant. La comtesse savait donc qu’il y avait des éléments dont elle manquait. Cassandre était une vassale de longue date, amie d’enfance ; elle avait vécu bien plus de choses avec Morion. En comparaison, Ambre n’était qu’une enfant. L’expérience qu’elle avait de Morion était risible, et Cassandre se plaisait à le rappeler, d’ailleurs, évoquant parfois des souvenirs avec Morion en la présence de la comtesse qui, forcément, n’éveillaient aucun écho chez cette dernière.

Cependant, malgré tous ces détails, ces doutes, c’était toujours Cassandre l’instigatrice de cette ambiguïté. De ce qu’Ambre avait pu voir, Morion restait assez stoïque en sa présence, et professionnel. Elle venait lui apporter les fruits de son espionnage, il l’accueillait, conversait, et la faisait repartir. Aujourd’hui même, il ne semblait pas heureux de sa visite. Même pas du tout. Son visage s’était figé, et ses propos couvaient un mécontentement certain. Ambre ne sut pas saisir les raisons de cet agacement. Etait-il lié, comme pour elle, à cette intrusion dans leur intimité, ou cela cachait-il autre chose ? Les sourcils d’Ambre se froncèrent légèrement à l’évocation de deux noms qui lui étaient inconnus, et à la réplique de Morion qui suivit, mais au-delà de tout ça, une certaine satisfaction perçait. Morion n’était pas content de la voir. Ils se rejoignaient, pour une fois, au sujet de cette blonde. Et si Ambre détestait être surprise dans son intimité par cette femme, que Cassandre ait pu être témoin d’un geste d’affection entre les deux mariés réveilla en elle un plaisir malsain. C’était elle, la comtesse de Ventfroid. Elle qui partageait la couche du comte, elle qui porterait ses enfants, elle qui passait d’agréables conversations et activités à ses côtés. Ambre n’avait jamais été en meilleure position de force face à la vicomtesse qu’à cet instant.

- Une heure bien incongrue pour faire des hommages – nous aurions pu mieux vous accueillir hier soir, nous allons partir en effet. Ambre n’en aurait pas eu plus envie la veille, mais elle tenait à souligner l’impolitesse de sa visite à cette heure chez eux alors qu’il n’y avait aucune urgence. Je vous remercie pour votre soutien cela dit, et celui de… Léa et Jaden. Je suis navrée mais j’ignore à qui vous faites référence ; qui est-ce ? Elle haussa un sourcil, ces noms n’évoquant réellement rien chez elle. Elle regarda Cassandre, puis Morion, ce dernier connaissant mieux qu’elle la fratrie Rocheclaire. Elle se sentit particulièrement stupide sur le coup, et ignorante, elle qui pourtant connaissait tous – vraiment tous – les habitants de l’Esplanade, et avait au minimum quelques ragots sur leur compte. Elle aimait peu se trouver face à une situation où elle ne maîtrisait pas l’information. Retournez-leur la politesse, en tout cas.

Bien évidemment, elle ignorait qu’il s’agissait d’enfants qui n’avaient en aucun cas la maturité de comprendre ce genre de remerciement. Ni la maturité d’accorder des hommages au départ de Morion, en fait, et pour le coup l’allusion de Cassandre avait été totalement gratuite. Elle jouait à un jeu dangereux, alors même que Morion l’avait dûment menacée durant ses noces. Mais tout cela, Ambre l’ignorait encore. Elle ne pouvait pas saisir à quel point Morion pouvait être irrité là de suite.

Les cloches, au loin, sonnèrent de nouveaux coups, et tous purent l’entendre. Presque instinctivement, Ambre se leva, coulant un regard en biais à son époux.

- Même si cela m’attriste, il ne faut pas être en retard, souffla Ambre doucement à son attention. Se retournant vers Cassandre, elle reprit avec un ton plus distant. J’accompagne mon époux jusque dans la basse-ville, je ne puis assumer plus longtemps votre présence. Aucune d’entre elles n’en avaient de toute manière l’envie. Rester toutes les deux au manoir tandis que Morion partait, la plaie. Cela aurait encore plus agacé Ambre de voir cette femme s’inquiéter pour lui autant qu’une épouse. Ça n’était pas son rôle. Je suis navrée que votre visite soit si rapidement écourtée.

A d’autres. Navrée jusqu’au bout des ongles ! Aucune ironie ne pointa dans ses paroles cependant. Elle fut juste… calme, utilisant l’étiquette de leur rang sans mettre une once de personnalité ou d’émotion dans sa voix. Que Morion la suive de suite ou non, Ambre quitta la pièce, mains jointes devant son ventre. Lorsqu’elle revint dans le hall où attendaient les armures, et Talen, qui limait une dernière fois son épée, elle retint vivement une remontrance contre le domestique. Il avait de la chance qu’elle soit trop inquiète pour Morion, sans quoi aurait-elle vivement lancé une réplique acerbe sur le fait qu’il avait laissé Cassandre les surprendre en pleine intimité. Elle espérait que cela ne se produirait plus sans qu’ils ne soient informés avant son arrivée dans la pièce.
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Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptySam 23 Juil 2016 - 3:15
Morion n’avait jamais parlé de ses parents en tant que couple à Ambre, il s’en rendait compte. Il en parlait toujours, et c’était assez normal vu les Ventfroid survivant, vis à vis de lui-même ou de ses soeurs. Elle n’avait pas grand intérêt à connaître l’histoire de ses parents, ils étaient morts, de toute façon. Enfin l’une, c’était certain, l’autre, il y avait peu de chances qu’il le revoie un jour, et avait agi depuis sa disparition comme s’il ne le reverrait jamais. C’était bien mieux ainsi. De fait, son épouse ne savait pas à quel point les jeunes années du couple Ventfroid lui ayant donné la vie avaient été… mouvementées.

«Vouloir leur union ? La première chose que ma mère a voulu, c’était la mort d’Isidore. Il pouffa légèrement. Son père était peu communicatif à propos du passé, mais sa mère s’était régalée en leur contant cette histoire, aux quatre enfants. Elle avait été prise en otage, à vrai dire. En guise de… Force de dissuasion, à l’encontre d’une famille qui semblait en vouloir sévèrement au Roi. S’ils n’avaient attenté aucune action, les soupçons étaient forts, et faute d’ordre d’élimination, mon grand père a simplement décidé que leur fille serait un excellent moyen de pression. Autant dire que leurs premiers jours n’ont pas été très… cordiaux. Mais le temps passa, et mon père me frapperait probablement jusqu’à l’inconscience pour révéler une chose pareille, mais il était jeune, et s’est épris de la belle femme qui vivait sous son toit. Quant à elle, le temps finit par faire également son office. Une drôle d’histoire assurément.»

Il l’observa longuement, cette petite dague. Si les choses ne s’étaient pas passé correctement, il n’aurait peut-être jamais vu le jour. Une toute petite arme et pourtant, qui aurait pu déboucher sur de tragiques conséquences. Si sa mère avait assassiné un Ventfroid sous son propre toit, elle aurait été exécutée, sa famille avec, et ni Morion, ni Estrée ni aucun autre membre de sa fratrie n’aurait vu le jour. Il esquissa un sourire. Cette lame chargée d’histoire, il espérait sincèrement qu’Ambre n’aurait pas à s’en servir, mais il était néanmoins bien content de la savoir entre ses mains.

Il accueillit avec une joie teintée de mélancolie, ou d’appréhension, la nuance était subtile, les attentions de sa femme, qu’il lui rendit avec toute la douceur dont il était capable. S’il avait du s’absenter si longtemps pour autre chose qu’une telle mission, peut-être aurait-il fait abstraction de ses réticences à traîner Ambre en dehors des murs protecteurs de l’Esplanade et de la cité et l’aurait-il emmené à son côté sur ses terres. Elle aurait ainsi pu faire la connaissance de Marianne, enfin, d’Edric de Castelmont, et de tous ces gens qui vivaient tant bien que mal sur son domaine, laissé gracieusement habitable pour des personnes qui avaient presque tout perdu. Néanmoins, c’était parfaitement impossible, il le savait. Il se résignait au maximum à la laisser ici seule, le temps qu’il faudrait pour que ses devoirs envers Marbrume soient accomplis, mais c’était chose difficile. Même s’il saluait l’initiative, en dépit des risques, les ordres venaient du Duc, et obéir à cet homme, devoir abandonné sa femme, pour ses beaux yeux à lui… cela rendait la chose un peu plus difficile à digérer. Il ferait donc ce qu’il avait à faire, mais ne s’attarderait pas plus qu’il ne le fallait. Bien que sa rigueur de travail prolonge une opération d’une journée à une absence de trois semaines, certes.

Sa main passa sur la joue de son épouse, doucement.

«Merci à toi, Ambre. Tu me fais tous les jours découvrir des choses dont l’existence m’était au mieux nébuleuse, au pire totalement inconnue. Et j’entends bien poursuivre ce chemin à tes côtés, et bien en vie.
Ses paroles étaient peut-être un peu floues, mais il se comprenait. Et probablement qu’Ambre le ferait aussi. Je serai absent le moins longtemps possible.»

Il l’avait caressé, tendrement, jusqu’à l’arrivée de Cassandre, qui les surprit pour le coup en plein milieu d’un tendre échange d’attention.

