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 Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]

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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyDim 24 Juil 2016 - 3:24

Morion délirait. Au sens littéral et médial du terme. Durant la première nuit, une fièvre s’était emparée de lui, et refusait de le quitter, même au lendemain. Un négligence du guérisseur qui avait tant bien que mal tenté de désinfecter sa plaie ? Ou un autre mal couvant avant l’opération, mais ne se déclarant qu’une fois son corps et son esprit affaiblis par la journée ? Personne ne saurait, mais le comte de Ventfroid montrait des symptômes inquiétants. Durant toute la nuit, il avait marmonné des paroles parfaitement incohérentes, semblait se réveiller parfois, et ne tenait pas en place sur la mince civière qui le maintenait allongé. en dehors de tout diagnostic fait par un médecin, la plaie commençait en fait à s’infecter. Elle n’avait pas été suffisamment couverte. Estrée n’osait pas le secouer, mais elle mourait d’inquiétude. Elle avait plusieurs fois vu son frère dans cet état, mais cela remontait à facilement une quinzaine d’années pour les dernières fois. Son corps s’était endurci, du moins le pensait-elle. Talen et elle se relayaient à son chevet. L’accès de la tente était uniquement réservé aux sergents en charge des éclaireurs, à Edric de Castelmont, et aux proches du comte. Ils ne voulaient ni afficher la faiblesse du comte, ni le déranger. Plusieurs fois, alors qu’un bruit de sabot particulièrement audible s’était fait entendre à l’extérieur, Morion s’était réveillé en sursaut, cherchant instinctivement une arme imaginaire - ils avaient pris soin d’éloigner tout objet potentiellement dangereux - puis s’était rendormi presque aussi soudainement. Il ne commença à se calmer que vers trois, peut-être quatre heures du matin.

«De l’eau.»

La voix de Morion résonna faiblement, éraillée, dans la tente. Talen était présent, et il ne dormait pas. Il s’exécuta aussitôt, et aida son seigneur à boire. Quelques perles de liquides, plus nombreuses que Morion ne l’aurait voulu, s’écoulèrent de chaque côté de ses lippes et vinrent tremper sa chemise crottée, qu’ils n’avaient pas eu le temps de changer la veille. Morion se redressa sur un coude afin de pouvoir mieux ingérer le liquide, puis laissa échapper un profond soupir. Il se massa la tempe, le crâne douloureux, puis regarda autour de lui, comme s’il découvrait l’endroit. Petit à petit, les images lui revenaient en mémoire. Celles de son départ, en premier lieu, et le visage soucieux et triste de sa femme s’imposa à lui. Il s’évapora doucement, laissant une saveur amère sur son palais, puis ce fut la procession, et bien vite, l’arrière garde massacrée qui remplaça toute autre vision dans son esprit. Les giclures de sang, les hurlements, les membres tranchés, les gorges éclatées à coup de crocs… Et ce fangeux, cet immonde être aux cheveux blonds teintés d’un vert vaseux, ces crochets reptiliens dont la référence à Rikni aurait été blasphématoire, ces yeux morts, ces peaux tombantes, en lambeaux, cette odeur de pourriture… Toutes les sensations lui revinrent en mémoire d’un coup. La fiole écrasée sur sa face sans douceur, puis enfoncée dans sa gorge avec une barbarie peu coutumière de la part de Morion. Il grimaça quand le souvenir de la blessure revint. Le bras tendu, dirigé pour un coup que Morion, en monture, savait ne pouvoir éviter. La douleur, sourde au début, de griffes éclatant l’armure avec une force inhumaine, et perçant, traversant et tailladant dans ses chairs comme s’il s’était agi de beurre fondu. Juste avant qu’il ne lui arrache la tête d’un coup d’épée mû par la douleur et la colère. La terreur, aussi.

Les hommes avaient connu, pour beaucoup, de très nombreuses guerres. Ils avaient l’expérience d’un champ de bataille, des cadavres, des corps parfois démembrés. Mais l’expérience d’une inhumanité si concentrée… Qui pouvait se vanter de la posséder ? Qui avait seulement vu ou même imaginé une armée entière de bête du chaos, des ténèbres, filant vers eux aussi vite que le vent, à peine arrêtée par les tirs de barrage, arrachant peau, veines, trachées, os parfois même, et dévorant littéralement leur proie. Quand leur regard se posait sur vous, il vous condamnait presque systématiquement à mort.

Il revint brutalement à la réalité quand Estrée pénétra dans la tente. Elle non plus n’avait pas ou peu dormi. Elle avait pratiquement passé sa nuit soit au chevet du comte, à s’assurer que son état n’empire pas, ou avec Edric à s’assurer que chacune des instructions de son frère était respectée à la lettre. C’est elle qui avait réceptionné la réponse d’Ambre à sa lettre, reçue dans la nuit. Elle la tenait toujours en main, et observa Morion quelques secondes, tentant de paraître le moins soucieux possible. Ce qui, vu le teint crayeux et maladif de son frère, n’était pas chose aisée. Talen profita de l’arrivée d’Estrée pour s’éclipser. Il devait voir nombre de choses avec Edric, avec qui il n’avait guère eu l’occasion de converser durant la journée passée, et après les avoir salué tous deux respectueusement, s’en fut silencieusement. Elle s’approcha et vint prendre la place du domestique, et tendit le parchemin à Morion. Elle ne l’avait pas lu.

Morion mit un moment sérieusement long à parcourir le papier. Il le lut plusieurs fois, puis le rendit à sa soeur, les mâchoires crispées, et surtout, furieux. Pas de la lettre de sa femme, qui lui apportait un certain réconfort. Mais d’être diminué au point de devoir relire plusieurs fois chaque phrase pour que son cerveau réussisse à l’intégrer. C’était quelque chose qu’il avait du mal à encaisser.

«Qu’ont dit les guérisseurs ? demanda Morion, l’oeil rivé sur sa soeur. Vitreux, brillant de fièvre, il n’en demeurait pas moins acéré. Il avait du mal à rester concentré plus de quelques secondes sur une même pensée, mais restait parfaitement lucide.

- Pas grand chose, annonça à contrecoeur Estrée, contrariée par l’incompétence des médecins qui n’avaient su trouver une origine sérieuse, ou plutôt définir une plus probable qu’une autre, au mal de son frère. Peut-être est-ce la blessure. Peut-être étais-tu déjà malade. Ou peut-être que les fangeux possèdent… nous ne savons pas. Une aura, un mal particulier qu’ils transmettent à l’homme.

Elle soupira, elle-même ne possédant que quelques vagues notions, parfaitement insuffisantes.

- Bien, répondit Morion. Très bien. Favorisons l’hypothèse d’une plaie pourrissante. C’est le plus probable. Je n’ai pu être traité avant longtemps, la plaie est resté à découvert une partie de la soirée… Et j’étais certes fatigué, mais nullement affecté en quittant la ville. Tu feras quérir cet homme un peu plus tard. J’ai besoin de lait de pavot. En infime quantité. Il y a encore du travail.

- Imbécile, s’emporta la jeune femme, tu es à peine capable de tenir un discours cohérent, comment veux-tu seulement effectuer la moindre tâche sérieuse dans ton état ? Cherches-tu la mort à ce point ?!»

Le compte balaya l’air d’un geste las de la main, et se rallongea complètement. Lui-même était assez lucide pour comprendre qu’actuellement, il avait besoin de repos. Et il en prit, même si son sommeil fut tourmenté par d’innombrables visions cauchemardesques.

Il ne se réveilla qu’en fin de journée.

--- ### ---


Le lendemain, dans la journée.

«Mais monseigneur, je ne peux… Enfin, je ne suis qu’herboriste, je peux vous fabriquer des cataplasmes, vous administrer des remèdes qui soulageront la doul…

- Merde. Estrée écarquilla les yeux et entrouvrit la bouche, sincèrement choquée par les propos que venait de tenir son frère. Elle ne l’avait jamais entendu jurer. Néanmoins, la peau blafarde du comte rougeoyait de fureur. Il se redressa, et attrapa le col du guérisseur, terrifié pour le coup, pour l’attirer à lui. Il fourra rageusement sa propre dague dans ses mains, et siffla à son visage. Les cheveux ébouriffés, les yeux pétillants de rage, les postillons s’échappant sans contrôle aucun d’entre ses lèvres, il cracha : Vous allez retirer les chairs qui entourent les lacérations. Toutes. Si vous n’êtes capable de le faire avec votre matériel, tranchez donc comme dans un vulgaire bout de viande. Sinon c’est moi qui vous découperai. Est-ce bien entendu ?»

Le guérisseur hocha frénétiquement la tête, et se saisit des pinces et instruments tranchants dont il disposait, s’approchant de la plaie du comte. Elle avait commencé, à certains endroits, à suppurer. Les chairs entourant directement les sillons sanglants avaient bleui, verdi même à certains endroits. La chair avait été en contact avec la putréfaction, elle commençait doucement à pourrir aussi. Mais surtout, la douleur devenait insupportable. Même pour un homme aussi endurant que le comte. Les yeux grands ouverts, il observait le pauvre homme chargé d’une tâche qu’il savait atrocement douloureuse. Le comte avait déjà pris du lait de pavot, mais s’était refusé à en abuser. Alors que l’inconscience aurait probablement été préférable. Il avait débouclé la ceinture liant ses chausses, et en avait enroulé une partie pour se l’enfoncer dans la bouche. Il savait que ça n’allait pas être une partie de plaisir. Estrée lui tenait fermement la main, et observait le guérisseur d’un air de dire “Echoue, et je te tue moi-même.” Ce qui serait le cas s’il venait à faillir à la mission que venait de lui donner Morion.

Pendant deux bonnes heures, le temps de retirer chaque parcelle de peau malsaine de la jambe du comte, l’on entendit ses hurlements étouffés à de nombreux mètres à la ronde. Par deux fois, la douleur était forte au point de lui faire vomir de la bile. Il mangeait ce qu’il pouvait, mais c’était bien peu. Quelques fruits, essentiellement, et un peu de viande séchée, qu’il avait un mal fou à mâcher. Ses régurgitations ne furent ainsi que très peu fournies.

Il but encore un peu de lait, une fois le travail terminé, et une fois seulement que ce fut bel et bien fini et que son regard déformé ne vit plus une seule parcelle de chair à la couleur étrange. Il sombra ainsi dans l’inconscience, une fois de plus.

L’opération était terminée depuis quatre jours, quand le comte commença à sentir ses capacités cognitives revenir. Il était toujours incapable de bouger sans aide, mais avec le soutien d’Edric ou de Talen, il pouvait se déplacer, sur une jambe, même si cela lui arrachait de nombreux grognements. Il put ainsi aller voir ses hommes, ceux qui étaient blessés également, afin de les féliciter pour leur courage. Et surtout il put enfin distribuer des instructions en main propre. Le Labret était vaste. Il demanda donc à ce que des groupes soient formés, et que tout le long de la frontière, là où la terre s’abîmait en pente douce vers le niveau de la mer, que des avants postes soient construits, en bois, marqués d’un cercle de pierres, peu lui importait. Mais il fallait des postes de surveillance fixes. Il donna sa mission à chacun, forma les groupes, et les félicita une fois de plus pour leur bravoure. Il leur annonça également qu’en dépit de sa blessure, toutes les informations lui seraient transmises, et que tant que le plateau ne serait pas sécurisé de façon fiable, il ne prendrait pas congé.

De retour dans sa tente, il fit mander du parchemin, afin de donner des nouvelles à sa femme. Il aurait voulu le faire plus tôt, mais il était encore régulièrement saisi de maux fiévreux, de délires ou de période d’inconscience. Son corps peinait à encaisser le choc. Ses rares moments de lucidité étaient ainsi consacrés à ses travaux et ses devoirs. Rapports à rédiger pour le Duc, messages à transmettre aux autres meneurs… Ironiquement, c’était quand il était le moins capable que la charge de travail s’avérait être la plus lourde. Et pour cause, une fois prêt à la rédaction, ses mains étaient si faibles que la plume lui échappait, tâchant encore et encore le parchemin vierge. Il finit, exaspéré, par demander à Estrée de retranscrire ses propos. Ce fut ainsi, sous la dictée de Morion, sa soeur qui écrivit. Son écriture était plus fine, plus féminine, et surtout plus stable.

«Ma douce.

Le crépuscule tombe. Je profite d’un moment de calme pour t’adresser ces quelques mots. Je ne sais si les détails techniques t’intéressent… Mais nous n’avons guère grand chose d’autre que le travail à accomplir, en ce moment.

J’ai commencé à faire installer des avants postes sur toute la frontière du plateau. D’ici une journée, le travail étant impossible et surtout interdit de nuit, nous verrons arriver l’ennemi de loin s’il ose une fois de plus montrer patte blanche. Edric et Estrée me sont d’une aide précieuse. Je ne puis encore assumer toute la charge des opérations seul, mais cela viendra. Quant à Talen, il rentrera bientôt, cela diminuera peut-être ton sentiment de solitude. Il n’a plus rien à faire ici maintenant que les combats sont terminés, et je crois qu’il s’inquiète tout de même un peu pour toi. Même si tu n’es pas seule au manoir, ou pas complètement, il semble manquer de confiance envers nos gens. Il sera là dans quelques jours.

Nous comptons quelques pertes dans les rangs Ventfroid, mais cela reste raisonnable, presque acceptable, même si chaque vie perdue est une tragédie. Les fangeux, leurs griffes et leurs crocs pourris par le mal semblent transmettre de nombreux maux. Les blessés et les malades sont nombreux, mais nos guérisseurs semblent être, pour la plupart, compétents.

Conte moi donc quelque journée ou information que tu récolteras la prochaine fois, je serai fort aise de lire les lignes tracées de ta main.

En attendant ce moment, sache que ta vision m’aide à mieux dormir la nuit, et que je me sens plus serein. Il me tarde le moment où cette vision se concrétisera.

Morion.»

Il scella lui-même la lettre, puis renvoya Estrée à Usson. Il était à bout de forces, déjà, et laissa sa tête aller contre le tissu tendu de la civière, maussade. Et en colère. Il avait déjà ordonné à Talen de ne point ébruiter sa situation auprès de son épouse, ne sachant de combien de jour elle retarderait son retour. Le guérisseur lui avait prescrit au moins deux semaines de repos, mais il deviendrait fou s’il jamais il devait se plier à pareil délai. Il ferma les yeux, et sentit immédiatement ses souvenirs lutter entre eux. D’un côté ceux que Morion invoquait, les nuits passées avec son épouse, ses journées également, passées dans l’intimité d’un couple dont le bonheur s’annonçait durable et les liens solides, et de l’autre, les masses pourrissantes des fangeux leur sautant dessus, brisant armes et armures, et ôtant une vie presque à chaque fois qu’ils frappaient. Il avait du mal à accepter le fait d’avoir été si profondément marqué par une telle horreur. D’un autre côté, celui qui ne l’avait pas été, était simplement un imbécile inconscient, ayant perdu le sens des réalités.
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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyLun 25 Juil 2016 - 1:34
Le lendemain de l’opération du Labret, Ambre se réveilla étonnamment tard. Les quelques raies de lumière perçant au-dessus des rideaux n’avaient pas permis de la sortir des bras de Rikni, et il sembla qu’elle récupéra tout le sommeil dont elle manquait. Le deuil de son père avait déjà grandement écourté ses nuits, la nuit blanche passée avec Morion la nuit avant la mission également, sans compter l’angoisse sans borne qu’elle avait connue tout le jour durant jusqu’à recevoir des nouvelles du comte, qui avaient terminé de grignoter ses dernières forces. Il n’y eut pas, également, de Talen pour venir à toquer à la porte en voyant que ses supérieurs ne se levaient point. Les autres domestiques étaient moins intrusifs et moins proches du couple disons, aussi personne n’osa venir voir si tout allait bien pour la comtesse. Ils supposèrent juste qu’elle avait besoin de repos ; et ils supposèrent bien.
Ambre sortit doucement des brumes du sommeil. Elle était encore dans ce bien-être caractéristique qui ne donnait qu’une envie : rester au lit. Inspirant doucement, clignant des yeux pour mieux se réveiller, elle roula sur une épaule pour se retourner et embrasser le torse de son mari, comme elle aimait à le faire au réveil parfois. La comtesse ne rencontra que le vide. Perturbée, elle resta un instant là, immobile et stupide dans la couche. Son esprit se souvint aussitôt des raisons de l’absence de son époux, et sa tête se relaissa tomber sur l’oreiller. La jeune femme se sentit très déçue sur le coup. Les frasques du sommeil lui avaient fait croire de brèves secondes que c’était encore sa vie quotidienne habituelle, et le retour à la réalité lui avait piqué le cœur désagréablement. Elle se passa une main sur le visage, inspirant une autre fois. Elle serait seule dans ce lit pour un moment encore, il lui faudrait s’habituer. Même si c’était une habitude qu’elle rechignait beaucoup à prendre.

Ambre ne tarda pas à quitter la couche désormais qu’elle était éveillée. Elle aurait pu pousser encore la grasse matinée, mais ne le souhaitait pas. Il était déjà presque onze heures du matin, et désormais, c’était elle qui devait gérer tout le manoir en l’absence du comte. Si la maîtresse des lieux restait au lit la moitié de la journée, ça n’était pas très seyant, en plus d’être guère responsable. Elle avait aussi beaucoup de choses à faire.
Avant de descendre définitivement, Ambre passa un peu de temps devant sa coiffeuse. Aujourd’hui, elle porterait une robe bleu nuit. Contrairement à l’or qu’elle aimait porter en temps normal, car il seyait particulièrement bien à ses cheveux de feu, la comtesse se para d’argent. Des épingles grises et brillantes vinrent relever ses cheveux et tenir les torsades, assorties aux boucles d’oreille, de même couleur, centrées d’un saphir sombre. L’argent se mariait particulièrement bien avec la couleur de la robe. Le tout faisait très… Ventfroid. Il était même dommage que Morion ne puisse la voir ainsi, mais ça n’était pas grave, il y aurait d’autres occasions. Ambre n’eut qu’un regret : que cet ensemble ne lui permette pas d’afficher son collier doré reçu le jour de ses noces, qui trancherait beaucoup trop avec le reste. Elle le conserva en lieu sûr dans sa coiffeuse cependant.

Une fois correctement apprêtée, Ambre descendit donc. Anne l’accueillit presque aussitôt lorsqu’elle se présenta dans la salle à manger, pour lui demander si elle devait faire préparer un petit-déjeuner.

- Mmh, vu l’heure, j’attendrai le repas de midi, Anne, ne t’en fais pas pour cela. Je ne dirais pas non à un jus de fruit cependant.

Anne hocha la tête. Si le comte, avant de partir pour le Labret, avait bien spécifié aux cuisines qu’il faudrait que sa femme mange plus que correctement durant son absence, la domestique ne prit pas ce saut de repas comme un fait inquiétant ce jour-là. Aussi elle ne protesta en rien – elle trouvait cela normal. La comtesse pourrait cependant constater qu’on lui servirait durant les prochains jours des doses plus que généreuses, parfois même beaucoup trop copieuses, et cela serait le cas pour ce repas du midi puisqu’elle sautait un repas du matin.

- Avons-nous reçu des lettres ?

- Oui, mais pas de messire Ventfroid, s’empressa de rajouter la domestique après le regard d’espoir de la comtesse. J’ai oublié le nom cependant, je ne me suis pas attardée sur le sceau quand j’ai vu que ça n’était point celui du comte Morion… La jeune femme fronça les sourcils. Quelque chose en –mont…

- Puylmont ? s’enquerra la comtesse, les yeux un peu surpris.

- Non pas. Plusieurs secondes s’écoulèrent un peu, puis Anne releva le visage. Ah, voilà. Clairmont, ma Dame.

- Oh. Très bien. Fais venir, je serai au salon.

Avoir pensé à Joscelin l’espace d’un bref instant la fit, étrangement, sourire. Lui qui aurait eu tant de plaisir à savoir Morion mort au Labret, voilà désormais que l’affaire était passée, et qu’il n’en était rien. Elle aurait presque eu envie de lui envoyer une missive ironique, mais l’idée survola à peine son esprit. Elle ne voyait pas même l’intérêt d’aller secouer ce serpent insignifiant.

Pendant qu’Anne partait préparer le jus de fruit et lui ramener la missive, Ambre remonta quelques minutes dans son atelier pour récupérer encre et parchemin. Elle aurait pu directement s’installer dans son atelier pour la journée, mais la jeune femme n’avait pas envie de s’isoler tout de suite. Elle le serait bien assez les jours et semaines prochains.
La lettre de Clairmont s’avéra être un simple échange de nouvelles, et quelques félicitations pour la participation réussie de Morion au Labret. Il fut question également de la demande d’un portrait pour la famille dans un futur lointain, aussi Ambre prit un soin tout particulier à répondre à ses potentiels futurs clients. Doucement, elle coucha son encre sur le papier. Son verre de jus était déjà consommé à ses côtés, et le salon était silencieux. Seul le grattement de la plume sur le papier, la respiration de la comtesse ainsi que les craquements de feu dans l’âtre, troublaient le tout. Ambre n’avait point encore terminé sa missive qu’on vint la déranger, cependant.

- Comtesse ? La dame de Rocheclaire demande à entrer. Anne se tordit un peu les mains, inquiète. Enfin, elle est déjà entrée à vrai dire… J’ai réussi à la faire attendre dans le hall, après l’avoir informée que le comte Morion allait bien.

La main d’Ambre s’arrêta au-dessus de son parchemin.

- Encore elle ?

Bien évidemment qu’elle n’avait pas attendu au perron du manoir, dehors. Cette femme se croyait chez elle ici, et attendait à peine qu’un domestique lui ouvre la porte pour pénétrer une demeure qui n’était point la sienne. Ambre dut prendre beaucoup sur elle pour se déclarer indisponible et faire remonter à la vicomtesse qu’elle ne l’accueillerait pas aujourd’hui. Elle avait encore en travers de la gorge son interruption de la veille avant le départ de Morion. Et désormais que ce dernier était absent, Ambre redoutait un peu les échanges qu’elle pourrait avoir avec cette femme. Non pas qu’elle avait peur, ou quoi que ce soit. Morion était simplement un obstacle évident contre leurs rapports inamicaux, et il permettait à Ambre de rester distante et de ne pas avoir besoin de converser avec cette femme. Et elle s’en portait très bien, car faire face à cette femme n’était pas une activité qui lui plaisait – moins elle la voyait, mieux c’était. Si elle pouvait ne pas la voir du tout cela serait parfait.
Quant au fait que la jeune blonde ait dû venir au manoir pour avoir des nouvelles de Morion, cela souleva une sombre satisfaction chez la comtesse. Cela voulait dire qu’elle n’avait rien reçu. Elle était obligée de venir mendier des informations ici, comme une laissée pour compte.

- Eh bien, fais-la venir. Mais ne reviens pas proposer des boissons ou autres agréments qui seraient susceptibles de la faire s’attarder s’il te plait.

Ambre reprit les phrases de sa lettre, et, alors même que la porte du salon s’ouvrait pour laisser entrer la vicomtesse, la jeune rousse ne leva pas le visage de son parchemin. Elle continua à gratter, silencieuse, ne saluant pas la nouvelle venue, lui signifiant bien par cette non-réaction qu’elle était occupée. Quelques secondes passèrent, alors que Cassandre posait les yeux sur Ambre en pleine rédaction. Ses prunelles effleurèrent le parchemin également, ainsi que celui de Clairmont, qui traînait déroulé à côté, mais elle était trop éloignée pour pouvoir distinguer les lettres ou reconnaître une écriture. Devant le mutisme et l’indifférence d’Ambre, la Rocheclaire termina par briser le silence.

- L’argent des Ventfroid ne vous sied définitivement pas, comtesse.

La plume qui grattait le parchemin s’arrêta. Ambre releva enfin les yeux vers elle. Juste les yeux, sans aucun mouvement de tête, ce qui donna un effet particulièrement dédaigneux, avec un regard par en-dessous les cils qui aurait terrifié n’importe quel domestique s’il leur avait été adressé. Personne n’aimait voir Ambre ainsi.

- Il vous irait mieux, assurément, déclara Ambre, l’ironie facilement palpable, malgré son calme de façade.

Un calme froid qui couvait un dégoût pour cette femme qui ne cessait de la houspiller depuis des mois. Les deux femmes ne s’étaient jamais trouvées en tête à tête depuis les noces d’Ambre cependant, ce qui changeait grandement la donne. Cassandre servait les Ventfroid. Et même si elle ne considérait visiblement Ambre pas digne d’un tel nom, elle était désormais tenancière du titre, et devenue sa supérieure. Il faudrait qu’elle apprenne à composer avec ça.
Cassandre eut un sourire mielleux, loin du comportement qu’on devait afficher avec son suzerain cependant.

- Irrévocablement.

Ambre reposa sa plume dans son encrier avant que la pointe ne sèche, commençant à être particulièrement agacée. Elle savait très bien que Cassandre profitait de l’absence de Morion pour ouvrir les hostilités. Jamais elle ne se serait permis de tels propos en sa présence. Pauvre petit chaton.

- Etes-vous uniquement venue pour me cracher votre venin à la figure ? trancha Ambre brutalement. Malheureusement pour vous, je suis celle qui porte le nom de Ventfroid désormais, et il va falloir vous faire une raison. Je ne souffrirai pas continuellement de vos attaques ; et sachez que je saurai y mettre un terme si vous vous entêtez. Je n’aurai pas la même patience que Morion à votre sujet.

Les pupilles de la comtesse s’étaient étrécies sous la menace. Cassandre ne fut pas le moins du monde dérangée par ces propos ; pire, elle parut s’en amuser, persuadée d’avoir l’avantage sur ce coup.

- Je ferai montre du même zèle pour vous évincer, dame Mirail. Quant à moi, Morion ne se séparera jamais de ma personne, vous êtes assez intelligente pour le savoir.

- Et vous, vous devriez l’être assez pour ne pas insulter celle qui est devenue sa femme sous son propre toit. Tout dans votre comportement, depuis le début, laisse à penser que je vous ai arraché une possession. Morion ne vous a jamais appartenu. Mieux encore, s’il vous avait aimée, vous seriez sa femme depuis des lustres. Vous êtes bien puérile à me porter préjudice pour quelque chose que je n’ai strictement pas avorté – il n’y avait rien.

Cassandre ricana, d’un rire de très mauvais augure.

- Ma chère, si je portais un autre nom, vous ne seriez pas même ici.

Ambre serra les mâchoires, commençant sincèrement à perdre patience. Cassandre pensait à quelque chose de précis, des évènements de vie qu’Ambre ignorait, bien évidemment. La comtesse les ignorait, et, même si elle savait pertinemment qu’il y avait des choses qui manquaient pour qu’elle puisse saisir cette réplique, elle ne s’abaissa pas à demander explication. Elle ne lui donnerait jamais la satisfaction de montrer qu’elle avait été touchée par cette phrase.

- Si vous aviez porté un autre nom, vous n’auriez jamais approché le seigneur de Ventfroid en personne, pas même dans vos rêves les plus fous, répliqua Ambre, sombre. Vos relations avec Morion ne sont permises que par l’alliance entre vos deux familles. Sans elle, vous êtes inutile, et une femme particulièrement inintéressante, en plus d’être toxique.

Cassandre avait froncé les sourcils, en colère cette fois-ci après les propos de la jeune rousse. Si elles avaient appartenu à une autre caste que la noblesse, sûrement aurait-elle poussé jusqu’à frapper Ambre.

- Maintenant dîtes-moi ce que vous voulez, et dépêchez-vous, ajouta Ambre avant qu’elle ne puisse répliquer.

Malgré sa haine évidente, elle restait étonnamment calme, et tenait à assumer son rôle en tant que comtesse du manoir. Même si sa plus grande envie était de congédier cette femme sans même lui laisser l’occasion de dire un mot, elle ne pouvait pas se le permettre. C’était un fait, Cassandre était une alliée avérée des Ventfroid, et Ambre ne pouvait pas décréter qu’elle ne pourrait plus rien faire juste parce que Morion était absent. Il lui en tiendrait certainement rigueur, d’ailleurs.

Cassandre avait serré brièvement les poings, les jointures blanches. Son regard glissa de nouveau sur la lettre qu’Ambre était en train de rédiger, et un muscle sur sa joue tressauta alors qu’elle serrait les dents, détestant visiblement répondre.

- Je suis venue aux nouvelles, savoir si le comte se porte bien. J’ai également besoin de documents importants qu’il conserve dans son bureau, pour continuer certaines activités.

Ambre attrapa à nouveau sa plume pour la poser à nouveau sur le parchemin de sa lettre, désormais qu’elle connaissait les raisons de sa visite et que l’entrevue touchait presque à sa fin. Elle répondit sans regarder Cassandre.

- Morion va bien. Il sera au domaine dans quelques jours si vous souhaitez le contacter directement. Epargnons-nous des visites quotidiennes pour échanger des nouvelles à son sujet, je crains de ne pas pouvoir supporter l’idée ; je gage qu’il en est de même pour vous. Quant à ces documents… reprit-elle après une pause, relevant un instant le regard. Je ne vous ouvrirai pas le bureau.

- Pardon ? Cassandre parut presque choquée. C’était visiblement la première fois qu’on lui refusait quelque chose entre ces murs. Vous entraveriez mon travail, alors que c’est justement pour le comte que ceci doit être fait ?

- Dîtes-moi les documents dont vous avez besoin, je vous les ferai parvenir dans la journée. Je ne vous laisserai pas pénétrer dans le bureau. Morion ne m’a laissé aucune directive à ce sujet, et même si je pense que sa confiance à votre égard est présente, j’ai des scrupules à laisser quelqu’un fouiller dans ses affaires personnelles en son absence.

En sus de cela, Ambre craignait que la vicomtesse puisse se servir au-delà de tout besoin pour ses espionnages. Qu’elle emporte des documents strictement personnels. Et puisqu’Ambre connaissait peu le bureau de Morion – elle en connaissait la disposition des meubles, mais n’avait jamais fouillé dans ses affaires et ignorait comment il rangeait ses papiers –, Cassandre pourrait voler des papiers particulièrement importants sans même qu’elle ne s’en rende compte, à moins d’examiner chaque parchemin. Bref, si Morion avait une confiance aveugle en Cassandre, ça n’était pas son cas. Elle ne la laisserait jamais entrer tant que le comte ne lui donnait pas une indication contraire.

- Etes-vous sotte ou cachez-vous habilement le fait qu’il ne vous a pas même laissé les clés de votre propre manoir ?

Cette fois, ce fut au tour d’Ambre d’afficher un sourire mielleux, et dangereux.

- Les clés je les ai. Quant à ma stupidité, disons que je l’ignore, mais que je trouve qu’une femme qui ne reçoit pas même de nouvelles de son supérieur et soit obligée de venir mendier dans mon salon n’est pas une personne particulièrement bien placée pour faire une telle analyse. Maintenant sortez. Je vous ferai parvenir vos documents dans la journée.