Il avait fallu qu’elle déboule maintenant. Pas à la sortie du manoir ou de l’Esplanade, pas en ville où les gens se rassembleraient sûrement en nombre, sur les remparts où à l’entrée de la ville. Non, pile maintenant. L’air devint presque instantanément… électrique. Morion sentit immédiatement le feu rageur qui couvait entre les deux femmes s’embraser avec force. Il pouvait tout à fait comprendre la réaction d’Ambre. Pour le coup, lui-même n’était pas en joie. Il détestait qu’on le dérange de base. Généralement il donnait même des instructions pour que ça n’arrive pas, sauf en cas d’urgence. Ambre savait qu’elle était l’exception, la plupart du temps, à ce précepte, mais elle avait l’instinct et la compréhension requis pour s’atteler à ses propres affaires, ou attendre qu’un certain temps de travail soit passé, pour venir rendre visite à Morion dans son bureau. Même si parfois, il levait un regard vers elle légèrement courroucé, déconcentré en pleine lecture ou écriture, ce n’était qu’une expression passagère, qui se dissipait quasiment aussitôt.

Cassandre ne semblait pas vouloir s’embarrasser d’autant de délicatesse. Les quelques jours suivant les noces avaient été assez étranges. La vicomtesse était particulièrement sèche et concise dans ses rapports écrits, et avait refusé de mettre un seul pied dans l’enceinte du manoir pendant des jours. Il avait fallu à Morion déployer des trésors d’abnégation et de fourberie pour la faire revenir, et que leur rapports soient plus cordiaux. Elle en voulait essentiellement à Ambre, mais également à Morion, pour avoir écouté sa raison plus que son coeur. Encore que sur la proximité des noces, les deux semblaient s’être rejoint.

Et il était là, comme un parfait crétin, entre les deux femmes. Si l’heure n’avait pas été aussi urgente, il aurait probablement craint l’esclandre, et comme toujours, afin d’éviter une confrontation qu’il estimait impertinente et stupide, aurait disparu dans les profondeurs de sa demeure, le temps que l’orage passe. Une conduite fort peu honorable certes, mais Morion refusait de perdre un seul instant avec ces fadaises. Il tenait à sa femme, mais son besoin de Cassandre était total, pour l’instant. Il ne pouvait s’en séparer, et ne voulait de toute façon pas le faire. Néanmoins, à elles de trouver un terrain d’entente, sinon tant pis.

L’allusion de Cassandre en revanche… Il savait très bien que la blonde avait choisi un instant où Ambre était présente pour évoquer le nom, ouvertement, de ses bâtards. Il savait qu’elle avait pris cet élément en compte, et qu’elle en usait avec un certain plaisir. Il avait horreur de voir la fourberie et la malice de cette femme, qu’il employait justement parce qu’elles devenaient des qualités, se retourner contre lui. Une horreur qui le fit d’ailleurs blêmir de rage. Qu’elle l’interrompe dans un des derniers instants qu’il passait avec son épouse… Cela pouvait passer. Ca l’irritait fortement, mais ça passait. Talen allait en entendre parler, bien qu’il sache que le pauvre chevalier ne pouvait guère tenir tête à cette furie. Il observa un moment sa femme, d’ailleurs, le visage lissé de toute expression, puis celui de Cassandre, à peine plus expressif, mais où la malice brillait au fond de ses prunelles bleues. Voulait-elle vraiment que Morion pense à ces deux… erreurs, lorsqu’il serait au combat ? Voulait-elle qu’il tombe de son cheval, déconcentré par une pensée malvenue en un instant potentiellement crucial ? Il ne savait pas vraiment, et s’en moquait. Plus le temps passait, et plus elle jouait avec le feu. Ses chamailleries avec Ambre ne l’intéressaient guère. Il l’avait choisie pour épouse, et la fureur de Cassandre pouvait être aussi intense que le feu du ciel, il ne changerait pas d’avis. Il ne prendrait pas non plus maîtresse, malgré les inclinaisons de sa vassale. Il serra un moment le poing, à s’en pâlir les phalanges, puis laissa un bref soupir lui échapper. Ne pas s’énerver. Pas maintenant, en tout cas.

Son regard et ses pupilles s’étrécirent de colère, fixés sur la blonde, mais il sourit poliment, et se contenta de répondre, la voix tout à fait contenue, bien que plus froide que jamais.

«Léa et Jaden de Rocheclaire sont les neveux de Cassandre. Ils… Ils adorent leur tante. Il avait failli dire que Cassandre était leur parente par défaut en suite de la mort de leurs parents, mais préférait autant que faire se pouvait éviter ce sujet là. La blessure de son manquement à ses principes, s’il assumait parfaitement ses erreurs et les admettait, était encore cuisante. Ils sont jeunes, mais c’est gentil à eux d’avoir pensé à moi.»

A vrai dire s’il avait été seul avec Cassandre, il l’aurait frappée. Une gifle retentissante. Il n’était pas du genre à frapper, sauf quand un ennemi était la cible du coup, mais là, l’envie le démangeait horriblement. Il avait donné, bien malgré lui, ou peut-être à cause de sa bêtise passée, des armes à cette femme, et elle en abusait contre lui aujourd’hui. Il lui devait malheureusement la vie à plus d’un titre. Et elle avait les moyens de lui pourrir copieusement la vie. En bref, elle le faisait chanter. Il fallait qu’il songe sérieusement à inverser la tendance, et à lui rappeler sa place. Celle de vassale. Elle le servait. Et chez les Ventfroid, l’insubordination ou le manquement à son lien d’asservissement était puni par la mort. Une piqûre de rappel serait nécessaire à son retour.

Morion marqua d’un hochement de tête silencieux son assentiment vis à vis des propos de sa femme. Il était d’une ponctualité exemplaire, et ne comptait pas manquer à cette qualité. Il la suivit donc. Cassandre les suivit, silencieuse, jusqu’au hall. Il observa Talen un long moment, fixement. Pourquoi diable avait-il laissé entrer la vicomtesse à pareil moment ? Le domestique eut un haussement d’épaule désolé. Il n’avait guère pu faire quoi que ce soit contre le tempérament parfois impérieux de la blonde. Elle aurait fait réquisitionner un bélier si elle avait pu.

Après une moue exaspérée, le comte commença à se harnacher, avec efficacité. Longtemps qu’il n’avait porté une telle parure, mais les gestes lui revinrent rapidement. En quelques minutes il fut habillé pour la guerre de pied en cap, laissant seulement les gants pendre à sa ceinture, et le casque glissé sous son bras. La lourdeur de l’équipement était rassurante. C’était un sentiment trompeur, bien sûr. Si une armure s’avérait redoutable contre des épées, des flèches, un coup de fangeux pouvait comprimer un plastron avec suffisamment de force pour tuer un homme d’asphyxie. Aussi efficace qu’un coup de taille dans la gorge, mais plus long, et plus douloureux. L’armure frappée de ses armoiries ne faisait aucun bruit superflu que les quelques pièces qui claquaient les unes contre les autres. A dire vrai, il était même impressionnant dans cette tenue. S’il avait déjà une certaine prestance dans ses habits habituels, une sorte de charisme sombre et nébuleux, avec une armure au métal clair et poli, il avait l’air juste menaçant. Quant à Talen… il s’était métamorphosé. Le vieil homme aux cheveux grisonnantes avait calé son épée lourde dans son dos, par dessus son bouclier, et sa droiture habituelle lui donnait un air féroce, digne et fier. Difficile de croire en le voyant qu’il officiait chez Morion en tant que domestique. De moins bonne facture que celle de Morion, elle était néanmoins pas mal rayée à de multiples endroits, et par contraste, donnait l’impression d’avoir beaucoup vécu. L’ancien ami bretteur d’Isidore reprenait du service, et peu auraient voulu se trouver en travers de sa route.

Cassandre s’approcha de Morion quand il fut prêt. Elle ne voulait pas rester, de toute façon, elle sentait l’air gagner en toxicité dès qu’Ambre était à proximité. Elle prit la main du comte, et inclina le buste pour venir déposer un baiser sur la bague qui ornait son index. Un signe de servitude et de fidélité, mais dans le contexte, Morion doutait de la sincérité d’un tel geste. Il laissa faire sans même esquisser un mouvement de recul, cependant.

«Rentrez-nous en vie, Seigneur Morion. Nous avons déjà perdu un de nos suzerains, en la personne de votre défunt père. Cassandre ferma les yeux quelques secondes, puis les rouvrit. Ne suivez pas la même voie que lui.»

Elle s’en fut, pendant que le regard du comte s’abaissait vers le bijou. Un sourire dur, sans joie, barra brièvement ses lèvres. Elle venait de baiser la bague d’Ambre. Elle ne le savait pas, et lui même n’en prenait conscience que maintenant. Mais ce qu’elle venait de faire… Morion retint un ricanement. Il fit tourner la bague autour de l’index. Soit. L’ironie se manifestait souvent avec un panache que Morion prenait plaisir à goûter.

Il se tourna vers sa femme, ensuite, convertissant son masque dur et lisse en une expression plus douce. La rage couvait toujours, mais au moins sa responsable était désormais partie.

«Êtes-vous prête ? Nous ne pouvons guère nous attarder plus longtemps, je le crains. Son regard se dirigea vers Talen. Vous conduirez les montures jusqu’en bas.»
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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptySam 23 Juil 2016 - 14:19
Ambre haussa un sourcil fort étonné, et un peu amusé, à l’histoire des parents de Morion. C’était… original. Il était parfois stupéfiant de constater qu’une vie pouvait changer du tout au tout par de simples hasards et concours de circonstance. Isidore de Ventfroid qui s’était épris de l’otage d’une famille ennemie… Quand on repensait au portrait de l’homme que Morion dépeignait souvent, c’était fort amusant. Un homme si scrupuleux des règles et des préceptes ancestraux de sa famille, dont le cœur s’était ouvert à une traîtresse supposée de la couronne. Du point de vue d’un Ventfroid, c’était un écart de conduite. Pour Ambre, c’était un élément fort intéressant. Isidore lui-même avait eu quelques faiblesses, ainsi.

- Ma foi, c’est amusant. Les relations initialement vipérines, qui se muent ensuite en quelque chose de bien plus tendre sont étonnamment des liens qui deviennent solides par la suite. Je gage que l’ancienne inimitié qu’ils avaient l’un pour l’autre leur a laissé beaucoup de souvenirs devenus cocasses une fois leurs noces engagées.

Ambre posa les yeux sur la dague, à nouveau. Elle imaginait la mère de Morion, armée au détour d’un couloir de la demeure Ventfroid, tenter de trouver le moment propice pour exécuter l’un de ses geôliers. Qu’est-ce qui avait retenu sa main ? N’avait-elle point réussi à trouver d’occasion discrète avant que le temps ne calme ses ardeurs meurtrières ? L’imagination de la comtesse devint foisonnante, et elle se demanda si Marie de Ventfroid avait laissé un journal intime derrière elle. C’était probable, si elle avait adopté les traditions des Ventfroid malgré toute la haine passée. Mais cela non plus, elle n’aurait sûrement pas le droit de le lire avant un certain temps. Elle soupira doucement ; elle prendrait son mal en patience.

Ambre s’oublia une dernière fois dans une étreinte tendre, qui devait bientôt être interrompue par Cassandre. Si la comtesse craignait mettre un pied dehors, car les fangeux réveillaient en elle une peur primaire, sûrement aurait-elle réussi à en faire abstraction, pour ne pas être séparée de Morion. C’était possible, même si en toute franchise, elle préférait autant que Morion reste au manoir de l’Esplanade et ne le quitte jamais. Mais c’était égoïste, elle le savait. Egoïste et peu digne d’un seigneur qui se devait de protéger ses gens. C’était plus fort qu’elle cependant. Elle ne supporterait sûrement pas un nouveau deuil, pas de façon aussi précoce.

Par la suite, l’arrivée de Cassandre sépara donc légèrement les deux amants. La vicomtesse avait profité de la présence d’Ambre pour faire allusion à ses bâtards, sachant pertinemment que Morion ne pourrait la recadrer sur le sujet sans faire l’impair de tout faire découvrir à sa femme. Sûrement tablait-elle sur le fait qu’il ne pouvait réagir, et que son absence loin de la cité lui aurait fait oublier l’affront d’ici son retour – ou du moins aurait atténué sa colère. Elle était gagnante, ainsi. Aucune sanction ne viendrait la secouer, alors qu’elle évoluait dangereusement au-dessus des limites.
Morion bouillait intérieurement de colère, Ambre le sentait. Elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi. Les raisons semblaient être différentes du seul agacement lié à l’interruption d’un moment intime avec sa femme. Ambre eut l’impression de passer à côté de quelque chose que seuls les deux amis d’enfance pouvaient saisir entre eux, et cela l’agaça et la meurtrit un peu. Elle détestait être laissée sur la touche.
Léa et Jaden étaient ses neveux, ainsi. Ambre retint un ricanement nerveux. La comtesse n’imaginait définitivement pas Cassandre dans le rôle d’une parente, pas même en tant que tante. Elle était un serpent, sans aucun instinct maternel, c’est ainsi qu’Ambre la considérait. Elle ne pouvait pas faire le bonheur d’une famille, même pas celui des enfants de son frère ou sa sœur. Ambre nota cependant que ce fut Morion qui répondit à la question. Cassandre resta étrangement silencieuse, n’approuvant ni n’étoffant les propos du comte. Un détail sûrement inutile, mais assez peu ordinaire pour que cela la fasse tiquer légèrement. Elle n’avait ni la tête à creuser plus à même, ni assez d’éléments pour pouvoir ne faire ne serait-ce qu’un lien avec des bâtard cependant. Ambre ne commenta donc pas plus, et oublia rapidement ce passage.

Les nobles revinrent tous trois dans le hall. Après le regard assez froid qu’elle avait échangé avec Talen, Ambre regarda Morion s’équiper. Un frisson courut le long de son échine alors qu’elle assistait à pareil spectacle. La comtesse n’avait jamais vu Morion en tenue de guerre, et n’appréciait pas cette vision, quand bien même l’armure lui seyait et lui donnait un certain style. Elle détourna les yeux un maximum pendant qu’elle s’apprêtait elle-même pour sortir. Une cape chaude aux fibules d’argent vint recouvrir ses épaules. Ses mains furent gantées également. Contrairement à Morion, elle s’habillait comme à son habitude, et le contraste était saisissant. D’un côté, l’homme qui partait en guerre, de l’autre, la femme qui resterait en arrière. Ambre ne s’était jamais sentie aussi impuissante qu’à l’instant présent.

Doigts gantés entremêlés devant elle, la comtesse regarda l’armure de son époux miroiter sous la lueur des torches. Il était impressionnant, Talen aussi. Leurs protections grossissaient leur carrure, et ils étaient presque méconnaissables, si leurs armoiries n’avaient pas été présentes. Ambre baissa les yeux sur Cassandre, qui s’inclinait pour lui baiser la main, les lèvres légèrement pincées. Elle resta droite et stoïque lorsque la femme partit, et ne lui accorda pas un regard en arrière, juste une brève inclinaison de la tête lorsqu’elles se croisèrent. Ambre attendit d’entendre la fermeture des grandes portes derrière elle avant de se détendre, puis se rapprocha de Morion à son tour. L’enlacer était désormais presque impossible, à moins de se prendre le piquant désagréable de son armure dans les côtes.

- Tu fais peur ainsi, mon époux.

Elle aussi prit entre ses mains celle de son mari, mais ne fit rien pour s’abaisser ou la baiser, contrairement à Cassandre. Elle caressa doucement ses doigts, simplement.

« Pour Rikni tu prendras des vies.
Pour t’assurer une place chez notre Anür,
Tu feras preuve de bravoure.
Les champs de Serus, tu défendras toujours plus.
Allons, allons !
Le temps de la guerre s’est imposé,
Et nous lutterons pour la Trinité. »


Ambre avait soufflé ces vers de façon presque inaudible et avec une rare tristesse. Il s’agissait du passage d’une chanson de guerre assez connue dans le Royaume. Elle se força à sourire pourtant. Elle n’avait pas besoin de rendre les choses plus difficiles encore.

--

Ils avaient harnaché leurs chevaux, Ambre le sien également. Elle avait tenu à l’accompagner jusqu’aux portes de la ville, pas au simple perron de leur manoir, et avait été catégorique sur ce point, foule potentiellement dangereuse ou pas foule. Ainsi, une fois qu’ils eurent traversé l’Esplanade à pied sous les cliquetis inquiétants des armures des deux hommes, prêts à passer la porte des Anges, la comtesse monta sa jument en amazone dans une tenue parfaite, droite quoiqu’un peu raide, trop touchée par la séparation à venir. Leurs chevaux descendirent lentement les portes de l’Esplanade puis la grande rue des Hytres, au pas, ou au trot grand maximum.
La rue des Hytres n’avait jamais été si noire de monde. Les migrants s’y entassaient à la queue-leu-leu, attendant l’ouverture des portes d’un air maussade. A quelques endroits cela se bousculait déjà, et quelques miliciens encadrant haussaient la voix ou claquaient de leurs armes ceux qui faisaient du grabuge. Les animaux mugissaient également, et les chevaux déjà harnachés pour tirer les charrettes s’agitaient, rendus nerveux par les centaines de personnes autour d’eux. Ils s’impatientaient de pouvoir avancer. La masse grondait ; c’était une vision terrifiante qui ne devait jamais avoir été vue dans toute l’Histoire de la cité. Ambre embrassa du regard cette vision inédite, alors que l’aube n’était pas encore là, mais ça n’était plus que question d’une heure.

Les nobles descendirent jusqu’à la zone de la procession, doucement, se servant du passage libre des miliciens sur les côtés. L’on tourna la tête à de nombreuses reprises vers eux, suivant du regard ceux dont le nom resterait gravé parmi ceux qui tomberaient bientôt pour la cité, ou qui auraient sauvé de nombreuses vies. L’appui d’une maison noble, et nonobstant la présence du seigneur Ventfroid au sein des rangs, ne pouvait que gonfler d’espoir les migrants qui évolueraient autour de lui, comme pour ceux qui évolueraient non loin d’autres noms comme Sombrebois, Traquemont, Terresang.
Evan de Mirail reconnut la chevelure flamboyante de sa sœur à des mètres à la ronde, et ils échangèrent un regard sur le chemin. En compagnie d’un sergent, il maintenait l’ordre tout le long de la procession, calmant les ardeurs et les plaintes de tout un chacun, les exhortant au courage. Mais lui ne suivrait pas l’exode au-delà des portes, et reprendrait son rôle pour la sécurité interne une fois l’orage du départ passé, sous les ordres du Duc.