Cassandre resta coite, une rage terrible couvant dans ses yeux. Ambre n’était pas en reste, et se contenait en se concentrant sur sa lettre, affichant une fausse image d’indifférence. Elle serrait sa plume fortement, presque à la briser. L’espace de quelques secondes, elle crut que Cassandre allait l’attaquer, ou faire quelque chose d’autre. Elle guetta le point de rupture tout en gardant les yeux posés sur sa missive. Mais cela ne vint pas. Après un bruissement de robe, la porte claqua assez violemment, et Ambre se retrouva seule dans la pièce. Elle soupira doucement.

Morion, reviens vite s’il te plait.

--

Trois autres jours passèrent, sans nouvelles de Morion. L’inquiétude d’Ambre pointa à nouveau, de façon discrète. Elle tentait de se raisonner cependant. L’homme avait combattu, avait défendu des tas de gens. Il avait besoin de repos après une telle bataille, et quand il ne pouvait pas se reposer, sûrement était-il trop accaparé par ses devoirs et son travail. Si quelque chose de grave était arrivé, il y avait Estrée, ou Talen, pour la prévenir. Pas de nouvelles bonnes nouvelles, n’est-ce pas ? Elle était loin de se douter que l’homme était mal en point jusqu’à délirer de fièvre, ou mordre dans une ceinture pour étouffer des hurlements de douleur. Elle évoluait dans une sorte de monde joyeux, ignorant, couvée par Morion et Talen qui se gardaient bien de la prévenir. Ils entendraient parler d’elle à leur retour, quand elle ne pourrait que remarquer l’étendue des blessures du comte, mais pour l’instant avait-elle l’esprit serein ou presque.

Au manoir, la vie menait son court, tranquillement. Ambre avait presque dû redresser les bretelles à ceux qui lui servaient les repas, qui avaient décidemment envie de l’engraisser. Sarah avait pris les ordres de Morion au pied de la lettre, voire les avait mal interprétés. Car plus que s’assurer que la comtesse mangeait à sa faim, elle donnait l’impression de vouloir la faire grossir, à lui servir des doses dignes d’un homme de grande carrure. Ambre savait parfaitement que Morion n’était pas un adepte du gaspillage, et c’était ce qui avait commencé à se dérouler alors qu’elle ne pouvait pas engloutir tout ce qu’on lui servait. Sarah était un ange, particulièrement attentionnée, mais en faisait trop. Même si elle lui assura qu’il fallait prendre un peu pour s’assurer plus de chances pour la venue d’un enfant, Ambre répliqua, amusée, qu’elle finirait par tuer n’importe quel embryon avec des assiettes si garnies. Alors les domestiques se calmèrent un peu sur le sujet, et laissèrent une Ambre fortement amusée regagner son atelier sans finir son assiette.

Quand elle reçut une nouvelle missive de Morion le quatrième jour, elle fut particulièrement fébrile. Son inquiétude s’évapora à la lecture des mots, même si elle tiqua en ouvrant la lettre. Ça n’était pas son écriture, et elle ne reconnaissait pas les courbes… à moins que ça ne soit celle d’Estrée peut-être, maintenant qu’elle revoyait brièvement en esprit les nombreuses lettres que Morion avaient laissées ouvertes sur son bureau durant les jours de préparation du Labret alors qu’il entretenait une correspondance assidue avec son domaine. L’écriture était féminine en tous les cas, alors l’hypothèse paraissait probable. Pourquoi n’avait-il pas écrit ces mots lui-même cependant ? Etait-il si fatigué ? Un pli soucieux apparut entre les sourcils. Elle chercha, guetta, tout signe qui pourrait lui donner quelques éléments supplémentaires à travers les mots rassurants du parchemin, mais ne trouva rien.
Malgré son inquiétude sous-jacente, ce fut avec calme qu’Ambre répondit. Contrairement à la première lettre, où elle avait été complètement perturbée à travers son soulagement et son émotion, et où sa main avait diablement tremblé, là, elle prit son temps. Réfléchissant quelques secondes avant de poser sa plume, elle se gratta le menton avec, puis commença.


7 mars 1165, vingt-et-une-heure,

« Mon époux,

La nuit est tombée depuis plusieurs heures déjà quand je t’écris ces lignes. Quelques domestiques s’affairent encore, mais beaucoup ont déjà rejoint leurs quartiers, alors que je ne compte point tarder non plus à rejoindre notre couche. C’est difficile cependant ; je n’ai jamais eu si peu envie de rejoindre notre lit que depuis que tu es absent. Il est froid, et il n’y a personne pour me calmer après un cauchemar… ou pour m’accorder de tendres attentions que je ne décrirai point sous peine d’être déclarée vulgaire.

Il fait bon ce soir, tu aurais apprécié une balade dans le cloître je crois. Le printemps est pour bientôt, et cela se ressent parfois, comme cette nuit. J’accueillerai Talen avec plaisir, dès qu’il rentrera. Il me manque aussi, les couloirs sont particulièrement vides sans vous deux. Certains tentent cependant de l’animer, à leur façon. Cassandre est passée. Il y a quelques jours. Elle a demandé accès ton bureau, pour des documents pour ses recherches. J’ai été contrainte de lui refuser sa demande, j’ignore s’il est dans tes habitudes de la laisser se servir en ton absence. Elle n’a pas trop apprécié, je crois. Dis-moi comment tu fais dans ce genre de cas, si je dois la laisser agir à sa guise ou non. J’espère que je n’ai pas fait d’impair.

Les domestiques, également, sous la bonne garde de Sarah, se sont mis en tête de me gaver comme une oie. Je ne sais pas ce qu’ils ont mal compris dans tes instructions mais ils ont fait preuve d’un zèle courageux jusqu’à ce que je hausse un peu le ton. Je puis manger correctement, mais je n’ai point l’appétit d’un ogre, et il ne s’agit pas là de mauvaise volonté de ma part.

J’ai commencé à réparer et nettoyer les instruments de tes sœurs, aujourd’hui. La vielle de Marianne donne un très joli son. J’essaye… Ah, je ne sais pas même pourquoi je te parle de tout ça. Cela doit te paraître tellement insignifiant, au beau milieu des blessés, des morts, des fortifications et des cris lugubres des bêtes qui vous parviennent la nuit.

Parlons de quelque chose qui t’intéressera potentiellement mieux. Grâce à Evan, j’ai quelques détails sur la sécurité interne de la ville. Rien d’inquiétant ici, malgré l’absence d’environ cinq cent miliciens au Labret – même si je gage que beaucoup sont morts, mais nous n’avons encore point les chiffres exacts ici. Beaucoup pleurent leurs proches, d’autres attendent encore des nouvelles en se postant des heures sur la place des crieurs. Malgré tout cela, l’ambiance est à la liesse. Les petites gens sont sorties dans les rues à l’annonce de la reprise du plateau, tous ont jeté leur chapeau en l’air, loué des nobles et des miliciens sur lesquels ils crachaient encore durant la rafle. Vos noms résonnent en héros, et ils attendent tous les premiers convois qui ramèneront les anciennes récoltes restées bloquées dans les fermes avec l’arrivée de la Fange. Outre l’hypocrisie sans nom de tout ceci, la situation est donc bonne ici. Tu devrais trouver une cité calme à ton retour.
Sigfroi est d’excellente humeur. Il a rendu hommage hier aux nobles tombés pour lui, ainsi qu’à ses sergents. Ses miliciens, et tous les volontaires – ou volontaires forcés – qui ont péri pour la ville, même s’il ne pouvait point citer de noms pour ces derniers. Il envoie d’autres escouades consolider votre terrain maintenant que la prise est assurée, mais ça tu dois le savoir avant moi.

J’espère que tu vas bien, que tu réussis à prendre du repos malgré les responsabilités. Je n’attends qu’une chose moi aussi, que tu me reviennes. Ce ne sont là que les envies d’une épouse égoïste cependant. Prends soin de toi, mon époux. Mais sache que je compte prendre soin de toi à ton retour, moi aussi. Tu me manques.

Je t’embrasse, et me vois contrainte de rejoindre notre couche même si elle est toujours aussi désespérément vide,

Ambre. »


Avant de sceller la lettre, Ambre en parfuma le papier, avec son parfum habituel. Cela devrait plaire à Morion.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyLun 25 Juil 2016 - 4:33
8 mars 1165.


Plus loin à l’extérieur de la tente, deux éclaireurs conversaient. Ils avaient participé à la lutte, durant l’opération, mais ils étaient utilisés à proximité des marais, à l’avant garde. Le temps qu’ils arrivent, nombre d’ennemis étaient tombés, déjà. Ils avaient été légèrement éprouvés, mais finalement, s’en tiraient très bien et poursuivaient leur mission sous les ordres de Morion. Enfin… sur le départ d’une patrouille, attendant que leurs montures finissent d’être sellées et équipées, ils se posaient tout de même quelques questions. La chair pourrie avait été retirée de la jambe du comte, certes. Le mal avait été stoppé… Presque. Il était en lui. Son état de santé s’était brièvement amélioré, avant de replonger dans la tourmente. Une maladie s’était elle infiltrée dans la blessure ? Personne ne savait, le guérisseur était pourtant optimiste, avant ses dernières visites. Mais le doute subsistait. Et parmi les rares qui avaient eu l’occasion de le voir, lorsqu’il était sorti répartir les effectifs restants en groupes de surveillance, les rumeurs allaient bon train. Aldabert et Richard, deux soldats aguerris, rompus à la cavalerie, mais craintifs dès que cela concernait la fange ou les dieux, discutaient entre eux, inquiets.

«Dis, Rick’, tu crois que… Commença Aldabert, hésitant, regardant autour de lui pour percevoir d’éventuelles oreilles indiscrètes. Tu crois que le Comte de Ventfroid deviendrait… enfin…

- Sérieusement ? Répondit Richard, aussi peu rassuré que son collègue. Je sais pas. Même le médecin avait l’air largué, en sortant de la tente. Tu l’as vu, la dernière fois qu’il est sorti ? Blanc comme un cadavre, il tient à peine debout… Et sa jambe… Je suis sûr d’avoir vu l’os. Mais devenir un fangeux… Tu crois que c’est possible, avec une griffure ?

- Déconne pas, c’est pas une griffure ça, t’as vu l’état de sa jambe ? Puis bon, vu comment il a hurlé l’autre jour… Imagine s’il se transformait. On serait tous bien malin, avec un fangeux en plein milieu de nos lignes, franchement. La moitié du campement se ferait décimer en quelques secondes.

- Ouais… Richard haussa finalement les épaules. Il tenta de se rassurer. En tout cas, s’il montre le moindre signe de transformation, je te jure que je m’occupe moi même de le décap... »

Il s’interrompit brutalement. Une ombre s’était avancée sur eux. Une ombre gigantesque. Déformée et amplifiée par le soleil, mais l’homme qui en était le créateur était une force de la nature. Une chevelure grisonnante, à l’image de sa barbe, des yeux bleus étincelants de colère, les bras croisés, deux bras prompts à briser le roc, sa moustache agitée de tics nerveux.

«Dites, gronda Edric de Castelmont, seriez-vous en train de remettre en cause la piété et la force morale de votre Seigneur ? Voulez-vous peut-être, mes deux jolis petits oiseaux, que je vous montre comment l’on règle son compte à un fangeux ? Ou peut-être que ce monsieur, dit-il, menaçant, en désignant avec dédain Richard, qui s’était légèrement tassé à la vue du colosse, voudrait me faire un exemple de son savoir faire ? Le Comte Morion était en plein milieu de la mêlée pendant que vous galopiez vers nous, et nombre de fangeux et parfois même de simples civils ont été occis par sa lame, avant que vous n’arriviez. Comme tous les autres, il a permis à vos petites fesses roses et lisses de se trouver là, à ruminer et douter, alors que vous auriez pu finir exactement comme ce que vous craigniez. Doutez une seule fois encore, et je vous assure, mes mignonnes, que je vous fais bouffer tous les cadavres qu’on a laissé derrière nous, un à un. C’est compris ?»

Les deux soldats hochèrent frénétiquement la tête. L’on racontait parmi les troupes qu’Edric avait été un véritable monstre sur le champ de bataille. On disait même, comme souvent après les batailles ou les souvenirs confus se mêlaient à un imaginaire mû par la crainte et aux sensations post-combat, entre la sensation de puissance et d’immortalité, qu’il avait broyé des crânes à main nues. C’était faux, évidemment, mais il était difficile de faire taire les langues les plus pendues. Ce qui comptait, c’est que personne n’avait envie de s’attirer les foudres d’Edric. Et il n’hésitait pas à en jouer. Les soldats récupérèrent leurs montures, et filèrent en mission sans demander leur reste. Edric, quant à lui, les suivit longuement du regard, avant de s’autoriser une bonne tranche de fou rire. Par les trois, ce qu’ils pouvaient être faciles à effrayer, se dit-il. Il fit demi-tour, et se rendit dans la tente du malade. La journée approchait alors de midi.

«Bonjour bonjour, Messire Mourant de Ventfroid. Comment se porte votre transformation, aujourd’hui ? Pas de crochets ? Pas de griffes ? Aucune érection anormale ? Ni de…

- Par les Trois, fermez-la ou je vous fais trancher la langue, Edric.»

La remarque avait été sèche, mais surtout lasse. Edric était… toujours comme ça. Il dédramatisait à peu près tout, et pis que cela, tournait tout en dérision. Il était intimement persuadé que le colosse faisait ça uniquement dans le but de le détendre, mais vu qu’il le faisait à chacune de ses visites, cela l’épuisait. Même Talen serrait les dents en le voyant arriver. Néanmoins, le chevalier et le domestique s’entendaient diablement bien, et le domestique avait ainsi tendance à prendre le parti des plaisanteries scabreuses du commandant des “troupes” du comté.

«Navré messire, mais il semble que dehors, on vous pense en train de vous transformer en ces sales bêtes.»

Morion ne répondit pas immédiatement. Il avait son ouvrage sur les genoux, et écrivait, très lentement certes. Il avait également le regard fiévreux, et malgré la fraîcheur, transpirait. Ses mèches décoiffées étaient collées aux côtés de son visage, parfois sur son front. Son teint avait conservé sa couleur de craie, et ses joues étaient encore un peu plus creusées. Néanmoins, les délires avaient ralenti. Mais il sentait que le mal continuait à faire des dégâts, à l’intérieur. Il respirait d’un souffle rapide, parfois irrégulier même, et la douleur de sa jambe l’empêchait de dormir sereinement. Et quand il dormait, c’étaient les cauchemars, incessants, qui revenaient à la charge et le fatiguaient plus qu’autre chose. Ses dents étaient perpétuellement serrées, ses muscles tendus sous l’effort qu’il faisait pour se maintenir en forme, ou au moins, éveillé et prêt à recevoir des rapports, des directives ou toute autre chose. Une réponse de sa femme, par exemple, qu’il avait lu au petit matin. Elle avait illuminé son début de journée, avant que le guérisseur ne vienne tout gâcher, par son incapacité à trouver un remède efficace à ses maux. Il commençait à s’habituer au lait de pavot. De fait, refusait d’en boire une seule goutte de plus.

«Qu’ils pensent donc ce qu’ils veulent. Si je me transforme, et ça ne s’est jamais vu du vivant de qui que ce soit, ils seront les premiers que je dévorerai. Et vous serez le suivant, si jamais vous recommencez vos plaisanteries stupides.

- Eh bien, vous me tuerez, monseigneur. Car je ne compte pas cesser, je serai mort avant de vous revoir dans un tel état, et je compte bien en profiter jusqu’en avoir marre de moi-même. Et ça ne s’est jamais vu du vivant de qui que ce soit.»

Morion laissa un soupir lui échapper. Dans son état, ou dans un autre, inutile d’essayer de lutter contre lui. Et dire que toute une famille, une dynastie lui appartenait. Comment diable ses enfants faisaient-ils pour supporter leur père ? Ou son épouse ? C’était hallucinant. Il referma son livre, et observa un moment sa plaie. Au lieu des teintes entre le violet, le bleu et le vert qu’elle avait la veille, suite aux scission effectuées par le guérisseur, elle avait désormais une teinte rouge vif sur les bords, boursouflée par l’inflammation. Il avait songé à la faire cautériser au fer chauffé au rouge, mais les tissus de ses muscles étaient toujours sérieusement amochés, et il voulait retrouver le plein usage de sa jambe. Seule la patience serait efficace, dans ce genre de cas. Si son corps n’était pas terrassé par la maladie, néanmoins. Ses doigts tremblaient légèrement, rendant son écriture fébrile, et il était constamment épuisé. Le médecin lui avait assuré qu’après les pertes massives de sang qu’il avait eu, c’était tout à fait normal, mais Morion n’était pas dupe. Il y avait autre chose. Et il aurait du mal à y voir clair tant que les stigmates du combat n’auraient pas commencé à se dissiper. Vu son état de faiblesse, cela pouvait prendre quelques jours comme des mois entiers.

Il bascula les jambes par dessus la civière, étouffant un gémissement dans sa gorge. Plier la jambe avait tiré sur la peau de la blessure, et avait même fait perler quelques gouttes supplémentaires. Elle avait été enduite d’un onguent gras, qui isolait la plaie de l’air extérieur, puis recouverte avec des herbes qui avaient été retirées quand elles avaient perdu, selon le guérisseur, leurs vertus apaisantes.

«Aidez-moi.»

Il s’adressait à Edric, qui secoua la tête, et força le comte non à se relever, mais à se rallonger.

«Toute plaisanterie mise à part, restez au lit. Vous allez vous tuer tout seul si vous continuez. Je sais ce que ma femme me ferait, si je ne rentre pas. Je n’ose pas imaginer la votre, si vous en avez fait votre épouse, justement. Et j’aimerais me présenter à vos funérailles pour célébrer votre ardeur au combat, et non pleurer votre reddition mortelle aux foudres de l’ire de Dame Ambre. Déjà qu’elle ne va pas vous faire de cadeau quand vous rentrerez vu votre tronche… N’en rajoutez pas.»

Vaincu face à la force d’Edric, il ne bougea pas, mais tua cent fois son vassal du regard. Chose à laquelle il était totalement immunisé, par ailleurs. La vérité, et tout le monde au comté le savait, c’est qu’Edric ne craignait rien plus au monde que sa propre femme. Il l’aimait, ardemment, mais passait sa vie à s’en plaindre, et fermait immédiatement son clapet quand elle était dans les parages, passant d’un ours ébouriffé au tempérament de feu à un agneau docile et bien dressé.

Il reprit la lettre de sa femme, une fois la main du géant ayant quitté son torse, et en relut les lignes. Il était rassuré de voir que tout se passait bien en ville. Certains auraient pu en profiter, après le départ d’une bonne partie des hommes d’expérience, pour semer le chaos, mais les autorités étaient dirigées par de bonnes personnes. Evan, notamment, un homme que Morion estimait. Jeune, mais savant et solide. La mort de son père l’avait refroidi, mais également beaucoup endurci, malgré les séquelles qu’elle avait laissé. La famille de Mirail était entre de bonnes mains. Et même si sa femme était une Rivain d’origine, elle restait quand même le meilleur soutien que le jeune comte pouvait espérer. La mention des cris et chants de victoire en revanche… voilà qui lui avait beaucoup moins plu. C’était toujours ainsi à l’issue d’une bataille victorieuse ou d’une guerre menée avec triomphe. Mais cela n’arrivait que parce que ceux qui célébraient ces choses là étaient absents du champ de bataille. La vérité était bien autre. A dire vrai, dès que Morion entendait parler de fangeux, et cela arrivait malheureusement très souvent vu l’endroit où ils étaient, il sentait son estomac se tordre, et revoyait avec une précision chirurgicale celui qui l’avait griffé, ainsi que les corps sans vie, ouverts aux quatre vents, des pauvres hères qui avaient subi leur soif inextinguible de chair et de sang. La blessure était tout aussi physique que morale. Ses hommes les moins proches, qui recevaient des ordres secs et brutaux, s’étaient dit et un peu avec raison, que le comte était naturellement comme ça, qu’en qualité de chef de guerre, il ne laissait rien passer. C’était partiellement vrai. Sur le terrain, il était terriblement intransigeant, sec, et correspondait parfaitement à l’image que l’on pouvait se faire du Seigneur de la Maison Ventfroid. Néanmoins, Talen, Estrée, Edric, savaient que quelque chose le tourmentait. Il était renfermé, ne parlait quasiment pas en dehors des fois où c’était nécessaire, et pouvait passer plusieurs heures à regarder sa peau blessée, observer les fluide sécher, le sang coaguler, des croûtes se former, dans un silence de mort. D’autres fois c’est le vide qu’il observait. Il n’y avait aucune place pour les héros, ici, ils n’avaient jamais existé. Et les hommages du Duc avaient le goût des déjections les plus horribles qui existent. Il avait sacrifié près de mille âme pour ce plan, et n’aurait jamais conscience de l’horreur qu’ils avaient vécu. Avec un certain cynisme cependant, Morion se dit que mille personnes était un prix acceptable pour cette réussite. Le nombre d’âmes au bord de la rupture en ville, faute de manger correctement, était nettement plus élevé. Si les dieux attendaient un sacrifice.. voilà qui était fait.

Estrée entra également, le perturbant et l’interrompant dans ses réflexions. Elle avait été absente depuis l’envoi de sa dernière missive. Elle tenait une longue étoffe à la main, et vint embrasser son frère avant de la lui tendre.

«Je me suis rendu au comté, hier, et ai demandé à ce qu’il te soit fabriqué ceci. Elle devrait être à ta taille. Elle déroula le paquet, dévoilant une canne au bois verni, et au pommeau d’argent.

- … Quelle est cette… chose, rétorqua Morion, étonné, et en même temps, un peu contrarié. Voilà qu’on le traitait comme un infirme, maintenant. On n’arrêtait plus le progrès. Mais ce fut Edric qui répondit, avec sa verve et son irrévérence habituelle.

- La petite a eu raison, monseigneur. J’en ai marre de vous supporter moi, et Talen est bien gentil, mais lui il vous supporte tous les jours, alors si moi j’en ai ras le casque au bout de deux jours, imaginez ce pauvre bougre. Avec ça, vous pourrez sortir et vous gauffrer quand vous voulez. On sera gentils, on vous ramassera.»

Estrée adressa un regard courroucé à Edric, mais Morion avait compris le message. Il saisit la canne, et l’observa un moment. Il ne doutait pas qu’elle soit aux bonnes mesures. Sa soeur était comme lui, son oeil était aiguisé, et elle avait une excellente mémoire. La taille de son frère n’était qu’un détail.

«Merci. Il me manquait justement quelque chose pour frapper cet imbécile de chev- il fut brutalement interrompu dans son propos par une sévère quinte de toux qui dura une dizaine de secondes. Il en prit quelques unes supplémentaires pour reprendre son souffle, qui resta tout de même dangereusement saccadé et chaotique. Il ferma les yeux un moment, et soupira longuement quand il se sentit capable de le faire. Aucun autre mot ne sortit de sa bouche, cependant.»

Quelques heures plus tard.

Un pas. Un autre. Un de plus. L’épreuve était difficile. Mais il s’en sortait, bien qu’il ne serait pas capable de marcher plus loin qu’une dizaine de mètres avant plusieurs jours. Sa plaie avait été bandée, désormais, et une légère tâche grasse et rosâtre s’étendait en dessous. Le saignement n’était pas complètement arrêté, mais l’onguent l’avait beaucoup ralenti. Le seul problème était qu’à cause même de ça, une saignée pour éventuellement évacuer le mal qu’il couvait le tuerait en quelques minutes. Il était condamné à prier pour que cela passe. La fièvre s’était accentuée, il était réellement brûlant, et il ne voyait presque plus qu’à quelques mètres seulement. Ensuite, tout se brouillait, se transformait en une bouillie de couleur plus ou moins vives selon l’heure de la journée. S’il bougeait trop, il sentait sa tête tourner, et invariablement, était pris de nausées, puis de vomissements, copieux. Plus personne ne savait quoi faire, si ce n’était attendre. Attendre et prier.

Devant sa tente, il écoutait les rapports de divers hommes. Il se tenait droit, sa jambe droite légèrement fléchie pour éviter de la tendre, en appui sur sa canne. Il fixait tout le monde sérieusement, froidement même, tentant de donner le change. Il voyait des regards contrits, penauds parfois, et aussi inquiets. Un ou deux regards admiratifs, peut-être. Il tenait toujours debout malgré sa blessure, et chaque minute de lucidité était mise à profit pour la sécurité du Labret. Estrée se tenait près de lui, au cas où.

«Bien… J’ai ordonné ce matin à Estrée de faire passer une missive à mon domaine, au nord d’ici. D’ici demain, des chariots emplis de bois viendront au camp. Chacun d’entre vous étant affilié à la construction d’un poste de surveillance prendra la direction d’un convoi, et le guidera jusqu’au poste. Vous le consoliderez. Les autres, dès que les principaux chargements seront partis, vous utiliserez le bois restant pour bâtir des fortifications. Rien de somptueux, ne gâchez aucune brindille. De simples barrières feront l’affaire. N’oubliez pas de tailler chaque rondin en pointe, et de les orienter vers l’extérieur. Vous avez tous vu à quel point leurs bonds - il refusait toujours d’utiliser le mot fangeux - sont véloces. Nous sommes en hauteur, nombre d’entre eux s’empaleront, ainsi. Une fois que ce camp sera fortifié, vous irez prendre commande aux autres. Nous économisons ce bois depuis longtemps, il devrait y en avoir assez. Rompez.»

Dès que les hommes se furent dispersés, il rentra dans la tente, abaissant l’auvent, et seulement à ce moment s’autorisa à faiblir. Il ploya sous son propre poids, que son corps n’arrivait plus à supporter, et resta un moment à terre, fixant le sol pour garder un point immobile dans son champ de vision alors que tout le reste avait l’air d’être emporté dans un tourbillon géant dont il était le centre. Il respira plusieurs fois, longuement, profondément, craignant d’autres vomissements. Il n’y avait plus rien à vomir dans son estomac depuis longtemps, et la bile qui sortait avait sérieusement irrité sa gorge. Il se traîna, petit à petit, jusqu’à sa civière, et demanda à Estrée, d’une voix à peine audible, de lui confier du parchemin et une plume. Il refusa qu’elle écrive à nouveau à sa place. Il tiendrait bien le temps d’une missive.

8 Mars 1165, dix-sept heures.

«Ambre,

Le soleil ne va pas tarder à sombrer. Navré de ne point pouvoir occuper notre couche, elle m’aurait apporté un grand réconfort, de même que la femme qui s’y trouve ordinairement. Mais nous avons ici un travail dont la charge ne cesse de croître à mesure que l’installation sur le plateau se poursuit.

Aujourd’hui, nous avons organisé des patrouilles qui surveilleront les abords du plateau. J’ai également fait mander à Marianne le bois que nous avons économisé ces dernières semaines, ces derniers mois, afin de fortifier notre camp, dont la défense est actuellement au plus bas. Il en ira de même pour les postes dont j’ai ordonné la construction. D’ici quelques jours, le Labret sera bien plus sûr, et tout le monde pourra commencer à se mettre au travail.

Je suis heureux de voir que tu manges à ta faim, malgré le zèle, excuse m’en, des domestiques. Ils ont du prendre mes paroles un peu trop au sérieux, et Sarah… A toujours fait montre d’une certaine détermination vis à vis des instructions que je lui donnais. Du moment que tu manges correctement et ne t’affame pas pour un rien, je suis satisfait.

Je pense également que Marianne sera ravie d’apprendre que sa vielle fonctionne toujours, et toujours bien. Elle m’a d’ailleurs demandé de te transmettre ses salutations et respect. Je pense qu’elle a de plus en plus hâte de te rencontrer.

En ce qui concerne Cassandre, les seuls documents dont elle a besoin sont rangés dans le premier tiroir de mon bureau. Ce sont des parchemins marqués d'un sceau de cire verte, qui contiennent les rapports décodés de mes espions sur les activités de certains commerces de la basse ville. Et il y a également un parchemin scellé de bleu... Celui-ci concerne les actions que j'avais compté entreprendre. Elle en aura également besoin, conjointement aux autres. Tu as bien fait de ne pas la laisser pénétrer dedans sans savoir. Qu'elle apprécie ou non n'est pas un problème dont tu dois t'inquiéter.

Quant aux hommes en renfort… Ils seront les bienvenus. Nous constatons avec amertume que malgré la victoire, de nombreux hommes continuent à succomber de leurs blessures, ou de maladies diverses. Je ne sais quels maux sont transmis par… Ces choses, mais il semble que cela terrasse aussi sûrement qu’une épée en travers du gosier. J’ose espérer que nos guérisseurs trouveront des remèdes, ou de nombreuses âmes ne reverront pas leur foyer. Ce sont les affres de la guerre, malheureusement, quand bien même celle ci n’eusse duré qu’une demi-journée.

Talen et moi nous rendrons au domaine demain, et lui reprendra la route quasiment aussitôt pour Marbrume. Je continuerai à gérer mes affaires de là bas, cela sera plus aisé pour moi.

En attendant nos retrouvailles, sache que je dédie chaque instant de paix ici à t’adresser mes pensées. Tu me manques aussi.

Reçois mes tendres baisers.

Morion.»