La comtesse avait l’impression d’évoluer dans un autre monde, sur son cheval. La hauteur de la monte donnait une vue splendide sur toute la masse grouillante et vivante, et elle détacha difficilement son regard de cette vision fascinante. Quand Morion fut arrivé à son lieu d’exercice, elle descendit de son cheval, et s’écarta dans une ruelle adjacente, mains autour des rênes de sa monture, pour rester en retrait et laisser son mari organiser ses troupes et ses seconds. Il agissait en comte, mais surtout en chef de guerre. La comtesse ne l’avait encore jamais vu dans cet élément, et, si elle apprécia ce qu’elle vit, les compétences dont il fit preuve en quelques minutes pour rappeler les directives de son groupe, elle ne put pas les apprécier à leur juste valeur néanmoins. Elle était trop accaparée par une seule pensée : Morion partait.

L’aube pointa bientôt, et de longs cors de guerre retentirent près de l’entrée de la cité. Les portes du Crépuscule allaient s’ouvrir. Avant que Morion ne remonte définitivement sur sa monture pour s’en aller au loin, Ambre quitta la quiétude du recoin où elle s’était posée pour lui sauter dans les bras. A bas les apparences, les étiquettes, toutes les petites gens qui pouvaient les voir. Elle l’enlaça avec force, le serrant contre elle comme si elle n’allait plus jamais le revoir, l’embrassant avec l’ardeur du désespoir. La présence de son armure rutilante était désagréable, et empêchait une étreinte réellement enserrée. Mais l’obstacle ne l’empêchait pas de l’enlacer pour autant, ni de l’embrasser, car il ne portait point encore son casque. L’émotion et l’angoisse terminèrent par prendre le dessus, et sa voix se brisa lorsqu’elle souffla entre deux baisers passionnés :

- Reviens-moi.

Des larmes brillaient dans ses yeux, sans couler.

Elle s’écarta lorsque Morion dut rejoindre sa monture – le temps n’était plus qu’aux secondes désormais. Elle le regarda s’élever d’un geste après avoir posé le pied sur l’étrier, épée à la ceinture, regard ferme et déterminé alors que les premiers migrants quittaient la ville, et que l’avancée serait bientôt à lui. Beaucoup avaient vu l’échange entre les deux amants ; paysans et roturiers, et ils avaient certainement noté qu’ils partageaient tous la même douleur en ce jour. Nobles, bourgeois, artisans, roturiers, paysans, personne n’échappait à ce Labret, et toutes les épouses, quelle que soit leur situation sociale, laissaient partir un mari, un frère, un fils, aujourd’hui.

Ambre adressa un signe de tête à Talen. Il lui avait promis qu’il veillerait sur Morion jusqu’à la mort s’il le fallait. Elle ne doutait pas de sa fidélité. Quand les deux représentants de Ventfroid s’élancèrent eux aussi, dès qu’ils eurent quitté le champ de vision de la comtesse, celle-ci tira sur les rênes de son cheval et l’entraîna à pied avec elle à travers de petites ruelles, fondant à travers les spectateurs – surtout des spectatrices – qui venaient observer la ville se vider de sa vie grouillante. La comtesse essuya beaucoup de regards qui contenaient de la compassion. Ou de la pitié, elle ne saurait pas dire. Ils l’avaient vue enlacer son mari une dernière fois avec l’énergie du désespoir.
Ambre n’eut presque pas un regard pour tous ces gens cependant. Elle se dirigeait vers les remparts.
Ambre monta sur ces derniers, après avoir demandé autorisation à quelques miliciens et fait garder son cheval. On lui autorisa ce caprice sans qu’elle n’eut à insister – personne n’avait le cœur à lui refuser cela, en fait. Elle s’y installa pour avoir une prise de vue parfaite, avec un calme bridé. C’était ironique ; la dernière fois qu’elle s’était tenue sur ces remparts, elle avait vu les fangeux décimer les Sarosse.

La comtesse regarda Morion au loin jusqu’au bout. Jusqu’à ce que la procession soit trop éloignée, que son cheval, petit à petit, ne devienne plus qu’un point dans le paysage, un point non reconnaissable parmi la masse grouillante des migrants. Elle resta même immobile encore un moment, alors que plus rien n’était visible, et que le bruit sourd de milliers de pas ne retentissait plus non plus. D’une voix gênée et timide, un des miliciens lui dit quelque chose comme « ne vous faites pas plus de mal », mais la comtesse écouta à moitié, distraite. Cela la sortit de sa torpeur cependant, et elle quitta l’étendue des terres des yeux, secouant doucement le visage.

Après quoi elle rentra lentement au manoir, un vide dans le ventre. Seule.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptySam 23 Juil 2016 - 18:44
Faire peur… La seule chose certaine, c’est qu’il n’aimait pas les armures. Lourdes, contraignantes, et pourtant terriblement nécessaires. Elles pouvaient même se retourner contre leur porteur là où, s’il apportait une bien moindre protection, le cuir avait tout de même la décence de laisser l’homme libre de bien plus de mouvements, en sus d’un certain confort. Mais ces considérations n’étaient pas vraiment à prendre en compte pour Morion. S’il ne se vêtait pas de pièces suffisamment épaisses, le moindre coup bien placé d’un fangeux le tuerait sur le coup, et il était évident de dire qu’il ne voulait pas finir ainsi. Néanmoins… Oui, après tout c’était la première, et l’espérait-il, la dernière fois que sa femme le voyait ainsi. La sensation de porter une armure était toute particulière. Et pour elle, qui avait l’habitude de le voir dans tes tenues, disons, légères et confortables, sobres et discrètes, le contraste devait être tout à fait saisissant. Un petit sourire étira le coin de ses lèvres, et il baissa son regard vers celui de son épouse.

«Espérons que les fangeux et bandits se fassent cette même réflexion, alors. Cela nous épargnera un travail considérable.»

Pour les bandits mieux valait ne pas jurer, après tout, ils vivaient à l’extérieur certes, mais étaient des êtres humains, probablement peu envieux de se jeter contre une armée entière de soldats protégés et armés, mais les fangeux… On savait depuis leur arrivée que la peur, comme toute autre émotion que la colère ou la faim, ne figurait pas dans leur registre sentimental. Au moins, il n’aurait pas à faire trop d’efforts pour s’imposer. Il écouta, et nota mentalement chacun des vers, certes connus, prononcés par son épouse, et la remercia d’un baiser, lui assurant qu’il serait de retour, et rendrait grâce aux dieux par sa victoire. Il n’était pas friand des chants, poèmes et autres oeuvres crées pour et en l’honneur des hommes de guerre, mais sa femme n’avait guère autre chose à lui offrir que ses sentiments et ses mots. Il s’en satisfaisait fort, sur l’instant. Il faisait partie de ceux qui accordaient une certaine importance et vertu aux mots. Il était bien placé pour savoir qu’ils possédaient un grand pouvoir.

--- ### ---


Descendant, sans hâte mais sans traîner, vers la foule grouillant devant les portes, dans la rue, qui s’amoncelait à tel point qu’elle remontait loin vers la porte des Anges, Morion jugeait, l’oeil critique. Le peu d’hommes en armes offrait un horrible contraste avec le nombre de paysans, d’ouvrier, d’artisans. C’était terrible. On n’avait certes vu un tel rassemblement d’armée depuis les dernières grandes guerres ayant secoué le duché, mais tout de même… On voyait plus de jute, de dos voûtés, et visages légèrement maussades, que de visages autoritaires portant armes et boucliers. Les mâchoires du comte se crispèrent légèrement. Il estimait qu’un assaut de soixante fangeux, au grand maximum, serait délicat, mais tenable. En revanche… Si jamais ce nombre était dépassé, ils risquaient d’avoir de sacrés problèmes. Et il était loin de se douter d’à quel point il aurait raison tard dans la journée. Ils n’étaient pas complètement arrivés auprès du groupe qui partirait qu’un des sergents sous son autorité courut vers lui à pleine allure. Il descendit de sa monture, et commença à récupérer les informations du militaire, écoutant chaque mot, et répondant de façon systématique d’un ton sec, autoritaire lâchant des instructions courtes et précises. Quelques soldats affluèrent vers lui, et il se retrouva vite englouti, alors qu’Ambre se tenait en retrait. Non loin du comte, silencieux, Talen veillait, surveillant surtout la foule qui venait assister au départ. Il y avait peu de chances qu’un seul d’entre eux ne tente une folie maintenant, mais le domestique et chevalier prenait son devoir très à coeur. Il était le second de Morion, et cette fonction prenait effet immédiatement.

Pendant de longues minutes, Morion attribua les positions de surveillance à chacun, sur tout le long de la procession qui s’étendrait une fois partie. Il était difficile de se faire entendre au coeur du vacarme. Il haussait le ton jusqu’au timbre nécessaire, et s’assura ensuite que les sergents avaient bien compris leur propre mission, avant de relâcher un tantinet sa concentration et sa frigidité naturelle. Leur mission était cruciale, ils n’avaient pas le droit à l’erreur.

L’un des soldats, un porte-étendard, vint donner à Morion un cor d’alerte. Un instrument assez petit, qui produirait une tonalité aigüe. Il informa le soldat de faire passer le message à tous. Un coup sonnerait une attaque de fangeux, deux symboliseraient l’arrivée des renforts du comté. Il vérifia rapidement que rien ne s’était coincé dedans, soufflant un mince filet d’air à l’intérieur, et satisfait, l’accrocha à la selle de sa monture, priant pour n’avoir à s’en servir que pour annoncer l’arrivée d’Estrée. Tous les éclaireurs disposaient d’un moyen d’alerter leurs confrères, dans tous les cas.