Incapable d’en écrire plus, il roula étroitement le parchemin et le scella. Il n’avait pas de parfum autre que celui du sang à lui transmettre en retour de son attention, mais Estrée obéit à sa demande, assez originale, et coupa du tranchant de sa dague une fine mèche de cheveux. Il n’avait plus la dextérité de le faire aussi sa soeur s’en occupa, mais elle noua à sa demande la mèche comme une fine corde autour du parchemin, et s’en fut pour l’envoyer. Il songea avec une ironie certaines aux dernières paroles de sa femme. Au moins avait-elle une couche, et non une civière sentant de plus en plus l’animal crevé et le sang séché. Il avait une hâte certaine de rentrer, mais savait qu’il était bien loin d’être au bout de ses peines. Et en l’occurrence, l’ignorance de sa femme était capitale. Ca au moins, qu’il s’agisse de Talen, d’Edric ou de ses soeurs, tout le monde était au courant.
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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyLun 25 Juil 2016 - 17:32
Ambre avait reçu, avec un sourire en coin, la nouvelle lettre de Morion, qui était arrivée dès le lendemain cette fois-ci. Nouée d’une mèche de cheveux, elle était bien la preuve que le comte n’avait point changé, même loin de la cité. Toujours dans cette manie de renvoyer toujours la pareille, car elle ne doutait pas que cela faisait écho au parfum qu’elle avait usé pour odorer sa missive. Elle avait fait l’erreur cependant d’attendre le lendemain matin avant de lui répondre. L’erreur, car au matin suivant, le temps était mauvais. Et encore, c’était un euphémisme.
Le vent s’était levé, puissant, mugissant entre les bâtiments de la ville. Il soulevait une marée houleuse, et les vagues, au lieu de lécher tranquillement les falaises, venaient s’éclater sur les massifs rocheux. Depuis l’Esplanade, l’on pouvait entendre l’agitation de la mer, et même l’observer depuis les remparts. Personne n’avait envie de se balader sur les remparts par un temps pareil cependant. Le ciel était sombre, noir, et même à presque midi, l’on se croyait au crépuscule. Au vent s’était ajoutée la pluie, qui venait battre bruyamment contre les fenêtres du manoir.
Ambre resta longtemps assise dans son atelier, observant par la fenêtre le cloître qui luttait contre les assauts du temps. Le petit bassin avait débordé, rendant une grande partie de l’herbe tout autour spongieuse, et sa surface d’habitude calme était perturbée par les milliers de gouttes de pluie qui venaient la rider. Elle tenait dans sa main droite la missive qui n’avait pu être envoyée. Herbert lui avait dit que le vent était beaucoup trop fort pour les pigeons – ils avaient d’ailleurs dû presque crier pour s’entendre au sein de la volière à cause des hurlements du vent, et l’on avait raccompagné la comtesse pour qu’elle ne reste pas dehors par ce temps. Elle était agacée, et froissait dans ses doigts la missive qui ne pourrait partir avant la fin de la tempête.
La comtesse pria pour Morion, qui devait essuyer cette météo maussade de façon bien pire qu’elle. Le Labret avait dû devenir humide, boueux, maussade. Les palissades en bois, si elles n’avaient pas été bien confectionnées, avaient des risques de pourrir au long terme si l’humidité s’éternisait. Et une faiblesse dans le bois était quasi porte ouverte pour des fangeux. Sans compter qu’évoluer sous le vent et la pluie n’était jamais facile pour des soldats. Alors, inquiète, la jeune femme adressa des vœux à la Trinité. Elle espérait que Morion et ses confrères n’auraient point trop de mal à gérer ça en plus de tout le reste. Ce genre d’imprévu était tout à fait le genre de détails qui pouvait retarder l’avancement des opérations, et, par extension, la date de son retour. Pour pouvoir échanger des nouvelles avec lui, mais aussi et surtout pour que tout se passe bien au Labret, Ambre pria que la tempête ne dure pas longtemps.

Ses prières ne furent pas écoutées. Si les nuages furent aléatoires, lâchant parfois des tonnes d’eau en seulement quelques heures, laissant parfois une journée entière sans pluie, le vent, lui, ne tomba pas. Cela dura presque cinq jours complets. Ambre se tournait et se retournait dans son lit, entendant le vent mugir à travers les murs, ne trouvant déjà pas le sommeil à cause du bruit, mais surtout parce que ses pensées étaient constamment tournées vers Morion tandis qu’elle l’imaginait sous la pluie en train de crier des ordres pour se faire entendre, crotté de la tête aux pieds. S’ils avaient tous cru que le premier jour de conquête serait le plus difficile, ils s’étaient assurément fourvoyés.
Quant à l’impossibilité de pouvoir envoyer un oiseau à cause du vent, ou la pluie qui aurait tôt fait de réduire la missive en bouillie, même entourée d’une protection, la comtesse s’en accommoda difficilement. Saleté de cité en bord de mer. L’absence de communication possible avec son époux la rendit donc assez maussade. Elle perdit un peu l’appétit, à nouveau, mais sous l’œil avisé des domestiques, elle se forçait à finir ses assiettes, même si cela prenait plus de temps, de fait. A de nombreuses reprises elle proposa à Anne et Sarah de partager son repas. Si les deux femmes en furent surprises – Anne un peu moins, ayant l’habitude de ce genre d’initiatives chez les Mirail –, elles acceptèrent avec joie, honorées. Ambre préférait ça à des repas interminables, esseulée. Pour pallier à cette solitude, qui la prenait souvent aux tripes depuis l’absence de Morion, Ambre invitait souvent sa famille. Céline, sa mère, Evan avec sa femme et sa fille, et sa sœur, bien sûr. Quand ils ne pouvaient point se déplacer, c’est Ambre qui allait au manoir, brassard armé sous la robe à chaque fois qu’elle mettait un pied dehors. Elle profitait de ces instants avec eux, épaulait sa mère qui n’était pas remise de la mort d’Aaron – mais personne n’était encore remis, même Ambre, qui avait juste la « chance » d’avoir l’esprit trop accaparé par le Labret.
La majorité du temps néanmoins, elle était au manoir. Car c’était là sa place, là qu’elle devait se trouver si l’on avait besoin d’elle. Les domestiques l’appelaient souvent pour régler des affaires internes au manoir, savoir ce que l’on devait faire de tel visiteur, de tel objet, de tel document… Ambre n’eut presque aucun mal à administrer la demeure, elle avait plus ou moins été élevée pour savoir tenir une maison après tout. La seule difficulté tenait encore du manque d’habitude avec certains domestiques, qui ne savaient point trop de quel pied danser avec elle. Mais ils surent bien vite qu’elle n’était pas méchante, tant qu’ils faisaient correctement leur travail. A l’inverse, même, elle pouvait se montrer particulièrement bienveillante, et remercier plus souvent les servants que son mari, rarement friand de compliments.

Des notes de musique se faisaient entendre régulièrement, lorsqu’on passait près de la porte de l’atelier de la comtesse. La jeune femme avait recommencé à jouer. Personne ne pouvait le voir, mais elle avait aussi commencé une nouvelle toile. Assez grande, de deux mètres de large. Pour l’instant les couleurs et les coups de pinceau étaient brouillons, mais un natif de Marbrume pourrait reconnaître aisément les prémices de la grande rue des Hytres. Elle n’était pas conviviale, cette fois, cependant. Grouillante, noire de monde, des visages inquiets tournés les uns vers les autres. La vision d’Ambre, alors qu’elle avait suivi Morion perchée sur son cheval ce jour du 3 mars, était encore parfaitement claire dans ses souvenirs. Elle couchait ce jour historique sur papier, et, en repensant à ce genre de détails, la jeune femme s’était rendue compte que Morion ne s’était que peu confié sur la procession dans ses missives. L’horreur de la guerre, les fangeux, si ses soldats avaient suivi correctement ses ordres le long du chemin… Ambre n’avait que peu réussi à se faire une représentation mentale du déroulement de l’exode. Elle se demandait si son époux n’avait pas souhaité se confier, ou s’il n’en voyait pas l’intérêt. La comtesse espérait pouvoir le faire parler un peu plus, à son retour. Elle voulait savoir ce qu’il avait vécu, et porter ce fardeau avec lui, à sa manière.
En plus de ses activités artistiques, le vent l’empêchant de dormir tôt, Ambre lisait jusqu’à se fatiguer, tard dans la nuit, adossée dans la couche conjugale. Elle avait commencé par le manuscrit érotique qui avait amusé Morion, mais finalement, la lecture la frustra beaucoup, surtout lorsqu’il était question de choses que le couple de jeunes mariés n’avaient encore point eu le temps d’expérimenter. Elle repoussa cette lecture à plus tard, quand Morion ne serait plus des dizaines de lieues à la ronde. Elle commença donc la lecture du recueil de contes, quelque chose de plus… seyant disons, pour agrémenter ses soirées.

Ainsi en cinq jours, entre la peinture, la musique, les instruments d’Estrée et Marianne à réparer, et la lecture, Ambre n’eut pas beaucoup le temps de s’ennuyer. Malgré tout, elle prenait aussi le temps de penser. Penser, sans rien faire d’autre, posée à côté d’une fenêtre de son atelier, regardant le vent et la pluie battre les fenêtres. Elle pensait à Morion, à la fange, à leurs projets. A leur avenir, leurs enfants. La solitude lui faisait ressasser beaucoup de pensées, et pas que des joyeuses, à mesure que les jours passaient et qu’elle était dans l’incapacité de le contacter. Une certaine mélancolie s’était emparée d’elle, mais elle s’efforçait de ne pas le montrer, même si personne n’était dupe.
Cet état d’esprit du moment fut particulièrement seyant pour le tableau qu’elle était en train de peindre cependant. Les couleurs sombres et tristes du départ de l’exode étaient majoritaires sur la toile, insistant sur ce jour de mort et de désespoir. Quelques ronds de couleur encore sans forme étaient parsemés à quelques endroits cependant, là où elle avait prévu d’ajouter des détails pour attirer le regard. Des mouchoirs offerts par les femmes des migrants, par exemple. Des pendentifs de la Trinité, des porte-bonheur. Des touches de couleur qui, plus qu’apporter de la joie à ce tableau, apporteraient de l’émotion. Ambre était cependant loin d’avoir terminé la toile, qui n’était qu’une simple ébauche. Elle y passerait sûrement des semaines avant de donner le dernier coup de pinceau.

Quand, au matin du cinquième jour, Ambre se réveilla, elle eut une pause perplexe dans la couche. Quelque chose manquait. Elle resta allongée quelques secondes, essayant de mettre le doigt dessus. Puis cela lui sauta à l’esprit. Le vent. Il avait disparu.
Se levant presque d’un bond, Ambre ouvrit grand les rideaux de la chambre. Le soleil illumina la pièce. Sortant sur le petit balcon, alors même qu’elle était encore en chemise de nuit, Ambre vint appuyer ses mains sur les rambardes pour respirer l’air frais. L’air était pur, calme, comme un renouveau bienvenu après les jours de tempête. Sans plus s’attarder, Ambre revint à l’intérieur de manoir de façon presque précipitée, et écrit une nouvelle lettre sans plus tarder, pour l’envoyer le plus vite possible.

13 mars 1165, neuf heures,


« A mon désiré mari,

J’ai cru que le déluge avait décidé d’engloutir cette damnée cité. Des jours que je ne puis t’envoyer de lettre, et qu’Herbert m’assure que faire voler des pigeons serait le meilleur moyen de les perdre, et que nous n’avons pas une infinité d’oiseaux dressés à rejoindre le Labret. Cela a été particulièrement frustrant, et démoralisateur, de ne rien pouvoir recevoir ni envoyer. J’ignore ce que les dieux voulaient vous faire traverser, mais j’espère que tout va bien à l’ouest. Dieux que je l’espère, ne tarde point à me répondre si tu le peux. Je commence à m’inquiéter d’être restée presque une semaine sans nouvelles, et je connais le zèle de ces créatures lorsque le mauvais temps leur permet d’évoluer comme en pleine nuit. Dis-moi que tout va bien, je t’en prie.


A cet endroit de la lettre, l’on pouvait voir que l’écriture était tendue, et que la main de la comtesse avait tremblé. Elle craignait en effet réellement pour la vie du comte.

Le vent et la pluie ont fait quelques dégâts ici, mais rien de bien grave. Les chevaux ont pris l’eau ; beaucoup de fuites se sont manifestées dans le toit de l’écurie. Maintenant que le soleil est revenu, les domestiques pourront réparer le désastre. Un seau perdu s’est envolé également, pour venir se fracasser sur l’une de nos fenêtres. J’ai rapidement fait venir un artisan pour réparer ça. Outre les litres d’eau qui commençaient à s’infiltrer dans le manoir, je ne voulais point qu’une personne malintentionnée en profite pour pénétrer chez nous désormais qu’une fenêtre était à moitié brisée. Les domestiques ont été très réactifs, comme toujours. Ils semblent être rôdés malgré l’absence de Talen, et je suis heureuse de devoir administrer de pareilles gens.

Les patrouilles que tu avais organisées le 8 ont-elles porté leurs fruits ? Avez-vous subi d’autres attaques ? Les paysans parviennent-ils à nettoyer les champs, à parquer le bétail ? Les anciens stocks oubliés dans les fermes avec l’invasion sont-ils conséquents pour la cité ? Avons-nous espoir que le peuple ne se meure bientôt plus de famine ici ?
Depuis que l’opération est terminée, il m’est compliqué d’obtenir des informations précises autrement que par ton biais. Le Duc est fort occupé bien évidemment, avec tous les rapports qu’il reçoit. Mais ces derniers jours il est certainement resté dans le flou complet, comme moi. Peut-être des messagers terrestres ont-ils été assez zélés pour braver le vent et faire parvenir des messages, mais je suis donc toujours dans l’ignorance sur comment vous allez tous, là-bas, après cette tempête. Les troupes envoyées par Sigfroi ont-elles été utiles ?

Ici, tout est toujours calme en ville. Le temps a fait retrancher tout le monde chez soi pendant un petit moment. La milice ne semble pas souffrir de problèmes. Les gens attendent une annonce plus précise concernant le sort du Labret, et espèrent qu’ils auront bientôt le ventre plein.
Les dernières familles qui attendaient encore des nouvelles de leurs proches sont désormais certaines de la survie de leurs hommes, ou de leur mort. Il y a eu beaucoup de cérémonies funéraires, même sans les corps. J’ai entendu dire que ces derniers, restés en arrière sur la route du Labret, ont été brûlés par les troupes supplémentaires du Duc en partance. Et que certains cadavres semblaient avoir disparu, laissant des traces traînantes qui rejoignaient les marais. Je me demande sincèrement comment tu fais pour continuer à voyager en-dehors des remparts. Toutes ces histoires me glacent continuellement le sang.

J’espère que tu ne traites point beaucoup avec les malades et blessés dont tu parles. Non pas que je sois devenue superstitieuse mais… les derniers mois ont bouleversé beaucoup de choses. Nous ignorons encore tout ce dont les fangeux sont capables, les dieux ne nous laissent point d’indices là-dessus. Fais attention à toi. Je n’aimerais pas que tu attrapes un mal inconnu ou un sort pire encore que l’existence de ces choses.

Je gage que Talen a été retardé dans son retour à cause de la tempête. Ça n’est pas grave ; je l’aurais dûment sermonné s’il avait traversé ça. La solitude me pèse mais… je n’en deviens pas inconsciente pour autant.

Je songe à commencer mon journal de Ventfroid les jours prochains. As-tu des conseils ? Je n’ai jamais entrepris d’écrire une telle biographie, et les petits journaux intimes que j’ai pu tenir dans mon adolescence sont assez risibles en comparaison.
Je peins beaucoup aussi. Et je n’oublie pas tous les projets et les contacts que nous avons prévu d’asseoir, dans cette discussion que nous avions terminée dans la bulle. Le temps n’a pas aidé pour sortir se faire des accointances malheureusement. Mais j’y pense, et j’userai de n’importe quelle occasion, ne t’en fais pas pour cela. J’ai l’impression d’avoir pris un peu de toi récemment : j’ai du mal à trouver du temps pour me poser, avec tout ce que j’ai à faire, malgré l’avantage qu’apporte la solitude sur ce point.

J’attends nos retrouvailles avec impatience. Quand penses-tu rentrer, désormais ?

Avec toute ma tendresse,

Ambre de Ventfroid.

PS : Merci pour l’emplacement des documents destinés à Cassandre, je saurai plus vite trouver la prochaine fois. »

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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyMar 26 Juil 2016 - 14:09
Le son violent et profond de tonnerre résonnait depuis plusieurs heures déjà. Les tentes étaient pour beaucoup emportées par un vent violent, qui allait les plaquer soit contre les palissades, soit les emmenait au loin, à des centaines de pas de là, où ils ne pourraient pas les récupérer. Tant pis, tous avaient largement autre chose en tête. Les chevaux laissés attachés aux rondins de bois glapissaient, terrifiés par l’orage. Les hommes n’étaient pas rassurés non plus. Ils couraient, éclaboussant chaque centimètre de boue collante, s’enfonçant parfois jusqu’aux chevilles dans la terre, qui si elle avait été aride, était maintenant transformée en une infernale et infinie mare de boue poisseuse. C’était un chaos organisé, mais tout de même le chaos. De nombreux messagers couraient d’une tente à l’autre, apostrophaient des hommes en hurlant, faute de pouvoir parler normalement. D’autres se lançaient au galop d’un bout à l’autre du camp pour aller consolider les barrières. Edric de Castelmont et Talen participaient activement à cette tâche, mettant eux mêmes la main à la pâte pour que le travail soit bien effectué. On avait reporté quelques minutes plus tôt que suite à des chutes d’eau torrentielles, un glissement de terrain avait emporté trois postes avancés, tuant sur le coup ceux qui y étaient. Ils avaient tous accusé la nouvelle, mais n’avaient pas perdu de vue leurs objectifs. Il fallait persister. Sécuriser, surveiller, patrouiller, construire, défendre, bâtir, renforcer. C’était impératif, d’autant plus par ce temps qui multipliait par cent leur vulnérabilité à une quelconque attaque. Morion n’était pas en reste.

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Quelques heures plus tôt.

«Estrée, amène moi l’eau de vie.

- Le… Pardon ? Comptes tu te saouler pour endormir la douleur ? Vas-tu sortir par ce temps ?

- Ne fais pas l’imbécile et apporte la moi. Oui, je me dois d’être sur place. Tu auras beaucoup de travail, mais si nous ne voulons pas que le camp soit détruit par l’orage, il va falloir qu’on y participe tous, ma blessure n’est pas une excuse. Il récupéra la petite bouteille, pleine d’un liquide vaporeux à l’odeur âcre, qui fit frémir ses narines tant l’odeur était entêtante. Seigneurs… Qui boit ça ?

- Les condamnés à mort, Morion.

- Bah. Il en but une pleine gorgée qui lui réchauffa brutalement la gorge et le gosier, et toussa légèrement. C’était particulièrement indigeste. Il observa la bouteille un moment, et versa le contenu restant sur le bandage qui s’imbiba aussitôt. Une brûlure fulgurante ne tarda pas à percer sa jambe, il s’en mordit même le point pour contenir le hurlement qui débordait d’envie de jaillir. Néanmoins, elle fut sérieusement engourdie, et il attacha une autre bande par dessus. Il ne savait pas si c’était réellement efficace, mais au moins aurait l’avantage d’une plaie isolée. Et sacrément désinfectée. Par les couilles de Serus.»

Il récupéra sa canne, et en testa la solidité, de même que celle de ses bras. Ce n’était pas mirbollant, mais au moins pourrait-il sortir de la tente et distribuer ses directives avec un souci, temporairement au moins, en moins. Estrée le vêtit de sa cape, lourde et renforcée de cuir, qui le protégerait au moins des maux qu’il pourrait attraper en extérieur. Sous le regard relativement inquiet de sa soeur, qui ne pouvait cependant nier que son frère était tout aussi nécessaire qu’elle, Edric ou Talen en dehors, au beau milieu du cataclysme, il quitta sa tente, claudicant gauchement vers la mêlée chaotique.

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Période actuelle - Quatorze heures.


Morion était à quelques mètres de sa tente à l’ouest du camp. Il hurlait des ordres en quasi permanence, gouvernant tant bien que mal le chaos général qui avait pris le camp à la tombée de l’orage. Les éclairs avaient commencé à tomber et le tonnerre à gronder aux aurores, mais le temps était rapidement devenu proprement catastrophique. Les cheveux et la chemise trempées, bien qu’emmitouflé dans sa cape, Morion observait, avec le peu de libertés que lui laissait l’épais rideau de pluie et sa vision affaiblie, les hommes s’activer. Le camp était en sous effectif. Dès que Morion avait vu les nuages et entendu le tonnerre, puis le bruit puissant de la pluie s’abattant sur les toiles, les armures, le sol, il avait envoyé un maximum d’éclaireurs. L’orage n’était pas ce qui les inquiétait le plus, même si d’un point de vue logistique, un temps pareil était une vraie catastrophe. Non il y avait décidément bien pire; le soleil n’éclairait plus, il ne repousserait plus les fangeux sous leurs arbres ombrageux, et ils se sentiraient en force pour attaquer. Il ne savait combien de temps cela durerait, mais si ça se prolongeait et bien… que les Trois les gardent. Fermement en appui sur sa canne, sa jambe blessée reposant du bout du pied sur le sol trempé, il tentait ainsi d’organiser une défense éventuelle, ainsi que le maintient de la sûreté de leur campement. On entendant au loin les coups de maillet brutaux assénés sur les rondins de bois. Encore un souci de préoccupation. Le bois n’avait pas été prévu pour le mauvais temps, ils allaient devoir rapidement remplacé l’intégralité de leurs protections au profit de bois sec une fois l’orage passé, ou il pourrirait et les laisserait nus face à une éventuelle offensive.

Il observait, se rendant compte soudain que quelque chose manquait. L’orage était certes un point qui faisait la différence par rapport aux derniers jours mais… Les torches. Plus une seule torche ne fonctionnait, avec ce temps. Non seulement il faisait sombre, mais ils n’avaient plus aucun éclairage. Morion fronça les sourcils, et cracha un filet d’eau qui s’était infiltré par ses lèvres entrouvertes.

«Bougez-vous, et plus vite que ça !! Enfoncez le bois au maximum, je veux que les fangeux s’empalent dessus comme la viande sur une broche ! Si un seul d’entre eux passe, je vous le fais bouffer !! Morion se tourna, le regard sauvage, rendu visiblement aussi énergique qu’enragé par le ciel qui leur tombait sur la tête. Eric ! Sortez vos pattes de cette flaque de boue, il pleut assez comme ça, ne prenez pas de bain par dessus le marché ! Fichez moi les chevaux dans les tentes, peu importe s’il y a des blessés ! Ils vont finir par se noyer ! ET PLUS VITE QUE ÇA !»

L’homme partit au pas de course effectuer sa mission dès qu’il réussit à s’extraire du sol spongieux. Morion cracha une nouvelle fois l’eau qui lui coulait en travers du visage, et accueillit d’un oeil maussade sa soeur qui venait vers lui au pas de course. Elle portait une tunique de cuir, par dessus des chausses amples, et le tout était allègrement trempé. Elle avait beaucoup de sa superbe et ressemblait, ironiquement, d’autant plus à son frère dans ces circonstances.

«Morion, la palissade ouest s’est effondrée, le sol n’est pas assez dur, les rondins ploient et tombent comme s’ils étaient plantés dans de l’eau. Nous les avons placés sous des toiles pour l’instant, mais il va falloir compenser cette faiblesse ou…

- Ils n’attaqueront pas par l’ouest. C’est le côté mer. Fais transporter le bois jusqu’ici, et au sud du campement. Il faut doubler l’épaisseur de la barrière, et Edric et Talen sont déjà occupés à enfoncer le bois vers des terres moins spongieuses. Dépêche toi, voilà plusieurs heures que les postes se sont effondrés, nous risquons, même avec les patrouilles que j’ai envoyé, de ne pas entendre les cors d’alerte. Fais vite.»

Sa soeur s’exécuta aussitôt. Elle l’observa quelques secondes de biais. Il était maigre, malade, ses doigts étaient blanchis, leurs extrémités bleuies même par le froid, serrés comme si sa vie en dépendait autour du pommeau de sa canne. Ses joues cireuses étaient légèrement rosées par la fièvre, et sa barbe, pas entretenue depuis des jours à cause de l’opération, commençait à prendre un certain volume. Il avait l’air d’un roseau au beau milieu de la tempête, et elle soupçonnait que seule l’urgence et le désastre qu’ils encouraient, mêlés à une fougue de tous les diables, le faisaient tenir debout. Malheureusement ils ne pouvaient se passer de lui, le chaos était omniprésent.

La situation ne commença à se tasser qu’en fin d’après midi. Au camp seulement. Car si les hommes avaient enfin réussi à mettre un peu d’ordre et renforcer les protections comme Morion le leur avait demandé, eh bien la fin d’après midi était le signal que tous redoutaient : les fangeux pouvaient attaquer n’importe quand. Deux postes, durant la journée, avaient essuyé des attaques. Fort heureusement, une escouade de patrouilleurs sur deux avaient pu s’échapper. Les autres… Les nouvelles manquaient. Les rescapés avaient entendu le cor d’alerte, mais avaient eux mêmes été surpris par une offensive, les empêchant ainsi de porter secours à qui que ce soit d’autre qu’eux-mêmes.

Le soir tombé, tout le monde était aux aguets, terriblement tendus. On ne voyait qu’à quelques mètres à l’extérieur de la base de rassemblement. Les torches ne s’allumaient pas, et quand ils y arrivaient, le vent et la pluie les balayaient aussitôt. Des tours de garde avaient été organisés. Mais de toute façon, personne n’était serein, ni n’arrivait à fermer l’oeil. Le tonnerre grondant, le bruit incessant de la pluie, les hennissements des chevaux terrifiés, et l’attente atroce d’une attaque éventuelle empêchait même le plus épuisé de dormir. Morion était retourné dans sa tente sur le coup de dix-sept heures, et fut rejoint deux heures plus tard par Talen, Estrée et Edric. Le guérisseur vint bientôt. Le comte était épuisé, et la sortie à l’extérieur avait accentué sa faiblesse et sa fièvre. Il ne pouvait s’empêcher de gigoter, victime d’une hyperactivité nerveuse qu’il n’arrivait pas à calmer. Et actuellement, elle servait ses intérêts.

«Monseigneur, vous avez trempé votre plaie, je ne pourrai la refermer ce soir, dit le guérisseur, dépité par l’attitude irresponsable de Morion. Sa plaie avait blanchi sur les bords, s’était même épaissie avec toute l’eau que les bandages avaient absorbé, et était devenue elle aussi étrangement molle et spongieuse. Le comte ressentait moins la douleur, probablement à cause des autres symptômes qu’il développait et qui l’occupaient bien assez comme ça, mais il était en l’état impossible de suturer. Les peaux blanchâtres se déchireraient au moindre mouvement. Il passa de l’onguent gras, banda à nouveau la cuisse de Morion, et haussa légèrement les épaules. Je ne suis pas en mesure de faire plus que cela, je suis désolé.»

Durant le reste de la soirée, bien qu’incapable de trouver le sommeil, Morion resta allongé, dans un état second, écoutant distraitement les rapports de sa soeur et de ses serviteurs. Il en oublierait probablement la moitié, mais il s’en fichait un peu. A part les dégâts matériels, considérables, les hommes avaient pour le plupart survécu, hormis la dizaine de patrouilleurs morts durant l’assaut de fangeux et pendant le glissement de terrain. Cela aurait pu être pire. Et les choses restèrent ainsi durant deux jours complets. Quand il n’était pas dehors à brailler des ordres et à jurer contre l’incompétence de ses hommes, il était en train de se reposer. Pas forcément dormir, mais il laissait à contrecoeur la charge des directions à Estrée. Il n’était guère utile s’il n’était pas capable de réfléchir, et hurler pendant des heures avait sensiblement augmenté ses irritations au niveau de la gorge. Le quatrième jour, ce fut la véritable catastrophe. Ils avaient essuyé ces trois derniers jours des assauts isolés, aux avant-postes. Rien de grave, la fuite étant la meilleure solution, les hommes s’en étaient assez remis. Jusqu’à ce que les fangeux passent à autre chose, et décident d’attaquer le camp.

12 Mars - Dix-huit heures.


«ARCHERS ! TIREZ !»

La voix de Morion tonna brutalement, suivie par celle d’Edric plus loin, lui faisant écho. Le comte était derrière les lignes d’archers, ou plutôt la ligne. En fin d’après midi, alors qu’il dormait, un grand bruit de cavalcade humide l’avait tiré de sa torpeur. Mais ça n’était pas le pire. Outre les chevaux, le son frénétique et morbide des cors résonnait sans discontinuer, déformé par la météo lamentable, parfois couverts par le bruit d’un tonnerre rugissant. Il n’avait vêtu que son armure de cuir, les plates étant inutilisables, et avait pris place à l’est du campement, d’où arriverait l’attaque. Tous étaient mis à contribution, même les ouvriers et paysans qui disposaient soit de leurs outils de travail, soit d’armes un peu aléatoire, prises dans les rares stocks non utilisés. Une demi douzaine de fangeux fonçait à vive allure vers eux. On ne les voyait même pas. On les devinait seulement, au travers de leurs cris lugubres. Parfois, une forme semblait se détacher plus loin, bondissant. Et quand un éclair dispensait sa lumière blafarde au dessus de leurs têtes, ils constataient tous avec effroi la troupe de relevés, affamés, trempés également et couverts de boue, animés par la rage et la faim.

Les flèches jaillirent et sifflèrent sans un bruit dans l’air. Les cordes vibraient, lâchant des gouttes explosives un peu partout. Ils tiraient à l’aveuglette. Les quelques lanciers s’avancèrent non loin des palissades, penchées vers l’avant, maigre protection à peine rassurante face à l’assaut. Morion plissait les yeux pour mieux y voir, mais ne constata la présence des morts que lorsque le premier lancier fut projeté en l’air, et empalé aussitôt sur un des rondins taillés.

«Défendez ce camp au péril de votre vie ! Mourrez s’il le faut, mais qu’aucun fangeux ne passe les lignes de défense ! Je vous exécute moi-même si j’en vois filtrer un seul d’entre eux !»


Les menaces étaient inutiles, bien que motivantes. Si un seul fangeux passait, il pourrait s’attaquer aux blessés et malades, qui se relèveraient alors bien plus en forme. Occupés qu’ils étaient à défendre, ils n’auraient ni le temps ni les moyens de décapiter les victimes.

Un fangeux avait bondi, et s’était empalé, comme Morion l’avait si souvent souhaité, sur une des protections. Avec un regard sauvage et furieux, Morion prenait un plaisir malsain, un peu fou même, à voir la créature s’agiter, hurlant et pestant, griffant le bois, l’estomac percé de part en part, avant de rendre les armes, et de s’immobiliser, définitivement vaincu. Le comte de Ventfroid dictait des roulements d’assaut précis et calculés. Il restait cinq fangeux, ils devaient s’économiser un maximum. Mais il fut interrompu par l’un d’entre eux, justement. Un bond magistral qui le propulsa derrière lanciers et archers. Morion recula de quelques pas, dans l’incapacité de se battre, et ordonna immédiatement sa mise à mort. Tous les bretteurs, porteurs de masse ou de toute autre arme de corps à corps se jetèrent sur lui. Il en balaya un. Puis deux. Puis trois. Il se jeta sur Morion, qu’il envoya bouler dans la boue, roulant comme une barrique, dans l’impossibilité de contrôler ses mouvements. Un voile rouge passa sur ses yeux, et il perdit aussitôt connaissance.

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13 Mars. Vingt Heures.


«Ma tendre épouse.

Je suis navré de ne point avoir pu répondre avant, quand bien même ai-je eu ta réponse en fin de matinée. Nous avons été forts affairés avec l’orage. De nouvelles vagues d’attaques nous sont tombés dessus, et nous avons eu du mal à repousser les dernières. Ne t’en fais pas, néanmoins. Nous sommes presque tous sains et sauf. Un glissement de terrain a détruit une partie de nos ouvrages de surveillance, mais ils seront reconstruit. Quant au camp, il a subi de lourds dommages, et de nombreux hommes ont perdu la vie en le défendant, mais il est intact. Je vais bientôt le dissoudre pour envoyer les hommes à divers postes de surveillance, ou commencer à traiter la terre pour de futures plantations. La pluie a rendu le seul extrêmement meuble, il faut en profiter.