Un son, puis un autre. La masse commença à se calmer, puis un mouvement plus lent, plus profond saisit la foule. On saisissait des outils, on s’apprêtait à guider des animaux. Ceux qui étaient descendus de leur monture remontait dessus, enfilaient les dernières pièces d’équipement, casques, gants. Ils vérifiaient la solidité de leurs étriers, jetaient un oeil inquiet à leur arme, rassuré ensuite de voir qu’elle était toujours bien présente. Des instructions hurlées fusèrent. Morion sentit ses muscles se tendre légèrement, à l’écho de l’appel sonore qui indiquait le départ. Il la chercha du regard, et eut rapidement sa réponse. Elle se jeta littéralement sur lui. Il avait enfilé ses gants épais et métalliques, et évita de lui caresser le visage comme il avait l’habitude de le faire, mais passa des mains rassurantes derrières ses épaules, et lui rendit chacun de ses baisers. Il ne souriait pas, cette fois, était même parfaitement sérieux, son esprit déjà en mission, anticipant les dangers et les mouvements de la procession. Il se pencha cependant vers elle, et lui souffla simplement d’une voix sereine.

«Je reviendrai. Je le jure, que les Trois et toi en soyez témoins.»


Une fois sur sa monture, il enfila son casque. Une pièce de métal travaillée, lisse, munie de crins de fourrure longue et blanche pendant telle une queue immaculée dans son dos, jusqu’à ses omoplates. Il garda la visière levée, et garda les yeux sur Ambre, jusqu’à ce que physiquement, cela devienne impossible. Il la rabattit ensuite, focalisé sur ses objectifs. Il n’aimait pas les au revoirs, pas plus que les adieux, mais il avait besoin de toutes ses capacités pour conduire, avec les autres, cette expédition. Il garda son épouse dans un coin de son esprit, et le ferma ensuite à tout le reste. L’opération démarrait maintenant.

--- ### ---


«Où est-il ?»

La voix caverneuse, résonnant dans son casque, de Talen, s’éleva auprès du guérisseur en chef, sur le plateau. Les tentes avaient été montée à la va-vite, les blessés en surnombre ne pouvant être laissés ainsi, à même le sol. Si jamais les fangeux tentaient une nouvelle attaque, ils ne pourraient pas protéger tout le monde, de toute façon. Mais ils devaient au moins dissimuler les corps, certains horriblement mutilés, à la vue de tous. L’ambiance était très étrange. Un grand soulagement tout à fait palpable était perceptible absolument partout. Ils avaient réussi. Il faisait nuit noire, les rondes s’enchaînaient et patrouillaient de partout, et tous étaient armés de torches vivaces, qui devaient au moins servir à éloigner les bêtes, et à éclairer des terres suffisamment loin pour voir la menace du Fléau leur fondre dessus, si cela venait à se reproduire. Mais l’on sentait également une fébrilité terrifiée, surtout chez les petites gens. Les soldats, en particulier ceux faisant partie de la milice intérieure de la ville, étaient profondément marqués. Cela se voyait à leurs yeux encore grand ouverts, fixés sur du vide parfois, ou bougeant à un rythme trop rapide pour être naturel. Certains avaient repris leurs esprits, mais leurs membres tremblaient légèrement. D’autres étaient encore hébétés, et se faisaient secouer sans ménagement par leurs collègues ou supérieurs pour qu’ils reprennent immédiatement le travail. L’après midi avait été horrible, mais la nuit pouvait l’être encore plus. Ils étaient au plus haut de leur forme, là bas dans les marais, et l’obscurité ne faisait que les rendre plus forts encore.

«La tente, là bas. Il a tenu à rester dans la sienne. Mais peut-être dort-il alors...

- Aucune chance. Merci bien.»

Talen, les bras lourdement chargés, se dirigea à pas vifs vers la tente indiquée. Celle de Morion, en fait. La dernière fois qu’il avait vu Morion, la vision était déplaisante. Son armure cabossée, à moitié détruite, et ses jambes… Sa jambe profondément entaillée, mordue, on ne savait trop. Ses jambières étaient devenues inutilisables, complètement arrachées, comme si le métal avait été du papier. Il reposait sur une civière, que l’on avait porté en urgence vers la tente que Talen avait fait monter à l’attention de son maître. Morion était resté conscient, mais il aurait peut-être mieux valu qu’il le fusse. La douleur se voyait jusque sur son visage, creusé et tendu, pâli par les pertes de sang régulières. L’armure avait finalement été plus une arme contre lui qu’une protection. Quand le fangeux, ce maudit fangeux l’avait défoncée, le métal avait creusé la plaie en plus des griffes. Le retrait avait été… douloureux. Il avait refusé tous les calmants qu’on lui avait proposé, malgré l’insistance acerbe de Talen.

Estrée était à côté de son frère, quand Talen entra. Le comte était sur une civière posée sur des trépieds rudimentaires, montés rapidement. Il était légèrement redressé, les jambes complètement étalées. Il avait encore pâli, mais semblait avoir retrouvé un peu de vigueur. La douleur crispait ses mâchoires, et il évitait précautionneusement de bouger. Sa soeur l’aidait beaucoup, lui donnait à boire quand il le réclamait, ou dissuadait toute personne exceptée ses propres hommes d’entrer dans la tente. Morion n’était pas en état de discuter pleinement, et n’en avait pas la moindre envie. La blessure semblait s’étendre au delà du simple trauma physique. Il était caustique, agressif, et encore, la moitié du temps, il ne prononçait pas le moindre mot excepté les instructions qu’il se devait de donner en échange des rapports que l’on faisait. Estrée avait voulu le remplacer à ce côle, elle s’était pris une remarque d’une telle acidité qu’elle n’avait même pas osé insister, alors que c’était plutôt une femme têtue.

«Donnez-moi tout ça.»

La voix du comte claqua sèchement. Talen s’exécuta aussitôt, et posa près de la civière du parchemin, de l’encre, des plumes, et un épais livre. Le sien, en fait. Morion avait demandé à Talen de l’emporter. Il préférait écrire quand les événements étaient encore frais, et pour le coup… Le domestique sortit aussitôt.

A l’extérieur, les hommes de Morion, qu’ils soient les miliciens extraits de Marbrume ou les hommes de son domaine poursuivaient leurs missions. Les premiers continuaient leur mission d’éclaireur, et patrouillaient à l’extrémité du plateau, afin de voir, éventuellement, des fangeux, bannis, ou peu importe venir. Ils rentraient à intervalles réguliers. Les autres s’affairaient à la défense, à monter d’autres tentes… Bref, ce que tous faisaient.

«Morion, comptes-tu vraim-

- Oui. Je ne peux rien faire d’autre, laisse moi au moins faire ça, répondit vivement Morion à sa soeur.»

Elle laissa échapper un profond soupir, et alla planter une torche non loin de la civière, afin qu’il ne se massacre pas les yeux en écrivant. Il avait déjà commencé à gratter le parchemin qu’il enverrait à Ambre, et fronçait allègrement les sourcils pour mieux y voir. Il avait perdu beaucoup de sang, et était totalement épuisé. Néanmoins, il avait promis à sa femme qu’il enverrait des nouvelles dès que cela serait possible. Même si la fatigue aurait bientôt raison de sa conscience, il avait le temps d’écrire. Et ne s’en privait pas.

«Ma tendre épouse.

Nous y sommes arrivés. Les ouvriers et soldats sont encore en train d’établir les campements. Nous sommes pour l’instant entre Najac et Usson. J’ai retrouvé Estrée et Edric, ils ont été d’une aide inestimable. Evidemment, les pertes ont été lourdes, plus que ce que j’imaginais, mais la plupart d’entre nous sommes arrivés à bon port. Je crains malheureusement que ta fiole soit complètement brisée, et son contenu repose à présent dans le gosier d’un fangeux bien malheureux d’avoir du essuyer le bon sens de ton don. J’en ai cependant conservé les morceaux qui me sont restés en main. Je n’aurai de cesse de te remercier pour ce présent.

Demain nous consoliderons nos défenses, et dans quelques jours je partirai pour le comté. Nous sommes épuisés, blessés pour beaucoup - ne t’inquiète pas, je n’ai récolté que quelques égratignures, je suis entier - mais cette opération est une victoire. Nombre d’entre nous n’avaient jamais vu autant de fangeux rassemblés, moi y compris, et maintenant beaucoup ont pris conscience de la force de l’ennemi. Ces opérations sont capitales pour assurer la survie de notre prochain, et la notre. Je suis satisfait d’y avoir participé, et également heureux de voir que tes prières ont porté leurs fruits. Talen va bien, également, il m’a demandé de te transmettre ses voeux.

Dès que cela sera possible, je prendrai la route du retour. Les troupes auront le temps de sécuriser les voies et passages en dehors des villages fortifiés.

Cette journée m’a l’air d’avoir duré une éternité, tu me manques terriblement. J’ai hâte du moment où je pourrai à nouveau te serrer dans mes bras et goûter à tes lèvres. Sois tranquille, maintenant. Je te renvoie une lettre dès que je le peux.

Mes pensées les plus tendres te sont destinées cette nuit, et toutes les autres.

Morion.»