Je vais avoir besoin de repos, je pense. Mais je serai assidu aux réponses, ma tendre, je le promets. Je t’écris du domaine, là. Je n’ai point le coeur à décrire maintenant, alors que c’est récent, l’horreur que nous avons vécu ces derniers jours, mais je le ferai un jour, à mon retour par exemple. Nous verrons. Estrée est restée au camp pour prendre le contrôle des survivants. Talen se repose également ici, et prendra la route demain. Il arrivera en début d’après-midi. Il est avec Edric, pour le moment, ils organisent les hommes restants ici pour aller prêter main forte à ceux qui sont sur le Labret. Les pertes ont été subies partout, de mémoire.

Je suis heureux de savoir que ce n’est point la même chose en ville. Peu importe les dégâts que notre demeure a subi, du moment que tu vas bien.

… Tu penses commencer un journal ? Voilà qui est intéressant, et m’emplit de fierté. Si ma mère s’est adonnée à cette pratique, les femmes portant notre nom l’ayant fait sont rares. C’est la tâche de l’héritier, non de leurs épouses. Néanmois, je te suggère de commencer par conter et lister les épisodes marquants, amusants, touchants de ton enfance. De décrire tes rituels. Tu demanderas à Talen, quand il rentrera, quelques ouvrages vierges sont stockés dans l’annexe, il t’en donnera un, si tu le souhaites.

Quant à mon retour… Il se rapproche. Je me repose et je finis le travail que j’ai à faire ici, et je ne tarderai pas à être de retour. Cet instant futur m’apparaît comme une libération, et je compte les secondes. J’ai hâte de voir tout ce que tu as pu peindre, écrire ou jouer pendant mon absence. Ta présence me manque.

Je vais me reposer, maintenant. Je serai probablement plus bavard demain, l’épuisement me guette et j’ai bien peur de m’endormir sur ma plume si je ne la pose pas dans la minute.

Mes pensées sont tiennes,

Morion de Ventfroid.»


Dernière édition par Morion de Ventfroid le Jeu 28 Juil 2016 - 17:51, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyMar 26 Juil 2016 - 18:16
- Talen !

Ambre était sortie, ayant entendu les sabots du cheval depuis le salon et les fenêtres ouvertes. Comme pour compenser les jours de tempête, le temps était doux en ce jour du quatorze mars, et le soleil réchauffait agréablement si l’on se plaçait bien. On en avait profité pour aérer le manoir, et les bruits extérieurs étaient ainsi facilement notables.
L’homme était cerné et fatigué, de toute évidence. Les marques de la guerre se voyaient sur son visage.

- Comtesse.

Le palefrenier était arrivé, délestant Talen de son cheval. Le domestique posa les yeux sur la jeune rousse après une brève révérence, observant sa mine et son tour de taille.

- Vous me paraissez en bonne forme. Je suis navré de mon retard, j’espère que le temps ne vous a point paru trop long.

- Terriblement long, répliqua la comtesse, sourcil haussé. Elle avait noté son regard sur ses formes pour s’assurer qu’elle n’avait pas dépéri. Mais ce n’est pas de ma santé à moi dont il faut s’enquérir. Comment allez-vous ? Le voyage ne fut pas trop dur ?

- Non. Seul, au galop, ce fut une promenade de santé, en vérité, après… le reste.

Ambre fronça légèrement les sourcils, serrant ses mains contre son ventre.

- Et Morion ? Comment va-t-il ?

- Bien, ma Dame, répondit-il, après une légère hésitation cela dit.

La comtesse garda le regard plongé dans celui de son domestique, laissant passer une pause de quelques secondes.

- Est-ce là tout ?

- Le comte a pris quelques coups, sa fatigue est grande, et outre l’épuisement physique, gérer un plateau qui jusque-là était quasi à l’abandon est compliqué… Ne vous en faites point cela dit. Il reviendra entier, comtesse, en cela je vous le jure. Je ne l’aurais point quitté sinon.

Ambre resta silencieuse à nouveau, légèrement contrariée. Diantre ce que les hommes pouvaient être agaçants. Deux semaines d’absence et tout ce qu’on lui annonçait était « tout va bien ». N’aurait-elle droit à aucun détail pertinent ? Elle soupira.

- Venez, vous devez avoir faim. Nous parlerons mieux à l’intérieur. Je suis heureuse que vous soyez là, Talen.

--

Malgré tout, si le retour de Talen était source de joie et soulagement, l’humeur d’Ambre remonta difficilement. Elle ne sut pas si c’était parce qu’elle avait l’impression qu’on lui cachait quelque chose à propos de Morion, et que cela continuait à l’inquiéter, ou si la réception de la lettre qui n’apportait encore aucune date précise de retour l’avait contrariée et abattue, ou s’il y avait encore autre chose, mais les jours suivants, elle se montra très fatiguée. Une fatigue inhabituelle, alors qu’elle ne faisait rien qui sortait de l’ordinaire, pas d’activité supplémentaire. Elle tombait parfois assoupie n’importe tout, et le simple fait de tenir son pinceau longtemps au-dessus de sa toile l’exténuait, alors qu’elle n’avait aucun mal à y rester des heures avant.
Talen s’inquiétait de la santé de sa maîtresse, et surveillait ça du coin de l’œil. Parfois, quand il la surprenait assoupie dans un fauteuil, il venait vérifier discrètement d’une main glissée sur le front si elle présentait de la fièvre, mais cela ne semblait pas être le cas. Il guettait, cependant, le moment où il faudrait faire quérir un guérisseur. Si cela s’avérait nécessaire, il ne tarderait pas.

Ambre se sentait patraque, en plus de la fatigue. Son ventre, s’il n’était pas douloureux, lui apportait néanmoins quelques désagréments, une sorte de gêne, comme si elle couvait un mal discret. Les domestiques vérifièrent les denrées dans les cuisines, reniflèrent la viande ou la soupe, pour chercher des aliments qui pouvaient avoir causé une sorte d’intoxication. Quelques soupçons se portèrent sur un poisson servi dans la soupe, et on le jeta aux animaux. L’on fit le tour du manoir savoir si d’autres possédaient les mêmes symptômes, et il y eut en effet quelques domestiques un peu malades depuis quelques jours également. Alors, l’on ne se posa pas plus de questions, et on administra à tous quelques boissons médicinales. Ambre reçut des doses généreuses d’une mixture verdâtre qu’elle apprécia fort peu, mais cela sembla aider son ventre barbouillé, alors elle continua à en prendre dès qu’on le lui apportait. Le repos au lit en revanche, elle le refusa. Elle était prête à se reposer, mais préférait s’assoupir dans le salon en compagnie de Talen que rester seule dans la chambre conjugale qui était toujours aussi désespérément vide. De même, pour rédiger ses lettres quotidiennes à son époux, elle souhaitait rester en forme. Les domestiques l’avaient une fois laissée dormir quelques heures sans la réveiller alors qu’une nouvelle missive de Morion était là – ils se prirent ce jour-là de sacrés reproches, et ne recommencèrent plus.

Un soir, alors qu’Anne et Talen étaient occupés ailleurs, ce fut Sarah qui vint servir le repas à Ambre. Alors que la comtesse brisait un quignon de pain, la femme de chambre lui glissa presque sous le visage son remède verdâtre, exhortant la comtesse à prendre son traitement. Ambre fronça le nez, tournant la tête par réflexe, retenant un haut-le-cœur.

- Grands dieux Sarah, ménagez-moi un peu. L’odeur de cette chose est insupportable, à en réveiller les morts. Combien de temps devrai-je encore en boire ?

- Insupportable… ?

La femme parut étonnée, humant doucement le verre elle-même.

- Je l’ai préparé moi-même, ma Dame, et il n’y a là que des herbes agréablement odorantes…

Ambre eut une exclamation, à moitié entre l’exaspération et le rire nerveux. Se forçant à boire la mixture d’une traite, elle reposa le gobelet avec une grimace sur la table, pour se concentrer sur son assiette qui était déjà bien plus attirante. Elle avait coupé plusieurs morceaux de poisson quand elle releva la tête, haussant un sourcil à l’adresse de Sarah qui se tenait toujours là, immobile, sans rien faire. La domestique avait une drôle d’expression sur le visage.

- A quand date la dernière fois que vous avez été malade, comtesse ?

- Eh bien… Ambre posa ses couverts et fronça les sourcils, songeuse. Elle se massa le front tandis qu’elle réfléchissait, l’odeur ignoble du remède lui tournant encore la tête. En-dehors des mélancolies que j’ai connues à cause de divers deuils… je crois que j’ai attrapé froid, deux ou trois hivers plus tôt, et j’avais été contrainte à rester alitée une semaine entière. La tempête et la mauvaise météo ces derniers temps n’ont pas dû aider, je gage.

En train de se masser le front et la tempe, la comtesse ne put pas le voir, mais Sarah arbora une mine joyeuse, presque fébrile, alors qu’une idée lui trottait visiblement derrière la tête.

- Je n’ai pas souvenir d’avoir dû nettoyer vos draps ou vos vêtements pour… Sarah eut une légère pause. Vos saignements, à quand remontent-ils ?

Ambre s’immobilisa, main contre la tempe. Elle entrouvrit légèrement les lèvres, prête à répondre, mais eut un blocage. Son souffle s’interrompit un instant, alors qu’elle réfléchissait, comptait. Son cœur rata un battement, une grande chaleur la prit soudain, alors que l’idée suggérée par Sarah la frappait de plein fouet. Depuis le départ de Morion, elle ne s’était pas préoccupée de ça. Elle avait été bien trop accaparée par d’autres pensées, et n’avait jamais surveillé l’arrivée de ses règles.

- Au début du mois de février… Une semaine avant les noces, peut-être un peu plus, souffla Ambre, songeuse, encore sidérée par la supposition qui se faisait une place dans son esprit.

Elle avait du retard, en effet. D’au moins deux semaines, maintenant qu’elle avait pris le temps de compter. Sarah en était arrivée à la même conclusion, et la lueur dans son regard était euphorique, comme si elle venait d’apprendre qu’elle allait être grand-mère. Ambre, elle, avait les yeux légèrement écarquillés, un peu sous le choc.

- Je ne suis point guérisseuse de métier, ma Dame, mais j’ai l’avantage de l’expérience et de l’âge. Vous êtes fatiguée, sensible aux odeurs, mais surtout vous tardez à saigner… Que suis-je sotte, au lieu de vous servir ces remèdes, j’aurais dû y penser bien plus t…

- S’il vous plait, taisez-vous. La voix d’Ambre claqua, sèche, bien plus qu’elle ne l’aurait voulu. Après avoir laissé son cœur faillir à la supposition de la domestique, la comtesse s’était redressée et refermée. Elle interrompit l’élan de joie de Sarah, et calma brutalement ses espoirs. Je n’ai pas saigné pendant des semaines à la suite du deuil d’Armand. J’ai récemment perdu mon père, et ai emmagasiné une angoisse qui a atteint des niveaux peu communs ces derniers temps. Sans oublier que des retards spontanés, sans aucune raison particulière, j’en ai aussi eus durant ma vie, Sarah, alors que j’étais vierge. Plusieurs domestiques ont été malades à cause du poisson, l’on peut toujours raisonnablement penser que tout est lié à cela.

- Mais… La domestique fronça les sourcils, touchée par le ton acerbe de sa supérieure, sans en comprendre les raisons. Elle resta muette, telle que l’avait ordonné la comtesse. Au bout de longues secondes, elle jugea cependant nécessaire de poursuivre. Pourquoi cherchez-vous toutes les raisons possibles qui feraient que vous ne soyez pas portante… ? Ne désirez-vous point donner naissance ?

Ambre passa deux doigts sur sa tempe, encore, fermant les yeux un instant. Elle abandonna son air agacé, reprenant une certaine contenance face à la domestique qui n’avait pas pensé à mal.

- Pardonnez-moi, Sarah. Je suis fatiguée. Elle inspira un bon coup. C’est tout à fait l’inverse. Je désire ardemment un enfant. Morion et moi avons beaucoup d’attentes sur cet aspect de notre union. Je crois juste… Je crois que je supporterais mal de me faire de faux espoirs. Je préfère attendre que le retard dans mes saignements soit plus long encore, que d’autres changements s’effectuent sur mon corps, avant d’y croire vraiment. Ne partagez pas vos soupçons sur ma grossesse à Morion quand il rentrera, s’il vous plait. Là, le ton d’Ambre était redevenu un peu plus ferme. C’était une faveur qu’elle demandait, mais aussi un ordre. Je veux qu’il l’entende de ma bouche, le jour venu. Restez discrète. Pas un mot à Talen non plus.

A peine ces paroles sortirent de sa bouche que le concerné pénétra dans la salle à manger. Cape encore sur le dos ; il venait de rentrer d’une sortie vers les écuries pour vérifier que les réparations étaient correctes, et que les chevaux ne prendraient plus l’eau à la prochaine tempête. Les deux femmes relevèrent d’une traite le regard vers Talen, et il fut difficile pour Sarah de ne rien laisser paraître. Le domestique saisit qu’il avait interrompu quelque chose, nota le regard entre les deux femmes. Sarah s’inclina doucement vers Ambre, reprenant contenance, lui souhaitant un bon repas, et fila. Talen la suivit du regard, légèrement curieux, avant de revenir poser les yeux sur la jeune rousse. Cette dernière sourit brièvement, reprit ses couverts et lui demanda l’état des réparations. Talen répondit après avoir laissé couler un silence. Les femmes avaient parfois des desseins qu’il valait mieux ne pas connaître.

--

Ambre tordait entre ses doigts la dernière missive de son mari, préoccupée. Elle était évasive, teintée de fatigue, et laissait entrevoir, elle pensait l’avoir perçu, un certain abattement moral. Morion n’était pas très bien. Il lui avait écrit avoir besoin de repos. Ça, elle n’en doutait point. Mais l’homme était quelqu’un de particulièrement peu raisonnable. Du repos, il n’en prenait jamais, même quand son corps le rappelait à l’ordre. La preuve en était qu’il avait passé une nuit blanche avec elle la veille du départ pour le Labret. Bref, si Morion disait avoir besoin de repos… C’est qu’il devait réellement être mal en point, exténué ou démoralisé, elle ne savait point trop. A moins qu’il n’y ait autre chose qu’on lui cachait. Comment savoir néanmoins ? Talen était resté aussi évasif que son époux. Ambre était dans le flou, et ne pouvait que s’inquiéter dans le vide, incapable de faire quoi que ce soit. Une si longue absence n’avait pas été prévue. Voilà presque deux semaines qu’il n’était pas là. Combien de temps cela durerait-il encore ?

15 mars 1165, vingt-et-une-heure,

« Mon bien-aimé,

Je suis heureuse de lire que tout le monde va bien, ainsi que d’apprendre que tu te trouves désormais au domaine. Je suis rassurée de te savoir entre des murs de pierre et non pas dans de vieilles fermes abandonnées depuis des mois, protégées par de pauvres palissades de bois. Tout devrait aller mieux à Ventfroid, n’est-ce pas ? Tu vas pouvoir te reposer. Prends le temps qu’il te faut… Même si je serai heureuse le jour où tu m’annonceras une date de retour précise. Le temps se fait long, malgré le retour de Talen, et une absence qui ne devait durer qu’une semaine en fait déjà deux. Je ne veux point te presser cependant. Assume tes devoirs et tes responsabilités, même s’ils te gardent malheureusement loin de moi… Mais ménage-toi aussi, mon chéri.

Ton domestique préféré est en effet arrivé à bon port, hier. Il a repris ses marques sans problème aucun, et m’a donné quelques détails sur ces jours passés au Labret, sans s’épancher du tout. Vous me cachez quelque chose, tous les deux, et sache que je découvrirai quoi tôt ou tard. Vous me le diriez si un imprévu te forçait à rester à l’ouest encore plusieurs semaines, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas reçu d’ordres inquiétants de la part du Duc, pas de mission suicide ?

J’ai demandé à Talen, je suis donc désormais l’heureuse détentrice d’un journal vierge. Je n’ai encore point écrit, mais je compte le faire bientôt, en faisant le point sur mon enfance. Cela risque d’être long. Mais cette idée me plait, même si la tradition veut que cela ne concerne que les héritiers. Des points de vue différents sont toujours amusants, et je me plais à penser que chacun de nos enfants feront le leur, quand ils auront l’âge.

Je suis indisposée depuis deux jours, cela me fatigue beaucoup – raison pour laquelle je n’ai point commencé à écrire, de fait. Rien d’inquiétant cela dit. L’on a soupçonné la mauvaise conservation d’un poisson qui avait servi à faire la soupe et la sauce. Plusieurs domestiques sont tombés malades également, et nous nous reposons. Sarah me noie d’une mixture dont le goût est aussi atroce que son odeur, mais cela semble me soulager. C’est une femme très attentionnée, très douce, que j’ai pu mieux découvrir en ton absence. Elle te porte une grande estime, et un grand amour, je crois. Elle me donne l’impression de te considérer comme son fils parfois. Mais si le mal persiste, nous ferons venir un guérisseur.
J’espère néanmoins que cela ne durera pas, car je compte sortir dans quelques jours. J’ai eu vent d’une enchère au sein de la Hanse, où des pièces très rares sont susceptibles de tomber. Pour une Mirail de naissance, tu te doutes bien que je ne puis laisser passer ça. Talen m’accompagnera, ainsi que la dague de ta mère. Je n’ai pas eu à m’en servir pour l’instant, loués soient les dieux.

Cassandre m’a prévenue qu’elle repasserait au manoir dans quelques temps également, j’ignore encore pour quelle raison. D’habitude elle n’avertit point, sûrement s’assure-t-elle que je serai présente.

Décris-moi le château, mon époux. Nos gens. J’ai du mal encore à me représenter tout cela, et tes mots seraient d’agréables images. Et comment se porte Marianne ?

C’en est presque ironique, mais nos séances d’entraînement commencent à me manquer ; je n’aurais pas pensé écrire cela un jour. Je me languis de tout.

Avec toute ma tendre affection,
En attente de bonnes nouvelles,

Ton épouse. »


Ambre scella la lettre en inspirant doucement. Elle avait eu du mal à l’écrire celle-ci, raison pour laquelle elle avait tardé. Le retour de Talen, déjà, et ses tentatives pour lui tirer les vers du nez, soldées par un échec, l’avaient poussée à retarder sa réponse, en cas qu’elle apprenne de nouvelles choses de la bouche du domestique. Puis désormais, l’idée de Sarah, qui s’était insinuée dans son esprit, vicieuse, y avait planté ses crochets et ne partait plus. Ambre était restée tout le reste du repas et de la journée fort songeuse, essayant d’appliquer ses propres ordres envers Sarah. Mais attendre des signes plus concrets sans y penser serait impossible. Elle allait espérer, diablement espérer, que les maigres détails relevés par Sarah soient bons. Or l’espoir était à double tranchant. Il vous élevait, que pour mieux vous faire tomber en s’évaporant.

Après avoir fait envoyer la lettre, Ambre monta à la bibliothèque. Quelques lectures l’aideraient peut-être. Elle n’avait aucune expérience dans la grossesse, et sûrement certains textes médicaux traînaient là, qui pourraient, potentiellement, l’aider à repérer d’autres signes. Elle avait pensé à aller se confier à sa mère également, elle qui avait expérimenté plusieurs grossesses. Mais la problématique de l’espoir était la même. Si Céline se persuadait être bientôt grand-mère alors que ça n’était pas le cas… Ambre redoutait dans quel état d’esprit elle finirait, après la mort d’Aaron encore vive. Non, elle allait donc attendre, pour l’instant. Garder seule ces préoccupations.
Ainsi la comtesse feuilleta longtemps un ouvrage utile, s’abreuvant de tous les signes qu’une femme devait apprendre à repérer, même si certains paraissaient farfelus. Un passage entier citait même comment mettre en œuvre un avortement, une pratique complètement inhumaine, et Ambre lut la page avec dégoût, avant de revenir sur ce qui l’intéressait. Quand elle eut terminé, elle prit soin de remettre le manuscrit à sa place, sans laisser de traces qui pourrait mettre Talen sur la voie, ou même Morion lorsqu’il rentrerait. Il connaissait les lieux comme sa poche, et un simple parchemin mal rangé ou qui ne se trouvait pas à la bonne place pouvait lui sauter aux yeux. Elle fut minutieuse, et rejoignit ensuite sa couche, car il était largement temps de dormir.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyMar 26 Juil 2016 - 23:08
Maintenant que l’urgence était passée, le comte ressentait avec une intensité au moins triple les contre coups de l bataille et des galères qui s’en étaient suivies. Il ne sortait pas du château, et à vrai dire, ne sortait même pas de ses appartements. Cela lui faisait tout de même un étage entier mais… Il ressentait une fatigue telle qu’il n’en avait jamais connu. Ses membres étaient courbatus à l’extrême, et sa plaie recommençait à provoquer d’horribles douleurs dans toute sa jambe. Quand il se levait, il vomissait, le forçant à prendre des minutes entière pour rassembler son courage. Quelques pas l’achevaient pour la journée. Et moralement… Il était brisé. Le temps avait passé depuis l’opération, presque une semaine désormais, mais les choses n’avaient pour lui pas changé. Quel espoir avaient-ils, pauvres hommes, de vaincre un jour ce fléau, ou seulement d’y survivre ? Lorsque l’on combattait ces choses, on ne prenait pas seulement le risque de mourir. On prenait aussi le risque de tomber malade, et il était bien placé pour le savoir. Les blessures qu’ils récoltaient étaient souvent horribles, au corps à corps. Morion s’estimait pour sa part éminemment chanceux. Il avait pris un coup de plein fouet, nullement freiné quoi que ce soit, et sa jambe était toujours entière. Mutilée certes, dangereusement ouverte et ayant subi divers traitements qui ne l’avaient en rien aidé à guérir. L’orage par derrière avait même aggravé certains de ses symptômes. Il brûlait de fièvre, frissonnait en permanence, comme si le froid avait pénétré ses os et refusait de les quitter. Ses toux étaient très régulières. Tellement que les irritations et les glaires qu’il recrachait souvent étaient constellées de tâches de sang. Et il préférait que les guérisseurs ne perdent pas leur temps, et s’occupent des divers blessés qui étaient revenus au domaine.

Quand ils y étaient revenus, justement, Morion était inconscient. L’inquiétude avait gagné beaucoup de ceux qui avaient assisté au retour, moyennement triomphal, des quelques hommes du domaine rentrés avec lui. Les autres s’étaient réfugiés dans les villages fortifiés les plus proches en attendant les nouvelles directives d’Estrée. Même si Talen et Edric avaient rassuré tout le monde, Marianne avait paniqué en voyant l’état de son frère, si profondément engoncé dans les limbes du coma qu’il en paraissait mort. Elle l’avait veillé toute la journée, et ne l’avait quitté qu’à l’injonction contrariée d’un Edric qui en avait marre de voir sa suzeraine inapte à donner des ordres en l’absence de sa soeur et qui “s’occupait d’un cadavre qui de toute façon aurait tôt fait de revenir leur pourrir la vie”, de ses propres mots. Il avait ainsi répondu à Ambre en fin de journée, et s’était aussitôt rendormi. Il ne savait jamais s’il dormait, où s’il était inconscient. Et ses périodes de sommeil n’était pas vraiment réparatrices, à ses yeux. Il se réveillait plus fatigué encore, et n’avait qu’une envie, replonger pour échapper aux tourments physiques. Une situation qui le mettait dans une colère noire. Si bien qu’il avait fini par interdire à quiconque de rentrer dans sa chambre sans une raison solide à l’extrême. Même sa soeur était interdite d’accès dans les appartements de Morion, qui avait failli faire installer une garde permanente pour être vraiment sûr que ses instructions soient respectés.

Le lendemain, Morion décida de reprendre, ou en tout cas essayer de reprendre le travail. Bien que la lassitude soit extrêmement lourde, il n’avait pas envie de continuer à s’affaiblir dans son lit pendant que les autres trimaient avec les nouvelles tâches qu’il y avait à accomplir. Et ses plans à lui étaient bien plus précis et organisés que ce qu’il avait bien pu conter à ses soeurs. S’il n’agissait pas maintenant, tant que les choses étaient encore fraîches et malléables, il risquait de ne jamais pouvoir le faire.

Midi était passé lorsqu’il se leva, le lendemain de son arrivée. Talen était déjà parti, nécessairement, mais ne devait plus être très loin de Marbrume. D’un geste las, il attrapa sa canne, et tenta de se vêtir une fois devant son armoire. Trajet qui dura une bonne minute. Il put sans trop de mal remettre une chemise propre, observant d’un oeil intéressé et critique son buste couvert de bleus. La dernière bataille l’avait presque instantanément sorti du jeu. Une marbrure sombre marquait sa peau en travers de sa poitrine, de ses côtes jusqu’à sa clavicule droite, à l’endroit où il avait été frappé. Chaque constat de la force de leurs ennemis l’inquiétait de plus en plus. Et il pouvait jurer que la bête avait frappé dans la précipitation suivant son bond, et non d’un coup réellement destiné à le tuer. Sinon il ne serait pas là pour le voir. Un bref soupir lui échappa. Une petite part de son espoir de victoire future s’en fut avec ce filet d’air. Il combattrait, c’était certain. Jusqu’à son dernier souffle il défendrait la ville, et surtout, sa femme et sa future famille. De même que l’actuelle. Mais sans aucun espoir de victoire, ça il venait de le comprendre - et l’accepter était difficile -, il se battrait juste pour retarder l’inévitable. L’opération du Duc était similaire. Elle retarderait la mort par la faim, mais il était peu probable qu’un seul d’entre eux soit rappelé par Anür au bout d’une vie longue et bien remplie. Ils seraient probablement dévorés avant. Pour les chausses… Ce fut plus compliqué. La plaie avait été nettoyée et bandée à nouveau pendant ses inconsciences, mais il avait toujours un mal de chien sur toute la cuisse, jusqu’à la partie supérieure du mollet. Il prit sur lui, étouffant grognements et gémissements courroucés, pour les enfiler, et glissa un ballot d’étoffe au niveau de sa jambe pour éviter les frottements du tissu rigide. L’on toqua à la chambre, à cet instant.

«… Qui est-ce ? La voix de Morion était faible et éraillée, mais toujours fonctionnelle, c’était ça de pris, se dit-il.

- C’est Marianne. Laisse moi entrer, s’il te plaît.

- Entre donc.»

La jeune femme, de quatre ans la cadette d’Estrée, pénétra dans la pièce. Elle avait les cheveux d’un noir de jais, et un regard d’un bleu froncé extrêmement profond. Elle semblait aussi belle et fragile que sa soeur était forte et droite. Elle avançait, missive en main, toujours scellée, et étreignit brièvement son frère. Elle était beaucoup plus émotive et expressive que sa soeur aînée, et l’inquiétude était clairement lisible sur son visage. Morion aimait à la qualifier, gentiment, de “femme de coeur”, là où sa soeur était plutôt “une femme de guerre”. Néanmoins elles se complétaient fort bien, et la direction du domaine, en l’absence du chef de famille, se déroulait mieux que Morion ne l’avait espéré. Néanmoins il pouvait difficilement la rassurer. Son teint était blafard, des cernes de six pieds de long s’étalaient autour et sous ses yeux ternis par les derniers jours, et il avait maigri. Si Marianne n’avait pas eu une telle confiance en la détermination de son frère, elle l’aurait probablement déjà cru sur le chemin du Domaine d’Anür. Et à vrai dire, ça n’était pas complètement faux. Il se sous alimentait durant ces derniers jours, et avait du mal à retrouver l’appétit. Son sang se régénérait de fait assez mal, et il subissait encore les contrecoups des pertes massives durant la bataille du Labret. Bref, son état inspirait soit la peur, soit la pitié, soit un mélange des deux.

Elle venait simplement l’entretenir des dernières nouvelles, dont il prit note consciencieusement. Il comptait justement, maintenant qu’il était vêtu, se rendre dans son bureau afin de s’atteler à des tâches administratives. Cela serait difficile, certes, mais au moins il sentait pouvoir en assumer une part, alors que même pas une semaine plus tôt, essayer l’aurait probablement tué sur le coup.

«Tu demanderas au guérisseur de me faire remonter un remède qui soulage ma gorge et mes muscles, s’il te plaît. Je ne compte pas gambader dans les champs, mais il faut que je me mette au travail, deux jours presque sans rien faire, c’est nettement trop.»


Sa soeur obtempéra au bout de quelques secondes. Elle était moins… têtue que sa soeur, de fait parce qu’elle était plus jeune, et avait encore un peu de mal avec la direction du domaine. Elle s’occupait surtout de gérer, trier, classer des données et d’anticiper des coûts, pour elle, tout ce qui se passait ici était essentiellement résumé sous forme de chiffre. Elle embrassa son frère sur la joue, et fila donc.

Il se rendit, à petits pas timides, dans son bureau. Une foule de papiers s’y entassaient, dont beaucoup concernaient les instructions pré-Labret. Il allait falloir maintenant remplir ceux qui iraient dans “l’après”, prévoir les roulements de contingents qui iraient prêter main forte, permettrait d’étendre, notamment, la zone de connaissance et de contrôle de Morion bien au delà de son domaine. L’idée étant juste de participer sans tuer la défense du domaine lui même, auquel cas ses initiatives n’auraient aucun intérêt. Le simple trajet de la chambre au bureau fut une épreuve en soi, et il songeait bien ne pas en bouger jusqu’au soir. Peu importe s’il s’assoupissait - ce qu’il aimerait éviter - l’intérêt étant juste de bouger le moins possible.

En premier lieu vint le compte rendu des pertes, qu’il nota soigneusement, notamment à partir des renseignements oraux de sa soeur. Des domestiques se chargèrent de lui apporter les registres qu’elle tenait afin d’être le plus exact possible. Et les constats étaient… Terribles. Pour lui, en tout cas. Cinquante de ses hommes étaient soit blessés, soit morts, quand ils n’étaient pas tout simplement disparus. Il lâcha un soupir dépité, et continua à écrire, rapidement, d’une main hésitante. Des pattes de mouches, voilà ce qu’il produisait. Pas sûr que lui-même fusse capable, dans un futur plus ou moins proche, de relire ses propres écrits. Il s’émerveillait cependant de la fidélité et de l’assiduité des registres qu’il avait entre les mains. Il pouvait s’absenter longtemps, revenir et les parcourir, et connaître l’exacte situation du domaine. Il notait ainsi, rassemblant toute sa concentration, tant et si bien qu’il n’entendit même pas sa soeur rentrer, plus tard, avec une missive à la main. Il reconnut le sceau au premier coup d’oeil, et tendit avidement la main.

Il la lut une fois, puis une autre afin de s’imprégner des mots qui la parcouraient. Il saisit immédiatement un parchemin vierge, tant qu’il avait l’énergie pour le faire.

«Ma douce Ambre,

Nous avons au Comté de nombreux problèmes à régler. Mais ils sont élémentaires, logistiques, rien d’excessivement grave ni d’insurmontable. Estrée est restée aux camps pour superviser mes hommes, je suis donc secondé par Edric et Marianne, tout ira bien je ne peux que le garantir. Je fais attention à moi, ne t’en fais point. Il n’est guère de choses qui peuvent facilement abattre un Ventfroid, et le travail n’en fait pas partie.

Quant aux imprévus… Ils sont un peu notre quotidien. Néanmoins, je ne pense pas rester plus que nécessaire. Dès que la situation du plateau sera stabilisée je prendrai la route de Marbrume, et l’efficacité d’Estrée écourtera d’elle-même mon séjour ici. Il faut juste que je prenne un peu le temps de me ressourcer. Et nul besoin de t’inquiéter. Le Duc semble pour l’instant occupé, comme nous tous, à sécuriser le plateau. Nulle autre mission ne nous a été confiée depuis que nous avons fait conte de notre victoire au palais. Il serait, vu les pertes, extrêmement déplacé de sa part de nous en demander plus, et il déclencherait à coup sûr un soulèvement, ici. Nous sommes heureux d’avoir vaincu, mais… la rancune gronde.

Fais attention à toi ma tendre. Ne te force donc à aucune sortie si tu sens que ton corps n’est pas en état de tenir. Je fais pleine confiance à Talen pour assurer ta sécurité, et tu lui diras d’ailleurs les mots qui suivent : “Défense à jadis”, il comprendra. Un ordre qu’il devait probablement rêver de recevoir un jour.

Actuellement je suis occupé à lister les pertes du domaine, ainsi que de la garnison qui m’a été confiée, dont la moitié de l’effectif a été perdu. Mais ce sont des choses nécessaires, et nous nous y attendions tous au moment où nous sommes partis. Plus de mille âmes ont été supprimées le 3… J’espère qu’un tel sacrifice ne nous sera pas demandé avant de très longues années. Beaucoup ne tiendront pas le choc. Ces fangeux… Je prie pour que tu n’aies jamais, jamais à assister à une pareille vision. L’horreur a désormais un visage, je le crains.

Le château est cependant tel que je l’ai quitté. Ses murs sombres défient toujours la mer derrière lui, à flanc de falaise, et les baraquements construits à son pied fourmillent tout autant d’activité. Je crains que de nouvelles têtes et corps de fangeux se soient rajoutés dans l’allée de Ventfroid, qui conduit à l’entrée officielle du domaine, ce qui prouve bien la bravoure de ceux qui y vivent. Nombreux sont ceux qui sont inquiets pour leurs proches, et s’ils ont été interrompus par les orages, ils travaillent cependant d’arrache pied. La terre autour de l’enceinte principale est toujours la même. Recouverte d’une herbe rase et verte, aujourd’hui un peu boueuse, il faut l’avouer, mais néanmoins bien plus belle et agréable que les marais qui bordent l’enceinte extérieure. Nous avons fait construire de nouveaux baraquements. La semaine dernière, trois naissances ont été célébrées. Trois naissances sur notre sol. C’est… Un drôle de sentiment. J’espère que nous pourrons bientôt célébrer les notres. Je suis seul dans mes appartements, en revanche. Le repos est essentiel, et en dehors du travail, je préfère être seul. J’aimerais que tu sois là - nous avons accès aux remparts de ronde, presque jamais utilisés, mais qui forment un agréable parcours. Nous voyons tout de là - pour me réchauffer de ta présence. Les séquelles de cette bataille ont laissé un certain froid. Je ne doute pas une seule seconde qu’il se dissipera à ta vue.

Je te ferai de plus amples comptes rendus et descriptions du domaine dans les prochains jours. Il est temps que je me montre à eux, il paraîtrait d’après Marianne, qui est inquiète mais qui va bien, qu’ils sont également soucieux, après les échos qu’ils ont eu de l’opération.

J’attends avec impatience ta prochaine missive, et avec une hâte sans cesse croissante le moment où je pourrai à nouveau te serrer dans mes bras. Etonnamment, je me sens un peu moins… complet, loin du foyer que nous avons commencé à bâtir. Un sentiment aussi étrange qu’agréable.

Je te rejoins en pensée et t’offre toute ma tendresse,

Morion.»


Il referma la missive et la scella. Marianne s’empressa de la porter à qui de droit, pendant qu’il s’abîmait une nouvelle fois dans ses notes, un soupir las en guise de seule ponctuation. Il recevait à chaque fois ces missives avec joie, mais d’un autre côté… Il aurait été triste, sincèrement et profondément, si son esprit déjà tourmenté ne faisait pas face à une montagne de travail qu’il aurait du mal à abattre.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyMer 27 Juil 2016 - 17:07
20 mars 1165

- Comtesse, Cassandre de Rocheclaire est arrivée. Elle me dit qu’elle vous avait prévenue de sa visite.

- En effet. Vous pouvez la faire venir. Et quand elle sera dans la pièce… restez.

Ambre lança un regard ferme à Talen. Un mélange de froideur et de mesquinerie. Froideur, car elle tenait réellement à ce qu’il reste et ne souhaitait pas souffrir encore d’attaques de la blonde qui était attisées par l’absence de tout autre protagoniste, et la simple nouvelle de son arrivée avait déjà figé son humeur. Mesquinerie, car elle connaissait les réticences de Talen à rester en présence des deux femmes lorsqu’elles se croisaient. L’on pouvait sentir le mépris qu’elles se portaient l’une l’autre alors même qu’elles ne s’échangeaient aucune parole. Au mieux était-ce de l’indifférence, et Ambre avait doucement commencé à apprendre à en faire preuve avant le Labret, quand elle venait échanger avec Morion. Soit elle quittait la pièce poliment et silencieusement, de son plein gré, soit elle se posait dans un coin du salon, les laissant converser tous les deux sur des détails de leurs affaires, s’efforçant de faire comme s’ils n’étaient pas là. Seulement Morion n’était toujours pas rentré, et c’était à elle qu’incombait la tâche d’accueillir Cassandre sur des affaires qui ne pouvaient pas attendre. Bref. Si elle devait supporter cette harpie, Talen lui ferait le plaisir de souffrir avec elle.
Cassandre était déjà revenue plusieurs fois depuis sa dernière visite. Ça avait été plus ou moins la même chose, des propos vipérins, allant parfois jusqu’aux menaces. Elle en profitait diablement avec l’absence de Morion, et tout cela ne disait rien qui vaille à Ambre. Elle s’était déjà sentie menacée, avant, et avait intelligemment supposé que Cassandre rêverait de pouvoir l’évincer. Entre les rêves et la réalité, il y avait un gouffre cependant, et Ambre, outre le désir évident de la vicomtesse pour la voir disparaître, n’avait jamais poussé plus loin les suppositions à ce sujet. Elle savait que s’il devait lui arriver quelque chose, Cassandre s’en satisferait beaucoup ; mais aurait-elle le cran de provoquer elle-même ce quelque chose ? C’était un doute qui s’était progressivement emparé de la comtesse durant tout ce mois de mars, et les visites répétées de la blonde, parfois sans aucune réelle raison valable. Juste là pour lui cracher tout le venin qu’elle avait retenu pendant des mois. S’il s’agissait d’une autre personne, Ambre aurait déjà fait couper la langue à l’insultant. Malheureusement pour elle c’était Cassandre, et elle était intouchable tant que Morion n’ouvrait pas les yeux sur son compte. Or, progressivement, une certitude profonde s’était ancrée en Ambre : cette femme était un réel danger. Pour elle, pour sa lignée. Elle servait les Ventfroid depuis sa naissance, mais paradoxalement, Ambre était persuadée qu’elle n’hésiterait pas à lui faire du mal, même si cela signifiait compromettre la future génération des Ventfroid.

Sur ces sombres pensées, Ambre observa la blonde entrer. Elles se trouvaient dans le salon, encore une fois. Jamais elle n’avait accepté d’accueillir la blonde dans son atelier, et préférait descendre lorsqu’on lui annonçait son arrivée alors qu’elle s’y trouvait.

- Que me vaut le plaisir cette fois-ci ?

Sur la table, Ambre avait lissé un parchemin et s’apprêtait à écrire, rappelant ironiquement la première visite de la blonde au lendemain du départ de Morion. Drôle d’écho que voilà. A côté du parchemin, un verre à moitié vide, plein d’un remontant « favorisant le début d’une grossesse » d’après Sarah. Si elles n’avaient plus parlé depuis plusieurs jours de cette hypothèse qu’Ambre voulait étouffer tant que les certitudes n’étaient pas infaillibles, Ambre avait cependant consenti à commencer à consommer des produits pour aider un enfant en croissance. Aux yeux de Talen, ça n’était que des fortifiants pour entraver la fatigue de la comtesse.

- Le comte rentre dans cinq ou six jours, lança Cassandre sans équivoque.

Ambre tiqua. Elle l’ignorait. Dans ses dernières lettres, Morion n’avait toujours pas donné de date précise, il répétait et répétait inlassablement « quand le travail au Labret et au domaine sera terminé ». Que Cassandre possède une telle information avant elle l’agaça. Enormément.
Talen avait haussé les sourcils, satisfait de la nouvelle. Ambre était heureuse également, bien évidemment, mais la façon dont elle l’apprenait lui laissait un goût amer dans la bouche. Pourquoi cette femme obtenait-elle de tels détails en correspondant avec Morion, et pas elle ? Le dernier pigeon de Morion s’était-il perdu ou attendait-il sa réponse avant d’envoyer autre chose ?

Cassandre nota que cette information était inédite chez Ambre. Elle eut un sourire satisfait.

- Je suis navrée, je pensais que vous le saviez. Ce prolongement de presque une semaine encore est compréhensible cependant, avec…

- Nous sommes très heureux de la nouvelle, coupa Talen, un peu brusquement, un regard profond bloqué sur Cassandre. Visiblement aimait-elle pousser les limites des ordres du Ventfroid pour satisfaire son ego personnel. Mais l’homme avait ordonné qu’on ne dise rien à Ambre pour sa cuisse, et laisser éclater l’information juste pour que la vicomtesse puisse gagner sa petite guerre de savoir au sujet du comte, ça n’était pas quelque chose qu’il affectionnait. Ce fut donc sans scrupule qu’il l’interrompit pour la rappeler à l’ordre. A-t-il laissé des instructions pour son retour ?

Ambre écarquilla les yeux, surprise que le domestique ait interrompu ainsi la blonde. C’était rarement son genre, et encore moins sa place.
Cassandre, de son côté, eut un autre sourire, pas le moins du monde gênée par l’interruption de Talen. Au contraire, c’était presque ce qu’elle attendait, pour confirmer l’un de ses soupçons. Pauvre sotte de comtesse. Une femme si douce, si convenable, qu’on ne la prévenait même pas de la grave blessure qui avait tenu Morion alité pendant presque trois semaines. Cette rousse n’avait définitivement pas les épaules d’une Ventfroid, coucounée ainsi comme une enfant.

- Non, je gage que cela viendra dans la lettre qu’il enverra à dame Ambre s’il y en a, répondit-elle, indifférente.

- Est-ce là tout ? Me prévenir du retour de mon mari ?

Ambre avait pincé les lèvres, prenant sur elle pour ne pas piquer une colère qui couvait, dangereuse, en elle.

- A vrai dire, non, reprit Cassandre. Mais, de fait, s’il rentre dans cinq ou six jours, il ne sera point là pour la soirée des Clairmont le 24. J’imagine que vous avez reçu l’invitation ?

- Bien sûr, oui. Je compte y aller.

- Bien. Je suis une espionne habile et je sais laisser traîner des oreilles à de nombreux endroits mais… avec le monde qu’il y aura, et sans la présence de Morion qui réduit le champ d’action, je ne pourrai pas tout balayer seule. J’espérais avoir confirmation qu’en tant que… Ventfroid… vous ferez autre chose que savourer la fête.

Cela ne plaisait visiblement pas à la vicomtesse de partager sa marge d’action avec sa rivale, mais elle n’avait pas le choix. Malgré cela, cela ne l’empêchait pas de lancer, encore et encore, des piques soutenues. Cette fois-ci, la frivolité d’Ambre était au premier plan. Cette dernière eut un bref rire sans joie.

- Vous l’avez. Si cela est tout, vous pouvez vous retirer.

Cassandre glissa un regard vers Talen, évaluant probablement les risques et bénéfices qu’il y avait à pousser la provocation en sa présence. Cette fois elle fut donc raisonnable, et après avoir échangé de banals détails sur cette soirée chez Clairmont, elle quitta le manoir.

Une fois seule avec le domestique, Ambre coula un long regard à Talen. Elle était en colère, et une lourde amertume courait en elle. Il y avait quelque chose qu’elle ignorait sur ce qui se passait à l’ouest, chez Morion. Aucune de ses interrogations n’avait porté ses fruits, et maintenant qu’il était évident que Cassandre en savait plus qu’elle, son inquiétude avait laissé place à une forte déception et une rancune froide. Elle savait que Talen était entre deux feux cependant. Lui ordonner de tout lui dire irait visiblement à l’encontre des instructions de son époux, quand bien même souhaitait-il le partager à Ambre. Elle ne le forcerait pas à faire ce choix.

- Sortez, conclut-elle au domestique, un peu sèchement. J’ai besoin d’être seule.

--

Cette simple entrevue l’énerva et la fatigua beaucoup, mais il y avait peu de choses qui ne la fatiguaient pas, ces derniers temps. La faiblesse rencontrée une semaine plus tôt persistait, tandis que les autres domestiques qui avaient présenté des signes de maladie étaient remis. Elle n’était pas non plus rendue au point de s’effondrer partout. Tant qu’elle était active, elle réussissait à lutter contre la fatigue, même si elle était présente. Dès que c’était terminé en revanche, elle sombrait. Sa sortie dans la Hanse, deux jours plus tôt, où elle avait d’ailleurs croisé Hector de Sombrebois, l’avait extrêmement diminuée. En rentrant de la vente aux enchères, elle s’était rapidement effondrée dans son lit, et avait enchaîné avec une grasse matinée comme si elle avait couru un marathon la veille. Si cela continuait ainsi, elle prévoirait beaucoup de repos avant de se présenter chez Clairmont.

A la fatigue s’étaient ajoutées des nausées étranges, matinales ou provoquées par la présentation d’un plat de nourriture. A chaque fois, Sarah apportait avec entrain un récipient pour faire vomir la comtesse, mais cette dernière ne vomit jamais, et les nausées ne furent jamais productives. La domestique repartait chaque fois fort déçue, comme si vomir aurait été une sorte de confirmation mystique indispensable.

Sarah la croisait beaucoup plus que d’habitude, d’ailleurs, et la comtesse soupçonnait la femme de la surveiller. Elle venait récupérer ses vêtements sales tous les soirs avec un zèle particulier, comme si elle surveillait la moindre marque de sang. La jeune Anne, qui était la domestique la plus proche d’Ambre jusqu’à présent, s’étonna de ce comportement et de cette vieille dame qui lui « volait » son travail auprès de la comtesse, alors cette dernière termina par la mettre dans la confidence, elle aussi. Anne eut une réaction presque identique à celle de Sarah : une joie évidente, et elle partagea avec Ambre les histoires de grand-mère qu’on entendait parfois chez le peuple à propos des changements lors d’une grossesse.
Le comportement et le soutien des deux femmes exaspérait Ambre mais l’amusait en même temps. Sans s’en rendre compte, elle avait commencé elle aussi à plonger dans l’espoir, malgré ses craintes, ses peurs que tout disparaisse un jour entre ses cuisses avec de simples saignements retardés par le stress récent du Labret. Mais plus les jours passaient, plus ses règles tardaient à venir, et plus l’espoir se faisait puissant. Ambre s’était surprise à observer son reflet, nue, dans la salle des ablutions, passant les mains sur son ventre pour tenter d’y repérer quelque chose. Alors que c’était évidemment bien trop tôt pour voir ou sentir quoi que ce soit. Tant que le ventre n’était pas rond, il n’y avait aucun autre moyen de confirmer. Devait-elle aller rencontrer un prêtre de Serus pour avoir moins de doutes ? Diantre qu’elle espérait que cela soit ça… Tous les signes semblaient converger et donner raison à une grossesse, mais la comtesse avait encore peur d’abandonner complètement à cette idée.

--

20 mars 1165, quinze heures

« Morion,


Pas de « mon tendre époux » cette fois-ci. Dans cette missive, l’agacement d’Ambre suite à la visite de Cassandre était palpable. Sans le vouloir, sa lettre fut moins chaude qu’à l’accoutumée.

Comme je le disais dans mes précédentes lettres, j’ai assisté à une vente aux enchères il y deux jours, dans la soirée. Je suis rentrée fatiguée mais ce fut une très bonne soirée, durant laquelle j’ai pu faire quelques belles acquisitions. Je te les montrerai lorsque tu seras de retour. Talen a pris son rôle de protecteur très au sérieux.
J’ai croisé, durant cette soirée, Hector de Sombrebois. J’ai été très surprise de le voir là, lui dont le scandale de son annulation de mariage soulève encore foule et murmures sur son passage. Il m’a confié de nombreuses choses, je t’en ferai part plus tard, également. Note que j’ai entamé un potentiel lien avec lui qui pourrait nous servir le jour où il reprendrait son domaine, comme nous l’avions évoqué.

Pour rester sur ce thème, j’ai reçu une invitation chez le comte de Clairmont, dans la soirée du vingt-quatre mars. Je ne sais point pour quelle raison il organise cela – pour féliciter la réussite du Labret, ce me semble. J’ignore pourquoi il fête cela alors que la plupart des protagonistes sont encore sur place à organiser les troupes, mais passons. J’y serai donc. Cassandre aussi, normalement. Beaucoup sont susceptibles d’y être également, cela fait bien longtemps qu’il n’y a pas eu de soirée à l’Esplanade. Cela fera du bien à tout le monde et… me sera sûrement utile. Je nous récolterai des informations pertinentes, ou me rapprocherai de certaines personnes. Les deux, si je le puis. Comme tu peux le voir, tu n’es pas le seul à travailler. Je fais tout ce que je peux pour maintenir notre influence à la cité en ton absence.

Ne pas m’inquiéter est difficile. Même si tu as survécu, tu restes dehors, bien plus vulnérable à la Fange qu’au sein de Marbrume. Chaque jour, je crains qu’une attaque spontanée ne t’emporte. De ne plus recevoir de lettres, qu’une délégation de miliciens me rapporte ton épée et ton cheval. Ça n’est pas quelque chose que je peux effacer de mon esprit facilement. Cela me sera à jamais impossible, d’ailleurs, même si tu t’absentes souvent pour le comté. Il est impossible de s’habituer à ça.

Ta description du château donne envie. J’aimerais pouvoir y être en ta compagnie, parcourir les couloirs de pierre, admirer la mer depuis les remparts. Voir nos gens. Il est bon que la vie se fasse une place là-bas. Je prierai pour que d’autres naissances voient le jour. Dans ce monde qu’est devenu le nôtre, un enfant apporte toujours de l’espoir. J’espère te l’apporter un jour cet espoir.

Quand rentres-tu ? J’implore les dieux de pouvoir enfin lier mes lèvres aux tiennes, glisser mes doigts dans tes cheveux, t’étreindre comme si c’était la dernière fois.

Que la Trinité t’accompagne,

Ambre. »

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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyMer 27 Juil 2016 - 23:17
14 Mars. Vingt-deux heures.


La disposition du salon privé de Morion avait bien changé. C’était exceptionnel mais nécessaire. La table qui trônait habituellement entre les deux fauteuils avait été placée au centre de la pièces. Les fauteuils étaient cependant face à celle-ci, et maintenant, d’autres étaient en leur compagnie, et chacun d’eux était occupé. Dos à l’âtre d’une cheminée qui se mourait doucement, mais qu’un domestique ne viendrait pas tarder à raviver, Morion. Sa canne était posée à son côté, et sa jambe était tendue sous la petite table. Il faisait beaucoup d’efforts pour ne pas s’endormir. Il avait été actif toute la journée, au mépris de la prudence la plus élémentaire. Tout du moins, administrativement. A vrai dire il pouvait difficilement effectuer plus d’une dizaine de mètres consécutifs sans sentir le contrôle de son corps lui échapper. Cela le mettait dans un état d’irritation extrême. Il n’arrivait pas à comprendre comment il pouvait, seulement après une bataille, être si faible. Il connaissait et avait conscience de l’accumulation ridicule de facteurs jouant en sa défaveur. La maladie, les pertes de sang, les traitements hasardeux et irréguliers, et forcer son corps à agir alors qu’il n’aurait du que se reposer, et laisser la charge de la direction de ses hommes à qui de droit, à savoir ses vassaux et sa famille. Son opiniâtreté était légendaire au sein de sa famille et de son entourage, ainsi, si les reproches avaient été nombreux, il n’y avait guère qu’Edric pour lui tenir tête. Mais le grand homme était lui aussi diablement occupé alors il n’avait pas le temps d’assister et de canaliser le comte. Sans quoi il l’aurait probablement ligoté au lit.

De chaque côté de Morion, Estrée à droite, Marianne à gauche. La blonde et la brune observaient la foule de parchemins dispersés sur la table, de même qu’Edric, face à eux. C’était ce que l’on pouvait appeler un conseil de guerre. Tous étaient d’accord : la guerre ils venaient de la vivre, ils avaient survécu, et dans une certaine mesure, vaincu. Néanmoins, elle ne faisait que commencer. Il allait falloir en plus d’administrer le domaine, s’assurer que le plateau tienne tête à la fange. Ils ne s’aventureraient pas à découvert sans qu’il ne fasse nuit ou que le temps soit particulièrement atroce, mais les nuits étaient quotidiennes, et l’orage… On ne savait jamais quand il allait nous tomber dessus.

«Bien… La voix lasse du comte s’éleva, recouvrant les craquements discrets des bûches ou les bruissements de tissu des robes. D’ici quelques jours, je vais devoir rentrer, je me suis absenté trop longtemps de Marbrume. Ambre est seule en ville, et nous venons à peine de nous marier.. Sans compter que… Mh. Dès que je serai capable d’effectuer une ronde sur les remparts, je prendrai la route. Il me faudrait encore un bon mois de repos, mais ce temps ne nous est pas alloué. Estrée. La jeune femme leva la tête. Elle était rentrée plus tôt dans la journée, après avoir réceptionné le bois venant du comté, et avait fait reconstruire le camp, ainsi que quelques avant postes, toujours en érection. Le comte saisit une carte du duché, traversé par une foule de lignes droites partant du château. Tu va mobiliser la totalité, je dis bien la totalité des réfugiés qui vivent ici, exceptés les femmes et les enfants. Tu leur assigneras une destination. Qu’il s’agisse d’un village fortifié ou d’un camp avancé. Ils devront ravitailler le plateau chaque jour, en attendant que Marbrume puisse s’en charger. Nous espacerons nos propres convois une fois que la ville pourra assumer un trafic régulier. Forme les groupes de la manière dont tu le souhaites, mais n’en envoie que quelques uns par jour, et les suivants opéreront de la même manière, par roulement. Marianne. Il faut trouver un moyen de chasser en quantité. Il me semble que plusieurs réfugiés sont familiers de la discipline. C’est une grosse prise de risque, mais il va falloir s’aventurer sous le couvert des arbres. Non seulement pour les nourrir au Labret, le temps que fleurissent les premières récoltes, mais également car nous allons avoir besoin d’autant plus de nourriture que notre charge de travail va augmenter. Il en va de même pour le bois. Quitte à déforester le marais pour ça. Je te laisse gérer les effectifs, dépenses et rentrées de ressources comme tu veux, mais je veux un rapport quotidien sur ce qu’il se passe ici quand je serai parti. Le comte leva ensuite les yeux vers Edric. Quant à vous… Renforcez, à n’importe quel prix, l’entraînement de ceux qui restent. Un contingent de nos propres hommes, vous déciderez du nombre, sera affecté durant une semaine au Labret. Un autre prendra sa place la semaine suivante. Et ainsi de suite. Vous ferez un compte rendu à Estrée et Marianne. Petite soeur, dit-il en observant la brune, tu devras bien évidemment n’omettre aucun détail, que tes renseignements proviennent d’Estrée ou d’Edric. Je t’ai un peu laissé en retrait ces derniers temps… Laissant d’ailleurs une part conséquente de travail à ta soeur et à Edric. Ce ne sera plus le cas, c’est toi qui va centraliser toutes les informations. Nomme également quelques hommes de confiance ou qui nous sont fidèles au delà de ce nous demandons à l’origine. Ces personnes seront également envoyées au plateau pour travailler, mais surtout pour espionner. Je tiens à savoir tout ce qui se passe là bas que les hommes d’Estrée ou Edric rateront. Tu seras mes yeux sur place.»

Le conseil dura encore très longtemps. Morion n’aspirait qu’à dormir, mais les choses devaient être faites. Et rapidement. Maintenant que le Labret était conquis et que tout le monde allait pouvoir se remettre du trajet et des horreurs qui avaient suivi, il deviendrait une place d’influence capitale. Et en l’occurrence Morion, malgré tout ce qu’il avait traversé - et continuait à endurer, d’ailleurs - disposait d’une place de choix. Il était juste au nord du plateau, et il lui fallait une heure, deux peut-être pour le rallier seulement, là où il en fallait nettement plus pour tous ceux qui pouvaient avoir des vues dessus. Il n’avait perdu de vue aucun de ses objectifs, et si le Labret n’était pas une fin en soi, elle lui permettrait de se hisser jusqu’à une qualité “d’indispensable” à la Cour Ducale. Peu importe le temps que cela prendrait.

Le feu fut ravivé deux fois, tellement ils furent longs à débattre. Morion leur exposa clairement les raisons de son empressement. Si Estrée et Marianne ne furent que moyennement surprises, déjà bien au courant des objectifs finaux de leur frère aîné, Edric fut carrément surpris. Il savait son suzerain ambitieux, d’une certaine manière, et peu enclin à laisser les choses se dérouler sans avoir un certain contrôle dessus, mais à ce point là… Il y avait presque vingt-cinq ans qui séparaient les deux hommes, et le vieux chevalier avait encore des choses à apprendre sur celui qu’il servait, visiblement. Et pas forcément en mal.

Lorsqu’ils se séparèrent, Morion n’avait même pas envie de réfléchir. Il n’y arrivait même pas, pour être honnête. Seulement quelques minutes après que Marianne l’ait quitté, lui ayant fait monter un remède tonifiant et devant, normalement, guérir les maux sans gravité dont il souffrait toujours, il s’endormit dans le fauteuil. Quelques papiers étaient toujours étalés devant lui, même si les plus importants avaient été emportés. Son coeur battait fort, il le sentait. Dans tous ses membres, la pulsation sourde, le manque de sang, de nourriture, et la fièvre rendaient les battements presque assourdissants. Leur effet bénéfique fut cependant de le bercer quelques minutes avant qu’il ne sombre définitivement.

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20 Mars - Début de soirée.


Il se sentait mieux. Un peu. Il avait atteint son objectif, presque. Effectuer une ronde sur les murs qui entouraient le château et la tour inflexible qui formait ses appartements, sans tomber dans les limbes. Il subissait avec violence un certain contrecoup ensuite, mais au moins l’effort ne lui était il plus impossible. C’était une excellente chose. Mais beaucoup d’ombres venaient gâcher le tableau. Tout d’abord, dès qu’il avait lancé ses plans pour le Labret, il avait les jours qui avaient suivi croulé sous des tonnes, au sens pratiquement littéral, de rapports. Il avait compte des premiers départs, des retours, des patrouilles, des signalements de fangeux, du nombre d’hommes envoyés par le Duc, des comptes rendus d’Estrée ou de Marianne, qui rassemblait souvent le tout un feuillet condensé mais précis, ou encore, et ça ne l’aidait pas du tout, de Marbrume. Depuis qu’il était de retour au domaine et qu’il l’avait annoncé à Cassandre, il recevait des missives quotidiennes, parfois plusieurs dans la même journée, lui contant les missions qu’il avait laissé en plan lors de son départ, et qui avaient été accomplies, ou toujours en cours. Il recevait beaucoup de questions sur son état, également, qu’il narrait sans vraiment faire de détours. Il n’y avait rien à cacher là dessus, ou en tout cas, pas à Cassandre, même si elle fit montre d’une inquiétude qui étonna le comte. Ils ne s’étaient pas quittés en très bons termes. Qui sait, peut-être s’était elle calmée. S’il avait assisté aux scènes entre elle et sa femme au Manoir, peut-être aurait-il vu les choses différemment, malgré ce qu’elle avait pu lui dire, mais pour l’heure, elle semblait surtout faire montre d’une incroyable bonne volonté. Presque.

En parallèle, il tenait également la dernière missive en date de sa femme, reçue il y avait peu de temps.

Le ton… Enfin c’était difficile de parler ainsi pour une missive, mais elle n’était pas écrite de la même manière que les autres. Très clairement. Entre ça, et Cassandre qui lui disait dans la sienne qu’elle était justement passée au manoir… Qu’avait-elle été y faire, par les Trois ? Il soupira, et attrapa sa plume, pour répondre, las. Ces histoires commençaient tout doucement à faire monter la température, et il aimerait que les choses se tassent d’elles-mêmes. Ce qui ne semblait être la volonté d’aucune des deux femmes. Il haussa les épaules à sa propre pensée. Tant pis. Actuellement il avait trop de choses à faire pour s’intéresser à ces conflits. Il ne le ferait que s’ils s’avéraient gênants, et pour l’heure, ils ne l’empêchaient ni de vivre, ni de travailler.

«Ma tendre femme.


Il me fait plaisir de lire que tu vis sereinement, et de savoir que Talen veille à ta sécurité. J’ai une certaine hâte à voir ce que tu as bien pu obtenir lors de cette vente. Je suis également curieux de savoir ce qu’il a bien pu te dire, il ne semblait pas que vous étiez de bons amis, ces choses ont du être intéressantes. De même que ton initiative, qui me ravit.

Quant au comte de Clairmont… Il n’était pas présent, je ne sais également quelle hypocrisie le pousse à fêter ceci alors que nous n’avons même pas fini de brûler nos morts. Peu importe, il est effectivement bon que vous y soyez toutes les deux. Je ne sais vraiment ce qu’il va se passer là bas, beaucoup sont déjà rentrés, et pour ceux qui ont eu la chance de rentrer en un seul morceau eh bien nul doute que leur discours sera très instructif. Il risque même d’y avoir le Duc, après tout… Enfin, je compte sur toi pour garder l’oeil et les oreilles ouverts. Ne te mets pas en danger inutilement, cependant.