Il roula la missive, et la scella, avant de la confier à Estrée. L’écriture était légèrement tremblotante et hâtée, forcément, et l’on pouvait oublier la calligraphie élégante qui était la sienne d’ordinaire. Il avait fait au mieux en fonction de ses moyens, qui étaient, il fallait bien le dire, fortement limités.

«Va à Usson séant, et fais la envoyer au manoir.»

Sa soeur l’observa un moment, soucieuse autant que contrariée. Les yeux de son frère brillaient de fièvre et étaient légèrement voilés par l’épuisement. Son teint cireux n’augurait rien de bon, et surtout, sa jambe continuait à saigner. Beaucoup moins certes, mais tout de même, malgré les traitements successifs des guérisseurs et les cataplasmes, quelques gouttes continuaient à perler régulièrement, s’écoulant sur la peau pâle et bleuie, rougie, violacée par les coups et les contusions. Par chance l’os n’avait pas été touché, ni d’importantes artères, mais son muscle avait été sérieusement entamé. Refusant qui plus est tous les calmants qui auraient pu nuire à sa lucidité, malgré leurs bienfaits, sa souffrance était visible. Il parlait les dents serrées et chaque mouvement lui arrachait une grimace. Si sa femme avait été là, probablement qu’elle aurait su le canaliser et le dissuader de faire autre chose que se reposer, mais heureusement pour elle comme pour lui, elle n’était pas là.

Il se saisit ensuite de l’épais ouvrage, et changeant de plume, il se colla à la rédaction de cette horrible journée. Les images étaient encore vivaces, c’était parfait. Tout comme la douleur, qui agissait comme un stimulant. Il sentait bien ses forces baisser, et rapidement, mais compter en coucher le plus possible sur papier avant de sombrer.

Il fixa un long moment sa blessure, puis après un profond soupir, attaqua l’écriture.

Nous quittâmes la ville aux aurores. Je n’avais guère envie de laisser Ambre seule, sachant que je m’absentais pour un moment. Néanmoins, cette opération, et toutes les conséquences qui en découleraient étaient plus importantes que la réunion d’un couple et son confort. Je l’avais entraînée à se défendre. C’était une combattante médiocre, mais au moins, elle avait acquis quelques réflexes. Et c’était surtout un ultime recours. Si jamais ses gardes faillaient à leur mission, et bien je me chargerais moi-même de leur sanction. Ce qui devrait d’ailleurs les motiver à faire preuve d’un zèle particulièrement poussé.

La route fut longue, fraîche. J’étais sans cesse en mouvement. C’était une procession impressionnante. Les gens se mêlaient aux bêtes, aux charrettes remplies de matériel, et tout autour, les troupes veillaient, priant chacun de leur côté pour qu’aucune catastrophe n’arrive. Nous y avons tous cru, au début. Le début du trajet fut même étonnamment tranquille. Bizarrement, nous aurions du nous douter, finalement, que ceci était la pire augure qui fut. Ils attendaient, simplement, le bon moment pour frapper. Est-ce que ces bêtes étaient douées d’intelligence ? Je ne sais pas. Une chose est sûre, quand il s’agit de traquer et d’asséner un coup violent au moment opportun, ils semblent faire preuve d’une certaine lucidité. Nous avions le beau temps avec nous, c’était une bonne chose, et c’est sûrement ce qui les a poussés à attendre, en fait. Mais les éclaireurs rapportaient souvent des signalements de masse grouillantes dans les sombres fourrés sous le couvert des arbres. La masse feuillue, en contrebas des routes que nous empruntions, était parfaitement silencieuse, à peine bousculée par le vent, masse d’un vert et brun sombres, menaçante. Tous lorgnaient régulièrement, avec inquiétude, vers ces bois contenant le mal impie et meurtrier, angoissant.

Nous essuyâmes quelques attaques. Isolées, faciles à repousser. Dès qu’un éclaireur sonnait du cor, une grande partie des forces armées convergeaient dans sa direction aussitôt, inversant la tendance et l’équilibre des forces. C’était parfait. Quelques soldats blessés, mordus ou griffés, mais très peu de morts. Avec le recul, je me dis peut-être que c’était, finalement, une sorte de test. Ils ont attaqué plusieurs fois. En nombre plus ou moins de force égale. Pour mesurer nos forces peut-être. Car la dernière attaque fut prodigieusement meurtrière et sang…


La plume du comte quitta sa main détendue. Elle tâcha légèrement la page vierge, et s’abîma au sol, tandis que Morion, lui, sombrait dans l’inconscience profonde, vaincu.


Dernière édition par Morion de Ventfroid le Jeu 28 Juil 2016 - 17:54, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 4 EmptyDim 24 Juil 2016 - 0:09
Seule. Sur le trajet de retour au manoir, Ambre ne remonta pas sur sa monture. Elle resta à ses côtés, rênes dans une main, terminant à pied. La rue des Hytres paraissait brutalement déserte, vidée des deux mille cinq cent migrants qui s’y étaient trouvés à peine une demi-heure plus tôt. Quelques seaux se trouvaient renversés sur les pavés, quelques étoffes, parfois des grigris porte-bonheur, que les paysans ou les soldats en partance avaient fait tomber, et n’avaient pu récupérer à cause de la foule. La vie semblait s’être arrêtée à la cité, et Ambre remontait doucement vers l’Esplanade, le regard parfois levé vers les tours du château ducal qu’on voyait au loin, parfois abaissé vers le sol. Elle tirait parfois un peu sur les rênes de sa jument pour que cette dernière rapproche son museau, et une main douce venait caresser la zone au-dessus des naseaux. Ambre se réconfortait elle-même en faisant ce geste, octroyant de la tendresse alors qu’elle en manquait terriblement.

Elle n’avait jamais pensé qu’elle aurait pu ressentir un tel vide. Diantre, était-elle devenue comme toutes ces femmes incapables de vivre indépendamment de leur mari ? Non, ça n’était pas ça. Elle craignait vraiment pour la vie de Morion. Elle redoutait la solitude et les couloirs vides de sa présence au manoir, leur couche froide. Ambre n’avait donc que peu envie de regagner la demeure, raison pour laquelle elle prit son temps, traversant la ville à pied au côté de son cheval, avançant au rythme des sabots sur les pavés, sans jamais remonter en selle. On la saluait avec respect sur son passage, lorsqu’elle croisait le regard des gens. Elle rendait l’hommage avec un petit sourire, un mouvement de tête, mais la joie n’atteignait pas ses yeux. La tristesse l’avait comme vidée de toute motivation, et petit à petit, laissait place à nouveau à une angoisse grandissante, qui ne la quitterait pas des heures durant, jusqu’à ce qu’elle ait des nouvelles.

Arrivée devant la porte des anges, les gardes la reconnurent de suite, et s’écartèrent d’un pas pour la laisser revenir dans l’Esplanade. Elle allait traverser les portes avec sa monture lorsqu’une voix s’éleva.

- Ambre !

Le bruit de sabots retentit. La jeune femme se retourna et put apercevoir son frère Evan tirer sur les rênes de son cheval et s’arrêter près d’elle. Armé et équipé dignement pour tenir son rôle de protecteur des rues durant tout le temps de l’opération, l’homme avait le visage sombre et sérieux. Depuis la mort de leur père une semaine plus tôt, toutes les responsabilités de comte lui étaient désormais octroyées, ce qui était source d’un léger surmenage chez l’héritier. La fatigue se lisait sur ses traits, et en plus de ça, la comtesse put percevoir l’amertume qui perçait encore. Il avait dû serrer les dents de voir ses confrères quitter la ville et être contraint de rester en arrière.

L’homme descendit de sa monture en faisant cliqueter la cotte de maille dissimulée sous sa chemise. Il vint enlacer sa sœur, et en fronçant les sourcils, il s’écarta en maintenant le visage de la jeune rousse pour mieux l’observer.

- Que vas-tu faire ? demanda-t-il. Il savait très bien que le départ de Morion l’affectait plus qu’elle n’aurait voulu l’admettre.

- Je vais passer la journée à la cour ducale, répondit Ambre. Ils seront ceux qui auront des nouvelles les premiers.

- Bien. Evan semblait satisfait qu’elle ne soit pas seule pour la journée. Je te rejoindrai lorsque j’aurai terminé mes rondes.

Ambre retira d’une main la senestre de son frère posée sur sa joue, la serrant doucement.

- D’accord.

- Hélène te rejoindra sûrement, ajouta-t-il.

L’homme jeta un œil derrière lui ; quelques miliciens l’attendaient, pour poursuivre leur travail sécuritaire. Les hommes observaient le frère et la sœur, attardant parfois leur regard sur la rousse, qu’ils avaient rarement vue de si près.
Evan la quitta après quelques instants, et Ambre s’en vint donc pour l’Esplanade. Elle se présenta au manoir, où elle laissa sa jument sous bonne garde au palefrenier. Même si sa monture n’avait pas beaucoup servi, avec le recul. Ambre ne pénétra pas dans la demeure cependant. Traversant le jardin, elle se dirigea dans la volière pour y chercher le pigeonnier. Frappant doucement sur le panneau de bois qui fermait la structure, Ambre lança :

- Herbert ?

Quelques bruits d’ailes retentirent. Plusieurs mouvements, des pas, puis la porte s’ouvrit sur un jeune homme. Aussitôt qu’il la vit, il s’inclina respectueusement, mais Ambre arrêta son geste d’un signe de la main.