Il ne faut pas t’inquiéter, Ambre. Je ne suis pas seul. Estrée est probablement plus protectrice que tu ne le seras jamais, et Edric, malgré ses dehors bourrus et irrespectueux donnerait sa vie avec le sourire pour ne pas voir les Ventfroid tomber. Tu peux compter sur eux, comme sur ma propre envie de vivre et de te retrouver. N’est pas encore arrivé le jour où je tomberai.

Ici… Eh bien, je me rends compte avec un certain étonnement que si la préparation et l’exécution de l’opération ont été difficiles et chronophages, l’après est bien pire. Je ne sais plus vraiment où donner de la tête, et par ma propre faute. A vrai dire, j’ai peut-être un peu forcé sur le travail, mais je compte rentrer le plus vite possible, aussi j’essaie d’en abattre le plus possible avant de ne plus être directement sur place. Estrée et Marianne te saluent, d’ailleurs, de même qu’Edric, qui n’a qu’une hâte : découvrir de visu la femme qui a sur faire ployer Morion face à, justement, le travail et aura su entamer la froideur renommée des Comtes de Ventfroid. Il commence doucement à m’agacer celui là aussi. J’ai donc pour projet de nous emmener au domaine rapidement, dès que cela s’avérera possible. J’y ai encore du travail, même s’il est entre de bonnes mains.

Je ne puis encore donner de date précise. Une semaine au grand maximum, je pense. Il y a tellement de choses à faire… C’est un vrai calvaire. Mais un calvaire qui me permet d’oublier un peu, durant le temps que je passe à travailler, la distance pesante qui nous sépare et les affres de la bataille. Ainsi, plus motivé que jamais, je sais que mon retour est proche.

Que les Trois me portent à toi aussi vite que possible,

Morion.»


Il la roula, et l’emmena, lentement, boitant comme un ancien, jusqu’à la volière, où il le fit envoyer jusqu’à Marbrume. Il arriverait probablement dans la nuit, mais peu importe. Il resta un moment à regarder les oiseaux piaillant, puis s’en fut, se dirigeant cette fois vers le dernier étage, ou plutôt le chemin de ronde. Il devait encore tester son endurance, et cela aurait au moins le mérite de lui faire passer une nuit sereine.


--- ### ---


La diligence s’arrêta non loin du manoir des Clairmont. Le soleil finissait sa course. La journée avait été éprouvante, mais le comte se sentait revigoré par l’air de Marbrume. Les quatre derniers jours avaient été… intensifs. Mais il commençait à se sentir mieux. Sa jambe avait été suturée, et si les tiraillement de sa peau le lançaient très, très désagréablement, au moins la douleur restait cantonnée à la blessure et autour, et non à toute la jambe comme c’était le cas plus tôt. Il avait retrouvé également un peu d’appétit, et en avait profité avec un zèle certain. Tout d’abord, il avait vomi. Son estomac avait perdu l’habitude de manger pleinement, les marques d’amaigrissement du comte étaient encore visibles. Néanmoins, malgré un mal de tête persistant, reste d’une fièvre en bonne voie de reflux, il se sentait beaucoup mieux. Bien qu’il ne soit clairement pas en pleine possession de ses moyens. Il avait cependant pu se vêtir normalement, à son habitude, et le trajet, accompagné d’une escorte armée, s’était bien passé. Il jeta un oeil vers les grilles. Il n’avait notifié personne de son arrivée - à vrai dire, il n’en avait même pas eu le temps - et avait également reçu une invitation nominative cette fois, quand Clairmont s’était aperçu que Morion n’était pas à Marbrume depuis presque trois semaines. Il avait fini par céder. Il avait abattu pratiquement tout le travail qu’il souhaitait, et Ambre lui manquait bien plus qu’il ne voulait l’admettre.

Il descendit, et donna congé à son escorte. Ils logeraient le manoir, quitte à monter des tentes dans leur jardin. Hors de question de leur faire prendre la route à cette heure ci. Il se demandait si certains le pensaient morts, tiens…

Il effectua quelques pas hésitants, claudicant jusqu’à l’entrée, et pénétra l’enceinte du manoir.

--- ### ---

25 Mars. Deux heures du matin.

La soirée avait été… instructive. Et par un habile tour mêlé d’une chance certaine, il avait pu se débarrasser de Cassandre pour les deux ou trois jours à venir, au moins, lui ayant confié une mission vouée à étendre son influence dans les bas fonds. Suite à cela… il avait participé de façon plus active que prévu à la fête dudit Comte, qui s’était honteusement servi du désastre des dernières semaines, pour son propre compte.

Accompagné de sa femme, il avait grimpé dans leur diligence dès que le temps le leur permit. Il ne voulait plus voir personne d’autre qu’elle, aujourd’hui. Et les prochains jours aussi. Une légère grimace déforma ses traits quand il passa sur le marchepied, puis s’installa, jambe tendue. Il préférait encore éviter de trop la fléchir.

«Je… Il réfléchit un moment. Ils n’avaient guère pu profiter l’un de l’autre à cette soirée. Je suis navré de ne pas avoir pu notifier mon arrivée. J’avais à peine le temps de dormir ou de manger, tout le reste de mon temps était consacré au domaine ou au Labret. Nous avons tous deux beaucoup de choses à nous raconter, mais je t’en prie, commence donc.»
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Ambre de VentfroidFondatrice
Ambre de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyJeu 28 Juil 2016 - 2:14
20 mars 1165, vingt-trois-heures,

« Mon époux,

J’ai remarqué quelque chose qui devrait te faire plaisir, aujourd’hui. Un simple détail, insignifiant pour la plupart des gens, sûrement superficiel pour les autres. Les bourgeons grimpant autour de la bulle ont fleuri. En remarquant cela, j’ai pris une chaise, me suis posée à une distance adéquate des fleurs, et ai sorti mon matériel de peinture. Je l’avais oublié, mais il s’agit du premier jour du printemps, ce jour. Le premier que nous vivons depuis la Fange. Crois-tu que la saison de Serus, du renouveau et de la renaissance, nous portera bonheur en ces temps sombres ? Je me plais à le croire. C’est le signe que j’ai envie de voir, dans ces pétales de couleur qui arborent désormais la bulle. J’ai envie que des touches de couleur s’étalent ailleurs que sur mes toiles, et que le monde perde la grisaille dans laquelle il semble s’être enfoncé. J’espère qu’il continuera à faire beau jusqu’à ce que tu arrives, histoire que les fleurs ne souffrent pas.

Concernant Hector de Sombrebois, en effet, nous n’avons jamais été amis, malgré la proximité de son domaine. Simples relations commerciales entre lui et les Mirail. Nous nous sommes croisés à de nombreuses reprises, bien évidemment, nous vivions tous dans le même duché. Il ne m’avait jamais confié autant de choses ; je crois, malgré nos très maigres relations antérieures, qu’il me juge très fiable et… comment a-t-il dit ? Ah, oui. Que je n’étais pas de ceux qui cherchent à leurrer, comploter et asseoir ses intérêts personnels. A l’entendre possédé-je une forme de perfection, ce fut flatteur, même si un peu désolant pour lui. Je ne suis point aussi lisse qu’il le croit. Mais, soit, si cela me permet de me rapprocher de lui pour nos affaires… Je te conterai les détails lorsque tu seras rentré, je m’étale déjà un peu trop, là – bien que je gage que tu ne m’en voudras jamais d’être inspirée lorsque je t’écris.

C’est dommage que tu ne puisses être présent chez les Clairmont, en effet. Mais j’ouvrirai l’œil pour deux, ne t’en fais pas. Je te conterai tout, là encore. Voir du monde me fera du bien je pense, en plus de m’aider à nouer quelques relations bien placées.

Je suis navrée de te le dire mon chéri, mais tu auras écrit dans le vide à propos de mon inquiétude. Tu auras beau m’exposer tous les meilleurs arguments du Royaume, me prouver la valeur de tes hommes et celle de tes sœurs – dont je ne doute point, sache-le –, que je ne pourrai pour autant pas me calmer sur ce sujet. C’est de la Fange dont nous parlons. Même les plus valeureux tombent avec cette horreur. Tu ne pourras jamais me retirer mon angoisse dès que tu quittes la sureté des remparts. Mais voyons le bon côté des choses : cela te poussera peut-être, à l’avenir, à hâter tes retours, si tu me sais inquiète de façon irraisonnée. Il ne faudrait point que cela entache ma santé, n’est-ce pas ?


Ambre pouffa légèrement à l’écriture de cette phrase. Elle avait retrouvé un entrain léger à la réception de la lettre, malgré la visite de Cassandre tôt dans l’après-midi. Morion avait parlé d’une semaine grand maximum, c’était moins précis que ce qu’avait servi la blonde, aussi la comtesse s’était demandé avec logique si la vicomtesse n’avait pas forcé le trait sur les réelles informations qu’elle possédait, juste pour l’enquiquiner. Elle n’irait pas le vérifier cela dit, la simple idée que Morion rentrait bientôt avait suffi à lui faire oublier sa rancune, même si elle n’oubliait pas qu’on lui cachait quelque chose. Elle saurait, tôt ou tard.

Passe mes vœux à tes sœurs et à Edric également, bien évidemment. La hâte du chevalier à me rencontrer m’honore, je suis moi aussi curieuse de le voir en chair et en os, lui, comme tous nos gens. Il me sera amusant de répliquer à Edric que la chaleur de feu d’une Mirail aura su faire fondre le mur de glace d’un Ventfroid, mais je ne suis pas sûre que cela te fasse plaisir si je commence à entrer dans son jeu. (Si les smileys avaient existé à cette époque, le 8D aurait eu une place fort appropriée :v.) Sortir dehors me terrifie cela dit… J’escompte améliorer mes coups de dague en ta compagnie avant de quitter la sécurité des remparts. Il n’y a bien que mes devoirs de comtesse et mon dévouement envers mon époux qui peuvent me faire faire des concessions là-dessus. Sortir est pour moi presque synonyme de mort.

J’attendrai jusqu’à ce que le destin ne décide de te remettre sur ma route, mon époux.

Je t’embrasse,

Ambre de Ventfroid. »


--

24 mars 1165


Avant la soirée chez Clairmont

Les jours se suivaient et se ressemblaient. Ambre avait désormais une date plus ou moins précise du retour de Morion : c’était pour le lendemain ou le surlendemain, il ne savait point trop encore. Autant dire qu’Ambre était fébrile, et c’était un euphémisme. Elle avait essayé de ne pas se faire trop d’espoir, se faisant la réflexion que tout et n’importe quoi pouvait encore retarder le voyage du comte. Trois semaines qu’il était désormais absent, trois semaines alors que cela aurait dû être trois fois plus court. Ils n’étaient pas à l’abri d’un imprévu. Malgré tout, la jeune femme avait retrouvé sa bonne humeur. Son mari rentrait bientôt, tout se déroulait bien au manoir et à la cité. Un mois tout pile que son paternel était décédé, et elle s’était étrangement assez bien remise. Elle pleurait encore son père, bien évidemment, et avait parfois quelques accès de mélancolie lorsqu’un détail, ou les paroles d’un domestique lui rappelaient son père. Mais la comtesse, sur le long terme, avait bien mieux accusé le coup qu’au précédent deuil. Bonne ou mauvaise chose, l’on ne savait pas trop le dire. Disons que le reste de sa vie actuelle l’avait forcée à ne point s’y concentrer, et désormais que tout rentrait un peu dans l’ordre, eh bien… le temps avait passé, et son cœur n’était plus au deuil. Au moins Morion ne retrouverait-il pas une femme abattue et dépressive en rentrant, c’était ça de pris. Ils échangeaient toujours des missives de façon assidue, une par jour.

Si la comtesse se sentait toujours fatiguée, faisant une sieste quotidienne, ses nausées s’étaient fortement réduites. Le plus souvent survenaient-elles face à un plat qui la dégoutait sans raison aucune, ou le matin au réveil, mais c’était devenu bien plus gérable. Sarah était terriblement impatiente du retour de Morion, déjà parce qu’elle aimait beaucoup le comte, mais aussi et surtout pour être présente le jour où la grossesse serait annoncée au manoir. Car la vieille femme en était persuadée, sa maîtresse était forcément enceinte. Ambre avait calmé ses ardeurs en précisant qu’elle comptait attendre le courant du mois d’avril pour y croire elle-même, le temps que sa vie se pose et que toutes ses angoisses soient retombées après le retour de Morion. Elle avait toujours peur que ses expériences récentes aient perturbé jusqu’aux chairs internes de son corps, comme cela lui était arrivé parfois. Lorsque Morion serait présent depuis deux ou trois semaines, et que la situation serait calme, si elle ne saignait toujours pas, elle lui ferait en effet l’annonce. Mais ce n’était donc encore point pour tout de suite. Ambre avait quelques scrupules à garder de tels soupçons à l’abri des oreilles de son mari. Elle ignorait s’il aurait aimé espérer avec elle ou s’il préférait justement qu’on lui en parle quand tout était certain. Ça n’était pas quelque chose dont elle avait discuté avec lui malgré leurs nombreux sujets de conversations, aussi Ambre préféra agir comme cela lui paraissait le mieux : éviter les possibles déceptions. Elle garderait le silence là-dessus encore un certain temps, même si le sujet était si important qu’elle n’était pas sûre d’y arriver facilement.

Bref, Ambre attendait son mari avec impatience, et ce fut avec un entrain certain qu’elle se prépara pour la soirée chez les Clairmont. Sa propre famille y serait présente, aussi la soirée risquait d’être plaisante en plus d’être instructive.


Pendant la soirée chez Clairmont


La stupeur. Le choc. La fébrilité. Le bonheur. L’inquiétude.
Tous ces sentiments avaient explosé en Ambre à l’instant où elle avait aperçu Morion à la soirée, et tout cela en quelques fractions de seconde à peine. Le choc, car elle ne s’attendait pas à le voir avant deux jours encore. Une lettre de dernière minute avait potentiellement été ratée alors qu’elle était partie rejoindre sa famille avant d’aller à la fête ? Le bonheur, ensuite, de voir ce visage si attendu, si désiré. Puis, l’inquiétude en posant les yeux sur la canne ouvragée, et le boitement évident du comte.
Elle était restée immobile, lâchant sa nièce qui courait encore autour d’elle en gloussant. La petite avait suivi le regard de sa tante, reconnu l’oncle Morion, mais face à la réaction d’Ambre, elle avait pris un peu peur et s’était cachée derrière la robe de la rousse. Sans même s’en rendre compte, Ambre avait délaissé Juliette, ignorant la petite quenotte qui s’agrippait à la robe.
Cela avait été dur, très dur. La comtesse voulait lui sauter dans les bras, l’écraser contre un mur, l’embrasser passionnément et oublier tout le reste. L’étiquette interdisait de tels épanchements en public malheureusement, même entre deux époux. Et la jambe blessée du comte n’aurait sûrement pas supporté un tel assaut. Alors, avec une retenue très douloureuse, très frustrante, Ambre s’était rapprochée. L’avait embrassé, chastement. Avait échangé des mots joyeux, quoique teintés de froncements de sourcils face à sa blessure. Mais la soirée empêchait de faire plus. L’on voulait voir l’un des héros du Labret, l’on demandait partout sa présence, et bientôt une autre affaire touchant directement les Clairmont les tiendrait longtemps à l’écart d’une intimité longtemps désirée.

Les quelques heures de cette soirée furent sûrement les plus frustrantes de son existence.


Après la soirée chez Clairmont

L’affaire de Clairmont avait pris un certain temps. Il fut tard lorsque les deux époux purent enfin s’éclipser, et retrouver une forme d’intimité. Dès que les regards externes s’étaient faits absents, Ambre s’était rapprochée de son époux le plus possible. Se coller conte lui ou prendre son bras pour marcher jusqu’à la diligence avait été impossible cependant, à cause de la canne du comte et de ses boitements. Ambre l’aida comme elle put à s’installer dans la diligence, et resta silencieuse le temps qu’il parla.

Quelques secondes supplémentaires passèrent, durant lesquelles elle observa le comte. Son visage, légèrement amaigri, fatigué. Sa jambe tendue, visiblement douloureuse après cette longue soirée passée debout. Alors que la diligence eut un soubresaut, annonçant le départ, Ambre se colla contre son époux, toujours sans mot dire. Sa main droite glissa entre les mèches châtain, passant au-dessus de l’oreille pour s’ancrer fermement à l’arrière du crâne. Sa prise fut assurée en un instant. Alors, elle se pencha pour l’embrasser.

Ce fut un soulagement terrible. Toute la tension d’attente s’était envolée brusquement, toute son inquiétude, tout son manque. Elle huma avec une fébrilité non dissimulée son odeur, qu’elle n’avait pas sentie depuis des semaines. Ses lèvres goutèrent à nouveau à celles du comte. Elles étaient plus sèches qu’avant, témoins de sa mauvaise forme. Mais leur goût était le même, le plaisir identique, la chaleur aussi. Elle coula contre lui, gémit doucement – un gémissement de joie pure, rejoignant presque en intensité le moment où elle avait pleuré de bonheur en lisant sa première missive, celle qui assurait sa survie. Sa langue brisa la barrière de ses lèvres et de ses dents, et elle l’embrassa longuement, langoureusement. L’étreinte dura. Beaucoup. Ambre n’arrivait pas à s’arrêter. Cela n’était jamais assez, et elle semblait vouloir rattraper trois semaines d’absence en un seul baiser. L’étreinte dura tant, en fait, que la voiture tirée par les chevaux s’arrêta dans un freinage léger devant leur manoir, sans qu’ils n’aient encore échangé un seul mot. L’arrêt ressenti força la comtesse à retirer ses lèvres cependant. A quelques centimètres du visage du comte, elle murmura :

- Ton arrivée imprévue est une bonne surprise, Morion. Très agréable, même si la soirée l’a rendue particulièrement frustrante. J’ai cru devenir folle, à te voir évoluer parmi les invités sans pouvoir te parler de façon intime, sans pouvoir te toucher. Ses lèvres revinrent butiner celles du comte un instant. Ne refais plus jamais ça.

Ambre soupira d’aise contre lui, la main toujours dans ses cheveux, l’enlaçant avec insistance, comme un alcoolique retrouvant sa bouteille.

- Nous avons beaucoup de choses à nous dire en effet. Je ne suis pas sûre de vouloir tout évoquer maintenant. En revanche… La prise de ses doigts autour des cheveux du comte se fit plus ferme, tiraillant sur les racines, dans un mouvement censé être menaçant. Tes « égratignures » semblent bien plus importantes que prévu. Le ton du reproche courait dans sa voix, alors qu’elle baissait les yeux sur la canne du comte. Pourquoi m’avoir caché une chose pareille ? Sais-tu que j’ai souffert autant voire plus que si j’avais su ? souffla-t-elle, triste. Tu étais bien trop évasif dans tes lettres, et Talen, même s’il n’a pas parlé, sait bien mal garder un secret. Je sentais qu’il y avait quelque chose de grave, sans savoir quoi. Cela m’a bien plus affectée que ce que tu peux penser. Tu es un crétin, Morion de Ventfroid. Ça non plus, ne le refais jamais plus.

Il avait de la chance. Ce soir, le soulagement et le bonheur de son retour matait sa colère et sa rancune. Elle aurait pu être bien plus explosive.

L’on toqua contre la diligence, et Ambre sursauta. Leur conducteur s’impatientait visiblement ; un moment que la voiture était arrivée, et que personne n’en sortait.
Ambre aida Morion à quitter la calèche après un nouveau baiser. Elle était réellement peinée de le voir dans un état pareil. Comment était-ce arrivé ? Elle voudrait tout savoir. Avant de sombrer à nouveau dans une étreinte incontrôlable ou une discussion intarissable, Ambre entreprit de le soutenir jusqu’à ce qu’ils soient arrivés à bon port : c’est-à-dire dans leur chambre. Hors de question qu’elle le laisse debout dans un tel état, pas après la soirée Clairmont. Il avait besoin d’être allongé, et confortablement.
Un obstacle de taille se présenta à eux néanmoins. Ambre blêmit lorsqu’ils arrivèrent au pied des escaliers. Il y avait deux étages à grimper. Elle regretta que Talen soit déjà couché, il aurait été d’une grande aide.
Ce fut difficile, et laborieux. Ambre eut mal au cœur de le voir souffrir. Car s’il faisait tout pour ne pas le montrer, sa blessure était encore douloureuse, c’était évident. La comtesse frissonna d’imaginer dans quel état de gravité avait pu se trouver la plaie si après trois semaines tout paraissait encore si inquiétant.

Lorsqu’ils furent en haut, après moult difficulté et lenteur, Ambre força rapidement le comte à s’asseoir sur leur couche. Seulement une fois qu’il fut à l’aise, elle partit rallumer les torches, et raviver le feu qui était mourant dans l’âtre. Quand cela fut fait, elle détacha la fibule de sa cape, déposa cette dernière sur le dossier d’un fauteuil, et revint auprès de son époux. Elle s’assit à ses côtés, cueillant ses lèvres, encore et encore. Sa main glissa jusqu’à la cuisse blessée du comte, l’effleurant à peine par-dessus les chausses. Sa paume se posa doucement dessus.

- C’est toi qui vas commencer à raconter. Comment est-ce arrivé ? murmura-t-elle d’un ton à peine audible. La guerre, Morion… Qu’as-tu vécu ?

Elle n’avait rien eu comme détails ou presque, dans les lettres. D’un geste tendre, Ambre tapota doucement les coussins de leur couche, incitant l’homme à venir s’allonger. Elle souhaitait faire de même, contre lui, enlacée. Peut-être allaient-ils parler des heures, et elle ne souffrirait plus d’une seule distance physique, pas même de quelques centimètres.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyJeu 28 Juil 2016 - 3:48
Il accueillit avec autant si ce n’est plus de soulagement les attentions de sa femme, auxquelles il répondit avec une égale tendresse, une égale ferveur. Il disposait de moins de liberté de mouvement, mais ne se priva en rien de savourer chacune de ses caresses ou de ses baisers. Il avait gravé en mémoire chacune des sensations auxquelles il avait goûté avant de partir au combat, qu’il s’agisse de son odeur, de la douceur de sa peau, de la saveur de ses lèvres, du contact de ses mains ou de la proximité de son corps. Et pourtant, il les redécouvrait, littéralement. Pendant trois semaines son nez avait été empli d’odeurs toutes plus nauséabondes les unes que les autres. Les bêtes, et les hommes trimant et suant sous le soleil pendant la procession. L’odeur de fumier lâché par les chevaux qui s’accumulait peu à peu. Le sang, la putréfaction, la mort, la chair brûlée. Et cette odeur métallique et doucereuse caractéristique de la maladie. Des odeurs auxquelles il avait fini par ne plus faire attention tant elles étaient imprégnées en lui. Même les parfums citadins, parfois assez mauvais d’ailleurs, de Marbrume, à son retour, n’avaient pas réussi à les déloger. Ni même les odeurs entêtantes et printanières du Manoir de Clairmont, où quelques senteurs florales timides se mêlaient à celles de l’herbe fraîchement coupée, et aux parfums des nobles dames qui étaient présentes. Et si ces odeurs, ou au moins leur souvenir, mettrait un certain temps à partir, il se retrouvait dans un élément olfactif et tactile qu’il connaissait, et qu’il appréciait énormément. Ironiquement, il se sentait presque… rouillé, lorsqu’il embrassa à nouveau, sincèrement et langoureusement, après trois semaines sans l’avoir vue, sa femme. Mais l’habitude revint en force, et s’il manquait encore un peu de souffle ou si ses lèvres étaient légèrement fracturées, il ne souhaita se délier d’elle à aucun moment.

«J’irai donc demander dès demain au Duc une dispense de toutes les prochaines missions qu’il ordonnera afin de ne plus avoir à t’infliger pareille frustration, alors.
Un sourire timide, spectral même, fleurit sur ses lèvres. Voilà une habitude qu’il avait réellement perdu. En dehors des missives de sa femme, qui lui apportaient à intervalles réguliers un instant de paix, de joie aussi, toute ténue soit-elle au milieu de tout ce qu’il pouvait ressentir, il n’avait pas eu une seule fois la force ni l’envie de sourire. Trop épuisé, trop contrarié, trop préoccupé. Il ne savait pas trop. Néanmoins, je doute qu’il accède à ma demande.»

Il haussa un sourcil à sa remarque, ou plutôt son reproche suivant. Il avait attendu cette scène, il y avait de toute façon peu de chance qu’il y échappe. Un faible haussement d’épaules ponctua sa réponse. Son regard coula avec celui d’Ambre sur l’appui de bois et d’argent dont il se servait désormais pour marcher. Un bref soupir franchit ses lèvres.

«Qu’aurais-je pu faire ? L’on m’a ramené à notre camp à moitié mort, en train de me vider de mon sang. Son regard se durcit légèrement. Il ne gardait que peu de souvenirs de la fin de la bataille. Il avait été conscient jusqu’à la toute fin, mais son esprit avait probablement sombré à plusieurs reprises. Te conter mon parcours entre ce monde ci et celui d’Anür ? Narrer les atrocités du combat, si poignantes qu’elles m’en ont rendu malade ? Il soupira doucement. J’étais en vie, c’était le principal. Je préférais que tu ignores les détails plutôt que tu finisses par te mettre en tête de me rejoindre au plateau. Il plissa les yeux. J’espère ne plus jamais être blessé de cette façon, mais si jamais ça arrive, je ne dirai rien sans avoir la certitude que tu pourras garder ton calme. J’ai failli mourir une fois, je ne compte pas recommencer.»

La montée des marches de leur demeure, qu’il retrouvait avec un plaisir certain, fut également une belle épreuve. Néanmoins, il avait du parcourir un chemin bien plus long pour quitter son château, et s’il avait failli chuter dans les marches et finir fracassé dans le hall d’entrée comme un idiot, il s’en était très bien tiré. Cela prendrait un peu de temps, certes, mais ne serait pas insurmontable. La soirée ne l’avait en revanche guère aidé. Il avait passé la nuit debout, quasiment, et avait au total parcouru plusieurs centaines de mètres à force de faire des allers retours, un peu partout dans le jardin de la demeure des Clairmont. Il était résistant, cependant, et l’envie de retrouver leur nid conjugal l’aidait tout de même grandement à passer ces petites barrières de pierre, qui de son oeil avaient un air de montagne. Une marche après l’autre, s’appuyant avec véhémence sur sa canne, il grimpa. Réveiller un seul des domestiques de la demeure était hors de question. Il ne voulait ni qu’on le pense diminué, même si physiquement, il l’était, ni qu’on l’assiste comme un infirme. L’aide de sa femme était déjà de trop, à son goût, même s’il ne fit aucun commentaire. Fierté ou non, il ne se fit pas prier pour s’asseoir une fois arrivé à destination. Jambe tendue, il laissait les battements de son coeur se calmer, et reprenait son souffle. Ce n’est pas tant l’effort que sa répétition et sa durée, qui lui avaient sapé ses réserves d’oxygène. Et la fête des Clairmont était un fait qui jouait en sa défaveur.

Il n’avait pas envie de lui raconter. Pas maintenant, en tout cas. Trois semaines s’étaient écoulées, mais le travail et ses inconsciences avaient été si nombreux que cela lui donnait l’impression que trois jours seulement s’étaient écoulés. Se remémorer ces événements était encore très difficile. Néanmoins, après un tel silence, et de si longues journées passées loin d’elle, elle méritait de savoir. Elle était son épouse. A cela aussi, il allait falloir qu’il s’habitue totalement.

«Ca a bien commencé, au début, finit-il par lâcher. Il délaça le col de sa chemise, qu’il finit par laisser tomber sur la couche. Il avait encore de nombreux bleus, dus autant à des chutes de maladresse qu’à certains forts hématomes - la marbrure laissée par le fangeux en était à un stade rouge vif légèrement teinté de violet - qui disparaissaient peu à peu. Les éclaireurs n’ont signalé que quelques attaques, tout au long de la journée. Nous avions pour beaucoup conscience qu’une attaque d’envergure n’aurait aucune chance d’aboutir avant le coucher du soleil, mais de nombreux fangeux sont tout de même sortis des bois, c’était… Etonnant, et inquiétant.»

Il recula légèrement sur la couche, s’aidant de ses mains et s’y allongea de tout son long, sur le dos, invitant Ambre à le rejoindre d’un bras tendu. Leurs étreintes, les plus chastes d’entre elles y compris, lui avaient manqué. Il marqua une brève pause dans son discours le temps de s’installer, puis repris.

«C’est un fangeux qui m’a fait ça, tu t’en doutes bien.
Il fronça les sourcils. J’étais à l’arrière garde en train de mettre mes hommes et les paysans en garde contre l’imminence d’une attaque quand un soldat a donné l’alerte. C’était… Il ferma les yeux quelques instants, rapprochant un peu plus Ambre de lui, si tant est que c’était encore possible. La mort bondissait, hurlait à nous, et nous étions totalement impuissants à la ralentir. Les soldats grossissaient peu à peu notre phalange, mais c’était risible. Quand ils se sont abattus sur nous.. Nous avons résisté comme nous avons pu. Les hommes tombaient comme des mouches. Qu’ils soient ou non soldats. Personne ne nous avait préparé à une centaine de fangeux affamés se jetant tous crocs dehors sur nous. Nos armes étaient inutiles, et nos armures n’étaient pas mieux. La procession a été coupée en deux, littéralement. Ceux qui ont fui, et ceux qui sont tombés. Quelques uns ont survécu, mais la totalité de l’arrière garde a été détruite en même pas une heure. Ce n’était pas une guerre Ambre, c’était un massacre. Je n’ai guère d’autre mot. Il se massa légèrement la tempe, faisant le tri dans ses souvenirs chaotiques. Distraite, sa main caressait le dos de son épouse, lentement. Talen et moi nous sommes retrouvés encerclés sans même nous en rendre compte. A un moment nous étions en train de lutter, accompagnés de soldats, et la seconde d’après, la marée fangeuse nous submergeait. Certains sont venus à notre secours mais… Un faible haussement d’épaules signifia fort mieux que des mots l’utilité de la chose. Je me souviens bien du fangeux. Quand un coup pareil est inéluctable, le temps ralentit. Une sensation très étrange. Je savais que je ne pouvais pas défier la mort plus longtemps, et j’ai sincèrement cru ma dernière heure arrivée. Il a fort heureusement manqué d’élan mais… Il désigna d’un geste bref l’emplacement de sa blessure, sous ses chausses. Qu’il s’agisse de l’armure, ou encore de mes chairs ou mon muscle… Apparemment ça n’était que du parchemin, pour cette bête. Il a traversé le tout d’un seul geste. J’ai continué à me battre jusqu’à ce que les renforts soient suffisants pour autoriser ma retraite mais… Il serra légèrement les dents. Ce n’est pas en les affrontant que nous réussirons à vaincre et survivre. Nous n’avons pas la moindre espèce de chance de réussir quoi que ce soit contre eux. Une centaine d’entre eux a failli tous nous exterminer, et ils sont des dizaines de milliers, peut-être plus.»