- Je serai absente toute la journée ; pourrez-vous le transmettre aux autres domestiques ? Je serai trouvable au château ducal si l’on a besoin de moi ici. Et, puisque je serai dans l’incapacité d’accueillir les missives que nous sommes susceptibles de recevoir en ce jour, faites porter celles qui me sont adressées aussitôt que vous les recevrez. Je ne souffrirai d’aucun retard.

Les paroles d’Ambre étaient fermes, et Herbert accepta les instructions d’un assentiment de la tête. La comtesse s’arrêta également un instant pour dire la même chose à Anne, puis elle partit donc en direction du château ducal.

--

La journée fut terrible pour ses nerfs. Lorsqu’elle se présenta au château et vint investir l’immense salle de réception dans laquelle se trouvaient déjà des confrères, l’aube était passée depuis une ou deux heures seulement. En clair, il était extrêmement tôt, et sachant qu’un tel voyage prendrait la journée entière, c’était un long marathon d’attente qui se profilait.
Mains closes devant elle, Ambre resta assise sur un fauteuil rembourré, attendant la suite des évènements. Son visage était inexpressif, ses épaules droites. Seuls ses doigts, se serrant à plusieurs reprises les uns les autres, témoignaient d’une tension interne certaine. D’autres nobles conversaient à voix basse entre eux, parsemés dans les recoins de la salle. Il s’agissait surtout de femmes, puisque les hommes étaient recrutés pour gérer l’évènement, qu’ils soient en externe ou en interne. Le Duc Sigfroi passa à de nombreuses reprises également, fort affairé, recevant des rapports réguliers. Ambre, pour une fois, ne fut pas affectée par sa présence. La haine et le désir de vengeance qui couvait contre cet homme se trouvaient étouffés par l’appréhension du Labret.

Alors, elle attendit. Elle attendit, encore et encore. La matinée s’étira, longuement. Sigfroi recevait des missives toutes les heures sur l’avancée de la procession, par des contacts qui prenaient le temps, à intervalles réguliers, de tenir la cité informée. Ambre ne savait pas combien de pigeons avaient-ils emportés, mais la communication fut efficace. Aussi, toutes les heures, le Duc, accompagné de son Bailli, descendait à la salle de réception pour informer ses vassaux du déroulement de la situation. Il lisait parfois devant eux tous les mots couchés sur les rapports qu’il recevait, se voulait rassurant. Car, en effet, les premières heures furent très rassurantes. Pas l’ombre d’une attaque à l’horizon. Aucun fangeux n’attaqua le matin. A chaque fois qu’une missive arrivait, Ambre se levait de son siège, fébrile, puis soufflait lorsque le Duc annonçait que tout allait bien. La comtesse passait par des montagnes russes émotionnelles, ressentant un soulagement immense à chaque nouvelle, mais l’angoisse, vicieuse, sournoise, reprenait du terrain jusqu’à atteindre un pic, avant de retomber aux nouvelles suivantes, et ainsi de suite.
Quand l’angoisse était trop insupportable, Ambre se levait, quittait la compagnie d’Hélène de Mirail, de sa mère et sa sœur qui étaient venues l’épauler en ce jour. Elle évoluait dans les parties du château accessibles aux invités, marchait, marchait encore, défoulant son anxiété en ne restant jamais inactive. Grands dieux, si Morion ne rentrait jamais, que ferait-elle ? Ambre s’agenouilla à plusieurs reprises dans la journée devant une statue des dieux du jardin ducal. Elle n’avait que faire du froid qui était encore présent en cette fin d’hiver, et endurait la morsure du vent en silence, la douleur de rester à genoux trop longuement. Morion était dehors, à possiblement endurer pire. Elle essayait de vivre un peu de ce qu’il vivait lui. Elle pria, pria encore. Anür, Serus, Rikni. Tous les Trois sans aucune distinction. Entourant la goutte de son pendentif d’une main légère, elle resta longtemps agenouillée au pied de la statue, yeux fermés, en silence. Si la volonté d’avoir des informations régulières sur le déroulement de la procession ne la poussait pas à se relever régulièrement pour rejoindre la salle de réception, la comtesse serait probablement restée ainsi toute la journée, sans jamais bouger.

L’après-midi, l’angoisse fut pire encore. Les missives s’espaçaient, relatant d’attaques isolées de fangeux, facilement contrôlables pour le moment, mais qui avaient déjà fait des pertes. Des noms ressortaient parfois, parfois non. A chaque prénom de ceux qui avaient été un minimum connu pour être cités, c’était cruel, mais Ambre était soulagée. Plus tendue que les cordes de sa harpe, la jeune femme écoutait les listes tomber, redoutant toujours que « Morion de Ventfroid » ne retentisse. Cela ne vint pas.
Plus le jour déclinait et plus la tension augmentait au château. L’on voyait l’astre tomber dans le ciel, l’on se demandait s’ils arriveraient à temps derrière les fortifications bancales du Labret avant la nuit. S’ils mourraient tous, s’ils survivraient. Le Duc lui-même commençait à être tendu, cela se sentait. Le moment crucial de la journée approchait : le crépuscule. Ce moment terrible où les créatures reprenaient leur territoire, quittaient les ombres des marais pour s’aventurer sans craindre l’éblouissement du soleil.
Ambre était angoissée à s’en rendre malade, et même la présence de sa famille n’y fit rien. Même quand Evan rentra de sa journée de surveillance de la cité, laissant la garde de nuit sous le commandement d’un autre pour se relayer, il ne réussit pas à la calmer. On lui proposa du lait de pavot pour la faire dormir ; la voix tranchante qui s’échappa de sa gorge pour lâcher un refus catégorique rendit coi tout le monde. Hors de question qu’elle dorme pendant que son époux risquait sa vie.

Le soir, la tension atteignit son apogée. Cela faisait deux heures qu’ils n’avaient plus rien reçu. Sigfroi était redescendu parmi eux, un pli entre les sourcils, attendant comme eux des missives qui ne venaient plus. Les nobles de la cour s’entre-regardaient, personne n’osant dire tout haut ce que cela signifiait. Il y avait eu une attaque d’ampleur. C’était forcé, si plus personne n’avait le temps d’envoyer des lettres sur la route. Quelque chose se passait mal. Aux deux heures de silence s’y ajoutèrent deux autres, et quelques femmes avaient commencé à pleurer dans la salle, rendant l’ambiance de plus en plus insupportable. Ambre tenait bon, mais son regard était légèrement écarquillé, ses épaules tremblantes même si sa tenue restait digne et droite. Son cœur semblait s’être fermé aux émotions, elle refoulait tout ou presque, refusant d’admettre quoi que ce soit tant qu’ils ne recevaient rien. Jamais l’on ne lui avait vue pareille expression sur le visage, et de ce jour les autres retiendraient sûrement une chose : la comtesse de Ventfroid tenait sincèrement à Morion. Ils avaient beau jaser tout ce qu’ils voulaient sur son ancien fiancé Armand, Morion était désormais celui qui était son époux, et la jeune rousse ne feintait pas son inquiétude morbide.

L’attente était devenue cruelle, désespérée. Le temps semblait évoluer complètement à l’inverse de ces dernières semaines, qui étaient passées trop vite. Là, les secondes s’étiraient, interminables, douloureuses. Ambre avait mal au ventre, et n’avait rien mangé de la journée, malgré les propositions. Sa peur lui donnait presque des nausées, et l’odeur de nourriture suffisait à la dégouter.
Puis, un messager arriva en courant, bras levé. Dans son poing fermé était froissée une lettre. Dans la précipitation, il trébucha et s’étala au sol dans la salle de réception, mais personne n’eut même l’idée de ricaner. Tout le monde s’était levé, fébrile. Ambre la première. Soulevant légèrement sa robe pour faire quelques pas, doigts crispés sur le tissu, elle avança alors que le messager se relevait en criant.

- J’ai des nouvelles, votre Grâce !

Le Duc lui arracha brutalement la lettre, s’empressa d’en briser le sceau et déroula le parchemin. Ses prunelles sautèrent d’une ligne à l’autre. Son visage était sombre, grave. Ses yeux terminèrent par parcourir les derniers mots. Quelques secondes passèrent, durant lesquelles il inspira un grand coup. Un sourire pointa sur son visage, et trois mots sortirent simplement : « Ils ont réussi ».
Un éclatement de joie traversa la pièce. Ambre n’y échappa pas. Elle se laissa presque sombrer contre son frère, un soulagement immense traversant toutes les fibres de son corps. Cependant, cela ne dura que quelques secondes. Tout ne pouvait pas être si beau. Il y avait forcément eu des pertes. Et si le Duc avait eu le temps d’être averti par des vassaux sur place, pourquoi elle ne recevait toujours rien de la part de Morion ?
Son angoisse reprit de plus belle, et elle attendit qu’on leur cite les détails. Une attaque avait en effet eu lieu. L’arrière-garde de la procession était la zone qui avait été le plus affectée. Par désespoir, l’on avait terminé par laisser l’arrière du convoi à l’abandon. Le reste avait avancé, laissant les derniers survivants de l’arrière servir de repas et d’appât aux créatures, qui prenaient le temps de dévorer leurs proies, permettant au reste de la procession, écoeurée, de continuer. L’arrière-garde, ça n’était pas la zone affiliée à la protection de Morion. Cependant ce dernier lui avait expliqué que son rôle devait assurer la communication tout le long de la procession, ce qui le forçait à bouger beaucoup. Et s’il s’était trouvé à l’arrière au moment de l’attaque ? Grands dieux, même l’annonce de l’arrivée au Labret ne parvenait en fait pas à la soulager. L’on parlait de centaines de morts, voire de plus d’un millier. Quelles étaient les chances pour que son époux n’en fasse pas partie ?