Il fouilla doucement dans sa poche, de sa main libre, et en sortit une boule de tissu, soigneusement repliée. Il la posa sur son ventre et la déplia doucement. Quelques morceaux de verres épars, tâchés de sang pour certains, et le goulot, seule partie intacte, de la fiole qu’Ambre lui avait confié.

«Celui qui m’a blessé a eu droit à une pleine gorgée d’eau d’Anür. C’est sûrement ce qui l’a dissuadé de retenter une nouvelle attaque contre moi. Ton présent m’a réellement sauvé la vie, je te l’ai dit.»

Morion prit quelques secondes pour reprendre sa respiration, dispensant assez peu d’aussi longues paroles.

«Suite à l’opération… le fangeux, ou je ne sais quoi, m’a rendu malade. La plaie a commencé à pourrir, si bien que j’ai du faire retirer les chairs. Et l’orage l’a trempée, m’empêchant de la faire refermer, à cause des chairs imbibées et fragiles. C’était… J’ai connu un certain nombre de combats, parfois de grandes ampleur. Mais ça ? Je ne sais même pas comment on peut le qualifier, sinon d’horreur.»
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyJeu 28 Juil 2016 - 19:27
Un sourire triste effleura le visage de la comtesse lorsque Morion évoqua avec humour une demande au Duc pour le garder à l’écart. C’était peu honorable, peu digne d’un seigneur et de ses devoirs, mais d’un côté cela la soulagerait. Mais les Ventfroid avaient leur honneur ; Ambre le possédait également. Sinon, elle aurait réagi bien plus férocement en apprenant que Morion comptait agir au Labret. Non, elle s’était résignée, inquiète, mais ferme dans ses entreprises. Que serait son mari s’il n’agissait pas ainsi ? Un couard. Elle n’avait point épousé ce genre d’homme, et espérait bien qu’il continue à être Morion de Ventfroid. Cependant le zèle du comte était parfois trop extrême. Ambre ferait tout pour museler ses accès téméraires, ou son entêtement. Là, le jour de leurs retrouvailles, cela concernait cette blessure qu’il avait passée sous silence.

- Que j’ignore les détails… Ambre pesa les mots, comme si elle les goutait, prenait le temps d’en distinguer les saveurs. Son air était songeur, quoiqu’un peu sombre. Je ne suis plus une enfant, Morion. Je n’ai plus à être préservée. Si tu te trouvais dans un état proche de la mort, je serais outrée de ne pas pouvoir t’adresser mes derniers mots, et partager les derniers instants avec toi, comme je l’ai fait avec mon père. Elle fit une pause, un instant submergée par l’émotion. Tout se mélangeait en elle. Le soulagement de son retour, la joie, la tristesse, une légère rancune. Alors ne fais plus l’égoïste ainsi, je te prie. Nous sommes mariés désormais. Le prêtre nous a liés pour la joie de notre foyer mais aussi pour surmonter les épreuves. Je ne veux plus être laissée à l’écart. Pas lorsque cela concerne ta vie. Et ne fais pas preuve de mauvaise foi ; car s’il devait m’arriver quelque chose de similaire, je sais que tu étranglerais Talen de ne pas t’avoir prévenu à temps. Crois-tu vraiment que j’aurais apprécié si tu avais succombé de tes blessures après trois semaines, trois semaines durant lesquelles j’aurais pu être avec toi ?

Elle faillit répliquer que Cassandre avait été mise au courant, elle, mais elle se retint. Cette impression d’être secondaire réveillait en elle des sentiments étranges. Une pointe de jalousie couvait, mais elle se refusait à l’admettre, même à elle-même. Comment pouvait-il rester si calme, si froid sur ce sujet ? « Je ne dirai rien sans avoir la certitude que tu pourras garder ton calme. » A l’entendre était-elle une gamine, qui hurlait à la moindre contrariété. Pourtant n’avait-elle jamais fait preuve d’immaturité en sa présence, jamais… Et malgré l’angoisse de son absence, elle était restée calme. Plus abattue que réellement folle, et les domestiques n’avaient pas souffert d’un excès d’irritabilité. Ils étaient plus peinés de la voir malheureuse, mais elle ne leur avait jamais rendu la vie dure. Malgré les raisons assez compréhensibles et bien argumentées du comte, Ambre ne put que difficilement passer outre – de fait, elle lui avait expliqué son ressenti. De plus, les prochaines fois où il serait dehors, son inquiétude ne serait pas améliorée, bien au contraire, désormais qu’elle savait qu’il était capable de mentir pour la préserver. Les voyages répétés de Morion en-dehors de la sureté des remparts risquaient un jour de poser problème dans leur couple. A l’instant présent cela dit, Ambre était trop heureuse. Heureuse de le retrouver enfin près d’elle. D’entendre le timbre de sa voix, voir ses mimiques, sentir son odeur, serrer ses mains… Grands dieux ce que cela lui avait manqué. Elle était fébrile, et avait du mal à contenir son soulagement. Seule la blessure du comte constituait un obstacle à des effusions plus violentes, mais c’était un détail d’importance. La jeune femme se contint avec difficulté, avec frustration, mais elle se contint.

Dans leur chambre, au début, elle sentit l’homme distant après qu’elle eut évoqué le Labret. De toute évidence, se remémorer l’instant n’était pas quelque chose qui lui plaisait, ni quelque chose qu’il souhaitait conter. Devant son implication, néanmoins, il termina par lâcher un soupir et répondre. Quand il délassa sa chemise pour lui montrer les dégâts en commençant son récit, Ambre écarquilla les yeux, retenant son souffle. Elle fronça les sourcils, tendit une main un peu tremblante, qui vint se poser sur le torse de son mari, effleurant du bout de la pulpe de ses doigts les marques violacées qui s’étendaient çà et là. Par les Trois. Elle se demandait ce qui était le pire, entre ça et ses cicatrices dans le dos. Les cicatrices au moins avaient le mérite de ne plus être douloureuses…
Ambre imagina avec horreur tous les coups qui avaient pu entraîner de telles marques. Depuis le décès d’Armand et plus récemment de son père, la jeune rousse s’était endurcie, et les choses qui pouvaient l’atteindre devenaient de plus en plus rares. Lorsque cela concernait Morion cependant, ses émotions semblaient faire une entorse à la règle. Voilà désormais cinq mois qu’ils se fréquentaient assidument, dont presque deux mois de mariage – même si le comte avait passé une bonne partie de cette période loin d’elle. Indéniablement, elle s’était attachée à l’homme, et plus encore depuis qu’ils partageaient plus que de simples paroles. Aussi, voir son époux aussi meurtri dans sa chair… Elle resta un long moment muette, perturbée, concentrée sur les paroles de son mari certes, mais son regard ne pouvait pas se détacher de ce torse transformé en un vrai patchwork de couleurs. Même lorsqu’il s’allongea et qu’elle le rejoignit, elle ne vint pas tout de suite blottir son nez dans le creux de son cou, comme elle avait appris à aimer avant qu’il ne la quitte. Elle resta appuyée sur le côté, tournée vers l’homme, gravant dans son esprit la vision de ce corps blessé. Ambre touchait la peau, l’effleurant de caresses aériennes pour ne point lui faire mal. Cette vision était difficile. Quand elle ne supporta plus d’imaginer toutes les horreurs qui avaient été responsables de tels coups, et par extension d’une telle douleur, elle termina par s’allonger complètement contre l’homme, et savourer l’étreinte de ses bras. Silencieuse, toujours, alors qu’elle l’écoutait conter ce jour maudit.

- Une centaine… Si peu de monstres en comparaison de la procession, et pourtant, tant de morts… Penses-tu qu’un nombre plus important de miliciens aurait changé quelque chose ?

Son imagination d’artiste voyait la scène en pensées, alors que sa main avait repris des caresses machinales contre le torse de son époux, comme elle le faisait toujours lorsqu’ils étaient enlacés l’un contre l’autre, et que le comte était à moitié nu.

Quand il sortit les morceaux de la fiole d’Anür qu’elle lui avait offerte, Ambre frissonna légèrement. Une certaine fierté courait dans ses veines à savoir que cette toute petite chose lui avait permis de survivre. Mais, même temps, cela la figeait de peur. Si elle ne lui avait pas fourni ce présent, il serait mort. La vie tenait parfois à des hasards, des coïncidences, et c’était parfois terrifiant d’en prendre la pleine mesure.

- Je n’oublierai jamais de t’en fournir d’autres, à chacune de tes absences, souffla Ambre, soulevant entre l’index et le pouce de sa dextre un morceau de verre brillant. Je suis heureuse qu’Anür ait été avec toi ce jour-là. Le souvenir de la soirée durant laquelle elle lui avait donné la fiole flotta un instant dans son esprit, et lui rappela autre chose. Son regard, posé sur sa main levée qui faisait miroiter le verre sous les lueurs des torches, se décala légèrement, pour glisser du morceau de verre à la bague qui ornait son majeur. Ambre se redressa un instant pour libérer son autre bras. Assise sur la couche à côté de son mari, elle entreprit doucement de retirer la chevalière des Ventfroid. Je te rends ce qui te revient de droit. Tu as tenu ta promesse, mon époux. Tu es revenu, murmura-t-elle. Merci.

Elle tint en l’air le bijou jusqu’à ce que Morion la prenne. Après quoi, ses yeux se baissèrent sur ses chausses, et se posèrent sur l’endroit de la cuisse qu’elle supposait blessé. Les propos de Morion lui firent froncer les sourcils. Il avait été malade, disait-il ? Sa plaie avait pourri ? Il avait donc fait partie de tous ces hommes aux maux étranges qu’il avait décrits dans ses missives ? Une pensée, sombre, qu’elle ne put empêcher de s’accrocher dans son esprit, fusa.

- Comment as-tu été blessé ? Etait-ce une morsure ?

Ambre était restée un peu figée, le regard toujours baissé vers les chausses, redoutant de relever les yeux sur le visage du comte. Les mordus se relevaient, après leur mort. Cela avait été observé de nombreuses fois. A dire vrai, la plupart pensait aussi qu’une griffure profonde était suffisante, même si le niveau de preuve était beaucoup plus aléatoire. Ambre craignait que Morion ait vu la fange de trop près. Le comte n’avait pas besoin qu’elle pose la question tout haut, il était aisé de deviner quelle idée avait germé dans son esprit avec la dernière interrogation. Imaginer que son homme se relèverait un jour, les yeux fous, toutes griffes dehors… Qu’il faudrait le tuer de sang-froid pour lui accorder le repos éternel… C’était une vision insupportable.
Ambre serra doucement les doigts autour de la lisière des chausses de son époux. Si dans un autre contexte le geste aurait pu avoir une signification beaucoup plus charnelle et désirable, là, c’était une simple façon de se calmer et d’empêcher son appréhension de prendre le dessus. Doucement, elle tira sur les lacets des chausses de son époux. Progressivement, elle le déshabilla, dans une volonté strictement désintéressée – pour l’instant. Lorsque les chausses eurent libéré ses jambes, Ambre posa une main sur le bandage serré autour de la cuisse.

- Puis-je ? souffla-t-elle.

Elle voulait voir. La jeune femme avait vu de ses yeux l’une de ces créatures, avait senti l’odeur de pourriture et de mort qui s’en échappait. Elle voulait voir l’aspect de la blessure, pour se rassurer ou… pour mieux accuser le coup dans l’autre scénario.
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyVen 29 Juil 2016 - 3:55
Ambre lui posait de cruels dilemmes. Sur le principe pur, il n’avait rien contre le fait de lui narrer avec une fidélité picturale les événements auxquels il pouvait bien assister ou participer lorsqu’elle n’était pas avec lui. Là n’était pas le problème, évidemment. Lorsqu’il mentait, c’était par intérêt, dans le but d’obtenir quelque chose de précis, ou tout simplement de dissimuler des choses dont la connaissance par un tiers aurait des effets néfastes sur lui-même ou sa famille. Dont Ambre faisait maintenant partie en tant qu’épouse. Le dilemme qui l’agaçait un peu était surtout que s’il ne disait rien, les retrouvailles ne manqueraient pas de rétablir la vérité quoi qu’il arrive, comme cela avait pu être le cas aujourd’hui. Et s’il lui disait tout, il prenait cette fois le risque de lui laisser en prendre, et d’inconsidérés, pour venir à son chevet. Lui vint à l’esprit le temps abominable qui avait suivi la réussite de l’opération. S’il avait tout dit, s’il avait laissé les détails sur papier, qu’est-ce qui lui disait que mue par l’angoisse ou dans la précipitation des choses, elle n’aurait pas pris la route ? Et de toute façon, il avait été peu conseillé de prendre la route du Labret, même juste après l’orage. Les escouades du Duc envoyées après l’opération avaient elles aussi subi leurs propres pertes. Non car les morts se relevaient (encore que), mais aussi parce que l’orage n’avait pas manqué de les surprendre eux aussi, et que si le plateau avait été attaqué à plusieurs reprises, il n’y avait aucune chance pour que des troupes plus isolées échappent à la faim de leurs prédateurs. Si Ambre avait vécu la même chose... Il avait vu de très près ce dont ces choses étaient capables. Il avait envie de l’emmener à son domaine, de lui présenter son autre soeur, de lui faire visiter son château et ses terres, de la faire connaître à tous ceux qui avaient à un moment souhaité le mariage du Comte et qui maintenant, se demandaient quelle mystérieuse enchanteresse avait bien pu faire ployer l’inflexible Morion. Il en brûlait d’envie. Mais de façon immédiate, il n’y avait aucun espoir pour qu’il la traîne dehors avec ce qu’il s’était passé. Cela viendrait, mais Morion devrait déjà attendre de calmer ses propres peurs, encore vivaces.

«Je ferai de mon mieux,
concéda-t-il. Mais peu importe la gravité de la situation, ne prends jamais le moindre risque inconsidéré. Si tu te retrouves toi aussi dans une posture dramatique, je ne veux même pas imaginer ce qu’il arriverait de notre Maison, ou de nos enfants quand nous en aurons. Il plissa légèrement le regard en l’observant. Tu es une Ventfroid, Ambre. Si je ne peux me tenir sur la marée de cadavres témoin des derniers sursauts de l’humanité, tu le feras à ma place. Et si ce doivent être nos enfants, tu dois rester pleine et entière pour les élever. Je t’épargnerai le moins de détails possible, à l’avenir. Mais ne te mets jamais en danger sous prétexte que je le suis également. Peu importe le désir que nous avons de nous voir. Il tapota légèrement sa tempe du bout de l’index tendu. Pensons d’abord, ressentons ensuite, même si cela est difficile. Tu l’as dit, nous sommes mariés. Et nous sommes tous deux à la tête d’une vaste dynastie, que nous devons faire perdurer. Je n’accepterai pas qu’il t’arrive quoi que ce soit. Et c’est l’unique chose qui motive mes euphémismes. Rien d’autre.»

--

Tandis qu’il parlait, et que l’attention d’Ambre était toute dirigée sur les blessures visibles dont il avait hérité, sa main vint presser la sienne, doucement. Qu’elle ne se montre pas timide, elles faisaient bien moins mal qu’avant. Une douleur sourde, tout au plus, qu’elle ne pourrait raviver qu’en tapant dessus. Ce qu’elle ne semblait heureusement pas disposée à faire.

Sa question ne manquait pas de pertinence, et après coup, tout le monde se l’était posée. Mais, quand il s’agissait de mettre des hommes à mort, les fangeux semblaient doués d’une intelligence toute cruelle, mais remarquable. La preuve en était qu’une centaine seulement avait quitté les marais, après les premiers groupes, alors que toute la fange occupant le duché aurait finalement pu leur sauter dessus. Les diversions de Noblecoeur avaient eu un certain impact, il ne fallait pas le nier. Mais si les colons avaient été plus nombreux, alors il en aurait probablement été de même pour les créatures. C’était ce que Morion pensait, en tout cas. Il ne voyait jamais l’homme vainqueur, lorsque l’on parlait de fangeux. Tout du moins, s’il le voyait éventuellement avant, cette vision l’avait définitivement quitté. Ils pourraient faire tout ce qu’ils voulaient, la seule chose qu’ils feraient, finalement, serait de retarder un peu leur chute. Un sourire fade naquit sur ses lèvres. Il n’exprimait aucune joie, seulement une forme de résignation obscure.

«Malheureusement je ne pense pas. Les fangeux auraient continué à sortir de l’ombre, à nous bondir dessus… Plus d’hommes armés aurait signifié plus de victimes, plus de fangeux potentiels. Ses mains ralentirent leurs caresse, pendant qu’il tentait d’imaginer le résultat d’une troupe plus imposante. Il se ravisa presque aussitôt, et reprit, un peu brusquement peut-être, les allers et venues indolentes de ses mains. A moins ils nous auraient exterminés, à plus le résultat aurait été similaire, si ce n’est que cela aurait un peu plus affaibli la ville en notre absence. Des semaines à nous préparer et… Tout ça pour presque rien. Personne n’attendait un tel assaut.»

Et il aurait aimé ne plus jamais en voir de pareils. Personne ne savait comment fonctionnait un fangeux. Une réelle harde les avait attaqués le trois mars, mais possédaient-ils des rudiments de stratégie ? Une part humaine subsistait-elle en eux ? Une forme basique, primale d’intelligence, leur permettant de jauger leurs proies avant de les attaquer, un peu comme chez les animaux ? Le comte se posait, ironiquement, de plus en plus de questions face aux créatures qui l’avaient attaqué, blessé, quasiment tué. Son esprit était fort partagé. Une part de lui, profondément marquée par ce jour, se renfermait, se bloquait et se gelait afin d’y penser le moins possible, horrifiée par ce qu’elle avait vu. Une autre, plus détachée, plus pragmatique aussi, mettait tout ceci de côté pour se focaliser sur le plus important : le présent, et leur futur proche. Quant à la troisième, et pas forcément la moindre, elle avait acquis une fascination morbide pour ces créatures. Etrange d’en parler ainsi après ce drame mais… elles l’intéressaient au plus haut point. Et sérieusement.

Sa main déposa les fragments de verre sur la table de chevet à proximité de la couche, et se releva ensuite. Il glissa doucement son index dans l’espace prévu pour de la bague, et la rabattit sur sa base d’un mouvement sec du pouce. Sa place était là, et symbolisait son retour officiel, quelque part. Il retrouvait avec une joie certaine le poids de l’argent massif, les défauts de conception, l’usure et l’aspect poli du bijou, nettement plus vieux que quiconque dans cette maudite ville, plus vieux que ce duché maudit également, et les aspérités de la pierre taillée. Il ne doutait point que sa femme en avait pris un soin tout particulier. Un second sourire, plus sincère cette fois, vint légèrement égayer la pâleur de son visage. Il baissa les yeux vers Ambre, et vint déposer un baiser chaste, tendre, au sommet de son front.

«Merci à toi, rétorqua-t’il, si je n’avais pas eu cette fiole, il m’aurait été impossible de tenir cette promesse.»

Morion resserra ensuite doucement sa prise sur sa femme. Un acte qui se voulait rassurant. Lui-même n’aurait pas été si désinvolte vis à vis de sa blessure si effectivement il s’était agi d’une morsure. Bien qu’horriblement réticent à l’idée, il aurait probablement demander sans ciller une amputation immédiate. Pour écarter tout risque éventuel. De nombreux autres avaient été mordus et avaient survécu, et le comte les avaient rencontrés. Ils semblaient avoir perdu toute volonté de vivre. Ce n’était pas une séquelle directe de la blessure. Simplement, tout comme la pensée traversait Ambre, les soldats surtout, savaient que les mordus devenaient parfois eux-mêmes des revenants une fois leur dernière heure arrivée. Et ce risque était presque plus terrifiant en lui-même que s’il se réalisait pour de bon. Comment combattre sereinement un ennemi, une maladie, quand la mort pouvait vous emporter, et vous faire revenir quelques minutes plus tard, sous une forme honnie et bien plus menaçante ? C’était impossible. De nombreux avaient voulu qu’on les brûle sur le champ pour éviter le moindre risque. Un acte dont la bravoure était aussi grande que la stupidité qui l’accompagnait. Néanmoins, il ne pouvait que comprendre leur abattement et leur peur. Elle était légitime.

«Une simple griffure. Même si dans le cas d’un fangeux, un coup d’épée asséné par un chevalier aurait fait nettement moins de dégâts. Je ne risque rien, ne t’en fais pas. Au pire, une douleur aigüe pendant encore un moment. Je n’ai pas ménagé ma jambe, et elle me le fait payer. Mais c’est… Enfin ce n’est pas grand chose. J’ai eu beaucoup de chance.»

Et c’était vrai. Sans la fiole, sans l’ardeur du comte à rester sur son cheval pour conserver un avantage de position, il aurait probablement été mordu ou tué. Voire les deux. La frappe du fangeux ressemblait, avec le recul, à une frappe de dépit, la créature se sentant proche de mourir, laissant un dernier souvenir cuisant à son meurtrier. C’était de bonne guerre, aurait dit Morion s’il avait été d’humeur à plaisanter sur le sujet.

Il hésita, un moment, à accéder à sa requête. Il ne voulait pas lui montrer la raison de sa faiblesse, ou de toutes ces demi-vérités concernant son état, quand il n’avait pas carrément délibérément omis de signaler les quelques problèmes de santé qu’il racontait. Mais justement. En vertu de tout ce qu’il n’avait pas dit, et maintenant qu’il était de retour chez lui, sain et sauf, en la présence de celle qui lui avait tant manqué ces dernières semaines, il lui devait bien. Et elle le verrait tôt ou tard, de toute manière. Il la laissa retirer ses chausses, étouffant un grincement crispé lorsque le tissu passa sur le bandage. Il se redressa doucement, appuyant son dos contre la tête de lit derrière lui, et défit peu à peu le bandage. Une fois qu’il fut entièrement retiré, eh bien… c’était laid. Quatre profondes lacérations couraient le long de sa cuisse, sur pratiquement la moitié de sa longueur. La plaie était refermée, mais l’on pouvait voir, pour un oeil habitué à voir des sutures, que le travail avait été aussi précipité qu’archaïque. Les meilleurs guérisseurs s’occupaient des rescapés du domaine, et les autres étaient au plateau. Il ne restait que les moins compétents d’entre eux, et c’est un de ceux-là qui avait, sous injonction du comte, refermé sa blessure avant son départ. Le fil brun était épais, en boyau probablement. Autour de chacun des points quelques perles sanguines avaient séché, et certaines croûtes de sang se retrouvaient également le long de sa jambe, près des plaies. Le long de la liaison des chairs griffées, on voyait parfois clairement la marque des taillades pratiquées à vif pour supprimer les chairs qui commençaient à noircir après la bataille. Le moment où la chair avait pourri, justement. Son muscle avait également perdu de sa logique. Parfois en relief alors qu’il n’était pas contracté, plus creux à des endroits où il n’aurait pas du l’être, le relief irrégulier témoignait d’une blessure nettement plus profonde que la simple entaille. Entaille qui, sur chacune des quatre griffures, était d’un rouge vif, presque violacé, suite à la suture et séquelle des horribles traitements que Morion lui avait fait subir. Quant à la chair entre, elle s’était amincie, s’était étirée, avait blanchi. Bref, c’était réellement et résolument laid. Il n’y avait guère à tergiverser là dessus. Et la cicatrice définitive le marquerait probablement à vie, laissant de profonds sillons dans la peau.

«Et comme je le disais… J’ai eu de la chance. C’eût pu être pire. Je ferai néanmoins refaire cette suture dès que possible. Je crains que le pauvre guérisseur à qui j’ai demandé ce… travail ne sût même pas dans quel sens tenir son crochet. Il haussa un petit sourcil, avouant finalement plus honnêtement : bien que je ne lui aie pas facilité la tâche, ayant moi-même légèrement contribué à aggraver mon état… Qui s’avère finalement bien meilleur que ce que les premiers médecins avançaient au lendemain des combats, rajouta Morion pour renchérir ses propos. D’ici quelques semaines je pourrai me passer de canne, je pense. Les chairs pourries ont été retirées, et quelques maux en voie de guérison m’ont saisi également, dus à la fange, ou peut-être simplement au temps. Il passa une main sur la nuque de sa femme. Tout ce qu’il faut retenir, c’est que c’est terminé, et que je vais mieux. N’est-ce pas ?»
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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptyVen 29 Juil 2016 - 22:45
Ambre se résigna aux propos de Morion. Elle n’avait, en fait, pas grand-chose à y redire. C’était triste, mais leurs deux points de vue avaient leurs raisons, leurs avantages et inconvénients, ainsi que leur logique. D’un côté l’épouse qui refusait de ne pouvoir honorer son mari s’il venait à lui arriver quelque chose, de l’autre l’époux qui préservait la vie de sa femme et de sa lignée. Ambre entendait parfaitement cela. Elle avait les responsabilités d’un héritage sur les épaules. La comtesse, quoi qu’il arrive, devrait rester en vie pour élever ses enfants, et faire perdurer leur nom. Mais avec de tels risques, avec la mort qui rôdait depuis l’invasion… c’était plus facile à dire qu’à faire. Si, par exemple, un bandit venait à les agresser dans une ruelle, et qu’il terminait par blesser Morion gravement, aurait-elle vraiment le réflexe de fuir pour protéger sa vie et celle d’un enfant hypothétique entre ses chairs, abandonnant son mari, ou tenterait-elle de protéger le corps de son époux ? Elle ne savait sincèrement pas. Et elle espérait ne jamais le savoir, ne jamais avoir à connaître cette situation. Choisir entre son cœur et ses devoirs… Si la Trinité pouvait lui permettre d’être digne de tous les aspects de son rang et de sa qualité d’épouse sans jamais la contraindre à prendre pareille décision, elle serait grandement reconnaissante. Elle ne se mettrait en tous les cas jamais en danger à moins que la situation soit si grave que cela en devienne inévitable, mais elle espérait aussi que son borné de mari, à l’avenir, calmerait sa tête brûlée.

--

- Presque rien… Vous avez repris le plateau, tout de même. Plus de mille âmes ont investi les terres fertiles. C’est plus que tout ce que nous avions espéré. Il y a eu presque autant de pertes, certes… Mais je crains que cela eût été un sacrifice inévitable, murmura Ambre dans la quiétude de leur chambre.

Leurs voix étaient douces et calmes. A part elles, tout était silence, en-dehors de l’éternel craquement des bûches dans le feu. De façon à moitié consciente, Ambre reprenait ses marques en présence de son mari. Sa façon de se tenir blottie contre lui sur la couche, sans besoin de faire plus, juste profiter d’une discussion agréable, et chaste. Entre deux phrases, la comtesse inspirait parfois doucement, yeux fermés, savourant le parfum de son mari, la douceur de sa peau. Quoique cette dernière soit un peu perturbée depuis par des marbrures qui lésaient encore son corps. Elle avait encore du mal à réaliser qu’il soit de retour ; cela avait été si soudain, et la soirée Clairmont n’avait point aidé. La comtesse évoluait dans une sorte d’hébétude ravie, écoutant avec intérêt son mari bien évidemment, mais les pensées parfois parasitées par d’autres idées qui s’ajoutaient et lui faisaient prendre la pleine mesure de son retour. C’était agréable, et en même temps un peu irréel.

Morion resserra sa prise autour d’elle pour la rassurer lorsque fut évoqué le sujet d’une morsure. Quand il assura que cela n’était qu’une simple griffure, Ambre relâcha doucement son souffle, détendit ses épaules, fermant brièvement les yeux pour adresser des mots muets de remerciement aux dieux. Ses émotions semblaient jouer beaucoup avec elle depuis plusieurs semaines. La mort de son père, l’inquiétude du départ de Morion, la colère des passages répétés de Cassandre, la fatigue et l’espoir d’un enfant prochain, puis le bonheur du retour de Morion, brusquement entaché par la possibilité qu’il se transforme en créature maudite un jour, avant que le soulagement ne retombe, tout aussi brusquement. Heureusement que ses parents lui avaient légué un cœur solide, sans quoi aurait-il lâché depuis longtemps, à devoir supporter des émotions si contradictoires en des temps si courts.

Ambre observa son époux retirer le bandage, lanière par lanière. Lorsque cela fut fait, et que son attention put se poser sur la plaie, elle écarquilla légèrement les yeux.

- Une « simple » griffure, dis-tu… ?

La blessure était laide. Les chairs étaient encore bouffies par endroit, rouges, violacées, sensibles. Le fil brun à suture était tendu entre les berges des quatre lacérations ; un peu trop même, témoin du manque de peau causé par le retrait par le guérisseur des chairs pourries. La cicatrisation avait déjà commencé, les berges étaient de nouveau soudées, mais c’était irrégulier, grossier, et la manière dont présentait la plaie fit frissonner la comtesse à imaginer la douleur que cela avait pu être. Une sensation glacée parcourut la jeune femme. En retenant son souffle, elle vint caresser l’intérieur de la cuisse – loin de la blessure, sans toucher la zone encore douloureuse, mais ce simple geste d’attention fut machinal.

- Grands dieux, et tu portais ton armure… ? Comment pourrons-nous lutter contre ça…

Ses mots étaient presque inaudibles. C’était inhumain. Ambre avait pu apercevoir l’une de ces bêtes, mais elle avait été enchaînée. La comtesse ne les avait jamais réellement vues en action, à part, bien évidemment, depuis le haut des remparts lors de l’affaire Sarosse. Mais il avait fait nuit, elle voyait ça de haut, c’était le chaos, et à part les cris et des mouvements désorganisés, elle n’avait pas pu prendre la pleine mesure de la force de ces choses. Elle connaissait son mari cependant. Elle connaissait son agilité au combat, sa force, son expérience des armes. Il était très bon. Et une seule de ces créatures avait réussi à l’atteindre si profondément… C’était tout bonnement atroce.

- Il est trop tard pour refaire la suture, Morion. Les chairs sont soudées à nouveau ; si tu veux repriser la plaie, il faudra la rouvrir. Je ne suis pas sûre que risquer une autre infection soit pertinent, souffla Ambre. Même si, effectivement, dans l’état où se trouvait sa jambe, le travail effectué ne laisserait pas une belle cicatrice, même lorsque cette dernière aurait eu le temps de blanchir. Les quatre lacérations étaient profondes, cela se voyait encore malgré l’avancement de la cicatrisation. Il serait marqué à vie. Comme si tu avais besoin d’autres cicatrices à ton actif… ajouta Ambre, peinée.

Elle glissa une main douce sur le poignet de Morion, qui était venu passer une main dans sa nuque. Elle releva le regard vers lui, avant de le poser à nouveau sur sa cuisse.