Ambre attendit d’autres nouvelles, d’autres détails, presque folle. Elle insista auprès du Duc pour demander si des noms n’étaient pas cités dans la missive. Non, pour l’instant rien, pas de détails aussi précis. Ils ne connaîtraient le nom des tombés que plus tard, même au Labret, avec la nuit noire, ils ne pouvaient point faire un recensement complet. Tout serait clair au matin. Mais Ambre ne pourrait jamais attendre jusque-là. Si elle ne recevait rien jusqu’au lendemain matin, c’est que Morion était mort.

A vingt-trois heures, alors que le Duc recevait toujours des lettres en abondance, mais que du côté d’Ambre, c’était silence complet, elle ne tint plus. Elle quitta sa famille, dont les membres étaient cernés eux aussi d’attendre des nouvelles de son époux. Elle abandonna le château, mais son frère la suivit, l’apostrophant derrière elle alors que le pas de la comtesse était devenu pressé, qu’elle avait relevé sa robe de plusieurs bons centimètres pour atteindre son manoir aussi vite que possible. Pourquoi Herbert n’apportait-il rien, par tous les dieux ?

- Ambre ! Et s’ils apportaient une lettre au château tandis que tu rentres ici ? héla Evan en atteignant son niveau dans une ruelle après avoir couru à sa suite.

- Eh bien reste au château, et rapporte-la-moi si c’est le cas ! Je ne peux plus supporter d’attendre, je dois être au pigeonnier.

Le ton d’Ambre était acerbe malgré elle, teinté d’une émotion contenue. Evan ne répondit rien, et la suivit malgré tout. Comment les femmes pouvaient-elles tenir durant des mois de campagne, ou de guerre, quand elle-même perdait la tête après une simple journée sans nouvelles ?

Quand elle traversa les grilles du manoir Ventfroid, elle fonça à la volière, pénétrant le bâtiment sans même prendre le temps de frapper. Herbert sursauta en se tournant vers sa supérieure. Il eut une mine navrée, et terriblement inquiète.

- Toujours rien, comtesse.

Les traits de la jeune femme se tordirent.

- Pourquoi n’y-a-t-il toujours rien… ?

Elle vint se masser le visage de ses deux mains, prenant une chaise pour attendre l’arrivée d’un oiseau. Anne vint lui apporter une couverture, Evan resta auprès de sa sœur, et ils restèrent tous dans le noir presque complet, seulement troublé par la lueur faible d’une bougie qui se consumait doucement.

Après un temps qui parut être une éternité, alors qu’une simple demi-heure s’était écoulée, le bruissement d’un oiseau retentit. Avec un « poc » bref, un pigeon se posa sur l’une des petites lucarnes de la volière, faisant sursauter tout le monde. Ambre se leva brusquement, mais Herbert s’interposa, osant un geste un peu déplacé en touchant le bras de la jeune femme pour l’arrêter.

- Comtesse, s’il vous plait. Ne l’effrayez pas, si vous voulez voir ce qu’est cette lettre. Laissez-moi faire.

L’homme s’approcha doucement, sortant d’une sacoche de cuir quelques vers se tortillant encore. Doucement, le volatile pencha le bec, tout en tendant la patte sur laquelle était accrochée la missive. Herbert délaça doucement le parchemin de l’oiseau, et quand il l’eut parfaitement en main, il le tendit directement à la comtesse.

Cette dernière, tremblante, nota aussitôt le sceau de cire, et son blason. Les mains fébriles, elle déroula le papier. Les trois premiers mots lui sautèrent aux yeux. Sans même avoir besoin de lire l’ensemble de la lettre, elle reconnut aussitôt la plume. C’était Morion qui avait écrit cela. C’étaient les formes de ses lettres, les courbes de ses propres mots. Ambre eut une exclamation, à moitié entre le rire et les larmes. Main gauche plaquée contre la bouche, main droite froissant déjà le parchemin, la comtesse ne put empêcher un rire nerveux s’échapper. Elle pleura de joie, un long moment, riant à moitié à travers les larmes qui coulaient. Qui évacuaient toute l’ignoble tension qu’elle avait accumulée depuis que Morion avait quitté son champ de vision. Grands dieux, il était vivant. Il avait survécu, il avait couché ces lettres sur le papier il y avait peu de temps.

- C’est lui, souffla Ambre. C’est Morion. Il est en vie.

Anne et Herbert eurent aussi leur exclamation de joie, Evan enlaça sa sœur fermement, souriant. Les deux domestiques quittèrent prestement la volière, partant prévenir le reste du manoir.

Calmant avec grand mal son émotion, s’arrachant à l’étreinte de son frère, Ambre lissa la missive pour pouvoir la lire en silence. C’était compliqué à travers le mélange d’émotions qui la traversait, mais elle réussit finalement à se concentrer sur le sens des mots. Du bout des doigts, elle caressait la surface du papier, suivant la courbe de l’encre que l’homme avait couchée un peu plus tôt. Dès qu’elle en eut terminé la lecture, le visage encore éclairé d’un sourire et de quelques gouttes salées de joie, Ambre se tourna vers son frère. Elle l’enlaça, fortement, puis le baisa sur le front.

- Merci d’avoir été là, mon frère. Comme toujours. Rejoins donc ta femme et ta fille à présent. Je vais répondre à mon époux, tout va bien.

Evan lui caressa les cheveux, lui adressa d’autres mots joyeux, et la quitta. Il avait en effet moins de scrupules désormais à regagner son propre manoir. Si les nouvelles avaient été plus catastrophiques, sûrement aurait-il bordé sa sœur toute la nuit, et aurait été l’épaule sur laquelle elle aurait pleuré des heures durant. Mais, fort heureusement, un tel scénario n’était encore point arrivé. Morion avait survécu au Labret. Malgré la centaine de morts, il faisait partie des survivants, de ceux dont le nom resterait à jamais gravé dans l’Histoire de Marbrume.
Se hâtant, Ambre monta jusque dans son atelier, allumant les torches, rejoignant aussitôt son bureau. Elle lissa à plusieurs reprises un parchemin vierge sur la surface de son bureau, ouvrit un encrier et trempa l’une de ses meilleures plumes. Sa main à elle aussi se faisait tremblante, et ses lettres hâtives, parfois maladroites.

4 mars 1165, une heure du matin

« A mon cher époux,

Tu ne peux pas savoir à quel point je suis soulagée. Par les Trois, j’ai vraiment cru l’espace d’une heure ou deux heures que je ne recevrais jamais cette lettre. J’ai attendu, toute la journée, des échos de l’opération au château ducal. Les nouvelles venaient, régulièrement, jusqu’au crépuscule. Après, nous n’avons plus rien eu jusqu’à la conclusion finale, qui est arrivée bien avant ta propre lettre. J’ai cru que, si tu n’avais point eu le temps d’être aussi rapide que les messagers ducaux, c’est que tu n’aurais point l’occasion de répondre un jour. La journée a été particulièrement éprouvante. Je suis terriblement soulagée qu’elle prenne fin sur la lecture de tes mots.

Je suis heureuse que ma fiole t’ait été utile. Les dieux auront peut-être entendu mes prières – je crois n’avoir jamais autant imploré les Trois qu’en ce jour. Je t’en offrirai une autre, la prochaine fois que tu t’aventureras au-dehors – bien que j’espère que ce jour sera lointain. Et une autre, si la seconde venait à se briser aussi. Cela deviendra notre tradition personnelle.

Remercie Talen de ma part, ainsi qu’Estrée, et ton chevalier Edric. Si aucun d’entre vous n’est blessé, c’en devient presque un miracle. J’ai cru comprendre que le nombre de victimes s’élevait à plusieurs centaines, pour les recensements les plus optimistes. J’espère que nos troupes de Ventfroid n’auront pas trop souffert durant ce jour.
Repose-toi. Dors. Je ne veux point que ces quelques égratignures laissent place à quelque chose de plus grave si tu venais à te faire attaquer même après ce premier jour. Maintenant que je sais que tu es en vie, et en pleine possession de tes moyens, n’aie aucun scrupule à retarder tes nouvelles pour prendre un repos mérité. J’attendrai, fébrile certes, mais j’attendrai. Ta vie est plus précieuse que ma satisfaction égoïste de lire tes lettres couchées sur du papier.

Toi aussi, sois tranquille. Je mangerai mieux désormais, et je pense pouvoir m’endormir sereine cette nuit. Je t’enverrai régulièrement des nouvelles sur ce qui se trame en ville.

Avec toute mon affection la plus douce et sincère,

Ambre de Ventfroid. »


La jeune femme, à peine la plume eut tracé la dernière lettre, se leva. Elle fit couler rapidement de la cire, scella la missive du sceau des Ventfroid, et partit renvoyer le tout de ses propres mains. Elle regarda l’oiseau s’envoler dans le noir, le perdant rapidement de vue. Une fois dans la couche, même si ce fut la première fois qu’elle la rejoignait seule, la comtesse fut trop fatiguée pour s’en formaliser. Exténuée, toute l’angoisse de la journée ayant subitement disparu, elle s’endormit en peu de temps. Le sommeil la cueillit alors qu’elle lisait et relisait la lettre de son époux, savourant les mots jusqu’à les connaître par cœur, appuyée à moitié contre le dossier du lit.
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