- Oui, c’est l’essentiel. Tu vas mieux, conclut-elle en rassemblant entre ses doigts les lanières du bandage, qu’elle entreprit doucement de refermer après avoir gravé dans son esprit la façon dont la bête l’avait marquée. Sache que si tu n’as pas été raisonnable au Labret, tu le seras ici, prévint-elle, gentiment, mais avec un léger avertissement dans la voix. Je referai ton bandage moi-même, tous les jours, en compagnie d’un guérisseur, et je purifierai à chaque fois la plaie avec la même eau que celle qui t’a sauvé la vie. Et si je te vois debout trop souvent…

Elle laissa sa phrase en suspens, serrant d’un geste vif le dernier nœud pour serrer le bandage. Elle n’avait pas besoin de terminer sa phrase – elle prendrait soin de lui, et ferait montre d’une grande force de persuasion s’il devait s’entêter. Le sujet était clos cela dit, et parler d’autre chose que de la guerre et de la douleur soulagerait sûrement l’atmosphère.

Ambre avait tellement de choses à lui conter. Pleins de moments de vie au manoir, de rencontres à l’Esplanade, d’informations sur ce qu’il avait raté à la cité. Des flots de paroles se massaient dans sa gorge, prêts à sortir. Tout se mélangeait, fébrile. Les passages de Cassandre, les efforts des domestiques depuis qu’elle était fatiguée, les instruments de ses sœurs qui étaient tous réparés, sa nouvelle peinture, les lectures qu’elle avait faites selon ses bons conseils, les nobles avec qui elle avait pu échanger des nouvelles. Pourtant… pourtant, elle ne conta rien de tout ça. La main de son époux se trouvait derrière sa nuque, et elle observait le comte, dans un silence presque solennel. Ses prunelles se posèrent sur celles de l’homme, avant de baisser vers le relief de ses lèvres, et ce regard fut annonciateur du baiser qu’elle vint ensuite déposer sur ses lèvres. L’échange fut tendre, mais la passion couvait. Comme la veille du départ de Morion, trois semaines plus tôt, la comtesse n’avait point envie de parler. Elle avait envie de s’abandonner, de le retrouver dans une étreinte salvatrice et terriblement désirée. Si l’homme n’était pas rentré blessé, sûrement aurait-elle été beaucoup moins douce, d’ailleurs.

- Que m’as-tu dit chez Clairmont, tout à l’heure… ? Entre deux baisers, elle était venue effleurer de ses lèvres l’arête de sa mâchoire pour murmurer à son oreille. Qu’avec ton état, je devrais te ménager et faire preuve d’initiative.

Sa main glissa derrière sa propre nuque, retirant les doigts de l’homme qui s’y trouvaient toujours. D’un regard entendu, elle posa le bras le long du corps de l’homme, lui signifiant silencieusement de rester tranquille. Elle avait vu la façon dont il avait grimacé aux simples mouvements qui avaient été nécessaires au retrait des chausses. Il ne pouvait pas assumer un ébat. Et, bizarrement… à travers sa sollicitude, et son envie de ne pas lui faire mal, cette impuissance forcée chez son mari avait réveillé dans ses yeux quelques lueurs amusées.

- Allonge-toi.

Car il s’était redressé contre les coussins de la tête du lit pour lui montrer sa blessure. Cela serait gênant pour ce qu’elle comptait faire. Le temps qu’il s’exécute, Ambre retira doucement son collier doré, ainsi que ses boucles d’oreille, qu’elle posa sur la table de chevet, en compagnie des brisures de verre de la fiole d’Anür. Elle garda les cheveux noués cependant. Elle préférait que son époux les délie de lui-même s’il avait l’envie, de même que la robe qui tenait toujours sur ses épaules.
Ambre le désirait. La soirée de Clairmont, qui les avait contraint à étouffer leurs ardeurs, n’était plus. Morion était rentré meurtri, blessé, douloureux, après trois semaines d’horreur, trois semaines éprouvantes pour sa santé tout comme son esprit. Elle voulait lui faire oublier ce mois de difficultés, et lui redonner un plaisir qu’il n’avait plus connu depuis son départ. Le soulager de tous ses maux, lui montrer qu’il était à nouveau en sécurité, au sein de leur foyer. C’était peut-être déplacé, qu’elle s’impose ainsi, sans le laisser prendre l’initiative, ni faire le premier pas (tiens tiens, encore un à mon actif, je tiens à noter :vvv), car elle était la femme et lui l’homme. Mais durant les premières semaines de leurs noces, la jeune rousse avait appris à connaître un peu son mari sur ce plan-là, et avait remarqué qu’au contraire, il appréciait, en général.

La comtesse s’installa au côté de son époux. Sa main gauche prenait appui sur le matelas, et sa main droite vint caresser doucement la barbe de l’homme alors qu’elle se penchait pour l’embrasser, encore. Ses lèvres butinèrent à plusieurs reprises, et elle laissa l’homme l’enlacer ou faire courir ses mains sur sa taille, s’il le voulait.
Après la barbe, les ongles des doigts légèrement recourbés descendirent sur la gorge, évoluant très lentement, au point qu’elle puisse sentir son pouls à plusieurs reprises. La pulpe de ses doigts s’attarda un instant dans le creux du cou, traçant des arabesques invisibles, avant que sa bouche ne la rejoigne. Ses dents raclèrent légèrement la peau, sa langue courut sur la surface, puis elle descendit sur le torse en suivant le trajet de la clavicule.
Elle resta longtemps sur le torse et sur son ventre, allongée sur le côté auprès de lui pour avoir toute la marge de manœuvre qu’elle voulait. Ses mains passaient à travers les poils de son torse, effleurant les bleus et les hématomes, s’arrêtant sur le relief d’un téton, que ses lèvres venaient bientôt rejoindre pour les serrer doucement, avant qu’une langue taquine et lascive vienne s’ajouter. Elle passa sur son bras le plus facilement atteignable, glissant le bout de ses ongles sur la peau fine, jusqu’au poignet, la paume et le bout de doigts, pour ensuite remonter en sens inverse, jusqu’à l’épaule. Puis recommença, suivant un trajet similaire en déviant de quelques centimètres pour varier, mais le schéma restait le même. A un moment, lorsque l’homme fut habitué aux caresses sur le bras, sa main dévia brusquement sur le flanc adjacent, glissant de ses côtes jusqu’au relief de sa hanche, d’un mouvement lascif mais assez rapide pour qu’il ne puisse anticiper la trajectoire. Sa main passa au flanc opposé, puis remonta sur les côtes, encore et encore, sans jamais se lasser. En faisant tout cela, la comtesse se penchait souvent pour venir cueillir ses lèvres, fondre dans son cou, mordre la peau. C’était amusant, car le comte était déjà quasiment nu – les chausses qu’elle avait retirées pour libérer sa jambe trônaient encore sur son entrejambe, la recouvrant seulement –, alors qu’Ambre était complètement vêtue. Il était à sa merci, en quelque sorte.

A un moment, le comte put sentir un changement. Ambre se mit à embrasser son torse, mais avec, semblait-il, un but précis. Les baisers étaient moins spontanés, moins désorganisés. Elle embrassa le plexus solaire, glissa de quelques centimètres en effleurant sa peau, embrassa encore, juste au-dessus du nombril. Son visage descendit encore, et lorsque qu’elle sentit le relief des chausses effleurer son menton, sa main vint se refermer en crocher dessus, tandis que ses yeux se relevaient vers le visage de son mari. Quelques instants coulèrent ainsi, volontaires, alors qu’elle lui jetait un regard par en-dessous ses cils. Puis sa main fit glisser les braies pour libérer entièrement la nudité du comte, très, très proche de la bouche de la comtesse.
La jeune rousse n’avait encore jamais effectué de fellation. Ils en avaient testé des choses, durant leurs trois premières semaines de noce, mais pas ça. Morion avait été extrêmement consciencieux, et généreux. Il lui avait fait découvrir les plaisirs charnels plus qu’elle ne les lui avait accordés. La jeune femme avait appris à apprécier les sensations sur son corps, avait également progressivement appris à satisfaire le comte, mais elle ne s’était encore jamais aventurée à descendre entre ses cuisses. Pas qu’elle n’avait pas osé, c’était juste… qu’elle avait voulu maîtriser un minimum le reste d’abord, et prendre son temps de le découvrir. Et à cet instant, elle se félicitait, car cette « abstinence » allait rendre ce premier soir après son retour unique à sa manière.

Avec chaleur, Ambre souffla sur le membre de son époux, sans le toucher, prenant exemple sur ce qu’il faisait lui-même sur elle. Elle souffla de l’extrémité jusqu’à la base, descendant légèrement le visage. Une fois un peu plus bas, elle releva à nouveau le regard vers Morion, guettant ses réactions. Taquine, elle s’autorisa une langue tentatrice, qui courut sur la surface de sa lèvre supérieure, toujours sans toucher le comte. Quand la tension atteignit un pic, la jeune femme termina par quitter le regard de son mari. Elle embrassa la verge, juste à la base. Discrète, sa langue vint effleurer l’orée des testicules, puis, d’un seul mouvement, elle remonta tout le long du sexe d’une pression appuyée de la langue, pression qu’elle relâcha légèrement en arrivant au sommet. Une main vint rejoindre doucement le ballet, en redressant le membre vers sa bouche. Elle donna des coups de langue incisifs sur le gland, relevant une dernière fois le regard vers son époux. Sa langue, chaude et humide, courut bientôt sur toute la surface, et, quand elle-même ne put plus attendre, elle referma entièrement ses lèvres autour de la virilité de son mari, et commença les mouvements de va-et-vient, soupirant de désir. Elle voulait qu’il s’abandonne, qu’il profite de ce qu’elle avait à lui offrir sans avoir besoin de rendre quelque chose en retour. Qu’il savoure l’initiative, et s’amuse peut-être qu’elle l’ait pris au mot.

Ambre descendait et remontait le long du sexe de Morion, et variait les actions de sa langue par pur instinct et envie. Parfois s’arrêtait-elle dans ses mouvements répétés, concentrant ses attentions sur l’extrémité du membre, glissant sa langue sur les reliefs, effleurant le frein qu’elle prenait plaisir à titiller du bout de la langue.
Quand elle eut pris un peu l’habitude des va-et-vient, Ambre commença doucement à aspirer, alors que jusque-là elle n’avait fait que glisser le long du membre. Elle suçota la chair, augmentant brusquement la pression dans l’enceinte fermée de sa bouche, pour la relâcher, le tout avec un rythme tantôt lascif, tantôt rapide, destiné à le faire sombrer. Elle essayait de se concentrer sur ses réactions, sur ses soupirs, sur ses gestes, pour déterminer si elle faisait bien ou non, mais c’était parfois difficile. Elle était elle-même emportée par son désir, alors que dans une telle position, elle ne pouvait recevoir aucune attention ou presque.

C’était amusant, car cette pratique avait justement été décrite dans le fameux livre qu’il lui avait conseillé. Elle s’était demandé s’il s’était langui qu’elle le fasse un jour sur lui. C’était désormais chose faite, et elle comptait continuer jusqu’à ce qu’il la fasse stopper, ou jusqu’à ce qu’il s’abandonne. Ambre avait sincèrement peur de lui faire mal à cause de sa cuisse, s’ils s’étreignaient comme à leur habitude. S’il était le seul à recevoir des attentions cette nuit-là, ça n’était donc pas quelque chose qui la gênait. Bien au contraire. Elle voulait qu’il se laisse aller sur leur couche et qu’elle puisse abattre ses défenses, une à une. C’était suffisant pour la combler.
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Morion de VentfroidComte
Morion de Ventfroid



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MessageSujet: Re: Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid]   Soleils ambrés, nuits azurées, cercle parfait. [Ambre & Morion de Ventfroid] - Page 5 EmptySam 30 Juil 2016 - 4:00
Reprendre le plateau… Morion ne pouvait nier, et d’ailleurs, il n’était pas le seul, que c’était une opération dont la réussite était capitale pour leur survie. Mais il y avait plus de cent cinquante mille âmes à nourrir. Et il fallait que les paysans travaillent la terre, sèment, entretiennent leur sol, soignent leurs plantes, et finalement, récoltent le tout. Dans un lieu qui s’il avait été reconquis, restait horriblement hostile. Les fangeux savaient où frapper désormais. Et ils savaient aussi que si les hommes avaient pu les repousser, ce n’était que grâce à un concours de circonstances, grâce aux faveurs divines, peut-être. Pas grâce à leur force, cela était très clair, et pour tout le monde. Les amures ne servaient à rien face à eux.

«Mille âmes oui. Mille âmes qui vont devoir en nourrir cent quarante-neuf mille de plus. Il se peut que lorsque le plateau soit enfin viable et fertile, il n’y ait plus grand monde à nourrir. Mais oui, c’est une bonne chose. Ce n’est pas l’acte en lui-même, qui m’inquiète. Nous avons tous pris conscience de la force de notre ennemi ce jour là. Il est là, le problème.»

Comme le soulignait Ambre, le sacrifice avait été nécessaire, en effet. Et probablement que n’importe quel autre dirigeant doué de bon sens autre que le Duc eût sûrement ordonné pareille entreprise. Cela Morion n’en doutait pas, et l’état des forces après la conquête, il ne l’imputait pas à Sigfroi. Pour le coup il y pensait même assez peu. C’était… C’était juste que tout ceci avait déclenché en Morion un processus qui lui était jusque là inconnu : la terreur panique, à la simple évocation d’une idée. Et c’était exactement ce qu’il se passait quand il songeait à ces visages morts ayant envie de les pousser à les rejoindre. Sans compter l’intérêt, contredisant ce premier sentiment de peur, qu’il leur portait. Ce qui leur permettait de se mouvoir, de leur tomber dessus et de les broyer comme ils l’avaient fait… Cela aussi, c’était nouveau. Il était d’un naturel curieux, c’était un fait. Assoiffé de connaissances, même. Il n’avait de cesse de lire et d’absorber du savoir, qui ne lui était pas forcément utile d’ailleurs, mais à des fins purement personnelles, comme il aurait pu être amateur de bonne nourriture et goûter les meilleurs mets existants simplement pour en connaître la saveur. Cette fois-ci, c’était différent. C’était maladif. Et cette soif aurait probablement tendance à s’aggraver avec le temps.

C’était néanmoins ni le lieu, ni l’endroit. Malgré son air las, ou ses blessures encore vives pour certaines, il n’avait pas envie d’en rajouter, et surtout, était heureux d’être là. Rentré, déjà, même si rester à son domaine ne l’aurait pas dérangé. Si l’on excluait Ambre, sa demeure au nord du Labret était bien plus agréable à vivre qu’ici. La cour et la proximité de tous les autres nobles le dérangeaient. Quant au reste… Il pouvait fort bien administrer l’espionnage et les diverses exactions qu’il pouvait commettre en ville de loin, et passer par des intermédiaires, quitte à les supprimer après utilisation. Mais Ambre n’y était pas, au domaine. Et leur mariage datait certes de deux mois, mais ils n’avaient guère eu l’occasion d’en profiter. Si Morion était du genre calme et économe de tout, il avait attendu cet instant longtemps. Les événements désastreux qui s’étaient succédés là bas, ou peut-être la solitude du comte, reposante certes mais dénotant fortement avec les semaines qu’il avait passé avec son mariage, tout ceci avait rendu cette attente bien plus poignante. Et maintenant qu’il était là, il comptait bien délayer un minimum ses responsabilités et le travail qu’elles lui imposaient pour pleinement profiter de sa femme. Notons d’ailleurs que la soirée chez Clairmont, si elle s’avéra instructive, n’en fut que plus frustrante encore. Sa femme était à portée de regard, de bras, de lèvres, et pourtant tout lui interdisait d’agir en époux rentré du combat. Tout était désormais bel et bien terminé.

«Simple oui. La créature m’a attaqué par dépit, alors qu’elle était en plein déséquilibre, désarçonnée par le contenu de la fiole au fond de sa gorge. Si elle avait pu frapper avec toute sa force, je n’aurais probablement plus cette jambe. Ou pis encore. Il fronça légèrement les sourcils, puis haussa doucement les épaules. Nous ne pouvons pas lutter avec des moyens conventionnels contre eux, c’est aussi simple que ça. Mon armure était solide, éprouvée à de nombreux combats. Elle a été déchiquetée comme du parchemin. J’aurais pu être en simple tunique sur mon cheval que le résultat aurait été le même. Je finirai par découvrir quelque chose.»

A la lassitude, lors de cette dernière phrase, s’était ajoutée une détermination sauvage et brutale. La nuance était subtile, mais perceptible par Ambre, qui connaissait désormais assez bien le ton de sa voix, même si celui-ci, il ne l’avait pas encore employé en sa présence. Il découvrirait, ou mourrait en essayant. Peu importe. Mais lutter contre eux comme ils le faisaient actuellement les conduirait à leur perte. C’était un constat amer, fataliste, voire carrément défaitiste, mais réaliste. Ils donnaient l’horrible impression d’être invincibles. Et là, leur nombre faramineux (ça s’écrit comme ça :v) n’était même pas pris en compte dans les calculs. Si cent avaient causés de tels ravages, que feraient mille d’entre eux, lancés à l’assaut du Labret, ou même de la ville ? Morion ne voulait même pas essayer de répondre à cette question.

Un sourcil se haussa quand Ambre lui fit remarquer que l’état de sa plaie ne permettrait pas un changement de suture. Qui s’accompagna bien vite d’un ton désinvolte, et d’un haussement d’épaules pragmatique.

«Alors je la ferai rouvrir. La peau est trop tendue. Le fil est rêche. Poser le pied par terre est déjà douloureux, je ne compte pas perdre l’usage plein de ce membre avant de nombreuses années. Je trouverai un moyen. Il délaissa sa blessure du regard. Elle l’énervait. Il y a de toute façon moins de risque ici qu’au plateau, où les conditions d’exercice sont déplorables. Beaucoup de guérisseurs tuaient leurs patients sans même le vouloir. On ne pouvait échapper à la crasse, à la boue, aux vents, ou à la pluie.»

Quant aux cicatrices… Justement, il en avait fait collection. Une de plus, ou une de moins, ce n’était pas grand chose. Cela arrivait, tout simplement. Et cela se reproduirait sûrement encore dans un futur plus ou moins proche. Selon les volontés du Duc, ou les difficultés qu’il rencontrerait, indépendamment de toute mission, à son domaine. Même s’il n’était pas stupide au point d’attendre la prochaine blessure. Il les éviterait, dans la mesure du possible, c’était une question de bon sens. Mais l’esquive, l’opération le lui avait prouvé, était parfois affreusement difficile.

Il serra légèrement les dents, lorsque la bande recouvrit sa jambe. La douleur était encore parfaitement vivace, en surface. Il ressentait beaucoup moins la torture que subissait son quadriceps depuis la suture, et surtout depuis qu’il était allongé, mais la plaie en elle-même restait un sacré problème. Il n’émit aucun son, en revanche. Elle semblait avoir assez mal rien qu’à la voir, il n’avait aucune envie d’en rajouter une couche par dessus.

«Nul besoin de me le dire, tu sais
, rétorqua-t-il, le sourcil levé. Je suis rentré, et je compte bien rattraper mon absence à tes côtés. Si je puis toujours m’activer d’un point de vue administratif, je ne compte pas y passer tout mon temps. Cela m’est encore difficile, de toute façon. Et nous avons été séparés trop longtemps pour que je me comporte comme j’ai pu le faire au domaine, sois-en sûre. Il fronça légèrement les sourcils. Sans tomber dans l’abus, l’exercice sera nécessaire. Je ne peux pas laisser ma jambe s’affaiblir. Tu m’accompagneras, et tu seras juge, si tu le souhaites.»

Il avait bien envie de continuer à discuter. Il avait envie d’autres choses, aussi. Bien que sur ce point… Il ne faisait pas une totale confiance à son corps, à son grand dam. Dans un meilleur état, il aurait peut-être même carrément reporté ce compte rendu, pour n’en parler que bien plus tard, une fois leur manque d’eux et leurs pulsions latentes assouvies. Il ne pouvait pas ignorer le handicap que cette blessure représentait, cependant. Une frustration légère, somme toute. Il n’était pas du genre à devenir fou à cause de ça, et une conversation entre mari et femme, sur leur couche, en attendant que le sommeil les emporte, aurait été tout aussi efficace. Il était patient, et savait attendre, sachant pertinemment que le résultat serait plus explosif encore. Cela étant dit, trois semaines, voilà qui était un délai des plus respectables.

«Tu ne resteras pas habillée une seconde de plus en ma présence, ma femme.»

La remarque de Morion avait claqué suite à son injonction. Ils étaient là depuis déjà un moment, et s’il s’était dévêtu d’abord par confort, puis ensuite par nécessité afin de montrer à Ambre son “trophée” de guerre, Ambre avait conservé tous ses habits, et maintenant qu’ils ne sortiraient plus de chez eux avant un bon moment, elle n’avait rien à faire ainsi mise dans leur couche. Il dénoua en premier ses cheveux. Elle était toujours très bien coiffée, et belle à ses yeux quoi qu’il arrive, mais il la préférait des centaines de fois les cheveux déliés. Il laissa la coulée flamboyante glisser entre ses doigts lorsqu’il eut retiré les attaches qui les maintenaient ensemble, et les caressa un moment avant de pencher un peu plus le buste pour venir délacer, un à un, les liens qui maintenaient sa robe serrée. Sa main courut ensuite sous le tissu, remontant sur son épaule, et la dégagea, itérant le même procédé de l’autre côté pour qu’elle tombe sur sa poitrine. Ne pouvant guère effectuer son travail seul, il lui adressa un regard mi-amusé, mi-impérieux, demandant silencieusement son aide. Qu’ils dorment ou non, cela ne serait pas habillé. Une fois qu’elle fut délestée de ce poids, il caressa, avant de finir par obtempérer à son ordre, son ventre, ses hanches, chaque parcelle de chair, comme s’il les découvrait pour la première fois. Ca n’était bien sûr pas le cas, mais l’éloignement avait rendu ses mains fébriles, et avide de s’habituer à nouveau au contact suave de sa peau contre ses doigts et ses paumes. Il l’embrassa longuement, très longuement, avant de se rabattre sur l’oreiller.

Au début, ironiquement, quand les doigts d’Ambre commencèrent à s’affairer, bientôt rejointes par ses lèvres, il était… aisé, comme toujours lorsqu’elle lui accordait ce genre d’attentions, mais également sceptique. Pensant à ce moment deviner ses intentions, la réflexion qu’elle risquait d’être fort déçue si elle poursuivait l’effleura. Il n’était pas en état de lui accorder une nuit brûlante comme ils en avaient connu, malheureusement. Le lendemain, peut-être, même si ses mouvements étaient limités. Mais ce soir… Il avait passé toute la soirée debout, comme la matinée, et le trajet jusqu’à Marbrume lui avait également réservé de mauvaises surprises. Ce qui ne l’empêchait pas, cependant, de laisser ses mains courir dans son dos, de savourer une nouvelle fois la ligne courbe de ses hanches, remontant les irrégularités marquant ses côtes, de glisser quelques doigts taquins, griffant la peau de sa nuque ou de son cou. S’il fallait arrêter les choses, cela serait fait le temps venu. Il n’allait pas s’interdire de profiter de sa femme, ni le lui interdire à elle.

Entre ses doigts habiles, le comte sentait son corps se détendre, et notablement. A vrai dire, il n’avait lui-même aucune idée d’à quel point il avait accumulé la tension, tous ces jours passés à l’extérieur. Et même si être au domaine lui avait tout de même procuré une certaine sérénité, elle n’était pas suffisante. Il s’était abruti de travail là bas également, poussant son corps autant que son esprit dans des retranchements qu’il valait mieux éviter de fréquenter si l’on voulait rester sain d’esprit. Les frissons étaient très agréables. Avoir longtemps - et encore régulièrement maintenant - ressenti les frissons dus à la douleur aigüe, à la fièvre, à la faiblesse d’un corps amoindri exposé au monde extérieur rendaient ceux là bien plus agréables qu’ils ne l’avaient jamais été. Leur saveur était bien différente.

La chaleur montait, lentement mais sûrement. Comme à chaque fois qu’ils s’embrassaient, le soir venu (ou tout autre moment de la journée) et que leurs mains s’égaraient en caresses, griffures, qu’ils se mordillaient et se titillaient l’un l’autre, ainsi que leurs envies. Mais Morion avait de sérieux doutes quant à la rentabilité d’une telle chose. Sans être amorphe - il était aussi généreux avec Ambre qu’elle pouvait l’être, rendant chaque baiser avec une égale ferveur, faisant travailler sa langue avec une ardeur bien vite retrouvée et renouvelée, laissant ses caresses se faire plus fermes, puis plus légères, dans un jeu de sensations qu’Ambre connaissait bien maintenant - il avait assez peu d’ouvertures pour s’adonner à des exercices plus… sportifs. Il allait justement lui en parler, quand ses baisers perdirent en errance pour se faire plus déterminés. Mais elle lui cloua le bec, sans avoir besoin de dire quoi que ce soit. Il était aussi surpris qu’hésitant, si bien qu’il se redressa de quelques centimètres, les lèvres entrouvertes, trouvant appui sur un coude. Ses yeux étaient habités par un désir certain déjà, mais ils reflétaient en sus une surprise réelle. Il déglutit légèrement. Il se retrouvait, dans un recoin sombre de son esprit, confronté au dilemme d’arrêter sa femme avant que les choses ne finissent par les frustrer l’un et l’autre sans aucun but, ou la laisser continuer. La situation était particulière. Les rôles s’inversaient. Et il ne s’attendait vraiment pas à ce qu’Ambre, dont il avait pris la virginité deux mois plus tôt seulement, en arrive déjà à ce genre de choses. Pas que cela lui déplaisait, bien au contraire. C’était juste très surprenant.

Il ressentit des frissons puissants le parcourir lorsque son souffle l’effleura. Par réflexe, son périnée se contracta, dressant brièvement, en un petit soubresaut, le membre caressé d’air chaud. Une chaleur l’envahit au creux du ventre, et un souffle peu bruyant, mais long et profond, quitta ses lèvres. Une ombre de sourire - il n’avait pas vraiment envie de sourire à l’instant - déforma une fraction de seconde un coin de lèvre lorsque la langue abattit sa pointe chaude et humide contre sa hampe, déclenchant une nouvelle vague électrique dans tout son corps. Même en pleine… découverte ? elle restait joueuse et taquine, titillant Morion. Il aurait menti s’il avait dit ne pas apprécier. Et encore, ça n’était rien, comparé à la suite. Quand les jeux espiègles devinrent de vraies caresses, la main au bout du coude qui lui servait d’appui se serra autour du tissu de leur couche. Il ne la quittait pas un instant des yeux, et la vision attisait encore plus son désir et le plaisir qu’il ressentait à chaque contact, de sa langue ou de ses lèvres. Son souffle se fit plus vif. Il ne se posait plus la question de savoir si oui ou non il voulait l’arrêter.

Son souffle se bloqua littéralement quelques secondes lorsqu’elle emprisonna le membre entre ses lèvres, et un long soupir ponctua cette apnée soudaine. La chaleur des lèvres et de sa langue, du souffle chaud qui courait sur sa chair, elle semblait partir de son entre jambe et l’envelopper tout entier. La sensation était si particulière. Terriblement humide, et terriblement agréable. Les caresses étaient plus nombreuses, plus variées qu’en son intimité, lorsqu’ils s’ébattaient.

Son sang pulsait, presque en rythme avec ses allées et venues. Elle pouvait sentir, lorsqu’elle aspirait, ou quand la pression de sa langue et de ses lèvres se faisait plus ferme, ou encore quand le mouvement s’accélérait, les légers soubresauts provoqués par les contractions de son périnée, signe d’un plaisir évident. Lui-même sentit sa bouche s’assécher légèrement, le rythme auquel pénétrait et sortait l’air s’étant nettement accéléré. A sa question il aurait répondu qu’il n’avait même pas pensé à l’éventualité d’une telle chose, son seul désir étant de la combler elle et que ses manières, avant ce soir, le comblaient déjà. Ainsi, la surprise était pour le coup totale, et renforçait encore le plaisir que lui offraient les caresses orales de sa femme. Il serra légèrement les dents, profitant un maximum de l’instant. Il était, quelque part, un peu frustrant de recevoir sans donner en retour - il oubliait d’ailleurs qu’il avait fait la même chose avec elle des semaines auparavant - et il était quelqu’un qui n’aimait pas être inactif. Il aurait pu profiter encore, et encore, jusqu’à ce que toutes ses résistances s’effondrent, mais voulait aussi qu’elle profite de ses caresses. Il écarta, doucement, sa jambe valide, offrant à Ambre un peu plus de liberté de mouvement, même si ça n’était pas le but. Il se redressa d’une poussée sur ses muscles abdominaux, le dos courbé en arrière pour ne point l’entraver. Ses mains coururent dans sa chevelure, dans son cou, y laissant quelques traînées rouges, puis descendirent entre ses bras et ses mains pour s’emparer de ses seins, qu’elles massèrent, caressèrent, malaxèrent allègrement, coinçant parfois le mamelon entre deux d’entre eux pour l’y presser, le caresser.

Il voulut pousser le temps à son extrême, et la guidant de temps en temps, d’une légère impulsion du bassin, ou encore en prenant sa main pour guider un aller retour accompagnant ses lèvres sur son membre, il laissa ses résistances tomber une à une, jusqu’à la toute dernière. Cela lui coûtait sincèrement pour le coup, l’abandon était à quelques dizaines de secondes de là, tout proche, mais il n’en avait cure. Il força sa femme à se redresser vers lui, et l’embrassa à pleine bouche, fiévreusement, serrant son visage entre ses mains et le plaquant contre le sien. Il avait une idée en tête.

Il l’attira à lui, basculant à nouveau allongé, et fit passer les jambes de sa femme de chaque côté de ses hanches. Il passa ses mains derrières ses fesses, et poussa doucement dessus, lui signifiant de remonter vers lui. Son regard se fit mutin.

«Remonte.»


Il la guida,encore et encore, jusqu’à ce que ses genoux passent le haut de son crâne, et que son visage, levé vers le sien, se retrouve entre ses cuisses. Il frissonnait encore terriblement des attentions de son épouse. Il glissa doucement vers l’arrière, la bouche à quelques centimètres seulement de son intimité, observant Ambre en contrebas. Il tourna sa bouche vers sa cuisse, qu’il embrassa, mordit légèrement. Puis revint à son objectif, qu’il caressa d’abord de sa langue, pointue, légère, puis d’un souffle aussitôt après. Il répéta plusieurs fois ce mouvement, avant de laisser le bout de chair rose et humide écarter doucement les lèvres intimes pour y laisser de profondes caresses. Ses mains, dans son dos, appuyaient sur ses fesses pour rendre l’angle et le contact plus importants. Quant à ses yeux, ils étaient levés vers ceux de sa femme, là haut.
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